Péremption : pas de force de chose jugée sans une autorité de la chose jugée
À l’occasion d’un litige concernant un bail à construction, un jugement du 19 septembre 2007 prononce la résiliation du bail avec une expulsion sous astreinte. Le jugement, signifié le 1er octobre 2007, n’était pas revêtu de l’exécution provisoire.
Un appel (suspensif) est formé, le 24 septembre 2007, par le preneur.
Au cours de l’instance d’appel, les parties se rapprochent pour trouver un accord et demandent en conséquence un retrait du rôle, qui est ordonné par ordonnance de mise en état du 5 décembre 2008.
Finalement, aucun accord ne sera trouvé et la commune, bailleresse, assigne le preneur le 16 décembre 2016 devant le juge de l’exécution en liquidation de l’astreinte qui aurait couru depuis le 5 décembre 2008.
Parallèlement, la commune se prévaut devant la cour d’appel, toujours saisie de l’appel du jugement du 19 septembre 2007, de la péremption de l’instance pour défaut de diligence.
Le 20 juillet 2017, le juge de l’exécution rejette la demande de liquidation. La commune fait appel de ce jugement devant la cour d’appel.
Le 3 avril 2018, le conseiller de la mise en état constate la péremption de l’instance, celle-ci étant acquise depuis le 5 décembre 2010, aucune diligence n’étant intervenue depuis le retrait du rôle.
Sur appel du jugement du juge de l’exécution, la cour d’appel liquide l’astreinte, retenant que le jugement, non revêtu de l’exécution provisoire, du 19 septembre 2007, qui a ordonné l’astreinte, est « définitif » depuis le 5 décembre 2010, c’est-à-dire dans le délai de deux ans du retrait du rôle.
L’arrêt du 22 février 2019 est cassé, la Cour de cassation estimant quant à elle que la date à laquelle le jugement a eu force de chose jugée ne pouvait être celle à laquelle la péremption était acquise.
Un jugement devenu définitif ?
Pour la cour d’appel, « dès lors que le conseiller de la mise en état a constaté la péremption de l’instance dans sa dernière ordonnance rendue le 3 avril 2018 motif pris qu’aucune partie n’avait accompli des actes de procédure depuis le 5 décembre 2008, date de l’ordonnance de retrait du rôle, il est constant que le jugement du 19 septembre 2007 signifié le 1er octobre 2007 est définitif depuis le 5 décembre 2010 » (Saint-Denis de la Réunion, ch. civ. TGI, 22 févr. 2019, n° 17/01316).
Tout d’abord, le terme « définitif » est inapproprié. Le jugement définitif est, par opposition au jugement provisoire, celui qui tranche le principal (Procédures d’appel, Dalloz, coll. « Delmas express », n° 107). Bien souvent, il est dit à tort qu’un jugement est définitif lorsqu’il est irrévocable, c’est-à-dire qu’il n’est plus susceptible d’un quelconque recours, suspensif ou non (v. aussi Civ. 2e, 8 juill. 2004, n° 02-15.893 P, Bull. civ. II, n° 352 ; RTD civ. 2004. 775, obs. R. Perrot ). Ici, nous pouvons nous interroger si la cour d’appel le prend au sens de jugement irrévocable ou de jugement ayant force de chose jugée. Quoi qu’il en soit, le terme « définitif » ne signifie ni l’un ni l’autre.
Les juges d’appel considèrent qu’à la date du 5 décembre 2010, le jugement avait force de chose jugée, voire force irrévocable, le point de départ du délai de péremption étant le 5 décembre 2008.
À cet égard, afin qu’il n’y ait pas de méprise, ce n’est pas l’ordonnance de retrait du rôle de l’affaire qui constituait le point de départ du délai de péremption. En effet, l’acte interruptif de péremption doit être une diligence de la partie (Civ. 2e, 6 oct. 2005, n° 03-17.680 P, Bull. civ. II, n° 239 ; 26 juin 1991, n° 90-14.084 P, Bull. civ. II, n° 196 ; 21 janv. 1987, n° 85-12.689 P, Bull. civ. II, n° 20 ; 28 nov. 1984, n° 83-14.230 P, Bull. civ. II, n° 182 ; 5 avr. 1993, n° 91-19.976 P, Bull. civ. II, n° 147), de nature à faire progresser l’affaire (Civ. 2e, 17 mars 1982, n° 79-12.686 P, Bull. civ. II, n° 46 ; 28 juin 2006, n° 04-18.226 P, Bull. civ. II, n° 176 ; D. 2006. 1990 ).
Ce n’est pas l’ordonnance de retrait du rôle mais la demande de retrait du rôle qui constitue la dernière diligence des parties (Civ. 2e, 24 sept. 2015, n° 14-20.299, Bull. civ. II, n° 836 ; 28 juin 2006, n° 04-18.226, Bull. civ. II, n° 176 ; D. 2006. 1990 ). Cette demande de retrait du rôle, à l’instar de la demande en sursis à statuer (Civ. 2e, 17 oct. 2019, n° 18-19.235), est de nature à faire avancer l’affaire, même si l’on peut s’étonner que manifeste une volonté de poursuivre l’instance celui qui en demande la suspension.
Si l’ordonnance de mise en état constatant cette péremption est du 3 avril 2018, cette péremption était acquise à l’issue du délai de deux ans de la demande de retrait du rôle, soit après le 5 décembre 2010. C’est donc, pour la cour d’appel, à cette date que le jugement ayant prononcé l’expulsion sous astreinte était « définitif », ou plus exactement qu’avait pris fin l’effet suspensif de l’appel. C’est la force de chose jugée du jugement.
Force de chose jugée et autorité de chose jugée
On comprend tout l’intérêt, en l’espèce, de déterminer le moment où le jugement passe en force de chose jugée.
En effet, cette force de chose jugée produit des effets, et notamment elle fait échapper le jugement à tout effet suspensif. L’astreinte pouvait commencer à courir.
Notons au passage que cette force de chose jugée permet en outre au jugement d’acquérir la force exécutoire qui suppose, à défaut d’acquiescement, une notification (C. pr. civ., art. 504). C’est cette force exécutoire qui fera courir les intérêts majorés de l’article L. 313-3 du code monétaire et financier, la force de chose jugée n’ayant pas cet effet. Ainsi, les intérêts majorés sur les condamnations de l’arrêt d’appel – lequel arrêt a force de chose jugée dès son prononcé, le pourvoi en cassation n’étant pas suspensif (C. pr. civ., art. 579) sauf exception (C. pr. civ., art. 1086, 1087) – courront deux mois après la signification du titre exécutoire.
En application de l’article 390, la péremption en appel confère la force de chose jugée au jugement dont appel, même en l’absence de notification.
La péremption étant acquise le 5 décembre 2010, la cour d’appel retient en conséquence que c’est à cette date que le jugement du 19 septembre 2007 avait acquis force de chose jugée, et que l’astreinte avait commencé à courir. Dans son assignation de 2016, la commune pouvait donc faire courir l’astreinte à compter du 5 décembre 2010, et demander la liquidation en prenant cette date comme point de départ.
A priori, le raisonnement semblait conforme à l’article 390, la péremption étant constatée, et non prononcée, par le conseiller de la mise en état.
Toutefois, le raisonnement ne convient pas à la Cour de cassation.
En effet, même s’il est exact que la péremption était acquise à l’issue du délai de deux ans de la dernière diligence interruptive, la date à laquelle est constatée la péremption n’est pas sans conséquence.
Pour la Cour de cassation, cette force de chose jugée conférée au jugement ne pouvait être acquise qu’autant que la décision qui constatait la péremption, donnant force de chose jugée, avait elle-même acquis autorité de chose jugée. Et cette autorité de chose jugée, le jugement l’acquiert dès son prononcé, comme le précise l’article 480 du code de procédure civile, mais pas avant.
C’est donc au moment du prononcé de l’ordonnance de mise en état ayant constaté la péremption, soit le 3 avril 2018, que l’article 390 produit ses effets et donne force de chose jugée au jugement. Il était donc demandé au juge de l’exécution de liquider une astreinte qui n’avait pas commencé à courir.
En conséquence, si une partie peut se prévaloir d’une péremption et souhaite conférer au jugement force de chose jugée, il est conseillé de ne pas attendre avant de demander au juge de constater cette péremption. Plus la partie tardera, plus tard le jugement dont appel sera revêtu de cette force de chose jugée, nécessaire préalable à toute exécution, même si le principe de l’exécution provisoire de droit ôtera une partie de l’intérêt de cette force de chose jugée conférée par la péremption.
Il ressort de cet arrêt de cassation qu’il importe peu que cette péremption soit constatée.
Nous pouvons faire le rapprochement avec la caducité, qui est acquise si la partie n’accomplit pas, dans un délai déterminé, la diligence attendue pour consolider l’acte de procédure. Tant qu’un jugement n’a pas constaté cette caducité, pourtant acquise, la partie est irrecevable pour défaut d’intérêt à réitérer un second acte d’appel (Civ. 2e, 27 sept. 2018, n° 17-18.397 NP, D. 2019. 555, obs. N. Fricero ; ibid. 555, obs. N. Fricero ; 27 sept. 2018, n° 17-25.857 NP, D. 2019. 555, obs. N. Fricero ; ibid. 555, obs. N. Fricero ; 11 mai 2017, n° 16-18.464 P, Bull. civ. II, n° 94 ; Dalloz actualité, 7 juin 2017, obs. R. Laffly ; D. 2017. 1053 ). Et, lorsque le jugement qui constate la caducité a autorité de la chose jugée, alors l’article 911-1 trouve à s’appliquer pour sanctionner par l’irrecevabilité la partie ayant essuyé une caducité de son appel.
Même s’il s’agit de constater un état existant, ce n’est que le jugement constatant cet état qui aura autorité de chose jugée et qui produira les effets attachés à ce constat.
Avec un raisonnement similaire, il a aussi été considéré que les effets du commandement de payer visant la clause résolutoire, dont l’acquisition doit être constatée, sont suspendus par l’effet du jugement ouvrant la liquidation judiciaire du locataire dès lors qu’aucune décision passée en force de chose jugée n’a constaté l’acquisition de cette clause avant la liquidation (Civ. 3e, 9 janv. 2008, n° 06-21.499, Bull. civ. III, n° 1 ; Dalloz actualité, 21 janv. 2008, obs. A. Lienhard ; D. 2008. 291, et les obs. ; AJDI 2008. 288 , obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; RTD com. 2009. 81, obs. F. Kendérian ).
Cet arrêt de cassation aura été l’occasion de s’attarder un instant sur quelques notions procédurales proches mais distinctes, parfois confondues, que sont le jugement définitif, provisoire ou irrévocable, l’autorité de chose jugée, la force de chose jugée et la force exécutoire. Est définitif le jugement qui n’est pas provisoire et tranche le principal. A force exécutoire le jugement qui est déjà revêtu de la force de chose jugée, lequel doit lui-même avoir autorité de chose jugée. Et le stade ultime du jugement sera la force irrévocable de la chose jugée. Ces rappels sont toujours opportuns.