Précisions sur le champ d’application de l’article L. 1142-1 du code de santé publique
Lors d’un scanner pratiqué par un médecin radiologue (exerçant à titre libéral et individuel) sur son patient, ce dernier contracte une infection nosocomiale. Le médecin exerçait son art au sein de la société Imagerie nouvelle de la Haute-Corse (INHC), structure organisée en société à responsabilité limitée (SARL) dans laquelle il avait la qualité d’associé. Il partageait l’immeuble avec trois autres médecins avec qui il s’était aussi associé dans une société civile de moyens (SCM). L’immeuble dans lequel se trouvaient les deux locaux des sociétés susmentionnées abritait, en sus, la polyclinique Maymard.
Le patient a assigné en responsabilité le praticien, la société INHC et la CPAM de la Haute-Corse pour obtenir réparation de ses préjudices.
La procédure est longue car l’affaire a déjà fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour de cassation. Il est déjà nécessaire, à ce stade, de préciser que ne sont jamais remises en question la réalité du préjudice ni son origine. Il est plutôt question de déterminer quelles responsabilités peuvent être engagées. Dans son arrêt du 12 septembre 2018, la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt rendu par la juridiction inférieure au visa de l’article 16 du code de procédure civile par suite d’un pourvoi formé par la clinique et son assureur.
L’affaire est renvoyée devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Cette dernière décide, dans son arrêt du 12 septembre 2019, que la société INHC est soumise aux dispositions de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique en tant qu’établissement indépendant vis-à-vis de la clinique Maymard. Elle ajoute que la société INHC ne justifie d’aucune cause étrangère susceptible de l’exonérer de sa responsabilité.
La société INHC forme alors un pourvoi composé d’un moyen unique divisé en sept branches dont seules la deuxième et la sixième sont intégralement reproduites. Dans la seconde branche de l’unique moyen, la société reproche aux juges d’Aix-en-Provence de l’avoir qualifiée d’établissement de santé et donc de l’avoir rendue éligible aux dispositions de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique alors qu’elle avait pourtant reconnu qu’elle n’était qu’une société dont l’objet social se limitait à « l’exploitation, l’achat, la vente et la location de tout matériel d’imagerie médicale et de radiothérapie ainsi que de tout matériel d’exploitation de polyclinique ».
Dans la sixième branche du moyen, la société INHC reproche aux juges du fond de ne pas avoir reconnu sa dépendance à l’égard de la clinique Maymard ce qui justifierait, selon elle, que ce soit cette dernière qui doive être responsable du préjudice causé au patient.
Il se posait donc la question de savoir si la société INHC, société à responsabilité limitée, dont l’objet social se limite à « l’exploitation, l’achat, la vente et la location de tout matériel d’imagerie médicale et de radiothérapie ainsi que de tout matériel d’exploitation de polyclinique » peut être considérée comme un « établissement » au sens de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique. Il était aussi question de la dépendance de ce service de scanner assuré par la société INHC avec une clinique, les deux partageant le même immeuble et ayant mis en place un planning de garde et d’astreintes commun.
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Elle juge que la société INHC qui est une SARL constituée par des médecins pour exercer leur art et qui a comme objet social « l’exploitation, l’achat, la vente et la location de tout matériel d’imagerie médicale et de radiothérapie ainsi que de tout matériel d’exploitation de polyclinique » ne peut être considérée comme un « établissement » au sens de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique.
La Cour de cassation reproche ensuite à la cour d’appel de ne pas avoir recherché s’il ne résultait pas du protocole conclu entre les parties une certaine dépendance de la société INHC à l’égard de la clinique.
L’enjeu de la décision est double. Il réside dans la nature de la responsabilité, de plein droit ou non, et dans la recherche d’un établissement responsable. Le critère qui permet d’engager la responsabilité est double aussi. Il s’établit par la méconnaissance de la SARL de sa qualité d’établissement et par la reconnaissance de cette SARL comme service d’un établissement de santé.
Le double enjeu de la décision
L’enjeu de la décision est double car, en cas d’infection nosocomiale, la responsabilité des établissements est de plein droit. Pour être sûre d’être indemnisée, la victime devait donc impliquer un établissement. À la nature de la responsabilité succédera donc la nécessité de rechercher un établissement responsable.
La nature de la responsabilité
L’article L. 1142-1 du code de la santé publique, qui pose la responsabilité des professionnels et des établissements de santé, fait une distinction fondamentale entre les premiers et les seconds. En effet, d’après ce texte, la victime d’une infection nosocomiale devra prouver la faute des professionnels de santé en cas de préjudice subi au cours d’un acte de prévention, de diagnostic ou de soins. En revanche, les établissements, services et organismes dans lesquels sont diligentés des actes de prévention, de diagnostic et de soins sont eux responsables de plein droit à moins qu’ils ne parviennent à prouver l’existence d’une cause étrangère. Le premier enjeu se trouve donc dans les modalités d’application du régime de la loi du 4 mars 2002. Il peut être plus ou moins sévère, ou même ne pas s’appliquer en fonction de la qualité de celui chez qui sont dispensés les soins.
La nécessité de rechercher un « établissement » responsable
Le second enjeu se situe dans l’interprétation de la loi et du terme imprécis, employé par le législateur : « établissement » (CSP, art. L. 1142-1, I, al. 2 : « Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère »). Il était précisément, ici, question de déterminer si la société INHC pouvait être qualifiée d’établissement, au sens de ce texte, ce qui permettrait de retenir sa responsabilité de plein droit. L’enjeu est donc, là encore, majeur pour la victime qui sera exonérée du fardeau de la preuve. Cette faveur n’est pas anecdotique tant l’on sait à quel point il peut être difficile, voire impossible, de démontrer qu’un professionnel de santé a commis une faute qui est en lien de causalité avec une infection nosocomiale. Cet enjeu prend de l’ampleur quand on sait que cette décision peut faire jurisprudence. En décidant qu’une SARL n’est pas un établissement, au sens de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique, la Cour de cassation limite le champ d’application de la loi et invite les juges du fond à bien distinguer à l’avenir entre les établissements qui « mettent en œuvre une politique d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins et d’organiser la lutte contre les événements indésirables, les infections associées aux soins et l’iatrogénie » (v. arrêt, n° 6) et les sociétés professionnelles qui « permettent la fourniture de certains moyens aux professions médicales ou l’exercice commun de ces professions » (ibid.).
Le double critère d’engagement de la responsabilité
Il est probable que la responsabilité retombera finalement sur la clinique. Pour en arriver là, il fallait méconnaître le statut d’établissement à la SARL en montrant que son objet social était incompatible avec une politique de qualité et de sécurité des soins et reconnaître que la SARL constituait un service dépendant de la clinique. Le critère d’engagement de la responsabilité se caractérise à travers l’objet social de la SARL et non l’acte qui y est pratiqué et par sa dépendance à la clinique.
De l’objet social à l’acte de soin
Le caractère décisif de l’objet social de la SARL
Pour censurer les juges du fond qui avaient considéré que la société INHC était bien un établissement au sens de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique, la Cour de cassation fait référence au livre 3 de la deuxième partie du code de la santé publique relatif aux établissements, services et organismes. On y trouve, par exemple, les organismes de planification, d’éducation et de conseil familial (CSP, art. L. 2311-1 s.). Les juges du droit se réfèrent aussi au premier livre de la sixième partie (de la partie législative) sur les établissements de santé. Ils citent, particulièrement, les articles L. 6111-2 et suivants afin de dégager un critère permettant de trier les établissements qui sont concernés par la loi de responsabilité. Ainsi, les établissements de santé qui mettent en œuvre une politique d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins et qui organisent la lutte contre les événements indésirables, les infections associées aux soins et l’iatrogénie (v. arrêt, n° 6) peuvent être considérés comme des établissements. A contrario, les sociétés professionnelles qui permettent la fourniture de certains moyens aux professions médicales ou l’exercice commun de ces professions (ibid.) ne peuvent être considérées comme telles. La cour d’appel a donc violé, selon la Cour de cassation, l’article L. 1142-1 du code de la santé publique en considérant qu’une SARL dont l’objet social n’était que « l’exploitation, l’achat, la vente et la location de tout matériel d’imagerie médicale et de radiothérapie ainsi que de tout matériel d’exploitation de polyclinique » était bien un établissement. L’absence de précision, sans doute volontaire, de l’article L. 1142-1 sur les établissements concernés invite à ce genre de décisions. Il est vrai, toutefois, que les sociétés professionnelles ne sont pas visées dans les deuxième et sixième parties puisqu’elles se trouvent dans le livre premier de la quatrième partie du code de la santé publique. Dans cette partie, ces sociétés professionnelles sont soumises à un régime à part qui justifie peut-être qu’elles ne puissent, en sus, tomber sous l’empire de l’article L. 1142-1.
La Cour de cassation s’est d’ailleurs déjà prononcée à deux reprises concernant, non pas une SARL, mais une société civile de moyens (SCM) (Civ. 1re, 12 juill. 2012, n° 11-17.072, D. 2012. 1957 ; RTD civ. 2012. 733, obs. P. Jourdain ; RCA 2012, n° 276, note Hocquet-Berg ; 12 oct. 2016, n° 15-16.894, Dalloz actualité, 25 oct. 2016, obs. N. Kilgus ; D. 2016. 2166 ; RCA 2016. Alerte 4, obs. L. Bloch ; v. aussi D. 2016. 1064, note F. Viala et J.-P. Vauthier ). Dans les deux décisions, la qualité d’établissement n’a pas été reconnue en raison de leurs objets sociaux.
L’objet plutôt que l’acte
Le raisonnement de la cour d’appel s’appuyait sur la nature de l’acte passé au sein de la société. Elle relevait que la victime était venue passer un scanner, ce qui constituait un acte de diagnostic relevant des dispositions de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique. Pour rappel, en dehors de cas d’infections nosocomiales, le texte prévoit dans son premier alinéa que les établissements, services ou organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute. Les juges du fond tentaient ainsi vainement de rapprocher la nature de l’acte opérée avec l’objet de la mission confiée à la société pour justifier de l’engagement de la responsabilité de la SARL. La Cour de cassation s’en tient donc à sa jurisprudence. Il suffit de constater que l’objet social de la société ne poursuit pas une politique d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins, et de vérifier concrètement que ce n’est pas le cas, pour exclure sa qualité d’établissement. Elle étend toutefois sa jurisprudence aux SARL qui sont des sociétés d’exercice libéral (v. CSP, art. R. 4113-1 à R. 4113-5).
La forme autant que l’objet
C’est aussi la forme sociale de la société qui semble rédhibitoire pour lui permettre de revêtir la qualité d’établissement. La société à responsabilité limitée est généralement constituée pour exercer une activité commerciale et effectuer des actes de commerce ce que ne sont pas les actes de soins. Ici, les médecins ont opté pour cette forme de société afin d’acquérir ensemble un scanner, dont le coût est trop important pour une seule personne, et l’exploiter pour en tirer des revenus. Pourtant, ce sont bien dans les locaux de la SARL que le patient a contracté l’infection. Par ailleurs, les médecins prévoyaient bien « d’exploiter le scanner », ce qui peut faire référence à sa location mais aussi à la réalisation d’actes de diagnostics, facilités par la présence d’une clinique dans le même immeuble. Puisque les juges du droit n’ont pas été convaincus par cette analyse, il apparaissait nécessaire de rattacher la SARL à un établissement dans lequel sont pratiqués des actes de prévention, de diagnostic ou de soins. Sans cela, une victime d’infection nosocomiale pourrait être privée de toute indemnisation si l’importance de son préjudice ne la rend pas éligible à la solidarité nationale. C’est précisément l’objet de la sixième branche du moyen.
La dépendance de la SARL envers la clinique
Une indépendance d’apparence
Pour s’exonérer de sa responsabilité, la société INHC tentait de montrer qu’elle constituait un service de la clinique se situant dans le même immeuble et que c’est donc cette dernière qui devait assumer la responsabilité du préjudice subi par la victime. Les juges du fond insistaient sur l’indépendance de la société vis-à-vis de la clinique (locaux propres, circuits d’approvisionnement des dispositifs médicaux propres, personnel de nettoyage propre, protocoles d’asepsie et matériel de radiologie propre). Ils arguaient aussi de l’absence d’exclusivité entre la clinique et la société INHC. Ainsi, les praticiens de la clinique pouvaient conseiller à leurs patients d’aller effectuer leur scanner dans un tout autre lieu que celui de la clinique. Ce raisonnement n’a pas, là encore, convaincu la Cour de cassation, qui reproche à la cour d’appel de ne pas avoir recherché, alors que cela lui a été demandé « s’il ne résultait pas du protocole conclu entre les parties pour le fonctionnement du service du scanner que la société était tenue d’assurer la permanence des soins des patients hospitalisés ou consultants à la clinique, par la mise en place, sous son contrôle, d’un planning de gardes et d’astreintes des radiologues et manipulateurs et constituait à ce titre le service de scanner de l’établissement de santé ». C’est ainsi que le lien de dépendance est caractérisé, parce que la société INHC était tenue d’assurer la permanence des soins des patients de la clinique par un planning de gardes et d’astreintes. Plus important encore, dans son point n° 11, la Cour de cassation formule un attendu de principe (si l’expression est encore possible) selon lequel « la responsabilité de plein droit des établissements de santé s’étend aux infections nosocomiales survenues au sein des sociétés de radiologie qui sont considérées comme leur service de radiologie ». Elle laisse ainsi peu de marge à la cour d’appel de renvoi, fortement incitée à reconnaître la responsabilité de la clinique dans sa prochaine décision.
Opportunité ou réalité
La reconnaissance, par la Cour de cassation, de la SARL comme service de la clinique devra permettre à la victime d’obtenir réparation devant la cour d’appel de renvoi sans que cette dernière ait à prouver la faute de quiconque. La clinique, en sa qualité d’établissement de santé, devra répondre des dommages causés sur le fondement du deuxième alinéa de l’article 1142-1 du code de la santé publique. Pour caractériser ce lien de dépendance, les juges doivent utiliser le contenu des conventions liant les sociétés avec les cliniques. S’il apparaît qu’une société dépend suffisamment de la clinique avec laquelle elle est liée pour accepter d’assurer un ensemble de contrôles et de soins des patients, c’est qu’elle constitue certainement un service de celle-ci. Il reste le cas dans lequel un patient aurait effectué son scanner au sein d’une société professionnelle à la demande d’un établissement totalement étranger à la clinique et y aurait contracté une infection. Dans ce cas, les juges pourront-ils aller jusqu’à reconnaître la responsabilité de l’établissement alors qu’il est certain que l’infection a été contractée au sein des locaux de la société ?
Il faut le dire sans ambages, la Cour de cassation a eu raison de trancher ainsi. Elle eût dit le contraire que des esprits chagrins auraient aussitôt fait de remarquer le caractère artificiel de la qualité d’établissement de la SARL. Certains feront sans doute aussi valoir qu’il pourrait devenir tentant pour les médecins de se constituer en SARL ou en SCM afin d’éviter d’être qualifiés d’établissement et donc d’échapper à toute responsabilité. Cela apparaît peu probable car, si des médecins tentaient de faire cela, il n’y a pas de doute que cela serait soulevé devant les juges du fond et sanctionné. La décision est aussi peut-être la bonne, car il est question de déterminer qui va payer plutôt que de chercher à savoir qui est responsable (le mot est utilisé sciemment).