Prestation compensatoire sous forme de rente viagère : transmission d’une QPC
L’arrêt de la remière chambre civile de la Cour de cassation rendu le 15 octobre 2020 (n° 20-14.584) intervient dans un domaine où le contentieux ne semble pas tarir : la révision de la prestation compensatoire fixée sous forme de rente viagère. Pour autant, c’est la première fois semble-t-il que le système mis en place par le législateur en 2004 fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité transmise au Conseil constitutionnel.
En l’espèce, deux époux avaient divorcé en 1999 et le jugement avait accordé à l’épouse une prestation compensatoire sous la forme d’une rente viagère indexée. En 2015, l’époux a demandé la suppression de la rente, ce qui lui a été accordé par un arrêt du 14 mai 2019 sur le fondement des articles 33-VI de la loi du 26 mai 2004 et 276-3 du code civil, dans sa rédaction issue de ce texte. L’épouse a alors formé un pourvoi dans le cadre duquel elle a formulé deux questions prioritaires de constitutionnalité.
Ces questions étaient les suivantes :
« 1 / L’article 33-VI de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 méconnaît-il l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en ce qu’il prévoit la possibilité pour le juge de supprimer la prestation compensatoire versée sous forme de rente viagère et fixée, judiciairement ou par convention, avant l’entrée en vigueur de la loi du 30 juin 2000, tandis qu’une telle faculté de suppression n’était pas ouverte au jour où la prestation a été fixée ? »
« 2 / L’article 33-VI de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce méconnaît-il l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en ce qu’il prévoit que les prestations compensatoires fixées sous forme de rente viagère avant l’entrée en vigueur de la loi du 30 juin 2000 pourront être révisées, suspendues ou supprimées en cas de changement important intervenu dans les besoins ou les ressources de l’une ou l’autre des parties ou en cas d’avantage manifestement excessif procuré au créancier par le maintien de la prestation compensatoire alors que les prestations compensatoires fixées sous forme de rente viagère après l’entrée en vigueur de la loi du 30 juin 2000 ne peuvent être révisées, suspendues ou supprimées qu’en cas de changement important intervenu dans les besoins ou les ressources de l’une ou l’autre des parties ? »
Le mécanisme de la QPC est connu. Pour que la Cour de cassation décide de saisir le Conseil constitutionnel de la question transmise, il faut que la disposition législative critiquée soit applicable au litige ou à la procédure en cours, ou constitue le fondement des poursuites, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel et enfin que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux. La Cour de cassation a considéré qu’en l’espèce ces trois conditions étaient réunies en raison notamment du caractère sérieux des questions posées.
Pour comprendre le sérieux de ces questions, il convient d’exposer sommairement l’évolution du droit en matière de prestations compensatoires fixées sous forme de rente viagère. Cette évolution repose sur trois lois principales.
Sous l’empire de la loi de 1975 (loi n° 75-617 du 11 juill. 1975 portant réforme du divorce), les prestations compensatoires, assez souvent fixées sous forme de rentes viagères, ne pouvaient être révisées « même en cas de changement imprévu dans les ressources ou les besoins des parties, sauf si l’absence de révision devait avoir pour l’un des conjoints des conséquences d’une exceptionnelle gravité » (C. civ., art. 273 anc.). L’application très stricte que les juges faisaient de cet article aboutissait à une quasi impossibilité de réviser ces prestations, de plus en plus nombreuses, et conduisait à des situations dont l’injustice était souvent dénoncée (en ce sens, H. Bosse-Platière, Régime de la prestation compensatoire, in P. Murat (dir.),...