Produit défectueux mis en circulation après le 25 juillet 1985 mais avant le 19 mai 1998 : retour vers le futur
On aurait pu penser que, presque quarante ans après la directive européenne du 25 juillet 1985 (Dir. 85/374/CEE du Conseil du 25 juill. 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, règlementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux), les questions d’application dans le temps de la législation relative aux produits défectueux s’étaient taries. Et pourtant, en 2023, la Cour de cassation se prononce encore sur le droit applicable lorsqu’un produit défectueux a été mis en circulation après l’expiration du délai de transposition de la directive mais avant l’entrée en vigueur de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998.
En l’espèce, en juin 1991, la société Renault véhicules industriels, aux droits de laquelle vient la société Renault Trucks, a vendu un autocar à la société Marcot. En janvier 1999, la société Renault véhicules industriels a apporté sa branche d’activité « autocars et autobus » à la société Irisbus, devenue Iveco France. Quelques mois plus tard, l’autocar, vendu en 1991 par la société Renault véhicules industriels et acquis par la société Marcot, subit un accident, lequel a pour conséquences le décès du chauffeur et des blessures aux passagers.
En juin 2005, la société Marcot, ainsi que son assureur de responsabilité et son assureur des dommages au véhicule, assignent en responsabilité les sociétés Iveco France et Renault Trucks, lesquelles vont appeler en garantie leurs assureurs. Les ayants droit du chauffeur décédé, ainsi que la CPAM des Vosges sont intervenus à l’instance. À l’appui de sa demande, la société Marcot invoque le fait que l’accident a été causé par la rupture d’un élément de roue de l’autocar. C’est donc une défectuosité du produit qui serait à l’origine du dommage. Nous nous concentrerons ici sur les aspects de l’arrêt ayant trait à la responsabilité du fait des produits défectueux et laisserons de côté les arguments des demandeurs relatifs aux dommages ne relevant pas du champ d’application de la directive de 1985.
La chambre commerciale s’était déjà prononcée sur cette affaire, le 18 mai 2016 (Com. 18 mai 2016, n° 14-16.234 P, Dalloz actualité, 6 juin 2016, obs. X. Delpech ; D. 2016. 1134 ). La Haute juridiction avait alors cassé la solution rendue par la Cour d’appel de Reims le 4 février 2014, au motif que les juges du fond avaient déclaré l’action prescrite, sans rechercher si le droit interne dont ils avaient fait application ne devait pas être interprété à la lumière de la directive européenne du 25 juillet 1985. Statuant sur renvoi après cassation, la Cour d’appel de Metz a déclaré irrecevables les demandes de la société Marcot.
Pour statuer ainsi, les juges du fond ont doublement interprété les règles de droit interne à la lumière de la directive du 25 juillet 1985. D’abord, ils ont considéré que les préjudices moral, financier, commercial et d’image étaient réparables sur le fondement de l’article 1147 du code civil alors applicable à la cause, interprété à la lumière de la directive. Ensuite, ils ont relevé que le point de départ du délai de prescription de dix ans devait être fixé à la date de mise en circulation du bus litigieux, interprétant l’article L. 110-4 du code de commerce – dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile – à la lumière de la directive européenne. Les juges en avaient alors conclu que l’action était prescrite.
La première chambre civile est cette fois saisie par un pourvoi principal formé par la société Marcot et un pourvoi incident, formé par son assureur de responsabilité civile.
Deux arguments principaux sont avancés devant la Haute juridiction et tendent à contester l’interprétation du droit interne qu’a réalisé la cour d’appel. En effet, la difficulté dans cette affaire tient au fait que le produit défectueux, en l’occurrence l’autocar, a été mis en circulation en 1990, soit après l’expiration du délai de transposition de la directive européenne de 1985, qui était fixé au 30 juillet 1988 (P. le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats. Régimes d’indemnisation, Dalloz Action, 2021-2022, n° 6311.11), mais avant l’entrée en vigueur de la loi de 1998 qui a transposé la directive en droit interne.
Les juges du fond ont alors choisi d’interpréter les règles de droit interne à la lumière de la directive, à la fois pour se prononcer sur le dommage réparable et sur le délai de prescription. Or, premièrement, selon les demandeurs au pourvoi, le préjudice moral, financier, commercial et d’image ne découle pas d’une atteinte à la personne ou à un bien autre que le...