Qualification de servitude par destination du père de famille et de chemin d’exploitation

« Les hommes se disputent la terre
- Hommes, la terre, à qui est-elle ? »
(Taos Amrouche, Chant berbère, in, Le Grain magique)

Le morcellement des fonds de terre peut faire naître des litiges d’autant plus complexes que les conditions de l’accès matériel aux parcelles n’auront pas été précisées lors de la division. Tel est bien le cas dans cette affaire où une société civile immobilière, la SCI du domaine, avait réalisé plusieurs divisions d’une parcelle lui appartenant et portant le numéro 9 (ou 10 mais cela semble être une erreur matérielle). Par acte du 4 octobre 2002, elle avait d’abord attribué à deux associés retrayants, les consorts D., deux nouvelles parcelles numérotées 4 et 5. Puis, par acte d’échange du 3 septembre 2004, elle avait divisé ce qu’il restait de la parcelle 9 pour en créer deux nouvelles : la numéro 6, attribuée au syndicat des copropriétaires du domaine, et la numéro 7, qu’elle avait conservé quelques temps avant de la céder à une autre société, la SCI Jump.

L’accès aux parcelles 4, 5 et 6 n’était possible qu’en empruntant un passage situé sur la parcelle 7 mais que la SCI Jump avait supprimé. Les consorts D. et le syndicat des copropriétaires du domaine l’ont alors assigné en rétablissement du passage en invoquant à titre principal l’existence d’une servitude par destination du père de famille et à titre subsidiaire l’existence d’un chemin d’exploitation.

La cour d’appel d’Amiens rejeta leurs demandes par un arrêt du 2 novembre 2021, contre lequel un pourvoi fut formé. Aux termes des deux premiers moyens, chaque demandeur au pourvoi tentait de faire reconnaître l’existence d’une servitude de passage à son profit. Par les deux derniers moyens formulés en des termes identiques, ils contestaient le rejet de la qualification de chemin d’exploitation.

Par arrêt du 18 janvier 2023, la troisième chambre civile de la Cour de cassation prononce la cassation partielle de l’arrêt d’appel, rejetant le premier moyen mais accueillant les trois autres. Il en résulte l’absence de servitude de passage au profit du syndicat de copropriétaire tandis que les consorts D. conservent une chance de faire établir la leur devant la cour d’appel de renvoi. Par ailleurs, la qualification de chemin d’exploitation paraît envisageable pour les deux demandeurs.

L’arrêt éclaire deux conditions relatives à la constitution d’une servitude par destination du père de famille et précise les critères de qualification d’un chemin d’exploitation.

L’existence d’une servitude de passage par destination du père de famille

Une servitude est une charge imposée sur un héritage pour l’usage et l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire (C. civ., art. 637) dérivant de la situation naturelle des lieux, des obligations imposées par la loi ou des conventions entre les propriétaires (C. civ., art. 639). Elle peut s’acquérir par titre (C. civ., art. 686), par prescription ou par destination du père de...

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