Quand faut-il interjeter appel d’une décision affectée d’une erreur matérielle ?
Les juges étant humains et les humains n’étant pas parfaits, il arrive que des erreurs matérielles se glissent dans les jugements. Pour remédier à cette situation somme toute banale, le code de procédure civile prévoit une procédure de rectification qui se veut simple et rapide (C. pr. civ., art. 462). Elle recèle pourtant de vrais pièges lorsqu’un plaideur souhaite exercer un recours à l’encontre de la décision entachée de l’erreur. C’est ce dont témoigne l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 19 mai 2022.
Le litige concerne la prise en charge de la maladie d’un salarié au titre de la législation professionnelle. L’employeur conteste la décision de prise en charge de la CPAM devant un (ancien) tribunal des affaires de sécurité sociale. Le jugement rendu le 7 septembre 2017 retient dans ses motifs que la décision prise par la CPAM n’est pas opposable à l’employeur mais indique dans le dispositif l’inverse : l’employeur y est débouté de son recours, la décision de prise en charge lui étant déclarée opposable. Ce jugement est notifié (à l’initiative de la juridiction) le 19 septembre 2017. Une requête en rectification d’erreur matérielle est alors déposée par l’employeur et, le 5 octobre 2017, une décision rectificative est rendue qui indique dans le dispositif que le recours est bien fondé et que la décision de prise en charge est inopposable à l’employeur. Le 25 octobre 2017, la CPAM interjette appel des deux jugements.
La cour d’appel déclare l’appel irrecevable comme tardif (en effet, au 25 octobre, le délai d’un mois courant à compter de la signification du 19 septembre était expiré). Un pourvoi est formé contre cet arrêt par la CPAM. Celle-ci soutient qu’elle n’avait pas intérêt à faire appel avant la rectification intervenue le 5 octobre 2017 puisqu’elle ne succombait pas aux termes du jugement tel que libellé à l’origine. Selon elle, son intérêt à recourir serait né avec la rectification du jugement et, en se fondant sur l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, elle argue que « la rectification d’une erreur matérielle intervenue après l’expiration du délai pour former appel ouvre un nouveau délai pour former appel à l’encontre du jugement rectifié, lorsque la rectification fait naître l’intérêt pour l’appelant à former appel et ne peut donner lieu à contestation utile en cassation ».
La haute juridiction ne suit pas ce raisonnement. Elle rappelle les termes de l’article 462 du code de procédure civile qui précise que, « si la décision rectifiée est passée en force de chose jugée, la décision rectificative ne peut être attaquée que par la voie du recours en cassation » et en tire la conséquence que « la décision rectificative n’a pas d’effet sur le délai d’appel de la décision rectifiée, qui court depuis sa notification ».
La solution adoptée par la Cour de cassation se révèle respectueuse des intérêts en présence. L’apport de l’arrêt peut se résumer à deux principes dont les praticiens pourront se souvenir : après l’expiration du délai, ce n’est plus l’heure de l’appel ; avant la rectification, c’est déjà l’heure de l’appel.
Après l’expiration du délai, ce n’est plus l’heure de l’appel
En cas de rectification d’erreur matérielle, il y a deux décisions : la décision rectifiée et la décision rectificative. Il est jugé que « la décision rectificative s’intègre à la décision rectifiée » (Civ. 2e, 24 mai 2006, n° 04-20.077 ; 8 janv. 2009, n° 06-14.417). Cette image est signifiante. En effet, d’une part, « la décision rectificative est mentionnée sur la minute et sur les expéditions du jugement » et elle est « notifiée comme le jugement » (C. pr. civ., art. 462, al. 4). D’autre part, si la décision rectifiée est annulée ou infirmée, les décisions rectificatives perdent leur fondement juridique et voient leurs effets anéantis concernant les chefs de jugement infirmés ou annulés (arrêts préc.). L’inverse n’est pas vrai. Si un...