Quelques précisions sur la prescription dans le cautionnement

La Cour de cassation se livre à d’utiles rappels en matière de cautionnement solidaire dans un arrêt de la chambre commerciale rendu le 8 avril 2021, non publié au Bulletin. Ce sont deux thématiques très connues qui sont au centre de gravité de cet arrêt de cassation : d’une part, la disproportion de l’engagement de la caution et d’autre part les dommages-intérêts liés à un manquement au devoir de mise en garde. La situation factuelle ayant mené à cet arrêt reste assez banale. Une banque consent à une société une ouverture de crédit en compte courant. Pour garantir cette opération, la banque demande à ce que le dirigeant de la société se porte caution solidaire, dans un acte notarié du 9 octobre 2009, de l’engagement de la société. Mais quelques années plus tard, cette société est mise en redressement judiciaire. Elle bénéficie d’un plan de redressement. La résolution du plan conduit ensuite à une liquidation judiciaire si bien que la banque fait délivrer un commandement aux fins de saisie-vente à la caution le 28 janvier 2015. Le 10 février 2015, la caution personne physique assigne la banque devant le juge de l’exécution (JEX) en annulation du commandement aux fins de saisie-vente. Elle argue notamment la disproportion de son engagement et le manquement au devoir de mise en garde de la banque. De son côté, la banque excipe la prescription de l’action de son cocontractant. La cour d’appel de Montpellier déclare irrecevable pour tardiveté la caution à opposer la disproportion manifeste de son engagement. Puisque le cautionnement avait été conclu le 9 octobre 2009, l’action de 2015 était donc prescrite pour les juges du fond. Sur la responsabilité de la banque pour manquement au devoir de mise en garde, la cour d’appel de Montpellier déclare également la caution irrecevable en se fiant encore une fois à la date de l’engagement. L’action était donc prescrite.

La caution se pourvoit en cassation en regrettant notamment ce point de départ de la prescription concernant les dommages-intérêts liés au manquement au devoir de mise en garde. Elle obtient gain de cause par une double-cassation pour violation de la loi dont une sur un moyen relevé d’office par le jeu de l’article 1015 du code de procédure civile. La Cour de cassation rappelle, d’une part, que la contestation opposée par la caution sur le fondement de la disproportion manifeste échappe à la prescription. D’autre part, elle rappelle sa jurisprudence constante sur le point de départ de la prescription de l’action en demande de dommages-intérêts pour violation du devoir de mise en garde. Concernant cette action, le point de départ est le jour où la caution apprend qu’elle doit effectivement payer la dette d’autrui.

Analysons ces deux axes de cassation aussi intéressants l’un que l’autre.

Engagement disproportionné et absence de prescription

La Cour de cassation commence par relever d’office un moyen concernant la contestation par la caution de son engagement car celui-ci était disproportionné. Rappelons que la caution avait agi en ce sens pour s’opposer à la saisie-vente. La Haute juridiction refuse la lecture faite par les juges du fond qui consistait à raisonner de la manière suivante : puisque la caution avait, dès la conclusion du cautionnement, tous les renseignements nécessaires pour apprécier la portée de son engagement, la contestation de ce dernier par le biais de la disproportion manifeste à ses biens et revenus devait suivre la prescription quinquennale de l’article L. 110-4 du code de commerce.

La contestation du cautionnement pour engagement disproportionné ne peut donc pas suivre ce délai quinquennal. C’est une bonne nouvelle pour la caution qui peut utiliser ce moyen de défense contre la mesure d’exécution forcée, utilisée certes ici à titre principal puisque c’est cette dernière qui agissait en annulation du commandement. On connaissait déjà la solution pour la défense au fond soulevée par la caution (Civ. 1ère 31 janv. 2018, n°16-24.092). L’originalité de l’arrêt tient donc à ce point très précis sur l’action par voie principale dans un contentieux du JEX. Même dans ce contexte procédural, l’action n’est pas soumise au délai de prescription.

La solution est très intéressante car elle permet d’unifier cette absence de prescription, laquelle se comprend aisément pour une défense au fond. In fine, l’action de la caution avait ici le même but puisqu’elle s’opposait à la mesure d’exécution forcée – la saisie-vente – de la banque après la résolution du plan de redressement. L’insensibilité à la prescription permet d’éviter également que des cautionnements disproportionnés échappent à la sanction prévue par le code de la consommation, i.e. l’impossibilité de se prévaloir de l’acte ; expression qui a pu faire couler de l’encre par sa généralité analysée la plupart du temps comme une déchéance (Rép. civ., v° Cautionnement, par G. Piette, n° 121). L’empire de l’article L. 341-4 du code de la consommation se trouve ainsi renforcé à de nouveaux domaines à travers cette insensibilité à la prescription.

Cette solution favorable à la caution trouve un écho dans le point de départ de l’action pour obtenir des dommages-intérêts à la suite d’un manquement au devoir de mise en garde.

Point de départ de la prescription et devoir de mise en garde

La seconde question de l’arrêt, qui était celle soulevée par la demanderesse au pourvoi, intéressait le manquement au devoir de mise en garde. Création prétorienne (P. Simler et P. Delebecque, Droit civil – Les sûretés, la publicité foncière, Dalloz, coll. « Précis », 2016, p. 184, n° 188), ce devoir permet de faire peser une très lourde charge sur les établissements bancaires notamment. La Haute juridiction se livre, en la matière, à une distinction fine entre obligation d’information et devoir de mise en garde, proprement dit. La question de la prescription de l’action en dommages-intérêts liée au devoir de mise en garde se pose de manière assez récurrente devant la Cour de cassation eu égard à une certaine résistance des juges du fond à sa jurisprudence constante.

Comme nous l’avons mentionné, la cour d’appel de Montpellier avait estimé l’action prescrite en prenant comme point de départ l’acte notarié de 2009. La Cour de cassation rappelle un attendu connu dans lequel elle estime que le point de départ de la prescription est le jour où la caution a pris connaissance qu’elle devait effectivement payer la dette d’autrui. Il s’agit d’une jurisprudence constante (Com. 12 juill. 2017, n° 15-26.155, Rev. sociétés 2018. 175, note N. Martial-Braz image). Toutefois, comme le note Madame Martial-Braz, une telle décision tend nécessairement à rendre la question des points de départ des délais de prescription peu claire notamment par la multiplication des actions ouvertes à la caution (N. Martial-Braz, Confusion en matière de prescription : de la diversité du point de départ de la prescription, Rev. sociétés 2018. 175 image).

En somme, cet arrêt ne précise pas vraiment de solutions nouvelles. Mais il vient confirmer la très grande latitude offerte à la caution pour remettre en cause son engagement – notamment par l’engagement disproportionné qui échappe à la prescription – mais également pour obtenir des dommages-intérêts à la suite d’un manquement au devoir de mise en garde. Prudence donc sur la question de la prescription !

  

 SYMBOLE GRIS