Radiation pour défaut d’exécution : appréciation du caractère significatif de l’exécution
En procédure civile plus qu’ailleurs, « une sanction peut en cacher une autre » (L. Cadiet, La sanction et le procès civil, Mélanges en l’honneur de J. Héron, LGDJ, 2008, p. 125 s., spéc. p. 146. Adde, C. Chainais, Les sanctions en procédure civile. À la recherche d’un clavier bien tempéré, in D. Fenouillet et C. Chainais (dir.), La sanction en droit contemporain, vol. 1, La sanction entre technique et politique, Dalloz, 2012, p. 357 s., spéc. nos 45 s.). La caducité d’une assignation, parce qu’elle prive cet acte de procédure de son effet interruptif des délais (Cass., ass. plén., 3 avr. 1987, n° 86-11.536, Bull. AP, n° 2, p. 3), peut conduire à l’irrecevabilité d’une initiative processuelle devenue prescrite ou forclose. De même, ce qui n’est a priori qu’une sanction dérisoire – la radiation – peut constituer le terreau d’une sanction aux effets bien plus dévastateurs – la péremption.
De la radiation à la péremption de l’instance. La radiation sanctionne dans les conditions de la loi le défaut de diligence des parties (C. pr. civ., art. 381, al. 1er) ; elle est la « sanction bilatérale d’une carence réciproque » (G. Cornu, J. Foyer, Procédure civile, 3e éd., 1996, n° 172, p. 688). Ainsi, lorsque devant la juridiction désignée les parties sont tenues de se faire représenter, l’affaire est d’office radiée si aucune d’elles n’a constitué avocat dans le mois de l’invitation qui leur a été faite (C. pr. civ., art. 82). Si aucune des parties n’accomplit les actes de la procédure dans les délais requis, le juge peut, « d’office, radier l’affaire par une décision non susceptible de recours après un dernier avis adressé aux parties » (C. pr. civ., art. 470). À cette forme de radiation « défaut de diligences », le pouvoir réglementaire a ajouté il y a quelques années une radiation « défaut d’exécution » qui sanctionne le demandeur qui ne justifie pas avoir exécuté la décision qu’il conteste . Initialement cantonnée au demandeur au pourvoi en cassation (C. pr. civ., art. 1009-1), cette sanction a été étendue à l’appelant lorsque l’exécution est de droit ou a été ordonnée (C. pr. civ., art. 524).
Cette sanction n’a qu’un effet limité : l’affaire est retirée du rôle des affaires en cours (C. pr. civ., art. 381, al. 2), comme « mise en sommeil par le juge » (J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, 7e éd., 2019, n° 1193, p. 973). L’instance demeure donc, simplement suspendue en raison du désintérêt manifeste des parties. À ce titre, cette sanction paraît être de peu d’importance. C’est une erreur ! En effet, le rétablissement de l’affaire n’est possible que si l’instance ne s’est pas périmée entre temps (C. pr. civ., art. 383, al. 2). La péremption de l’instance advient lorsque « aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans » (C. pr. civ., art. 386). L’instance s’éteint alors (C. pr. civ., art. 385), elle se trouve comme effacée, il n’en reste plus rien. Si elle n’éteint pas l’action par elle-même (C. pr. civ., art. 389), la disparition de l’instance qu’elle entraîne fait disparaître l’acte introductif d’instance, et avec lui son effet interruptif des délais. Le droit se trouve alors pleinement exposé aux effets définitifs du temps… En définitive, « sous des dehors relativement inoffensifs [la radiation] se révèle à la longue comme une main de fer simplement gantée de velours, qui broie leur affaire » (I. Desprès et A. Pic, Les perturbations du lien d’instance (interruption, radiation, péremption, caducité), in L. Flise, E. Jeuland (dir.), Du lien d’instance aux liens processuels 1975-2015, Actes des 6e rencontres de procédure civile, 2016, IRJS, p. 55 et s., p. 70).
Un acte manifestant sans équivoque la volonté d’exécuter. Cette dégénérescence de la radiation en péremption peut heureusement être évitée. En cas de radiation « défaut d’exécution », il faut un acte manifestant sans équivoque la volonté d’exécuter la décision attaquée (C. pr. civ., art. 524, al. 7 ; art. 1009-2, al. 1er). Attention, pour être efficace, ce remède doit intervenir avant l’expiration d’un délai de deux ans courant depuis la notification de la décision ordonnant la radiation (C. pr. civ., art. 524, al. 7). Illustrant ce risque de « combinaison-aggravation », l’arrêt commenté précise les contours de ce que doit être une diligence interrompant le délai de péremption de l’instance d’appel.
Un résidant monégasque décède. Le de cujus ayant institué un légataire universel, le tribunal de première instance de Monaco l’envoie en possession. La veuve du de cujus assigne le légataire universel devant le tribunal de grande instance de Paris. Par jugement revêtu de l’exécution provisoire, il transmet l’intégralité de la succession à la veuve et condamne le légataire universel à lui payer une somme de 100 000 € en raison d’un manque à gagner. Le légataire universel interjette appel de ce jugement, mais faute d’avoir exécuté celui-ci l’affaire est radiée. Deux jours avant le deuxième anniversaire de la date du jugement, il règle la condamnation de 100 000 € et sollicite la réinscription de l’affaire au rôle. S’opposant à cette réinscription, la veuve soulève la péremption de l’instance. Le conseiller de la mise en état ayant écarté l’incident, la veuve défère l’ordonnance à la cour d’appel.
Les juges infirment l’ordonnance et jugent au contraire l’instance périmée. Selon eux, en cas de radiation de l’appel pour défaut d’exécution du jugement attaqué, seule l’exécution raisonnable de la décision constitue un acte interruptif de péremption. Or, en ne justifiant pas avoir permis à la veuve d’entrer en possession de l’entièreté du patrimoine du de cujus, le légataire universel n’a pas manifesté une volonté raisonnable d’exécuter le jugement. Le légataire universel forme alors un pourvoi en cassation. Pour lui, l’interruption du délai de péremption ne peut être subordonnée à la réinscription de l’affaire au rôle ; une diligence manifestant la volonté de faire progresser l’instance suffit. Non seulement la cour d’appel a inopportunément écarté l’existence d’une volonté d’exécuter le jugement, mais en outre elle a ajouté au dispositif du jugement en exigeant du légataire qu’il réalise « concrètement la transmission du patrimoine successoral ».
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt attaqué. Elle rappelle que tout acte d’exécution significative de la décision attaquée manifeste la volonté non équivoque de l’exécuter et constitue, par conséquent, une diligence interrompant le délai de péremption de l’instance d’appel. À ce propos, et c’est là l’apport de l’arrêt, l’appréciation du caractère significatif de l’exécution de la décision frappée d’appel doit être seulement faite en considération de ce qui a été décidé par le premier juge dans le dispositif de sa décision.
L’appréciation du caractère significatif en considération de ce qui a été jugé. Un acte d’exécution de la décision attaquée ne manifeste pas toujours une volonté non équivoque de l’appelant ou du demandeur au pourvoi de l’exécuter. Pour être certain que cette volonté anime le plaideur, il faut qu’il soit l’auteur d’un « acte d’exécution significative ». De toute évidence, l’appréciation du caractère significatif relève du pouvoir souverain des juges du fond. En revanche, il appartient à la Cour de cassation de les rappeler à l’ordre lorsque leur appréciation porte atteinte au principe de l’autorité de la chose jugée (C. pr. civ., art. 480).
Reprenons les faits. Pour caractériser sa volonté non équivoque d’exécuter le jugement attaqué, le légataire universel a déposé des conclusions au fond, formulé une demande de réinscription de l’affaire au rôle et effectué le règlement de la somme de 100 000 € en exécution du jugement. En vain, puisque la cour d’appel a considéré ces actes d’exécution non significative. Selon elle, le jugement n’a pas été exécuté dans la mesure où le patrimoine n’a pas été transmis à la veuve. En effet, si le jugement n’a pas fixé les modalités de cette transmission, le légataire universel n’en est pas moins tenu de justifier avoir permis à la veuve d’entrer en possession de l’intégralité du patrimoine. Dit autrement, en ne permettant pas de réaliser « concrètement » la transmission du patrimoine successoral, alors qu’il lui appartenait à lui seul de le faire, le légataire universel n’a pas accompli de diligences de nature à faire avancer l’instance. Cependant, en raisonnant ainsi, les juges du fond ont commis une erreur : à aucun moment le dispositif du jugement attaqué n’exige une telle réalisation concrète. Il se borne simplement à dire que l’intégralité de la succession tant immobilière que mobilière du de cujus est transmise à sa veuve ; il n’impartit aucune diligence au légataire à l’effet de permettre à celle-ci d’entrer en possession des biens dépendants de cette succession. La cour d’appel a donc ajouté au dispositif et partant méconnu l’autorité de la chose jugée attachée au jugement rendu. En définitive, les juges devront se montrer excessivement rigoureux au moment de rédiger leur dispositif s’ils veulent voir l’autorité de leur jugement renforcé par la menace d’une radiation.
Au terme de ce commentaire, on peut émettre un regret. La Cour de cassation n’a pas apporté de réponse à un moyen opportunément soulevé par le demandeur au pourvoi : dans l’hypothèse où l’instance a donné lieu à une mesure de radiation « défaut d’exécution », le rétablissement de l’affaire au rôle est-il le seul moyen pour interrompre le délai de péremption ? C’est ce qu’a jugé, à tort, la cour d’appel. Une impulsion processuelle, quelle que soit sa nature, doit suffire (comp. à propos d’une radiation « défaut de diligences », Civ. 2e, 16 mars 2000, n° 97-21.029, Bull. civ. II, n° 47 ; D. 2000. 128 ; RTD civ. 2000. 398, obs. R. Perrot ; Procédures 2000. Comm. 117, obs. R. Perrot). Que de temps perdu en raison d’une sanction – la radiation « défaut d’exécution » – dont la doctrine a démontré l’inefficacité… (J. Beauchard, La relativité du dilatoire, Mélanges en l’honneur de Jacques Héron, 2009, LGDJ, p. 101 s., spéc. p. 108).