Recevabilité de la demande d’expertise médicale formée devant le juge pour la première fois
L’article 87 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2020 (L. n° 2019-1446 du 24 déc. 2019, JO 27 déc.) supprime l’expertise médicale de l’article L. 141-1 du code la sécurité sociale à l’horizon 2022. Pour autant, cet arrêt timbré I, quoique fondé sur la combinaison de textes modifiés ou abrogés, présente l’intérêt d’établir que cette expertise peut être sollicitée devant le juge du fond même si elle n’a pas été utilisée préalablement contre la décision contestée de la caisse. La question mérite d’être examinée également à la lumière des futures articulations entre contentieux médical et contentieux non médical (D. Asquinazi-Bailleux, Vers une distinction entre le contentieux médical et le contentieux non médical, D Avocats 2020. 114 ).
En l’espèce, la CPAM a refusé à un assuré, victime d’un accident du travail, la prise en charge au titre de la législation professionnelle d’une rechute. Au lieu de demander une expertise médicale technique qui lui aurait permis de « discuter » l’aggravation de son état de santé depuis la date de consolidation, l’assuré a préféré engager une procédure contentieuse en contestation du refus de prise en charge. Il a préalablement saisi la Commission de recours amiable (CRA) puis, suite au silence de cette dernière, saisit le tribunal des affaires de sécurité sociale (devenu le tribunal judiciaire des affaires sociales dit « Pôle social »). Comme la prise en charge de sa rechute dépendait d’un avis médical, il sollicitait devant le juge l’expertise médicale technique de l’article L. 141-1. En application de l’article R. 142-24 (abrogé au 1er janv. 2019), « lorsque le différend fait apparaître en cours d’instance une difficulté d’ordre médical relative à l’état (…) de la victime (…), le tribunal ne peut statuer qu’après mise en œuvre de la procédure d’expertise médicale de l’article L. 141-1 ». La caisse a alors contesté la recevabilité de cette demande d’expertise au motif que l’assuré était forclos. En effet, lorsque la contestation porte sur une question d’ordre médical, la demande d’expertise technique doit être formulée dans le délai d’un mois (CSS, art. R. 141-2). Passé ce délai, la victime est forclose sur cette demande. Est-ce pour autant que la forclusion doit s’étendre à l’action engagée au fond en contestation du refus de prise en charge de la rechute au titre de la législation professionnelle. La réponse est négative. Devant le juge, la victime peut parfaitement solliciter cette mesure d’instruction. Cette solution doit être approuvée à plusieurs titres.
D’abord, l’article L. 141-1 réserve la demande d’expertise, formulée par la caisse ou la victime, aux contestations d’ordre médical relevant de l’ex contentieux général. À cet égard, la contestation portant sur la reconnaissance de la rechute est bien un contentieux d’ordre médical qui relève du 1° de l’article L. 142-1 dans sa rédaction issue de loi du 23 mars 2019 (L. n° 2019-222 du 23 mars 2019). La rechute est constituée par toute modification de l’état de la victime constatée postérieurement à la consolidation des blessures (CSS, art. L. 443-2). Elle suppose un fait pathologique nouveau ou une aggravation, même temporaire, des séquelles de l’accident, se distinguant de la simple manifestation des séquelles (Soc. 13 janv. 1994, n° 91-22.247 ; 11 janv. 1996, n°94-10.116, D. 1996. IR 53 ; 12 nov. 1998, n° 97-10.140, Bull. civ. V., n° 491). En outre, la lésion d’origine multifactorielle n’est pas une rechute car il convient qu’elle soit la conséquence exclusive des accidents précédents (Soc. 19 déc. 2002, n° 00-22.482, D. 2003. 1392 , note Y. Saint-Jours ; RDSS 2003. 437, obs. P.-Y. Verkindt ; RJS 2003, n° 384 ; CSB 2003, n° 134). Au travers de cette jurisprudence, il est manifeste que l’appréciation de la rechute commande une appréciation d’ordre médical. En conséquence, refuser le recours à l’expertise médicale entraînerait une impossibilité de qualifier cette rechute et rendrait vaine l’action en contestation de la décision de refus de prise en charge. À titre transitoire et au plus tard jusqu’au 1er janvier 2022, l’assuré conserve l’opportunité de solliciter l’expertise médicale technique lorsque la difficulté d’ordre médical relève de l’ancien contentieux médical. À terme, le recours préalable sera exercé devant la Commission médicale de recours amiable (CMRA). Cette Commission, composée de deux médecins, chargée initialement des questions d’ordre médical de l’ancien contentieux technique, a vu son champ de compétence élargie par le décret du 30 décembre 2019. À compter du 1er septembre 2020, l’employeur à qui l’expertise médicale technique est traditionnellement refusée (Soc. 20 juill. 1995, n° 93-12.043 ; 11 mai 2000, n° 98-19.091 ;12 oct. 2000, n°99-12.527), pourra saisir la CMRA s’il entend contester la qualification de rechute.
Ensuite, la décision mérite d’être approuvée car l’expertise médicale est en réalité une mesure d’instruction, dérogatoire au code de procédure civile. L’article R. 142-24 du ode de la sécurité sociale précisait bien que le tribunal ne pouvait statuer qu’après mise en œuvre de l’expertise médicale s’il survenait une difficulté d’ordre médical en cours d’instance. Ce texte a été abrogé et remplacé par l’article R. 142-17-1 (créé par le décr. n° 2018-928 du 29 oct. 2018) lequel est placé dans une sous-section consacrée aux « dispositions particulières à certaines mesures d’instruction ordonnées dans le contentieux mentionné au 1° de l’article L. 142-1 ». La mise en œuvre de l’expertise médicale technique par le juge ne relève pas de son bon vouloir si « le litige fait apparaître en cours d’instance une difficulté d’ordre médical relative à l’état de (….) la victime (…) ». Il est de jurisprudence bien établie que le juge ne peut trancher lui-même une difficulté d’ordre médical (Soc. 14 oct. 1993, n° 91-19.807 ; 9 mai 1994, n° 92-14.637 ; 30 avr. 1997, n° 95-20.534). Sauf à ordonner un complément d’expertise, le juge sera lié par les conclusions de l’expert à partir du moment où les parties ne demandent pas une nouvelle expertise (Soc. 9 mai 1994, n° 94-17.952 ; 10 fév. 2000, n° 97-18.230 ; 20 déc. 2000, n° 99-12.324).
Enfin, en l’espèce, on peut s’étonner que la demande d’expertise ait été formulée par l’assuré. Logiquement, le tribunal doit d’office ordonner cette mesure d’instruction nécessaire à la solution du litige. La question de la forclusion de la demande d’expertise médicale n’aurait pas dû se poser.
En définitive, on peut saluer la suppression programmée de l’expertise médicale technique. À l’avenir, c’est la Commission médicale de recours amiable qui tranchera automatiquement les difficultés d’ordre médical. Son avis s’imposera à l’organisme dont la décision est contestée (CSS, art. L. 142-7-1). Le recours au juge devrait être moins fréquent en raison de la collégialité de l’avis formulé devant la CMRA.