Reconnaissance d’un jugement dans l’Union et arbitrage
Faits et procédures arbitrales et nationales
Une importante pollution s’est produite, en Espagne et en France, en novembre 2002, à la suite du naufrage du pétrolier Prestige, au large des côtes espagnoles. Des poursuites pénales ont alors été engagées en Espagne à la fin de l’année 2002, de même que des actions civiles à l’encontre du capitaine du navire, de son propriétaire et de son assureur, qui n’a toutefois pas comparu.
S’appuyant sur la clause compromissoire stipulée dans le contrat d’assurance, l’assureur a quant à lui engagé à Londres une procédure d’arbitrage, en soutenant que l’Espagne devait faire valoir ses prétentions, déjà formulées dans la procédure engagée en Espagne, devant les arbitres et que sa responsabilité ne pouvait pas, en tout état de cause, être engagée à l’égard de l’Espagne, compte tenu des stipulations du contrat d’assurance. L’Espagne a toutefois refusé de participer à la procédure d’arbitrage.
Par une sentence du 13 février 2013, le tribunal arbitral a notamment retenu que l’Espagne aurait dû formuler ses demandes indemnitaires dans le cadre de l’arbitrage et que la responsabilité de l’assureur ne pouvait pas être engagée à son égard.
Par une ordonnance du 22 octobre 2013, la Haute Cour de justice d’Angleterre et du Pays de Galles a autorisé l’assureur à faire exécuter la sentence arbitrale. Elle a également prononcé le 22 octobre 2013 un arrêt, qui reprend les termes de la sentence, en application de l’article 66 de l’Arbitration Act 1996 (loi de 1996 sur l’arbitrage), intitulé « Exécution de la sentence », qui dispose que : « 1) Une sentence prononcée par le tribunal [arbitral] en vertu d’une convention d’arbitrage peut, sur autorisation de la cour, être exécutée de la même manière qu’un arrêt ou une ordonnance de la cour aux mêmes fins. 2) Lorsque cette autorisation est accordée, un arrêt reprenant les termes de la sentence peut être rendu ».
Les procédures judiciaires engagées en Espagne ont quant à elles conduit, notamment, à la condamnation de l’assureur à indemniser l’Espagne, par une ordonnance de la cour provinciale de la Corogne du 1er mars 2019.
Cette ordonnance espagnole a été reconnue, à la demande de l’Espagne, par une ordonnance de la Haute Cour de justice d’Angleterre et du Pays de Galles du 28 mai 2019, sur le fondement de l’article 33 du règlement Bruxelles I (CE n° 44/2001) du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.
Toutefois, l’assureur a formé un appel contre cette ordonnance du 28 mai 2019.
C’est au regard de ces éléments que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a été saisie et a rendu un arrêt le 20 juin 2022.
Problématique juridique
Le débat partait du constat que l’arrêt de la Haute Cour de justice d’Angleterre et du Pays de Galles du 22 octobre 2013 a repris les termes de la sentence arbitrale et était inconciliable avec l’ordonnance de la cour provinciale de la Corogne du 1er mars 2019. Dans ce cadre, il s’agissait de déterminer si, compte de la spécificité de son contenu, l’arrêt du 22 octobre 2013 pouvait être qualifié de « décision » au sens du règlement Bruxelles I et faire obstacle à la reconnaissance en Grande-Bretagne de l’ordonnance espagnole du 1er mars 2019.
Pour bien comprendre la position de la Cour de justice de l’Union européenne, il est utile de rappeler quelques dispositions du règlement Bruxelles I, étant souligné que le Brexit a été sans conséquence dans cette affaire, compte tenu des dates des décisions concernées :
• Art. 1 : « Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives. 2. Sont exclus de son application : […] ; d) l’arbitrage » ;
• Art. 32 : « On entend par décision, au sens du présent règlement, toute décision rendue par une juridiction d’un État membre quelle que soit la dénomination qui lui est donnée, telle qu’arrêt, jugement, ordonnance ou mandat d’exécution, ainsi que la fixation par le greffier du montant des frais du procès » ;
• Art. 33, point 1 : « Les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres, sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure » ;
• Art. 34, point 3 : « Une décision n’est pas reconnue si : […] ; 3) elle est inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes parties dans l’État membre requis ; […] » ;
• Art. 27 (litispendance) : « 1. Lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence du tribunal premier saisi soit établie. 2. Lorsque la compétence du...