Réforme de l’adoption : vote définitif de la loi par l’Assemblée nationale

Phase parlementaire

Adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 4 décembre 2020, puissamment remaniée par le Sénat le 20 octobre suivant, la proposition de loi visant à réformer l’adoption vient finalement d’être votée par la Chambre basse en lecture définitive le 8 février 2022, soit près de 600 jours à la suite de son dépôt par l’une de ses deux promotrices : Mme la Députée Monique Limon, coauteure du rapport Limon-Imbert rendu public en octobre 2019 (M. Limon et C. Imbert, Vers une éthique de l’adoption. Donner une famille à un enfant, oct. 2019)  et fraîchement accueilli par l’École et le Palais (P. Salvage-Gerest, Le rapport Limon-Imbert, Un coup d’épée dans l’eau, AJ fam. 2020. 350 image). Cette temporalité surprenante pour une proposition de loi pourtant discutée dans le cadre d’une procédure accélérée – engagée par le gouvernement le 3 novembre 2020 – est à mettre sur le compte de désaccords politiques persistants entre les deux chambres, ayant débouché sur l’échec de la Commission mixte paritaire réunie le 4 novembre 2021, et la nouvelle lecture de la proposition de loi devant l’Assemblée nationale et le Sénat les 18 et 28 janvier 2022, avant de donner lieu à la lecture définitive du 8 février dernier devant la Chambre basse. Les députés auront d’ailleurs usé de leur préséance sur les sénateurs pour imposer leurs vues sur la plupart des points en débats. Dix-neuf mois à la suite de son dépôt, la proposition de loi visant à réformer l’adoption est donc votée, pour un résultat enthousiasmant selon certains et décevant selon d’autres.

Objectifs parlementaires

Parmi les principaux objectifs poursuivis par la proposition de loi, six d’entre eux pourront être rappelés pour mémoire (M. Jourda, Rapport Sénat, n° 371, 19 janv. 2022, p. 6) : valoriser l’adoption simple, ouvrir l’adoption aux couples de partenaires et de concubins, sécuriser la période de placement, renforcer et replacer au cœur du processus d’adoption la notion de consentement, réformer l’agrément et renforcer les droits des pupilles de l’État ; voici le vaste programme porté par les parlementaires. Ces ambitions auront toutefois été tempérées, dans la mesure où bien en deçà des velléités premières de renforcement et de sécurisation de l’adoption dans son ensemble (Proposition de loi visant à réformer l’adoption, Assemblée nationale, 30 juin 2020, p. 4), la loi votée se présente surtout comme un agrégat d’articles hétérogènes, à l’origine de regrets relatifs à l’absence de vision d’ensemble de la protection de l’enfance (M. Limon, Rapport Assemblée nationale, n° 4897, 12 janv. 2022, p. 5), et révélateur selon le Sénat d’une « volonté de faciliter l’adoption pour les candidats, [plus] que de sécuriser la situation des enfants » (ibid.).

Résultats parlementaires

Il n’empêche, plusieurs propositions phares auront survécus à ces débats passionnés, dont la plupart s’inscrivent dans les objectifs précités. C’est pourquoi, sans véritablement réformer l’adoption en profondeur, la loi nouvelle la retouche par endroits, justifiant une analyse article par article de ce texte.

Nouvelle définition de l’adoption simple

Fruit d’un consensus entre l’Assemblée nationale et le Sénat, l’article 1er de la loi visant à réformer l’adoption procède à une réécriture de l’article 364, alinéa 1er, du code civil, destinée à différencier formellement l’adoption simple de l’adoption plénière, dans son domaine et sa portée. Ainsi le nouvel article dispose-t-il désormais que « L’adoption simple confère à l’adopté une filiation qui s’ajoute à sa filiation d’origine », et que « L’adopté conserve ses droits dans sa famille d’origine ». Place donc à la mention formelle de l’effet principal de cette adoption : l’adjonction d’un lien de filiation à l’enfant, par opposition à la substitution d’un lien de filiation opérée par l’adoption plénière. En outre, exit l’ancienne référence au droit de succéder de l’adopté simple, laquelle pouvait « laisser penser que le maintien des droits dans la famille se [limitait] aux droits héréditaires de l’adopté ou que ces derniers [étaient] plus importants que les droits extrapatrimoniaux » (M. Limon, Rapport Assemblée nationale, n° 3161, 23 nov. 2020, p. 14). C’est dire que cette réécriture convaincra à raison de la clarification de l’article 364, alinéa 1er à laquelle elle procède (M. Jourda, Rapport Sénat, n° 50, 13 oct. 2021, p. 13), même si l’on notera de nouveau avec une auteure que l’établissement d’un double lien de filiation ne vaudra « que si la filiation de naissance [de l’enfant] est établie, ce qui n’est pas toujours le cas » (M.-C. Le Boursicot, Une proposition de loi visant à réformer l’adoption… déconcertante et même inquiétante, RJPF 2020-11). 

Ouverture de l’adoption aux couples de partenaires et de concubins

« Voulu comme la mesure phare du texte » (M. Jourda, Rapport Sénat, n° 371, 19 janv. 2022, p. 6), et approuvée par le Sénat en première lecture, l’article 2 de la loi ouvre l’adoption aux couples de partenaires et de concubins, en alimentant à cette occasion le processus d’édification continu d’un droit commun des couples. À cette fin, et comme nous l’écrivions en décembre 2020 (J. Houssier, Proposition de loi visant à réformer l’adoption : la première lecture est achevée, Dalloz actualité, 22 déc. 2020), 15 articles du code civil sont réécrits pour tenir compte de cette petite révolution (C. civ. art. 343, 343-1, 343-2, 344, 345-1, 346, 348-5, 353-1, 356, 357, 360, 363, 365, 366 et 370-3) et mettre fin, selon la Députée Limon, « à la différence de traitement face à l’adoption entre les couples mariés [et] les couples non mariés – qu’ils soient de même sexe ou de sexe différent » (M. Limon, Rapport Assemblée nationale, n° 3161, 23 nov. 2020, p. 19). Parallèlement, les conditions à remplir par les parents adoptifs sont assouplies via l’abaissement du délai minimum de communauté de vie requis pour les couples candidats à l’adoption (de 2 ans à 1 an ; C. civ., art. 343 nouv.), et via l’abaissement de l’âge minimum requis pour adopter pour l’ensemble des adoptants (de 28 à 26 ans ; C. civ., art. 343 et 343-1 nouv.). S’opposant ici au Sénat, l’Assemblée nationale aura donc eu le dernier mot à ce propos, en dépit des protestations émises par les sénateurs dont l’argumentation consistait à souligner, avec plusieurs acteurs de la protection de l’enfance, que « cette modification ne [répondait] à aucune demande de terrain et [n’aurait] probablement qu’un effet limité en pratique compte tenu du délai pour obtenir un agrément puis pour adopter, et du peu d’enfants adoptables » (M. Jourda, Rapport Sénat, n° 371, 19 janv. 2022, p. 9). En passant en force, la Chambre basse fait donc le pari de la pertinence de sa proposition, dont il faudra apprécier l’opportunité dans un futur proche.

À l’opposé, l’Assemblée nationale confirme la nouvelle rédaction de la règle de conflits de lois de l’article 370-3, en faisant sienne celle proposée par la Commission mixte paritaire (Les mots « de la juridiction saisie » étant substitués aux mots « du for », afin de clarifier cet article). Ainsi cet article dispose-t-il désormais que « Les conditions de l’adoption sont soumises à la loi nationale de l’adoptant ou, en cas d’adoption par un couple, à la loi nationale commune des deux membres du couple au jour de l’adoption ou, à défaut, à la loi de leur résidence habituelle commune au jour de l’adoption ou, à défaut, à la loi de la juridiction saisie ». Par ailleurs, « L’adoption ne peut […] être prononcée si la loi nationale des deux membres du couple la prohibe ». Comme nous l’écrivions en octobre 2021 (J. Houssier, Proposition de loi visant à réformer l’adoption : coup de rabot ou coup d’épée dans l’eau des Sénateurs ?, Dalloz actualité, 9 nov. 2021), la règle de conflit de lois propre aux couples mariés est donc finalement étendue aux couples non mariés, au détriment de l’article 515-7-1 du code civil, propre aux partenaires pacsés, mais au profit de l’unité du droit international tout entier.

Assouplissement de l’adoption plénière des enfants âgés de plus de 15 ans

Présenté par les promoteurs de la loi comme une mesure de faveur envers « l’adoption plénière des enfants âgés de plus de 15 ans » (M. Limon, Rapport Assemblée nationale, n° 3161, 23 nov. 2020, p. 23), l’article 3 de la loi réécrit l’article 345 du code civil, dans le dessein d’élargir les possibilités d’adoption plénière de ce public. Pour ce faire, leur adoption devient d’abord permise par le conjoint de l’un de leurs parents lorsque leur autre parent s’est vu retirer totalement l’autorité parentale ou est décédé sans laisser d’ascendants privilégiés (C. civ., art. 345-1, 2° et 3°, visé par la nouvelle disposition), lorsque leurs père et mère ou le conseil de famille y ont valablement consenti, ou lorsque l’enfant est pupille de l’État ou déclaré judiciairement délaissé (C. civ. art. 347 nouveau, visé par la nouvelle disposition). Au-delà, la loi étend aussi le délai d’adoption de ces enfants de 2 ans à 3 ans à l’issue de leur 18e année, autorisant ainsi leur adoption plénière dans les limites de leurs 21 ans. La loi offre donc un « délai de rattrapage » aux destinataires de ces textes, étant néanmoins précisé que la dérogation initialement proposée par l’Assemblée nationale de permettre cette adoption en cas de « motifs graves » est finalement délaissée, en raison des risques d’aléas judiciaires et d’atteinte au principe de sécurité juridique redoutés par le Sénat (M. Limon, Rapport Assemblée nationale, n° 4897, 12 janv. 2022, p. 15).

Ajustement du placement en vue de l’adoption

L’article 4 de la loi procède ensuite à une pertinente réécriture de l’article 351 du code civil relatif à la procédure de placement en vue de l’adoption plénière, tout en insérant un nouvel article 361-1 à la rédaction décevante.

S’agissant de l’article 351, d’abord, et suivant les recommandations avisées du Sénat et des magistrats de la Cour de cassation auditionnés à cette occasion (M. Jourda, Rapport Sénat, n° 50, 13 oct. 2021, p. 25), l’alinéa 1er est remanié pour proclamer que « Le placement en vue de l’adoption prend effet à la date de la remise effective aux futurs adoptants d’un enfant pour lequel il a été valablement et définitivement consenti à l’adoption, d’un pupille de l’État ou d’un enfant déclaré délaissé par décision judiciaire ». Un nouvel alinéa 2 créé par la loi poursuit en précisant que « Les futurs adoptants accomplissent les actes usuels de l’autorité parentale relativement à la personne de l’enfant à partir de la remise de celui-ci et jusqu’au prononcé du jugement d’adoption ». Et ces modifications apparaissent opportunes pour plusieurs raisons. En premier lieu, la substitution des termes « prend effet à la date de » aux mots « est réalisé par » éclaircit assurément le déroulé du processus du placement et réduit « les incertitudes [relatives] à la date du début de [cette] période » (M. Limon, Rapport Assemblée nationale, n° 3161, 23 nov. 2020, p. 28). En deuxième lieu, la substitution du terme « délaissé » au mot « abandonné » actualise cette disposition, « afin de tirer [toutes] les conséquences du remplacement, par la loi [du 14 mars 2016] de la déclaration judiciaire d’abandon par la déclaration judiciaire de délaissement parental » (ibid., p. 29. Actualisation également réalisée par l’article 20 de la loi s’agissant de l’art. 347, 3°, c. civ). En dernier lieu, le nouvel alinéa 2 éclaircit lui aussi les pouvoirs accordés par la loi aux futurs parents, en sécurisant et en clarifiant « le type d’actes [qu’ils] peuvent accomplir pendant le placement » (Ibid., p. 28), même si la rédaction définitive du texte pourra apparaître plus large que celle proposée par les sénateurs en première lecture (J. Houssier, Proposition de loi visant à réformer l’adoption : coup de rabot ou coup d’épée dans l’eau des Sénateurs ?, préc.), précisément pour permettre l’accomplissement d’actes relatifs à la santé de l’enfant (M. Limon, Rapport Assemblée nationale, n° 4897, 12 janv. 2022, p. 16).

S’agissant de l’article 361-1, en revanche, la doctrine dénoncera certainement sa pertinence. Aux termes de la loi nouvelle, ce texte énonce en effet que « Le placement en vue de l’adoption (simple) est réalisé par la remise effective aux futurs adoptants d’un pupille de l’État ou d’un enfant déclaré judiciairement délaissé », sans autres précisions. La Chambre basse accomplit ainsi l’exploit de créer un article à la rédaction à la fois maladroite (les anciens termes bannis de l’article 351 refaisant surface ici) et incomplète (aucune précision n’étant fournie relativement aux effets de ce placement). On en retiendra toutefois l’extension de la procédure de placement à l’adoption simple, pour les seuls enfants pupilles de l’État ou déclarés délaissés par décision judiciaire (M. Limon, Rapport Assemblée nationale, n° 4897, 12 janv. 2022, p. 16). 

Prohibition de l’adoption entre ascendants et descendants en ligne directe et entre frères et sœurs

Revenant pour partie à la rédaction initiale de la proposition de loi du 30 juin 2020, l’article 5 de la loi nouvelle crée un article 343-3 portant prohibition de l’adoption « entre ascendants et descendants en ligne directe et entre frères et sœurs », sauf la possibilité pour le tribunal de « prononcer l’adoption s’il existe des motifs graves que l’intérêt de l’adopté commande de prendre en considération ». Sur ce point et lors de la navette parlementaire, le texte avait subi plusieurs évolutions, les députés ayant un temps proposé de prohiber plus largement « toute adoption conduisant à une confusion des générations », là où les sénateurs s’y étaient opposés en « considérant plus opportun de laisser au juge le soin d’apprécier l’intérêt de l’enfant au cas par cas, plutôt que d’établir une règle qui ne pourrait souffrir d’exception » (Adde M. Jourda, Rapport Sénat, n° 50, 13 oct. 2021, p. 27 s.). En prenant appui sur la rédaction initiale de la proposition de loi, tout en l’enrichissant d’une soupape de sécurité permettant l’adoption de l’enfant (simple ou plénière) pour « motifs graves », l’article 343-3 procède donc avec pertinence, tout en résolvant par la positive l’un des vieux débats du droit de la famille portant sur la possibilité pour les parents d’adopter leurs propres enfants (v. réc., J. Houssier, La filiation du parent d’intention au lendemain des arrêts du 18 déc. 2019, AJ fam. 2021. 359).

Remise en ordre du consentement des parents à l’adoption de leur enfant

L’article 6 de la loi réordonne ensuite les dispositions du code civil relatives au consentement des parents à l’adoption de leur enfant, que l’adoption soit interne ou internationale. Le texte fait ainsi remonter à l’article 348-3 les critères d’intégrité du consentement à l’adoption jusqu’alors prescrits par l’article 370-5, en posant au premier de ces textes que « Le consentement à l’adoption doit être libre, obtenu sans aucune contrepartie après la naissance de l’enfant et éclairé sur les conséquences de l’adoption, en particulier s’il est donné en vue d’une adoption plénière, sur le caractère complet et irrévocable de la rupture du lien de filiation préexistant ». Autrement dit, l’article 6 de la loi transpose à l’adoption interne les exigences de l’adoption internationale, en les précisant un peu plus, et ce afin de mettre en commun « la définition du consentement à l’adoption pour toutes les adoptions », aux dires des promoteurs de ce texte (Amendement n° 512). 

Ouverture de l’adoption du mineur âgé de plus de 13 ans ou du majeur protégé hors d’état de donner son consentement

Aux termes de l’article 7 de la loi nouvelle, le code civil se voit encore complété d’un nouvel article 348-7, autorisant le tribunal à « prononcer l’adoption, si elle est conforme à l’intérêt de l’adopté, d’un mineur âgé de plus de treize ans ou d’un majeur protégé hors d’état d’y consentir personnellement, après avoir recueilli l’avis d’un administrateur ad hoc ou de la personne chargée d’une mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne ». En ouvrant cette nouvelle possibilité, les parlementaires facilitent donc l’adoption de ce public particulier, en prenant le soin de dissocier les cas de refus de consentement à l’adoption énoncés à l’article 348-6, de ceux d’absence de consentement issus de ce texte, mais en oblitérant au passage l’exigence de l’avis du représentant légal, au profit de celui de l’administrateur ad hoc (M. Limon, Rapport Assemblée nationale, n° 4897, 12 janv. 2022, p. 20).

Harmonisation du consentement de l’enfant à son changement de nom et prénom

De façon fort opportune, pour poursuivre, l’article 8 de la loi nouvelle « [harmonise] les conditions d’âge relatives aux changements de nom et de prénom [de l’enfant adopté] entre les procédures de droit commun [des] articles 60 et 311-23 du code civil, et celles propres à l’adoption » (ibid., p. 42). Pour ce faire, le dernier alinéa de l’article 357 est complété par l’exigence d’un consentement de l’enfant adopté de plus de 13 ans à son changement de prénom en cas d’adoption plénière, tandis que l’article 363 procède de même pour son changement de nom en cas d’adoption simple, en dépit des protestations émises par le Sénat sur ce point. L’harmonisation en résultant est donc réelle mais réduite, dans la mesure où l’enfant adopté en la forme plénière ne pourra pas s’opposer à son changement de nom, conformément aux principes mêmes de cette d’adoption. C’est pourquoi la réécriture de ces deux dispositions apparaîtra parfaitement opportune (Contra, P. Salvage-Gerest et all., art. préc., n° 13).

Rétroactivité de la loi du 2 août 2021 en cas d’AMP réalisée à l’étranger au sein d’un couple de femmes

À l’origine de l’échec de la Commission mixte paritaire, l’article 9 de la loi nouvelle consacre un dispositif transitoire permettant d’établir envers la co-mère la filiation de l’enfant né d’une assistance médicale à la procréation (AMP) réalisée à l’étranger, « lorsque, sans motif légitime, la mère inscrite dans l’acte de naissance de l’enfant refuse la reconnaissance conjointe prévue au IV de l’article 6 de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique ». Ce dispositif présenté comme exceptionnel et applicable pour une durée de trois ans à compter de la promulgation de la loi nouvelle, impose à la co-mère de « rapporter la preuve du projet parental commun et de l’assistance médicale à la procréation réalisée à l’étranger avant la publication de la loi, dans les conditions prévues par la loi étrangère, sans que puisse (toutefois) lui être opposée l’absence de lien conjugal ni la condition de durée d’accueil prévue au premier alinéa de l’article 345 du code civil ».

Considéré comme « inacceptable » par la Chambre haute, ce dispositif avait suscité l’ire des sénateurs aux motifs qu’il conduirait « à se passer du consentement de la mère qui a accouché dans des conditions trop floues », qu’il « pourrait concerner des situations très anciennes puisqu’aucun délai n’est prévu pour la réalisation de l’AMP », et qu’il était en outre contraire à l’avis du Conseil national de la protection de l’enfance, lequel s’y était opposé au motif qu’il poursuivait « un autre but que l’intérêt supérieur de l’enfant en visant à régler des litiges entre adultes et à reconnaitre un droit sur l’enfant » (J. Houssier, Proposition de loi visant à réformer l’adoption : coup de rabot ou coup d’épée dans l’eau des Sénateurs ?, préc). Attaché à ce dispositif, l’Assemblée nationale sera donc passée en force pour l’imposer.

Nouvelle règlementation de l’agrément

À l’opposé, l’article 10 signe une certaine synergie des deux chambres relativement à la règlementation de l’agrément à l’adoption. À l’écoute de leurs collègues, « les députés ont [en effet] renoncé à réécrire des sections entières du code de l’action sociale et des familles, [en] n’apportant que les modifications souhaitées au droit existant comme l’y invitait le Sénat » (M. Jourda, Rapport Sénat, n° 371, 19 janv. 2022, p. 9).

En ce sens, l’article L. 225-2 du code de l’action sociale et des familles (CASF) est d’abord modifié afin de mieux définir les finalités de l’agrément et d’imposer une condition d’âge aux candidats à l’adoption. Ainsi est-il enrichi d’un deuxième alinéa disposant que « L’agrément a pour finalité l’intérêt des enfants qui peuvent être adoptés », et exigeant qu’il soit « délivré lorsque la personne candidate à l’adoption est en capacité de répondre à leurs besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs ». Au-delà, un troisième alinéa précise que « L’agrément prévoit une différence d’âge maximale de cinquante ans entre le plus jeune des adoptants et le plus jeune des enfants qu’ils se proposent d’adopter », étant précisé qu’en présence « de justes motifs, il peut être dérogé à cette règle en démontrant que l’adoptant est en capacité de répondre à long terme aux besoins mentionnés au deuxième alinéa du présent article ». Grâce à la loi nouvelle, cette dernière disposition opère donc son grand retour dans le CASF, après avoir été originellement placée dans le code civil par la proposition de loi, puis déplacée dans le CASF par les députés, puis replacée dans le code civil par les sénateurs… En définitive, son champ d’application en ressort donc limité aux seules adoptions exigeant un agrément, à l’exclusion des adoptions intrafamiliales épargnées par cette condition.

Par ailleurs, et dans le dessein de mieux accompagner les candidats à l’adoption, le même article L. 225-2 est complété d’un autre alinéa énonçant que « Pendant la durée de validité de l’agrément, le président du conseil départemental […] propose aux personnes agréées des réunions d’information ». Dans le même sens, l’article L. 225-3 renchérit en disposant qu’« Elles suivent une préparation, organisée par le président du conseil départemental […] portant notamment sur les dimensions psychologiques, éducatives, médicales, juridiques et culturelles de l’adoption, compte tenu de la réalité de l’adoption nationale et internationale, ainsi que sur les spécificités de la parentalité adoptive ». Destinées à répondre aux difficultés des candidats à l’adoption parfois constatées en pratique, ces dispositions devraient donc permettre une meilleure préparation à l’adoption pour une meilleure réussite du projet parental et, partant, une meilleure préservation de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Définition de l’adoption internationale

Considérée comme un neutron législatif par plusieurs parlementaires (M. Jourda, Rapport Sénat, n° 371, 19 janv. 2022, p. 8), la définition de l’adoption internationale est finalement gravée dans le code civil par la loi nouvelle. En des termes articulés autour du critère de la résidence habituelle de l’enfant, le nouvel article 370-2-1 prévoit ainsi que « L’adoption est internationale : 1° Lorsqu’un mineur résidant habituellement dans un État étranger a été, est ou doit être déplacé, dans le cadre de son adoption, vers la France, où résident habituellement les adoptants ; 2° Lorsqu’un mineur résidant habituellement en France a été, est ou doit être déplacé, dans le cadre de son adoption, vers un État étranger, où résident habituellement les adoptants ». Faisant fi de toute référence à la nationalité de l’enfant ou à celle des adoptants, la loi nouvelle privilégie donc une vision matérielle et non personnelle de la notion d’adoption internationale.

Autres évolutions

Parmi les autres points traités par la loi nouvelle, tous s’essayent à répondre aux problématiques récurrentes de l’adoption sans réécrire l’ensemble du code de l’action sociale et des familles. Ainsi, la loi :

introduit la possibilité pour les présidents de conseils départementaux de prolonger à titre dérogatoire et pour une durée de deux ans les agréments en vue de l’adoption en cours de validité à la date du 11 mars 2020, « lorsque le dossier de demande a été enregistré par une autorité étrangère et dont l’agrément est toujours valide à la date de promulgation de la loi » (art. 12), de « faire appel à des associations pour identifier, parmi les personnes agréées qu’elles accompagnent, des candidats susceptibles d’accueillir en vue [d’une] adoption des enfants à besoins spécifiques » (art. 13 ; CASF, art. L. 225-1 dernier al.), réintroduit une procédure d’autorisation et d’habilitation dédoublée des OAA, tout en complétant les textes leur étant propres (M. Limon, Rapport Assemblée nationale, n° 4897, 12 janv. 2022, p. 30) (art. 14 ; CASF, art. L. 225-11, L. 225-12, L. 225-19 ; C. civ., art. 348-4, 348-5, 353-1), oblige les personnes résidant habituellement en France à être accompagnées par un OAA ou l’Agence française de l’adoption pour adopter un mineur résidant habituellement à l’étranger (art.15 ; CASF, art. L. 225-14-3), organise un accompagnement par l’ASE des pupilles de l’État placés en vue de l’adoption comme des adoptants (art. 16 ; CASF, art. L. 225-18), ordonne la réalisation d’un bilan médical, psychologique et social des enfants admis en qualité de pupille de l’État, faisant notamment « état de l’éventuelle adhésion de l’enfant à un projet d’adoption, si l’âge et le discernement de l’enfant le permettent » (art. 19 ; CASF, art. L. 225-1), réécrit les derniers alinéas de l’article L. 244-5 CASF relatifs à la remise d’un enfant à l’ASE par ses parents en vue de son admission comme pupille de l’État, en maintenant le recueil de leur consentement exprès et éclairé, spécialement sur la possibilité pour l’enfant d’être adopté, levant ainsi les craintes émises par plusieurs associations (E. Lucas, Réforme de l’adoption, les pièges d’une modernisation à tout prix, La Croix, 17 janv. 2022) (art. 20 ; CASF, art. L. 244-5 ; C. civ., art. 347), précise la composition et le fonctionnement du Conseil de famille, en imposant la présence d’une personne qualifiée en matière d’éthique et de lutte contre les discriminations (sur ce point, v. E. Lucas, Adoption : la nouvelle composition des conseils de famille inquiète, La Croix, 17 janv. 2022) et la formation obligatoire de ses différents membres art. 21 ; CASF, art. L. 224-2, L. 224-3, L. 224-3-1), confirme l’information des pupilles de l’État par leurs tuteurs des décisions les concernant (art. 22 ; CASF, art. L. 224-1-1), étend l’examen par les commissions pluridisciplinaires et pluri-institutionnelles chargées d’examiner la situation des enfants confiés à l’ASE depuis plus d’un an, lorsqu’il existe un risque de délaissement parental ou lorsque le statut juridique de l’enfant paraît inadapté à ses besoins, des enfants de moins de 2 ans à ceux de moins de 3 ans (art. 23 ; CASF, art. L. 223-1, L. 223-5), réécrit l’art. 411 c. civ. relatif à la vacance de la tutelle (art. 24 ; C. civ., art. 411), et assouplit aussi le régime applicable au congé d’adoption (art. 25 ; CASF, art. L. 161-6, L. 331-7 ; C. trav., art. L. 1225-37, L. 1225-40, L. 3142-1).

Ordonnance balais

Pour finir et pour désespérer peut-être les lecteurs de ces lignes, la loi nouvelle habilite enfin le gouvernement, contre l’avis des sénateurs (M. Jourda, Rapport Sénat, n° 371, 19 janv. 2022, p. 10), à prendre par voie d’ordonnance et dans un délai de huit mois « toute mesure relevant du domaine de la loi visant à modifier les dispositions du code civil et du code de l’action sociale et des familles en matière d’adoption, de déclaration judiciaire de délaissement parental, de tutelle des pupilles de l’État et de tutelle des mineurs dans le but :
     1° De tirer les conséquences, sur l’organisation formelle du titre VIII du livre Ier du code civil, de la revalorisation de l’adoption simple réalisée par la présente loi et de la spécificité de l’adoption de l’enfant de l’autre membre du couple;
     2° D’harmoniser ces dispositions sur un plan sémantique ainsi que d’assurer une meilleure coordination entre elles ».
C’est dire que la présente loi ne pourrait être que la première partie de la réforme de l’adoption, ce renvoi au gouvernement illustrant de nouveau les dérives du recours désormais ordinaire à la procédure accélérée.

  

 SYMBOLE GRIS