Réforme de la procédure civile : prise de date d’audience devant le tribunal judiciaire
Genèse
Le rapport sur l’amélioration et la simplification de la procédure civile, piloté par Mme Frédérique Agostini, alors présidente du tribunal de grande instance de Melun et M. le professeur Nicolas Molfessis présentait « trente propositions pour une justice civile de première instance modernisée » (v., Dalloz actualité, 7 févr. 2018, obs. C. Bléry). Parmi ces propositions figuraient celles tendant à « créer l’acte unique de saisine judiciaire » (prop. 12). Le rapport constatait que « la majorité des réponses aux consultations est favorable à la réduction des cinq modes de saisine des juridictions civiles et propose de ne conserver que l’assignation et la requête » et ajoutait que « le groupe de travail considère que la transformation numérique impose de sortir des schémas actuels du code de procédure civile. Proposant de distinguer la saisine de la juridiction et l’établissement du lien d’instance lorsqu’il est nécessaire […], il considère que l’instauration d’un acte unifié de saisine judiciaire par la voie électronique, unilatéral ou conjoint, est possible, tant en matière contentieuse qu’en matière gracieuse ». Bien qu’ayant donc retenu l’assignation et la requête comme acte de saisine, les rapporteurs expliquaient que cet acte de saisine judiciaire devrait être « établi par formulaire structuré, au moyen d’une application dédiée, accessible via le portail Justice »… de sorte que l’assignation semblait abandonnée comme acte introductif d’instance. Un effet de cet acte, permis par le numérique, était proposé : « l’acte de saisine judiciaire numérique doit générer pour le demandeur l’obtention d’une date qui sera adaptée à la nature de la procédure qu’il engage. La date de ce “rendez-vous” d’orientation judiciaire sera fixée selon un calendrier mis à disposition par la juridiction » ; toujours selon le groupe de travail, « l’obtention de cette date, tout comme la possibilité pour le justiciable d’avoir accès à tout moment par voie dématérialisée à l’avancée de sa procédure constituent des réponses aux attentes essentielles et légitimes du justiciable quant à la prévisibilité de la durée de son procès ».
Issue de la section 3 de la première partie du rapport Molfessis et Agostini, intitulée « Simplifier la saisine de la juridiction : pour un acte de saisine unifié », la proposition 12 était complétée par la proposition 14, à savoir « décharger le greffe des tâches de convocation dans les procédures contentieuses ». Celle-ci était développée dans le paragraphe 1 de la section 4 (« Unifier les circuits procéduraux »), qui avait pour objectif d’« établir avec certitude le lien d’instance ». Il était ici question d’une nouvelle fonction de l’assignation : celle d’acte de convocation du défendeur, en matière contentieuse. Le groupe de travail trouvait plusieurs justifications à cette proposition : « ce mode garantit le respect du contradictoire par la délivrance concomitante de l’acte de saisine et des pièces qui viennent à l’appui des demandes, assurant ainsi l’efficacité des échanges en vue de la première audience ».
Rappelons aussi la proposition 13 visant à « instaurer dès la première instance un principe de concentration des moyens ». Mais le principe de concentration dans l’acte introductif d’instance a heureusement été abandonné ; et la concentration des moyens au cours de l’instance n’est d’ailleurs pas codifiée, restant jurisprudentielle…
Consécration
S’inspirant du rapport, les auteurs du décret ont conservé l’assignation et la requête, qu’elle soit unilatérale ou conjointe : « la demande initiale est formée par assignation ou par requête remise ou adressée au greffe de la juridiction. La requête peut être formée conjointement par les parties » (art. 54, al. 1er, nouv. ; Dalloz actualité, 18 déc. 2019, obs. M.-P. Mourre-Schreiber).
L’assignation n’est cependant pas un acte de saisine en soi, elle reste un acte introductif d’instance devant être suivi d’une saisine réalisée par sa remise à la juridiction. Elle devient en revanche un acte de convocation du défendeur, comme envisagé par le rapport. Si l’article 55 donne une définition inchangée de l’assignation (le texte est abrogé et rétabli à l’identique par le décret n° 2019-1333), l’article 56, 1°, nouveau exige désormais que soient indiqués les « lieu, jour et heure de l’audience à laquelle l’affaire sera appelée ».
Observations
La prise de date est consacrée par l’article 751 nouveau : « la demande formée par assignation est portée à une audience dont la date est communiquée par tout moyen au demandeur selon des modalités définies par arrêté du garde des Sceaux » (texte à venir). Une fois la date d’audience demandée et indiquée « par tout moyen » (v. infra) par le greffe, le demandeur fait signifier l’assignation au défendeur qui se trouve ainsi convoqué à cette date.
On retrouve ensuite un schéma traditionnel avec l’article 754, alinéa 1er, qui dispose que « la juridiction est saisie, à la diligence de l’une ou l’autre partie, par la remise au greffe d’une copie de l’assignation ». La sanction du non-respect des délais prévus pour ce faire est inchangée : elle demeure la caducité (art. 754, al. 4, nouv.). Mais les modalités de la remise constituent une autre innovation, bien difficile à comprendre (v. infra).
L’entrée en vigueur du mécanisme de prise de date est reportée au 1er septembre 2020. Ce report s’explique par le fait que les juridictions ne sont prêtes ni techniquement ni juridiquement.
Le texte est placé au sein des « dispositions communes » au tribunal judiciaire (sous-titre 1 du titre 1 du livre 2 : art. 750 à 774 – ce dernier article, spécifique à la procédure orale ordinaire, ne devrait pas figurer dans ce sous-titre). L’article 751 concerne toutes les procédures susceptibles d’être mises en œuvre devant le tribunal judiciaire – écrites ou orales – avec ou sans représentation obligatoire par avocat, dès lors qu’elle est introduite par une assignation à l’exclusion d’une requête. Or le principe est la formation de la demande par assignation et l’exception par requête unilatérale, ceci « lorsque le montant de la demande n’excède pas 5 000 € en procédure orale ordinaire ou dans certaines matières fixées par la loi ou le règlement » (art. 750, al. 1er, nouv.) ; étant précisé que, « dans tous les cas, les parties peuvent saisir la juridiction par une requête conjointe » (art. 750, al. 1er, nouv.)… acte de procédure pourtant peu usité. Au passage, on peut s’interroger sur les raisons de cantonner la requête aux « petites affaires » : qu’est-ce qui, juridiquement, empêche de permettre dans tous les cas le choix de l’acte pour former la demande ?
Pour rappel, les procédures susceptibles d’être mises en œuvre devant le tribunal judiciaire seront les suivantes :
* procédure écrite (sous-titre 2 du titre 1 du livre 2) :
ordinaire (qui correspond à l’actuelle procédure contentieuse écrite devant le tribunal de grande instance), avec ou sans juge de la mise en état ou externalisée avec convention de procédure participative (art. 775 à 807) ;gracieuse (art. 808 à 811) ;
à juge unique (art. 812 à 816) ;
* procédure orale (sous-titre 3 du titre 1 du livre 2) :
ordinaire (qui équivaut à l’actuelle procédure devant le tribunal d’instance ; art. 817-833) ;référé devant le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection (qui équivaut à l’actuelle procédure devant le président du tribunal de grande instance ou le juge d’instance ; art. 834-838) ;
* procédure accélérée au fond (PAF) (qui remplace la procédure de référé « en la forme » et ses déclinaisons et qui fait l’objet du décret n° 2019-1419 du 20 décembre 2019 publié au JO du 22 ; art. 839). Attention : « le décret modifie les dispositions relatives à la procédure en la forme des référés devant les juridictions de l’ordre judiciaire et la renomme procédure accélérée au fond. Il distingue les procédures qui demeurent des procédures accélérées au fond de celles qui deviennent des procédures de référé, sur requête ou au fond » (v. notice du décret).
* « autres procédures » (sous-titre 4 du titre 1 du livre 2) :
* procédure à jour fixe (art. 840 à 844) ;
* ordonnance sur requêtes (art. 845 et 846) ;
* procédure sur décision de renvoi de la juridiction pénale (art. 847) ;
* procédure en matière d’action de groupe (art. 848 à 849-21).
Suivent encore des dispositions diverses (sous-titre 5 du titre 1 du livre 2) :
« communication électronique » (sic, alors que le titre XXI du livre 1er s’intitule « communication par voie électronique » ; art. 850) ;mesures d’administration judiciaire (art. 851 et 852).
Interrogations
On retrouve une nouvelle fois la notion de « tout moyen » (au singulier !) pour communiquer la date. Dans l’hypothèse où le justiciable est représenté ou assisté par un avocat, le RPVA pourrait sans doute être utilisé – cela semble résulter de la formulation peu heureuse de l’article 754, nouv. (v. infra). En toute hypothèse, le courriel ou le texto (bien que l’art. 748-8 issu du décret du 3 mai 2019 ne les mentionne plus et régisse désormais le portail du justiciable : Dalloz actualité, 24 mai 2019, obs. C. Bléry, T. Douville et J.-P. Teboul et Dalloz actualité, 17 juill. 2019, obs. C. Bléry) pourraient sans doute aussi être les vecteurs de cette communication… ce qui expliquerait la mention de « l’adresse électronique ou du numéro de portable du demandeur » dans certains cas, visée à l’article 54, alinéa 2, nouveau.
Ce dernier texte prévoit en effet que, « lorsqu’elle est formée par voie électronique, la demande comporte également, à peine de nullité, les adresse électronique et numéro de téléphone mobile du demandeur lorsqu’il consent à la dématérialisation ou de son avocat. Elle peut comporter l’adresse électronique et le numéro de téléphone du défendeur ». Ce qui suscite des interrogations :
qu’est-ce qu’une demande « formée » par voie électronique : est-ce une demande signifiée par voie électronique ? remise par voie électronique ?quelle est cette voie électronique ?
qu’est-ce que la « dématérialisation », notion inconnue du code de procédure civile jusqu’alors ?
Il semblerait que soit visée l’hypothèse d’une requête remise par le portail du justiciable. Si c’est bien le cas, faire figurer cette mention dans l’article 54 qui vise aussi les assignations est maladroit. En se fiant à la lettre du texte, il faut considérer que les assignations signifiées par voie électronique (assez rares aujourd’hui) doivent aussi comporter cette mention.
Aujourd’hui, l’assignation devant le tribunal de grande instance doit être remise dans les quatre mois à peine de caducité ; celle devant le tribunal d’instance (notamment) quinze jours avant l’audience. Désormais, le délai est parfois double :
• « la copie de l’assignation doit être remise dans le délai de deux mois suivant la communication de la date d’audience par la juridiction effectuée selon les modalités prévues à l’article 748-1 » (art. 754, al. 2) ;
• « toutefois, la copie de l’assignation doit être remise au plus tard quinze jours avant la date de l’audience lorsque : 1° La date d’audience est communiquée par la juridiction selon d’autres modalités que celles prévues à l’article 748-1 ; 2° La date d’audience est fixée moins de deux mois après la communication de cette date par la juridiction selon les modalités prévues à l’article 748-1 » (al. 3).
Pourquoi la mention de l’article 748-1 ? Elle semble doublement problématique :
• cette référence vise-t-elle la communication par voie électronique (CPVE) version 1 en opposition à la CPVE version 2 ? (sur ces notions, v. C. Bléry et J.-P. Teboul, De la communication par voie électronique au code de cyber procédure civile, JCP 2017. 665 et « Numérique et échanges procéduraux », in Vers une procédure civile 2.0, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2018, p. 7 s. ; Dalloz actualité, 24 mai 2019, obs. C. Bléry, T. Douville et J.-P. Teboul, art. préc.). Concrètement, est-ce une remise par le RPVA qui est envisagée (la signification par voie électronique ne paraît pas appropriée pour une telle remise et, de toute façon, n’est pas pratiquée), plutôt que par le portail du justiciable visé à l’article 748-8 ? Mais l’article 748-1 ne prévoit pas de modalités de la CPVE. Il détermine son champ d’application : il pose ainsi le principe selon lequel tous les actes d’un procès – qu’il énumère – sont susceptibles d’être concernés par la voie électronique (tant version 1 que version 2) – de manière facultative, sauf si une disposition la rend obligatoire…
• et l’article 751 appelle un arrêté technique pour préciser la notion de tout moyen… qui serait déjà en partie définie : soit RPVA, soit texto, courriel, avis en ligne sur le portail générant un avis de mise à disposition ou autre ?
Pourquoi ces quinze jours dans certains cas ? Les auteurs du décret ont-ils pensé aux procédures où la représentation n’est pas obligatoire et où est reconduite la règle aujourd’hui applicable au tribunal d’instance ? Règle qui est étendue à l’avocat lorsque la date lui a été communiquée par RPVA mais que le délai entre l’octroi de la date d’audience et celle-ci est assez bref…
Comparaison
Notons, pour finir que :
• lorsque la juridiction est saisie par requête, les « lieu, jour et heure » sont fixés par le président du tribunal judiciaire (art. 758, al. 1er, nouv.) : on suppose que cela vise la requête formée par le demandeur qui « saisit la juridiction sans que son adversaire en ait été préalablement informé » conformément à l’article 57, alinéa 1er, nouveau. Le texte ajoute que, « lorsque la requête est signée conjointement par les parties, cette date est fixée par le président du tribunal ; s’il y a lieu, il désigne la chambre à laquelle elle est distribuée » (pourquoi cette différence de rédaction selon que la requête est unilatérale ou conjointe ?). C’est le greffe qui avise les parties (art. 758, al. 3, nouv., le requérant – c’est-à-dire le demandeur unique ou les parties selon que la requête est unilatérale ou conjointe – étant avisé « par tous moyens » [au pluriel !], art. 758, al. 2, nouv.)… sauf en cas de représentation obligatoire, où les avocats sont avisés par simple bulletin (art. 758, al. 5), nouv. C’est le greffe qui convoque le défendeur à l’audience par lettre recommandée avec avis de réception (art. 758, al. 3, nouv.) ;
• selon l’article 756, alinéa 1er, « dans les cas où la demande peut être formée par requête, la partie la plus diligente saisit le tribunal par la remise au greffe de la requête. Cette requête peut être remise ou adressée ou effectuée par voie électronique dans les conditions prévues par arrêté du garde des Sceaux » – l’alinéa 2 ajoutant que, « lorsque les parties ont soumis leur différend à un conciliateur de justice sans parvenir à un accord, leur requête peut également être transmise au greffe à leur demande par le conciliateur ».
Mais, là encore, que faut-il entendre par « voie électronique » ? Le RPVA ? Bientôt le portail du justiciable ? Et pourquoi ces trois termes : « remise ou adressée ou effectuée » ? N’est-ce pas redondant ? On peut distinguer une remise papier qui implique un déplacement au greffe d’un envoi (à distance), mais une remise se confond avec un envoi par voie électronique. Et « effectuée » ?
Beaucoup de questions, donc, pour un texte qui risque de susciter du contentieux de pure procédure comme la réforme de l’appel (de 2009, puis 2017). Or le stock des affaires a augmenté en appel (v. Dalloz actualité, 2 déc. 2019, art. T. Coustet)…