Renvoi après cassation : précisions relatives à la recevabilité des prétentions
Une affaire de Porsche…
C’est une Porsche d’occasion qui est à l’origine de l’arrêt rendu par la première chambre civile le 18 janvier 2023. L’arrêt est d’ailleurs la dernière étape d’une longue procédure, puisqu’il rejette un second pourvoi. Il intéresse les civilistes en ce qu’il statue à propos du choix, appartenant à l’acquéreur, entre action rédhibitoire et action estimatoire en cas de défaut de la chose vendue : l’acheteur victime d’un vice caché a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix (action rédhibitoire) ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix (action estimatoire). La décision concerne aussi le processualiste puisqu’il se prononce sur la recevabilité de prétentions nouvelles devant la cour d’appel de renvoi après cassation d’un premier arrêt d’appel.
L’affaire met aux prises trois personnes que nous appellerons par commodité (et un brin de nostalgie) : Primus, Secondus et Tertius. Primus est le vendeur de la Porsche, Secondus son acheteuse, qui l’échange contre un autre véhicule appartenant à Tertius. Tertius assigne Secondus en résolution de l’échange après avoir appris que le véhicule était économiquement irréparable. Secondus appelle Primus en garantie des vices cachés.
Un jugement confirmé en appel en 2016, prononce la résolution de la « vente » (rigoureusement l’échange, mais le droit applicable est le même, v. C. civ., art. 1707) entre Secondus et Tertius, condamne Secondus à indemniser Tertius et ordonne la restitution du véhicule Porsche à Secondus. Il rejette en revanche la demande en garantie des vices cachés formée contre Primus.
Secondus forme un (premier) pourvoi. La Cour de cassation casse partiellement l’arrêt d’appel (pour défaut de motifs) en ce qu’il a rejeté cette demande en garantie des vices cachés et renvoie devant la même cour d’appel autrement composée (Civ. 1re, 11 mai 2017, n° 16-17.675 NP).
Devant cette cour de renvoi, Secondus sollicite une réduction du prix de vente du véhicule Porsche. Primus oppose des fins de non-recevoir tendant à voir déclarer irrecevable cette demande. Mais la cour d’appel ne le suit pas et le condamne à payer à Secondus une somme à titre de restitution d’une partie du prix de vente du véhicule.
Primus forme le second pourvoi dans l’affaire : il présente trois moyens et invoque la violation de plusieurs textes par la cour d’appel, à savoir les articles 564, 565 et 633 du code de procédure civile (premier moyen), 623, 624, 625 et 631 du même code (les deux branches du deuxième moyen) et 1648 du code civil (les deux branches du troisième moyen) :
le pourvoi rappelle d’abord que les demandes nouvelles formulées en appel sont irrecevables, sauf si elles tendent aux mêmes fins que celles de première instance. Or, selon le premier moyen, l’action en garantie dirigée par le défendeur à une action en vice caché, contre son propre vendeur n’a pas le même objet que l’action estimatoire qu’il peut intenter directement contre ce dernier ;selon le second moyen, la cassation a pour seul effet de saisir la juridiction de renvoi, sous réserve d’une déclaration de saisine, du chef ayant donné lieu à censure : il est dès lors exclu qu’une partie abandonne la demande, devant la juridiction de renvoi, pour former une demande distincte de celle soumise aux premiers juges ayant donné lieu à cassation (première branche) ; si une partie formule une demande nouvelle recevable, elle ne peut que s’ajouter à la demande formulée devant la cour d’appel et qui été le siège de la cassation (deuxième branche) ;
la demande en réduction de prix fondée sur l’action estimatoire était prescrite (première branche), l’assignation en garantie ne pouvait interrompre le délai de prescription s’agissant de l’action estimatoire (deuxième branche).
La Cour de cassation, réunissant les trois moyens, rejette le pourvoi.
« 10. En premier lieu, dès lors qu’il résulte de l’article 1644 du code civil qu’en cas de défaut de la chose vendue, l’acheteur a le choix entre l’action rédhibitoire et l’action estimatoire et peut, après avoir exercé l’une, exercer l’autre tant qu’il n’a pas été statué sur sa demande par une décision passée en force de chose jugée, les premier et troisième moyens, qui soutiennent que l’action estimatoire intentée par Mme [L] en appel, substituée à sa demande en garantie de la condamnation ayant accueilli l’action rédhibitoire de Mme [X], est une demande nouvelle qui ne tend pas aux mêmes fins et qui est prescrite en l’absence d’interruption de la prescription par l’assignation du 20 mars 2012, sont inopérants.
11. En second lieu, contrairement aux énonciations du deuxième moyen, les dispositions des articles 623 et suivants du code de procédure civile ne soumettent pas, à l’issue de la cassation qui replace les parties dans l’état où elles se trouvaient avant la décision cassée, la recevabilité d’une demande nouvelle à d’autres règles que celles qui s’appliquaient devant la juridiction dont la décision a été cassée et n’imposent dès lors pas aux parties de reprendre les demandes formées devant cette juridiction. »
Procédure de renvoi après cassation
La procédure de renvoi après cassation est une procédure d’appel spécifique (v. J.-L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, 4e éd., LexisNexis, 2018, nos 551 s. ; D. d’Ambra, Droit et pratique de l’appel, Dalloz Référence 2021/2022, 4e éd. 2021, nos 233.00 s. ; P. Gerbay et N. Gerbay, Guide du procès civil en appel 2021/2022, LexisNexis, 2020, nos 1631 s. ; C. Lhermitte, Procédures d’appel 2020/2021, Dalloz Delmas express, 2020, nos 53.11 s.). Les...