Retour sur la prescription de l’action subrogatoire de la caution

On sait que la caution solvens dispose à l’encontre du débiteur d’un recours subrogatoire fondé sur l’article 2306 du code civil (qui n’est qu’une application du principe posé par l’article 1346 du même code) : « La caution qui a payé la dette est subrogée à tous les droits qu’avait le créancier contre le débiteur » (v. à ce sujet P. Simler et P. Delebecque, Droit civil. Les sûretés, la publicité foncière, 7e éd., Dalloz, 2016, nos 214 s.). Les mérites de ce recours sont bien connus, qui consistent principalement dans la préservation des accessoires assortissant la créance. Mais cette voie présente également des dangers : outre l’opposabilité d’un nombre considérable d’exceptions (v. à ce sujet F. Jacob, « La distinction des exceptions inhérentes à la dette et de celles qui ne le sont pas à l’épreuve [entre autres] de sa consécration légale nouvelle par l’article 1346-5, alinéa 3, du code civil », in Mélanges en l’honneur du professeur Claude Witz, LexisNexis, 2018, p. 347 ; v. égal. M. Mignot, « La règle dite de l’opposabilité des exceptions après l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 », in Mélanges en l’honneur d’É. Loquin, LexisNexis, coll. « Droit sans frontières », 2018, vol. 51, p. 671), la caution peut s’exposer à la prescription de l’obligation garantie, comme le montre un arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 5 mai 2021.

En l’espèce, par un acte du 5 août 2003, une banque a consenti à Mme W… deux prêts de 72 000 € et de 35 000 €, garantis par l’engagement de caution solidaire de M. I…. La débitrice ayant été défaillante dans l’exécution de ses obligations, la banque a mis en demeure le 22 juin 2010, M. I…, qui lui a ensuite payé la somme 63 233,06 € contre remise d’une quittance subrogative, le 13 décembre 2010. Ayant vainement mis en demeure Mme W… de le rembourser, M. I… a assigné cette dernière le 5 décembre 2015. La cour d’appel de Nîmes, dans un arrêt du 21 juin 2018, déclare l’action de la caution recevable et condamne la débitrice à lui payer la somme 68 233,63 €, en retenant que l’action subrogatoire est une action personnelle soumise à une prescription de cinq ans en application de l’article 2224 du code civil à compter du jour où le créancier a connu les faits lui permettant de l’exercer, soit après le paiement effectué en exécution du contrat de cautionnement, à compter de la date de délivrance de la quittance subrogative, le 13 décembre 2010. La débitrice s’est donc pourvue naturellement en cassation, soutenant que l’action subrogatoire de la caution est soumise à la prescription applicable à l’action du créancier contre le débiteur et que par suite, la prescription de l’action subrogatoire commence à courir au même moment que la prescription de l’action principale. Le délai de prescription avait donc commencé à courir dès que la banque avait eu connaissance de la défaillance du débiteur, soit le 22 juin 2010 au plus tard. L’argument fait mouche auprès des hauts magistrats, qui censurent l’arrêt au visa des articles 2224 et 2306 du code civil : la Cour de cassation rappelle tout d’abord qu’« aux termes du second de ces textes, la caution qui a payé la dette est subrogée à tous les droits qu’avait le créancier contre le débiteur et il résulte du premier que le créancier dispose, pour agir contre ce dernier, d’un délai de cinq ans à compter du jour où il a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son action » (pt 3). Elle en conclut qu’« en statuant ainsi alors que la caution qui est subrogée dans les droits du créancier ne dispose que des actions bénéficiant à celui-ci, de sorte que l’action subrogatoire de la caution contre le débiteur est soumise à la même prescription que celle applicable à l’action du créancier contre le débiteur, laquelle ne commence à courir que du jour où le créancier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (pt 5).

La solution est parfaitement justifiée au regard des effets de la subrogation : celle-ci « transmet à son bénéficiaire, dans la limite de ce qu’il a payé, la créance et ses accessoires, à l’exception des droits exclusivement attachés à la personne du créancier » (v. J. Mestre, La subrogation personnelle, préf. P. Kayser, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », t. 160, 1979 ; sur les limites de la subrogation, v. P. Delebecque, « Les limites de la subrogation personnelle », in Mélanges en l’honneur de Jacques Mestre, LGDJ, 2019, p. 361). La caution recueille donc la créance telle qu’elle se trouve au moment du paiement effectué par le solvens. En conséquence, il est tout à fait logique que son action soit soumise au délai de prescription qui s’imposait au créancier (on peut cependant s’interroger sur le point de savoir s’il en irait de même en présence de la prescription biennale prévue par l’article L. 218-2 du code de la consommation, v. à ce sujet Civ. 1re, 11 déc. 2019, n° 18-16.147, Dalloz actualité, 6 janv. 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020. 523 image, note M. Nicolle image ; ibid. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; AJ contrat 2020. 101, obs. D. Houtcieff image ; Rev. prat. rec. 2020. 14, obs. M. Aressy, M.-P. Mourre-Schreiber et U. Schreiber image ; ibid. 15, chron. F. Rocheteau image ; RTD civ. 2020. 161, obs. C. Gijsbers image : « Mais attendu que la cour d’appel a exactement retenu qu’en ce qu’elle constitue une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur auquel un professionnel a fourni un service, la prescription biennale prévue à l’article L. 218-2 du code de la consommation ne pouvait être opposée au créancier par la caution »). Ce délai de prescription commençant à courir à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’agir, il fallait donc bien prendre en considération, en l’occurrence, le jour où la banque avait eu connaissance de la défaillance du débiteur, soit le 22 juin 2010, ce qui devait conduire à admettre le jeu de la prescription, l’assignation ayant été délivrée à la caution le 5 décembre 2015.

Il est heureux que la Cour de cassation ait clairement consacré cette solution dans la mesure où certaines juridictions du fond avaient cru pouvoir s’affranchir de la logique subrogatoire (v. par ex. Chambéry, 7 févr. 2019, n° 17/02756 : « quel que soit le fondement juridique de l’action entreprise par la caution, recours subrogatoire de l’article 2306 du code civil ou recours personnel de l’article 2305 du code civil, cette action suppose dans tous les cas un paiement préalable de la part de la caution qui s’en prévaut, de telle sorte qu’aucun délai de prescription ne peut courir contre elle tant que son recours à l’encontre du débiteur principal n’est pas ouvert par le fait dudit paiement » ; Rennes, 19 mai 1994, n° 373/93 : « à l’égard de la caution, qui, ayant préalablement désintéressé le prêteur, exerce son action subrogatoire contre l’emprunteur, le point de départ du délai préfix de deux ans résultant de l’article L. 311-37 du code de la consommation doit être fixé à la date à laquelle cette caution a été contrainte, pour la première fois, de se substituer à cet emprunteur », v. à ce sujet JCP 2019. Doctr. 470, n° 12, obs. P. Simler).

La caution n’est pas pour autant démunie dans la mesure où elle peut également exercer un recours personnel à l’encontre du débiteur, sur le fondement de l’article 2305 du code civil (sur les mérites du recours personnel, v. L. Bougerol et G. Mégret, Droit du cautionnement, préf. P. Crocq, Gazette du Palais, coll. « Guide pratique », 2018, n° 241). Un arrêt de la cour d’appel d’Orléans exprime d’ailleurs à merveille l’avantage du recours personnel du point de vue de la prescription : « Si le recours subrogatoire de la caution, qui n’est autre que l’exercice de l’action du créancier lui-même, est soumis au délai de prescription de celle-ci qui, par hypothèse, a commencé à courir dès avant le paiement fait par la caution, le recours personnel de la caution ouvre un nouveau délai de prescription courant du jour du paiement fait par elle » (Orléans, 19 nov. 2020, n° 19/03063). La caution aurait donc dû prendre la peine d’exercer son recours personnel en sus du recours subrogatoire, puisque ceux-ci peuvent parfaitement se cumuler (v. en ce sens Civ. 1re, 29 nov. 2017, n° 16-22.820).

L’imminente réforme du droit des sûretés ne changera en rien cette solution dans la mesure où les dispositions relatives aux recours de la caution seront vraisemblablement reprises en substance (v. avant-projet d’ordonnance portant réforme du droit des sûretés du 18 décembre 2020, art. 2305 et 2306, ces textes ne précisant toutefois pas que les deux recours peuvent se cumuler, ce qui est regrettable).

  

 SYMBOLE GRIS