Revirement sur la péremption d’instance : un beau moment de justice

En fait de péremption d’instance et de son rapport à la clôture et fixation, la Cour de cassation se trouvait à la croisée des chemins : persévérer dans son ancienne jurisprudence aux accents formalistes ou revirer. Par une série de quatre arrêts accueillie par des hourras numériques, la deuxième chambre civile fait le choix du revirement. Ces quatre arrêts commentés de concert offrent un beau moment de justice sur la forme comme sur le fond.

Sur la forme, la deuxième chambre civile offre assurément un beau moment de justice. Outre que ces quatre arrêts, prononcés en rafale selon une technique éprouvée au quai de l’Horloge, sont rendus en section et promis à une publication au Bulletin (le défaut de commentaire au Rapport pouvant étonner), de nombreux marqueurs permettent d’en détecter la grande valeur formelle. La motivation est enrichie et non seulement développée : explicitation des textes, exposé de la jurisprudence ancienne avec chaînage, énonciations des raisons du revirement lui-même identifié comme tel, audition publique d’amici curiae en les personnes du Bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris et du président du Conseil national des barreaux, lesquels – en plus du président de la conférence des premiers présidents de cour d’appel – ont chacun déposé une note écrite à la façon d’une « porte étroite ».

La Cour expose même dans sa motivation certains enseignements retirés de l’audition de ses amis selon un procédé inédit à notre connaissance. Le haut patronage de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme est encore convoqué. Chose remarquable, la Cour de cassation prend soin d’indiquer les modalités d’application dans le temps de son revirement, en conscience de ses implications systémiques. Cette série d’arrêts ravira les amateurs de belle décision, même si leur motivation, un peu bavarde et tortueuse, n’en simplifie pas l’analyse.

Cette jurisprudence nouvelle rappellera à de nombreux égards l’avis du 8 juillet 2022 sur l’annexe à la déclaration d’appel qui avait lui aussi offert un beau moment de justice (Civ. 2e, avis, 8 juill. 2022, n° 22-70.005, Dalloz actualité, 30 août 2022, obs. R. Laffly ; D. 2022. 1498 image, note M. Barba image ; AJ fam. 2022. 496, obs. D. D’Ambra image ; l’annexe est d’ailleurs à l’honneur dans d’autres arrêts du même jour, Civ. 2e, 7 mars 2024, n° 22-20.035 et n° 22-23.522, D. 2024. 551 image).

Sur le fond aussi, la deuxième chambre civile offre un beau moment de justice. Car la décision semble effectivement juste cependant que la jurisprudence qu’elle revire paraissait invariablement injuste. Et on ne parle pas là que de justesse technique mais de justice substantielle, d’équité croyons-nous. En cause d’appel, en application de la jurisprudence antérieure, les parties assumaient la charge – et le risque associé – de l’allongement des délais de clôture et fixation. Désormais, avec la jurisprudence nouvelle, la longueur des délais de clôture et fixation est assumée avant tout par la machine juridictionnelle. Le problème de fond reste intact – la durée des procédures d’appel, dont le rétrécissement ne procèdera pas de la récente réforme opérée par le décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023 (M. Barba et R. Laffly, « Simplification » de la procédure d’appel en matière civile, Dalloz actualité, 1er févr. 2024 ; K. Leclere Vue et L. Veyre, Réforme de la procédure d’appel en matière civile : explication de texte, D. 2024. 362 image ; J. Jourdan-Marques, Chronique d’arbitrage : l’influence du décret du 29 décembre 2023 sur l’exercice des voies de recours, Dalloz actualité, 12 janv. 2024 ; N. Gerbay, Le décret n° 2023-1393 du 29 décembre 2023 portant simplification de la procédure d’appel en matière civile : nouveautés et points de vigilance, Procédures 2024. Étude 1). En revanche, les parties ne l’assument plus au premier chef. En cela au moins, cette volée d’arrêts est digne d’approbation, sans compter que chacun affiche les difficultés structurelles en cause d’appel en termes de délais, ce qui doit interpeller au plus haut niveau de l’État.

Venons-en – enfin ! – au revirement lui-même et à la jurisprudence nouvellement inaugurée.

Selon la jurisprudence antérieure valant en procédure d’appel avec représentation obligatoire suivant le circuit ordinaire avec mise en état, il appartient aux parties, après avoir conclu dans les délais Magendie, de faire toute diligence utile pour faire avancer l’instance jusqu’à son terme (Civ. 2e, 16 déc. 2016, n° 15-27.917, Dalloz actualité, 5 janv. 2017, obs. R. Laffly ; D. 2017. 141 image, note C. Bléry image ; ibid. 422, obs. N. Fricero image ; ibid. 605, chron. E. de Leiris, N. Palle, G. Hénon, N. Touati et O. Becuwe image ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero image). En particulier, il leur revient, si elles s’estiment en état après l’échange des premières conclusions, de solliciter du conseiller de la mise en état (CME) la clôture de celle-ci et la fixation de l’affaire pour plaidoiries, i.e. la « clôture et fixation ». À défaut, la péremption court à compter de la dernière diligence interruptive, à l’instar des conclusions d’intimés. Lorsque les parties sollicitent du CME qu’il clôture et fixe, leur demande interrompt mais ne suspend pas le délai de péremption : un nouveau délai commence à courir (Civ. 2e, 1er févr. 2018, n° 16-17.618, Dalloz actualité, 23 févr. 2018, obs. R. Laffly ; D. 2019. 555, obs. N. Fricero image ; AJ fam. 2018. 262, obs. M. Jean image ; Gaz. Pal. 15 mai 2018, n° 17, p. 71, note L. Raschel). Dès lors que le CME clôture et fixe, la difficulté s’efface puisque, de jurisprudence constante et ancienne, la direction de la procédure échappe alors aux parties : la péremption ne court plus (v. not., Civ. 2e, 12 févr. 2004, n° 01-17.565, RTD civ. 2004. 347, obs. R. Perrot image ; 16 déc. 2016, n° 15-26.083, Dalloz actualité 10 janv. 2017, obs. F. Mélin ; D. 2017. 141 image, note C. Bléry image ; ibid. 422, obs. N. Fricero image ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero image ; JCP 2017. 106, note D. Cholet). En revanche, lorsque le CME ne clôture ni ne fixe, un faux temps mort s’installe où l’affaire est « à fixer » : le couperet de la péremption s’abat alors doucement mais sûrement (Civ. 2e, 16 déc. 2016, n° 15-27.917, préc.).

Du temps de cette jurisprudence, les avocats rivalisaient d’inventivité pour tenter d’interrompre la péremption. Les praticiens communiquaient à qui mieux mieux sur leurs pratiques respectives, globalement inefficaces car une diligence inutile n’interrompt ni ne suspend le délai de péremption, en particulier lorsqu’elle est la réplique d’une diligence antérieure et qu’elle a donc pour seul but d’interrompre le délai de péremption (Civ. 3e, 28 févr. 1990, n° 88-11.574 ; v. néanmoins, Civ. 2e, 11 févr. 2018, n° 16-17.618, qui paraît avaliser la pratique d’une nouvelle demande de fixation). Au vrai, rien ne semblait pouvoir arrêter la chute du couperet de la péremption, sauf l’intervention salvatrice de l’ordonnance de clôture et fixation tant espérée.

Quatre affaires se présentent à la Cour de cassation de configuration similaire. Appel d’un jugement est relevé, qui suit le circuit ordinaire avec mise en état. Chaque...

  

 SYMBOLE GRIS