Sanctions pécuniaires et non pécuniaires : pourvoi en cassation [I]versus[/I] exécution provisoire des jugements
Le nombre considérable d’études consacrées à l’analyse des liens entre le droit des entreprises en difficulté et la procédure civile témoigne de l’appétence de la doctrine pour les interactions entre ces deux branches du droit. En la matière, la jurisprudence met en lumière des problématiques récurrentes d’ordre procédural au sein du contentieux des procédures collectives. À n’en pas douter, l’arrêt ici rapporté suscitera la réflexion et ne manquera pas d’attiser la flamme, déjà vive, des difficultés liées aux aspects procéduraux de la matière.
En l’espèce, par un jugement du 13 février 2018, un dirigeant et une société holding luxembourgeoise sont condamnés à supporter solidairement une partie de l’insuffisance d’actif d’une société en liquidation judiciaire. En outre, il a été prononcé à l’encontre du dirigeant une mesure d’interdiction de gérer. Ce dernier et la société holding ont interjeté appel et ont sollicité l’arrêt de l’exécution provisoire du jugement de condamnation. Las, par une première ordonnance, le premier président de la cour d’appel va rejeter la demande d’arrêt de l’exécution provisoire et par une seconde ordonnance, rectifier la première, en ajoutant la mention du « curateur » de la société holding luxembourgeoise en sa qualité d’intervenant volontaire.
Le dirigeant condamné et le curateur se pourvoient en cassation contre ces deux ordonnances.
La réponse de la Cour de cassation revêt les habits d’un principe et mérite, à ce titre, d’être retranscrite au sein de ce commentaire.
Pour la Haute juridiction, l’article R. 661-1 du code de commerce « n’ouvrant pas, par une disposition spéciale, la voie du recours en cassation contre la décision d’un premier président de cour d’appel saisi d’une demande tendant à arrêter l’exécution provisoire facultative d’un jugement rendu en matière de responsabilité pour insuffisance d’actif et de faillite personnelle ou d’interdiction de gérer, il y a lieu [conformément à l’art. R. 662-1, 1°, c. com.], d’appliquer l’article 525-2 du code de procédure civile, selon lequel les décisions arrêtant ou refusant d’arrêter l’exécution provisoire ne peuvent, en droit commun, faire l’objet d’un pourvoi. Il en est, par conséquent, de même de celles qui rectifieraient une erreur matérielle affectant de telles décisions. Il n’est fait exception à l’interdiction du recours en cassation qu’en cas d’excès de pouvoir ».
Ainsi, en relevant que les demandeurs n’invoquent aucun excès de pouvoir, la Cour de cassation en déduit que les pourvois sont irrecevables.
Cette irrecevabilité concerne tant le pourvoi portant sur l’ordonnance rectifiée, que celui exercé sur l’ordonnance rectificative.
L’irrecevabilité du pourvoi portant sur l’ordonnance rectifiée
L’arrêt ici rapporté mérite l’approbation, bien que sa lecture ne soit pas aisée du fait du renvoi à un nombre conséquent de textes. À ce stade de l’analyse, nous nous concentrerons sur l’irrecevabilité du pourvoi portant sur l’ordonnance rectifiée.
Le premier texte visé par l’arrêt est l’article R. 661-1 du code de commerce dans sa rédaction applicable aux faits de l’espèce, c’est-à-dire celle antérieure au décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 entré en vigueur le 1er janvier 2020.
Cet article prévoit que les jugements et ordonnances rendus en matière de procédure collective sont exécutoires de plein droit à titre provisoire. Par exception, le deuxième alinéa du texte prévoit notamment que les jugements et ordonnances rendus en matière de responsabilité pour insuffisance d’actif (C. com., art. L. 651-2) et de faillite personnelle ou d’interdiction de gérer (C. com., art. L. 653-8) ne sont pas exécutoires de plein droit à titre provisoire. Pour que ces jugements produisent un tel effet, le juge doit l’ordonner.
En l’espèce, les jugements de condamnation en responsabilité pour insuffisance d’actif et en interdiction de gérer étaient effectivement assortis de l’exécution provisoire et les demandeurs en sollicitaient l’arrêt sur le fondement du troisième alinéa de l’article R. 661-1 du code de commerce.
Ce passage de l’article est important pour la compréhension de l’argumentation des demandeurs au pourvoi.
Ce texte prévoit que le premier président de la cour d’appel, statuant en référé, ne peut arrêter l’exécution provisoire que lorsque les moyens à l’appui de l’appel paraissent sérieux (C. com., art. R. 661-1, al. 3 – par ex., Com. 5 févr. 2008, n° 07-15.011, Bull. civ. IV, n° 29 ; D. 2008. 607 , obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés 2008. 426, note P. Roussel Galle ). Cet article déroge expressément au droit commun de la procédure civile dans sa version applicable aux faits de l’espèce. En effet, l’article 524 du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, prévoyait que l’arrêt de l’exécution provisoire d’un jugement ne peut être ordonné que par le premier président de la cour d’appel et lorsque l’exécution provisoire risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives (Comp. : depuis le 1er janvier 2020, C. pr. civ., art. 514-3 : « en cas d’appel, le premier président peut être saisi afin d’arrêter l’exécution provisoire de la décision lorsqu’il existe un moyen sérieux d’annulation ou de réformation et que l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives »).
Toujours en droit commun, l’article 525-2 du code de procédure civile dans sa rédaction antérieure au décret du 11 décembre 2019 dispose que lorsque le premier président de la cour d’appel est saisi aux fins d’arrêter ou d’ordonner l’exécution provisoire d’un jugement (C. pr. civ., art. 524, 525, et 525-1), sa décision est insusceptible de pourvoi (ce texte est devenu l’art. 514-6 depuis le 1er janv. 2020).
Bien que l’arrêt ne le précise pas, nous pouvons, à partir de ces dispositions, deviner l’argumentation des demandeurs. Pour ces derniers, la recevabilité à exercer le pourvoi était acquise dans la mesure où le principe (à l’époque) édicté à l’article 525-2 du code de procédure civile, fermant la voie du pourvoi en cassation, ne s’appliquait pas aux décisions du premier président de la cour d’appel prises sur le fondement de l’article R. 661-1 du code de commerce, mais serait limité aux décisions relevant de l’ancien article 524 du code de procédure civile.
Partant, en poussant plus loin l’analyse, la Cour de cassation devait régler la question de savoir si la dérogation prévue à l’article R. 661-1, écartant le jeu de l’article 524 du code de procédure civile, était limitée aux seules conditions de fond de la décision prononçant l’exécution provisoire ou si elle s’étendait également au recours dont peut faire l’objet cette décision.
Or, en affirmant que la décision refusant d’arrêter l’exécution provisoire d’un jugement rendu en matière de responsabilité pour insuffisance d’actif et d’interdiction de gérer ne peut pas faire l’objet d’un pourvoi sauf en cas d’excès de pouvoir, la Cour de cassation a opté, à raison, d’une part, pour l’application du droit commun de la procédure civile, et d’autre part, pour la limitation de la dérogation de l’article R. 661-1 aux conditions de fond de la décision prononçant l’exécution provisoire.
Cette solution doit être pleinement approuvée.
D’abord, la Haute juridiction cantonne la dérogation prévue à l’article R. 661-1 du code de commerce aux seules conditions de fond de l’arrêt de l’exécution provisoire : si le code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure au décret du 11 décembre 2019, exigeait la preuve des conséquences manifestement excessives, le code de commerce requiert des moyens sérieux à l’appui de l’appel. En la matière, à défaut de précisions, les règles du droit des entreprises en difficulté n’influent donc pas sur les voies de recours du droit commun.
Ensuite et à ce propos, rappelons que l’article R. 662-1, 1°, du code de commerce prévoit qu’à moins qu’il n’en soit disposé autrement les règles du code de procédure civile sont applicables aux aspects procéduraux du droit des entreprises en difficulté.
Or, l’articulation de ce texte avec la lettre de l’ancien article 525-2 du code de procédure civile est décisive. Si en l’espèce les règles du droit commun ont trouvé à s’appliquer, c’est que les dispositions du droit des entreprises en difficulté ne règlent pas spécifiquement la situation du recours ouvert pour la décision prise dans le cadre du troisième alinéa de l’article R. 661-1 du code de commerce.
Dès lors, s’agissant spécialement des voies de recours statuant sur la demande d’arrêt de l’exécution provisoire, la Cour, en constatant que le livre VI du code de commerce ne contenait aucune disposition spéciale, a appliqué les règles du code de procédure civile par le renvoi prévu à l’article R. 662-1, 1°, du code de commerce afin de conclure à l’irrecevabilité du pourvoi en cassation (C. pr. civ., art. 525-2).
Par conséquent, l’irrecevabilité du pourvoi portant sur l’ordonnance rectifiée est tout à fait logique et, de surcroît, en accord avec la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation ayant déjà affirmé que le droit commun de la procédure civile s’appliquait pour des décisions qui n’étaient pas visées au sein des dispositions spéciales du livre VI du code de commerce régissant les voies de recours (Com. 5 mai 2004, n° 01-16.758, Bull. civ. IV, n° 83 ; D. 2004. 1734, et les obs. ; RTD com. 2004. 612, obs. J.-L. Vallens - C. com., art. L. 661-1 s.).
La logique mise en œuvre par l’arrêt sous commentaire permet ensuite à la haute juridiction de se prononcer sur la recevabilité du pourvoi portant sur l’ordonnance rectificative.
L’irrecevabilité du pourvoi portant sur l’ordonnance rectificative
Comme le pourvoi portant sur l’ordonnance rectifiée, celui ayant pour objet l’ordonnance rectificative est également irrecevable.
Pour aboutir à une telle conclusion, la Cour de cassation mobilise, d’une part, les mêmes arguments que pour la première ordonnance en y associant, d’autre part, le régime de la rectification des décisions.
En la matière, l’article 462 du code de procédure civile prévoit que les erreurs et omissions matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l’a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande. Surtout, le dernier alinéa du texte précité prévoit que si la décision est passée en force de chose jugée, elle ne peut être attaquée que par la voie du recours en cassation.
Pourtant, comme pour le pourvoi portant sur l’ordonnance rectifiée, celui ayant pour objet l’ordonnance rectificative est également jugé irrecevable.
Ici encore, cette irrecevabilité est tout à fait justifiée.
En effet, il est de jurisprudence constante que si la décision rectifiée est insusceptible de pourvoi, il doit en aller de même concernant la décision rectificative (par ex., Soc. 13 oct. 1993, n° 90-44.911, Bull. civ. V, n° 229).
Pour conclure, cet arrêt permet de contredire l’idée répandue selon laquelle le droit des entreprises en difficulté serait absolument dérogatoire au droit commun de la procédure… En l’occurrence, les règles se complètent et l’arrêt ici rapporté en témoigne !