Signification par procès-verbal de recherches infructueuses à la dernière adresse connue
La notification participe à la réalisation des droits de la défense et au respect du procès équitable. C’est pour cela qu’elle fait l’objet de toutes les attentions. C’est particulièrement visible avec la signification, le pouvoir réglementaire ayant institué divers modes de signification, hiérarchisés entre eux, afin de réunir toutes les chances de toucher effectivement le destinataire de l’acte. Ainsi, l’huissier de justice doit privilégier la signification à personne. Si cela n’est pas possible, la signification est faite au domicile du destinataire, et à défaut de domicile connu, à sa résidence. La copie de l’acte est alors remise à toute personne présente et l’acceptant. Si l’huissier ne trouve personne au domicile ou à la résidence ou que personne ne veut recevoir l’acte, mais que l’adresse est certaine, l’huissier de justice conserve l’acte à son étude. Une difficulté se pose alors quand la personne à qui l’acte doit être signifié n’a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus. « Il faut néanmoins que l’acte puisse être notifié d’une façon ou d’une autre, sinon ce serait favoriser la fuite des défendeurs » (J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, 7e éd., 2019, LGDJ, coll. « Domat droit privé », spéc. n° 178, p. 156). L’article 659 du code de procédure civile prévoit que l’huissier de justice doit alors dresser un procès-verbal de recherches infructueuses dans lequel il relate avec précisions les diligences qu’il a entreprises pour trouver le destinataire de l’acte. Le même jour ou, au plus tard, le premier jour ouvrable suivant, l’huissier de justice envoie au destinataire, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, une copie du procès-verbal à laquelle est jointe une copie de l’acte, objet de la signification (C. pr. civ., art. 659, al. 2). Cet envoi doit se faire à la dernière adresse connue et se double de l’information du destinataire, par lettre simple, de l’accomplissement de cette formalité. Dans un arrêt du 2 juillet 2020 (pourvoi n° 19-14.893), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation se prononce sur le sort de la signification d’un acte selon les modalités de l’article 659 en un lieu autre que la dernière adresse connue.
Le litige opposait une société de crédit à une cliente. La société de crédit lui fit signifier un commandement à fin de saisie-vente sur le fondement du jugement d’un tribunal d’instance. L’emprunteuse saisit alors le juge de l’exécution pour demander la nullité du commandement en raison l’irrégularité de la signification du titre exécutoire ayant fondé la saisie (Pau, 2e ch., 1re sect., 30 avr. 2018, n° 16/03793). Le juge de l’exécution l’ayant débouté de sa demande, l’emprunteuse fit appel et la cour d’appel confirma le jugement. L’emprunteuse se pourvoit en cassation. Elle estime qu’avant d’établir un procès-verbal de recherches infructueuses prévu à l’article 659 du code de procédure civile, l’huissier doit s’assurer du dernier domicile connu du destinataire de l’acte et se présenter à ce dernier domicile connu. En l’espèce, il s’était rendu à une adresse qui n’était pas la dernière connue et y avait signifié le jugement. La Cour de cassation suit ce raisonnement puisqu’elle énonce que les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard de l’article 659 du code de procédure civile. Elle en profite pour préciser que « la signification d’un acte selon les modalités de l’article 659 du code de procédure civile en un lieu autre que la dernière adresse connue ne vaut pas notification ».
Cette affirmation renvoie à l’inexistence juridique de l’acte, ce qui peut surprendre pour deux raisons. Premièrement, il est expressément énoncé à l’article 693 du code de procédure civile que ce qui est prescrit à l’article 659 est observé à peine de nullité. En réalité, ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation fait fi, dans l’application de ce texte, de la nullité et de son régime, pour lui préférer l’inexistence. En effet, des juridictions du fond avaient refusé de prononcer la nullité d’une signification selon les modalités de l’article 659 en un lieu autre que la dernière adresse connue, en raison de l’absence de grief ou de préjudice. Il est vrai que l’on peut s’interroger sur l’importance de l’erreur de l’adresse, dans le cadre d’une signification par procès-verbal de recherches infructueuses car, quoi qu’il en soit, l’adresse n’est pas ou n’est plus celle du destinataire. La Cour de cassation ne partagea pas cette analyse. Elle cassa les arrêts, énonçant que « la notification d’un acte en un lieu autre que l’un de ceux qui sont prévus par la loi ne vaut pas notification » (Civ. 2e, 9 déc. 1997, n° 96-11.488 ; 16 déc. 2004, n° 03-11.510, D. 2005. 166 ). Mais, et c’est la seconde raison pour laquelle la décision du 2 juillet 2020 est surprenante, depuis un arrêt de chambre mixte du 7 juillet 2006 (RTD civ. 2006. 820, obs. R. Perrot ; JCP 2006. II. 10146, note Putman ; JCP 2006. I. 183, n° 12, obs. Serinet ; Procédures 2006, n° 200, obs. R. Perrot ; Dr. et patr. 2007. 118, obs. Amrani-Mekki), la Cour de cassation semblait avoir renoncé à utiliser la notion d’inexistence concernant les actes de procédure, les soumettant au seul régime des nullités. L’arrêt du 2 juillet 2020 démontre que ce n’est pas le cas en matière de notification, comme le faisaient pressentir certains arrêts (Civ. 2e, 15 janv. 2009, n° 07-20.472, Bull. civ. II, n° 18 ; D. 2009. 378 ; ibid. 757, chron. J.-M. Sommer et C. Nicoletis ; ibid. 2010. 169, obs. N. Fricero ; Dr. et proc. 2009. 157, obs. Douchy-Oudot ; Procédures 2009, n° 78, obs. R. Perrot ; Civ. 3e, 11 juill. 2019. n° 18-16.981, AJDI 2019. 722 ). Elle utilise ainsi l’inexistence pour surmonter l’inaptitude du régime de la nullité à priver d’efficacité une signification qu’elle estime entachée d’une grave irrégularité (Rép. pr. civ., v° Nullité, par L. Mayer, n° 71). Cela appelle deux remarques.
Premièrement, c’est bien la signification qui est privée de valeur. La formule utilisée en 1997 et en 2004 était sujette à interprétation en raison du double sens du terme « notification ». Associée « au lieu prévu par la loi » – la loi devant être entendue lato sensu – et après le visa de l’article 659, il était tentant de penser que la notification dont il était question visait uniquement celle de l’alinéa 2, le seul à prévoir expressément un lieu, au sens de notification en la forme ordinaire (C. pr. civ., art. 627). Ainsi, seul l’envoi au destinataire de l’acte par LRAR d’une copie du procès-verbal en un lieu autre que la dernière adresse connue serait privé d’existence. La signification elle-même, réalisée par l’établissement d’un procès-verbal prévu à l’alinéa 1 de l’article 659 (S. Guichard [dir.], Droit et pratique de la procédure civile. Droit interne et européen, 9e éd, Dalloz action, 2017/2018, spéc. n° 161-137 ; J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, op. cit.), ne serait pas nécessairement viciée. L’arrêt du 2 juillet 2020 invalide cette interprétation. Supprimant la référence à la loi, il affirme expressément que c’est bien la signification en un lieu autre que la dernière adresse connue qui ne vaut pas notification. Le terme « notification » utilisé en 1997 et 2004 devait s’entendre dans son acception large définie à l’article 651 du code de procédure civile.
Deuxièmement, le lieu de la signification, non expressément mentionné à l’alinéa 1, se trouve précisé et élevé au rang d’élément essentiel. L’établissement du procès-verbal, lui-même, doit se faire à la dernière adresse connue, ce qui est une évidence quand l’huissier de justice se montre diligent. C’est en se rendant à l’adresse qu’il aura trouvée comme étant la dernière connue afin de procéder à une signification à personne ou au pire à domicile, qu’il s’apercevra que cette adresse n’est plus celle du destinataire et qu’il dressera un procès-verbal de recherches infructueuses. Et il est essentiel que ce soit la dernière adresse connue car, si infime que soit la chance de toucher le destinataire de l’acte, elle existe à cette dernière adresse – suivi de courrier par les services de la poste ou par le nouvel occupant – et elle doit être saisie. La Cour de cassation fait ainsi sien « le souci quasiment obsessionnel, quoique parfaitement légitime, qu’a le pouvoir réglementaire de ménager au maximum les intérêts d’un destinataire introuvable » (J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, op. cit.).