Sort du contredit contre une décision déclarant irrecevable la saisine d’une juridiction de proximité
Alors que la doctrine et les professionnels du droit s’essoufflent dans l’exercice délicat de compréhension des nouvelles réformes de la procédure civile (sur chacun des éléments de cette réforme, v. Dalloz actualité, dossier Réforme de la procédure civile, 20 janv. 2020, reprenant les articles thématiques publiés au mois de décembre 2019 ; adde, pour un aperçu d’ensemble, S. Amrani-Mekki, Nouvelles réformes de la procédure civile. Vous avez dit simplification ?, JCP 2020. 75 ; N. Fricero, Tout ce que vous voulez savoir sur la réforme de la procédure civile sans oser le demander, Procédures 2020. Étude 1), la Cour de cassation vient rappeler à nos bons souvenirs des institutions que l’on croyait oubliées. Ce voyage dans un passé – pas si lointain – est l’occasion, pour elle, de rappeler ce que doit être la nature de la sanction de l’emploi d’un acte introductif d’instance à la place d’un autre : l’irrecevabilité de la saisine de la juridiction. Toutefois, cette constance ne doit pas dissuader le lecteur de questionner l’opportunité de cette qualification.
Une solution classique
Le temps est ici celui où la justice de proximité s’incarnait encore dans une juridiction et des juges distincts (sur cette disparition, v., parmi d’autres, S. Guinchard, A. Varinard et T. Debard, Institutions juridictionnelles, 15e éd., Dalloz, 2019). La juridiction de proximité connaissait, en matière civile, des actions personnelles ou mobilières jusqu’à la valeur de 4 000 € en dernier ressort ainsi que, à charge d’appel, des demandes indéterminées qui ont pour origine l’exécution d’une obligation dont le montant n’excède pas 4 000 € (COJ, art. L. 231-3 ancien). Lorsque le montant de la demande n’excédait pas cette somme, la juridiction pouvait être saisie par une déclaration au greffe (C. pr. civ., art. 843, al. 1er ancien).
En l’espèce, c’est précisément par ce mode de saisine qu’un justiciable a sollicité la convocation d’un juge de proximité devant la juridiction de proximité de Versailles. Il souhaite le voir condamner à lui payer la somme de 315 000 € à titre principal pour faute détachable de son service. S’estimant confronté à une « difficulté juridique sérieuse », le juge de proximité a renvoyé le dossier au juge d’instance (C. pr. civ., art. 847-4 ancien). À l’audience, le justiciable a modifié sa demande en sollicitant uniquement la reconnaissance de la faute détachable du service de la partie adverse, faisant d’elle une demande indéterminée. Par un jugement du 30 mai 2017, le tribunal d’instance a déclaré irrecevable la saisine de la juridiction de proximité par voie de déclaration au greffe. Dénonçant l’aptitude de cette juridiction à exercer son pouvoir de juger de préférence à une autre juridiction, le justiciable a formé un contredit (depuis le 1er septembre 2017, cette voie de recours a laissé place à un appel particulier : sur cette réforme de « simplification » du règlement des incidents de compétence, v., parmi d’autres, L. Mayer, Le nouvel appel du jugement sur la compétence, Gaz. Pal. 25 juill. 2017, p. 71, n° 1 ; J.-L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, 4e éd., 2018, LexisNexis, nos 520 s. ; D. d’Ambra, Droit et pratique de l’appel, 3e éd., 2018, Dalloz, spéc. n° 234.31 ; C. Laporte, Appel du jugement sur la compétence : un nouveau jour fixe imposé, Procédures 2017. Étude 29). Au terme d’une argumentation pour le moins confuse, il demande le renvoi des parties devant la Cour de cassation (sic).
Pour déclarer ce contredit irrecevable, les juges de la cour d’appel rappellent que la saisine de la juridiction de proximité par déclaration au greffe ne peut s’opérer que pour les demandes dont le montant n’excède pas 4 000 € (C. pr. civ., art. 843, al. 1er ancien). Or tel n’est pas le cas en l’espèce puisque la demande est indéterminée (v. déjà, refusant ce mode de saisine du juge de proximité pour une demande indéterminée, Civ. 1re, 26 janv. 2016, n° 14-29.117 P, Dalloz actualité, 11 févr. 2016, obs. M. Kebir ; D. 2016. 320 ; Gaz. Pal. 17 mai 2016, p. 61, obs. L. Raschel ; Procédures 2016, n° 84, note Y. Strickler). Sans surprise, le justiciable forme alors un pourvoi en cassation en formulant deux moyens distincts. Premièrement, il critique la nature de la sanction retenue par les juges du fond. Lorsque la demande excède le taux de compétence, la juridiction ne pourrait que se déclarer incompétente par une décision relevant du contredit. En conséquence, c’est à tort que les juges ont déclaré la saisine irrecevable, et non porté celle-ci devant la juridiction compétente. Deuxièmement, il reproche aux juges d’avoir déclaré le contredit irrecevable au motif que cette voie de recours aurait été supprimée par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, alors que les dispositions nouvelles moins avantageuses relatives à une voie de recours ne devraient s’appliquer qu’aux recours formés après la date de leur entrée en vigueur.
Si, en l’espèce, le contredit n’était pas encore devenu un vestige du passé en ce que la décision objet du recours avait été rendue avant le 1er septembre 2017 (décr. n° 2017-891, art. 53, disposant que cette voie n’est plus permise pour les décisions rendues à compter du 1er sept. 2017), la Cour de cassation n’en a pas moins confirmé la nature de la sanction. La raison de cette confirmation est simple. Le contredit a été dirigé « contre un jugement d’une juridiction ayant, non pas statué sur la question de sa compétence, mais déclaré irrecevable sa saisine par une déclaration au greffe ». En d’autres termes, cette voie de recours exclusivement destinée à trancher les questions de compétence a été improprement employée puisqu’il n’existait pas de problème de compétence.
Finalement, le justiciable voit son initiative processuelle irrémédiablement condamnée en raison de l’emploi d’un acte introductif d’instance à la place d’un autre. L’acte existe bel et bien, mais il n’est pas celui qui aurait dû être fait. À vrai dire, la solution est classique. Parmi les arrêts qui traitent de cette violation de la légalité procédurale, un grand nombre concernait l’hypothèse du plaideur qui n’avait pas adressé l’acte de procédure au destinataire désigné par le code de procédure civile. C’est notamment le cas de la déclaration d’appel adressée au greffe de la cour d’appel alors qu’elle aurait dû l’être au greffe de la juridiction qui a rendu la décision attaquée. À vrai dire, la nature de la sanction n’a jamais vraiment fait de doute. À l’exception d’un arrêt où la nullité avait été implicitement retenue (Civ. 2e, 9 mai 1985, n° 83-15.986 P, D. 1985. IR 467, obs. P. Julien), les différentes chambres de la Cour de cassation ont systématiquement sanctionné cette irrégularité par l’irrecevabilité de l’appel interjeté (Civ. 2e, 15 oct. 1980, n° 78-13.288 P, Gaz. Pal. 1981. I. 29, note J. Viatte ; RTD civ. 1981. 687, obs. J. Normand ; Soc. 9 mars 1989, n° 87-16.095 P ; Civ. 2e, 29 mars 1995, n° 93-13.849 P ; 22 oct. 1997, n° 94-15.305 P, D. 1997. 245 ). Si la teneur de l’irrégularité s’est depuis renversée (C. pr. civ., art. 932 ; exception faite de l’appel contre les décisions du juge des tutelles et les délibérations du conseil de famille, art. 1242), la haute juridiction continue à la sanctionner ainsi (v. not. Civ. 2e, 17 déc. 2009, n° 07-44.302 P, D. 2010. 99 ; ibid. 532, chron. J.-M. Sommer, L. Leroy-Gissinger, H. Adida-Canac et S. Grignon Dumoulin ; JCP S 2010. 1192. note A. Martinon ; Procédures 2010. n° 34. note R. Perrot). Plus récemment, on a pu voir se multiplier d’autres exemples de défaut de saisine régulière. Ils ont été l’occasion pour la Cour de cassation de réaffirmer la nature de la sanction. Ainsi, elle a jugé irrecevable l’appel du jugement d’orientation lorsque l’appelant a appliqué la procédure ordinaire, et non la procédure à jour fixe (Civ. 2e, 22 févr. 2012, n° 10-24.410 P, Dalloz actualité, 6 mars 2012, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2012. 690 ; Procédures 2012. n° 146. note R. Perrot ; ibid. Focus. 31. obs. C. Laporte ; ibid. Chron. 1. n° 19, obs. A. Leborgne ; Gaz. Pal. 15 mai 2012, p. 13, obs. C. Brenner ; RDBF 2012, n° 94. note S. Piédelièvre ; 25 sept. 2014, n° 13-19.000 P, Dalloz actualité, 7 oct. 2014, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2014. 1945 ; ibid. 2015. 1339, obs. A. Leborgne ; RTD civ. 2015. 194, obs. N. Cayrol ). De même, elle a jugé irrecevable l’appel interjeté par la voie électronique dans une matière où son recours n’est pas autorisé (Civ. 2e, 10 nov. 2016, n° 14-25.631 P, Dalloz actualité, 6 déc. 2016, obs. R. Laffly ; D. 2016. 2502 , note C. Bléry ; ibid. 2017. 422, obs. N. Fricero ; ibid. 605, chron. E. de Leiris, N. Palle, G. Hénon, N. Touati et O. Becuwe ; AJDI 2017. 94, étude S. Gilbert ; Procédures 2017, n° 1, note H. Croze ; 6 sept. 2018, n° 17-20.047 P, Dalloz actualité, 14 sept. 2018, obs. C. Bléry ; JCP G 2018. 1174. note G. Gerbay ; Gaz. Pal. 27 nov. 2018, p. 76, obs. H. Herman). En définitive, qu’importe l’irrégularité de la saisine constatée (pour une énumération exhaustive de ces cas, v. C. Bléry, « Sanction des règles de formation des actes de procédure », in S. Guinchard [dir.], Droit et pratique de la procédure civile. Droit interne et européen 2017/2018, 9e éd., Dalloz, 2016, p. 583 s., spéc. n° 162.15, p. 587 s.), la haute juridiction la sanctionne par une irrecevabilité (cependant de très rares arrêts préfèrent la sanction de nullité pour vice de forme ; pour un exemple récent, v. Civ. 1re, 15 mai 2019, n° 17-20.072 NP, Gaz. Pal. 23 juill. 2019, p. 56, obs. C. Bléry). À terme, on peut espérer que la généralisation de la communication par voie électronique (sur son champ d’application, v. E. de Leiris, Rép. pr. civ., v° Communication électronique, nos 10 s.) et l’unification des modes de saisine (sur les changements apportés par le décr. n° 2019-1333, 11 déc. 2019, Dalloz actualité, 19 déc. 2019, obs. M.-P. Mourre-Schreiber ; S. Amrani-Mekki, Nouvelles réformes de la procédure civile. Vous avez dit simplification ?, art. préc., spéc. n° 15) contribuent à réduire les risques de commettre de telles violations de la légalité procédurale.
Appréciation critique
Ici, la Cour de cassation élève l’emploi de la bonne forme de l’acte au rang de condition de recevabilité de l’action en justice. Or on ne peut raisonnablement défendre son rattachement aux autres conditions de recevabilité « par nature » (sur la distinction entre les conditions de recevabilité « par nature » et « par destination », v. E. Putman, « Un mot du droit dans le contexte du code de procédure civile : la recevabilité », in I. Pétel-Teyssié et C. Puigelier [dir.], Quarantième anniversaire du Code de procédure civile (1975-2015), 2016, éd. Panthéon-Assas, p. 191 s., spéc. nos 5 s., p. 193 s.). Le droit d’agir ne devrait pas dépendre de la forme de l’acte par laquelle il s’exprime. Mais alors, quelle autre sanction procédurale retenir ?
Pour certains auteurs (D. Tomasin, Remarques sur la nullité des actes de procédure, art. préc., spéc. p. 873 ; J. Normand, Les excroissances des fins de non-recevoir, RTD civ. 1981. 684 s., spéc. p. 687-688), la sanction d’inexistence aurait été bien plus respectueuse de la logique procédurale. En effet, dès lors que l’acte accompli n’est pas celui légalement requis, il doit être considéré comme juridiquement inopérant. En cela, il est privé d’existence juridique ! Pour d’autres, au contraire, « aucun acte juridique, au sens plein de ce terme, n’a été omis, puisqu’une manifestation de volonté a bien été émise. Seule la forme empruntée a fait l’objet d’une substitution. À partir du moment où l’acte accompli dans une autre forme que la forme requise possède tous les éléments constitutifs de l’acte juridique, il n’est pas objectivement inexistant (L. Mayer, Actes du procès et théorie de l’acte juridique, IRJS, 2007, n° 356, p. 383). En réalité, puisqu’il s’agit plutôt de sanctionner le non-respect d’une condition d’extériorisation de la volonté de l’auteur de l’acte, la nullité pour irrégularité de forme paraît être une sanction plus respectueuse de la logique juridique.
Malheureusement, l’emploi d’un mode de saisine déterminé n’a pas toujours à voir avec l’organisation de la défense des parties. Dans ces hypothèses, la démonstration d’un grief se trouverait alors compromise, rendant l’application de cette sanction totalement impossible (C. pr. civ., art. 114). À ce titre, le temps ne serait-il pas venu d’interroger l’application systématique de la règle du grief… ?