Une partie peut s’opposer à ce que le juge statue sans audience, même si elle est privée du droit de conclure !

L’intimé dont les conclusions sont déclarées irrecevables peut-il s’opposer à ce que le juge statue sans audience en application de l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, modifiée par l’ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020 ?

C’est à cette question, portée pour la première fois devant la Cour de cassation, qu’a répondu la deuxième chambre civile dans un arrêt du 16 décembre 2021.

Les faits ne méritent pas un long rappel. Une société a été condamnée par le conseil de prud’hommes de Mâcon à payer diverses sommes à un ancien de ses salariés au titre d’une clause de non-concurrence et d’une indemnité compensatrice de congés payés. Devant la cour d’appel de Dijon, les choses ont cependant pris une mauvaise tournure pour le salarié : faute d’avoir déposé ses conclusions dans le délai de l’article 909 du code de procédure civile, celles-ci ont été déclarées irrecevables. Et puis, à l’orée du printemps 2020, sont arrivées la covid-19 et une kyrielle d’ordonnances. L’article 8 de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété, modifié par l’ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020 a ainsi permis au juge ou au président de la formation de jugement, lorsque la représentation est obligatoire ou que les parties sont assistées ou représentées par un avocat, de décider que la procédure se déroule « sans audience » dès lors que les parties ne s’y opposent pas (encore que, dans certaines procédures d’« urgence », aucune opposition ne soit possible). C’est ce que la cour d’appel dijonnaise a décidé de faire et, comme l’intimé avait été déclaré irrecevables en ses conclusions, elle a cru bon de passer outre son opposition dès lors qu’il ne pouvait plus faire valoir aucun moyen de défense. En somme, l’intimé étant privé du droit de conclure, l’audience ne présentait plus d’intérêt pour lui…

Cette analyse est censurée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation qui relève que chaque partie dispose d’un « droit à un débat oral ». Pour fonder l’existence de ce droit, la Cour de cassation rappelle, d’une part, que s’il relève du pouvoir discrétionnaire du juge d’accepter ou de refuser le renvoi, à une audience ultérieure, d’une affaire en état d’être plaidée, encore faut-il toutefois que les parties aient été mises en mesure d’exercer leur droit à un débat oral (Cass., ass. plén., 24 nov. 1989, n° 88-18.188 P, D. 1990. 25 image, concl. J. Cabannes image ; ibid. 429, note P. Julien image ; Dr. soc. 1990. 558, obs. Y. Desdevises image ; RTD civ. 1990. 145, obs. R. Perrot image ; v. égal. Civ. 3e, 10 sept. 2020, n° 19-12.653, inédit ; Com. 24 mai 2017, n° 15-15.547, inédit ; 27 mars 2007, n° 05-21.401, inédit) et, d’autre part, que le Conseil constitutionnel a décidé que l’organisation d’une audience devant les juridictions civiles sociales et commerciales constitue « une garantie légale des exigences constitutionnelles des droits de la défense et du droit à un procès équitable » (Cons. const. 19 nov. 2020, n° 2020-866 QPC, § 14, D. 2020. 2297 image ; ibid. 2021. 499, obs. M. Douchy-Oudot image ; ibid. 1308, obs. E. Debaets et N. Jacquinot image). La Cour de cassation en déduit que c’est à tort que la cour d’appel a décidé de passer outre l’opposition de l’intimé. Même si celui-ci a été privé du droit de conclure par application de l’article 909 du code de procédure civile, il n’en a pas moins conservé le droit de s’opposer à ce que la procédure se poursuive sans audience. C’est dire, en filigrane, que l’audience...

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