Véhicules diesel et contrôle des émissions en oxyde d’azote (NOx): la CJUE ouvre la porte aux actions en résolution

Fin de partie pour les constructeurs ayant équipé leurs véhicules de logiciels permettant de diminuer l’efficacité du système de contrôle des émissions en oxyde d’azote (NOx) durant la majeure partie de l’année et lors de températures habituelles. La Cour de justice de l’Union vient de rendre trois arrêts sur renvois préjudiciels (CJUE 14 juill. 2022, aff. C-128/20, GSMB Invest. ; aff. C-134/20, Volkswagen et aff. C-145/20, Porsche Inter Auto et Volkswagen) venant qualifier cette pratique de dispositif d’invalidation interdit et en tirant les conséquences juridiques qui s’imposent. Ces trois décisions se ressemblent sur plusieurs aspects, la différence venant essentiellement des parties à la procédure, à savoir plusieurs grands groupes automobiles ayant installé ce type de logiciel sur leurs véhicules diesel. La question au cœur de ces arrêts repose sur l’interprétation de l’article 5, § 2, du règlement (CE) n° 715/2007 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2007 d’une part. Ce règlement concerne la réception des véhicules à moteur au sujet de leurs émissions notamment. D’autre part, l’interrogation repose également sur l’article 2, § 2, sous d) et de l’article 3, § 6, de la directive 1999/44/CE du 25 mai 1999 sur des aspects de la vente et des garanties des biens de consommation. Plus précisément était en jeu la qualification de défaut de conformité en la matière quand un véhicule présente un tel système illicite. Nous commenterons dans le présent article l’arrêt C-145/20 mais les remarques sont transposables aux arrêts C-128/20 et C-134/20 tous trois regroupés dans le même communiqué de presse de la Cour de justice de l’Union européenne.

Reprenons les faits pour comprendre comment le litige est né devant les juridictions nationales concernées. Le 21 décembre 2013, un consommateur achète un véhicule de marque Volkswagen équipé d’un moteur diesel de génération 5 auprès de Porsche Inter Auto, une concession automobile indépendante de Volkswagen. Ce véhicule est équipé d’un logiciel qui fait fonctionner le système de recyclage des gaz d’échappement selon deux modes : un uniquement activé au cours du test d’homologation et l’autre activé en conditions de conduite réelle. Il ressort de l’arrêt que l’office fédéral pour la circulation des véhicules à moteur n’avait pas connaissance d’un tel système de commutation et qu’il n’aurait pas réceptionné ce type de véhicule s’il en avait eu connaissance. L’acquéreur, quant à lui, aurait tout de même acheté le véhicule en cause même informé de ce système de commutation. Par une décision du 15 octobre 2015, l’office allemand a ordonné à Volkswagen de retirer le système de commutation afin de rétablir la conformité de ce type de moteur. Le 15 février 2017, l’acquéreur procède à la mise à jour du logiciel sur son véhicule : cette dernière remplace le système de commutation par une programmation en vertu de laquelle le mode réduisant les émissions s’active en cas d’utilisation du véhicule sur route. Mais ce recyclage des gaz d’échappement n’était pleinement efficace que lorsque la température se situait dans une fenêtre précise entre 15 et 33 degrés Celsius.

L’acquéreur décide de former un recours devant le Landesgericht Linz (le tribunal régional de Linz) afin de solliciter le remboursement du prix d’achat du véhicule en cause. À titre subsidiaire, il sollicite la réduction du prix du véhicule et à titre encore plus subsidiaire, des dommages-intérêts en raison de la présence d’un dispositif d’invalidation illicite au sens de l’article 5, § 2, du règlement n° 715/2007 évoqué précédemment. Par un jugement du 12 décembre 2018, il en est débouté purement et simplement. Par arrêt du 4 avril 2019, l’Oberlandesgericht Linz (le tribunal régional supérieur de Linz) confirme le jugement entrepris. L’acquéreur déçu introduit donc un ultime recours devant l’Oberster Gerichtshof (la Cour suprême d’Autriche). Il s’agit d’un pourvoi en révision contre l’arrêt attaqué. L’acquéreur argue que le système de commutation constituait un dispositif d’invalidation illicite. La mise à jour du logiciel n’aurait pas remédié à ce défaut et le véhicule courrait donc le risque de perdre de sa valeur et de subir des dommages. C’est devant cette juridiction que les questions préjudicielles se sont cristallisées. La juridiction nationale s’interroge, en effet, sur la présence d’un défaut de conformité et sur la réalité du dispositif d’invalidation illicite au sens du règlement de 2007 et de ses exceptions.

Pour le confort de nos lecteurs, nous reproduirons les trois questions posées dans l’arrêt C-145/20 :

1) Convient-il d’interpréter l’article 2, paragraphe 2, sous d), de la directive [1999/44] en ce sens qu’un véhicule à moteur[,] qui relève du champ d’application du [règl. n° 715/2007,] présente la qualité habituelle d’un bien de même type à laquelle le consommateur peut raisonnablement s’attendre[,] si ce véhicule est équipé d’un dispositif d’invalidation illicite au sens de l’article 3, point 10, et de l’article 5, paragraphe 2, du règlement n° 715/2007, mais que le type de véhicule est néanmoins couvert par une réception CE par type en vigueur et que le véhicule peut par conséquent être utilisé sur la route ?

2) Convient-il d’interpréter l’article 5, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 715/2007 en ce sens que peut être licite en application dudit article un dispositif d’invalidation[,] au sens de l’article 3, point 10, [de ce] règlement, qui est conçu de telle manière que, en dehors des essais en conditions de laboratoire, et donc en conditions de conduite réelles, le recyclage des gaz d’échappement ne fonctionne pleinement que si la température extérieure se situe [dans la fenêtre de températures], ou bien l’application de la disposition dérogatoire précitée est-elle en tout état de cause exclue du seul fait que la pleine efficacité du système de recyclage des gaz d’échappement est ainsi limitée à des conditions qui, sur une partie du territoire de l’Union, ne règnent qu’environ six mois par an ?

3) Convient-il d’interpréter l’article 3, paragraphe 6, de la directive 1999/44/CE en ce sens qu’un défaut de conformité consistant en la présence, dans le véhicule, d’un dispositif d’invalidation illicite en vertu de l’article 3, point 10, du règlement n° 715/2007[,] appliqué conjointement avec l’article 5, paragraphe 2, de ce règlement, est à qualifier de mineur[,] au sens de ladite disposition[,] si, à supposer qu’il eût connaissance de l’existence et du fonctionnement dudit dispositif, l’acheteur aurait néanmoins acheté le véhicule ?

Nous analyserons les réponses données point par point dans la suite de cet article.

Sur la nature du dispositif en question

Les deux premières questions préjudicielles concernent la qualification du logiciel de commutation au sens du règlement de 2007.

La première question fait l’objet d’une réponse aux paragraphes nos 46 à 58 de la décision commentée. Le point central de ce passage reste probablement au n° 54 où la Cour de justice de l’Union européenne énonce que « lorsqu’il acquiert un véhicule appartenant à la série d’un type de véhicule réceptionné, et, partant, accompagné d’un certificat de conformité, un consommateur peut raisonnablement s’attendre à ce que le règlement n° 715/2007 et, notamment, l’article 5 de celui-ci, soit respecté s’agissant de ce véhicule, et cela même en l’absence de clauses contractuelles spécifiques » (nous soulignons). Solution empreinte de bon sens et de respect des règles européennes, il faut noter que cette motivation répondant à cette première question préjudicielle n’était pas bien difficile à prévoir. Un véhicule qui n’est pas conforme aux exigences de l’article 5 du règlement n° 715/2007 ne présenterait pas la qualité et les prestations habituelles auxquelles le consommateur peut raisonnablement s’attendre au sens de l’article 2, § 2, sous d) de la directive de 1999 sur le défaut de conformité. Le consommateur attend, en effet, un véhicule respectant les normes d’émission en oxyde d’azote (NOx). Aux paragraphes nos 56 et 57, la Cour de justice règle une question connexe, celle de l’indifférence que le véhicule soit couvert par un certain type de réception lui permettant d’être utilisé sur la route. En tout état de cause, l’office fédéral allemand pour la circulation des véhicules n’aurait pas procédé à la réception en cause de ce type de véhicule s’il avait eu connaissance du système illicite de commutation comme nous l’avons rappelé précédemment. Voici donc résolue la première question, assez fort simplement il faut bien le dire mais de manière très efficace.

Il faut considérer que lorsqu’un véhicule est équipé d’un dispositif d’invalidation dont l’utilisation est interdite, ledit véhicule ne présente pas la qualité habituelle des biens de même type à laquelle le consommateur peut raisonnablement s’attendre. Nous l’aurons compris : la situation deviendra rapidement épineuse pour les sociétés automobiles concernées qui peuvent légitimement s’attendre à un fort contentieux en raison de ces logiciels de commutation illicites.

La deuxième question intéresse une donnée factuelle évoquée précédemment, celle de la fenêtre de température (entre 15 et 33 degrés pour que le logiciel puisse fonctionner). Sur une partie du territoire de l’Union et pendant une période de l’année, la température est en effet inférieure à 15° et parfois supérieure à 33° rendant le logiciel moins efficace. Si l’article 5, § 2, du règlement n° 715/2007 précise que l’utilisation de dispositif d’invalidation réduisant l’efficacité des systèmes de contrôle des émissions est interdite, il existe plusieurs exceptions à cette interdiction notamment quand le besoin du dispositif se justifie en termes de protection du moteur. La Cour de justice s’appuie sur l’avis de l’avocat général notamment aux paragraphes nos 62 et 69 pour déconstruire la difficulté. Le gouvernement allemand, Porsche Inter Auto et Volkswagen faisaient valoir que le dispositif d’invalidation était, en réalité, justifié quand des températures trop basses et trop élevées avaient cours. Dans cette situation, des dépôts peuvent se former notamment sur la vanne EGR et provoquer une panne et dégrader le moteur voire induire un incendie du véhicule entier. Pour éviter des pertes de puissance du moteur, le constructeur avait donc utilisé le dispositif d’invalidation d’émission pour prévenir ce risque selon les moyens développés. L’argumentation soulevée ne vient pas convaincre la Cour de justice de l’Union qui rappelle l’interprétation stricte des exceptions aux dispositifs d’invalidation (n° 75 de l’arrêt). Le raisonnement est légaliste, à ce titre, quand la Cour rappelle que l’exception n’est prévue que pour des situations en termes de protection du moteur et pour le fonctionnement en toute sécurité du véhicule ; ces conditions sont, en effet, cumulatives comme le rappelle l’arrêt. Il conviendra à la juridiction de renvoi de se pencher sur l’application de l’exception à ce titre mais les choses semblent, sur ce point, ne pas être évidentes à démontrer. La Cour finit par rappeler, pour répondre aux conclusions du gouvernement allemand, de Porsche Inter Auto et de Volkswagen qu’un tel système d’invalidation peut être licite si et seulement si aucune autre solution ne permet d’éviter des risques immédiats. On notera la référence à un arrêt récent sur cette deuxième question préjudicielle aux paragraphes nos 61, 64 et 65 de l’arrêt (CJUE 17 déc. 2020, aff. C-693/18, RTD eur. 2021. 220, obs. P. Thieffry image ; communiqué de presse disponible ici).

Cette question, plus technique, trouve une réponse simple : ne peut relever de l’exception prévue à l’article 5, §,2, et donc de l’exception à l’illicéité des dispositifs d’invalidation un tel dispositif qui dans des conditions normales de circulation fonctionne durant la majeure partie de l’année. Le communiqué de presse note avec l’arrêt qu’admettre un tel dispositif aurait pour effet de porter « une atteinte disproportionnée au principe même de la limitation des émissions d’oxyde d’azote ».

La seconde partie de la décision s’interroge sur les droits du consommateur acquéreur dudit véhicule.

Sur les conséquences en droit de la consommation

La troisième question s’intéresse au défaut de conformité qui consiste en la présence d’un tel dispositif d’invalidation illicite au sens du règlement n° 715/2007. Plus précisément, il tend à se questionner sur la qualification de « mineur » d’un tel défaut. À titre préliminaire, le raisonnement prend appui sur l’article 2, § 3, de la directive 1999/44/CE qui précise que le défaut de conformité est réputé ne pas exister si au moment de la conclusion du contrat, le consommateur connaissait ou ne pouvait pas légitimement ignorer ce défaut. Mais ici, l’arrêt vient justement rappeler que le consommateur ne connaissait pas le défaut et ne pouvait pas raisonnablement le connaître comme nous l’avons mentionné dans l’exposé des faits.

La question du caractère mineur du défaut de conformité est plus épineuse. La simple admission par le consommateur qu’il aurait acquis le véhicule même en connaissance d’un tel défaut n’est pas suffisante pour démontrer une telle qualification (n° 85 de l’arrêt). La solution est heureuse car la décision contraire reviendrait à purement et simplement admettre que beaucoup de défauts de conformité revêtent cette qualité au moindre aveu judiciaire de l’acquéreur. L’arrêt doit donc interpréter la directive 1999/44/CE pour détecter si un tel défaut peut être mineur. La première remarque qui s’impose est simple : il n’existe aucune définition du défaut de conformité mineur dans la législation européenne considérée. L’arrêt en arrive donc à une interprétation littérale issue du lexique commun : est mineur « un défaut de conformité de faible importance ». La Cour rappelle que la résolution du contrat ne peut être, en tout état de cause, demandée que lorsque le défaut de conformité présente une importance suffisante.

Or, dans la situation de l’espèce, la présence d’un dispositif d’invalidation illicite implique que le véhicule ne respecte pas les valeurs limites d’émission en oxyde d’azote. L’arrêt rappelle au paragraphe n° 95 toute l’importance de la lutte contre les émissions d’oxyde d’azote (NOx) des véhicules à diesel. Par conséquent, un tel logiciel réduisant l’efficacité du système de contrôle des émissions ne peut pas permettre une qualification de défaut de conformité seulement mineure. La résolution du contrat peut donc, en principe, être demandée comme le note le communiqué de presse relatif aux trois arrêts. C’est une décision sévère mais logique eu égard aux règles de droit de la consommation.

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Voici donc un arrêt répondant à ces trois questions de manière parfaitement pédagogique. Les 98 paragraphes construisent une solution cohérente qui vient sonner le glas de ces pratiques illicites visant pour les constructeurs automobiles à commercialiser des véhicules ne respectant pas les dispositions européennes en termes d’émission d’oxyde d’azote (NOx). Le risque pour ces constructeurs reste maintenant celui que nous avons évoqué dans le commentaire, celui d’un contentieux massif en résolution des ventes conclues eu égard à l’importance du défaut de conformité. Le nombre de véhicules diesel vendu chaque année n’étant pas négligeable, ces constructeurs devront faire face à des actions en résolution ces prochaines années. Affaire à suivre !

  

 SYMBOLE GRIS