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Vers un renvoi préjudiciel pour mieux dessiner l’office du juge en droit de la consommation

Par deux avis rendus le même jour à propos de deux affaires similaires et pendantes devant la Cour d’appel de Paris, la première chambre civile de la Cour de cassation a pu s’interroger sur les contours de l’office du juge en droit de la consommation. À titre liminaire, notons l’originalité : au lieu de répondre directement aux questions posées, la Cour de cassation est d’avis de renvoyer les interrogations à titre préjudiciel à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) par le jeu de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. En ce sens, la procédure d’avis de l’article L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire peut avoir des limites notamment quand il est question d’interprétation uniforme de la norme d’origine communautaire. Les deux affaires devant la Cour d’appel de Paris partagent les mêmes traits caractéristiques. Une société consent des prêts personnels remboursables par mensualités le 7 janvier 2011 à une première personne physique (première affaire) ainsi qu’à un couple le 5 novembre 2011 (seconde affaire). La société assigne en paiement les emprunteurs défaillants après des mensualités impayées. En première instance, le juge soulève d’office le moyen visant à annuler le contrat sur le fondement de l’article L. 312-25 du code de la consommation car les fonds auraient été versés moins de sept jours après l’acceptation du prêt. Dans les deux cas, la société de financement interjette appel en arguant que seul le consommateur peut soulever la disposition protectrice prise en vertu d’un ordre public de protection. Elle faisait également valoir la prescription quinquennale de cette demande en vertu de l’article L. 110-4 du code de commerce. Le 14 juin 2021, la Cour d’appel de Paris a indiqué qu’elle comptait solliciter l’avis de la Cour de cassation. Après avoir recueilli les observations des parties, ainsi que l’avis favorable du ministère public, les juges du fond rappellent le principe selon lequel « en application de l’article L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire, avant de statuer sur une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, les juridictions de l’ordre judiciaire peuvent, par une décision non susceptible de recours, solliciter l’avis de la Cour de cassation ». C’est dans ce contexte qu’interviennent les deux avis rendus par la première chambre civile de la Cour de cassation le 21 octobre 2021.

Pour plus de clarté, voici les deux questions posées par la Cour d’appel de Paris sur le fondement de l’article L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire :

« Question n° 1 : Au regard des articles L. 141-4 devenu R. 632-1 du code de la consommation, 6 du code civil, L. 110-4 du code de commerce et de la lecture par la Cour de justice de l’Union européenne de la directive n° 2008/48/CE du 23 avril 2008 relative au rôle du juge dans le respect des dispositions d’un ordre public économique européen, le juge peut-il soulever d’office la nullité d’un contrat de crédit à la consommation, notamment en application de l’article L. 312-25 du code de la consommation, au-delà de l’expiration du délai quinquennal de prescription opposable à une partie ? »

« Question n° 2 : Au regard des articles L. 141-4 devenu R. 632-1 du code de la consommation, 6 du code civil, L. 110-4 du code de commerce, 4 et 5 du code de procédure civile et de la lecture par la Cour de justice de l’Union européenne de la directive n° 2008/48/CE du 23 avril 2008 relative au rôle du juge dans le respect des dispositions d’un ordre public économique européen, le juge peut-il prononcer la nullité d’un contrat de crédit à la consommation, notamment en application de l’article L. 312-25 du code de la consommation, en l’absence de toute demande d’annulation émanant de l’une des parties ? »

La réponse est commune aux deux avis, la Cour de cassation considérant que « les questions doivent être soumises par la juridiction saisie du litige à la Cour de justice de l’Union européenne en application de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ». Il convient ainsi de revenir non seulement sur la confrontation des droits applicables mais également sur l’opportunité du renvoi préjudiciel que pourra réaliser la Cour d’appel de Paris.

Sur la confrontation entre le droit interne et le droit de l’Union

La Cour de cassation commence par rappeler les dispositions en vigueur, permettant utilement de positionner le problème des deux avis dont elle est saisie. La discussion se porte sur une question relative à l’office du juge en matière de nullité d’un contrat de prêt. C’est ainsi que la Cour de cassation rappelle l’article 14 de la directive n° 2008/48/CE du 23 avril 2008 qui institue le délai de rétractation (art. 14) et sa sanction qui doit être « effective, proportionnée et dissuasive » (art. 23). On sait que la jurisprudence interprète de manière très sévère la combinaison de ces deux textes notamment en imposant au juge de relever d’office ce contrôle de l’information du consommateur (CJUE 21 avr. 2016, Radlinger et Radlingerova, aff. C-377/14, cité par les deux avis, n° 4, D. 2016. 1744 image, note H. Aubry image ; ibid. 2017. 539, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image). Mais c’est surtout le rappel de l’arrêt du 5 mars 2020 qui explique le doute qui a probablement nourri la Cour d’appel de Paris et qui justifie certainement la transmission de ces questions pour avis à la Cour de cassation (CJUE 5 mars 2020, OPR Finance s.r.o, aff. C-679/18, D. 2020. 537 image ; ibid. 2021. 594, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; Rev. prat. rec. 2020. 29, chron. V. Valette-Ercole image ; ibid. 35, chron. K. De La Asuncion Planes image). En décidant que les mesures protectrices du droit de la consommation doivent être relevées d’office, la CJUE a probablement ouvert une brèche qui sera difficile à contenir sur les pouvoirs d’office du juge. On aurait d’ailleurs pu à ce stade, imaginer une question préjudicielle posée directement, sans passer par la procédure d’avis. Sur le droit national, la Cour de cassation rappelle logiquement les dispositions applicables à la matière transposant la directive précitée en citant par conséquent l’article L. 311-17 ancien puis L. 311-4 devenu L. 312-25 du code de la consommation sur le délai de sept jours rendant impossible toute délivrance des fonds par le prêteur de deniers.

On notera le passage fort procédural du paragraphe 12 (pour l’avis n° 21-70.015) et du paragraphe 11 (pour l’avis n° 21-70.016) qui insiste sur les principes gouvernant la procédure civile en droit français : conduite du procès, principe-dispositif, principe du contradictoire et incidence des moyens relevés d’office qui doivent être présentés aux parties au préalable pour recueillir leurs observations. Cette difficulté concernant les moyens relevés d’office a d’ailleurs fait l’objet d’un arrêt récent publié au très sélectif Rapport annuel de la Cour de cassation que nous avons commenté dans ces colonnes il y a peu (Civ. 2e, 14 oct. 2021, n° 19-11.758 FS-B+R, Dalloz actualité, 20 oct. 2021, obs. C. Hélaine). Tout ceci résulte de la lecture très extensive, au moins depuis l’arrêt Pannon (CJCE 4 juin 2009, aff. C-243/08, D. 2009. 2312 image, note G. Poissonnier image ; ibid. 2010. 169, obs. N. Fricero image ; ibid. 790, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; Rev. prat. rec. 2020. 17, chron. A. Raynouard image ; RTD civ. 2009. 684, obs. P. Remy-Corlay image ; RTD com. 2009. 794, obs. D. Legeais image), de l’office du juge en matière de droit de la consommation (S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chainais et L. Mayer, Procédure civile, 35e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, p. 474, n° 591). À ce titre, on ne peut que comprendre les juges du fond qui n’hésitent plus à relever d’office les moyens protecteurs en droit de la consommation à la suite de cet enchevêtrement d’arrêts.

Comme le note M. Pellier, il existe une « spécificité du processus contractuel en matière de crédit à la consommation » (J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2021, p. 341, n° 187), spécificité que partage le droit de la consommation dans sa conception de l’office du juge. Le renvoi préjudiciel vise à peut-être clarifier les données du problème en cas de prescription par voie d’action.

Sur l’opportunité d’un renvoi préjudiciel

D’une manière originale, la Cour de cassation ne répond pas aux questions posées par la demande d’avis et opte pour une réponse plus prudente en conseillant un renvoi préjudiciel. Pour en motiver l’intérêt, la Haute juridiction précise qu’en vertu du principe d’effectivité « l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union ne saurait être rendu impossible en pratique ou excessivement difficile par des dispositions nationales et qu’un tel délai n’est pas susceptible de faire obstacle aux pouvoirs conférés au juge afin de protéger le consommateur » (nous soulignons). Voici un semblant de réponse qui pourrait aboutir à justifier la position du premier juge qui s’est affranchi de la prescription de l’action qu’aurait pu utiliser le consommateur dans l’affaire qui lui était soumise. Mais, il faut bien l’avouer, ceci implique de réduire la prescription à peu de choses et à conférer aux moyens soulevés d’office une portée bien plus importante, dépassant encore les jurisprudences récentes sur le sujet. Faut-il franchir ce cap ? Nous pouvons en douter.

L’opportunité d’un renvoi préjudiciel peut interroger, également. N’est-ce pas là ajouter un segment judiciaire supplémentaire pour les plaideurs, lesquels sont pris dans un procès au long cours ayant débuté en 2017 pour un prêt impayé ? N’aurait-il pas été plus simple pour la Cour de cassation de poser directement la question préjudicielle ? Sur le plan du droit, rien ne semble empêcher dans l’article L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire d’opérer de la sorte mais la solution aurait été inédite. La position retenue – celle de laisser la Cour d’appel de Paris renvoyer elle-même la question – a pour mérite de ne pas prendre de risque en laissant faire les juges du fond encore saisis. Le résultat reste, toutefois, assez similaire puisqu’aucune réponse tranchée n’est apportée pour l’heure ni dans l’avis n° 21-70.015, ni dans l’avis n° 21-70.016, en conseillant d’opérer un renvoi préjudiciel. À ce titre, notons le vocabulaire employé en utilisant l’expression « doivent être soumises » (un impératif) et non « devraient être soumises » (un conseil) comme on aurait pu s’y attendre dans une procédure d’avis.

À la différence des avis de l’article L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire, les arrêts répondant à un renvoi préjudiciel ont une portée plus rigide liant les juridictions nationales par leur interprétation des textes de l’Union. Quelle solution attendre en cas de renvoi effectif devant la CJUE des questions posées ? La réponse est difficile. La Cour de cassation cite à juste titre l’arrêt Asturcom (CJCE 6 oct. 2009, aff. C-40/08, D. 2009. 2548 image ; ibid. 2959, obs. T. Clay image ; ibid. 2010. 790, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; RTD civ. 2009. 684, obs. P. Remy-Corlay image ; RTD eur. 2010. 113, chron. L. Coutron image ; ibid. 695, chron. C. Aubert de Vincelles image) qui précise que les délais de prescription ne rendent pas impossibles l’exercice des droits conférés par « l’ordre juridique communautaire ». Ceci pourrait signer une réponse négative aux deux questions posées en empêchant le juge de soulever d’office le moyen prescrit pour le consommateur. Toutefois, la prudence ordonne la nuance : la Cour de justice opte pour une lecture extensive de l’office du juge en droit de la consommation rendant la solution complexe à prévoir. Affaire à suivre.  

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