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Saisie immobilière, procédure de surendettement et office du JEX

En matière de saisie immobilière, lorsque la décision de recevabilité de la commission de surendettement intervient avant que le jugement d’orientation ne soit rendu, le juge de l’exécution, saisi d’une demande de constatation de la suspension de la procédure, n’a pas, à cette occasion, à procéder aux vérifications relatives à la créance ni à en fixer le montant.

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Au confluent de la procédure civile et de l’hospitalisation sans consentement : [I]bis repetita[/I]

La Cour de cassation rappelle, encore une fois, la distinction de droit judiciaire privé bien connue entre défense au fond et exception de procédure. En précisant que l’absence de transmission d’un avis médical au greffe de la cour d’appel est une défense au fond, ce moyen peut être invoqué en tout état de cause. Encourt donc la cassation pour violation de la loi, l’ordonnance du premier président de la cour d’appel écartant ce moyen car non invoqué in limine litis. Le croisement entre procédure civile et majeur vulnérable appelle plusieurs observations sur cet arrêt promis à publication. 

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Au confluent de la procédure civile et de l’hospitalisation sans consentement : [I]bis repetita[/I]

Décidément, la distinction entre l’exception de procédure et la défense au fond continue de passionner la Cour de cassation dans le contentieux de l’hospitalisation sans consentement. La solution étudiée ici reste toutefois sensiblement similaire à une décision rendue en décembre 2019 (Civ. 1re, 19 déc. 2019, n° 19-22.946, Dalloz actualité, 27 janv. 2020, obs. C. Hélaine). Mais la différence notable avec cet arrêt consiste dans le contenu de cette défense au fond. Cette fois-ci, il s’agit de la transmission défectueuse des documents au greffe de la cour d’appel qui était en jeu. À titre incident, rappelons également que le pourvoi dirigé contre le directeur de l’établissement est rejeté. Ce dernier reste simplement avisé de la procédure. C’est une solution bien connue qui n’appelle que peu de précisions. Le directeur de l’établissement a un rôle de contrôle et d’initiative dans la prolongation éventuelle de la mesure d’hospitalisation sans consentement. L’intérêt de la décision étudiée est ailleurs, précisément sur la confluence entre droit des personnes et procédure civile. En l’espèce, une personne est admise en soins psychiatriques sans consentement sur la demande de sa fille sur le fondement de l’article L. 3212-1 du code de la santé publique. L’intéressée fuit l’établissement quelques jours plus tard. La directrice de ce dernier sollicite la prolongation de la mesure. Le juge de la liberté et des détentions (JLD) refuse : il n’y avait pas assez d’éléments factuels plaidant pour sa continuité. La lecture de l’arrêt d’appel permet de comprendre la motivation du JLD : « qu’il ne peut être établi que sont réunies les deux conditions du consentement impossible et surtout de la constatation médicale actualisée d’un état mental imposant des soins immédiats assortis d’une surveillance médicale constante, justifiant une hospitalisation complète dans un établissement mentionné à l’article L. 3222-1 du code de la santé publique ». Le Procureur de la République interjette appel de l’ordonnance refusant le maintien de l’hospitalisation. L’avocat de l’intéressée soulève une irrégularité de la procédure – une absence de transmission au greffe de la cour d’appel d’une pièce importante, le certificat médical. La cour d’appel refuse de se pencher sur la question, la prétention n’ayant pas été soulevée in limine litis. Ce faisant, elle analysait ce moyen comme une exception de procédure. Le premier président de la cour d’appel prolonge alors la mesure d’hospitalisation sans consentement. L’intéressée se pourvoit alors en cassation. Devant la Cour de cassation, c’est sur le moment où a été soulevé le moyen que le travail de l’avocat de la personne hospitalisée se concentre. Mais la Haute juridiction ne l’entend pas de cette oreille. En relevant d’office le moyen sur le fondement de l’article 1015 du code de procédure civile, la Cour de cassation continue à mener son œuvre de précision de la distinction entre défense au fond et exception de procédure. Elle précise donc que le moyen tenant à l’absence de transmission au greffe de la cour d’appel de cet avis médical n’est pas une exception de procédure invocable in limine litis mais bien une défense au fond qui peut être présentée en tout état de cause. La cassation pour violation de la loi intervient pour confirmer l’importance d’une telle solution.

La défense au fond et l’exception de procédure présentent des similitudes, certes, mais leur distinction est fondamentale en procédure civile (S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chainais et L. Mayer, Procédure civile, 34e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, p. 283, n° 363). On connaît que trop bien l’intérêt de bien les séparer dans le régime juridique de chaque qualification : la défense au fond est invocable « en tout état de cause » et l’exception de procédure l’est seulement in limine litis, soit avant toute défense au fond. À l’instar du moyen tiré de la nullité du certificat médical (Civ. 1re, 19 déc. 2019, n° 19-22.946, préc.), l’absence de transmission de l’avis du médecin au greffe de la cour d’appel interpelle sur l’hésitation dans la qualification du moyen la relevant. Si le résultat balance du côté de la défense au fond, c’est à notre sens pour deux raisons majeures. D’une part, une raison procédurale. L’absence de transmission de cette pièce intéresse le fond du dossier et non seulement une question de procédure. L’avis médical permet d’éclairer sur la poursuite de la mesure que le premier président peut ou non prononcer. En l’espèce, l’avis était indispensable puisque le JLD avait refusé le prolongement de la mesure alors que le premier président l’ordonnait in fine. Ainsi, on retrouve bien ce qui constitue le point commun de toutes les défenses au fond : attaquer de front la prétention adverse (v. Rép. pr. civ., v° Défenses, exceptions, fins de non-recevoir, par I. Pétel-Teyssié, n° 10). Distinguer les deux notions reste toutefois très délicat. La porosité entre les concepts invite à une prudence importante en la matière. D’autre part, la Cour de cassation tend à mieux délimiter la temporalité des moyens dans cette procédure particulière et assez rapide étant donnée la privation de liberté qu’elle emporte sans le consentement de la personne. Cette chronologie reste bien dessinée à l’aide de cette distinction procédurale puisque la défense au fond peut être invoquée à toute étape du procès ; ce qui la distingue singulièrement de l’exception de procédure. On reconnaît alors l’utilité d’avoir soulevé d’office le moyen car les parties n’invoquaient pas cette distinction en se concentrant sur une argumentation – peut-être non vaine – portant sur le moment de la présentation du moyen valablement in limine litis pour l’avocat de l’intéressée.

Bien évidemment, la solution rappelle des souvenirs sur la solution de décembre 2019. En préférant la qualification de défense au fond à celle d’exception de procédure, la Haute juridiction facilite encore plus la défense de l’intéressée. En résulte une grande souplesse dans les qualifications juridiques. Cette souplesse peut être contestée. Mais ici, la procédure civile a pour rôle de rétablir le juste curseur entre les droits de l’intéressé et la protection de l’ordre public (sur ce point, v. M. Primevert, Le contrôle du juge sur les soins psychiatriques sans consentement, JCP 2013. 625). Solution conforme à l’esprit de la réforme des mesures d’hospitalisation, il faudra toutefois probablement éviter encore de détricoter la notion d’exception de procédure. La confirmation de la décision du 19 décembre 2019 invite à se demander qu’est-ce qui constitue réellement une telle exception au profit de la défense au fond ; toute puissante dans ce contentieux très particulier.

Saisie immobilière, procédure de surendettement et office du JEX

En matière de saisie immobilière, lorsque la décision de recevabilité de la commission de surendettement intervient avant que le jugement d’orientation ne soit rendu, le juge de l’exécution, saisi d’une demande de constatation de la suspension de la procédure, n’a pas, à cette occasion, à procéder aux vérifications relatives à la créance ni à en fixer le montant.

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Justice et intelligence artificielle, préparer demain - épisode I

Regards croisés d’une juriste et d’un mathématicien.

Ce dossier, proposé par Laurence Pécaut-Rivolier, conseillère à la Cour de cassation, et Stéphane Robin, directeur de recherche à l’INRA, a été séparé en trois épisodes.

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Droit d’auteur : location de véhicules équipés de postes de radio et communication au public

Par un arrêt très attendu, la Cour de justice de l’Union européenne juge que la location de véhicules automobiles équipés de postes de radio ne constitue pas une « communication au public » au sens des articles 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE et 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115/CE.

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Transmission d’une QPC au Conseil constitutionnel au sujet de l’hospitalisation sans consentement

Voici un renvoi devant le Conseil constitutionnel bien singulier mais attendu. La transmission de cette question prioritaire de constitutionnalité fait écho à la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 sur les mesures d’hospitalisation sans consentement. La situation présente beaucoup d’intérêt pour la matière car si le texte est déclaré inconstitutionnel, une réforme s’imposera dans une matière très délicate tant l’ordre public et sa protection doivent être constamment balancées avec le maintien fondamental des droits des personnes internées sans consentement. L’affaire présentait peu d’originalité comme dans chaque cas porté devant la Cour de cassation à ce sujet. En l’espèce, une personne est admise dans un établissement hospitalier sans consentement avec internement complet à la demande d’un tiers sur le fondement de l’article L. 3212-3 du code de la santé publique. La semaine suivante, le directeur de l’établissement accueillant la personne concernée demande le prolongement de la mesure. Il saisit donc le juge des libertés et de la détention (JLD) à cette fin. L’intéressé soulève une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au sujet de l’article L. 3222-5-2 du code de la santé publique que le JLD transmet alors à la Cour de cassation. Cet article prévoit dans son alinéa 2 : « Un registre est tenu dans chaque établissement de santé autorisé en psychiatrie et désigné par le directeur général de l’agence régionale de santé pour assurer des soins psychiatriques sans consentement en application du I de l’article L. 3222-1. Pour chaque mesure d’isolement ou de contention, ce registre mentionne le nom du psychiatre ayant décidé cette mesure, sa date et son heure, sa durée et le nom des professionnels de santé l’ayant surveillée. Le registre, qui peut être établi sous forme numérique, doit être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires ». Devant la Haute juridiction, on retrouve alors une précision utile : c’est notamment l’interprétation jurisprudentielle de l’article qui pose des difficultés. Dans un arrêt remarqué (Civ. 1re, 21 nov. 2019, n° 19-20.513, Dalloz actualité, 16 déc. 2019, obs. V.-O. Dervieux), la Cour de cassation avait précisé que « [qu’]aucun texte n’impose la production devant le juge des libertés et de la détention du registre prévu à l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique consignant les mesures d’isolement et de contention, lesquelles constituent des modalités de soins ». Une distinction subtile entre mesure de soins et procédure d’hospitalisation sans consentement justifiait la solution. C’est de cette absence du contrôle systématique du juge qui peut interférer avec l’article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958.

Comme le note la doctrine (Rép. pr. civ., v° QPC, par G. Deharo, n° 70), trois conditions doivent être réunies pour transmettre une QPC au Conseil constitutionnel. D’abord, la disposition contestée doit être applicable au litige ou servir de fondement aux poursuites. C’est bien le cas ici de l’intéressée puisque le litige intéresse la poursuite d’une mesure de soins psychiatriques sans consentement à l’égard d’une personne placée à l’isolement. Ainsi, l’article L. 3222-5-2 du code de la santé publique est au cœur de l’affaire qui a introduit la QPC. Ensuite, la disposition ne doit pas avoir été déjà déclarée conforme par le Conseil constitutionnel. On sait que le processus de réforme a été long et la décision n° 2015-727 DC du 21 janvier 2016 était muette sur la conformité de l’article L. 3222-5-2 du code de la santé publique. Le Conseil peut l’analyser a posteriori car la décision de contrôle ne portait pas sur cette partie du texte. Enfin, il faut que la question présente un caractère sérieux. C’est ici le point crucial : en rejetant un contrôle systématique du juge des registres de l’article L. 3222-5-2 du code de la santé publique, la disposition pourrait heurter l’article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958. L’autorité judiciaire est garante des libertés individuelles et cette mesure pourrait nécessiter un contrôle systématique du juge. Or, dans sa décision du 21 novembre 2019, la Cour de cassation précise que « les mesures d’isolement et de contention constituent des modalités de soins ne relevant pas de l’office du juge des libertés et de la détention, qui s’attache à la seule procédure de soins psychiatriques sans consentement pour en contrôler la régularité et le bien-fondé. En conséquence, est inopérant le grief tenant au défaut de production devant le JLD de copies du registre consignant ces mesures en application de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique ». Il en résulte que le contrôle du juge échappe aux mesures d’isolement et de contention car elles sont analysées comme des mesures de soins et non comme une partie de la procédure.

Renvoyée devant le Conseil constitutionnel, la QPC intéresse grandement la matière de l’hospitalisation sans consentement. On connaît notamment les difficultés des textes antérieurs à la réforme de 2016 qui avaient fait l’objet de plusieurs questions prioritaires dont la décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010 (AJDA 2011. 174 image, note X. Bioy image ; ibid. 2010. 2284 image ; D. 2011. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay image ; ibid. 2565, obs. A. Laude image ; RFDA 2011. 951, étude A. Pena image ; RDSS 2011. 304, note O. Renaudie image ; Constitutions 2011. 108, obs. X. Bioy image ; RTD civ. 2011. 101, obs. J. Hauser image). En réalité, tout revient à savoir si ces mesures d’isolement et de contention sont de réelles mesures de privation de libertés ou si leur lien avec une question ayant trait à la santé empêche de les considérer ainsi. Le Conseil constitutionnel devra se saisir de cette délicate interrogation mais plusieurs pistes sont envisageables. L’une d’entre-elles consiste à redonner au JLD une possibilité de contrôle plus large en y voyant bien une privation de la liberté d’un individu. Comme le note élégamment Madame la procureure adjointe Valérie-Odile Dervieux (obs. préc.), il s’agit d’un « magasin de porcelaine médicale ». L’auteur relevait d’ailleurs dans ces colonnes que le législateur s’interrogeait actuellement sur la pertinence de cette absence de contrôle du JLD (JO 22 nov. 2019 ; CGLPL, avis du 14 oct. 2019 relatif à la prise en charge des personnes détenues atteintes de troubles mentaux et réponse du ministre de la Justice). On sait que le Contrôleur général des lieux de privation des libertés (CGLPL) notait dans son avis du 14 octobre 2019 : « Les dispositions relatives à la responsabilité pénale dans les situations d’abolition ou d’altération du discernement mériteraient d’être réexaminée afin de mettre le juge en mesure de mieux appréhender la santé mentale des personnes prévenues ». Or, la transmission de ces registres et donc un contrôle systématique du JLD pourrait y parvenir. La QPC transmise le 5 mars 2020 risque de mettre un terme au débat plus rapidement que la discussion doctrinale et parlementaire qui a déjà débuté.

Transmission d’une QPC au Conseil constitutionnel au sujet de l’hospitalisation sans consentement

La Cour de cassation transmet au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité concernant l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique dans sa nouvelle configuration après la réforme de janvier 2016. La question présente un vif intérêt pour la matière mais également pour le rôle du JLD dans ce contentieux délicat.

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Notification des conclusions en appel : à fond la forme !

On ne le répétera jamais assez, pour maîtriser la procédure d’appel, l’avocat doit se départir de toute apparence de logique et raisonner froidement. C’est ce que fait d’ailleurs la deuxième chambre civile, qui applique avec rigueur les termes mêmes d’un article 911 du code de procédure civile (légèrement toiletté par le décret n°2017-891 du 6 mai 2017), sans égard à la déloyauté de l’avocat de l’intimé qui était pointée par l’avocat de l’appelant.

Une société relève appel d’un jugement du conseil de prud’hommes et remet le 30 juin 2017, dans son délai de trois mois imposé à peine de caducité par l’article 908 du code de procédure civile, ses conclusions au greffe. L’avocat de l’appelant les notifie alors à son confrère qui intervenait pour le salarié en première instance mais celui-ci ne constitue devant la cour d’appel que le 30 août 2017 et saisit le conseiller de la mise en état aux fins de caducité de la déclaration d’appel. Le conseiller de la mise en état retient la caducité faute de notification des conclusions à l’intimé non constitué et la cour d’appel de Paris, sur déféré, confirme l’ordonnance motif pris que l’appelant devait non seulement remettre ses conclusions au greffe dans le délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel, mais aussi les signifier dans le délai supplémentaire d’un mois prévu par l’article 911 du code de procédure civile à l’intimé non constitué. Pour la cour, l’attitude de l’avocat de l’intimé, critiquée par le conseil de l’appelante comme étant sciemment orchestrée, ne pouvait caractériser ni la force majeure, ni l’atteinte au procès équitable. Devant la Cour de cassation, la société, qui avait donc vu sa déclaration d’appel jugée caduque, s’emparait de la violation de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la mesure où le défaut de notification des conclusions à l’intimé constituerait une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge et, définitivement, du droit de former un appel principal. Il était encore soutenu que le but poursuivi par les textes consistant à obliger l’appelant à faire connaître rapidement ses moyens à la partie qui n’avait pas constitué avocat était atteint dès lors que l’avocat de l’intimé, même non constitué, avait reçu les conclusions dans le délai légal de trois mois et avait même téléchargé les pièces par un lien Wetransfer le 7 juillet 2017 de sorte que la sanction de caducité était disproportionnée au regard de l’article 6, § 1, précité. Enfin, il était reproché à l’arrêt de s’être borné à écarter la force majeure en mentionnant que l’appelante ne pouvait ignorer qu’elle n’avait pas reçu l’avis de constitution de son adversaire.

Au visa de l’article 911 du code de procédure civile, dans son nouveau style direct, la deuxième chambre civile juge que « L’appelant est mis en mesure de respecter cette exigence dès lors qu’il doit procéder à la signification de ses conclusions à l’intimé lui-même, sauf s’il a, préalablement à cette signification, été informé, par voie de notification entre avocats, de la constitution d’un avocat par l’intimé », ajoute que « La notification de conclusions à un avocat qui n’a pas été préalablement constitué dans l’instance d’appel est entachée d’une irrégularité de fond et ne répond pas à l’objectif légitime poursuivi par le texte, qui n’est pas seulement d’imposer à l’appelant de conclure avec célérité, mais aussi de garantir l’efficacité de la procédure et les droits de la défense, en mettant l’intimé en mesure de disposer de la totalité du temps imparti par l’article 909 du code de procédure civile pour conclure à son tour. Il en découle que la constitution ultérieure par l’intimé de l’avocat qui avait été destinataire des conclusions de l’appelant n’est pas de nature à remédier à cette irrégularité ». Et pour rejeter le pourvoi, la Cour de cassation en déduit ainsi : « Ayant, d’une part, relevé que l’appelante n’avait notifié ses conclusions dans le délai prévu par l’article 911 du code de procédure civile qu’à l’avocat qui avait assisté l’intimé en première instance et que l’appelante ne pouvait ignorer qu’elle n’avait pas reçu l’avis de constitution de son adversaire dans le cadre de l’instance devant la cour d’appel, faisant ainsi ressortir par cette considération que l’appelante ne s’était heurtée à aucun événement insurmontable, caractérisant un cas de force majeure, et, d’autre part, exactement retenu qu’il importait peu que l’intimé ait, postérieurement à la notification des conclusions, constitué l’avocat qui en avait été destinataire, c’est à bon droit, sans méconnaître les exigences du droit à un procès équitable, que la cour d’appel a constaté la caducité de la déclaration d’appel ».

L’article 911 impose, à peine de caducité de la déclaration d’appel, une notification des conclusions aux avocats des parties dans le délai de leur remise au greffe de la cour et offre un mois supplémentaire, à compter de l’expiration du délai de l’article 908 du code de procédure civile, pour les signifier à l’intimé non constitué. Les données du problème sont simples : soit l’avocat de l’intimé est constitué au jour de la notification des écritures de l’appelant au greffe et l’avocat de l’appelant doit, dans son délai de trois mois, les notifier à son confrère, soit l’intimé n’est pas constitué et il dispose alors du délai augmenté d’un mois à compter de l’expiration de son délai pour conclure pour les lui signifier par voie d’huissier. Dans les deux cas la sanction est identique : la caducité de la déclaration d’appel.

Mais il n’y a pas d’entre deux. Rien n’autorise l’avocat de l’appelant à notifier directement à son confrère ses conclusions à défaut de constitution, peu important le rôle qu’il a pu jouer en première instance voire, comme en l’espèce, en appel. Lorsque le texte vise une remise des conclusions à l’avocat de l’intimé « dans le délai de leur remise au greffe », cette exigence ne vaut qu’en présence d’une constitution de l’avocat de l’intimé. Si, avant même constitution de l’intimé, l’avocat de l’appelant souhaite adresser à son confrère ses écritures par mail ou par le Réseau privé virtuel des avocats (RPVA, ce qui est techniquement possible même en l’absence de constitution), il ne peut s’agir que d’une simple information, que l’on qualifiera de confraternelle, à l’instar de ce que prévoit le Règlement intérieur national de la profession d’avocat dans certaines hypothèses (RIN, art. 5). Mais la confraternité n’emporte pas de conséquence procédurale sur les délais d’appel contrairement au souhait de l’avocat de l’appelant. En effet celui-ci, qui avait donc notifié ses conclusions à son confrère non constitué, n’avait pas hésité à le mettre en cause directement pour dénoncer le stratagème visant à ne pas constituer dans l’espoir, peut-être, que la partie adverse commette une erreur. C’est ce qui se passa et cette situation est loin d’être inhabituelle. Mais peu importait que l’avocat de l’intimé soit déjà intervenu devant le conseil de prud’hommes, qu’il se soit constitué en limite de son délai « supposé » pour conclure et se soit même présenté avant dans l’instance en référé arrêt de l’exécution provisoire devant le Premier président de la Cour sur cet appel. Devant le premier président, faut-il le rappeler, la procédure est orale et il n’y a donc pas de constitution d’avocat quand bien la procédure au fond reposa sur un appel en représentation obligatoire et donc constitution d’avocat.

À vrai dire, cette position que d’aucuns pourront trouver sévère, n’étonne pas, s’inscrit dans la droite ligne de précédents arrêts et reste même source de sécurité juridique.

Ainsi, si l’avocat de l’appelant n’a pas à signifier la déclaration d’appel à l’intimé lorsque son avocat se constitue dans le mois de l’émission de l’avis émis par le greffe, il ne peut se dispenser, sous peine de caducité de son acte d’appel, de lui notifier ses conclusions à la suite de cette constitution quand bien même celles-ci lui avaient été communiquées antérieurement (Civ. 2e, 28 sept. 2017, n° 16-23.151, Dalloz actualité, 24 oct. 2017, obs. R. Laffly ; D. 2018. 692, obs. N. Fricero image). Et comme l’a déjà jugé la Cour de cassation, il importe également peu que l’avocat a notifié ses conclusions, même dans le délai légal, à l’avocat « plaidant » de la partie adverse si celles-ci n’ont pas été notifiées à l’avocat « postulant » devant la Cour, seul habilité à la représenter (Civ. 2e, 4 sept. 2014, n° 13-22.654, RTD civ. 2015. 195, obs. N. Cayrol image ; Procédures, nov. 2014, obs. H. Croze). Tout était dit avec ces deux arrêts. Tout repose en effet sur les règles de représentation de la partie au litige, c’est-à-dire de la postulation devant la cour d’appel. C’est d’ailleurs pour cette raison que la deuxième chambre civile précise que « La notification de conclusions à un avocat qui n’a pas été préalablement constitué dans l’instance d’appel est entachée d’une irrégularité de fond ». Cette irrégularité de fond est un défaut de pouvoir par application de l’article 117 du code de procédure civile et bien évidemment pas une irrégularité de forme sur démonstration d’un grief, c’est-à-dire la connaissance effective, par l’intimé, des conclusions et des pièces de l’appelant. Mais puisque la formalité de signification n’est jamais intervenue en violation des dispositions de l’article 911, la Haute juridiction ne peut en tirer la sanction d’une quelconque nullité mais bien la caducité de la déclaration d’appel qui sanctionne l’absence d’accomplissement d’une formalité légale dans un temps imparti.

Alors la réponse de la Cour de cassation est-elle aussi sévère qu’elle pourrait paraître à première lecture ? Disons-le, en préservant la forme sur le fond, elle est plutôt emprunte de sécurité juridique.

Bien heureusement, la deuxième chambre civile ne tombe pas dans le piège de l’appréciation de la bonne information de l’intimé et d’une célérité inhérente à la procédure d’appel, effective en l’espèce, par la prise de connaissance par l’intimé des conclusions adverses. La deuxième chambre indique sur ce point que le but du texte « n’est pas seulement d’imposer à l’appelant de conclure avec célérité, mais aussi de garantir l’efficacité de la procédure et les droits de la défense, en mettant l’intimé en mesure de disposer de la totalité du temps imparti par l’article 909 du code de procédure civile pour conclure à son tour ».

Déjà, au regard de ses précédentes décisions, l’argumentation au visa de l’article 6 de la Convention n’avait que peu de chance d’aboutir (pour de précédentes illustrations, Civ. 2e, 26 juin 2014, n° 13-20.868, n° 13-22.011, n° 13-22.013, n° 13-17.574, Dalloz actualité, 18 juill. 2014 ; ibid. 21 juill. 2014 ; ibid. 28 juill. 2014, obs. M. Kebir ; 11 mai 2017, n° 16-14.868, Dalloz actualité, 6 juin 2017, obs. R. Laffly ; 1er juin 2017, n° 16-18.212, Dalloz actualité, 29 juin 2017, obs. R. Laffly ; D. 2017. 2192 image, note G. Bolard image ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero image) et l’on cherchera en vain quelle pouvait être l’événement de force majeure auquel avait été confronté l’appelant, c’est-à-dire celui revêtant un caractère imprévisible et irrésistible, l’événement brutal et imprévisible, revêtant un caractère incontrôlable dans sa survenance et ses conséquences comme le rappelle la circulaire du 4 août 2017 de présentation des dispositions du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017. Depuis son premier arrêt publié et l’entrée en vigueur de l’article 910-3 du code de procédure civile, on sait en effet quel sort est réservé à la force majeure par la Cour de cassation, même dans des hypothèses beaucoup plus significatives que le cas d’espèce (Civ. 2e, 14 nov. 2019, n° 18-17.839, Dalloz actualité, 6 déc. 2019, obs. R. Laffly ; D. 2019. 2255 image ; ibid. 2020. 576, obs. N. Fricero image ; Procédures, févr. 2020, obs. H. Croze). Et si l’on pouvait regretter l’absence de définition posée par la Haute cour avec cet arrêt, on peut en savoir un peu plus avec l’arrêt du 27 février 2020 dont l’adjectif retiendra l’attention : « l’appelante ne s’était heurtée à aucun événement insurmontable, caractérisant un cas de force majeure ».

Mais l’intérêt de l’arrêt n’est, assurément, ni celui de l’atteinte supposée à l’accès au juge ou au procès équitable, ni celui de la force majeure. C’est ce qu’il ne dit pas, ou moins : le mandat de l’avocat et la sécurité juridique.

En effet, la nouvelle forme de motivation développée adoptée par la Cour de cassation, plus explicite donc, mérite tout de même explication. Si la Cour de cassation a très récemment utilisé le principe de sécurité juridique au secours de l’appelant, et même de manière que l’on pourrait qualifier de discutable (Civ. 2e, 14 nov. 2019, n° 18-23.631, Dalloz actualité, 4 déc. 2019, obs. R. Laffly ; Procédures, févr. 2020, obs. H. Croze), c’est ce même principe qui doit aussi s’imposer pour l’intimé, et cette fois sans discussion. Bien sûr, l’on pourrait objecter que l’intimé était en possession des conclusions de l’appelant et des pièces téléchargées par son avocat – ce n’était pas contesté – et que l’intimé avait donc disposé de la totalité de son délai pour conclure en réponse. Mais plus que le délai stricto sensu, admettre que le point de départ du délai de l’article 909 du code de procédure civile pour conclure pourrait courir sur simple remise de conclusions à un avocat non constitué, non seulement s’avérerait parfois complexe à calculer, mais serait surtout source d’insécurité juridique, voire d’iniquité.

D’une part en effet, la signification de conclusions par l’huissier de justice à l’avocat non constitué apporte bien sûr cette garantie de datation de leur remise, laquelle est bien moins certaine en cas d’envoi par courrier du palais, ou par mail et télécopie, deux procédés électroniques certes, mais qui n’offrent pas la même garantie de signature électronique de l’expéditeur formalisée par la clé ebarreau de l’avocat.

Quant à l’envoi, via le RPVA, de conclusions d’appel à un confrère non constitué, qui présente les garanties requises (un envoi horodaté doublé d’une signature électronique), n’est-ce pas le procédé similaire qui est utilisé lorsque tous les avocats sont constitués ? Et bien non, c’est sans doute mieux, mais pas suffisant ! Car en la matière, la constitution fait tout et c’est sans doute là l’enseignement essentiel de cet arrêt. En l’absence de constitution, l’avocat de l’intimé ne peut avoir acquis le pouvoir de représenter son client en appel, il est peut-être même dépourvu de mandat. S’il assiste et représente ses clients en justice et qu’à l’égard de l’administration ou d’une personne chargée d’une délégation de service public, il n’a pas à justifier d’un mandat écrit, encore faut-il qu’il soit mandaté par son client pour le représenter en justice. Et l’article 420 du code de procédure civile précise que l’avocat remplit son mandat, sans nouveau pouvoir, jusqu’à l’exécution du jugement. En outre, l’avocat de l’intimé peut aussi vouloir s’assurer les services, comme souvent, d’un confrère spécialiste de procédure d’appel pour intervenir à ses côtés et postuler. Et son client a aussi le droit, en appel, de changer d’avocat !

Le code de procédure civile, encore, pose aussi cette garantie : « Les parties choisissent librement leur défenseur soit pour se faire représenter, soit pour se faire assister suivant ce que la loi permet ou ordonne » (C. pr. civ., art. 19). On le voit, les obstacles viennent tant de l’avocat que du client et la validité d’une notification directe, à défaut de constitution, nierait ces garanties.

Bien plus, le code de procédure civile, toujours lui, pose des exigences formelles à la constitution de l’avocat. Bien que la Cour de cassation ne se soit pas placée sur ce terrain, la forme assure aussi la sécurité du fond. On l’oublierait presque avec l’avènement de la communication par voie électronique, mais l’article 960 du code de procédure civile impose la dénonciation de la constitution aux autres parties par notification entre avocats, et les actes de procédure doivent donc être notifiés aux seuls avocats régulièrement constitués. Il ne suffit pas seulement pour l’intimé de dénoncer sa constitution au greffe, mais aussi d’en informer l’avocat de l’appelant. C’est là encore une garantie d’information, comme de sécurité et de loyauté des échanges. Car si l’appelant avait posé dans le débat la déloyauté de son confrère, elle ne pouvait qu’être appréciée à l’aune des règles du code de procédure civile qui, comme le rappelle la Cour de cassation, doivent aussi garantir l’efficacité de la procédure et les droits de la défense. Que penser d’un système dans lequel il serait possible de s’affranchir des règles du mandat et de la représentation, d’une procédure dans laquelle l’appelant, sur simple envoi des conclusions et pièces à un confrère supposé mandaté, nécessairement supposé, déclencherait contre lui un délai pour conclure à peine d’irrecevabilité ?

Il faut parfois savoir choisir entre deux maux le moindre. Et la forme n’est pas l’ennemie du fond. Il existe suffisamment de règles discutables en appel pour s’attacher à préserver celles qui, elles, ont une véritable utilité. À l’heure où la procédure civile est parfois malmenée, où la forme semble parfois, inutilement, s’imposer sur le fond, il faut se souvenir que les deux se rejoignent souvent. La forme, c’est le fond qui remonte à la surface. Ce n’est ni d’un juriste, ni d’un sportif, mais de Victor Hugo.

Notification des conclusions en appel : à fond la forme !

La notification de conclusions et la communication des pièces à un avocat non constitué en appel est entachée d’une irrégularité de fond et ne répond pas à l’objectif de garantir l’efficacité de la procédure et les droits de la défense. A défaut de signification des conclusions à l’intimé, la déclaration d’appel est caduque.

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Justice et intelligence artificielle, préparer demain - épisode II

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Lien vers le premier épisode, publié le 14 avril.

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Retour sur l’ordonnance « délais » du 25 mars 2020 et les modifications apportées par l’ordonnance du 15 avril 2020

Une telle situation est susceptible de constituer un cas de force majeure au sens de l’article 1218 du code civil, lequel permet d’échapper aux sanctions de l’inexécution, un changement de circonstances ouvrant le jeu de la révision pour imprévision (art. 1195) ou encore une impossibilité d’agir au sens de l’article 2234, laquelle a pour effet de suspendre le délai de prescription. Toutefois, la vérification de la réunion des conditions d’application de ces textes ne peut se faire qu’au cas par cas, en fonction de chaque situation, de chaque obligation2.

L’ordonnance n° 2020-306, et plus précisément son titre I qui sera seul évoqué ici3, vise à apporter de la sécurité juridique en organisant la prorogation de certains délais et la paralysie de certaines clauses ou mesures. Elle évite la discussion et pose une solution générale pour les situations qu’elle régit.

Il peut naturellement en résulter un effet d’aubaine pour certains. Par exemple, le paiement tardif de son loyer par un salarié en bonne santé, connecté à internet, qui poursuit son activité en télétravail et continue à percevoir l’intégralité de son salaire, n’a rien à voir avec l’épidémie de covid-19 ; pourtant, en vertu de l’article 4 de l’ordonnance, il pourra échapper à certaines sanctions contractuelles. Mais précisément, tout le monde n’est pas dans cette situation. Cet effet d’aubaine éventuel pour certains est le prix de la sécurité de tous.

L’ordonnance est, par définition, un texte d’exception, qui déroge aux règles habituelles en raison des circonstances. Elle n’a pas vocation à appréhender l’ensemble des difficultés suscitées par la crise sanitaire ; les règles de droit commun précédemment mentionnées conservent donc pleine vocation à s’appliquer, au cas par cas, à ces difficultés.

Si l’ordonnance entend donc être source de prévisibilité et de sécurité, force est de reconnaître qu’elle a également suscité certaines difficultés d’interprétation et d’application. De plus, elle a pu apparaître comme insuffisante face à certaines problématiques4. Le gouvernement a donc remis l’ouvrage sur le métier et a adopté le 15 avril 2020 un nouveau texte modifiant l’ordonnance « délais », notamment son titre I. Il semble donc utile de revenir à la fois sur les difficultés suscitées par l’ordonnance « délais » et par les modifications réalisées par le nouveau texte.

Délimitation temporelle des délais et actes concernés

Rappelons tout d’abord que, au titre de l’article 1er de l’ordonnance, sont seuls concernés les délais échus ou les actes devant être accomplis « entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire », soit en l’état actuel des choses le 24 juin ; c’est, pour reprendre les termes de la circulaire, la « période juridiquement protégée ».

L’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a en effet déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois ; en vertu de son article 22, la loi est entrée en vigueur immédiatement, c’est-à-dire dès sa publication au Journal officiel, soit le 24 mars. L’état d’urgence sanitaire a donc vocation à prendre fin le 24 mai. Il est toutefois possible que cette date soit modifiée, dans un sens ou dans l’autre, selon l’évolution de l’épidémie, ce qui par répercussion affectera la fin de la période juridiquement protégée5. Si la situation s’améliore, un décret en conseil des ministres peut mettre fin à l’état d’urgence sanitaire avant l’expiration du délai fixé par la loi ; si la situation ne s’améliore pas, la loi peut proroger l’état d’urgence sanitaire.

Ne sont donc concernés par l’ordonnance ni les délais échus avant le 12 mars, ni pour le moment ceux échus après le 24 juin. Cette dernière limite peut sembler rigoureuse pour celui dont le délai pour agir expire peu après cette date, par exemple le 25 juin, car il a été privé en raison de l’épidémie d’une partie de son délai. La critique, indiscutable, peut toutefois être doublement relativisée. D’une part, le droit commun ne reprend son empire qu’un mois après la fin de l’état d’urgence ; ce mois supplémentaire pourra donc être utilement mis à profit par chacun pour accomplir les actes requis. D’autre part, il aurait fallu pour remédier à cette critique prévoir une suspension générale de l’ensemble des délais pendant la période d’urgence sanitaire, quelle que soit leur date d’échéance, ce qui aurait été susceptible d’avoir des effets pervers encore plus importants6.

L’article 2 de l’ordonnance « délais »

Le mécanisme mis en place par l’article 2

Il convient de partir de la lettre du texte : l’acte qui aurait dû être accompli pendant la période juridiquement protégée « sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ». Il ne s’agit donc ni d’une interruption ni d’une suspension des délais, mais d’un mécanisme sui generis de prorogation de ces délais. La circulaire indique ainsi qu’il n’en résulte pas une « suppression de l’obligation de réaliser tous les actes ou formalités dont le terme échoit dans la période visée. L’effet de l’article 2 de l’ordonnance est d’interdire que l’acte intervenu dans le nouveau délai imparti puisse être regardé comme tardif ». Comme l’a souligné un auteur, il y a là une forme de « fiction juridique en présumant valablement fait à temps ce qui ne l’a pas été »7.

Ainsi, par exemple :

si le délai de cinq ans de prescription d’une créance (C. civ., art. 2224) arrive à expiration pendant la période juridiquement protégée, le créancier pourra encore l’interrompre jusqu’au 24 août ; si le délai d’un mois pour interjeter appel (C. pr. civ., art. 538) expire pendant la période juridiquement protégée, le créancier pourra valablement former son recours jusqu’au 24 juillet ; si le délai de quinze jours d’inscription d’un nantissement d’outillage (C. com., art. L. 525-3) expire pendant la période juridiquement protégée, le créancier pourra valablement l’inscrire jusqu’au 9 juillet.

La formule utilisée par l’article 2 de l’ordonnance est inspirée de celle qui figure à l’article 1er de la loi n° 68-696 du 31 juillet 1968, intervenue à la suite des événements de mai 68 : « toute acte, formalité, inscription ou publication prescrit à peine de déchéance, nullité, forclusion ou inopposabilité, qui aurait dû être accompli entre le 10 mai 1968 et le 1er juillet 1968 sera réputé valable s’il a été effectué au plus tard le 15 septembre 1968 ». La spécificité de cette loi est qu’elle est intervenue ex post : elle s’est donc contentée de permettre aux personnes d’agir valablement malgré l’expiration du délai qui les avait d’ores et déjà touchées. L’ordonnance reprend cette logique, mais en intervenant ex ante dans un souci de sécurité juridique. Autrement dit, l’article 2 de l’ordonnance, bien qu’intervenu ex ante, n’a pas entendu donner à la prorogation des délais plus d’effets qu’il n’en aurait produit s’il était intervenu ex post. L’objectif de ce mécanisme sui generis, qui réserve le bénéfice du report à celui qui doit agir, semble être d’éviter une paralysie de l’activité, ce que deux exemples permettent de comprendre.

Premier exemple : supposons qu’un acte de saisie d’un compte bancaire soit signifié à un établissement de crédit le 1er mars 2020 puis dénoncé au débiteur le 5. Le débiteur dispose d’un délai d’un mois à compter de cette dénonciation pour contester la saisie en vertu de l’article L. 211-4 du code des procédures civiles d’exécution ; à défaut, le tiers saisi procède au paiement. Le délai de contestation expire en l’espèce pendant la période juridiquement protégée. Si les délais avaient été purement et simplement suspendus8, l’huissier aurait dû attendre la fin de de cette période augmentée d’un mois pour se faire remettre les fonds. Le mécanisme sui generis prévu permet à l’huissier de réclamer leur versement dès l’expiration du délai initial d’un mois. Toutefois, le débiteur conserve la faculté de contester la saisie devant le juge de l’exécution s’il respecte le nouveau délai accordé par l’article 2 de l’ordonnance ; si le juge fait droit à sa contestation, il annulera la saisie et ordonnera la restitution des fonds.

Second exemple : supposons que la vente d’un fonds de commerce ait été publiée le 10 mars. En vertu de l’article L. 141-14 du code de commerce, les créanciers du cédant disposent d’un délai de dix jours pour former opposition à cette vente, ce qui interdit à l’acquéreur (concrètement au séquestre à qui les fonds ont été remis) de verser le prix au vendeur. Ce délai entre indiscutablement dans le champ de l’ordonnance et bénéficie de la prorogation. S’il avait été suspendu, l’acquéreur aurait dû attendre la fin de la période juridiquement protégée augmentée de dix jours pour remettre le prix. Avec le mécanisme sui generis mis en place, il peut verser les fonds dès que le délai initial de dix jours est écoulé ; toutefois, les créanciers pourront valablement former opposition dans le délai prolongé.

L’avantage de ce mécanisme est clair : il permet de ne pas paralyser l’activité. Ainsi, les saisies de comptes bancaires ou les ventes de commerce pourront continuer à se dérouler malgré l’état d’urgence sanitaire. Son inconvénient est tout aussi net : dans les cas tels que ceux qui ont été évoqués, il prive largement les personnes concernées de l’effet utile de la prorogation du délai. Dans le cas de la saisie-attribution, l’article L. 211-4 du code des procédures civiles d’exécution permet de toute manière au débiteur qui n’aurait pas contesté dans le délai d’« agir à ses frais en répétition de l’indu devant le juge du fond compétent ». Dans le cas de la vente d’un fonds de commerce, le seul intérêt de l’opposition est de bloquer le paiement du prix afin de pouvoir être désintéressé sur celui-ci ; l’article 2 permettra au créancier de former valablement opposition après l’expiration du délai, mais celle-ci ne lui servira pas à grand-chose. Le résultat est donc paradoxal et les parties doivent faire preuve de la plus extrême vigilance ; dans ce type de situations, si elles ont la possibilité d’agir dans le délai initial, elles ont tout intérêt à le faire.

On peut penser que le pari fait par les rédacteurs de l’ordonnance est que le gain collectif résultant de la poursuite de l’activité sera supérieur aux difficultés qui résulteront de ces contestations, lesquelles ont vocation à rester statistiquement marginales.

Les actes devant être accomplis avant une date fixe

L’article 2 pose une difficulté pour les actes devant être accomplis avant une date fixe. Par exemple l’article L. 313-22 du code monétaire et financier impose au créancier d’informer la caution de l’évolution de la dette principale avant le 31 mars de chaque année. On pourrait de la même manière évoquer toutes les hypothèses, en droit de la nationalité, dans lesquelles un acte doit être effectué par la personne avant qu’elle n’atteigne un certain âge.

Le problème vient de la fin de l’article 2 qui explicite ses effets : l’acte peut être valablement accompli dans un nouveau délai « qui ne peut excéder […] le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ». Or dans une telle situation, il n’y a pas véritablement de « délai » imparti pour agir : il y a seulement une date limite.

Il ne faut cependant pas s’arrêter à cet obstacle textuel. Le début de l’article 2, qui énonce ses conditions, est en effet parfaitement adapté à ces situations : nous sommes bien en présence d’un « acte… prescrit par la loi ou le règlement… et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er ». De plus, la finalité du texte joue à plein dans une telle hypothèse, l’état d’urgence sanitaire rendant l’envoi des informations ou l’accomplissement de l’acte à la date prévue extrêmement complexe sinon impossible. Le plus convaincant dans une telle hypothèse est de retenir le délai de deux mois prévu à défaut par le texte. La banque pourra ainsi envoyer l’information à la caution jusqu’au 24 août. Telle est d’ailleurs la solution expressément retenue par la circulaire à propos de l’article L. 313-22 du code monétaire et financier.

Les délais de réflexion et de rétractation

Comme cela a déjà été souligné par plusieurs commentateurs9, les délais de réflexion tels ceux prévus par l’article L. 313-34 du code de la consommation ou le quatrième alinéa de l’article L. 271-1 du code de la construction et de l’habitation, ne sauraient être inclus dans le champ de l’article 2 de l’ordonnance.

La lettre du texte s’y oppose qui vise un acte « qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er », quand le mécanisme du délai de réflexion est exactement inverse : il interdit la réalisation d’un acte (l’acceptation d’une offre) pendant une certaine période. De même, l’effet de l’article 2, qui est de permettre d’effectuer valablement l’acte par la suite, n’a pas de sens pour un délai de réflexion. L’esprit du texte s’y oppose également : sa finalité est de donner un délai supplémentaire à ceux qui n’ont pas pu agir, ce qui ne se retrouve pas en présence d’un délai de réflexion. Le confinement peut même apparaître comme particulièrement propice à la réflexion !

S’agissant des délais de rétractation, un consensus10 existe pour reconnaître que les délais de rétractation ne rentrent pas dans le champ de l’article 5 de l’ordonnance11. En effet, même si l’analyse du droit de rétractation est controversée, il est admis que son exercice n’a pas pour effet de « résilier » le contrat. En revanche, l’incertitude est forte quant au point de savoir si ces délais relèvent de l’article 212. La difficulté procède de la formulation particulièrement large de ce texte, qui ne se contente pas de viser les délais prescrits à peine de nullité, caducité, forclusion, etc., mais également à peine de « sanction » de manière générale, ce qui est très accueillant. Deux lectures sont ainsi envisageables13.

Au regard de la lettre du texte, on peut considérer que la rétractation est bien un acte ou une déclaration prescrit par la loi à peine de sanction, à savoir la perte de ce droit de rétractation. On peut estimer à l’inverse qu’il n’y a pas de véritable sanction dans la mesure où la conséquence de l’expiration du délai de rétractation est le fait que la partie est liée par le contrat, c’est-à-dire exactement ce qu’elle a voulu en consentant.

La question est également délicate en opportunité. En faveur de l’inclusion des délais de rétractation dans le champ de l’article 2, on peut mettre en avant la véritable difficulté qui existe aujourd’hui pour leur exercice, en particulier lorsqu’une lettre recommandée avec accusé de réception est imposée par les textes14. En sens inverse, la prorogation de ces délais risque d’avoir de graves conséquences économiques en empêchant la conclusion de nombreux contrats : on songe naturellement aux ventes immobilières, mais également à l’assurance-vie.

Au regard de la possibilité de soutenir les deux analyses d’une part, et de l’importance des enjeux d’autre part, une prise de position officielle sur cette question semblait nécessaire. L’ordonnance modificative complète en ce sens l’article 2 de l’ordonnance délais : « Le présent article n’est pas applicable aux délais de réflexion, de rétractation ou de renonciation prévus par la loi ou le règlement, ni aux délais prévus pour le remboursement de sommes d’argent en cas d’exercice de ces droits ». La référence aux délais de renonciation peut sembler mystérieuse aux civilistes, l’article 1122 du code civil ne connaissant que les délais de réflexion et de rétractation ; elle semble toutefois s’expliquer par le fait que le droit des assurances utilise l’expression de « délai de renonciation » plutôt que celle de délai de rétractation, même si le mécanisme est identique (v. par ex., C. assur., art. L. 112-2-1).

L’ordonnance précise expressément que cette modification « a un caractère interprétatif ». Cette affirmation emporte la conviction15 : en effet, pour reprendre la définition qui en a été donnée par la jurisprudence, cette disposition « se borne à reconnaître, sans rien innover, un état de droit préexistant qu’une définition imparfaite a rendu susceptible de controverse »16. Face à une question débattue, elle indique la manière dont le texte doit, depuis le début, être lu. Il en résulte que cette disposition a un caractère naturellement rétroactif.

Les droits de préemption privés

La doctrine a de nouveau fait part de ses hésitations en la matière. Pour justifier la possible exclusion de ces délais, un auteur écrit ainsi que « le délai laissé au bénéficiaire pour prendre parti sur l’offre qui lui est faite n’est pas, à proprement parler, sanctionné par la perte d’un droit. Le fait pour le locataire de rester taisant pendant le délai légal est une manière pour le locataire d’exercer l’option qui lui est ouverte d’acheter ou de ne pas acheter le bien (en l’occurrence, de ne pas l’acheter) »17. L’argument ne nous convainc pas car il va trop loin. Il pourrait ainsi par exemple s’appliquer exactement de la même manière à l’exercice d’une voie de recours : en restant inactif pendant le délai prescrit, on peut estimer que la partie acquiesce à la décision qui a été rendue. Or le délai correspondant entre indiscutablement dans le champ de l’article 2. Le silence est par essence ambigu.

L’exercice du droit de préemption est bien un acte ou une déclaration prescrit par la loi dans un certain délai à peine de sanction, à savoir la perte de ce droit. Autant l’existence d’une sanction est discutable pour le droit de rétractation, autant elle est ici nette : le locataire qui n’a pas exercé son droit de préemption à l’expiration du délai perd la faculté de se substituer à l’acquéreur. La lettre du texte nous semble donc favorable à l’inclusion des délais de préemption18.

Il est vrai que, en opportunité, cette solution crée un risque de blocage des transactions immobilières. Elle se justifie toutefois par la difficulté réelle pour le titulaire du droit de préemption de l’exercer, en raison du confinement et des perturbations affectant le courrier postal. De surcroît, il reste possible d’obtenir une renonciation expresse de sa part, ce qui permet de réaliser malgré tout la vente.

Les délais contractuels

Les textes excluent de manière explicite les délais prévus par le contrat. L’article 2 de l’ordonnance vise ainsi les actes « prescrit[s] par la loi ou le règlement » et les délais « légalement imparti[s] pour agir ». Selon la circulaire, « il en résulte que les délais prévus contractuellement ne sont pas concernés » ; ainsi, par exemple, le délai fixé dans une promesse unilatérale de vente pour la levée de l’option ne bénéficie pas de la prorogation, non plus que le délai pour la réitération d’une promesse synallagmatique.

Cette exclusion peut paraître excessivement sévère pour l’une ou l’autre des parties, voire les deux. Toutefois, une suspension générale des délais contractuels aurait eu des effets incontrôlables au regard de la diversité des situations contractuelles ; une mesure éventuellement pertinente pour une catégorie spécifique de contrats ne l’aurait pas été pour d’autres. Il appartient ici aux parties de résoudre la difficulté, par exemple en prorogeant elles-mêmes ces délais.

La condition suspensive d’obtention d’un prêt (C. consom., art. L. 313-41)

Cette condition pose difficulté car elle figure certes dans le contrat, mais trouve son origine dans la loi : l’article L. 313-41 du code de la consommation prévoit en effet que, lorsque l’achat d’un immeuble d’habitation par un consommateur est financé par un crédit, il « est conclu sous la condition suspensive de l’obtention du ou des prêts qui en assument le financement ». Le texte ajoute que « La durée de validité de cette condition suspensive ne peut être inférieure à un mois ».

La doctrine estime que ce délai entre dans le champ de l’article 2 de l’ordonnance19. On peut en effet y voir un acte (l’obtention d’un prêt) prescrit par la loi à peine de sanction (la promesse est réputée n’avoir jamais existé) et qui aurait dû être accompli dans un certain délai. Les auteurs soulignent cependant une difficulté de mise en œuvre du texte lorsque, comme c’est fréquent, les parties ont allongé le délai prévu par la loi à 45 ou 60 jours.

Toutefois, l’inclusion de cette condition dans le champ de l’article 2 n’emporte pas la conviction20. En effet, la loi ne prescrit pas l’obtention d’un prêt ; elle prévoit seulement que, lorsque la vente est financée par un prêt, celui-ci doit être une condition suspensive du contrat, avec un délai minimal de réalisation. D’ailleurs, l’anéantissement de la vente n’est pas une sanction de l’acquéreur qui n’obtient pas le prêt mais à l’inverse une mesure de protection de celui-ci : elle lui permet de se libérer d’un contrat qu’il ne pourrait exécuter et ainsi de récupérer l’indemnité d’immobilisation.
Rappelons par ailleurs qu’en toute hypothèse le délai de la promesse elle-même n’est pas prolongé.

Les paiements de dettes contractuelles

Le principe

Le premier alinéa de l’article 2 ne vise, on l’a dit, que les délais légaux et réglementaires ; par conséquent, les délais prévus dans les contrats pour le paiement des obligations ne sont pas prorogés. L’alinéa 2 va dans le même sens : il proroge « tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l’acquisition ou de la conservation d’un droit » ce qui signifie a contrario que les paiements prévus par le contrat ne le sont pas. Le rapport au Président de la République est limpide : « Le paiement des obligations contractuelles doit toujours avoir lieu à la date prévue par le contrat »21.

Les auteurs de l’ordonnance n’ont cependant pas abandonné les débiteurs à leur sort : pour tenir compte, de manière générale, des difficultés d’exécution suscitées par l’épidémie de covid-19, l’article 4 paralyse en effet le jeu des astreintes et de certaines clauses contractuelles (clauses résolutoires, clauses pénales et clauses de déchéance) venant sanctionner l’inexécution du débiteur. Ces sanctions sont trop rigoureuses pour être admises en cette période de crise. Cette règle appelle deux précisions essentielles successives.

D’abord, la paralysie de ces clauses ne remet pas en cause le fait que le débiteur qui ne s’exécuterait pas à la date prévue commet une inexécution, le délai prévu par le contrat n’ayant pas été prorogé. Le débiteur s’expose donc aux sanctions légales de l’inexécution. Le créancier peut ainsi agir en paiement de sa créance et, s’il dispose d’un titre exécutoire, intenter des saisies. Il peut également réclamer les intérêts légaux de retard. Il peut encore prononcer la résolution unilatérale du contrat ou solliciter sa résolution judiciaire, mais il devra à cet égard faire attention à la condition d’inexécution « suffisamment grave », l’épidémie pouvant conduire à relativiser la gravité du comportement du débiteur.

Ensuite, le débiteur peut échapper à ces sanctions légales s’il parvient à prouver que les conditions de la force majeure sont réunies. Le droit commun prend ici le relais de l’ordonnance ; mais l’appréciation se fera nécessairement au cas par cas.

Au-delà de ce principe, le mécanisme mis en place par l’article 4 mérite d’être précisé, d’autant plus qu’il a été complexifié par l’ordonnance modificative.

Les alinéas 1 et 2 de l’article 4

Les deux premiers alinéas de l’article 4 sont relatifs aux astreintes, clauses pénales, résolutoires et de déchéance qui doivent prendre effet durant la période juridiquement protégée. Celles-ci sont paralysées. La difficulté est de savoir à quel moment elles sont susceptibles de produire leurs effets, si le débiteur ne s’exécute toujours pas.

Dans la version initiale de l’ordonnance délais, un mécanisme « forfaitaire » était prévu : les astreintes et clauses produisaient leurs effets un mois après la fin de la période juridiquement protégée, soit le 24 juillet, si le débiteur ne s’était toujours pas exécuté. Un nouveau délai tampon d’un mois était ainsi laissé afin de tenir compte des difficultés de redémarrage de l’activité.

L’ordonnance modificative l’a remplacé par un mécanisme glissant plus subtil : la prise d’effet « est reportée d’une durée, calculée après la fin de cette période [la période juridiquement protégée], égale au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée ». Ce mécanisme rappelle celui de la suspension de la prescription. Prenons quelques exemples :

supposons un contrat conclu le 1er février 2020 et une clause pénale devant, en cas d’inexécution, produire son effet le 30 mars, soit dix-huit jours après le début de la période juridiquement protégée. Elle produira finalement son effet dix-huit jours après la fin de cette période juridiquement protégée, soit en l’état actuel des choses le 12 juillet si le débiteur ne s’est toujours pas exécuté à cette date ; supposons qu’un juge ait, le 1er février 2020, prononcé une astreinte devant commencer à prendre effet le 30 avril 2020, soit un mois et dix-huit jours après le début de la période juridiquement protégée. Elle produira finalement effet un mois et dix-huit jours après la fin de la période juridiquement protégée, soit le 12 août ; supposons un contrat conclu le 20 mars et une clause résolutoire devant, en cas d’inexécution, produire son effet le 15 mai. La date à laquelle l’obligation est née étant postérieure au 12 mars, c’est elle qu’il faut prendre en compte pour calculer la durée du report, laquelle sera ainsi d’un mois et vingt-cinq jours (délai entre le 20 mars et le 15 mai). La clause pourra donc produire effet un mois et vingt-cinq jours après la fin de la période juridiquement protégée, soit le 18 août.

Le nouveau mécanisme est ainsi, selon les hypothèses, plus ou moins favorable au débiteur que l’ancien .

Faire bénéficier du mécanisme de l’article 4 les contrats conclus après le 12 mars est contestable dans la mesure où l’épidémie faisait déjà rage lorsque les consentements se sont rencontrés ; par conséquent, les parties ont dû raisonnablement anticiper les difficultés d’exécution qui en résulteraient. On peut toutefois justifier ce choix par le fait que nombre de contrats sont d’adhésion et que la faculté de négocier les clauses pénales peut se révéler illusoire. En toute hypothèse, les parties peuvent naturellement écarter le mécanisme de l’article 4, ce que reconnaît expressément le rapport au Président de la République qui accompagne l’ordonnance modificative.

L’alinéa 3 de l’article 4

Le nouvel alinéa 3, issu de l’ordonnance modificative, concerne les astreintes et clauses qui doivent produire effet après la fin de la période juridiquement protégée. Celles-ci n’étaient pas traitées dans la version initiale de l’ordonnance, ce qui a été critiqué par certains opérateurs économiques qui estimaient que les délais ne pouvaient pas être tenus en raison de l’épidémie. On pense par exemple à une construction devant être achevée après le 24 juin ; les chantiers étant à l’arrêt depuis plusieurs semaines, le retard s’est accumulé et ne pourra être rattrapé.

Sont toutefois laissées de côté les obligations de sommes d’argent. Le rapport au président de la République s’en explique : « l’incidence des mesures résultant de l’état d’urgence sanitaire sur la possibilité d’exécution des obligations de somme d’argent n’est qu’indirecte et, passé la période juridiquement protégée, les difficultés financières des débiteurs ont vocation à être prises en compte par les règles de droit commun (délais de grâce, procédure collective, surendettement) ».

L’ordonnance modificative organise donc, pour ces astreintes et clauses sanctionnant l’inexécution d’une obligation autre que de sommes d’argent, un mécanisme de report similaire à celui prévu aux alinéas précédents : leur prise d’effet « est reportée d’une durée égale au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la fin de cette période ». Prenons de nouveau deux exemples :

supposons un contrat conclu le 1er février 2020 et une clause pénale devant produire son effet en cas d’inexécution le 1er juillet 2020 ; cette clause ne pourra produire son effet que trois mois et douze jours plus tard (durée de la période juridiquement protégée), soit le 13 octobre ; supposons un contrat conclu le 1er avril 2020 et une clause résolutoire devant produire son effet en cas d’inexécution le 1er août 2020 ; le report est d’une durée égale au temps écoulé entre le 1er avril (date de naissance de l’obligation) et le 24 juin (fin de la période juridiquement protégée), soit deux mois et vingt-trois jours ; la clause ne pourra donc produire son effet que le 24 octobre.

L’alinéa 4 de l’article 4

Cet alinéa, qui n’est pas modifié, est relatif aux astreintes et clauses pénales qui avaient déjà commencé à produire effet avant le 12 mars. Elles sont suspendues durant la période juridiquement protégée et reprennent leurs effets dès la fin de celle-ci. La solution est donc plus sévère que pour les alinéas précédents mais on le comprend aisément : il y a dans ce cas une inexécution antérieure à la crise et donc indépendante de celle-ci.

 

Antoine Gouëzel, Professeur à l’université de Rennes 1. Chargé de mission au bureau du droit des obligations. Direction des affaires civiles et du Sceau.

 

1. Les propos développés dans cet article reflètent les opinions personnelles de son auteur et n’engagent que lui.
2. Sur l’ensemble de ces questions, v. spéc. J. Heinich, L’incidence de l’épidémie de coronavirus sur les contrats d’affaires : de la force majeure à l’imprévision, D. 2020. 611 image.
3. Signalons ici que le II de l’art. 1er de l’ordonnance exclut un certain nombre de délais de son champ, notamment les obligations financières et garanties y afférentes (4°) ainsi que les délais et mesures ayant fait l’objet d’autres adaptations particulières par la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 ou en application de celle-ci (5°). Signalons par ailleurs que, pour tout ce qui touche aux relations avec l’administration, le titre II de l’ordonnance prévoit de multiples dérogations.
4. V. not., G. Casu et S. Bonnet, Les défis de la construction face au coronavirus : analyse critique de l’ordonnance no 2020-306 du 25 mars 2020, Le Droit en débats, 2 avr. 2020.
5. Le rapport au président de la République accompagnant l’ordonnance modificative laisse d’ailleurs entendre qu’une modification de la période juridiquement protégée est envisagée en fonction de la manière dont la sortie de crise se déroulera.
6. L’ordonnance modification a cependant complété l’art. 4 pour les astreintes, clauses pénales, résolutoires et de déchéance devant prendre effet après cette date (v. infra).
7. S. Amrani-Mekki, Le club des juristes, 30 mars 2020. V. aussi, C. Auché et N. De Andrade, Coronavirus : impact sur les délais pour agir et les délais d’exécution forcée en matière civile, Dalloz actualité, 30 mars 2020.
8. Tel est d’ailleurs le cas en matière de saisie immobilière en vertu de l’art. 2, II, 3°, de l’ord. n° 2020-304 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété : les délais sont suspendus si bien que toutes les procédures sont paralysées.
9. M. Mekki, Ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus. Quel kit de premiers secours pour les rédacteurs d’actes ?, JCP N 2020. 1079, n° 19 ; C. Gijsbers, Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais : quelles incidences sur la pratique notariale ?, Flash Cridon, 30 mars 2020 ; C. Grimaldi, Ordonnances du 25 mars 2020 relatives au covid-19 et droit des contrats immobiliers : des questions subsistent, Defrénois 2 avr. 2020, p. 17 ; O. Deshayes, La prorogation des délais en période de Covid-19 : quels effets sur les contrats ?, D. 2020, à paraître.
10. V. en ce sens, M. Mekki, art. préc., n° 31 ; C. Gijsbers, art préc. V. par ailleurs sur l’article 5, N. Damas, Comment délivrer congé en période d’urgence sanitaire ?, Dalloz actualité, 2 avr. 2020.
11. Art. 5 : « Lorsqu’une convention ne peut être résiliée que durant une période déterminée ou qu’elle est renouvelée en l’absence de dénonciation dans un délai déterminé, cette période ou ce délai sont prolongés s’ils expirent durant la période définie au I de l’art. 1er, de deux mois après la fin de cette période ».
12. V., C. Gijsbers, art. préc., qui évoque ces délais au titre des « cas douteux », ou C. Grimaldi, art. préc. En revanche, M. Mekki, art. préc., n° 14, admet sans hésitation que le délai de rétractation relève de l’article 2, tout comme J.-P. Borel, Coronavirus : conséquences pour le notariat et les contrats en cours, Dalloz actualité, 7 avr. 2020 ou O. Deshayes, art. préc.
13. V. les développements de C. Gijsbers sur ce point, art. préc.
14. Tel est le cas en particulier pour le droit de rétractation de l’art. L. 271-1 CCH.
15. À l’exception de l’exclusion des « délais prévus pour le remboursement de sommes d’argent en cas d’exercice » du droit de rétractation, dont on voit mal pour quelle raison ils pouvaient ne pas être inclus dans le champ initial de l’art. 2.
16. Civ. 2e, 20 févr. 1963, Bull. civ. II, n° 174.
17. C. Gijsbers, art. préc.
18. V. dans le même sens et sans hésitation, M. Mekki, art. préc., JCP N 2020. 1079, n° 14.
19. V. en ce sens, M. Mekki, art. préc., n° 19 ; C. Gijsbers, art. préc. ; J.-P. Borel, art. préc. Rappr. C. Grimaldi, art. préc.
20. V. dans le même sens, O. Deshayes, art. préc.
21. Sous réserve des dispositions dérogatoires prévues par d’autres textes, v. en particulier l’ord. n° 2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de covid-19.
22. C’est moins favorable lorsque la clause devait prendre effet au début de la période juridiquement protégée, et plus favorable lorsque la clause devait prendre effet à la fin.
23. Sous l’empire de l’ordonnance initiale, l’inclusion de ces contrats dans le mécanisme de l’article 4 était discutable (v. O. Deshayes, art. préc.) ; la référence opérée par l’ordonnance modificative à la date de naissance de l’obligation, si elle est postérieure au 12 mars 2020, lève tout doute.

Retour sur l’ordonnance « délais » du 25 mars 2020 et les modifications apportées par l’ordonnance du 15 avril 2020

L’épidémie de covid-19 et les mesures prises pour lutter contre sa propagation placent chacun, particulier comme entreprise, dans une situation extraordinaire : confinement pour presque tous, perturbation du courrier postal et des significations pour beaucoup, maladie pour certains, etc.1

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De l’arbitraire dans les EHPAD ?

Le juge des référés du Conseil d’État a rejeté la requête de l’association Coronavictimes pour qui les résidents des EHPAD souffrant du coronavirus ne seraient plus admises en établissements de santé.

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Coronavirus : prise de position de l’Autorité des normes comptables

L’Autorité des normes comptables vient de publier une communication de son collège sur les conséquences de la crise du covid-19 sur les comptes annuels et consolidés établis selon les normes comptables françaises au 31 décembre 2019.

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L’accès au juge administratif pendant l’épidémie

Selon le juge des référés du Conseil d’État, l’adaptation de la procédure contentieuse devant les juridictions administratives pendant la crise sanitaire préserve le droit au recours et l’accès au juge.

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L’agrandissement d’une construction existante ne constitue pas une extension de l’urbanisation

Le Conseil d’État juge que les règles d’extension de l’urbanisation en zone littorale ne s’appliquent pas à l’agrandissement d’une construction existante. 

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Nouvelle affirmation de la limitation de la réparation au dommage prévisible

Une société (A) est propriétaire d’un navire qui nécessite d’importants travaux. Elle sollicite une autre société (B) et lui demande d’opérer la refonte complète de la salle des machines de ce navire, et notamment, de fournir et d’installer deux groupes électrogènes. Il s’en suit une chaîne homogène de contrats de vente. La société B se fournit auprès d’une tierce société (C) pour installer les groupes électrogènes dans le bâtiment. Elle-même s’est fournie auprès d’une société (D) qui a passé contrat avec la société (E) qui avait contracté avec la société (F).

À la suite de l’installation de ces groupes électrogènes, de nombreux problèmes techniques sont constatés et un expert judiciaire est mandaté par voie d’ordonnance.

Un arrêt est rendu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 19 avril 2018. Il confirme – entre autres – le jugement du tribunal de commerce qui avait condamné la société B à payer à la société A la somme de 152 377,63 € mais ajoute un complément de 20 941,26 € soit un total de 173 318,89 € après actualisation du préjudice subi. La cour d’appel condamne surtout la société E à relever et garantir la société B de cette condamnation car c’est cette première société qui a été considérée comme à l’origine des désagréments.

C’est pourquoi la société E forme un pourvoi devant la Cour de cassation. Le moyen du pourvoi est composé de sept branches. Même si les juges du droit prendront le temps de répondre à la première, ils estiment toutefois que seule la septième branche présente un intérêt. Ils précisent, en effet, dans l’incipit de leur arrêt que c’est uniquement cette septième branche qui doit être honorée des mentions F-B+I.

Dans celle-ci, les auteurs du pourvoi font grief à la cour d’appel d’avoir violé l’ancien article 1150 du code civil. Ils font valoir qu’elle aurait dû limiter la réparation du préjudice à ce qui était prévu dans le contrat. La cour d’appel avait, en effet, considéré qu’« en droit français, tout préjudice est réparable pourvu qu’il soit direct et certain ».

Il se posait donc la question de savoir si la société E pouvait invoquer l’article 1150 ancien du code civil pour limiter la réparation du préjudice à ce qui était prévisible au moment de la formation du contrat.

La Cour de cassation, en sa chambre commerciale, répond positivement. Elle se contente de citer l’ancien article 1150 pour juger que la cour d’appel l’a violé puis prononce la cassation partielle de son arrêt.

Le droit de la responsabilité civile connaît, en France, une subdivision. Il existe, d’une part, la responsabilité civile extracontractuelle régie par le principe de réparation intégrale des préjudices et l’on trouve, d’autre part, la responsabilité civile contractuelle gouvernée par le principe de la limitation de la réparation au dommage prévisible. Cette summa divisio du droit de la responsabilité civile n’est toutefois pas partagée unanimement en doctrine. Certains considèrent que la responsabilité contractuelle n’a de responsabilité que le nom et qu’elle devrait n’avoir pour fonction que l’exécution par équivalent de l’avantage attendu du contrat (Ph. le Tourneau (dir.), Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action 2018-2019, vis Exécution par équivalent, n° 3 213.111 ; P. Rémy, La « responsabilité contractuelle » : histoire d’un faux concept, RTD civ. 1997. 323 image ; D. Tallon, L’inexécution du contrat : pour une autre présentation, RTD civ. 1994. 223 image). Envisagé ainsi, les dommages et intérêts y afférant ne permettraient jamais de dépasser l’objet de l’obligation tandis que pour les autres, ayant une fonction indemnitaire, ils pourraient permettre une réparation plus étendue des préjudices.

Dans tous les cas, les auteurs reconnaissent les limites posées dans l’article 1150 ancien du code civil : « Le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation n’est point exécutée ». Elles se trouvent aujourd’hui aux articles 1231-3 et suivants du même code. L’objectif du texte est de faire valoir la volonté des parties sur le principe de la réparation intégrale des préjudices. La limitation de la réparation transparaît aussi à l’article 1151 qui prévoit que, même dans le cas où l’inexécution de la convention résulte du dol du débiteur, les dommages et intérêts ne doivent comprendre à l’égard de la perte éprouvée par le créancier et du gain dont il a été privé, que ce qui est une suite immédiate et directe de l’inexécution de la convention. À la lecture de ces deux articles, on comprend que dans tous les cas, la réparation du préjudice est toujours plus limitée en matière contractuelle qu’en matière extracontractuelle car cette réparation ne comprend que les suites immédiates et directes de l’inexécution alors que ces « suites » sont plus largement considérées en matière extracontractuelle.

Dans cet arrêt, la société sur laquelle repose la charge finale de la dette n’avait pas, semble-t-il, pris le soin d’insérer une clause limitative de responsabilité intéressant les dommages concernés. Toutefois, même en l’absence d’une telle clause, et puisqu’il n’y avait ici ni dol ni faute lourde, la réparation devait être limitée aux suites immédiates et directes de l’inexécution. Contrairement à ce que disent les juges du fond dans leur motif adopté, les principes du droit français ne dictent pas que tout préjudice est réparable pourvu qu’il soit direct et certain. Ce n’est, tout du moins, pas encore le cas en matière contractuel (V. pour cette éventualité, H. Conte, Volonté et droit de la responsabilité civile, préf. J. Julien, éd. PUAM, 2019, nos 480 s.).

Si la Cour de cassation donne de l’importance à cet arrêt, c’est sans doute parce que les juges du fond oublient souvent ce principe. Elle « réactive » (l’expression est employée par un auteur : v. M. Bacache, D. 2011. 1725, obs. sous Civ. 1re, 28 avr. 2011, n° 10-15.056 image) ainsi l’ancien article 1150 qui contient une limite qui n’est « presque jamais retenue » (C. Radé, RCA 2008. Comm. 158 cité in M. Bacache, préc. ; v. Civ. 1re, 14 janv. 2016, n° 14-28.227, D. 2016. 981 image, note C. Gauchon image ; ibid. 1396, obs. H. Kenfack image ; ibid. 2017. 24, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz image ; JT 2016, n° 185, p. 12, obs. X. Delpech image ; RTD com. 2016. 326, obs. B. Bouloc image).

Ce que ne dit pas l’arrêt, c’est comment déterminer l’étendue du dommage réparable. À défaut de motivation enrichie, on doit sans doute comprendre que la Cour de cassation considère que la réponse doit être laissée à l’appréciation des juges du fond (V. par ex., Civ. 1re, 3 juin 1998, n° 95-16.887, D. 1998. 160 image ; RTD com. 1999. 494, obs. B. Bouloc image cité in M. Bacache, préc.). La Cour de cassation ne faisant, elle, que contrôler le caractère prévisible du dommage. L’arrêt ayant été cassé sur ce point, il reviendra à la juridiction de renvoi de statuer de nouveau sur le montant du dommage prévisible. La cour d’appel devra donc analyser in abstracto les dommages qui étaient prévus lors de la formation du contrat en se référant à une personne raisonnable placée dans les mêmes conditions. Or, on sait que les juridictions de fond prennent parfois des libertés pour apprécier le montant du dommage prévisible. À propos de l’arrêt Société des comédiens français (Civ. 1re, 4 févr. 1969, Bull. civ. I, n° 60 ; D 1969. 601, note J. Mazeaud ; RTD civ. 1969. 708, obs. G. Durry ; 22 oct. 1975, n° 74-13.217 P), un auteur (Z. Jacquemin, Payer, réparer, punir. Étude des fonctions de la responsabilité contractuelle en droit français, allemand et anglais, thèse Paris II, p. 383) fait remarquer que le juge n’hésite pas à s’affranchir des limites de l’article 1151 afin d’accorder à la victime des dommages et intérêts supérieurs à la valeur du préjudice subi.

Il faut aussi remarquer, relativement à cet arrêt du 11 mars 2020, que les juges du fond ont condamné deux sociétés in solidum (pour l’application de l’obligation in solidum en matière contractuelle, v. O. Deshayes, La responsabilité contractuelle in solidum, RDC 2016, n° 1, p. 21), mais en prenant bien le soin de mentionner qu’au stade de la contribution à la dette, seule l’une d’entre elles aura la charge finale de la réparation. Cela permet à la victime de s’adresser indifféremment à l’une des deux sociétés à charge pour celles-ci de se débrouiller entre elles ensuite. Sans reconnaître l’existence d’une faute lourde ou intentionnelle, les juges du fond ont toutefois considéré que c’était la société E qui était à l’origine des multiples désordres causés par les générateurs. Ce sera donc à elle d’assumer la charge finale de la dette.

Il faut préciser qu’une telle condamnation est facilitée par l’existence d’un groupe de contrat, ici en l’espèce, une chaîne homogène et translative de propriété. L’indivisibilité de l’ensemble contractuel ne posait pas de difficultés car tous les contrats qui ont été formés l’ont été pour satisfaire la société victime qui demandait des groupes électrogènes. La Cour de cassation le précise d’ailleurs dans l’arrêt : « Ces groupes électrogènes ont fait l’objet de ventes successivement intervenues entre, d’abord, les sociétés […] et la société […], ensuite, entre cette dernière et la société […], puis entre celle-ci et la société […], enfin, entre cette société et la société […] qui a installé ces matériels sur le navire ». Soit dit en passant, si la société E peut invoquer l’article 1150, la société B devrait aussi pouvoir le faire. Même si elle se verra décharger de la dette au stade de la contribution, elle est tout de même condamnée à payer la somme en question ce qui devrait poser aussi la question du montant des dommages « prévus ou qu’on a pu prévoir ».

C’est par la reconnaissance de cette connexité que la société victime, qui n’a pas contracté avec les autres sociétés, peut tout de même invoquer leur responsabilité contractuelle et faire exception à l’effet relatif des conventions. La jurisprudence (Cass., ass. plén., 7 févr. 1986, nos 83-14.631 et 84-15.189, D. 1986. 293, note Bénabent ; JCP 1986. II. 20616, note Malinvaud ; Gaz. Pal. 1986. II. 543, note Berly ; RDI 1986. 210, obs. P. Malinvaud et B. Boubli ; RTD civ. 1986. 594, obs. J. Mestre; ibid. 605, obs. P. Rémy ; Civ. 1re, 27 janv. 1993, n° 90-19.777, Bull. civ. I, n° 44 ; D. 1994. 238 image, obs. O. Tournafond image ; RTD civ. 1993. 592, obs. P. Jourdain image ; RTD com. 1993. 708, obs. B. Bouloc image ; Com. 2 mars 1999, n° 96-12.071, NP, RJDA 1999, n° 519.) admet en effet que l’action contractuelle est transmise en tant qu’accessoire de la chose conformément à l’article 1615 du code civil qui dispose que : « L’obligation de délivrer la chose comprend ses accessoires et tout ce qui a été destiné à son usage perpétuel ».

Quelques mois après l’arrêt de l’assemblée plénière (Cass., ass. plén., 13 janv. 2020, n° 17-19.963, D. 2020. 416, et les obs. image, note J.-S. Borghetti image ; ibid. 353, obs. M. Mekki image ; ibid. 394, point de vue M. Bacache image ; AJ contrat 2020. 80 image, obs. M. Latina image ; RTD civ. 2020. 96, obs. H. Barbier image) qui réaffirme l’identité des fautes contractuelles et délictuelles et donc la solution du 6 octobre 2006 (Cass., ass. plén., 6 oct. 2006, n° 05-13.255, D. 2006. 2825, obs. I. Gallmeister image, note G. Viney image ; ibid. 2007. 1827, obs. L. Rozès image ; ibid. 2897, obs. P. Brun et P. Jourdain image ; ibid. 2966, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson image ; AJDI 2007. 295 image, obs. N. Damas image ; RDI 2006. 504, obs. P. Malinvaud image ; RTD civ. 2007. 61, obs. P. Deumier image ; ibid. 115, obs. J. Mestre et B. Fages image ; ibid. 123, obs. P. Jourdain image), la Cour de cassation en sa chambre commerciale, nous rappelle que si c’est le fondement contractuel que la victime a choisi d’actionner, il est normal qu’elle se voie opposer les limites légales tenant à ce régime. Point de réparation intégrale, le principe connaît l’exception incarnée dans la prévisibilité du dommage.

C’est une des solutions qu’il est possible d’adopter – appliquer la responsabilité contractuelle aux tiers même en dehors d’un groupe de contrat – si l’on veut éviter l’inégalité qui existe actuellement entre le tiers qui peut invoquer un manquement contractuel sur le fondement de la responsabilité délictuelle sans se voir opposer les clauses du contrat ou la limite légale et le co-contractant qui invoque le même manquement, mais à qui l’on impose les limites susmentionnées.

Nouvelle affirmation de la limitation de la réparation au dommage prévisible

La Cour de cassation rappelle qu’en matière de responsabilité contractuelle, le dommage n’est indemnisable que s’il était prévisible lors de la conclusion du contrat et constituait une suite immédiate et directe de l’inexécution de ce contrat.

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Caractère déclaratif et recognitif de la décision de reconnaissance du statut de réfugié et infraction de soustraction à un arrêté portant obligation de quitter le territoire

Il résulte de l’article 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut de réfugié et des articles L. 721-2 et L. 511-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, que l’autorité administrative ne peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu’il a obtenu la qualité de réfugié.

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Adaptation des normes funéraires dans le cadre de l’urgence sanitaire

La modification des normes et des pratiques funéraires en temps d’épidémie est une réalité historique bien documentée1. Nulle surprise donc à ce que la présente crise sanitaire s’accompagne de modifications des dispositions applicables au traitement des corps morts. Les modifications adoptées dans le cadre de la lutte contre le covid-19 peuvent être classées en deux catégories : celles qui visent avant tout à protéger les proches et les professionel·les de la contamination et celles qui anticipent le risque de sur-mortalité et les difficultés organisationnelles liées au confinement.

Concernant la protection contre la contamination. Le gouvernement prend acte du constat établi par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) : les corps des défunts peuvent être contaminants pour les personnes qui les manipulent, même si le risque est limité2. Les dispositions du décret n° 2020-384 du 1er avril 20203 visent dès lors à limiter les contacts avec les corps des personnes dont on sait, ou dont on soupçonne, qu’elles sont décédées alors qu’elles étaient porteuses du virus. Ceux-ci doivent, au moins jusqu’au 30 avril prochain, être mis en bière immédiatement et ne pas faire l’objet d’une toilette mortuaire. Notons ici que le gouvernement va au-delà de ce qui est préconisé par le HCSP dans son avis le plus récent. En effet, si lors d’un premier avis, rendu en urgence au début de la période d’épidémie, le Haut Conseil avait préconisé une fermeture immédiate du cercueil et une toilette mortuaire minimale4, ses recommandations se sont assouplies dans un second temps. Son avis du 24 mars est explicite : « dans la prise en charge des personnes décédées, il convient de respecter (…) dans leur diversité les pratiques culturelles et sociales autour du corps d’une personne décédée, notamment en ce qui concerne la toilette rituelle du corps par les personnes désignées par les proches, ainsi que la possibilité pour ceux-ci de voir le visage de la personne décédée avant la fermeture définitive du cercueil ». Il préconise ainsi que deux proches puissent être désignés pour pratiquer eux-mêmes une toilette mortuaire ou tout autre rite funéraire à condition qu’ils soient équipés de protections adéquates5. De même, la recommandation de placer le corps dans une housse hermétique pour tout transport était accompagnée de la précision suivante : « la housse est fermée en maintenant une ouverture de 5-10 cm en haut si le corps n’a pu être présenté aux proches », qui pourront « voir le visage de la personne décédée dans la chambre hospitalière, mortuaire ou funéraire, tout en respectant les mesures barrière », à savoir notamment une distance de sécurité d’un mètre avec le corps, sans contact.

Les raisons pour lesquelles le gouvernement a choisi des normes plus strictes que celles qui étaient suggérées par le HCSP ne nous sont pas connues, mais nous ne pouvons qu’espérer que ce choix procède d’une précaution supplémentaire et non d’une impossibilité matérielle d’appliquer des règles moins restrictives, notamment au regard du manque de matériel de protection disponible. À n’en pas douter, les conditions imposées constituent une limitation importante de la liberté des familles dans l’organisation des funérailles, liberté qui, rattachée au droit au respect de la vie privée et à la liberté de conscience, est une liberté fondamentale. On notera par ailleurs que l’interdiction de la toilette mortuaire constitue une règle particulièrement stricte pour les personnes pratiquant une religion dans laquelle elle est un rite funéraire important, au premier rang desquelles l’Islam. Si l’on ajoute que les décès par covid-19 s’annoncent particulièrement importants dans des départements tels que la Seine-Saint-Denis6, où l’Islam est très pratiqué, on comprend que, comme tant d’autres, les normes liées à l’urgence sanitaire n’auront pas les mêmes conséquences pour tous7…

La décision d’établir des règles funéraires strictes suppose également un choix – tout à fait compréhensible mais un choix cependant : celui de privilégier la préservation de la santé somatique d’aujourd’hui à la sauvegarde de la santé psychique de demain. Car les contraintes imposées aux pratiques funéraires en ce temps d’épidémie ne seront certainement pas sans conséquences sur les démarches de deuil des personnes qui auront perdu un proche dans cette période8. Mais ces normes restrictives auront au moins pour efficacité de renforcer la protection sanitaire des travailleurs et travailleuses du funéraires, si toutefois le matériel adéquat leur est fourni.

L’autre disposition phare du décret du 1er avril peut faire l’objet de la même analyse. Elle édicte une interdiction générale de la pratique de la thanatopraxie, au moins jusqu’au 30 avril, pour l’ensemble des corps, quelle que soit la cause du décès ou l’état de santé du défunt. Là encore le texte est plus strict que les recommandations du HSCP qui ne suggéraient cette interdiction que pour les corps contaminés ou soupçonnés de l’être.

L’interdiction totale est une mesure radicale, d’autant que la pratique de la thanatopraxie est, depuis 2017, très strictement encadrée sur le plan des exigences sanitaires9. Le choix procède une fois encore d’un arbitrage : l’interdiction générale de la pratique est une atteinte forte à l’activité des thanatopracteurs et thanatopractrices, dont beaucoup exercent en libéral, mais elle constitue évidemment une protection supplémentaire pour ces professionnel·les. On voit cependant ici comment le spectre du « porteur sain », personne asymptomatique ou pauci-symptomatique, contaminée et contaminante sans le savoir, conduit à prendre des mesures particulièrement radicales puisque concernant tous les corps. Un raisonnement que l’on retrouve vraisemblablement dans de nombreuses dispositions, même hors du droit de la santé.

La décision d’interdire totalement la thanatopraxie limite bien sûr la liberté des familles mais on rappellera que l’intérêt de la thanatopraxie, pour les personnes qui font ce choix, est de faciliter la présentation du corps lors de veillées funéraires ou de présentations publiques. Or, dans la mesure où le décret du 23 mars dernier limite fortement le nombre de personnes pouvant participer à des rassemblements funéraires10, il est possible que la pratique deviennent de facto moins « utile ». Son interdiction conduit cependant à restreindre le choix du lieu de sépulture puisqu’un certain nombre de pays impose que les corps aient fait l’objet de soins de thanatopraxie pour en autoriser l’entrée sur leur territoire11. Notons que l’interdiction des soins de conservation se prolongera au-delà de la période d’urgence sanitaire dans la mesure où le covid-19 est désormais inscrit formellement sur la liste des pathologies proscrivant la thanatopraxie12.

Second volet de l’adaptation des normes funéraires : l’anticipation de la surmortalité et la gestion des funérailles. Le fait que la présente épidémie induise une surmortalité globale sur l’ensemble du territoire n’est pas une certitude pour l’instant puisque les mesures de confinement ont pour effet la diminution de certaines causes de décès en parallèle de l’augmentation du nombre de morts lié à l’infection elle-même. Cependant, la surmortalité semble une réalité dans les régions les plus touchées13. C’est pourquoi l’essentiel des mesures prises aujourd’hui sont des mesures locales.

En ce qui concerne les mesures nationales, notons deux dispositions importantes14. Tout d’abord l’inscription des professionnel·les du funéraire sur la liste des personnes susceptibles de faire l’objet d’une réquisition par l’autorité préfectorale15. Ensuite la possibilité, insérée à l’article R. 2213-29 du code général des collectivités territoriales, de conserver provisoirement les cercueils fermés dans des « dépositoires », c’est-à-dire des lieux de conservation provisoires, hors des caveaux provisoires existant dans les cimetières16. L’utilisation de tels dépositoires était possible jusqu’en 2011, date à laquelle il avait été interdit17, notamment pour éviter la création de lieux de conservation difficiles à contrôler sur le plan sanitaire18. Leur usage est donc à nouveau permis et cette autorisation semble devoir être permanente puisque le décret ne limite pas cette modification dans le temps19. Le texte précise même l’usage du dépositoire, ce qui n’était pas le cas antérieurement : le dépôt du cercueil ne peut excéder six mois, délai au-delà duquel il doit être inhumé (il nous semble que, malgré cette rédaction restrictive, rien, dans l’esprit du texte, n’interdirait une crémation).

 Outre ces prescriptions générales, le décret du 27 mars autorise les municipalités, ou dans certains cas les préfectures, à prendre une série de dispositions exceptionnelles si les circonstances locales le justifient. À la lecture de ces dispositions on comprend que les « circonstances » en question s’entendent à la fois de la difficulté à gérer les funérailles en cas de surmortalité et de la complexité administrative induites par les mesures de confinement. L’ensemble de ces dispositions peuvent être prises pour un délai n’excédant pas un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire.

Au titre des dispositions particulièrement symboliques20 on notera la possibilité d’étendre localement le délai dans lequel les funérailles doivent être pratiquées. Le droit commun impose habituellement une inhumation ou une crémation dans un délai compris entre vingt-quatre heures et six jours après le décès. Ce délai peut donc être localement étendu jusqu’à vingt-et-un jours, et même au-delà sur autorisation préfectorale.

La fermeture des cercueils pourra être possible sans autorisation préalable si elle n’a pas pu être obtenue dans les douze heures précédant l’inhumation ou la crémation. Sauf dégradation très importante de la situation sanitaire cette circonstance aura cependant peu de chance de se produire étant donné que la transmission de ladite autorisation sera possible par voie dématérialisée, comme d’ailleurs les autorisations de crémation et d’inhumation elles-mêmes. Une telle fermeture de cercueil sans autorisation devra cependant être signalée dans les quarante-huit heure à la mairie. Notons ici une disposition particulière pour les cas où la famille ne pourrait être présente au moment de la fermeture de la bière et que celle-ci doive être transportée en dehors de la commune de décès ou de dépôt21. En temps normal, en l’absence de proche, la fermeture ne peut alors être faite qu’en présence d’un·e fonctionnaire désigné·e à cet effet22, qui veille notamment à l’identité du ou de la défunt·e. Les dispositions issues de l’état d’urgence sanitaire permettent de déroger à cette procédure mais uniquement lorsque le corps est destiné à l’inhumation ; elle reste obligatoire en cas de crémation, action qui rend évidemment impossible toute « correction » sur l’identité de la personne décédée… Là encore la mairie doit être informée de la situation dans les quarante-huit heures.

L’adaptation en urgence des normes funéraires est une mesure importante sur les plans à la fois pratique et symbolique. On ne peut évidemment que souhaiter que les blessures intimes subies par les personnes qui ne pourront pas vivre sereinement leur deuil trouvent leur contrepartie sociale dans une vraie protection sanitaire des professionnel·les du secteur. Mais ne l’oublions pas : l’adaptation des normes funéraires n’est pas suffisante à la protection de la santé des salarié·es et indépendant·es qui œuvrent dans ce domaine particulier. Cette protection ne peut être acquise que par un matériel adapté et des conditions de travail respectueuses de leur santé somatique et psychique. Et ceci vaut pour tous les travailleurs et travailleuses de l’ombre qui assurent actuellement le fonctionnement de notre société malade.

 

 

1. Pour un aperçu des recherches archéologiques en la matière, v. par ex. les pré-actes des journées d’étude du Groupement d’archéologie et d’anthropologie du funéraire « Rencontre autour du corps malade : prise en charge et traitement funéraire des individus souffrants à travers les siècles ». Pour un aperçu vulgarisé consulter le site Actuel Moyen-Âge qui consacre actuellement des chroniques régulière à la gestion des épidémies au Moyen-Âge. 
2. HCSP, Avis relatif à la prise en charge du corps d’un patient cas probable ou confirmé covid-19, 24 mars 2020, p. 1.
3. Décr. n° 2020-384 du 1er avr. 2020 complétant le décr. n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, JORF n° 0080 du 2 avr. 2020, art. 1.
4. HCSP, relatif à la prise en charge du corps d’un patient décédé infecté par le virus SARS-CoV-2, 18 févr; 2020, p. 2.
5. À savoir lunettes, masque chirurgical, tablier anti- projection et gants à usage unique.
6. Le nombre de décès dans ce département a augmenté de 63 % entre la semaine du 14 mars et celle du 21 mars (Source : INSEE). Cette augmentation peut être diversement expliquées. Bien que la population de Seine-Saint-Denis soit globalement plus jeune que celle d’autres départements (et donc moins sujette à décès), les mesures de confinement y sont plus difficiles à appliquer : la surpopulation des logements rend le confinement moins supportable, les catégories socio-professionnelles qui y sont représentées sont moins sujettes au télétravail, le nombre de lits en réanimation y est moins important qu’ailleurs, etc.
7. La situation de Mayotte est particulièrement préoccupante : les funérailles sont souvent entièrement assurées par les proches, la toilette rituelle est pratiquée par la quasi-totalité de la population et l’inhumation sans cercueil y est la norme en pratique. Pour un aperçu, v. Mayotte Hebdo, 2 avr. 2020.
8. L’Agence régionale de santé d’Île-de-France a d’ailleurs mis en place une cellule d’écoute des personnes endeuillée : 01 48 95 59 40 (du lundi au vendredi de 10 h à 17 h) ou .
9. Arr. du 12 juill. 2017 fixant les listes des infections transmissibles prescrivant ou portant interdiction de certaines opérations funéraires mentionnées à l’art. R. 2213-2-1 CGCT, JORF n° 0168 du 20 juill. 2017, texte n° 19. Pour plus de détails, v. notre commentaire : Ouverture et encadrement des soins de thanatopraxie. Évolutions pratiques et idéologiques du traitement des corps, La Revue des droits de l’homme [En ligne], Actualités Droits-Libertés, 6 sept. 2017.
10. Décr. n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, art. 8 : vingt personnes pour les rassemblements dans les lieux de culte. Il semble que pour les autres lieux fermés il faille s’en remettre aux prescriptions locales. Pour ce qui est des lieux ouverts, dans le flou des textes il semble que, sauf position municipale spécifique, se soit l’interdiction d’un rassemblement de plus de cent personnes qui trouve à s’appliquer (art. 7).
11. Un recensement indicatif de ces États a été effectué par l’association française d’information funéraire.
12. Arr. du 28 mars 2020 modifiant l’arrêté du 12 juill. 2017 fixant les listes des infections transmissibles prescrivant ou portant interdiction de certaines opérations funéraires mentionnées à l’art. R. 2213-2-1 CGCT.
13. Pour plus de détails consulter la publication de l’INSEE du 3 avr. 2020. 
14. On y ajoutera la prolongation jusqu’au 31 déc. 2020 des habilitations de l’ensemble des opérateurs funéraires.
15. Décr. n° 2020-384 du 1er avr. 2020, préc., art. 1er.
16. Décr. n° 2020-352 du 27 mars 2020 portant adaptation des règles funéraires en raison des circonstances exceptionnelles liées à l’épidémie de covid-19, JORF n° 0076 du 28 mars 2020, art. 8.
17. Décr. n° 2011-121 du 28 janv. 2011 relatif aux opérations funéraires, JORF n° 0025 du 30 janv. 2011, p. 1926.
18. V. Réponse ministérielle à la question écrite n° 17667, JO Sénat du 29 mars 2012, p. 786.
19. Même si le décret énonce ne contenir que des modifications provisoire du droit funéraire, l’art. 8 ici étudié n’est soumis à aucune date de fin d’application.
20. Mettons ici de côté la possibilité de reporter les contrôles de conformité et la transmission des attestations de conformité pour les véhicules de transport de corps respectivement de un et deux mois après la fin de l’état d’urgence.
21. Soulignons qu’au titre de ces mesures provisoires le transport du corps lui-même, avant mise en bière, peut être autorisé localement sans déclaration préalable, de même que le transport inter-communal après mise en bière. Les déclarations devront être transmises dans un délai d’un mois après la fin de l’urgence sanitaire.
22. Fonctionnaire de police nationale ou municipale ou encore garde-champêtre, art. L. 2213-14 CGCT.

Adaptation des normes funéraires dans le cadre de l’urgence sanitaire

Afin de limiter les risques de contamination résultant du contact avec des cadavres contaminés et pour prendre en compte les difficultés dans l’organisation des funérailles liées au confinement et à la surmortalité, le gouvernement adapte les normes funéraires. Des décisions qui vont parfois au-delà des recommandations du Haut Conseil de la santé publique.

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Coronavirus et état d’urgence sanitaire : la Convention européenne continue de s’appliquer

Dans plusieurs communications du 24 mars, 7 et 9 avril 2020, les institutions du Conseil de l’Europe rappellent aux États que la Convention européenne des droits de l’homme continue à s’appliquer dans le cadre des mesures adoptées pour faire face à la pandémie de coronavirus, même lorsqu’ils entendent bénéficier de la clause de dérogation inscrite à l’article 15.

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Adaptation des normes funéraires dans le cadre de l’urgence sanitaire

Afin de limiter les risques de contamination résultant du contact avec des cadavres contaminés et pour prendre en compte les difficultés dans l’organisation des funérailles liées au confinement et à la surmortalité, le gouvernement adapte les normes funéraires. Des décisions qui vont parfois au-delà des recommandations du Haut Conseil de la santé publique.

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Justice et intelligence artificielle, préparer demain - épisode III

Regards croisés d’une juriste et d’un mathématicien.

Ce dossier, proposé par Laurence Pécaut-Rivolier, conseillère à la Cour de cassation, et Stéphane Robin, directeur de recherche à l’INRA, a été séparé en trois épisodes.

Lien vers le premier épisode, publié le 14 avril.

Lien vers le deuxième épisode, publié le 15 avril.

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Les avocats, les référés-liberté et le Conseil d’État

Depuis le début du confinement et, plus encore, après la promulgation de l’état d’urgence sanitaire, le Conseil d’État a été saisi de nombreux recours en référé-liberté. Les avocats, par le biais de leurs institutions représentatives, syndicats et associations, sont à l’origine de plusieurs de ces requêtes.

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Purge amiable d’une hypothèque et remise des clés au bailleur

Deux époux avaient consenti une promesse de vente d’un bien immobilier à une société civile immobilière, jusque-là locataire dudit bien. La bénéficiaire de la promesse ayant levé l’option, le prix de vente fut versé entre les mains d’un notaire. Ce dernier releva alors l’existence d’une inscription hypothécaire. À défaut d’accord entre les parties sur les modalités de la mainlevée de cette sûreté, le notaire dressa successivement deux procès-verbaux de difficultés. Les vendeurs persistèrent à refuser la purge amiable de l’hypothèque, en dépit de l’accord du créancier hypothécaire. Ils assignèrent la SCI en réalisation judiciaire de la vente avec séquestration ou consignation du prix à hauteur d’une offre réelle de paiement faite au créancier, dans l’attente de la décision à intervenir dans l’instance en radiation sans paiement introduite contre celui-ci.

La cour d’appel enjoignit aux vendeurs de signer l’acte authentique de vente sans les modalités particulières exigées et les condamna au paiement de dommages-intérêts, considérant leur refus de procéder à la purge amiable de l’immeuble illégitime. Elle rejeta par ailleurs leur demande en paiement d’une indemnité d’occupation et les condamna à restituer à la SCI le dépôt de garantie, aux motifs que les lieux n’étaient plus occupés matériellement par le preneur.

Dans leur pourvoi en cassation, les vendeurs invoquent, d’une part, la violation par la cour d’appel de l’article 2475 du code civil, lequel ne leur imposerait pas de consentir à la purge amiable de l’immeuble. Ils soutiennent, d’autre part, qu’il appartient au preneur, qui a la charge de la preuve, de restituer l’immeuble loué à l’expiration du bail. La cour d’appel aurait ainsi violé l’article 1737 du code civil en ne constatant pas que le preneur leur avait bel et bien remis les clés.

Dans l’arrêt de cassation rapporté du 5 mars 2020, la troisième chambre civile précise, pour la première fois à notre connaissance, le caractère facultatif de la purge amiable. Cette décision est, par ailleurs, l’occasion de rappeler la solution traditionnelle selon laquelle la libération des lieux à l’expiration du bail ne peut résulter que de la remise effective des clés au bailleur ou à son mandataire.

Affirmation du caractère facultatif de la purge amiable

En cas de vente d’un immeuble hypothéqué, le créancier hypothécaire ne dispose pas d’un droit de préférence sur le prix de vente amiable du bien (Civ. 3e, 8 févr. 2018, n° 16-27.941, D. 2018. 350 image ; AJDI 2018. 543 image, obs. J.-P. Borel image ; RTD civ. 2018. 462, obs. P. Crocq image). Le droit de suite, attaché à sa sûreté, lui permet seulement de saisir le bien entre les mains du nouveau propriétaire afin d’exercer son droit de préférence sur le prix de la vente forcée. La procédure de purge légale (C. civ., art. 2476 s.) a pour objet de permettre à l’acquéreur d’éviter une telle saisie en désintéressant le créancier pour obtenir la radiation de son inscription. La lourdeur et la complexité d’une telle procédure a toutefois conduit la pratique notariale à organiser une purge amiable de l’hypothèque, reposant sur la volonté des parties. L’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 a consacré une telle purge amiable à l’article 2475 du code civil (J. Combarieu, La purge amiable des privilèges et hypothèques, JCP N 2008. 1059).

L’arrêt commenté offre l’occasion à la Cour de cassation de préciser que cette procédure de purge amiable est seulement facultative pour le vendeur, lequel a parfaitement le droit de la refuser quand bien même le créancier hypothécaire y aurait, de son côté, donné son accord. Une telle analyse est conforme au texte de l’article 2475 du code civil, lequel subordonne expressément la purge amiable à l’existence d’un accord entre les créanciers inscrits et le débiteur (al. 1er). À défaut d’accord entre eux, la purge doit être réalisée conformément aux articles suivants (ce que précise l’al. 3 de l’art. 2475).

Le rappel de l’exigence d’une remise effective des clés au bailleur pour la libération des lieux

Un bail à durée déterminée comprend un terme extinctif. Il prend ainsi fin à l’arrivée du terme (C. civ., art. 1737). Le preneur est alors tenu de libérer les lieux loués. Le bailleur peut prétendre, à défaut, au versement d’une indemnité d’occupation, laquelle « est la contrepartie de l’utilisation sans titre du bien » (Civ. 2e, 6 juin 2019, n° 18-12.353, D. 2019. 1235 image ; AJDI 2019. 817 image, obs. F. Cohet image ; ibid. 745, point de vue D. Tomasin image).

Toute la question était en l’espèce de déterminer si les locataires avaient libéré les lieux au terme du bail. Tandis que la cour d’appel se fonde sur un faisceau d’indices, tels que la résiliation des contrats de fourniture d’eau et d’électricité, pour répondre positivement à cette question, la Cour de cassation rappelle fermement que la libération des lieux ne peut résulter que de la remise des clés au bailleur en personne ou à un mandataire dûment habilité à les recevoir.

La solution est classique (Civ. 3e, 13 oct. 1999, n° 97-21.683, D. 1999. 87 image, obs. Y. R. image ; AJDI 1999. 1160 image ; 13 nov. 1997, n° 96-11.493). Peu importe que le locataire ait physiquement quitté les lieux (Civ. 3e, 17 juill. 1997, n° 95-22.070, D. 1997. 206 image). Les juges du fond sont tenus de rechercher « au besoin d’office, si les clés avaient été remises en mains propres au bailleur ou au représentant de celui-ci » (Civ. 3e, 5 nov. 2003, n° 01-17.530, D. 2003. 2966 image, obs. Y. Rouquet image ; AJDI 2004. 808 image, obs. J.-P. Blatter image ; RTD civ. 2004. 727, obs. J. Mestre et B. Fages image). La remise des clés n’est pas valable lorsqu’elle est faite à une autre personne, y compris à un huissier (Civ. 3e, 13 juin 2001, n° 99-14.998, D. 2001. 2084 image ; AJDI 2001. 985 image, obs. S. Beaugendre image). Il appartient au preneur de prendre l’initiative de rendre les clés, le fait de mettre le bailleur en demeure de les récupérer étant insuffisant (Civ. 3e, 23 juin 2009, n° 08-12.291, AJDI 2010. 125 image, obs. F. de La Vaissière image). Seule la mauvaise foi du bailleur, dont l’attitude rend impossible la remise des clés (Civ. 3e, 6 mai 2014, n° 13-11.442, AJDI 2014. 613 image) ou qui la refuse, peut faire obstacle au versement d’une indemnité d’occupation lorsque les clés ne sont pas rendues par le preneur à l’arrivée du terme (Civ. 3e, 2 mars 2017, n° 15-28.157, AJDI 2017. 506 image, obs. F. de La Vaissière image).

Purge amiable d’une hypothèque et remise des clés au bailleur

La purge amiable est une procédure facultative qui nécessite l’accord du vendeur sans qu’il soit tenu d’y consentir. Le bail cesse de plein de droit à l’expiration du terme fixé et la restitution du local par le preneur suppose la remise effective des clés au bailleur en personne ou à son mandataire.

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La purge amiable est une procédure facultative qui nécessite l’accord du vendeur sans qu’il soit tenu d’y consentir. Le bail cesse de plein de droit à l’expiration du terme fixé et la restitution du local par le preneur suppose la remise effective des clés au bailleur en personne ou à son mandataire.

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Assurance « grand risque » : inopposabilité de la clause attributive à l’assuré

Une compagnie d’assurances et une société, qui interviennent dans le domaine de la sécurité, ayant leur siège en Lettonie concluent un contrat d’assurance générale de responsabilité civile, qui couvre également la responsabilité d’une filiale à 100 % immatriculée en Lituanie. Les conditions générales du contrat prévoient une clause attributive de compétence au juge letton et indiquent que ce juge applique la loi lettone.

Or, suite à un vol commis dans une bijouterie dans laquelle la filiale lituanienne était chargée d’assurer la surveillance, celle-ci a dû dédommager la cliente et a ensuite saisi un juge lituanien d’une procédure dirigée contre la compagnie d’assurance.

Ce juge s’est déclaré incompétent au profit du juge letton, au regard de la clause attributive stipulée dans le contrat d’assurance signé par la société mère.

La difficulté concernait la mise en œuvre du règlement n° 1215/2012 Bruxelles I bis du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, et en particulier de ses articles 15 et 16.

L’article 15 prévoit la possibilité, en matière d’assurances, de conclure une clause attributive de compétence à certaines conditions : une telle clause doit notamment être postérieure à la naissance du différend et concerner, selon le point 5, « un contrat d’assurance en tant que celui-ci couvre un ou plusieurs des risques énumérés à l’article 16 ».

L’article 16 vise quant à lui différents types de risque, par exemple tout dommage aux marchandises autres que les bagages des passagers, durant un transport réalisé par ses navires ou aéronefs soit en totalité soit en combinaison avec d’autres modes de transport. Cet article 16 vise, surtout, par son point 5, tous les « grands risques » au sens de la directive 2009/138/CE du 25 novembre 2009 sur l’accès aux activités de l’assurance et de la réassurance et leur exercice (solvabilité II). Par son article 13, point 27 (et sur renvoi à la partie A de l’Annexe I de la directive), cette directive vise à ce titre, par exemple, tout dommage subi par les véhicules ferroviaires, aériens, fluviaux ou maritimes.

Au regard de ces dispositions, il s’agissait de déterminer si la clause attributive de juridiction prévue dans un contrat d’assurance conclu par le preneur d’assurance et l’assureur et couvrant un « grand risque » peut être opposée à la personne assurée par ce contrat.

Cette question de l’opposabilité d’une clause attributive dans le domaine des contrats d’assurance n’est pas nouvelle dans le droit de l’Union européenne (sur l’ensemble, Rép. intern., v° Compétence judiciaire européenne, reconnaissance et exécution des décisions en matières civile et commerciale, par D. Alexandre et A. Huet, n° 118). Il a notamment été jugé qu’une telle clause n’est pas opposable à l’assuré bénéficiaire qui n’y a pas expressément souscrit et a son domicile dans un État membre autre que celui du preneur d’assurance et de l’assureur (CJCE 12 mai 2005, aff. C-112/03, D. 2005. 1586 image ; Rev. crit. DIP 2005. 753, note V. Heuzé image ; Procédures 2006. Comm. 75, obs. C. Nourissat ; RJ com. 2005. 338, obs. Raynouard) et qu’une victime disposant d’une action directe contre l’assureur de l’auteur du dommage qu’elle a subi n’est pas liée par une clause attributive de juridiction conclue entre cet assureur et cet auteur (CJUE 13 juill. 2017, aff. C-368/16, D. 2017. 1536 image ; ibid. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2018. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke image ; RTD com. 2017. 741, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast image ; Rev. UE 2018. 301, chron. A. Cudennec, N. Boillet, O. Curtil, C. de Cet-Bertin, G. Guéguen-Hallouët et M. Taillens image).

La spécificité de l’affaire jugée le 27 février 2020 tient à la nature du risque assuré. Il est d’ailleurs à noter cette problématique du « grand risque » fait l’objet d’analyses approfondies en droit international privé (H. Gaudemet-Tallon et M.-E. Ancel, Compétence et exécution des jugements en Europe, 6e éd., LGDJ, 2018, n° 300 ; M.-E. Ancel, P. Deumier et M. Laazouzi, Droit des contrats internationaux, Sirey, 2017, n° 740).

Avant de prendre position sur l’opposabilité de la clause attributive à l’assuré qui n’a pas souscrit le contrat d’assurance couvrant un « grand risque », l’arrêt (pt 37) rappelle, de manière générale, qu’en matière d’assurances, la prorogation de compétence demeure strictement encadrée par l’objectif de protection de la personne économiquement la plus faible (CJUE 13 juill. 2017, préc., pt 36).

Cet objectif vaut-il toutefois également à propos des contrats couvrant un « grand risque » ? Le doute est permis selon l’arrêt (pt 38), puisque les assurés peuvent « jouir d’une puissance économique importante », tout comme les assureurs et les preneurs d’assurance eux-mêmes. La Cour de justice écarte néanmoins la pertinence d’un tel doute, au motif que les puissances économiques respectives de l’assureur et du preneur d’assurance, d’une part, et de l’assuré, d’autre part, ne sont pas identiques (arrêt, pt 40).

L’arrêt relève alors que l’assuré n’était pas, en l’espèce, un professionnel du secteur des assurances, n’avait pas consenti à cette clause et était, de surcroît, domicilié dans un État membre autre que celui du domicile du preneur d’assurance et de l’assureur (arrêt, pt 46). La Cour de justice en déduit que la clause attributive de juridiction prévue dans le contrat ne pouvait pas être opposée à la personne assurée par le contrat d’assurance couvrant un « grand risque » conclu par l’assureur et le preneur d’assurance.

Cette solution peut être approuvée en ce qu’elle s’inscrit dans la ligne de la jurisprudence relative aux clauses attributives en matière d’assurance, qui a été rappelée précédemment. On peut toutefois regretter le fait que la Cour de justice procède plus par des affirmations successives que par une démonstration étayée, et ce dans le cadre d’un arrêt dont la motivation aurait gagné à être plus limpide et ramassée.

Assurance « grand risque » : inopposabilité de la clause attributive à l’assuré

En application des articles 15, § 5, et 16, § 5, du règlement Bruxelles I bis, la clause attributive de juridiction prévue dans un contrat d’assurance couvrant un « grand risque », conclu par le preneur d’assurance et l’assureur, ne peut être opposée à la personne assurée, qui n’est pas un professionnel du secteur des assurances, qui n’a pas consenti à cette clause et qui est domiciliée dans un État membre autre que celui du domicile du preneur d’assurance et de l’assureur.

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Assurance « grand risque » : inopposabilité de la clause attributive à l’assuré

En application des articles 15, § 5, et 16, § 5, du règlement Bruxelles I bis, la clause attributive de juridiction prévue dans un contrat d’assurance couvrant un « grand risque », conclu par le preneur d’assurance et l’assureur, ne peut être opposée à la personne assurée, qui n’est pas un professionnel du secteur des assurances, qui n’a pas consenti à cette clause et qui est domiciliée dans un État membre autre que celui du domicile du preneur d’assurance et de l’assureur.

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Coronavirus et adaptation du fonctionnement des juridictions judiciaires : rejet des référés devant le Conseil d’État

C’est un euphémisme de dire que le Conseil d’État, en tant que « garant de la légalité de l’action publique » et protecteur « des droits et libertés des citoyens » (v. la présentation de ses missions sur le site internet de la juridiction), est sollicité en ces temps de crise.

Par une ordonnance du 10 avril 2020, c’est le juge des référés de la haute juridiction administrative qui s’est prononcé sur des demandes formées par plusieurs organisations, parmi lesquelles figuraient le Conseil National des Barreaux, le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature, à l’encontre de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale (v. sur ces règles, B. Gutton et G. Langlais, L’organisation des juridictions pendant l’état d’urgence sanitaire, Dossier, 8 avr. 2020).

La juridiction avait été saisie pour ordonner la suspension de l’exécution des articles 4, 7, 8, 9, 13 à 19 et 21 de cette ordonnance. Il s’agissait de deux requêtes formulant des griefs similaires et dont la jonction a permis au juge des référés de statuer en une seule ordonnance.

Le demandeurs soutenaient notamment qu’il était porté une atteinte grave et manifestement illégale aux droits de la défense dès lors que :

l’article 4 de l’ordonnance contestée permet aux juridictions d’aviser les parties du renvoi d’une audience ou d’une audition par lettre simple ou par tout moyen sans avoir à s’assurer de la bonne réception de cette information ; l’article 8 permet au juge d’aviser les parties par tout moyen et de sa décision de recourir à une procédure purement écrite sans audience sans avoir à s’assurer de la réception de cette information susceptible d’intervenir après la clôture de l’instruction,les parties sont dans l’impossibilité de contester le recours à une procédure purement écrite sans audience ; l’article 7 permet au juge de décider que l’audience se tiendra en utilisant un moyen de télécommunication audiovisuelle ou, à défaut, de décider d’entendre les parties et leurs avocats par tout moyen de communication électronique sans que celles-ci puissent s’y opposer ; l’article 9 permet au juge des référés de recourir aux « ordonnances de tri ».

Ils formulaient en outre un certain nombre de critiques relatives aux modalités de renouvellement d’une mesure d’assistance éducative ainsi qu’à la modification ou à la suspension du droit de visite et d’hébergement.

L’ensemble des requêtes sont rejetées par cette ordonnance du 10 avril 2020 (v. aussi pour le rejet des recours formés contre l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale, CE, ord., 3 avr. 2020, n° 439894 et  pour le rejet des demandes formées contre l’ordonnance n° 2020-305 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif, CE, ord., 10 avr. 2020, n° 439903). La motivation de la décision est développée en trois temps.

L’importance des « circonstances »

« Sur les circonstances… ». Pour motiver ce rejet, la juridiction commence par quelques considérations méthodiquement développées sur « les circonstances » dans lesquelles interviennent ces requêtes.

Le juge relève d’abord que l’émergence du covid-19, « de caractère pathogène et particulièrement contagieux », et sa propagation sur le territoire français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre des mesures à compter du 4 mars 2020, par plusieurs arrêtés (fermeture d’un grand nombre d’établissements recevant du public, interdictions des rassemblements de plus de 100 personnes, suspension de l’accueil des élèves et étudiants dans les établissements scolaires et universitaires, etc.). Par ailleurs, par un décret du 16 mars 2020, « motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l’épidémie de covid-19 », modifié par décret du 19 mars, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve de certaines exceptions, à compter du 17 mars. Le ministre des solidarités et de la santé a ensuite complété ces mesures.

Il observe ensuite que la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, l’état d’urgence sanitaire a été déclaré pour une durée de deux mois sur l’ensemble du territoire national. L’article 11 de cette même loi a habilité le Gouvernement, pendant trois mois, à prendre par ordonnances, dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, toute mesure relevant du domaine de la loi afin de faire face aux conséquences de la propagation de l’épidémie de covid-19. En particulier, le Gouvernement a été autorisé, « afin de faire face aux conséquences, notamment de nature administrative ou juridictionnelle, de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation » à prendre toute mesure pour adapter, aux seules fins de limiter la propagation de l’épidémie de covid-19 parmi les personnes participant à la conduite et au déroulement des instances, les règles relatives à la compétence territoriale et aux formations de jugement des juridictions de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire ainsi que les règles relatives aux délais de procédure et de jugement, à la publicité des audiences et à leur tenue, au recours à la visioconférence devant ces juridictions et aux modalités de saisine de la juridiction et d’organisation du contradictoire devant les juridictions.

Il rappelle enfin que c’est sur le fondement de cette habilitation que l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de propriété a adapté les règles de la procédure civile en édictant des règles dérogatoires applicables, « pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée », comme l’indique son article 1er,

L’examen des dispositions relatives à l’activité des juridictions de l’ordre judiciaire en matière non pénale

Une fois ces éléments de contexte posés, le juge des référés du Conseil d’État livre plus en détails les motifs de la décision, en passant en revue chacun des articles contestés :

Renvois et information des parties. En ce qui concerne l’article 4 de l’ordonnance qui prévoit des modalités simplifiées de renvoi des audiences ou des auditions supprimées et indique que, dans les cas où les parties ne sont pas représentées ou assistées par un avocat et n’ont pas consenti à la réception des actes sur le « Portail du justiciable », la décision est rendue par défaut lorsque le défendeur ne comparaît pas, le juge des référés du Conseil d’État rejette toute atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il explique que ces dispositions sont destinées, d’une part, à augmenter la possibilité de porter à la connaissance effective des parties le renvoi de leur affaire ou audition, alors que les modalités habituelles d’information ne leur sont plus toujours accessibles, et, d’autre part, pour les parties qui ne sont pas représentées ou assistées par un avocat et qui n’ont pas consenti à la réception des actes sur le « Portail du justiciable », à préserver les droits des défendeurs qui ne comparaîtraient pas à l’audience, ces derniers bénéficiant dans ce cas, dès lors que la décision est rendue par défaut, d’un double de degré de juridiction.

Télécommunication. La décision évoque ensuite l’article 7 de l’ordonnance qui prévoit la possibilité dérogatoire de recourir à des moyens de télécommunication audiovisuelle devant les juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale, sans qu’il soit nécessaire de recueillir l’accord des parties, et également, dans le cas où il serait techniquement ou matériellement impossible d’avoir recours à ces moyens, de recourir à des moyens de communication téléphonique « permettant de s’assurer de la qualité de la transmission, de l’identité des personnes et de garantir la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats ». Ce texte précise en outre que le juge organise et conduit la procédure, qu’il « s’assure du bon déroulement des échanges entre les parties et veille au respect des droits de la défense et au caractère contradictoire des débats », et que le greffe dresse le procès-verbal des opérations effectuées.

Pour le Conseil d’État, en autorisant, sous les conditions prévues, le recours dérogatoire à des moyens de communication à distance pendant la période prévue à l’article 1er de l’ordonnance, dans le but de permettre une continuité d’activité des juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale, l’article 7 de l’ordonnance contestée n’a pas porté d’atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées par les requérants. La justification est avant tout sanitaire pour le juge des référés qui prend soin de préciser « que les exigences de la lutte contre l’épidémie de covid-19 imposent de faire échec à la propagation du virus et de limiter, autant que faire se peut, les contacts entre les personnes et que la présence personnelle de l’avocat auprès du justiciable est simplement aménagée par l’ordonnance de manière à être compatible avec les impératifs de distanciation sociale et de limitation de la contamination ».

Procédure sans audience. Il traite par ailleurs de l’article 8 de l’ordonnance qui permet au juge ou au président de la formation de jugement, lorsque la représentation par avocat est obligatoire ou que les parties sont représentées ou assistées par un avocat, de recourir à une procédure écrite sans audience. Les parties en sont informées par tout moyen et disposent, à l’exception des procédures en référé, des procédures accélérées au fond et des procédures dans lesquelles le juge doit statuer dans un délai déterminé, d’un délai de quinze jours pour s’opposer à la procédure sans audience. À défaut d’opposition, la procédure est exclusivement écrite. La communication entre les parties est faite par notification entre avocats.

Le Conseil d’État vise « le rapport au président de la République de l’ordonnance » (JUSC2008164P) qui énonce que les règles de la procédure civile ont été adaptées pour permettre autant que possible le maintien de l’activité des juridictions civiles, sociales et commerciales malgré les mesures d’urgence sanitaire prises pour ralentir la propagation du virus covid-19. Partant, la décision relève que l’article 8 de l’ordonnance vise à permettre, dans les procédures où un avocat est présent, le recours dérogatoire à une procédure écrite sans audience, dont les parties sont préalablement avisées et auquel elles sont en mesure de s’opposer sauf en cas de référé, de procédure accélérée au fond ou lorsque le juge doit statuer dans un délai imparti, et dont le caractère contradictoire est assuré, pendant la période prévue à l’article 1er de l’ordonnance. Ce faisant, il ne porte aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées par les requérants. Une fois n’est pas coutume, le Conseil d’État justifie sa position en observant que les exigences de la lutte contre l’épidémie de covid-19 imposent de faire échec à la propagation du virus et de limiter, autant que faire se peut, les contacts entre les personnes, et que cette disposition vise à faciliter une continuité de l’activité des juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale dans le respect des consignes de distanciation sociale.

Référés : rejet avant l’audience. En ce qui concerne l’article 9 de l’ordonnance qui donne à la juridiction de référé, la possibilité, qui a suscité de vives critiques (v. B. Gutton et G. Langlais ; L. Cadiet, « Un état d’exception pour la procédure civile à l’épreuve du coronavirus : des règles dérogatoires d’organisation des juridictions », Le club des juristes, 15 avr. 2020) de rejeter par ordonnance non contradictoire une demande irrecevable ou qui n’est pas de celles qui peuvent être tranchées en référé, l’arrêt vise encore « le rapport au Président de la République de l’ordonnance » qui précise que cette mesure est destinée à éviter l’engorgement des audiences de référé qui sont par ailleurs maintenues. Il se réfère en outre à la circulaire CIV/02/20 du 26 mars 2020, selon laquelle l’usage de cette faculté concerne les demandes qui apparaissent avec évidence irrecevables ou ne remplissant pas les conditions du référé. Les ordonnances ainsi prises, « ne peuvent préjudicier aux défenseurs », « doivent être motivées » et « sont par ailleurs susceptibles de recours selon les voies ordinaires de recours ». Partant, la disposition contestée n’a pas, en prenant une telle mesure qui adapte les modalités d’organisation du contradictoire en première instance dans le but de permettre une continuité d’activité des juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale « sans engorger les audiences de référé », porté d’atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Sur les dispositions spécifiques aux juridictions pour enfants et à l’assistance éducative

La suite concerne les articles 13 à 19 et 21 de l’ordonnance qui visent des dispositions spécifiques aux juridictions pour enfants et à l’assistance éducative :

en permettant au juge des enfants, sans audition des parties et par décision motivée, de proroger de plein droit les mesures de placement, d’assistance éducative en milieu ouvert et d’investigation en cours, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire (art. 13) ; en permettant au juge des enfants, sur proposition du service chargé de la mesure, de renouveler pour une durée limitée la mesure d’assistance éducative en milieu ouvert, de placement et d’aide à la gestion du budget familial, par décision motivée, sans audition, sous réserve de l’accord écrit de l’un des parents au moins et de l’absence d’opposition de l’autre parent (art. 14) ; en prévoyant, lorsqu’une interdiction de sortie du territoire a été prononcée en même temps que la mesure éducative qui a été renouvelée en application de l’article 14, la possibilité de renouveler cette interdiction dans les mêmes conditions et pour la même durée que la mesure qu’elle accompagne (art. 15) ; en modifiant les délais prévus aux articles 1184 et 1185 du code de procédure civile sur les mesures provisoires afin de permettre l’organisation des audiences nécessaires, notamment après une mesure de placement provisoire en urgence (art. 16 et 17) ; en prévoyant la possibilité, s’agissant des nouvelles requêtes, de dire qu’il n’y a pas lieu à ordonner une mesure d’assistance éducative ; d’ordonner une mesure judiciaire d’investigation éducative ou d’expertise ; d’ordonner une mesure d’accompagnement éducatif en milieu ouvert pour une durée qui ne peut excéder six mois (art. 18) ; en permettant au juge des enfants, si l’intérêt de l’enfant l’exige, de suspendre ou modifier les droits de visite et d’hébergement pour une durée ne pouvant excéder celle de l’état d’urgence sanitaire, sans audience et par décision motivée, le maintien des liens entre l’enfant et la famille étant conservé par tout moyen (art. 19) ; en aménageant les modalités de convocation et de notification des décisions, ainsi également que les conditions de contreseing des décisions suspendant ou modifiant des droits de visite et d’hébergement pour les enfants confiés, pour la seule période de l’état d’urgence sanitaire (art. 21).

Pour le juge des référés, ces dispositions mettent en œuvre l’habilitation prévue par la loi du 23 mars 2020 en permettant aux juridictions pour enfants de proroger, renouveler et prononcer des mesures d’assistance éducative pour une durée limitée, assorties le cas échéant d’une interdiction de sortie du territoire, par décision motivée et sans audition des parties, mais au terme d’une procédure contradictoire. Elles leur reconnaissent également la possibilité de suspendre ou modifier le droit de visite et d’hébergement dans les mêmes conditions.

Deux motifs sont avancés par la décision pour rejeter les différents griefs : d’une part, les dispositions contestées sont justifiées par l’intérêt qui s’attache à la continuité du suivi éducatif des mineurs concernés et d’autre part, contrairement à ce qui était soutenu, elles ne font pas obstacle à ce que le mineur capable de discernement puisse préalablement exprimer son avis. Par conséquent, elles ne portent pas d’atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale en permettant au juge de décider de telles mesures sans audition des intéressés et en réservant les audiences maintenues aux mesures les plus graves et aux situations urgentes, eu égard aux circonstances résultant de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour lutter contre la propagation du virus.

En définitive, on comprend à la lecture de cette ordonnance que deux arguments majeurs justifient le rejet prononcé par le juge des référés de la haute juridiction administrative. D’abord, le contexte exceptionnel dans lequel le pays tout entier est placé et ensuite la nécessité, corrélative, d’assurer le fonctionnement des juridictions de l’ordre judiciaire qui rappelons-le, doivent elles-mêmes composer avec les contraintes imposées par leurs plans de continuation d’activités. Certes, il ne s’agit pas seulement d’une « adaptation » comme l’indique l’ordonnance mais aussi et surtout d’un fonctionnement d’exception (v. L. Cadiet, préc.) qui a pour vocation première de permettre une poursuite de l’activité des juridictions en dépit de la situation. Mais, pour le Conseil d’État, la crise sanitaire qui touche la France et la situation inédite de confinement de l’ensemble de la population justifient les mesures exorbitantes contenues dans les dispositions critiquées et les garanties procédurales prévues sont jugées suffisantes. La décision laisse assez clairement transparaître une mise en balance des impératifs en jeu et leur nécessaire conciliation dans un contexte inédit : d’un côté les droit et libertés des parties qui doivent être garantis aux parties au cours de toute procédure juridictionnelle ; de l’autre, les enjeux sanitaires de la lutte contre le covid-19. Cette recherche d’équilibre justifie à son tour d’interpréter strictement les dispositions de l’ordonnance, « dans la seule mesure des raisons qui en justifient l’édiction » (L. Cadiet, préc.), c’est-à-dire « aux seules fins de limiter la propagation de l’épidémie de covid-19 parmi les personnes participant à la conduite et au déroulement des instances » (L. n° 2020-290, art. 11, 2°, c). De ce point de vue, les magistrats de l’ordre judiciaire, qui sont en prise directe avec ces procédures d’exception, ont un rôle essentiel à jouer.  

Adaptation du fonctionnement des juridictions judiciaires : rejet des référés formés devant le Conseil d’État

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Coronavirus : rentrée chamboulée à l’ENM, sortie compliquée pour la promotion 2018

Le confinement a empêché vingt-sept auditeurs de justice, sur une promotion de trois cent cinquante, de passer le grand oral dont la note détermine le rang de sortie et le choix du premier poste. Crise ou pas, ces futurs magistrats doivent entrer en fonction le 1er septembre et la direction de l’ENM assure qu’elle fait tout pour qu’il n’y ait pas de décalage sur la prise de poste.

La direction de l’ENM envisage une reprise de l’épreuve dans les jours suivant le 11 mai, date fixée par le chef de l’État pour un possible déconfinement. « Nous travaillons à une reprise des épreuves après cette date et nous espérons qu’elles pourront se tenir entre fin mai et début juin », indique le directeur de l’ENM, Olivier Leurent. Trois jours de grand oral avec respect des mesures de distanciation sociales et des gestes barrières. « J’espère que les auditeurs pourront choisir leurs postes dans les huit premiers jours de juin », souligne Olivier Leurent.

Si les auditeurs de justice ne connaissent pas la liste des fonctions proposées – elle devrait être publiée d’ici la fin du mois d’avril –, ils ont pourtant commencé leur stage de préparation théorique aux premières fonctions. Ils l’effectuent dans un premier temps à distance avant de la terminer en juridiction. En raison des circonstances particulières, le stage devrait être réduit d’un mois.

En attendant, ils ont accès aux documents pédagogiques sur les fonctions qui les intéressent. La direction envisage de leur faire bénéficier de quinze jours de formation l’année prochaine pour compenser leur fin de parcours réduite.

Cette situation peu commune n’inquiète pas une auditrice ayant passé le grand oral. « Nous avons eu une formation très longue et très riche et nous avons été bien formés. Je pense que nous serons prêts à entrer en fonction le 1er septembre, en dépit d’une période de préparation aux premières fonctions raccourcies », estime la jeune femme.

« Il y a une ou deux fonctions qui m’intéressent particulièrement, donc je suis les séquences pédagogiques correspondantes. Je me projette dans chacune des fonctions qu’il nous est donné d’exercer et je suis prête à m’adapter à toutes les situations », conclut-elle.

L’ENM doit faire face à une autre difficulté, le début de scolarité des deux centre quatre-vingt-quatorze auditeurs de la promotion 2020. « Ceux-ci sont en stage “Avocat”, les cabinets ne les ont pas laissés tomber », constate le directeur de l’école. Le 8 juin, ils doivent entamer leur cycle de huit mois d’études à Bordeaux. Avec la pandémie, il n’est plus question de les y accueillir. Les salles sont trop exiguës pour que chacun puisse respecter les mesures de distanciation sociale. La direction et les équipes pédagogiques ont envisagé plusieurs options : location de salles à l’extérieur ; division de la promotion en trois groupes et alternance de télétravail et de cours à l’école. Mais avec le risque d’interrompre la scolarité si l’école se transforme en cluster.

La solution retenue, prise vendredi, est celle de l’enseignement à distance. « Si l’on fait la synthèse entre les risques sanitaires, d’une part, et la dégradation de la qualité pédagogique, d’autre part, la formation à distance l’emporte. C’est une réponse conjoncturelle et la meilleure à la situation actuelle. Mais, sur le moyen long terme, la scolarité doit se faire en présentiel », assure Olivier Leurent. Les cours à distance se dérouleraient du 8 juin à fin juillet avec une reprise des cours à Bordeaux début septembre.

Troisième difficulté, le concours d’accès prévu le 22 mai. Il a été reporté aux 7 et 11 septembre. Les épreuves d’admission se dérouleront à partir du 4 novembre. Ce qui renvoie à début mars l’arrivée des auditeurs. Un décret, validé par le Conseil d’État, réduisant la scolarité de trente et un à vingt-neuf mois de la promotion 2021, devrait être publié sous peu.

Le confinement a par ailleurs suspendu, pour une durée indéterminée, les cycles de formation continue (cinq jours obligatoires pour les magistrats). « Toutes les sessions annulées seront dupliquées l’année prochaine pour que les magistrats retrouvent les réponses à leur besoin de formation », assure Laetitia Dhervilly, sous-directrice de la formation continue à l’ENM. L’école propose plus de cinq cents modules de formation.

Si tous ne sont pas transposables en mode virtuel, l’école, moins d’un mois après le début du confinement, a souhaité déployer des formations en ligne via un logiciel interactif. La première session s’est déroulée les 15 et 17 avril, avec cinquante participants, sur le thème des violences conjugales. Animée par une vice-procureure et une psychologue, elle devrait être programmée à nouveau au regard du nombre de candidats qui s’étaient manifestés, plus de trois cent cinquante.

« On apprend et on progresse à chaque séquence », reconnaît Laetitia Dhervilly. « Nous avons la possibilité de proposer des séquences permettant une réelle interactivité entre les participants et les formateurs, comme celle sur les violences conjugales », souligne-t-elle avant de préciser que d’autres modules, pour cibler un plus large public, sont en cours de construction.

Le premier obstacle à ces formations en ligne reste la disponibilité des magistrats, mobilisés par les plans de continuation d’activité, et leur accès au numérique. « On doit être en capacité de trouver l’équilibre avec les enjeux des juridictions », poursuit-elle. D’ores et déjà, plusieurs nouvelles sessions de formations à distance sont prévues dans les semaines à venir.

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L’ordonnance « délais » du 15 avril 2020 et le secteur immobilier

Traiter l’urgence ! Telle était la fonction assignée aux vingt-six ordonnances adoptées par le gouvernement le 25 mars 2020. Parmi elles figurait la (désormais) célèbre ordonnance 2020-306 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures.

De nombreuses voix, dont les nôtres (Dalloz actualité, 2 avr. 2020, Le droits en débats, par G. Casu et S. Bonnet), s’étaient élevées pour féliciter les auteurs de ce travail accompli dans des délais intenables, mais aussi pour dénoncer les conséquences parfois dramatiques que son application pouvait engendrer. Le secteur de l’immobilier, en particulier, s’était mobilisé pour dénoncer la brutalité (notamment en matière d’urbanisme) ou, au contraire, la timidité (sécurisation des contrats de droit privé) de certaines mesures. Nombreux œuvraient depuis lors au grand jour, ou en secret, dans l’espoir d’une adaptation de ces dispositions…

C’est chose faite avec l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020, dont l’intérêt réside non seulement dans son texte mais aussi dans les précisions apportées par la circulaire du 17 avril 2020 prise pour son application.

En effet, on doit à cette dernière de spécifier un point jusque-là controversé : la date exacte de la fin de l’urgence sanitaire (24 mai à 0h00 ou 25 mai à 0h00) et, par voie de conséquence, la date de fin de la période juridiquement protégée (urgence sanitaire + un mois). La circulaire tranche et énonce clairement qu’« à ce jour, compte tenu des dispositions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, la durée de l’état d’urgence sanitaire est prévue pour s’achever le 24 mai 2020 à 0h00, de sorte que la « période juridiquement protégée » s’achèverait un mois plus tard, soit le 23 juin à minuit ». Le cours des délais touchés par l’ordonnance n° 2020-306 devra donc reprendre le 24 mai (pour certains) ou le 24 juin (pour d’autres), cela sous réserve d’une modification (presque annoncée) de la durée de l’urgence sanitaire avant ces échéances.

Ce point éclairci, il faut s’attacher à l’étude de l’ordonnance modificative elle-même. S’il est agréable d’y retrouver certaines propositions que nous (et d’autres) avions pu formuler, il faut toutefois se garder de tout excès de triomphalisme ! En effet, cette ordonnance modificative souffle le chaud et le froid. De sa lecture naissent des sentiments contradictoires : satisfaction, déception et circonspection.

La satisfaction

Nous avions vertement critiqué l’ordonnance n° 2020-306 pour ses conséquences sur l’instruction et les recours contre les autorisations d’urbanisme. En effet, les demandes d’instruction déposées avant le 12 mars 2020 étaient suspendues pendant la durée de la période juridiquement protégée (urgence sanitaire + un mois) et les demandes nouvelles ne devaient être étudiées qu’à l’expiration de cette période. Quant aux délais de recours contre ces décisions, ils étaient « interrompus » (même si le terme est juridiquement inapproprié) à compter du 12 mars 2020, un nouveau délai de deux mois débutant une fois la période juridiquement protégée écoulée.

La conjonction de ces deux dispositions devait nécessairement plonger le secteur de la construction dans une léthargie catastrophique puisqu’aucun permis n’aurait été délivré avant le 24 juin 2020 et que la purge des permis affichés avant le 12 mars n’aurait été effective qu’à compter du 24 août.

Heureusement, le tir est corrigé par l’ordonnance n° 2020-427 à la faveur de quatre nouveaux articles apportant deux modifications notoires : 

• D’une part, la période juridiquement protégée (urgence sanitaire + un mois) est délaissée au profit d’un délai plus bref limité à la durée de l’urgence sanitaire. Aussi, la période de protection « incompressible » passe, en l’état actuel des choses, de trois à deux mois !

• D’autre part, la nature de la protection évolue. Alors que l’ordonnance n° 2020-306 prévoyait un mécanisme hybride et complexe proche de l’interruption, la nouvelle ordonnance propose une mesure claire et simple : la suspension. Le délai de recours contre un permis de construire, suspendu à compter du 12 mars, ne recommencera que pour la durée qui lui restait à courir à cette date. Il en est de même de l’instruction des mesures d’urbanisme ou des délais de préemption dont bénéficient certains organismes.

Ces deux modifications, dont nous avions d’ailleurs proposé l’adoption, permettent d’adoucir les effets néfastes des précédentes mesures. Ainsi, par exemple, un permis de construire affiché le 25 janvier sera purgé de tout recours le 5 juin, alors que, sous l’empire des dispositions précédentes, la purge n’aurait été acquise que le 24 août.

Il faut donc se réjouir de ces avancées même si, à tout vouloir, on aurait également apprécié que l’étude dématérialisée des autorisations d’urbanisme soit clairement préconisée lorsqu’elle est possible.

La déception

Malheureusement, ce sentiment de satisfaction est rapidement contrarié à la lecture de l’article 4 du texte nouveau, qui amende l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 ! Celui-ci, dont nous avions dénoncé la timidité, sinon l’inanité, ne fait l’objet que d’une modeste retouche.

Pour rappel, cet article traitait du sort des « astreintes, [d]es clauses pénales, [d]es clauses résolutoires ainsi que [d]es clauses prévoyant une déchéance ». Lorsqu’une obligation devait être exécutée dans un délai expirant durant la période juridiquement protégée, ces clauses ne pouvaient prendre effet qu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la fin de la période protégée. Ainsi, dans l’hypothèse d’un commandement de payer des loyers d’habitation sous deux mois et délivré le 15 janvier 2020, la clause résolutoire n’aurait pu prendre effet que le 24 juillet 2020 (soit un mois après la fin de la période juridiquement protégée).

En revanche, aucun mécanisme de suspension n’était prévu lorsque le délai d’exécution de l’obligation expirait après la période juridiquement protégée. Cette omission menait à des situations parfois incohérentes, ainsi que nous l’avions souligné. Par exemple, si la réception d’une maison devait intervenir au plus tard le 31 mars 2020, l’effet de la clause pénale était suspendu jusqu’au 24 juillet 2020. Mais si la réception de cette même maison devait intervenir au plus tard le 30 juin 2020 (c’est-à-dire après la période juridiquement protégée), le constructeur devait les pénalités dès à compter de cette date !

L’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 corrige cette incohérence au gré d’une double modification :

• D’abord, en postulant un report d’application des astreintes, clauses pénales et clauses résolutoires indépendamment de la date d’expiration du délai. Peu importe que le terme de l’obligation intervienne avant, durant ou après l’expiration de la période juridiquement protégée. Dorénavant, l’épidémie « suspend le cours temps » de manière générale.

• Ensuite, en modifiant les modalités de calcul de ce report : désormais, le temps n’est plus suspendu pour une durée fixe et uniforme (un mois après la période juridiquement protégée), mais plus justement du temps écoulé entre, d’une part, le début de la période d’urgence sanitaire (ou la date de naissance de l’obligation, si elle est postérieure à cet événement) et le terme prévu de l’obligation. La durée du report sera donc variable selon la date à laquelle l’obligation devait être exécutée.

Par exemple, si l’obligation née avant le 12 mars devait être exécutée au plus tard le 22 mars, l’application de la clause pénale sera reportée au 4 juillet (période juridiquement protégée + 10 jours) et non au 24 juillet comme prévu par l’ordonnance n° 2020-306.

Et si l’obligation née le 18 mars doit être exécutée avant le 30 juin (après la période juridiquement protégée), alors l’application de la clause pénale sera reportée de 98 jours (durée entre le 18 mars, date de naissance de l’obligation et le 24 juin, fin de la période juridiquement protégée).

Cette modification de l’ordonnance est sans doute bienvenue. Et pourtant, elle déçoit car, s’agissant au moins de la clause pénale, les efforts consentis pour le raffinement de cet article 4 ne présentent pas la moindre utilité.

En effet, le texte n’a pour seul effet que de suspendre la sanction de l’obligation d’exécuter dans les délais (la clause pénale), mais pas l’obligation elle-même. En d’autres termes, celui qui devait s’exécuter pour le 15 avril le doit toujours, seule la sanction contractuellement prévue étant reportée.

Le débiteur n’est donc pas à l’abri de toute sanction ! Si la pénalité contractuellement prévue est inapplicable, le créancier pourra toujours invoquer les dispositions du droit commun et solliciter une indemnisation si le retard lui a causé un quelconque préjudice. Le débiteur ne pourra échapper à la sanction que s’il prouve que son retard relève de la force majeure ou d’une cause valable de prorogation des délais.

Les modifications apportées à l’article 4 de l’ordonnance constituent, par conséquent, une petite déception.

La circonspection

C’est, enfin, la circonspection qui nous gagne à la lecture du « nouvel » article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 (dans sa rédaction issue de l’article 2 du texte nouveau) et, plus précisément, de l’incise fracassante qui lui a été adjointe : « le présent article n’est pas applicable aux délais de réflexion, de rétractation ou de renonciation prévus par la loi ou le règlement ni aux délais prévus pour le remboursement de sommes d’argent en cas d’exercice de ces droits ».

Rappelons que l’article 2 de l’ordonnance du 25 mars 2020 octroie notamment un « report » des actes prescrits par la loi ou le règlement à peine de déchéance. La plupart des auteurs en avaient logiquement déduit que les délais de rétractation et de renonciation accordés par la loi et le règlement se trouvaient suspendus par l’effet de ces dispositions (ainsi par exemple en matière de vente à distance, de contrats d’assurance ou de services financiers à distance ou, s’agissant du droit civil, de la renonciation à une succession après sommation de l’art. 771 C. civ.). 

L’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 condamne donc formellement cette interprétation ! Le droit de rétractation de dix jours dont bénéficie l’acquéreur d’un bien immobilier (CCH, art. L. 271-1) n’est donc pas « touché » par les circonstances actuelles, pas davantage, du reste, que le délai de réflexion de dix jours imposé au bénéficiaire d’une offre de prêt préalablement à son acceptation (C. consom., art. L. 313-34).

On pourrait se réjouir de ces exclusions qui permettent, s’agissant des délais de réflexion, d’autoriser le bénéficiaire à passer l’acte malgré la période d’urgence sanitaire et, s’agissant des délais de rétractation, de conférer un caractère définitif aux actes passés durant cette période. Cette exclusion n’est donc pas critiquable en soi, sauf bien évidemment à constater que l’exercice de la rétractation est parfois matériellement impossible au regard de la situation sanitaire actuelle…

Mais le mal n’est pas là. Il est se trouve un peu plus loin, lorsque le gouvernement prétend attacher à sa modification (osons le mot !) un caractère (faussement) interprétatif et considérer ainsi que les délais de réflexion, rétractation ou renonciation n’ont jamais été affectés par l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020.

Si la mesure n’a guère d’importance pour les délais de réflexion, puisque le caractère interprétatif n’aura d’autre conséquence que d’octroyer à tous ses bénéficiaires la possibilité d’agir et de consentir, on imagine les conséquences dramatiques d’une telle rétroactivité sur les délais de rétractation. Elle prive purement et simplement certains bénéficiaires d’un droit acquis, d’une rétractation sur laquelle ils pouvaient légitimement compter !

De quoi, assurément, être circonspect.

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Retour sur l’obligation pour le juge de relever d’office les dispositions protectrices des consommateurs

L’office du juge est devenu une question centrale en droit de la consommation. Une protection effective des consommateurs suppose en effet que le juge ait un rôle actif, comme en témoigne l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 5 mars 2020. En l’espèce, un consommateur tchèque avait conclu à distance un contrat de crédit renouvelable. N’ayant pas honoré les échéances dues, la banque a saisi le tribunal de district d’Ostrava afin d’obtenir sa condamnation au paiement d’une certain somme, augmentée des intérêts légaux. Il ressort cependant de la décision de renvoi que, au cours de la procédure au principal, la banque n’aurait pas affirmé, et encore moins apporté la preuve, que, avant la conclusion du contrat de crédit en cause, elle avait évalué la solvabilité de l’emprunteur. Par ailleurs, le consommateur n’aurait pas excipé de la nullité du contrat découlant de ce fait, cette nullité ne pouvant être prononcée qu’à sa demande en vertu du droit tchèque. La juridiction de renvoi estimant qu’une telle règle va à l’encontre de la protection du consommateur, telle que garantie par la directive 2008/48/CE, elle a donc saisi la Cour de Luxembourg afin qu’elle se prononce sur cette question. Celle-ci considère que « Les articles 8 et 23 de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil, doivent être interprétés en ce sens qu’ils imposent à une juridiction nationale d’examiner d’office l’existence d’une violation de l’obligation précontractuelle du prêteur d’évaluer la solvabilité du consommateur, prévue à l’article 8 de cette directive, et de tirer les conséquences qui découlent en droit national d’une violation de cette obligation, à condition que les sanctions satisfassent aux exigences dudit article 23. Les articles 8 et 23 de la directive 2008/48/CE doivent également être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à un régime national en vertu duquel la violation par le prêteur de son obligation précontractuelle d’évaluer la solvabilité du consommateur n’est sanctionnée par la nullité du contrat de crédit, assortie de l’obligation pour ce consommateur de restituer au prêteur le principal dans un délai proportionné à ses possibilités, qu’à la seule condition que ledit consommateur soulève cette nullité, et ce dans un délai de prescription de trois ans ».

La Cour de Luxembourg poursuit ainsi son œuvre d’harmonisation de l’office du juge en imposant à celui-ci de relever d’office les dispositions protectrices des consommateurs, cette obligation reposant sur des considérations tenant à l’effectivité de la protection de ces derniers (pts 23 et 24), peu important qu’il existe des sanctions d’une autre nature, en l’occurrence une amende d’un montant allant jusqu’à 20 millions de CZK (environ 783 000 €), dans la mesure où « de telles sanctions ne sont pas à elles seules de nature à assurer de manière suffisamment effective la protection des consommateurs contre les risques de surendettement et d’insolvabilité recherchée par la directive 2008/48/CE (…) » (pt 38).

Cette obligation faite au juge d’assurer une protection effective des consommateurs était initialement cantonnée aux clauses abusives (CJCE 4 juin 2009, aff. C-243/08, D. 2009. 2312 image, note G. Poissonnier image ; ibid. 2010. 169, obs. N. Fricero image ; ibid. 790, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; RTD civ. 2009. 684, obs. P. Remy-Corlay image ; RTD com. 2009. 794, obs. D. Legeais image. V. déjà CJCE 26 oct. 2006, aff. C-168/05, D. 2006. 2910, obs. V. Avena-Robardet image ; ibid. 3026, obs. T. Clay image ; ibid. 2007. 2562, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; RTD civ. 2007. 113, obs. J. Mestre et B. Fages image ; ibid. 633, obs. P. Théry image. V. égal. CJUE 17 mai 2018, aff. C-147/16, D. 2018. 1068 image ; ibid. 2019. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; AJ contrat 2018. 333, obs. V. Legrand image ; RDC 2018, n° 115q3, p. 588, note J.-D. Pellier, spéc. nos 2 et 3. V. à ce sujet, J. -D. Pellier, Droit de la consommation, 2e éd., Dalloz coll. « Cours », 2019, n° 112). La Cour va même plus loin en considérant que le juge national doit prendre d’office des mesures d’instruction afin d’établir si une clause entre dans le champ d’application de la directive 93/13/CEE et, dans l’affirmative, apprécier d’office le caractère éventuellement abusif d’une telle clause (CJUE 9 nov. 2010, aff. C-137/08, D. 2011. 974, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; RTD eur. 2011. 173, chron. L. Coutron image ; ibid. 632, obs. C. Aubert de Vincelles image. V. égal. CJUE 7 nov. 2019, aff. C-419/18 et C-483/18, D. 2019. 2132 image). Elle s’est par la suite peu à peu étendue à d’autres matières. La CJUE avait en effet déjà consacré une telle obligation en matière de crédit à la consommation (CJUE 21 avr. 2016, aff. C-377/14, D. 2016. 1744 image, note H. Aubry image ; ibid. 2017. 539, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image, au sujet de l’obligation d’information prévue par l’article 10, paragraphe 2, de la directive du 23 avril 2008) et en matière de garantie de conformité (CJUE 4 juin 2015, aff. C-497/13, D. 2016. 617, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image). Encore convient-il d’observer que cette obligation est limitée à l’objet du litige, qui détermine donc les contours de l’office du juge (V. en ce sens, en matière de clauses abusives, CJUE 11 mars 2020, aff. C-511/17, Dalloz actualité, 30 mars 2020, obs. J.-D. Pellier).

Le droit français, quant à lui, est en retard, du moins sur le plan textuel. L’article R. 632-1 du code de la consommation (texte qui a été délégalisé par l’ord. n° 2016-301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du code de la consommation et le décr. n° 2016-884 du 29 juin 2016 relatif à la partie réglementaire du code de la consommation) dispose en effet que « Le juge peut relever d’office toutes les dispositions du présent code dans les litiges nés de son application. Il écarte d’office, après avoir recueilli les observations des parties, l’application d’une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débat ». En dehors du domaine des clauses abusives, le juge a donc simplement la faculté de soulever d’office les dispositions du (seul) code de la consommation (sur l’insuffisance de ce texte, v. J.-D Pellier, op. cit., n° 327). Mais la jurisprudence s’est quelque peu affranchie de cette règle, issue de la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs et complétée, s’agissant des clauses abusives, par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « Hamon » (Cass., ch. mixte, 7 juill. 2017, n° 15-25.651 : « Attendu que si le juge n’a pas, sauf règles particulières, l’obligation de changer le fondement juridique des demandes, il est tenu, lorsque les faits dont il est saisi le justifient, de faire application des règles d’ordre public issues du droit de l’Union européenne, telle la responsabilité du fait des produits défectueux, même si le demandeur ne les a pas invoquées », D. 2017. 1800, communiqué C. cass. image, note M. Bacache image ; ibid. 2018. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz image ; ibid. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; RTD civ. 2017. 829, obs. L. Usunier image ; ibid. 872, obs. P. Jourdain image ; ibid. 882, obs. P.-Y. Gautier image ; RTD eur. 2018. 341, obs. A. Jeauneau image. V. égal. Civ. 1re, 19 févr. 2014, n° 12-23.519, ayant censuré un jugement qui avait considéré que la vente d’un chiot n’entrait pas dans le champ d’application de la garantie légale prévue par le code de la consommation : « Qu’en statuant ainsi, alors que, selon ses propres constatations, la vente avait été conclue entre un vendeur agissant au titre de son activité professionnelle et un acheteur agissant en qualité de consommateur, en sorte qu’il lui incombait de faire application, au besoin d’office, des dispositions d’ordre public relatives à la garantie légale de conformité, la juridiction de proximité a violé les textes susvisés ». V. dans le même sens, au sujet d’un chat, Civ. 1re, 20 févr. 2019, n° 17-28.819, D. 2020. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image). Comme l’affirme le Professeur Carole Aubert de Vincelles, « il faut donc en conclure que désormais, quel que soit le domaine de protection des consommateurs, l’effectivité de celle-ci justifie que le juge national soit tenu d’apprécier d’office le respect des exigences découlant des normes de l’Union en matière de droit de la consommation » (C. Aubert de Vincelles, La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne en matière de droit de la consommation in Le droit européen de la consommation, dir. Y. Picod, Mare et Martin, 2018, p. 35, n° 21. V. égal. en ce sens, J.-D. Pellier, op. cit., n° 327 ; Y. Picod, Droit de la consommation, 4e éd., 2018, Sirey, n° 359 ; G. Raymond, Droit de la consommation, 5e éd., LexisNexis, 2019, n° 118 ; N. Sauphanor-Brouillaud, C. Aubert De Vincelles, G. Brunaux et L. Usunier, op. cit., nos 1265 et 1266. Rappr. J. Calais-Auloy, H. Temple H. et M. Depincé, Droit de la consommation, 10e éd., 2020, Dalloz, n° 637 ; J. Julien, Droit de la consommation, 3e éd., LGDJ, coll. « Précis Domat », 2019, n° 236).

Il convient cependant d’observer que l’office du juge est susceptible de se heurter à deux obstacles, l’un étant certain et l’autre, sujet à caution : en premier lieu, on sait qu’en matière de clauses abusives, la Cour considère que le consommateur peut préférer le maintien de la clause, ce qui empêche le juge de la supprimer. La Cour affirme à ce sujet que « S’agissant d’une sanction telle que la nullité du contrat de crédit, assortie de l’obligation de restituer le principal, il y a lieu de préciser que, lorsque le consommateur émet un avis défavorable à l’application d’une telle sanction, cet avis devrait être pris en compte (V., par analogie, CJCE 4 juin 2009, aff. C-243/08, Sté Pannon GSM Zrt c/ Mme Erzsébet Sustikné Gyorfi, EU:C:2009:350, pt 33, D. 2009. 2312 image, note G. Poissonnier image ; ibid. 2010. 169, obs. N. Fricero image ; ibid. 790, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; RTD civ. 2009. 684, obs. P. Remy-Corlay image ; RTD com. 2009. 794, obs. D. Legeais image, et CJUE, 21 févr. 2013, aff. C-472/11, Banif Plus Bank Zrt c/ Csaba Csipai, EU:C:2013:88, pt 35, D. 2013. 568 image ; ibid. 945, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; RTD eur. 2013. 559, obs. C. Aubert de Vincelles image) ». Cette considération mérite d’être saluée, dans la mesure où le procès civil demeure la chose des parties. Le consommateur, pour des raisons qui lui sont propres, peut préférer opter pour le maintien du contrat. À cet égard, la sanction prévue par le droit français est peut-être plus appropriée : en cas de violation du devoir de vérifier la solvabilité de l’emprunteur posé par l’article L. 312-16 du code de la consommation, le prêteur est déchu du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge en vertu de l’article L. 341-2 du même code. À première vue, la sanction fulminée par le droit tchèque est plus sévère à l’endroit du prêteur puisqu’elle aboutit, s’agissant d’une nullité, à la perte de ses droits au paiement des intérêts et des frais convenus (comme le rappelle la Cour dans le point 29 de l’arrêt commenté). Mais elle est aussi plus radicale pour l’emprunteur, en ce qu’elle l’oblige à restituer au prêteur le capital prêté dans un délai proportionné à ses possibilités …

En second lieu, il existe un doute sur le point de savoir si le juge peut indéfiniment soulever d’office la déchéance du droit aux intérêts, sanction fréquente en matière de crédit à la consommation, ou si son pouvoir se heurte à une limite temporelle (mais la réflexion peut être généralisée). La jurisprudence française est divisée à cet égard, mais une certaine tendance veut que le pouvoir du juge soit borné par la prescription quinquennale (Paris, 11 janv. 2018, n° 16/12948, D. 2018. 238, obs. G. Poissonnier image ; RTD civ. 2018. 904, obs. H. Barbier image : « la prescription quinquennale était applicable à toutes les actions relatives à ce contrat », de sorte que « le tribunal ne pouvait sans méconnaître cette règle relever d’office une irrégularité qui aurait affecté les offres de prêts ». Contra TI Montluçon, 4 juill. 2018, n° 11-18-000056, D. 2018. 1485, obs. G. Poissonnier image ; RTD civ. 2018. 904, obs. H. Barbier image). Cette jurisprudence est cependant critiquable : aux termes de l’article 2224 du code civil, « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer » (sous la réserve du délai butoir prévu par l’article 2232 du même code. V. à ce sujet J.-D. Pellier, Retour sur le délai butoir de l’article 2232 du code civil, D. 2018. 2148 image). Or, le juge n’agit pas au sens de ce texte lorsqu’il soulève une déchéance. Son pouvoir s’apparente plus à un moyen de défense soulevé au profit du consommateur, raison pour laquelle il devrait pouvoir le faire indéfiniment. Une question préjudicielle a d’ailleurs été posée à la CJUE par le tribunal d’instance d’Épinal (TI Épinal, 20 sept. 2018, n° 11-18.000406, D. 2018. 2085, obs. G. Poissonnier image ; ibid. 2019. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; RTD eur. 2019. 410, obs. A. Jeauneau image ; CCC 2018, n° 205, obs. Bernheim-Desvaux : il lui est demandé de dire si la directive n° 2008/48/CE, concernant les contrats de crédit aux consommateurs, s’oppose « à une disposition nationale qui, dans une action intentée par un professionnel à l’encontre d’un consommateur et fondée sur un contrat de crédit conclu entre eux, interdit au juge national, à l’expiration d’un délai de prescription de cinq ans commençant à courir à compter de la conclusion du contrat, de relever et de sanctionner, d’office ou à la suite d’une exception soulevée par le consommateur, un manquement aux dispositions (…) protectrices des consommateurs prévues par ladite directive »).

Affaire à suivre …

Retour sur l’obligation pour le juge de relever d’office les dispositions protectrices des consommateurs

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Procédure d’appel et aide juridictionnelle : retour sur les réformes successives et guide pratique

Il convient d’examiner les contextes, textuel puis factuel, dans lesquels la Cour de cassation a été amenée à se prononcer, avant d’aborder la solution posée et surtout les bonnes pratiques en matière d’aide juridictionnelle devant la Cour.

Le contexte textuel

Différents régimes se sont succédé en matière d’aide juridictionnelle devant la cour d’appel :

1. Par un décret du 15 mars 20112, l’article 38-1, alinéa 2, du décret du 10 juillet 1991 susvisé a été modifié pour tenir compte de la réforme de la procédure d’appel.

La nouvelle rédaction de l’article 38-1 prévoyait alors :

« Sous réserve des dispositions du dernier alinéa de l’article 39, la demande d’aide juridictionnelle n’interrompt pas le délai d’appel.
Cependant, le délai imparti pour signifier la déclaration d’appel, mentionné à l’article 902 du code de procédure civile, et les délais impartis pour conclure, mentionnés aux articles 908 à 910 du même code, courent à compter :
a) de la notification de la décision constatant la caducité de la demande ;
b) de la date à laquelle la décision d’admission ou de rejet de la demande est devenue définitive ;
c) ou, en cas d’admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné. »

2. Cet article fut abrogé par un décret du 27 décembre 20163, entré en vigueur le 1er janvier 2017. Ce même décret modifia l’article 38 du décret du 10 juillet 1991 en étendant l’effet interruptif de la demande d’aide juridictionnelle sur le délai d’appel.

3. Une nouvelle modification de l’article 38 du décret de 1991 a été opérée par le décret du 6 mai 20174 sur la réforme de la procédure d’appel.

En définitive, l’article 38 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 dans sa rédaction actuellement en vigueur dispose que :

« Lorsqu’une action en justice ou un recours doit être intenté avant l’expiration d’un délai devant les juridictions de première instance ou d’appel, l’action ou le recours est réputé avoir été intenté dans le délai si la demande d’aide juridictionnelle s’y rapportant est adressée au bureau d’aide juridictionnelle avant l’expiration dudit délai et si la demande en justice ou le recours est introduit dans un nouveau délai de même durée à compter :

a) de la notification de la décision d’admission provisoire ;
b) de la notification de la décision constatant la caducité de la demande ;
c) de la date à laquelle le demandeur à l’aide juridictionnelle ne peut plus contester la décision d’admission ou de rejet de sa demande en application du premier alinéa de l’article 56 et de l’article 160 ou, en cas de recours de ce demandeur, de la date à laquelle la décision relative à ce recours lui a été notifiée ;
d) ou, en cas d’admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné.

Lorsque la demande d’aide juridictionnelle est déposée au cours des délais impartis pour conclure ou former appel ou recours incident, mentionnés aux articles 905-2, 909 et 910 du code de procédure civile et aux articles R. 411-30 et R. 411-32 du code de la propriété intellectuelle, ces délais courent dans les conditions prévues aux b, c et d.

Par dérogation aux premier et sixième alinéas du présent article, les délais mentionnés ci-dessus ne sont pas interrompus lorsque, à la suite du rejet de sa demande d’aide juridictionnelle, le demandeur présente une nouvelle demande ayant le même objet que la précédente. »

En résumé :

• le décret du 15 mars 2011 a adapté la problématique de l’aide juridictionnelle aux contraintes de la procédure d’appel et notamment celle des articles 902, 908 à 910 du code de procédure civile ;

• le décret du 27 décembre 2016 a abrogé les dispositions ci-dessus et a étendu l’effet interruptif du délai par le dépôt de la demande d’aide juridictionnelle ;

• le décret du 6 mai 2017 a réintroduit certaines dispositions pour tenir compte de la situation de l’intimé, l’appelant continuant à bénéficier du seul effet interruptif du délai d’appel lorsqu’il dépose une demande d’aide juridictionnelle.

C’est dans ce contexte textuel que s’inscrivent les arrêts rendus par la Cour de cassation le 19 mars 2020.

Le contexte factuel

Il convient de revenir sur les faits d’espèce de chacun des deux arrêts commentés :

1. Première espèce (Civ. 2e, 19 mars 2020, n° 19-12.990) :

• L’appelant relève appel le 9 janvier 2017 d’un jugement rendu par le tribunal de grande instance.

• Il dépose une demande d’aide juridictionnelle le 31 janvier 2017 et en obtient le bénéfice le 2 mars 2017.

• Par ordonnance du 23 mai 2017, le conseiller de la mise en état prononce la caducité de la déclaration d’appel, en application de l’article 908 du code de procédure civile, faute pour M. X… d’avoir conclu dans un délai de trois mois suivant la déclaration d’appel.

• L’appelant après avoir déféré cette ordonnance à la cour d’appel, conclu au fond le 1er juin 2017.

• La cour d’appel va rejeter son déféré.

2. Seconde espèce (Civ. 2e, 19 mars 2020, n° 18-23.923) :

• L’appelant relève appel le 10 avril 2017 du jugement du juge de l’exécution d’un tribunal de grande instance.

• Il sollicite le bénéfice de l’aide juridictionnelle le 19 avril 2017, qui lui est accordée le 30 mai 2017.

• L’appelant a conclu le 10 août 2017.

• Le conseiller de la mise en état va prononcer la caducité de sa déclaration d’appel en application de l’article 908 du code de procédure civile au motif que l’appelant a conclu plus de trois mois suivant la date de la déclaration d’appel.

• L’appelant va déférer en vain l’ordonnance rendue par le conseiller de la mise en état.

La solution donnée par la Cour de cassation

Compte tenu de l’abrogation de l’article 38-1 du décret de 1991, les demandes d’aide juridictionnelle formalisées par chacun des appelants postérieurement à leurs déclarations d’appel étaient dépourvues d’effet interruptif sur le délai de l’article 908 du code de procédure civile.

Alors que le rejet du pourvoi paraissait dès lors inévitable, la Cour de cassation va, au visa de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, casser chacun des arrêts de caducité et donner à chacune des demandes d’aide juridictionnelle un effet interruptif.

La Cour de cassation considère qu’il résulte de l’article 6, § 1, de la Convention européenne « que le principe de sécurité juridique implique que de nouvelles règles, prises dans leur ensemble, soient accessibles et prévisibles et n’affectent pas le droit à l’accès effectif au juge, dans sa substance même ».

La haute juridiction sanctionne ainsi la précipitation dans laquelle l’article 38-1 a été abrogé par le décret du 27 décembre 2016, entré en vigueur le 1er janvier 2017.

Les motifs de ses deux arrêts sont particulièrement explicites :

« L’abrogation de l’article 38-1 a entraîné la suppression d’un dispositif réglementaire, qui était notamment destiné à mettre en œuvre les articles 18 et 25 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, selon lesquelles l’aide juridictionnelle peut être demandée avant ou pendant l’instance et le bénéficiaire de cette aide a droit à l’assistance d’un avocat.
Il en résulte qu’en l’état de cette abrogation, le sens et la portée des modifications apportées à l’article 38 de ce décret ne pouvaient que susciter un doute sérieux et créer une situation d’incertitude juridique.

La confusion a été accrue par la publication de la circulaire d’application du décret du 27 décembre 2016, bien que celle-ci soit, par nature, dépourvue de portée normative. En effet, commentant la modification apportée à l’article 38 du décret du 19 décembre 1991, cette circulaire affirmait en substance que l’extension aux délais d’appel de l’effet interruptif s’appliquait également aux délais prévus aux articles 902 et 908 à 910 du code de procédure civile. En outre, elle annonçait qu’une modification du décret du 19 décembre 1991 serait prochainement apportée sur ce point.
Postérieurement, le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 a rétabli, pour partie, le dispositif prévu par l’article 38-1 du décret du 19 décembre 1991. »

La Cour de cassation, qui promet d’honorer ces arrêts par une publication dans le rapport annuel, précise toutefois dans une note explicative :

« Il sera toutefois signalé, dès à présent, qu’ils ne doivent pas être lus comme livrant une appréciation de la conformité aux exigences du procès équitable de l’économie d’ensemble des dispositifs instaurés par les décrets des 27 décembre 2016 et 6 mai 2017, mais uniquement comme sanctionnant le défaut de prévisibilité juridique du dispositif issu du seul décret du 27 décembre 2016. »

Le lecteur aura très certainement à cœur de faire un rapprochement avec les conditions dans lesquelles a été pris le décret du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile5, totalement inintelligible et n’ayant donné lieu à ce jour, à défaut de circulaire, qu’à une foire aux questions.

Les bonnes pratiques en matière d’aide juridictionnelle devant la Cour

Ce guide des bonnes pratiques varie en fonction de la qualité des parties devant la cour d’appel :

• L’appelant

La partie qui entend former appel avec le bénéfice de l’aide juridictionnelle doit déposer, préalablement à son appel, sa demande d’aide juridictionnelle.

La formalisation de cette demande aura pour effet d’interrompre le délai d’appel.

Un nouveau délai, de même durée que le délai initial, va recommencer à courir à compter de la décision définitive d’admission ou de rejet du bénéfice de l’aide juridictionnelle.

Cette règle ne vaut pas en cas de dépôt d’une nouvelle demande ayant le même objet que la précédente.

Enfin, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation6 vient d’apporter deux précisions importantes :

• Le délai d’exercice du recours pour lequel l’aide juridictionnelle a été accordée ne court qu’à compter de la date à laquelle la désignation initiale, par le bâtonnier, de l’avocat chargé de prêter son concours au bénéficiaire de l’aide juridictionnelle a été portée à la connaissance de celui-ci par une notification permettant d’attester la date de réception.

• La désignation successive de plusieurs avocats pour prêter leur concours est sans incidence sur les conditions d’exercice du recours pour lequel l’aide juridictionnelle a été accordée : seule la première désignation fait courir le délai d’appel.

Frise n° 1 :

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Mise en garde : 

Si l’appelant forme appel et dépose postérieurement une demande d’aide juridictionnelle, celle-ci sera sans effet sur les délais qui lui sont impartis pour signifier (C. pr. civ., art. 902) et pour conclure (C. pr. civ., art. 908).

• L’intimé

La demande d’aide juridictionnelle a pour effet d’interrompre le délai imparti pour notifier des conclusions en réponse aux conclusions d’appel, d’appel incident ou d’appel provoqué.

Un nouveau délai, de même durée que le délai initial, va recommencer à courir à compter de la décision définitive d’admission ou de rejet du bénéfice de l’aide juridictionnelle.

Cette règle ne vaut pas en cas de dépôt d’une nouvelle demande ayant le même objet que la précédente.

Frise n° 2 :

frise-2.jpg

Pour aller plus loin : les difficultés pratiques posées par l’article 38 du décret du 10 juillet 1991

En pratique, l’interruption du délai d’appel pour cause de demande d’aide juridictionnelle pose des difficultés aux avocats en l’absence de lien entre les bureaux d’aide juridictionnelle et les greffes des cours d’appel. Ce manque de communication a un effet pernicieux.

En effet, les greffes n’ont pas accès à l’information selon laquelle une demande d’aide juridictionnelle a fait l’objet d’un dépôt. Ceux-ci délivrent donc des certificats de non-appel au visa d’un acte de notification du jugement, en ignorant totalement que le délai d’appel a été interrompu par une demande d’aide juridictionnelle ; au même titre que le demandeur du certificat.

 

Notes

1. Civ. 2e, 19 mars 2020, nos 19-12.990 et 18-23.923.
2. Décr. n° 2011-272, 15 mars 2011, portant diverses dispositions en matière d’aide juridictionnelle et d’aide à l’intervention de l’avocat, art. 4.
3. Décr. n° 2016-1876, 27 déc. 2016, portant diverses dispositions relatives à l’aide juridique, art. 8.
4. Décr. n° 2017-891, 6 mai 2017, relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile, art. 38.
5. Décr. n° 2019-1333, 11 déc. 2019, réformant la procédure civile, entré en vigueur le 1er janv. 2020.
6. Civ. 2e, 27 févr. 2020, n° 18-26.239, Dalloz actualité, 19 mars 2020, comm. G. Maugain.

Procédure d’appel et aide juridictionnelle : retour sur les réformes successives et guide pratique

Deux arrêts rendus par la Cour de cassation le 19 mars 20201 offrent l’occasion de revenir sur les effets de la demande d’aide juridictionnelle devant la cour d’appel ainsi que sur les modifications successives opérées sur le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique.

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Prolongation automatique de détention provisoire : la circulaire est contraire à une lecture littérale de l’ordonnance, dit un tribunal

L’ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de procédure pénale à la situation d’état d’urgence sanitaire permet de prolonger de deux mois les délais maximums (ord. n° 2020-303, art. 16) prévus par la loi, en raison de l’impossibilité, liée à l’épidémie de covid-19, d’organiser des audiences.

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Coronavirus : précisions pratiques et réglementaires sur le mécanisme de prêt garanti par l’État

La loi du 23 mars 2020 de finances rectificative pour 2020, complétée par un arrêté du même jour, a mis en place un mécanisme de garantie de l’État des prêts consentis par des établissements de crédit à hauteur de 300 milliards d’euros. Il est d’ores et déjà possible de tirer quelques enseignements pratiques sur les conditions d’octroi de cette garantie, dont le cadre réglementaire vient d’être affiné.

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Les conséquences de la cassation partielle d’un titre exécutoire, un juste rappel des principes

Cet arrêt, d’apparence anodine, puisqu’il semble, après une lecture hâtive, concerner un litige concernant la validité d’un commandement à fin de saisie-vente, est, en réalité, riche d’enseignements et aborde plusieurs règles de procédure civile, habituellement classiques, mais pour lequel, dans l’espèce soumise à son examen, la deuxième chambre civile a dû procéder à un juste rappel des principes, notamment pour les articles 564 et 625 du code de procédure civile, L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire et L. 221-1 du code des procédures civiles d’exécution.

Dans les faits, un comité social et économique (CSE) délivre à la société employeur un commandement aux fins de saisie-vente, fondé sur trois arrêts rendus dans un litige les opposant au sujet du montant de la subvention de fonctionnement et de la subvention sociale et culturelle.

Sans entrer dans les détails des nombreuses instances ayant émaillées ce litige, il est important de souligner qu’un des trois arrêts ayant servi de fondement au commandement a fait l’objet d’une cassation partielle, annulant par voie de conséquence cet arrêt, mais seulement en ce qu’il avait déclaré prescrite l’action du CSE concernant la demande au titre de l’année 2005 et condamné la société au paiement de sommes complémentaires.

La société saisit le juge de l’exécution d’une contestation du commandement de payer, en sollicitant sa nullité pour des irrégularités de forme et de fond et en invoquant l’absence de titre exécutoire.

Sa demande est rejetée ; elle interjette appel et sollicite de la cour qu’elle annule le commandement de payer du fait de la cassation de l’un des arrêts ayant servi de titre exécutoire et de condamner le CSE à lui restituer les sommes indûment versées.

La cour d’appel ne l’a pas suivie. La société forme un pourvoi, c’est l’objet du présent arrêt.

À l’appui de son pourvoi, la société développe deux moyens.

Sur le premier moyen, elle fait grief à l’arrêt d’appel de ne pas avoir tiré les conséquences de la cassation partielle en rappelant les dispositions de l’alinéa 2 de l’article 625 du code de procédure civile selon lesquelles la cassation entraîne « […] sans qu’il y ait lieu à une nouvelle décision, l’annulation par voie de conséquence de toute décision qui est la suite, l’application ou l’exécution du jugement cassé ou qui s’y rattache par un lien de dépendance nécessaire ».

Selon elle, l’annulation même partielle de cet arrêt aurait dû entraîner par voie de conséquence celle du commandement de payer.

En toute logique, la Cour de cassation écarte ce moyen et formule un premier rappel de principe en retenant que, « lorsqu’un titre exécutoire sur lequel est fondé un commandement à fin de saisie-vente est annulé partiellement, le commandement demeure valable à concurrence du montant de la créance correspondant à la partie du titre non annulée ».

Sur le second moyen, la société fait grief à l’arrêt d’avoir déclaré irrecevable le surplus de ses demandes tendant à la restitution des sommes versées.

La cour d’appel avait en effet retenu qu’un commandement de payer aux fins de saisie-vente, s’il constitue l’acte préalable à une mesure d’exécution forcée, n’emportait en lui-même aucune indisponibilité des biens du débiteur et avait ajouté que puisque la société avait, de sa propre initiative et sans qu’elle y soit tenue légalement, réglé les causes du commandement de payer, outre des sommes supplémentaires à celles visées dans ce commandement, puisque ces sommes n’avaient fait l’objet d’aucune mesure d’exécution forcée, leur restitution éventuelle échappait donc à la compétence du juge de l’exécution.

La Cour de cassation répond, au visa des articles L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire et L. 221-1 du code des procédures civiles d’exécution en rappelant un deuxième principe selon lequel, si le commandement à fin de saisie-vente ne constitue pas un acte d’exécution forcée, il engage la mesure d’exécution et que toute contestation portant sur les effets de sa délivrance relève des attributions du juge de l’exécution, ce qu’elle juge constamment depuis 1998 (Civ. 2e, 16 déc. 1998, n° 96-18.255, D. 1999. 221 image, obs. P. Julien image ; 27 avr. 2000, n° 98-15.087, Dalloz jurisprudence ; 13 mai 2015, n° 14-16.025, Dalloz actualité, 2 juin 2015, obs. F. Mélin ; D. 2015. 1109 image ; ibid. 1791, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, D. Chauchis et N. Palle image ; ibid. 2016. 1279, obs. A. Leborgne image).

C’est donc à tort que la cour d’appel n’a pas retenu sa compétence pour statuer sur la demande de restitution.

Enfin, sur cette restitution, la cour d’appel avait déclaré la demande irrecevable au motif que le premier juge avait uniquement été saisi d’une question relative à la régularité formelle du commandement de payer et d’une demande d’annulation de celui-ci pour défaut de titre exécutoire, que c’était de sa propre initiative que la société avait payé les causes du commandement ainsi que des sommes supplémentaires et qu’il n’y avait donc survenance d’aucun fait nouveau.

La Cour de cassation, au visa de l’article 564 du code de procédure civile, rappelle un troisième principe selon lequel la demande n’est pas nouvelle lorsqu’elle tend à faire juger une question née de la survenance ou de la révélation d’un fait.

Or, en l’espèce, l’obligation de restitution des sommes répondait aux conditions de l’article 564 précité car elle résultait de plein droit de l’arrêt de cassation partielle et de l’arrêt interprétatif qui a suivi, tous deux rendus à une date postérieure à la clôture des débats devant le premier juge.

Curieusement, la Cour de cassation casse et annule partiellement l’arrêt d’appel, seulement en ce qu’il a déclaré irrecevable la demande de restitution formulée par la société, remettant, sur ce point, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Paris autrement composée, alors qu’elle aurait pu casser sans renvoi.

En effet, en application de l’article 625 du code de procédure civile, est-il vraiment utile de faire trancher la demande de restitution alors qu’elle résulte de plein droit de l’arrêt de cassation qui a cassé partiellement l’un des trois arrêts qui ont servi de fondement à la délivrance du commandement ?

Comme le souligne fort justement l’un des commentateurs de cet arrêt : « Sur renvoi, le résultat pratique pourrait donc bien être le même : une irrecevabilité de la demande de restitution du fait de l’autorité de la chose jugée, dès lors que l’obligation de restitution résulte déjà de l’arrêt de cassation du 25 octobre 2017, interprété par celui du 24 janvier 2018. Tout au plus pourrait-il être demandé à la cour d’appel, statuant en tant que juge de l’exécution, de mettre un terme à la difficulté en fixant le montant de la créance de restitution » (C. Simon, Conséquences de l’annulation partielle d’un jugement sur les mesures d’exécution, Lexbase, éd. privée, 19 mars 2020).

Les conséquences de la cassation partielle d’un titre exécutoire, un juste rappel des principes

Les conséquences d’une cassation partielle du titre exécutoire ayant servi de fondement à un commandement aux fins de saisie-vente précisent les contours de la compétence du juge de l’exécution et la recevabilité de moyens nouveaux en appel.

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Voies d’exécution, titre exécutoire et prescription : une valse à deux temps

À titre liminaire, il est important de préciser qu’il s’agit d’un litige né en Nouvelle-Calédonie et rappeler que le code des procédures civiles d’exécution n’y est pas applicable, les voies d’exécution restant régies par l’ancien code de procédure civile, notamment les articles 557 à 582 pour la saisie-arrêt (ancêtre de la saisie conservatoire et de la saisie attribution avec la saisie exécution des art. 583 s. du code).

Le 8 janvier 2009, une banque obtient un arrêt de condamnation, devenu irrévocable en 2012 à la suite du rejet du pourvoi formé à son encontre (arrêt de rejet du 23 févr. 2012, Civ. 1re, 23 févr. 2012, n° 09-13.113, D. 2012. 610 image ; AJDI 2012. 451 image ; ibid. 460 image, obs. N. Le Rudulier image ; RTD civ. 2012. 346, obs. P. Crocq image).

En vertu de ce titre exécutoire, elle fait pratiquer une saisie arrêt le 6 septembre 2016.

Sans reprendre le détail de mon cours de voies d’exécution distillé par Monsieur le doyen et professeur Pierre Julien en 1988, il faut rappeler qu’à peine de nullité, la saisie arrêt devait être suivie d’une assignation en validité portée devant le tribunal du lieu du domicile du saisi et diligentée à l’encontre de ce dernier et du tiers saisi (C. pr. civ., anc. art. 567).

Je ne résiste pas au plaisir de rappeler les dispositions poétiques de l’article 563 de l’ancien code de procédure civile : « Dans le délai de huitaine de la saisie arrêt ou de l’opposition, outre un jour pour trois myriamètres de distance entre le domicile du tiers saisi et celui du saisissant, et un jour pour trois myriamètres de distance entre le domicile de ce dernier et celui du débiteur saisi, le saisissant sera tenu de dénoncer la saisie-arrêt ou opposition au débiteur saisi et de l’assigner en validité ».

Une fois la saisie-arrêt validée, la somme saisie était répartie selon la distribution par contribution.

Dans le respect de ces règles, la banque a donc assigné en validité le 12 septembre 2016.

Le tribunal de première instance de Nouméa a rejeté sa demande au motif que l’exécution de l’arrêt du 8 janvier 2009 était prescrite.

La cour d’appel a confirmé ce jugement. La banque s’est pourvue en cassation et a sollicité le renvoi au Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité.

Par arrêt du 20 juin 2019 (Civ. 2e, 20 juin 2019, n° 18-23.782), la Cour a rejeté cette demande et a donc examiné le pourvoi ayant donné lieu à l’arrêt commenté.

Le premier moyen relatif à la question prioritaire de constitutionnalité ayant été purgé par l’arrêt du 20 juin 2019 (préc.), restait à examiner le second moyen consistant à résoudre une question d’application de la loi dans le temps.

En effet, la banque faisait grief à l’arrêt de la cour d’appel de Nouméa d’avoir retenu la fin de non-recevoir tirée de la prescription quinquennale de son action et soutenait que celle-ci était en réalité soumise à la prescription trentenaire de l’article 2262 du code civil, alors applicable aux titres exécutoires avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.

Pour soutenir ce moyen, la banque s’appuyait sur l’article 26, III, de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile disposant que lorsqu’une instance avait été introduite avant l’entrée en vigueur de la présente loi, l’action était poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne.

Or, selon la banque, l’action ayant abouti à l’obtention de son titre exécutoire, concrétisé par l’arrêt du 8 janvier 2009, avait bien été engagée avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 et devait être poursuivie selon la loi ancienne de l’article 2262 du code civil.

Selon la banque, c’est donc à tort que la cour d’appel avait retenu l’application de la prescription quinquennale de droit commun relative aux actions portant sur des créances mobilières ou personnelles.

En toute logique, la cour de cassation rejette le pourvoi.

En effet, s’il n’est pas contestable que l’action ayant abouti à l’obtention du titre exécutoire obéissait au régime ancien de la prescription, elle rappelle en tout simplicité que l’action en exécution d’un titre exécutoire constitue une instance distincte de celle engagée afin de faire établir judiciairement l’existence de la créance.

Or, cette voie d’exécution avait bien été introduite après l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 et c’est donc à bon droit que la cour d’appel a retenu que cette action n’était pas soumise au délai de prescription trentenaire.
La banque avait oublié qu’il faut être deux pour danser la valse et qu’il ne faut pas confondre action en paiement et voies d’exécution.

Voies d’exécution, titre exécutoire et prescription : une valse à deux temps

L’action en exécution d’un titre exécutoire constitue une instance distincte de celle engagée afin de faire établir judiciairement l’existence d’une créance et le régime de la prescription applicable doit être examiné pour chacune de ces actions.

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Concentration des moyens ou des demandes et autorité de chose jugée : rien de bien nouveau sous le soleil…

Le 27 février 2020, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rendu deux arrêts destinés à une large publication. Ils approuvent deux cours d’appel d’avoir déclaré irrecevables des demandes se heurtant à l’autorité de chose jugée de décisions de première instance. La Haute juridiction y rappelle l’exigence de concentration des moyens qu’elle a posée nettement dès 2006. Les deux décisions sont donc peu originales. Pour autant, elles n’emportent toujours pas la conviction, d’une part, en ce que la notion demeure liée – assez artificiellement – à l’autorité de la chose jugée (d’ailleurs elle-même artificiellement inscrite dans le code civil, plus précisément dans son art. 1355 : depuis 2016, ce texte a repris mot à mot l’historique art. 1351) ; d’autre part, et surtout, parce que la deuxième chambre civile valide ici – en réalité – la concentration des demandes, encore plus controversée que celle des moyens.

Quels sont les faits ?

• Dans la première espèce, une société assigne un couple de débiteurs, devant un tribunal de grande instance, en paiement d’une certaine somme au titre d’un prêt à eux consenti. Bien qu’ayant constitué avocat, les débiteurs ne concluent pas et le tribunal de grande instance accueille la demande du créancier. Par la suite, les mêmes débiteurs assignent le créancier devant un tribunal d’instance pour obtenir une autre somme à titre de dommages-intérêts à compenser avec ce qu’ils restent devoir à la société. Les débiteurs interjettent appel du jugement du tribunal d’instance ; ils demandent également « que soit prononcée la nullité du contrat de prêt et ordonnée la compensation des créances réciproques éventuelles ». La cour d’appel déclare irrecevable cette demande : elle aurait dû être formulée durant l’instance où l’exécution du prêt a été sollicitée et ayant donné lieu au jugement du tribunal de grande instance.

Les débiteurs se pourvoient en cassation, la seconde branche de leur moyen critiquant une violation de l’autorité de chose jugée et de l’article 1351, devenu 1355 du code civil : « lors de cette instance, [ils] défendaient à la demande d’exécution du prêt émise par la banque [et] n’avaient pas à formuler une demande reconventionnelle en nullité dudit prêt et en restitutions corrélatives ». La Cour de cassation rejette leur moyen, par une décision spécialement motivée seulement sur la seconde branche. Elle rappelle d’abord l’exigence de concentration des « moyens » (v. le chapô), puis approuve l’arrêt : « ayant relevé que la demande de nullité qu’ils avaient formée devant le tribunal d’instance concernait le même prêt que celui dont la société Consumer avait poursuivi l’exécution devant le tribunal de grande instance, la cour d’appel, faisant par là-même ressortir que la demande de nullité ne tendait qu’à remettre en cause, en dehors de l’exercice des voies de recours, par un moyen non soutenu devant le tribunal de grande instance, une décision revêtue de l’autorité de chose jugée à leur égard ».

• Dans la seconde espèce, se prévalant de l’absence de remboursement d’un prêt notarié, une banque assigne les cautions solidaires, ainsi que les emprunteurs, en paiement solidaire des engagements des emprunteurs. Un tribunal mixte de commerce accueille la demande de la banque et le jugement est  confirmé en appel, si bien que les cautions exécutent la condamnation prononcée à leur encontre. Puis, les mêmes cautions assignent la banque devant un tribunal de grande instance en répétition de l’indu, au motif qu’elle n’avait pas versé les fonds aux emprunteurs. Le tribunal de grande instance, puis une cour d’appel, déclarent irrecevables leurs prétentions.

Les cautions se pourvoient. Seule la première branche du premier moyen, qui reproche à l’arrêt une violation de l’article 1351, devenu 1355, du code civil, nous intéresse ici. Cette branche rappelle en substance qu’une exigence de concentration de ses moyens incombe au demandeur, mais pas de ses demandes « fondées sur les mêmes faits ».  La Cour de cassation rejette leur pourvoi, notamment cette branche : « ayant, par motifs propres et adoptés, constaté que le remboursement des sommes prétendument indues était sollicité par les [cautions solidaires] à titre de contrepartie de l’obligation de cautionnement précédemment tranchée, de sorte que la demande ne tendait, en réalité, qu’à remettre en cause, en dehors de l’exercice des voies de recours, une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée à leur égard, c’est sans encourir les griefs de la première branche du moyen que la cour d’appel a statué comme elle l’a fait ».

Puisque les arrêts évoquent l’autorité de la chose jugée, rappelons qu’elle est un attribut du jugement qui assure l’immutabilité aux décisions de justice. L’effet négatif de l’autorité de chose jugée interdit le renouvellement des procès, dès lors que les trois conditions posées par l’article 1351 (aujourd’hui art. 1355) du code civil sont remplies : c’est la triple identité de cause, d’objet et de parties (C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile, 34e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, n° 1162) ; si une demande est nouvelle par sa cause, son objet ou la qualité des parties, elle sera recevable. Or, l’arrêt Cesareo, rendu le 7 juillet 2006, par l’assemblée plénière de la Cour de Cassation (L. Weiller, Renouvellement des critères de l’autorité de la chose jugée : l’assemblée plénière invite à relire Motulsky, D. 2006. 2135 image ; R. Perrot, Procédures 2006, n° 201 ; H. Croze, Procédures 2006, n° 10 ; S. Amrani-Mekki, Chronique de droit judiciaire privé, JCP 2006. I. 183, spéc. n° 15… V. aussi S. Guinchard, L’autorité de la chose qui n’a pas été jugée à l’épreuve des nouveaux principes directeurs du procès civil, in Mélanges G. Wiederkehr, Dalloz, 2009, p. 379 s.) a imposé au demandeur de faire valoir, dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci : par cet arrêt, la Haute juridiction a consacré un principe – ou plus exactement une obligation – de concentration des moyens, qu’elle a rattaché à l’autorité de chose jugée (en ce sens aussi, A. Posez, Le principe de concentration des moyens, ou l’autorité de chose jugée, RTD civ. 2015. 283, spéc. n° 25 image). Une nouvelle demande, entre les mêmes parties, portant sur le même objet, se heurte, depuis cet arrêt, à l’autorité de chose jugée, alors même qu’elle repose sur un fondement juridique différent. Dans la règle de la triple identité de l’article 1351 du code civil, l’identité de cause s’est trouvée ainsi réduite à l’identité des faits. La règle a ensuite été étendue au défendeur : l’arrêt Cesareo ne visait que le demandeur, or un arrêt du 20 février 2007 (Com. 20 févr. 2007, n° 05-18.322, P, Procédures 2007. Comm. 128, obs. R. Perrot) a posé qu’il incombe « aux parties » de présenter dès l’instance initiale l’ensemble des moyens qu’elles estiment de nature, soit à fonder la demande, « soit à justifier son rejet total ou partiel ». Si le défendeur oublie un moyen de défense, il ne peut plus présenter une demande fondée sur celui-ci. Ce qui a une incidence sur la notion d’objet et va même jusqu’à imposer un principe de concentration des demandes (en ce sens aussi, J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, 7e éd., Lextenso, 2019, n° 361).

Cette affirmation pourrait surprendre. En effet, l’exigence de concentration des demandes n’a jamais fait l’unanimité entre les chambres de la Cour de cassation. C’est ainsi que la concentration des demandes a été imposée par la première chambre civile en matière d’arbitrage (Civ. 1re, 28 mai 2008, n° 07-13.266, D. 2008. 1629, obs. X. Delpech image ; ibid. 3111, obs. T. Clay image ; RTD civ. 2008. 551, obs. R. Perrot image ; RTD com. 2010. 535, obs. E. Loquin image ; JCP 2008. II. 10170, obs. G. Bolard) et au-delà (Civ. 1re, 12 sept. 2012, n° 11-18.530, D. 2012. 2991, obs. T. Clay image ; RLDC nov. 2012, p. 69, obs. C. Bléry). Elle a en revanche heureusement été refusée par les autres chambres (par ex., Civ. 3e, 17 juin 2015, n° 14-14.372, D. 2015. 1369 image ; ibid. 2198, chron. A.-L. Méano, V. Georget et A.-L. Collomp image ; RTD civ. 2015. 869, obs. H. Barbier image ; JCP 2015. 788, note Y.-M. Serinet ; Com. 8 mars 2017, n° 15-20.392 NP ; Civ. 2e, 19 oct. 2017, n° 16-24.372, AJDI 2018. 54 image). Même la première chambre civile est revenue sur cette obligation (Civ. 1re, 12 mai 2016, n° 15-16.743, D. 2016. 1083 image ; ibid. 2017. 422, obs. N. Fricero image ; RTD civ. 2016. 923, obs. P. Théry image ; Procédures 2016. Comm. 223, obs. Y. Strickler ; Gaz. Pal. 2016. 66, obs. H. Herman ; 30 nov. 2016, n° 15-20.043 NP, Procédures 2017. Comm. 26, obs. Y. Strickler). Reste que, interdire à un plaideur – défendeur dans un premier procès – de présenter une demande dans un second procès au motif qu’il aurait dû la présenter sous forme de moyens de défense revient à admettre un principe de concentration des demandes. La notion revient ainsi « par la fenêtre » et cette fenêtre est ouverte – y compris par la chambre spécialisée en procédure civile – dans ce cas de figure : ce sont les deux arrêts du 20 février 2020. En effet, dans les deux espèces, ce qui est reproché aux débiteurs/cautions, c’est de ne pas avoir opposé à temps un moyen de défense, voire formulé une demande reconventionnelle : il leur est dès lors interdit de présenter ce moyen sous forme de demande. De la concentration des moyens, on a bien basculé dans la concentration des demandes !

En outre, il y a toujours ce rattachement artificiel à l’autorité de chose jugée. Des auteurs estiment que rattacher l’obligation de concentration à l’autorité de chose jugée n’est plus souhaitable (A. Marque, Le principe de concentration et le procès civil (dir. M. Nicod), thèse Toulouse I Capitole, 2017, not. n° 16, nos 56 s., 314), ou ne l’a jamais été (M. Bencimon, O. Bernabe, P. Hardouin, P. Naboudet-Vogel et O. Passera, Autorité de la chose jugée et immutabilité du litige, Justices 1997. 157). Ils estiment que l’obligation de concentrer ses moyens ne serait qu’une forclusion procédurale, proposant en conséquence d’abroger l’article 1351 (anc.) du code civil et d’intégrer au code de procédure civile un article mettant en œuvre cette sanction procédurale. Malgré une piste de réflexion en ce sens dans le rapport Molfessis/Agostini (V., C. Bléry, Dalloz actualité, 7 févr. 2018 ; JCP 2018, suppl. au n° 13, 11, p. 45), ni la loi Belloubet n° 2019-222 du 23 mars 2019, ni le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, n’a mis en œuvre une telle préconisation : rien, dans les codes, n’a changé relativement à l’autorité de chosée jugée et à la concentration des moyens/demandes. La jurisprudence reste maîtresse de la question, tant pour en poser les termes, que pour y répondre… ce que les arrêts sous commentaire nous conduisent une nouvelle fois à regretter.

Concentration des moyens ou des demandes et autorité de chose jugée : rien de bien nouveau sous le soleil…

Il appartient au défendeur de présenter dès la première instance l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à justifier le rejet total ou partiel de la demande (1er arrêt). La demande qui ne tend qu’à remettre en cause, en dehors de l’exercice des voies de recours, une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée, est irrecevable (1er et 2e arrêts).

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Accident de la circulation : précisions sur la notion de « voie propre »

Heurtée par un tramway le 24 décembre 2012, une victime a assigné la société de transport et son assureur afin d’obtenir une indemnisation de ses préjudices. Déboutée en appel par un arrêt confirmatif aux motifs que la loi du 5 juillet 1985 ne s’applique pas au tramway circulant sur une voie propre, elle se pourvoit en cassation.

Devant la deuxième chambre civile, elle soutenait que les tramways sont des véhicules terrestres à moteur (VTM) exclus du champ d’application de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 uniquement s’ils circulent sur une voie propre rendue inaccessible aux piétons et aux autres véhicules dans la globalité de leur parcours de circulation. Qu’importe que l’accident ait eu lieu sur une portion de voie propre dès lors que l’ensemble de la voie utilisée par le véhicule n’est pas exclusivement propre dans son ensemble. En la déboutant de sa demande d’indemnisation en raison du fait que l’accident avait eu lieu sur une portion de voie réservée à la circulation du tramway, la cour d’appel aurait ajouté à la loi une condition qu’elle ne comporte pas relative à la nécessité que la voie de circulation du tramway soit propre au lieu de l’accident.

La Cour de cassation était donc invitée à s’interroger sur la notion de voie propre visée à l’article 1er de la loi Badinter et à en préciser la portée. À quel moment une voie empruntée par un tramway perd-elle son caractère propre ? Plus précisément, le caractère propre de la voie s’apprécie-t-il sur le trajet global du véhicule ou sur la portion de voie où s’est produit l’accident ?

Insensible à l’argumentation du pourvoi, la Cour de cassation le rejette et retient que le caractère propre d’une voie de tramway s’apprécie à l’endroit de l’accident.

Dans un premier temps, la deuxième chambre civile rappelle la lettre de l’article 1er de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, lequel prévoit que cette dernière s’applique « aux victimes d’accidents dans lesquels est impliqué un véhicule terrestre à moteur […], à l’exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres ». 

Le législateur a fait le choix d’exclure certains VTM du champ d’application de la loi du 5 juillet 1985 parce que ceux-ci, en circulant sur une voie exclusivement dédiée à leur passage, ne participent pas aux risques de circulation que le régime de réparation cherche à compenser.

Les véhicules exclus expressément par l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 sont les tramways et les chemins de fer. Cette exclusion est justifiée par le fait que de tels véhicules circulent, en principe, sur des voies qui leur sont propres en ne partagent pas les voies publiques empruntées par les autres usagers (bus, voiture, cyclistes, piétons etc). Par ailleurs, selon l’article L. 211-2 du Code des assurances, ces véhicules sont exclus, quelle que soit la voie qu’ils empruntent, de l’obligation d’assurance prévue à l’article L. 211-1 du même code.

Le législateur n’a pas précisé ce que recouvre concrètement la notion de « voie propre ». Comme souvent à propos des conditions d’application de la loi Badinter, c’est à la jurisprudence que l’on doit la portée de l’exclusion.

La Cour de cassation a décidé que les chemins de fer circulaient toujours sur une voie qui leur est propre y compris lorsqu’ils traversent un passage à niveau emprunté par d’autres usagers de la route (Civ. 2e, 17 mars 1986, n° 84-16.011, Bull. civ. II, n° 40 ; D. 1987. Jur. 49, note H. Groutel ; Gaz. Pal. 1886. 2. Somm. 412, note F. Chabas ; 17 nov. 2016, n° 15-27.832, Dalloz actualité, 30 nov. 2016, obs. N. Kilgus ; D. 2016. 2398 image ; ibid. 2017. 605, chron. E. de Leiris, N. Palle, G. Hénon, N. Touati et O. Becuwe image ; RTD civ. 2017. 166, obs. P. Jourdain image). La loi ne peut jamais servir de fondement à une victime qui souhaite obtenir réparation auprès de la SNCF. Cette solution, pourtant claire, ne fait pas consensus (en faveur, H. Groutel, note ss. Civ. 2e, 17 mars 1986, D. 1987. 50 ; contre, F. Chabas, note ss. Civ. 2e, 17 mars 1986, Gaz. Pal. 1886. 2. Somm. 412).

La Haute juridiction est en revanche moins radicale en ce qui concerne les tramways. Cette souplesse peut se justifier par le fait que « les conditions de circulation des tramways en milieu urbain sont plus ouvertes que celles des chemins de fer » et « exposent avec une plus grande probabilité les usagers et piétons aux risques d’accident » (Dalloz actualité, 27 juin 2011, obs. G. Rabu). Pour ce type de véhicule, la Cour de cassation opère une distinction selon que la voie est strictement propre ou selon qu’elle est partagée.

Sont exclus du champ d’application de la loi, les tramways qui circulent sur une voie dont le caractère propre est bien caractérisé. Il en va ainsi lorsque la voie est constituée d’un couloir déterminé d’un côté par un trottoir de l’autre par une ligne blanche interdisant à tout véhicule de venir y circuler (Civ. 2e, 18 oct. 1995, Bull. civ. II, n° 239) ou séparés de la rue par un terre-plein planté d’arbustes formant une haie vive (Civ. 2e, 29 mai 1996, D. 1997. 213, note G. Blanc image).

La Cour de cassation s’est prononcée une première fois en faveur d’une application de la loi en présence d’un accident impliquant un tramway dans le cas où la voie n’était pas exclusivement propre (Civ. 2e, 6 mai 1987, Bull. civ. II, n° 92). Elle l’a toutefois fait sans poser de règle générale et en ne reconnaissant qu’une « délimitation matérielle minimale » (Dalloz actualité, 26 juin 2011, préc.) de la voie. Ce manque de précision a donné lieu à une controverse entre juridictions du fond. Certaines décidaient que l’emprunt de la voie du tramway par d’autres usagers ne lui faisait pas perdre son caractère propre et maintenaient l’exclusion de la loi Badinter (Colmar, 20 sept. 2002, Juris-Data n° 201515 ; 1er juill. 2005, Juris-Data n° 288715). D’autres décidaient, au contraire, qu’une voie empruntée n’était plus une voie propre et n’empêchait pas l’application de la loi (Rennes, 5 janv. 2005, Juris-Data n° 271348).

En 2011, la Cour de cassation a mis un terme à ces divergences. Elle a choisi de maintenir la distinction entre les voies strictement propres et les voies communes et de faire une application distributive de la loi Badinter. Pour qu’elle soit considérée comme une voie propre, la voie doit être totalement inaccessible aux autres usagers. Elle reconnait alors que les tramways circulent parfois sur des voies qui ne leur sont pas spécifiquement dédiées lorsque, par exemple, celle-ci est traversée par un carrefour ouvert aux autres usagers de la route (Civ. 2e, 16 juin 2011, n° 10-19.491, Bull. civ. II, n° 132 ; D. 2011. 2184, obs. I. Gallmeister image, note H. K. Gaba image ; ibid. 2150, chron. J.-M. Sommer, L. Leroy-Gissinger, H. Adida-Canac et O.-L. Bouvier image ; RTD civ. 2011. 774, obs. P. Jourdain image ; RCA 2011. comm. 326, obs. H. Groutel ; Gaz. Pal. 5-6 oct. 2011, obs. M. Mekki). Dans ce cas, la victime de l’accident peut demander une réparation de ses préjudices sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985. En d’autres termes, « la voie ouverte aux autres usagers de la route, ou voie commune, proscrit toute notion de voie propre » (H. K. Gaba, obs ss. Civ. 2e, 16 juin 2011, D. 2011. 2184 image).

En l’espèce, la victime considérait qu’il n’y avait pas lieu, sauf à ajouter une condition supplémentaire à la loi, de tenir compte de l’endroit de l’accident pour déterminer si oui ou non la voie est propre. Il suffisait, selon elle, de regarder l’assiette du parcours du tramway et que la voie soit commune à un moment de l’itinéraire pour que la loi s’applique. Dès lors que sur son trajet, le tramway traverse un carrefour ou un passage piéton, la voie propre serait exclue même si ce n’est pas à cet endroit précis que l’accident a eu lieu.

Sans revenir sur la distinction qu’elle fait entre la voie « propre » et la voie « partagée », la Cour de cassation rejette le pourvoi en précisant que le caractère propre s’apprécie au lieu exact de l’accident et non à l’aune de la voie globale empruntée par le tramway. Qu’importe qu’à un moment donné, sur son itinéraire, le tramway traverse un carrefour ou que sa voie soit coupée par un passage piéton. En l’espèce, l’accident a eu lieu sur une portion de circulation propre au tramway et fermée aux usagers. Par conséquent, la loi du 5 juillet 1985 est exclue.

Dans un second temps, pour démontrer le caractère propre de la voie à l’endroit précis de l’accident, la Cour de cassation reprend les constats des juges du fond.

Elle rappelle d’abord que ceux-ci ont retenu que les voies du tramway n’étaient pas ouvertes à la circulation et étaient clairement rendues distinctes des voies de circulation des véhicules par une matérialisation physique au moyen d’une bordure légèrement surélevée afin d’empêcher leur empiétement, que des barrières étaient installées de part et d’autre du passage piétons afin d’interdire le passage des piétons sur la voie réservée aux véhicules, qu’un terre-plein central était implanté entre les deux voies de tramway visant à interdire tout franchissement. Le caractère propre de la voie au tramway, exclue aux piétons, a bien été caractérisé par les juges du fond. Pour conserver son caractère propre, la voie doit être à la fois fermée et délimitée. 

Elle relève ensuite que le passage piétons situé à proximité était matérialisé par des bandes blanches sur la chaussée conduisant à un revêtement gris traversant la totalité des voies du tramway et interrompant le tapis herbeux et pourvu entre les deux voies de tramway de poteaux métalliques empêchant les voitures de traverser mais permettant le passage des piétons.

Enfin, elle constate que les juges d’appel ont retenu, et c’est là l’élément déterminant, que le point de choc ne se situait pas sur ce passage piétons mais sur la partie de voie propre du tramway après celui-ci.

En l’espèce, la victime a été heurtée par le tramway sur une partie de la voie strictement propre à la circulation de celui-ci. En toute logique, elle ne peut pas obtenir de réparation sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985. La Cour de cassation maintient sa conception stricte de la voie propre, voie qui doit être matériellement délimitée, et précise que ce caractère s’apprécie à l’endroit exact où le choc s’est produit.

Cette décision montre que les questions à propos de l’exclusion de certains VTM de la loi Badinter continuent d’alimenter le contentieux des accidents de la circulation. Toutefois, au regard de la réforme de la responsabilité civile proposée, la réponse ne revêt qu’un intérêt relatif. En effet, le projet de réforme de la responsabilité civile rendu public le 13 mars 2017 abandonne la distinction entre véhicules et soumet les chemins de fer et tramways à l’application du régime de responsabilité propres aux accidents de la circulation (art. 1285).

Cette proposition n’est pas nouvelle. Dans son rapport annuel pour l’année 2005, la Cour de cassation avait déjà exprimé le souhait d’une modification de la loi du 5 juillet 1985 par un retrait des tramways de l’exclusion de l’article 1er (Rapp. C. cass. 2005, 1re partie, 3e suggestion tendant à la modification de l’art; 1er, loi n° 85-677, 5 juill. 1985 et de l’art. L. 211-8 c. assur.). L’avant-projet Catala (P. Catala (dir.), Rapport sur l’avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, remis au garde des Sceaux le 22 sept. 2005, art. 1385) et le projet Terré (J.-S. Borghetti, Des principaux délits spéciaux, in F. Terré (dir.), Pour une réforme du droit de la responsabilité civile, Dalloz, 2011, p. 163, spéc. p. 180 s.) allaient eux aussi en ce sens.

On notera cependant que si la disparition de la distinction entre les différents VTM était souhaitée par une grande partie de la doctrine (F. Chabas, Le droit des accidents de la circulation après la réforme du 5 juillet 1985, 1re éd., Litec/Gaz. Pal.,1985, n° 155, p. 91 ; G. Blanc, L’inapplicabilité de la loi du 5 juillet 1985 à un accident impliquant un tramway, D. 1997. 213 image ; P. Jourdain, RTD civ. 2011. 774 image ; Y. Lambert-Faivre et S. Porchy-Simon, Droit du dommage corporel, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2016, n° 692, p. 620), certaines de ses conséquences néfastes ont récemment été dénoncées au moins en ce qui concerne les chemins de fer (J. Knetsch, Réforme de la responsabilité civile : faut-il soumettre les accidents ferroviaires au régime de la loi Badinter ?, D. 2019. 138 image).

Accident de la circulation : précisions sur la notion de « voie propre »

Ne donne pas lieu à l’application de l’article 1 de la loi du 5 juillet 1985, le heurt d’un piéton par un tramway dès lors que le point de choc ne se situait pas sur le passage piétons mais sur la partie de voie propre du tramway après ce passage. 

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Précisions sur la notion de coût du crédit hors intérêts

La Cour de justice de l’Union européenne apporte d’intéressantes précisions sur la notion de coût du crédit hors intérêts dans un arrêt du 26 mars 2020. En l’espèce, deux affaires étaient à l’origine de la saisine de la Cour : un consommateur polonais avait conclu deux contrats de prêt avec des banques différentes, ces contrats étant assortis de frais et commissions. À la suite de la défaillance de l’emprunteur, celui-ci fut poursuivi devant deux juridictions nationales. Suite à un appel interjeté par ledit consommateur, la juridiction saisie relève que les coûts du crédit hors intérêts dans les deux contrats en cause au principal ont été calculés sur la base de la formule établie par la législation nationale et ne dépassent pas le montant maximum permis. Mais des doutes sont émis par cette juridiction, tout d’abord quant à la conformité avec la directive 2008/48 d’une législation nationale qui introduit une notion de « coût du crédit hors intérêts », qui n’est pas prévue par ladite directive et quant à l’applicabilité de la directive 93/13 en présence de clauses respectant les dispositions nationales concernant le coût maximal permis. C’est dans ce contexte que furent posées deux questions préjudicielles à la Cour de Luxembourg.

S’agissant, en premier lieu, de la conformité à la directive de 2008, la Cour affirme que « L’article 3, sous g), l’article 10, paragraphe 2, et l’article 22, paragraphe 1, de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui prévoit une méthode de calcul portant sur le montant maximal du coût du crédit hors intérêts pouvant être imposé au consommateur, à condition que cette réglementation n’introduise pas d’obligations d’information supplémentaires portant sur ce coût du crédit hors intérêts, qui s’ajouteraient à celles prévues audit article 10, paragraphe 2 ». La Cour se montre donc relativement clémente quant à la notion de coût du crédit hors intérêts, alors même que celle-ci est inconnue de la directive de 2008, dont l’article 3, sous g) vise seulement le « coût total du crédit pour le consommateur », défini comme « tous les coûts, y compris les intérêts, les commissions, les taxes, et tous les autres types de frais que le consommateur est tenu de payer pour le contrat de crédit et qui sont connus par le prêteur, à l’exception des frais de notaire ; ces coûts comprennent également les coûts relatifs aux services accessoires liés au contrat de crédit, notamment les primes d’assurance, si, en outre, la conclusion du contrat de service est obligatoire pour l’obtention même du crédit ou en application des clauses et conditions commerciales » (la CJUE rappelle dans le pt 39 qu’elle retient une définition large de la notion de coût total du crédit pour le consommateur. V en ce sens, CJUE 26 févr. 2015, aff. C-143/13, pt 48, D. 2016. 617, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; du 8 décembre 2016, Verein für Konsumenteninformation ; CJUE, 8 déc. 2016, aff. C-127/15, pt 45, D. 2016. 2564 image ; AJ contrat 2017. 80, obs. F. Boucard image et CJUE 11 sept. 2019, aff. C-383/18, pt 23, D. 2019. 1710 image ; ibid. 2020. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image). Pourtant, on aurait pu penser qu’une notion inconnue de la directive se trouverait condamnée eu égard à l’objectif d’harmonisation totale poursuivi par l’Union européenne en la matière, l’article 22, paragraphe 1, de la directive disposant à cet égard que « Dans la mesure où la présente directive contient des dispositions harmonisées, les États membres ne peuvent maintenir ou introduire dans leur droit national d’autres dispositions que celles établies par la présente directive ». Mais il n’en est rien, ce qui peut néanmoins s’expliquer au regard de la considération selon laquelle « ledit "coût du crédit hors intérêts" constitue une sous-catégorie du "coût total du crédit"C, au sens de l’article 3, sous g), de la directive 2008/48, ce dernier coût englobant tous les coûts, y compris notamment les intérêts », comme le rappelle la Cour (pt 40). La Cour rappelle également que « ladite directive procède à une harmonisation complète en ce qui concerne les éléments qui doivent être obligatoirement inclus dans le contrat de crédit (CJUE 5 sept. 2019, aff. C-331/18, pt 50, D. 2019. 1710 image) » (pt 45) et qu’« en l’occurrence, il ressort des éléments du dossier soumis à la Cour que les dispositions nationales concernant le coût du crédit hors intérêts se bornent à établir un plafond et une méthode de calcul de ce coût, ainsi que les conséquences du non-respect de ce plafond » (pt 47). On peut donc considérer, en définitive, que la législation polonaise est malgré tout conforme à la directive. Encore convient-il de veiller à ce qu’aucune obligation d’information supplémentaire ne vienne s’ajouter à la liste, déjà impressionnante (tout l’alphabet y passe presque !), des informations devant être fournies au consommateur prévue par l’article 10, paragraphe 2, de la directive. Il appartiendra à la juridiction de renvoi de le vérifier (pt 47).

Le droit français, pour sa part, ne s’embarrasse pas de la notion de coût du crédit hors intérêts, l’article L. 311-1, 7°, du code de la consommation visant, à l’instar de la directive, le coût total du crédit pour l’emprunteur, défini de manière analogue (l’art. L. 311-1 vise également, en son 9°, le montant total dû par l’emprunteur, défini comme « la somme du montant total du crédit et du coût total du crédit dû par l’emprunteur », le montant total du crédit étant quant à lui appréhendé par le 10° comme « le plafond ou le total des sommes rendues disponibles en vertu d’un contrat ou d’une opération de crédit ». V. à ce sujet, J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 2e éd., Dalloz cours, 2019, n° 164, spéc. n° 5).

Il restait à répondre, en second lieu, à la question de l’applicabilité de de la directive sur les clauses abusives. La Cour de Luxembourg affirme à ce sujet que « L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens que n’est pas exclue du champ d’application de cette directive une clause contractuelle qui fixe le coût du crédit hors intérêts dans le respect du plafond prévu par une disposition nationale, sans nécessairement tenir compte des coûts réellement encourus ». À cet égard, il convient de rappeler que l’article 1er, paragraphe 2, de ladite directive prévoit que « Les clauses contractuelles qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives ainsi que des dispositions ou principes des conventions internationales, dont les États membres ou la Communauté sont partis, notamment dans le domaine des transports, ne sont pas soumises aux dispositions de la présente directive » (la Cour rappelle, dans le point 54, qu’« Une telle exclusion a été justifiée par le fait qu’il est légitime de présumer que le législateur national a établi un équilibre entre l’ensemble des droits et des obligations des parties à certains contrats, équilibre que le législateur de l’Union a explicitement entendu préserver (CJUE 21 mars 2013, aff. C-92/11, pt 28, D. 2013. 832 image ; ibid. 2014. 1297, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; RTD eur. 2013. 559, obs. C. Aubert de Vincelles image ; 3 avr. 2019, aff. C-266/18, pt 33, D. 2019. 756 image ; AJ contrat 2019. 349, obs. M. Combet image »). Un doute a pu naître à ce sujet dans la présente affaire compte tenu du fait que le coût du crédit avait été calculé sur la base d’une formule établie par la législation polonaise. La Cour rappelle cependant que deux conditions doivent être réunies pour qu’une clause échappe au domaine de la directive de 1993 : « D’une part, la clause contractuelle doit refléter une disposition législative ou réglementaire et, d’autre part, cette disposition doit être impérative (CJUE 7 nov. 2019, aff. C-349/18 et C-351/18, pt 60, D. 2019. 2181 image ; JT 2019, n° 225, p. 12, obs. X. Delpech image, ainsi que CJUE 3 mars 2020, aff. C-125/18, pt 31, D. 2020. 484 image) » (pt 50). Or, selon la Cour, « il n’apparaît pas qu’une clause contractuelle qui se borne à mettre en œuvre une méthode pour calculer le plafond du coût du crédit hors intérêts « reflète », à proprement parler, la disposition nationale considérée (v. en ce sens, arrêt C-266/18, préc., pts 35 et 36) » (pt 56). La Cour, afin d’étayer son raisonnement ajoute que « ladite disposition ne paraît pas, en elle-même, déterminer les droits et les obligations des parties au contrat, mais se limite à restreindre leur liberté de fixer le coût du crédit hors intérêts au-dessus d’un certain niveau et n’empêche nullement le juge national de contrôler le caractère éventuellement abusif d’une telle fixation, même en-dessous du plafond légal » (pt 57). Dont acte. Mais l’on ne peut s’empêcher de poser la question de savoir si la clause relative à la fixation du coût du crédit, fût-il hors intérêt, ne concerne pas l’objet principal du contrat, auquel cas une telle clause ne saurait être contrôlée par le juge hormis dans l’hypothèse où elle serait rédigée de manière obscure. Il faut en effet rappeler que l’article 4, paragraphe 2, de la directive de 1993 prévoit que « L’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible » (cette exigence est reprise, en France, au sein de l’art. L. 212-1, al. 3, c. consom. : « L’appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible ». V. à ce sujet, J.-D. Pellier, op. cit., n° 100). En général, la Cour veille scrupuleusement au respect de cette règle (V. par ex., au sujet des prêts libellés en franc suisse, CJUE 20 sept. 2017, aff. C-186/16, D. 2017. 2401 image, note J. Lasserre Capdeville image ; ibid. 2176, obs. D. R. Martin et H. Synvet image ; ibid. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; AJDI 2018. 208 image, obs. J. Moreau image ; AJ contrat 2017. 484, obs. B. Brignon image. Comp. CJUE 30 avr. 2014, aff. C-26/13, Kásler c/ OTP Jelzálogbank Zrt, D. 2014. 1038 image ; RTD eur. 2014. 715, obs. C. Aubert de Vincelles image ; ibid. 724, obs. C. Aubert de Vincelles image). On peut donc s’étonner qu’elle ne l’ait pas rappelée en l’occurrence.

Précisions sur la notion de coût du crédit hors intérêts

La CJUE apporte d’utiles précisions quant à la conformité de la notion de coût du crédit hors intérêts à la directive du 23 avril 2008 concernant les contrats de crédit aux consommateurs et quant à l’applicabilité de la directive du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs à une clause relative à ce coût.

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Précisions sur la notion de coût du crédit hors intérêts

La CJUE apporte d’utiles précisions quant à la conformité de la notion de coût du crédit hors intérêts à la directive du 23 avril 2008 concernant les contrats de crédit aux consommateurs et quant à l’applicabilité de la directive du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs à une clause relative à ce coût.

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Limites de l’obligation de révélation de l’arbitre : premières précisions de la CCIP-CA

Très attendue par les observateurs, la jurisprudence naissante de la chambre commerciale internationale de la cour d’appel de Paris s’enrichit d’une série d’arrêts, rendus le même jour et dans la même affaire. Cette chambre nous livre ainsi son analyse de la délicate question de l’obligation de révélation des arbitres et des circonstances susceptibles de générer un doute quant à leur indépendance et leur impartialité.

Le litige à l’origine des sentences contestées s’est élevé à l’occasion des relations d’affaires de plusieurs sociétés brésiliennes, liées par un accord d’exploitation commune pour la réalisation d’un projet pétrolier offshore : les sociétés Dommo Energia SA, Barra Energia do Brasil Petróleo e Gás Ltda, ainsi que la société Queiroz Galvão Exploração e Produção SA, devenue Enauta Energia SA.

Un désaccord s’étant élevé entre elles, la société Dommo a introduit une demande d’arbitrage à l’encontre des sociétés Barra et Enauta devant la London Court of International Arbitration (LCIA). Rapidement, les arbitres désignés de part et d’autre ont transmis leurs déclarations d’indépendance respectives en novembre 2017.
Une fois constitué, le tribunal arbitral, siégeant à Paris, a rendu une série de sentences (sentence intérimaire du 21 févr. 2018 sur la bifurcation de la procédure, sentence « Phase I » du 24 sept. 2018, sentence du 24 déc. 2018 sur les frais de l’arbitrage, sentence corrective du même jour, sentence du 24 janv. 2019 mettant fin à la sentence intérimaire sur la bifurcation, sentence partielle « Phase II » du 28 janv. 2019). Ce sont ces sentences qui ont fait l’objet de recours en annulation devant la cour d’appel de Paris (nos 19/07575 ; 19/15816 ; 19/15817 ; 19/15818 ; 19/15819), à l’initiative de la société Dommo.

Il était reproché à l’arbitre de ne pas avoir révélé les liens qui l’unissaient indirectement à l’une des parties. En effet, la société Dommo a fait valoir qu’en cours d’arbitrage, elle aurait eu fortuitement connaissance du fait que, de 2012 à 2015, soit deux ans et demi avant le début de l’arbitrage, l’arbitre nommé par les défenderesses avait travaillé pour un cabinet saoudien, lui-même affilié à un cabinet dont étaient clientes deux sociétés actionnaires de celles-ci, les fonds d’investissement First Reserve Corporation et Riverstone Holdings.

La demande de récusation présentée à la LCIA en janvier 2019 ayant été rejetée, c’est dans le cadre du recours en annulation contre les sentences déjà rendues que la société Dommo a réitéré le grief devant la cour d’appel de Paris, donnant à la chambre commerciale internationale une première occasion de nous livrer ses vues quant au devoir d’indépendance et d’impartialité des arbitres et quant à l’obligation de révélation qui leur incombe.

Le principe est bien établi : afin de garantir l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre, l’article 1456, alinéa 2, du code de procédure civile impose à ce dernier « de révéler toute circonstance susceptible d’affecter son indépendance ou son impartialité » et ce, avant d’accepter sa mission ou en cours d’arbitrage, si une telle circonstance survenait alors.
Les difficultés de mise en œuvre de cette obligation sont bien connues également. Les textes étant silencieux sur le contenu de la révélation, c’est à la jurisprudence qu’il est revenu d’en préciser les critères, source d’un important contentieux.

L’arrêt commenté ajoute ainsi sa pierre à un édifice qui, par effet d’accumulation dans une matière très casuistique, ne se caractérise pas par sa clarté. L’apport de la chambre commerciale internationale, s’il recèle d’intéressantes précisions, ne va pas non plus sans soulever des interrogations.

De façon très pédagogique, la Cour prend soin de rappeler le cadre de l’obligation de révélation (§§ 41-43). Elle envisage notamment la dimension temporelle de cette obligation et rappelle, conformément à la formule de l’article 1456, alinéa 2, du code de procédure civile, qu’elle s’étend dans le temps et dure tout le long de l’arbitrage, avant et après l’acceptation de la mission « selon que les circonstances incriminées préexistent ou surgissent après ladite acceptation » (§ 42).

Par ailleurs, après avoir brièvement présenté la nature de liens devant être révélés – et sur lesquels nous reviendrons – la Cour précise que cette obligation s’apprécie « au regard de la notoriété de la situation critiquée, de son lien avec le litige et de son incidence sur le jugement de l’arbitre ».

Ces deux critères – le premier, négatif, de la notoriété et le second, positif de la pertinence des informations – marquent les deux temps du raisonnement de la Cour. D’abord, se pose la question de savoir si l’arbitre avait bien l’obligation de révéler les liens, eu égard à leur prétendue notoriété (I). À cet égard, la réponse est positive. Ensuite, se pose la question de savoir si la situation critiquée entretenait des liens avec le litige et était de nature à influencer l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre (II). Après analyse, la Cour estime que les liens entre l’arbitre et la société Barra sont trop ténus pour donner lieu à l’annulation de la sentence.

I - Exception de notoriété

À la question de savoir si les liens autrefois entretenus par l’arbitre avec le cabinet d’avocats qui représentent les actionnaires de la société Barra étaient notoires et, partant, s’ils pouvaient être exclus de l’obligation de révélation, la cour d’appel répond par la négative. En conséquence, ces liens auraient dû être révélés par l’arbitre.

Un tel recours à l’exception de notoriété s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence antérieure. L’exception est désormais classique (Paris, 13 mars 2008, n° 06/12878, D. 2008. 3111, obs. T. Clay image ; v. égal., Paris, 10 mars 2011, Tecso c/ Neoelectra, n° 09/28537, Rev. arb. 2011. 737, obs. D. Cohen  ; Cah. arb. 2011. 787, note M. Henry ; LPA 2011, n° 225-226, p. 14, note P. Pinsolle ; Gaz. Pal. 15-17 mai 2011. 19, obs. D. Bensaude ; Paris, 13 nov. 2012, SA Fairplus Holding c/ Sté JMB Corporation, n° 11/11153, D. 2012. 2991, obs. T. Clay image ; Paris, 28 mai 2013, n° 11/17672, Catering International, D. 2013. 2936, obs. T. Clay image ; Gaz. Pal. 27-28 sept. 2013. 18, obs. D. Bensaude ; Paris, 2 juill. 2013, n° 11/23234, La Valaisanne Holding, D. 2013. 2936, obs. T. Clay image ; RTD com. 2014. 318, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2013. 1033, note M. Henry ; JCP 2013. 1391, n° 5, obs. J. Ortscheidt ; Civ. 1re, 25 mai 2016, n° 14-20.532, D. 2016. 2589, obs. T. Clay image ; RTD com. 2016. 699, obs. E. Loquin image ; Cah. arb. 2016. 633, note V. Chantebout ; Civ. 1re, 3 oct. 2019, Sté Audi Volkswagen Middle East Fze LLC c/ Sté Saad Buzwair Automotive Co., n° 18-15.756, Dalloz actualité, 12 déc. 2019, obs. C. Debourg ; Rev. arb. 2020, note L. Jaeger, à paraître) : l’arbitre n’est pas tenu de révéler les informations le concernant dès lors que celles-ci sont notoires.

Si elle permet de prévenir des techniques dilatoires et s’inspire d’un louable esprit de loyauté procédurale, le recours à la notoriété n’est pas exempt de critiques, notamment au regard de son critère (A) et de ses enjeux (B) (v. not, J. Jourdan-Marques, Chronique d’arbitrage, Dalloz actualité, 29 oct. 2019 ; T. Clay, Tecnimont, saison 5 : La dissolution de l’obligation de révélation dans le devoir de réaction, note sous Paris, 12 avr. 2016, n° 14/884, Sté J&P Avax c/ Sté Tecnimont, Cah. arb. 2016. 447, n° 11 ; L.-C. Delanoy, Les obligations respectives des arbitres et des parties en matière d’indépendance de l’arbitre, note sous Paris, 29 mai 2018 et Paris, 27 mars 2018, Rev. arb. 2019. 522, spéc. n° 17-19).

A - Les critères de la notoriété

La notion pèche tout d’abord par la difficulté qu’il y a à en arrêter les critères. À cet égard, l’arrêt rendu le 25 février 2020 apporte d’utiles précisions.

Bien que l’on sache désormais que la notion de notoriété est employée dans une acception large, incluant les informations aisément accessibles (v. not. Civ. 1re, 15 juin 2017, République de Guinée Equatoriale c/ Sté Orange Middle East and Africa, n° 16-17.108, Bull. civ. I, n° 746 ; D. 2017. 1306 image ; ibid. 2559, obs. T. Clay image ; RTD com. 2017. 842, obs. E. Loquin image), beaucoup d’incertitudes demeurent quant à ce qui caractérise concrètement une information facile d’accès.

En particulier, les juges ont déjà eu l’occasion d’admettre le caractère notoire des informations disponibles sur internet (Paris, 14 mars 2017, n° 15/19525, Rev. arb. 2017. 1213, note B. Zadjela ; Civ. 1re, 25 mai 2016, n° 14-20.532, préc. ; Civ. 1re, 19 déc. 2018, Sté J&P Avax c/ Sté Tecnimont, n° 16-18.349, Dalloz actualité, 1er févr. 2019, obs. C. Debourg ; Chronique d’arbitrage, Dalloz actualité, 29 janv. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 16-18.349, D. 2019. 24 image ; ibid. 2435, obs. T. Clay image ; Cah. arb. 2019. 401, note T. Clay ; Procédures 2019. Etude 8, obs. L. Weiller ; JCP E 2019.177, note A. Constans ; et les arrêts précédents). Il ne paraît toutefois pas saugrenu de se demander, à l’instar du demandeur au recours, si le simple fait qu’une information soit disponible sur internet doive nécessairement conduire à affirmer qu’elle est aisément accessible.

Ainsi que la jurisprudence a eu l’occasion de le rappeler, il « ne saurait être exigé […] que les parties se livrent à un dépouillement systématique des sources susceptibles de mentionner le nom de l’arbitre et des personnes qui lui sont liées » (Civ. 1re, 3 oct. 2019, Sté Audi Volkswagen Middle East Fze LLC c/ Sté Saad Buzwair Automotive Co., préc.). Cette position est également celle de la chambre commerciale internationale qui prend soin, au moyen d’une analyse détaillée, d’apporter des précisions à cet égard.

À en croire le défendeur au recours, dans l’affaire commentée, l’information litigieuse était disponible au moyen d’une consultation du site internet de l’arbitre. L’affirmation est exacte, mais la Cour ne s’en contente pas. Elle s’intéresse de façon très concrète aux opérations nécessaires pour accéder à l’information à partir du site en question (§§ 49-52). À cet égard, elle relève que « l’accès à cette information sur internet n’est possible qu’à l’issue d’un dépouillement approfondi et d’une consultation minutieuse du site internet de l’arbitre exigeant d’ouvrir tous les liens relatifs aux conférences auxquelles il a participé et de consulter le contenu l’un après l’autre des publications auxquelles il a contribué » (§ 51). En d’autres termes, pour la Cour, « l’accès à l’information nécessite plusieurs opérations successives qui s’apparentent à des mesures d’investigation » (§ 52), en conséquence de quoi elles ne peuvent être considérées comme aisément accessibles et donc notoires (dans le même sens, mais sans autant de détails, v. Paris, 14 mars 2017, n° 15/19525, Rev. arb. 2017. 1213, note B. Zadjela, où le juge de l’annulation relève que la recherche sur internet était « d’une grande simplicité » ; Civ. 1re, 25 mai 2016, n° 14-20.532, préc., où il est question d’« une simple consultation de sites internet librement accessibles »).

La Cour en conclut donc que l’information ne pouvant « être considérée comme notoire, […] l’arbitre aurait dû en conséquence la révéler dès sa première déclaration » (§ 52).

En ce qu’elle identifie ainsi le critère de la notoriété, la solution mérite l’approbation. Bien qu’il ne soit pas rare que les conseils des parties se livrent à de véritables enquêtes concernant les arbitres nommés dans la procédure, il n’est pas nécessaire, ni même sain, d’exiger de leur part qu’elles s’adonnent à de telles recherches approfondies.

Dans le même esprit, on notera par ailleurs que la Cour fait sienne une formule de la jurisprudence antérieure, à savoir que les informations notoires sont celles « que les parties ne pouvaient manquer de consulter avant le début de l’arbitrage » (§ 45 ; v. égal. Civ. 1re, 3 oct. 2019, Sté Audi Volkswagen Middle East Fze LLC c/ Sté Saad Buzwair Automotive Co., préc. ; Paris, 14 oct. 2014, n° 13/13459, D. 2014. 2541, obs. T. Clay image ; Rev. arb. 2015. 151, note M. Henry ; Cah. arb. 2014. 795, note D. Cohen. V. égal. Civ. 1re, 16 déc. 2015, n° 14-26.279, D. 2016. 2589, obs. T. Clay image ; Rev. arb. 2016. 536, note M. Henry ; Gaz. Pal. 2016, n° 26, p. 27, obs. D. Bensaude ; Cah. arb. 2016. 653, note D. Cohen). Bien que cette question n’ait pas été en débat dans la présente affaire, la Cour semble ainsi admettre, à l’instar des juges du pôle 1 – chambre. 1, et à juste titre, que le « devoir de curiosité » (E. Loquin, Autour de l’obligation de révélation, note sous Paris, 12 avr. 2016, Rev. arb. 2017. 234) des parties est limité dans le temps et que ces dernières ne sont pas tenues de poursuivre leurs investigations postérieurement au début de l’arbitrage. La Cour donne en outre indirectement des indices sur ce qui aurait permis que les informations soient considérées comme notoires dès lors qu’elle constate que le « site ne mentionne nullement de manière claire, évidente et transparente une quelconque collaboration de l’intéressé avec un cabinet d’avocats ».

Pour autant, toute incertitude quant au critère n’est pas levée. On se souviendra par exemple qu’en octobre 2019, la Cour de cassation a considéré que l’information figurant dans un annuaire spécialisé et de portée géographique limitée devait être considérée comme notoire (sur nos réserves à cet égard, v. C. Debourg, obs. sous Civ. 1re, 3 oct. 2019, Sté Audi Volkswagen Middle East Fze LLC c/ Sté Saad Buzwair Automotive Co., préc.). En comparaison, l’information figurant sur le site de l’arbitre lui-même, mais nécessitant une analyse minutieuse du site pouvait sembler nécessiter moins d’investigations. Il faudra attendre d’autres décisions pour apprécier s’il s’agit là d’une réelle divergence de vues entre les deux chambres.

B - Les enjeux de la notoriété

Des précisions quant au critère de la notoriété sont d’autant plus attendues que l’exception de notoriété est chargée d’enjeux importants ; elle est susceptible de jouer contre les parties, faisant peser sur elles une obligation particulièrement lourde, alors même qu’elles sont initialement « créancières de l’information et non pas débitrices » (T. Clay, Tecnimont, saison 5 : La dissolution de l’obligation de révélation dans le devoir de réaction, préc., n° 14. En ce sens, v. égal. M. Henry, note sous Paris, 12 avr. 2016, Rev. arb. 2017. 949 ; L.-C. Delanoy, Les obligations respectives des arbitres et des parties en matière d’indépendance de l’arbitre, note sous Paris, 29 mai 2018 et Paris, 27 mars 2018, Rev. arb. 2019. 522 et nos obs. sous Civ. 1re, 19 déc. 2018, Tecnimont : obligation de révélation de l’arbitre et obligation de s’informer à la charge des parties : un équilibre encore perfectible, D. 2019. 2435 image).

Bien que cela ne soit pas expressément énoncé par la cour d’appel, qui aborde la question de la notoriété du point de vue de l’arbitre et de son devoir de révélation (§§ 41-43 ; § 45 : la notoriété d’une situation est « susceptible de tempérer le contenu de l’obligation de révélation incombant à l’arbitre » ; § 52 : « l’arbitre aurait dû en conséquence la révéler dès sa première déclaration »), l’exception de notoriété n’a pas seulement pour effet de dispenser l’arbitre de révéler l’information. Elle a également un effet essentiel sur les obligations des parties, notamment sur ce qu’il est désormais courant d’appeler leur devoir de réaction et en particulier sur la nécessaire célérité de ce dernier.

C’est là le véritable enjeu de l’exception de notoriété. L’information notoire étant réputée connue des parties, elle fait courir le délai dans lequel celles-ci peuvent présenter leur demande de récusation. La sanction du non-respect de ce délai est particulièrement vigoureuse. La partie qui tarderait à réagir sera réputée avoir renoncé à se prévaloir du grief tiré du défaut d’indépendance et d’impartialité de l’arbitre, en application de l’article 1466 du code de procédure civile (V. égal., antérieurement au décret du 13 janv. 2011, Civ. 1re, 31 janv. 2006, Bull. civ. I, n° 37 ; 20 mai 2003, Rev. arb. 2004. 312 (1re esp.) ; Paris, 18 sept. 2003, Rev. arb. 2004. 312 (3e esp.)). Ainsi, s’il n’a pas été présenté en temps utile au cours de la procédure arbitrale, le grief sera considéré comme irrecevable.

Le mécanisme est d’autant plus sévère que le délai à respecter s’entend aussi bien du délai légal de récusation que de celui prévu par le règlement d’arbitrage d’une institution. Ainsi, « la partie qui, en connaissance de cause, s’abstient d’exercer, dans le délai prévu par le règlement d’arbitrage applicable, son droit de récusation en se fondant sur toute circonstance de nature à mettre en cause l’indépendance ou l’impartialité d’un arbitre, est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir devant le juge de l’annulation » (Civ. 1re, 25 juin 2014, n° 11-26.529, Civ. 1re, 25 juin 2014, n° 11-26.529, Tecnimont SPA (Sté) c/ J&P Avax (Sté), D. 2014. 1985 image ; ibid. 1967, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 1981, avis P. Chevalier image ; ibid. 1986, note B. Le Bars image ; ibid. 2541, obs. T. Clay image ; Rev. arb. 2015. 85, note J.-J. Arnaldez et A. Mezghani ; JCP 2014. 1278, obs. T. Clay ; ibid. 857, § 4, obs. C. Seraglini ; ibid. 977, § 9, obs. C. Nourissat ; LPA 2014, n° 215, p. 5, obs. M. Henry ; Cah. arb. 2014. 547, note T. Clay).

L’article 10.3 du règlement de la LCIA applicable en l’espèce prévoit que la demande de récusation doit être présentée dans un délai de 14 jours à compter de la constitution du tribunal arbitral ou à compter de la découverte du grief affectant le tribunal, si celle-ci est postérieure à sa constitution. La question se posait donc de savoir si ce délai avait été respecté, dès lors que la société Dommo avait attendu le mois de janvier 2019, près d’un an après le début de l’arbitrage, pour introduire sa demande de récusation. En d’autres termes, n’avait-elle pas agi trop tard pour être recevable à présenter à nouveau le grief ?

L’enjeu est là et figure expressément dans l’argumentation des défendeurs telle qu’elle ressort de l’arrêt (v. § 34 : la société Barra faisait valoir que la demande de récusation avait été faite hors délai, tandis que la société Enauta arguait d’un manquement de la société Dommo à son devoir de réaction, § 35). Le demandeur, quant à lui contestait « qu’il puisse lui être fait grief de ne pas avoir demandé la récusation de [l’arbitre] dès sa nomination » et « conteste tout caractère tardif de sa demande en récusation » (§§ 27-28).

Pour autant, dès les premiers motifs de la décision, la cour d’appel énonce fermement qu’elle n’a pas été saisie d’une demande d’irrecevabilité de la demande d’annulation « au motif que la contestation de l’indépendance et de l’impartialité de l’arbitre serait tardive » (§ 39), car cette demande n’a pas été formulée dans les prétentions des parties énoncées dans le dispositif de leurs conclusions.

Ainsi qu’indiqué plus haut, l’argument avait bien été invoqué mais, précise la Cour, uniquement dans des moyens développés au fond (§ 39). En application de l’article 954, alinéa 3, du code de procédure civile, en vertu duquel « la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion », la Cour refuse donc de se prononcer sur la question de la tardiveté de la demande.

En l’absence d’information sur les conclusions effectivement déposées, cette affirmation de la cour d’appel est d’interprétation délicate. À suivre la Cour, l’une des interprétations possibles serait que la question de la renonciation au grief s’analyse non pas un simple moyen destiné à obtenir le débouté du recours en annulation, mais comme une question de recevabilité qui doit figurer dans le dispositif des prétentions, semble-t-il en tant que fin de non-recevoir.
L’analyse bénéficie du soutien de la jurisprudence antérieure qui a énoncé à de maintes reprises que faute de l’avoir soulevé en temps utiles, les parties renonçaient au grief, ce dernier étant alors irrecevable devant le juge de l’annulation. On sait par ailleurs que la catégorie des fins de non-recevoir est une catégorie souple qui admet des créations jurisprudentielles (v. not., Cass. ch. mixte, 14 févr. 2003,  n° 00-19.423, Bull. civ. n° 1 ; D. 2003. 1386, et les obs. image, note P. Ancel et M. Cottin image ; ibid. 2480, obs. T. Clay image ; Dr. soc. 2003. 890, obs. M. Keller image ; RTD civ. 2003. 294, obs. J. Mestre et B. Fages image ; ibid. 349, obs. R. Perrot image ; Rev. arb., 2003. 403, note C. Jarrosson). Il n’est pas rare de parler ainsi de fin de non-recevoir s’agissant de l’article 1466 du code de procédure civile (en ce sens, v. C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, 2e éd., 2019, LGDJ, n° 245 ; J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, LGDJ, 2017, n° 208. V. aussi, cependant, l’intéressante analyse des « fausses fin de non-recevoir » dans l’ouvrage de MM. J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, 7e éd., LGDJ, 2019, n° 150).

On ne saurait ainsi que trop suggérer aux parties de faire preuve de la plus grande précaution dans la rédaction de leurs conclusions : l’argument de tardiveté du devoir de réaction et de renonciation au grief tiré du défaut d’indépendance ou d’impartialité semble devoir figurer dans le dispositif des prétentions, faute de quoi il ne sera pas examiné, la cour d’appel ne le soulevant pas d’office. Par ailleurs, il faut rappeler que le champ d’application de l’article 1466 du Code de procédure civil ne se limite pas aux questions d’indépendance de l’arbitre ; potentiellement ce sont tous les griefs non soulevés en temps utiles qui sont concernés par ce rappel des formes que doit prendre l’argument.

Cela étant, la décision du 20 février 2020 recèle d’autres interrogations sur ce point.

Il est tout d’abord permis de s’interroger sur le véritable objet de l’irrecevabilité invoquée. Dans l’arrêt commenté, dans une partie portant sur « la recevabilité de la contestation » (nous soulignons), la cour d’appel énonce que « l’irrecevabilité de la demande d’annulation » (nous soulignons) n’est pas évoquée dans le dispositif des conclusions des parties pour en déduire qu’elle n’a pas été saisie d’une demande « d’irrecevabilité du recours en annulation » (nous soulignons), alors même que celui-ci ne paraissait pas pouvoir encourir la critique, ayant été exercé dans les temps. Du reste, si l’irrecevabilité du recours avait été invoquée, elle aurait sans doute dû être présentée devant le conseiller de la mise en état (C. pr. civ., art. 914, par renvoi de l’art. 1527 c. pr. civ.), ce qui soulève d’autres questions complexes.

Même en admettant qu’il s’agisse ici d’un raccourci de langage, il faut reconnaître que le vocabulaire est pour le moins flottant. Traditionnellement, c’est davantage l’irrecevabilité du moyen qui est visée par la jurisprudence rendue en matière de renonciation (v. not. Paris, 21 oct. 2010, Me Patrick Dunaud c/ Sté SPRLU Agnès Maqua et autre, n° 09/16174, en somm. in Rev. arb. 2010. 975 ; Paris, 10 sept. 2019, Sté Gemstream c/ Sté Visionael Corporation Inc., n° 17/10639, en somm. in Rev. arb. 2019. 993, pour une renonciation au moyen tiré de l’incompétence du tribunal arbitral) ou encore l’irrecevabilité des griefs (v. par ex., Paris, 28 nov. 2017, M. Sheikh Mohamed Bin Issa Al Jaber c/ M. Sheikh Salah Inbrahim Al-Hejailan, en somm. in Rev. arb. 2017. 289 ; Paris, 2 avr. 2019, M. Vincent J. Ryan, Sté Schooner Capital et Atlantic Investment Partners LLC c/ République de Pologne, n° 16/24358, en somm. in Rev. arb. 2019.304 qui précise que la renonciation présumée par l’article 1466 code de procédure civile « vise des griefs concrètement articulés et non des catégories de moyens » et que « le but poursuivi par cette disposition – qui est d’éviter qu’une partie se réserve des armes pour le cas où la sentence lui serait défavorable –, ne serait pas atteint si, sous couvert d’un cas d’ouverture unique, le recourant était recevable à développer devant la cour un argumentaire différent en droit et en fait de celui qu’il avait soumis aux arbitres »). Là encore, le raccourci entre recevabilité du grief et recevabilité de la demande d’annulation est compréhensible, dès lors qu’il semble que seul le grief relatif à la constitution du tribunal arbitral était ici invoqué. Toutefois, l’incertitude concernant le vocabulaire employé soulève des doutes quant à la mise en œuvre de l’exception de notoriété.

En particulier, dans une démarche prospective, on peut s’interroger sur le point de savoir à qui la question devra être posée, au regard de l’extension des pouvoirs accordés à ceux qui sont chargés de la mise en état. Devant la cour d’appel, elle relève du conseiller de la mise en état, lequel, depuis la réforme Magendie, a le pouvoir de statuer sur l’irrecevabilité de l’appel (C. pr. civ., art. 914). Toutefois, dans la mesure où le décret du 11 décembre 2019 accorde au juge de la mise en état une compétence exclusive pour connaître de l’ensemble des fins de non-recevoir (C. pr. civ., art. 789-6°) et que les pouvoirs du CME semblent devoir être calqués sur ceux du JME en vertu de l’article 907 du code de procédure civile, il est envisageable que le CME soit compétent pour connaître de l’argument de renonciation au grief, étant précisé que ces dispositions sont applicables pour les actions introduites à compter du 1er janvier 2020. On peut être réservé quant à l’opportunité de scinder ainsi des questions de fond entremêlées, même s’il apparaît qu’il est de la volonté générale d’évacuer au plus tôt le plus grand nombre possible d’arguments, y compris s’ils touchent au fond (v. not. C. pr. civ., art. 789-6°). Il est néanmoins douteux que les rédacteurs du décret – adopté dans une relative urgence – aient eu en tête le cas spécifique du recours en annulation d’une sentence arbitrale à laquelle on oppose une fin de non-recevoir tirée de l’article 1466 du code de procédure civile. Reste à espérer alors que le CME fasse usage de sa faculté de renvoyer la question à la formation collégiale.

Ensuite, alors même que la cour d’appel indique expressément ne pas avoir été saisie d’une demande d’irrecevabilité pour tardiveté de la contestation, à laquelle il est donc prétendu que le demandeur aurait renoncé, elle s’engage dans une discussion relative à l’exception de notoriété, dont l’un des effets essentiels en pratique est précisément d’évaluer si la contestation a été ou non tardive. Sans doute la Cour ne fait-elle que répondre aux points soulevés dans le débat,  les parties s’opposant sur le caractère notoire de ces informations » (§ 44).

Néanmoins, le fait que la Cour consacre de longs développements à cette question pourrait sembler en contradiction avec celui de présenter la renonciation comme une question de recevabilité, si ce n’est qu’au terme de ces développements, elle n’adopte aucune position sur le caractère tardif de la demande de récusation ou sur l’existence d’une renonciation à se prévaloir du grief. La Cour se contente d’affirmer que l’arbitre aurait dû révéler ces liens qui n’étaient pas notoires (§ 52).

Si ce n’est à titre d’obiter dictum, au demeurant fort bienvenu, l’objectif de toute cette analyse n’est pas clair. En effet, mis à part l’hypothèse où elle est utilisée pour établir une renonciation au grief en raison d’une réaction tardive, question dont la Cour estime ne pas être saisie, l’exception de notoriété est essentiellement utile dans deux autres situations, mais qui ne sont pas caractérisées en l’espèce.

Dans la mesure où elle permet de délimiter le contenu de l’obligation de révélation de l’arbitre, elle pourrait tout d’abord servir à engager la responsabilité de l’arbitre qui aurait manqué à cette obligation en omettant de révéler des faits non notoires, si tant est qu’une telle action soit envisageable sur ce fondement (v. not. Paris, 12 oct. 1995, Raoul Duval, Rev. arb. 1999, n° 1, p. 324, note P. Fouchard ; TGI Paris, 12 mai 1993, Raoul Duval, Rev. arb. 1996, n° 3, p. 411, note P. Fouchard ; Civ. 1re, 4 juill. 2012, CSF c/ M. J.-F. T., en somm. Rev. arb. 2012. 682. Sur cette responsabilité, v. C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, 2e éd., 2019, LGDJ, n° 246 ; T. Clay, L’arbitre, Dalloz, 2001, n° 398 et n° 941). La question fait débat, dès lors que la nature de l’obligation de révélation n’est pas parfaitement établie (V. not., Rapport du Club des juristes. La responsabilité de l’arbitre. Commission Ad Hoc [Prés. J.-Y. Garaud], juin 2017, p. 32 ; L. Jandard, La relation entre l’arbitre et les parties. Critique du contrat d’arbitre, Thèse dactyl., Paris Nanterre, 2018, dir. F.-X. Train, spéc. nos 328 s.). En tout état de cause, la demande présentée au juge en l’espèce ne concernait en rien la responsabilité de l’arbitre, généralement invoquée postérieurement à l’annulation de la sentence et par ailleurs refusée en l’espèce.

L’on pourrait encore imaginer que la non-révélation ait une incidence directe sur la caractérisation d’un défaut d’indépendance et d’impartialité, c’est-à-dire que l’on déduise d’un défaut de révélation un défaut d’indépendance. Toutefois, l’absence de lien direct entre défaut de révélation et défaut d’indépendance, déjà retenu par la jurisprudence (v. infra), est réaffirmée en l’espèce (§ 53), à juste titre. La Cour se contente d’affirmer que l’arbitre aurait dû révéler les liens, sans en tirer de conséquences concrètes immédiates.

Ainsi, pour se prononcer sur l’existence d’un défaut d’indépendance ou d’impartialité, la Cour examine les liens des informations litigieuses sur le litige et leur incidence sur le jugement de l’arbitre.

II - Appréciation de la situation critiquée au regard de l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre

Une fois traitée la question de savoir si les informations invoquées bénéficiaient ou non de l’exception de notoriété, la cour d’appel s’est attelée à une seconde question, celle du « lien de la situation critiquée avec le litige et son incidence sur l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre ». Sur ce point encore, il nous semble que la solution de fond retenue par la Cour doive être approuvée : les liens étaient en l’espèce trop ténus pour susciter un doute raisonnable (B). En revanche, l’articulation des questions par la cour d’appel pourrait prêter à confusion (A).

A - Articulation des questions

La présentation faite par la cour d’appel de ce qui est l’objet de son examen n’est pas parfaitement claire et semble osciller entre la délimitation des contours de l’obligation de révélation et l’appréciation d’un éventuel défaut d’indépendance justifiant l’annulation de la sentence.

En effet, dans les paragraphes d’introduction de ses motifs, la Cour énonce ainsi les critères de l’obligation de révélation : « l’obligation de révélation qui pèse sur l’arbitre doit s’apprécier au regard de la notoriété de la situation critiquée, de son lien avec le litige et de son incidence sur le jugement de l’arbitre » (§ 43). Elle semble alors placer l’exception de notoriété et le lien de l’information avec le litige ainsi que son influence sur le jugement sur le même plan, celui de l’obligation de révélation.

Par la suite cependant, lorsqu’aux paragraphes 53 et suivants, elle s’interroge sur le lien de la situation avec le litige et le jugement de l’arbitre, l’objet de l’analyse ne semble plus être l’obligation de révélation, mais bien le motif d’annulation tiré du défaut d’indépendance et d’impartialité de la part d’un membre du tribunal arbitral. Pour autant, il est à nouveau fait référence au défaut de révélation qui serait susceptible de permettre « d’éveiller un doute raisonnable » (§ 56).

Cela étant, la Cour coupe rapidement court aux incertitudes, rappelant que « la non-révélation par l’arbitre d’informations ne suffit pas à constituer un défaut d’indépendance ou d’impartialité ».

Là encore, la chambre commerciale internationale prend position en faveur de ce qui semble être le dernier état de la jurisprudence. Après avoir souvent semblé associer la défaillance de l’arbitre quant à son obligation de révélation et son défaut d’indépendance ou d’impartialité, susceptibles de provoquer l’annulation de la sentence, les parties ayant été privées de leur droit de récusation (v. not., Paris, 12 févr. 2009, Rev. arb., 2009.186, note T. Clay, et les références citées), la jurisprudence dissocie désormais plus fermement obligation de révélation et indépendance de l’arbitre (v. not. Civ. 1re, 10 oct. 2012, Tecso c/ Neoelectra, Rev. arb. 2012. 129, note C. Jarrosson ; v. déjà, Paris, 12 janv. 1996, Qatar c/ Creighton, Rev. arb. 1996. 428, note P. Fouchard. Sur cette question, v. not. C. Jarrosson, note sous Paris, 21 févr. 2012, Rev. arb. 2012. 587 ; note sous Civ. 1re, 10 oct. 2012, Tecso c/ Neoelectra, Rev. arb.  2012. 129 ; L.-C. Delanoy, note sous Paris, 27 mars 2018 et 29 mai 2018, Rev. arb. 2019. 522, spéc. n° 21 ; C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, 2e éd., 2019, LGDJ, n° 245). La solution mérite selon nous d’être approuvée en ce qu’elle est conforme à la nature de l’obligation de révélation, qui se présente comme « un moyen quand l’indépendance et l’impartialité sont une fin » (M. Henry, note sous Paris, 2 nov. 2011, Rev. arb. 2011. 112, spéc. n° 7). En opportunité, par ailleurs, elle limite considérablement les risques qu’une sentence soit annulée au prétexte d’un oubli mineur. La Cour s’inscrit ici dans ce courant : le défaut de révélation de certains éléments ne signifie pas défaut d’indépendance ou d’impartialité, il faut expliquer en quoi « ces éléments so[nt] de nature à provoquer dans l’esprit des parties un doute raisonnable quant à l’impartialité et à l’indépendance de l’arbitre » (§ 53). Ce sont donc ces liens et leur incidence sur le jugement de l’arbitre qu’elle entend examiner.

B - Appréciation des liens litigieux

L’article 1456, alinéa 2, du code de procédure civile dispose que doit être révélée « toute circonstance susceptible d’affecter son indépendance ou son impartialité », suscitant un contentieux extrêmement important quant à la caractérisation de telles circonstances. L’arrêt de la cour d’appel est instructif à cet égard.

Dès les premiers paragraphes des motifs, la Cour donne un contenu très large à l’obligation de révélation et rappelle le caractère varié des circonstances devant être révélées (§ 42), faisant écho à la formule de l’article 1456, alinéa 2, du code de procédure civile, qui vise « toute circonstance ». La Cour identifie ainsi trois formes de circonstances, dont il ne semble pas exclu qu’elles puissent se recouper : celles qui portent sur d’« éventuels conflits d’intérêts », des « relations d’intérêts » et des « courants d’affaires ». Il est par ailleurs précisé que ces liens peuvent être entretenus par l’arbitre avec les parties, mais aussi avec « des tiers susceptibles d’être intéressés au litige » (§ 42). Il faut reconnaître que cette formule n’est pas particulièrement éclairante.

Plus loin dans les motifs, et en dépit de la confusion exposée supra, la question n’est plus celle du critère de la révélation, mais celle du critère du défaut d’indépendance. Une fois de plus, la cour d’appel embrasse le principe retenu par la jurisprudence antérieure et le critère du doute raisonnable, « l’appréciation devant être faite sur des bases objectives et en tenant compte des spécificités de l’espèce » (§ 53).

C’est ainsi à une analyse détaillée des circonstances de l’espèce que se livre la Cour.

La situation visée ici est celle d’un potentiel conflit d’intérêts indirect, c’est-à-dire d’une situation faisant intervenir un certain nombre d’intermédiaires entre l’arbitre et l’une des parties. En l’espèce, ce lien est indirect à un double titre.
D’abord, il est indirect si on l’observe du point de vue de la partie concernée, puisque le lien invoqué concernerait l’arbitre et deux sociétés actionnaires de celle-ci. À juste titre, ce point ne semble pas poser de difficulté à la Cour d’appel qui s’intéresse directement aux liens entre l’arbitre et les actionnaires de Barra (en ce sens, v. not. les IBA Guidelines on Conflict of Interest in International Arbitration, 2014, not. General Standard n° 7). Ainsi il semble acquis pour la cour d’appel que les liens avec des sociétés de contrôle d’une partie sont douteux.

Ensuite, et c’est là que se présente le plus grand nombre de difficultés, il est indirect si on l’appréhende du point de vue de l’arbitre, puisqu’il n’existe aucun lien direct entre lui et les actionnaires de la société Barra. Le lien allégué est le résultat de l’appartenance de l’arbitre à un cabinet lié aux actionnaires de la société Barra, ou pour être précis, à un cabinet affilié à celui qui représente les intérêts des actionnaires de la société Barra. Le rapport d’affaires ne vise pas directement l’arbitre, mais le cabinet au sein duquel il exerce et, plus spécifiquement encore en l’espèce, un cabinet affilié au cabinet au sein duquel il a exercé.

Sur ce point, l’apport de la cour d’appel de Paris est important, car la situation dans laquelle le cabinet ou l’ancien cabinet d’un arbitre entretient des liens avec des entités proches de l’une des parties est extrêmement fréquent en pratique. Il n’est en effet pas rare que les professionnels exerçant comme arbitres exercent de façon ponctuelle ou habituelle au sein de cabinets d’avocats ayant un important volume d’affaires auprès de nombreuses sociétés (et d’États) se trouvant au cœur de réseaux, d’alliances et de groupes d’une grande complexité (sur ces questions, v. not. F.-X. Train, Mode d’exercice de l’activité d’arbitre et conflits d’intérêts, Rev. arb. 2012. 725. V. égal. Civ. 1re, 27 janv. 2016, Fibre Excellence, n° 15-12.363 ; Paris, 10 mars 2011, Tecso c/ Neoelectra Group, n° 09/28537, préc.).

À cet égard, la Cour affirme que, pour qu’ils soient susceptibles « d’éveiller un doute raisonnable sur son impartialité ou son indépendance, encore faudrait-il que cette activité ait généré [des] […] liens avec les actionnaires de la société partie au présent arbitrage et ait été à l’origine d’un courant d’affaires entre l’arbitre et ces sociétés ou qu’il ait eu ou ait encore un quelconque intérêt avec le cabinet les représentant, susceptible de créer un conflit d’intérêt » (§ 56).

En premier lieu, la Cour s’intéresse aux liens entre l’arbitre et la partie et son actionnariat, plutôt qu’aux relations du cabinet avec ce dernier. Ainsi, l’analyse présentée est d’abord personnalisée. La Cour recherche des « liens, directs ou indirects, matériels ou intellectuels » entre l’arbitre et les actionnaires qui soient « à l’origine d’un courant d’affaires » entre eux (§ 56). De tels liens ne sont pas établis en l’espèce, la Cour ajoutant que l’arbitre ne les a pas « conseillé[s], représenté[s] ou assisté[s] » (§ 57).

Elle réserve également l’hypothèse où l’arbitre « [a] eu ou [a] encore un quelconque intérêt avec le cabinet [des actionnaires], susceptible de créer un conflit d’intérêts » (§ 56). La formule est assez vague, et large, puisqu’elle vise « un quelconque intérêt ». À cet égard, le fait qu’il s’agisse d’un lien doublement indirect, c’est-à-dire qu’il s’exerce par l’intermédiaire d’un autre cabinet d’avocats, tout comme la dimension temporelle – ancienne – de ce lien ont pu jouer un rôle dans la décision de la cour d’appel d’estimer qu’une telle hypothèse n’était pas non plus établie en l’espèce.
La rédaction de la décision doit inviter à la prudence quant aux tentatives d’interprétation que l’on pourrait formuler. En effet, la Cour semble évoquer l’existence d’un cabinet intermédiaire, ainsi que le fait que l’ancienneté des rapports de travail de l’arbitre avec ce cabinet, à titre supplémentaire, presque d’obiter dictum.

Elle énonce ainsi que les circonstances ne « permettent pas d’établir l’existence de lien quelconque entre [l’arbitre] et les actionnaires […] ni qui soient de nature à créer un doute raisonnable sur l’indépendance et l’impartialité, d’autant plus que les liens [entre l’arbitre et le cabinet des actionnaires] étaient indirects, par l’intermédiaire [d’un autre cabinet] » (nous soulignons).

Elle ajoute que ces liens « avaient cessé deux ans et demi avant le début de l’arbitrage, ce qui pourrait ne pas être une durée suffisante en cas de défaut de révélation de lien direct ou d’une information susceptible d’affecter l’impartialité de l’arbitre, mais qui en l’espèce est sans incidence dès lors que rien ne permet d’établir qu’il y ait pu y avoir des connexions entre [l’arbitre et les actionnaires] à l’époque où [l’arbitre] travaillait pour le [cabinet saoudien] ni après ». Les faits de l’espèce ne permettent pas d’apprécier pleinement la portée de cette formule. L’on regrettera à nouveau la référence au « défaut de révélation » qui ne nous semble pas devoir être un critère d’appréciation plus sévère de la proximité dans le temps des liens litigieux. Il faut souhaiter qu’il ne s’agisse ici que d’une erreur de plume, survivante de la confusion que nous évoquions supra et pourtant balayée par la cour d’appel au paragraphe 53.

Ainsi, si l’on approuvera la cour d’appel, au regard des faits de l’espèce, dans la mesure où le lien entre l’arbitre et l’une des parties à l’arbitrage était trop indirect et tenu et aussi dans la mesure où l’activité de l’arbitre auprès du cabinet était à la fois de courte durée et ancienne, l’arrêt soulève des questions quant à l’articulation des critères à retenir.

La remarque ne se limite pas à la question de l’appréciation du doute raisonnable. Les solutions retenues au fond par la Cour, qu’il s’agisse d’une exception de notoriété délimitée ou de l’appréciation raisonnable de l’intensité minimale des liens des liens de nature à créer un doute quant à l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre, doivent également être approuvée en ce qu’elles participent l’une comme l’autre, à la sécurité des procédures arbitrales et à l’équilibre entre les exigences légitimes d’indépendance des arbitres et de loyauté des parties. En revanche, on regrettera que la Cour passe un peu facilement de l’étendue du devoir de révélation à la caractérisation d’un défaut d’indépendance, alors même qu’elle énonce expressément que la seconde ne dépend pas de la première, entretenant une confusion qui n’est pas souhaitable.

Limites de l’obligation de révélation de l’arbitre : premières précisions de la CCIP-CA

Premier recours en annulation devant la chambre commerciale internationale de la cour d’appel de Paris : la nouvelle chambre livre son analyse de l’obligation de révélation, de la notoriété des informations et du critère du doute raisonnable.

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Ordonnance coronavirus du 22 avril 2020 : volet immobilier

Dans son versant « immobilier », l’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 s’intéresse à la copropriété, à l’urbanisme, à l’aménagement et à la construction.

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Une ordonnance fourre-tout

L’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 est un regroupement hétéroclite de mesures visant à répondre à la crise sanitaire et à ses conséquences. En droit public, elle revoit notamment une nouvelle fois le régime des suspensions de délais en matière d’urbanisme.

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Voies d’exécution, titre exécutoire et prescription : il faut partir à point !

Dans deux arrêts rendus le même jour, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a été amenée à analyser la spécificité de l’application dans le temps de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile à propos de deux saisies-arrêts.

À titre liminaire, il est important de préciser qu’il s’agit de litiges nés en Nouvelle-Calédonie et rappeler que le code des procédures civiles d’exécution n’y est pas applicable, les voies d’exécution restant régies par l’ancien code de procédure civile, notamment les articles 557 à 582 pour la saisie-arrêt (ancêtre de la saisie conservatoire et de la saisie attribution avec la saisie exécution des art. 583 s. du même code).

Dans l’arrêt portant le n° 18-23.782, le 8 janvier 2009, une banque obtient un arrêt de condamnation, devenu irrévocable en 2012 à la suite du rejet du pourvoi formé à son encontre (arrêt de rejet du 23 févr. 2012, n° 09-13.113, D. 2012. 610 image ; AJDI 2012. 451 image ; ibid. 460 image, obs. N. Le Rudulier image ; RTD civ. 2012. 346, obs. P. Crocq image).

En vertu de ce titre exécutoire, elle fait pratiquer une saisie-arrêt le 6 septembre 2016 et assigne en validité le 12 septembre suivant.

Dans l’arrêt portant le n° 18-22.908, une banque obtient un arrêt de condamnation le 27 octobre 2005.

En vertu de ce titre exécutoire, elle fait pratiquer une saisie-arrêt le 2 août 2016 et assigne en validité le 4 août suivant.

Sans reprendre le détail de mon cours de voies d’exécution distillé par Monsieur le doyen et professeur Pierre Julien en 1988, il faut rappeler qu’à peine de nullité, la saisie-arrêt devait être suivie d’une assignation en validité portée devant le tribunal du lieu du domicile du saisi et diligentée à l’encontre de ce dernier avec dénonciation au tiers saisi (art. 563 à 567 de l’ancien code de procédure civile ; v. A. Joly, Cours élémentaires de droit. Procédure civile et voies d’exécution, Tome II, Voies d’exécution, éditions Sirey, 4e trimestre 1968, Les saisies-arrêts, pages 62 à 76, n° 357 à 366).

Je ne résiste pas au plaisir de rappeler les dispositions poétiques de l’article 563 de l’ancien code de procédure civile :
« Dans le délai de huitaine de la saisie-arrêt ou de l’opposition, outre un jour pour trois myriamètres de distance entre le domicile du tiers saisi et celui du saisissant, et un jour pour trois myriamètres de distance entre le domicile de ce dernier et celui du débiteur saisi, le saisissant sera tenu de dénoncer la saisie-arrêt ou opposition au débiteur saisi et de l’assigner en validité ».

Une fois la saisie-arrêt validée, la somme saisie était répartie selon la distribution par contribution.

Dans le respect de ces règles, dans les deux arrêts soumis à l’examen de la cour de cassation, la banque a bien assigné en validité dans le délai de huit jours suivant la saisie-arrêt prescrit par l’article 563 de l’ancien code de procédure civile.

Dans les deux espèces, le saisi s’est prévalu de la prescription de l’action.

Il faut rappeler que si la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile et bien applicable sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie, l’article 25, II dispose que :
« II-La présente loi, à l’exception de son article 6 et de ses articles 16 à 24, est applicable en Nouvelle-Calédonie ».

Or, les dispositions de la loi du 17 juin 2008 insérant dans la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution un article 3-1 (devenu art. L. 111-4 c. pr. ex.) stipulant que l’exécution des titres exécutoires ne peut être poursuivie que pendant dix ans, sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long, figurent à l’article 23 et ne sont donc pas applicables sur le territoire de Nouvelle-Calédonie.

Il convenait donc de déterminer quel était le délai de prescription applicable.

Dans l’espèce portant le n° 18-23.782, le tribunal de première instance de Nouméa avait rejeté la demande de la banque au motif que l’exécution de l’arrêt du 8 janvier 2009 était prescrite.

La cour d’appel a confirmé ce jugement. La banque s’est pourvue en cassation et a sollicité le renvoi au Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité.

La question portait sur le point de savoir si l’article 25, II, de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 en ce qu’il exclut l’application, en Nouvelle-Calédonie, du délai de prescription spécial prévu pour l’exécution des titres exécutoires, méconnaissait le principe d’égalité devant la loi ainsi que la protection du droit de propriété

Par arrêt du 20 juin 2019 (Civ. 2e, 20 juin 2019, n° 18-23.782), la cour a rejeté cette demande et a donc examiné le pourvoi ayant donné lieu à l’arrêt commenté.

Le premier moyen relatif à la question prioritaire de constitutionnalité ayant été purgé par l’arrêt du 20 juin 2019 (préc.), restait à examiner le second moyen consistant à résoudre une question d’application de la loi dans le temps.

En effet, la banque faisait grief à l’arrêt de la cour d’appel de Nouméa d’avoir retenu la fin de non-recevoir tirée de la prescription quinquennale de son action et soutenait que celle-ci était en réalité soumise à la prescription trentenaire de l’article 2262 du code civil, alors applicable aux titres exécutoires avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.

Pour soutenir ce moyen, la banque s’appuyait sur l’article 26, III, de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile disposant que lorsqu’une instance avait été introduite avant l’entrée en vigueur de la présente loi, l’action était poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne.

Or, selon la banque, l’action ayant abouti à l’obtention de son titre exécutoire, concrétisé par l’arrêt du 8 janvier 2009, avait bien été engagée avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 et devait être poursuivie selon la loi ancienne de l’article 2262 du code civil.

Selon la banque, c’est donc à tort que la cour d’appel avait retenu l’application de la prescription quinquennale de droit commun relative aux actions portant sur des créances mobilières ou personnelles.

En toute logique, la cour de cassation rejette le pourvoi.

En effet, s’il n’est pas contestable que l’action ayant abouti à l’obtention du titre exécutoire obéissait au régime ancien de la prescription, elle rappelle en toute simplicité que l’action en exécution d’un titre exécutoire constitue une instance distincte de celle engagée afin de faire établir judiciairement l’existence de la créance.

Or, cette voie d’exécution avait bien été introduite après l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 et c’est donc à bon droit que la cour d’appel a retenu que cette action n’était pas soumise au délai de prescription trentenaire.
Dans cette première espèce, la banque avait oublié qu’il faut être deux pour danser la valse et qu’il ne faut pas confondre action en paiement et voies d’exécution.

Dans la seconde espèce portant le n° 18-22.908, la cour d’appel de Nouméa avait validé la saisie-arrêt et écarté la fin de non-recevoir soutenu par le saisi.

À l’appui de son pourvoi, le saisi soutenait que seul le délai de prescription de droit commun des actions réelles et mobilières réduit à cinq ans par l’article 1er de la loi du 17 juin 2008, qui modifie l’article 2244 du code civil, pouvait, sur ce territoire, régir les actions en recouvrement d’une créance constatée judiciairement, et qu’en faisant néanmoins application d’un délai de dix ans, la cour d’appel aurait violé les articles 1er, 23 et 25 II de la loi de la loi du 17 juin 2008.

En effet, pour valider la saisie-arrêt pratiquée, la cour d’appel avait retenu que l’instance en validité ayant été diligentée postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 réduisant à dix ans le délai de prescription des titres exécutoires et la créance en cause se prescrivant par un délai inférieur à celui-ci, soit cinq ans, le délai décennal était applicable.

Là encore, c’est logiquement que la cour de cassation casse cet arrêt, au visa de l’article 25, II, de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile en rappelant, que l’article 3-1 de la loi du 9 juillet 1991 (devenu art. L. 111-4 c. pr. ex.) n’étant pas applicable en Nouvelle-Calédonie en l’absence, sur ce territoire, de délai spécifique au-delà̀ duquel un titre exécutoire ne peut plus être mis à̀ exécution, il y avait lieu de considérer qu’il pouvait l’être dans le délai de prescription de droit commun, qui est celui des actions personnelles ou mobilières, ramené́ en Nouvelle-Calédonie de trente ans à cinq ans.

Dans les deux espèces, la question se pose de savoir pourquoi, alors qu’ils étaient titulaires de titres exécutoires obtenus en 2005 et 2009, les créanciers ont attendu aussi longtemps pour engager des voies d’exécution, oubliant la morale de la fable : « Rien ne sert de courir, il faut partir à point » (Jean de La Fontaine, Fables, Livre sixième, X, le Lièvre et la Tortue).

Voies d’exécution, titre exécutoire et prescription : il faut partir à point !

Sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie, le délai de prescription pour un titre exécutoire constaté judiciairement est de cinq ans, la prescription décennale du code des procédures civiles d’exécution n’étant pas applicable.

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Coronavirus : fiscalité des loyers commerciaux abandonnés

L’article 3 de la loi du 25 avril 2020 de finances rectificative incite les bailleurs à abandonner leurs créances de loyers.

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Deuxième loi de finances rectificative pour 2020 : aspects de droit des affaires

La deuxième loi de finances rectificatives pour 2020 du 25 avril 2020 renforce le soutien financier de l’État en faveur des entreprises frappées de plein fouet par la crise du covid-19. En particulier, elle remodèle assez substantiellement le dispositif de garantie de l’État des prêts bancaires aux entreprises.

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Le croisement des données de la base HOPSYWEB et du FSPRT est licite

N’est pas contraire au droit de la protection des données à caractère personnel la mise en relation du traitement de données relatif au suivi des personnes en soins psychiatriques (HOPSYWEB) sans consentement et du fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT).

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StopCovid : le oui mais de la CNIL

Pour la Commission nationale de l’informatique et des libertés, une application de tracage ne peut être qu’un élément d’une politique globale de lutte contre la pandémie. Et ses risques pour la vie privée ne doivent pas être sous-estimés.

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Éloge de la clarté en droit (de la consommation)

Le droit de la consommation, plus que toute autre matière, exige une certaine clarté dans les contrats (V. à ce sujet, J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 2e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2019, n° 84). La Cour de justice de l’Union européenne y veille scrupuleusement, comme en témoigne en arrêt rendu le 26 mars 2020 (CJUE 26 mars 2020, aff. C-66/19, D. 2020. 712, obs. G. Poissonnier image). En l’espèce, un consommateur a souscrit, en 2012, un crédit garanti par des sûretés réelles d’un montant de 100 000 €, au taux débiteur annuel de 3,61 % fixe jusqu’au 30 novembre 2021. Il est prévu que l’emprunteur dispose de quatorze jours pour se rétracter par écrit et que ce délai commence à courir après la conclusion du contrat mais pas avant que l’emprunteur n’ait reçu toutes les informations obligatoires mentionnées à l’article 492, paragraphe 2, du BGB (code civil allemand). Toutefois, ledit contrat ne contient pas ces informations, qui déterminent pourtant le point de départ du délai de rétractation. Il se limite en effet à renvoyer à une disposition du droit allemand qui, elle-même renvoie à d’autres dispositions du droit allemand. Par la suite, début 2016, l’emprunteur a déclaré à la banque qu’il exerçait son droit de rétractation. Celle-ci considère cependant qu’elle l’avait dûment informé et que le délai pour exercer ce droit a déjà expiré. Le tribunal régional de Sarrebruck, saisi par l’emprunteur, se demande donc si celui-ci a été correctement informé de la période durant laquelle il peut exercer son droit de rétractation, ce qui l’amène à saisir la Cour de justice afin qu’elle interprète la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2008 concernant les contrats de crédit aux consommateurs.

Se posait un premier problème, relatif à la compétence de la Cour pour se prononcer au regard de cette directive dans la mesure où celle-ci ne s’applique pas « aux contrats de crédit garantis par une hypothèque, par une autre sûreté comparable communément utilisée dans un État membre sur un immeuble, ou par un droit lié à un bien immobilier » (art. 2, § 2, a). Ces contrats relèvent en effet de la directive 2014/17/UE du Parlement européen et du Conseil du 4 février 2014 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel (V. à ce sujet, J.-D. Pellier, op. cit., n° 193). Or, en l’occurrence, le crédit était précisément garanti par des sûretés réelles, raison pour laquelle, le Gouvernement allemand soutenait que la Cour n’était pas compétente pour répondre aux questions posées. Toutefois, ce prétendu obstacle est écarté par la Cour au motif que, conformément à la possibilité offerte par le considérant 10 de la directive de 2008, « le législateur allemand a (…) décidé d’appliquer le régime prévu par la directive 2008/48/CE à des contrats tels que celui en cause » (pt 27). La Cour rappelle également qu’elle « s’est, à maintes reprises, déclarée compétente pour statuer sur des demandes de décision préjudicielle portant sur des dispositions du droit de l’Union dans des situations dans lesquelles les faits en cause au principal se situaient en dehors du champ d’application de celui-ci et relevaient dès lors de la seule compétence des États membres, mais dans lesquelles lesdites dispositions du droit de l’Union avaient été rendues applicables par le droit national en raison d’un renvoi opéré par ce dernier au contenu de celles-ci (CJUE 12 juill. 2012, SC Volksbank România, aff. C-602/10, pt 86 et jurisprudence citée, D. 2012. 1949 image ; ibid. 2013. 945, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image, ) » (pt 28). La demande de question préjudicielle fut donc, à juste titre, déclarée recevable.

Une fois cette question de compétence réglée, encore fallait-il se prononcer sur les trois questions formellement posées à la Cour (seules les deux premières questions reçurent une réponse, la Cour ayant estimé que compte tenu de la réponse apportée à la deuxième question, il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question). Cette dernière a considéré, en premier lieu, que « L’article 10, paragraphe 2, sous p), de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil, doit être interprété en ce sens que, au titre des informations à mentionner, de façon claire et concise, dans un contrat de crédit, en application de cette disposition, figurent les modalités de computation du délai de rétractation, prévues à l’article 14, paragraphe 1, second alinéa, de cette directive ». La solution est fondée au regard de l’article 10, paragraphe 2, sous p) de la directive de 2008, qui vise « l’existence ou l’absence d’un droit de rétractation, la période durant laquelle ce droit peut être exercé et les autres conditions pour l’exercer (…) ». Afin d’étayer son raisonnement, la Cour rappelle que « l’exigence consistant à mentionner, dans un contrat de crédit établi sur un support papier ou sur un autre support durable, de façon claire et concise, les éléments visés par cette disposition est nécessaire afin que le consommateur soit en mesure de connaître ses droits et ses obligations (CJUE 9 nov. 2016, Home Credit Slovakia, aff. C-42/15, pt 31, D. 2017. 328 image, note F. Boucard image ; RTD com. 2017. 152, obs. D. Legeais image) » (pt 35). Elle rappelle également que « cette exigence contribue à la réalisation de l’objectif poursuivi par la directive 2008/48/CE, qui consiste à prévoir, en matière de crédit aux consommateurs, une harmonisation complète et impérative dans un certain nombre de domaines clés » (pt. 36). Or, le droit de rétractation revêt, pour le consommateur, « une importance fondamentale » (pt. 37). Cette considération montre, une fois de plus, à quel point le droit de rétractation est une pièce essentielle de la protection des consommateurs (V. déjà CJUE 23 janv. 2019, aff. C-430/17, spéc. pt 46, D. 2019. 196 image ; ibid. 2020. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; RDC 2019, n° 116a4, p. 66, note J.-D. Pellier, ayant considéré en matière de contrat conclus à distance, que « Compte tenu de l’importance du droit de rétractation pour la protection du consommateur, l’information précontractuelle concernant ce droit revêt, pour ce consommateur, une importance fondamentale et lui permet de prendre, d’une façon éclairée, la décision de conclure ou non le contrat à distance avec le professionnel »). À cet égard, le droit français se montre relativement exemplaire : non seulement le contrat de crédit doit comporter, entre autres informations, « l’existence du droit de rétractation, le délai et les conditions d’exercice de ce droit » (C. consom., art. L. 312-28 et R. 312-10, 5°, b), sous peine de déchéance du droit aux intérêts (C. consom., art. L. 341-4, al. 1er), mais , en outre, l’article L. 312-21 du code de la consommation prévoit, également sous peine de déchéance du droit aux intérêts (C. consom., art. L. 341-4, al. 1er) mais aussi d’une contravention de la 5e classe (C. consom., art. R. 341-4), qu’« Afin de permettre l’exercice du droit de rétractation mentionné à l’article L. 312-19, un formulaire détachable est joint à son exemplaire du contrat de crédit », l’article R. 312-9 précisant que « Le formulaire détachable de rétractation prévu à l’article L. 312-21 est établi conformément au modèle type joint en annexe au présent code. Il ne peut comporter au verso aucune mention autre que le nom et l’adresse du prêteur ». Or, le modèle type visé par ce texte contient les informations relatives à la computation du délai de rétractation (encore qu’il pourrait être précisé, conformément à l’article L. 312-20, que le délai de rétractation « court à compter du jour de l’acceptation de l’offre de contrat de crédit comprenant les informations prévues à l’article L. 312-28 ». Comp. C. consom., anc. art. L. 312-20, qui prévoyait des modalités de computation beaucoup plus précises).

En second lieu, la Cour de justice considère que « L’article 10, paragraphe 2, sous p), de la directive 2008/48/CE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un contrat de crédit procède, s’agissant des informations visées à l’article 10 de cette directive, à un renvoi à une disposition nationale qui renvoie elle-même à d’autres dispositions du droit de l’État membre en cause ». La Cour fonde notamment son raisonnement sur la considération selon laquelle « la connaissance et une bonne compréhension, par le consommateur, des éléments que doit obligatoirement contenir le contrat de crédit, conformément à l’article 10, paragraphe 2, de la directive 2008/48/CE, sont nécessaires à la bonne exécution de ce contrat et, en particulier, à l’exercice des droits du consommateur, parmi lesquels figure son droit de rétractation » (pt 45). Là encore, la solution est parfaitement justifiée au regard de l’exigence de clarté qui imprègne le droit de la consommation. Cependant, le droit français, cette fois-ci, ne se montre pas aussi exemplaire, sur un plan plus général, puisque l’on sait que nombreuses sont les dispositions renvoyant à d’autres dispositions, opérant elles-mêmes un renvoi (le renvoi est même devenu le principe s’agissant des sanctions depuis l’ordonnance n° 2016-301 relative à la partie législative du code de la consommation, ce qui n’améliore guère la lisibilité du droit. V. à ce sujet, J.-M. Brigant, Recodification du code de la consommation : SOS d’un pénaliste en détresse, RLDA oct. 2016, p. 14). En somme, renvoi sur renvoi ne vaut, tel est le message prodigué par la Cour de Luxembourg.

Éloge de la clarté en droit (de la consommation)

Au titre des informations à mentionner, de façon claire et concise, dans un contrat de crédit, figurent les modalités de computation du délai de rétractation. En outre, le contrat de crédit ne saurait procéder, pour la communication des informations nécessaires à l’emprunteur, à un renvoi à une disposition nationale qui renvoie elle-même à d’autres dispositions du droit de l’État membre en cause.

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Éloge de la clarté en droit (de la consommation)

Au titre des informations à mentionner, de façon claire et concise, dans un contrat de crédit, figurent les modalités de computation du délai de rétractation. En outre, le contrat de crédit ne saurait procéder, pour la communication des informations nécessaires à l’emprunteur, à un renvoi à une disposition nationale qui renvoie elle-même à d’autres dispositions du droit de l’État membre en cause.

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Le gouvernement précise le déroulement des examens et son soutien à la recherche

Frédérique Vidal a annoncé les grandes lignes de l’organisation des examens et concours de l’enseignement supérieur, tout en rappelant l’autonomie des établissements, ainsi que des mesures visant à préserver les activités de recherche impactées par la pandémie de covid-19.

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Coronavirus : confirmation de la condamnation d’Amazon en appel

La société Amazon France Logistique s’est vue à nouveau condamnée en appel pour ne pas avoir suffisamment évalué les risques induits par le covid-19 à l’égard de ses salariés, ni associé les représentants du personnel à cette évaluation. 

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Le marché immobilier, bouleversé par l’épidémie du covid-19 ?

À travers une note de conjoncture immobilière, les Notaires de France présentent le marché des transactions immobilières suite à la situation exceptionnelle de confinement que rencontre la France pour lutter contre l’épidémie du covid-19.

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Déconfinement : Édouard Philippe et l’Assemblée s’interrogent sur leur confiance

« Voici donc le moment où nous devons dire à la France comment notre vie va reprendre »

Après deux mois de confinement et de couacs, le début de l’intervention d’Édouard Philippe est attendu. Il est effectivement rare qu’un discours parlementaire soit retransmis en direct sur TF1 et M6 (même si l’arrêt de tournages des téléfilms rend nécessaire la recherche de contenus nouveaux et gratuits). Le Premier ministre souligne d’abord la réussite du confinement, le nombre de personnes en réanimation est passé de 7 100 à 4 600. Puis, il fait ses annonces. Le retour à la normale dépendra de la situation locale (il y aura des départements verts, oranges et rouges), les classes rouvriront très progressivement, les déplacements seront limités à 100 km et la plupart des commerces seront autorisés.

Édouard Philippe annonce aussi, qu’enfin, il y aura des masques et 700 000 tests par semaine. Les personnes testées positives devront s’isoler « en quatorzaine », chez elles (confinant ainsi tout leur foyer), ou dans des hôtels réquisitionnés. Des brigades seront chargées de faire des enquêtes épidémiologiques. Le projet de loi de prolongation de l’état d’urgence sanitaire, qui sera au Parlement dès la semaine prochaine, précisera cela.

Ce discours d’Édouard Philippe a lieu dans un climat particulier. Au départ, les députés ne devaient débattre que de l’application StopCovid. Puis, cela s’est élargi à la stratégie de déconfinement. Puis, il y a eu un débat pour savoir s’il fallait ou non un vote. Puis un débat sur la date du vote (juste après le discours de Philippe ou plus tard ?). Confusion supplémentaire, selon la presse, Emmanuel Macron aurait appelé des journalistes pour leur dire, en off, qu’il n’était pas d’accord avec le format choisi par le Premier ministre, puis, durant le conseil des ministres, il a démenti « très fermement » toute rumeur de friction. Un démenti qui évidemment relancé les rumeurs de frictions, selon les quelques observateurs qui suivaient encore.

Devant les députés, Édouard Philippe défend la procédure choisie : « Nous avons choisi de réserver à l’Assemblée nationale ces annonces et de lui permettre de réagir, de critiquer et d’interroger le Gouvernement. […] En ces temps de démocratie médiatique, de réseaux pas très sociaux mais très colériques, d’immédiateté nerveuse, il est sans aucun doute utile de rappeler que les représentants du peuple siègent, délibèrent et se prononcent sur toutes les questions d’intérêt national ». Et, poursuit-il, « j’ai été frappé, depuis le début de cette crise, par le nombre de commentateurs ayant une vision parfaitement claire de ce qu’il aurait fallu faire selon eux à chaque instant. La modernité les a souvent fait passer du café du commerce à certains plateaux de télévision. Les courbes d’audience y gagnent ce que la convivialité des bistrots y perd, mais cela ne grandit pas, je le crains, le débat public. Les députés ne commentent pas. Ils votent. »

« Ce que vous voulez, ce n’est pas notre avis, mais notre confiance »

Le débat se déroule dans le cadre de l’article 50-1 de la Constitution, qui permet au gouvernement de faire une déclaration, « qui donne lieu à débat et peut, s’il le décide, faire l’objet d’un vote sans engager sa responsabilité. » Une procédure curieuse, un débat sans amendement et sans enjeu, dont les gouvernements ont d’ailleurs fait un usage modéré depuis sa création, en 2008, la cantonnant aux sujets trop techniques pour passionner (programme de stabilité, fiscalité écologique). Car, que se passerait-il si l’Assemblée votait contre la déclaration gouvernementale ? La Ve République s’est toujours méfiée des questions de confiance cachées qui ont miné les républiques précédentes. Mais cette confiance sera le cœur du débat.

Le député communiste Stéphane Peu « après nous avoir convié à débattre cet après-midi d’une application qui n’existe pas, voilà que vous devons participer à un débat bâclé, sur un plan de déconfinement que les parlementaires n’ont pas eu le loisir de découvrir ni d’amender. En réalité, ce que vous voulez, ce n’est pas notre avis, mais notre confiance. Mais elle vous est moins que jamais acquise ». Damien Abad, président du groupe LR : « Comme plus de 6 Français sur 10 nous n’avons pas confiance, nous n’avons plus confiance. » Olivier Faure, premier secrétaire du PS : « Ne demandez pas de nous accorder une confiance que jusqu’ici vous ne méritez pas. »

L’opposition dénonce les multiples volte-face du gouvernement, le manque de masques, de tests et de respirateurs. Le président du groupe Modem, Patrick Mignola défend le gouvernement : « On a beaucoup glosé et sur la prétendue impréparation du gouvernement. Mais depuis trois ans que suis parlementaire, je n’ai jamais entendu, ni sur le terrain, ni ici, que nous devions voter des demandes d’achat massif de masques pour reconstituer les stocks ou relocaliser leur production. »

« Monsieur le Premier ministre, si vous étiez une infirmière, auriez-vous confiance ? »

Le drame du débat parlementaire français est que les parlementaires français ne veulent jamais débattre. Ce qui compte, c’est le discours. Quand, à la chambre des communes britannique les interventions fusent, le parlementaire français doit faire long. Mais, les orateurs n’ayant que 15 minutes de pause après l’intervention d’Édouard Philippe pour se préparer, les discours de réaction ont tous été écrits la veille. Résultat, entre les députés trop tendus pour décoller leur nez de leur feuille et ceux qui n’ont pas modifié une ligne d’un texte déjà périmé, l’exercice est ennuyeux.

Certains arrivent à sortir du cadre. Le jeune député LR Aurélien Pradié, « sur les masques, vous n’avez pas donné de garantie solide et vos explications ressemblaient davantage à des excuses. » « Aujourd’hui avons-nous confiance ? Monsieur le Premier ministre, si vous étiez une infirmière qui s’est protégée plusieurs semaines durant avec des sacs poubelles comme blouse de fortune, auriez-vous confiance en Emmanuel Macron et en votre propre gouvernement ? Si vous étiez un médecin libéral qui a attendu de longues semaines des masques qui ne venaient pas, si vous étiez une aide-soignante qui les attend encore, auriez-vous confiance ? Si vous étiez un parent d’élève inquiet de voir la reprise de l’école, voir les ordres et les contre ordres, auriez-vous confiance ? »

En réponse, Édouard Philippe insiste : « La partie que nous devons jouer ensemble est redoutable C’est une partie difficile, c’est une partie risquée, mais nous ne réussirons à rien si nous ne sommes pas confiants. Mais la confiance n’est ni l’inconscience, ni la béatitude. C’est simplement la certitude que notre pays a en lui-même les ressources exceptionnelles pour affronter cette partie difficile ». Au final, 368 députés votent pour la déclaration, 100 contre et le reste s’abstient. Presque toute la majorité a soutenu. Les groupes LR, PS et UDI sont très hésitants. Comme le pays.

Déconfinement : Édouard Philippe et l’Assemblée s’interrogent sur leur confiance

Hier Édouard Philippe a présenté la stratégie gouvernementale de déconfinement. Un discours attendu. Au final, l’exercice s’est transformé en véritable question de confiance pour le Premier Ministre. Récit d’une séance atypique.

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