La Cour de cassation rappelle qu’à défaut de jugement supplétif de naissance régulier, la production d’acte de mariage, de décès ou d’acte de naissance des enfants ne permet pas de suppléer la carence d’acte de naissance pour prouver le lieu de la naissance.
Article
par Amélie Panetle 2 décembre 2020
Civ. 1re, 4 nov. 2020, FS-P+B, n° 19-18.280
M. K…, né au Bénin en 1997, a introduit une action déclaratoire de nationalité fondée sur son lien de filiation paternelle et la double naissance en France de son père et de son grand-père. La cour d’appel de Paris, par un arrêt du 26 février 2019, a dit qu’il n’était pas français, estimant que la preuve de la qualité d’originaire du territoire français d’outre-mer du Dahomey du grand-père paternel de M. K… n’était pas démontrée, en l’absence d’acte de naissance probant pour le grand-père. Elle a retenu que le jugement supplétif d’acte de naissance produit par M. K… pour justifier du lieu de naissance de son grand-père ne remplissait pas les conditions posées par la Convention franco-béninoise pour la reconnaissance des décisions rendues en matière civile, et qu’aucun élément apporté ne permettait de suppléer l’absence d’acte de naissance.
M. K… se pourvoit alors en cassation. Il soutient que la preuve du lieu de...
Pour le juge des référés du Conseil d’État, la jauge de trente personnes pour les rassemblements dans les lieux de culte présente « un caractère disproportionné au regard de l’objectif de préservation de santé publique et constitue ainsi, eu égard au caractère essentiel de la composante de la liberté de culte, une atteinte grave et manifestement illégale à cette dernière ». Le Premier ministre a trois jours pour revoir sa copie.
Pour le juge des référés du Conseil d’État, la jauge de trente personnes pour les rassemblements dans les lieux de culte présente « un caractère disproportionné au regard de l’objectif de préservation de santé publique et constitue ainsi, eu égard au caractère essentiel de la composante de la liberté de culte, une atteinte grave et manifestement illégale à cette dernière ». Le Premier ministre a trois jours pour revoir sa copie.
L’ordonnance n° 2020-1447 du 25 novembre 2020 réorganise les instances médicales de la fonction publique et aligne le régime des congés pour motif familial sur le code du travail.
Les faits de l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 18 novembre 2020 offrent une impression de déjà-vu tant les arrêts relatifs aux conséquences des GPA réalisées à l’étranger se succèdent (v. encore, au début du même mois, Civ. 1re, 4 nov. 2020, nos 19-15.739 et 19-50.042, Dalloz actualité, 12 nov. 2020, obs. L. Gareil-Sutter ; D. 2020. 2172 )…
Un couple d’hommes de nationalité française s’est rendu au Canada pour y avoir recours légalement à une gestation pour autrui. L’acte de naissance de l’enfant qui en est issu indique qu’il a pour parents les deux hommes. De retour en France avec l’enfant, le couple a demandé la transcription de l’acte de naissance. Si le tribunal de grande instance de Nantes a accepté la transcription complète de cet acte au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, la cour d’appel de Rennes, elle, n’a autorisé qu’une transcription partielle au profit de celui qu’elle suppose être le père biologique de l’enfant (il ressort des moyens annexés que les juges ne savent pas avec certitude lequel des deux hommes serait le père biologique). Le refus de transcription complète était fondé sur le constat que « les faits déclarés [dans l’acte de naissance de l’enfant] ne correspondaient pas à la réalité biologique de l’enfant ». La cour d’appel avait en outre affirmé que « le refus de transcription de la filiation paternelle d’intention, lorsque l’enfant est né à l’étranger à l’issue d’une convention de gestation pour autrui, résulte de la loi et poursuit un but légitime en ce qu’il tend à la protection de l’enfant et de la mère porteuse et vise à décourager cette pratique prohibée » et elle avait rejeté toute atteinte disproportionnée au respect de la vie familiale « dès lors que l’accueil de l’enfant au sein du foyer constitué par son père et son compagnon n’est pas remis en cause par les autorités françaises et que ce dernier aura la possibilité de créer un lien de filiation avec l’enfant par un biais autre que la transcription, n’étant pas établi que la voie de l’adoption serait fermée au motif qu’il figure dans l’acte de naissance comme parent ». Elle avait en conséquence écarté toute violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il convient de préciser immédiatement que la cour d’appel de Rennes a statué le 13 mai 2019. Depuis, les temps ont changé et c’est donc sans surprise que la Cour de cassation, au visa, désormais classique en la matière, des articles 3-1 de la CIDE, 8 de la Convention européenne et 47 du code civil, a cassé sans renvoi l’arrêt d’appel ce qui aboutit à ordonner une transcription complète de l’acte de naissance canadien sur les registres français.
Cette solution était en effet totalement prévisible au regard de l’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation qui, en quelques années, a permis puis facilité la transcription de l’acte de naissance de l’enfant issu d’une GPA régulièrement réalisée à l’étranger (sur cette évolution, qui a déjà été retracée dans ces colonnes, v. Dalloz actualité, 12 nov. 2020, L. Gareil-Sutter, préc.).
Du reste, la Cour de cassation ayant opté pour une motivation enrichie, l’arrêt fait lui-même référence aux précédents rendus sur la question. Les juges rappellent ainsi, pêle-mêle, la salve d’arrêts du 5 juillet 2017 (§ 12 ; Civ. 1re, 5 juill. 2017, nos 15-28.597, 16-16.901, 16-50.025 et 16-16.455 ; v. not. Dalloz actualité, 6 juill. 2017, art. T. Coustet ; D. 2017. 1737, note H. Fulchiron ; ibid. 1727, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 2018. 528, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 641, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2017. 482 ; ibid. 375, point de vue F. Chénedé ; ibid. 643, Pratique P. Salvage-Gerest ; Rev. crit. DIP 2018. 143, note S. Bollée ), la jurisprudence postérieure de l’assemblée plénière du 4 octobre 2019 (§ 10 et 13 ; Cass., ass. plén., 4 oct. 2019, n° 10-19.053, Dalloz actualité, 8 oct. 2019, art. T. Coustet ; D. 2019. 2228, et les obs., note H. Fulchiron et C. Bidaud ; ibid. 1985, édito. G. Loiseau ; ibid. 2000, point de vue J. Guillaumé ; ibid. 2423, point de vue T. Perroud ; ibid. 2020. 506, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 677, obs. P. Hilt ; ibid. 843, obs. RÉGINE ; ibid. 951, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1696, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; JA 2019, n° 610, p. 11, obs. X. Delpech ; AJ fam. 2019. 592, obs. J. Houssier , obs. G. Kessler ; ibid. 481, point de vue L. Brunet ; ibid. 487, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2019. 817, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 841, obs. A.-M. Leroyer ; ibid. 2020. 459, obs. N. Cayrol ; JCP 2019, n° 1184, note A. Gouttenoire et F. Sudre ; Dr. fam. 2019, n° 261, note J.-R. Binet) rendu après avis de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, avis, 10 avr. 2019, n° P16-2018-001, Dalloz actualité, 19 avr. 2019, obs. T. Coustet ; D. 2019. 1084, note H. Fulchiron ; ibid. 1016, obs. S. Clavel ; AJDA 2019. 788 ; ibid. 1803, chron. L. Burgorgue-Larsen ; AJ fam. 2019. 289, obs. P. Salvage-Gerest ; ibid. 233, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2019. 286, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 307, obs. A.-M. Leroyer ; JCP 2019. 551, note F. Sudre et A. Gouttenoire ; RJPF 2019, n° 5, note M.-C. Le Boursicot) et enfin les deux arrêts du 18 décembre 2019 (§ 11 et 14 ; Civ. 1re, 18 déc. 2019, nos 18-12.327 et 18-11.815, Dalloz actualité, 20 déc. 2019, art. T. Coustet ; D. 2020. 426, note S. Paricard ; ibid. 506, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 843, obs. RÉGINE ; AJ fam. 2020. 131 ; ibid. 9, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2020. 81, obs. A.-M. Leroyer ) rendus dans des circonstances similaires à la présente espèce (couple d’hommes ayant eu recours à une GPA à l’étranger et dont les noms figuraient sur l’acte de naissance de l’enfant).
On nous permettra de trouver que l’articulation de ces décisions telle qu’elle est présentée dans l’arrêt n’est pas des plus limpides, en particulier quant à la portée des arrêts du 5 juillet 2017 (préc.). Il reste que la Cour de cassation reprend ici au mot près le raisonnement mené dans les arrêts du 18 décembre 2019 (préc.). Simplement, intégrant dans sa démonstration la solution dégagée par ces arrêts, elle affirme qu’ils ont conduit à « une évolution de la jurisprudence en ce sens qu’en présence d’une action aux fins de transcription de l’acte de naissance étranger de l’enfant, qui n’est pas une action en reconnaissance ou en établissement de la filiation, ni la circonstance que l’enfant soit né à l’issue d’une convention de gestation pour autrui, ni celle que cet acte désigne le père biologique de l’enfant et un deuxième homme comme père ne constituent des obstacles à la transcription de l’acte sur les registres de l’état civil, lorsque celui-ci est probant au sens de l’article 47 du code civil » (§ 14). La Cour de cassation inscrit donc l’arrêt sous examen dans le droit prolongement des solutions dégagées onze mois auparavant.
Or il semblait bien acquis depuis les arrêts du 18 décembre 2019 (préc.) que, alors que la loi française prohibe toujours le recours à la gestation pour autrui (C. civ., art. 16-7 : « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle »), l’acte de naissance d’un enfant issu d’une telle procréation, dès lors qu’il est régulier au regard du pays dans lequel elle a eu lieu, pourra être transcrit sans difficulté en France, y compris s’il désigne les parents d’intention comme parents juridiques de l’enfant.
La question qui subsistait était celle de savoir si la transcription devait désormais être considérée comme une solution exceptionnelle, comme une solution parmi d’autres ou comme le principe.
À s’en tenir à l’avis de la Cour européenne (CEDH, avis, 10 avr. 2019, préc.), la réponse est très nette : en raison de l’importante marge d’appréciation reconnue aux États, la Cour pose une obligation de résultat – reconnaître le lien entre l’enfant et la mère d’intention au plus tard lorsque celui-ci s’est concrétisé – mais laisse chaque État libre de déterminer les moyens pour y parvenir, la transcription étant un moyen parmi d’autres (ibid. § 53). Si on s’attarde sur l’arrêt de l’assemblée plénière (Cass., ass. plén., 4 oct. 2019, préc.), on ne peut que souligner les circonstances exceptionnelles (durée de la procédure, refus de la mère de demander l’adoption et enfants devenues majeures) sur lesquelles les juges se sont fondés pour privilégier la transcription. On pourrait enfin souligner que, dans les arrêts du 18 décembre 2019 (préc.), comme dans l’arrêt sous examen, la Cour de cassation affirme que le refus d’une transcription totale décidée dans les arrêts de 2017 (Civ. 1re, 5 juill. 2017, préc.) « ne peut trouver application lorsque l’introduction d’une procédure d’adoption s’avère impossible ou inadaptée à la situation des intéressés ». On aurait pu conclure de ce qui précède que la transcription gardait un caractère « exceptionnel ».
Pourtant, ni dans les arrêts de décembre 2019 (préc.) ni dans l’arrêt sous examen, qui ont tous abouti à une transcription complète, la Cour de cassation ne semble chercher à caractériser le caractère exceptionnel de la situation ou l’impossibilité de l’adoption ou son caractère inopportun dans l’espèce considérée.
En effet, dans l’arrêt sous examen, après avoir rappelé les motifs de la cour d’appel ayant amené les juges à refuser la transcription, la Cour de cassation affirme de façon lapidaire, comme dans les arrêts du 18 décembre 2019 (préc.) : « En statuant ainsi, alors que, saisie d’une demande de transcription d’un acte de l’état civil étranger, elle constatait que celui-ci était régulier, exempt de fraude et avait été établi conformément au droit de l’État de Colombie britannique, la cour d’appel a violé les textes susvisés ». La Cour de cassation ne relève donc nullement les raisons pour lesquelles la solution de la transcription s’imposerait alors même que, dans la troisième branche de son moyen – non reproduite dans l’arrêt –, le couple tentait manifestement de démontrer la particularité de sa situation. En outre, ce couple ne semblant pas être marié, cela aurait suffi à « légitimer » le recours à la transcription, toute adoption de l’enfant du conjoint étant alors exclue. Enfin, la cour d’appel de Rennes évoquait également, en l’écartant toutefois, l’obstacle éventuel lié au fait que l’acte de naissance faisait figurer le nom du père d’intention ce qui rendrait impossible l’adoption plénière de sa part. Rien de tout cela n’est évoqué dans les motifs de la Cour de cassation.
Il semble donc bien que la transcription totale soit véritablement le principe dès lors que l’acte est régulier au regard des règles juridiques du pays dans lequel elle a eu lieu. Cela avait été pressenti après les arrêts du 18 décembre 2019 (préc. ; v. J.-R. Binet, GPA : les digues cèdent en France, Dr. fam. 2020, comm. n° 39, qui évoque une autonomisation de l’action aux fins de transcription de l’acte de naissance ; égal. A. Gouttenoire, obs. ss Civ. 1re, 18 déc. 2019, n° 18-12.327, D. 2020. 1696 ). Cela nous semble pleinement confirmé par l’arrêt sous examen.
La Cour de cassation acte ainsi un peu plus ce qu’on a pu appeler « le schisme entre loi et jurisprudence » (S. Paricard, La transcription totale des actes étrangers des enfants nés d’une GPA : un schisme entre loi et jurisprudence, D. 2020. 426 ). Et, même si certains font de la résistance (v. not. l’amendement au projet de loi relatif à la bioéthique, proposé par B. Retailleau et adopté par le Sénat en début d’année, visant précisément à interdire une telle transcription complète), il n’est pas certain que le schisme ne perdure pas au-delà de la réforme des lois bioéthiques tant le législateur, comme le note ce même auteur, « semble, en effet, être sourd à cette jurisprudence qu’il n’entend ni consacrer ni combattre, bienheureux, semble-t-il, que les magistrats gèrent un sujet aussi politiquement clivant » (S. Paricard, art. préc.).
La solution viendra peut-être de la Conférence de La Haye de droit international privé, qui, dans le cadre de ses travaux sur le projet « Filiation/Maternité de substitution » ; v. égal. Bureau permanent de la HCCH, GPA et Conférence de La Haye, AJ fam. 2018. 575), pourrait proposer des solutions pour une approche plus cohérente de ce tourisme procréatif. En effet, on rappellera que l’une de ses missions consiste en l’élaboration d’un « protocole consacré à la reconnaissance des décisions judiciaires étrangères en matière de filiation rendues à la suite de conventions de maternité de substitution à caractère international ».
Affaire (encore) à suivre…
La Cour de cassation confirme que, lorsque l’enfant est issu d’une GPA régulièrement réalisée à l’étranger, la transcription complète de l’acte de naissance indiquant les deux pères d’intention comme parents juridiques est possible (et est désormais la règle ?) dès lors que l’acte est régulier au regard du système juridique étranger.
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Fin 2018, 328 000 enfants bénéficiaient d’une mesure de protection (12 % de plus qu’en 2009). Le cadre juridique renforcé par la loi du 14 mars 2016 reste insuffisant. Le « projet pour l’enfant », censé garantir les bonnes conditions d’une mesure de protection, est appliqué inégalement sur le territoire. La relation avec les parents doit être clarifiée car les mesures prononcées sont toujours provisoires, afin de préserver la possibilité d’un retour dans la...
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Au cœur de ce dossier, une interception téléphonique en date du 17 juillet 2015. Elle a servi de fondement aux poursuites disciplinaires contre M. Cornu, à l’époque juge d’instruction au tribunal de grande instance de Bastia. Elle a motivé la sanction prononcée le 12 juillet 2017 par la formation disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), compétente pour les magistrats du siège. À savoir un blâme, avec inscription au dossier, pour manquements aux devoirs de réserve, de loyauté et de délicatesse, de confidentialité et au secret professionnel.
Une interception téléphonique qui a valu à cette décision d’être annulée par le Conseil d’État. Le 12 juin 2019, il a jugé qu’elle était « entachée d’une insuffisance de motivation », le CSM ayant écarté sans y répondre un moyen de défense de M. Cornu sur la légalité et les conditions de transmission de cette écoute téléphonique.
Jeudi, c’est un homme fatigué et affecté par cette histoire corse qui s’est présenté devant le CSM. François-Marie Cornu est aujourd’hui vice-président au tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence. Les faits qui lui sont reprochés sont presque les mêmes qu’en 2017. Le garde des Sceaux a ajouté un nouveau grief, la publication en octobre 2019 sur un compte Twitter au nom de Cornu d’attestations rédigées par diverses personnes dans le cadre de l’instance disciplinaire.
Les faits remontent à juillet 2015. Deux ans plus tôt, M. Cornu, considéré par sa hiérarchie comme un magistrat de valeur à la carrière prometteuse, est nommé juge d’instruction au tribunal de grande instance de Bastia. Parmi ses nombreux dossiers, ceux concernant des assassinats commis dans la Plaine orientale, théâtre de règlements de compte en tous genres et d’histoires sans paroles. « J’ai fait l’objet d’une déloyauté rare dans certaines enquêtes », a-t-il expliqué jeudi.
Peu à peu, il en vient à soupçonner certains gendarmes de couvrir un homme qu’il considère, malgré le peu d’éléments recueillis, comme impliqué dans plusieurs de ses dossiers. Il le met en examen en janvier 2015 pour assassinat. Le juge des libertés et de la détention (JLD) le laisse en liberté sous contrôle judiciaire. Un contrôle qui sera levé six mois plus tard par la chambre de l’instruction.
En juin 2015, lors de l’audition d’une partie civile dans ce dossier, par ses questions, il met en cause la décision de la chambre de l’instruction. Informé, le procureur de la République saisit alors par requête en date du 25 juin le président du tribunal. Il lui demande de dessaisir le juge de cette procédure en application des dispositions de l’article 84 du code de procédure pénale.
Dans sa requête, le procureur considère que « les questions posées aux parties civiles ne contribuent en rien à la manifestation de la vérité mais relèvent au contraire une perte d’impartialité ». L’article 84 prévoit qu’un juge d’instruction peut être dessaisi au profit d’un autre « dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, par requête motivée du procureur de la République, agissant soit spontanément, soit à la demande des parties ». Le 26 juin, le président du tribunal de grande instance dessaisit le juge Cornu.
Un mois plus tard, le 17 juillet 2015, le juge Cornu s’épanche au téléphone avec une partie civile dans le dossier dont il a été dessaisi. Celle-ci est placée sur écoute dans le cadre d’une enquête préliminaire. Le magistrat critique l’action des gendarmes, celle du parquet, de la chambre de l’instruction… Le 23 juillet, une transcription de cette écoute atterrit sur le bureau du procureur. Elle va conduire à la saisine par le garde des Sceaux de l’instance disciplinaire.
Jeudi, Me Olivier Morice, conseil de M. Cornu, a contesté les conditions de dessaisissement du magistrat ainsi que la légalité de l’interception téléphonique. Selon lui, l’article 84 n’était pas applicable au cas d’espèce. C’était au procureur général près la cour d’appel de Bastia de saisir le procureur général de la Cour de cassation d’une demande en récusation ou en suspicion légitime.
La direction des services judiciaires, par la voix de Catherine Mathieu, a sur ce point estimé que ce dessaisissement fondé sur l’article 84 était régulier. « Les conditions légales ont été scrupuleusement respectées », a-t-elle assuré.
Sur l’interception téléphonique, la défense a souligné son caractère illégal. Si, dans le cadre d’une enquête préliminaire, le JLD peut autoriser des écoutes téléphoniques et leur transcription, il doit être, selon l’article 706-95, « informé sans délai par le procureur de la République des actes accomplis en application de l’alinéa précédent, notamment des procès-verbaux dressés en exécution de son autorisation ».
Or, assure la défense, cela n’a pas été le cas. Sur cette retranscription, n’apparaît pas le nom de l’OPJ, encore moins sa signature. Mieux, selon Me Morice, le numéro écouté ne correspond pas à celui figurant dans l’enquête préliminaire. « Le CSM peut-il donner crédit à une interception téléphonique réalisée dans de telles conditions ? », s’est-il interrogé. Par ailleurs, M. Cornu n’a pu contester la légalité de cette interception puisqu’il était dessaisi de l’affaire principale.
Quand bien même a-t-il admis dans un premier temps la teneur des propos retranscrits, qu’il conteste aujourd’hui, « le problème de la reconnaissance ne vient pas suppléer à la régularité de la procédure », a plaidé Me Morice.
La Direction des services judiciaires (DSJ) n’a pas remis en cause la régularité de cette écoute. Certes, la forme n’est pas très usuelle, mais elle permet à la formation disciplinaire « d’apprécier un manquement » aux devoirs du magistrat commis par M. Cornu.
Concernant les faits nouveaux, la publication sur un compte nominatif d’éléments de procédure, la DSJ a considéré que seul M. Cornu avait intérêt à publier ces pièces pour sa défense devant l’instance disciplinaire. Celui-ci conteste avoir publié ces documents.
Tous les éléments reprochés à M. Cornu sont constitutifs de manquements à ses obligations déontologiques et à l’image de l’institution judiciaire. Mme Mathieu a demandé au CSM de prendre en compte le contexte et la gravité des faits. « Rendre la justice en Corse n’est pas une tâche facile. Mais pour autant, cela ne peut pas constituer une excuse pour une perte de repères déontologiques. »
La représentante de la DSJ a estimé que le magistrat restait cantonné dans une position victimaire. Elle a demandé à la formation disciplinaire de prononcer un abaissement d’échelon, une sanction supérieure à celle du blâme.
« Ce que je demande, c’est la fin du cauchemar pour M. Cornu, qu’il puisse continuer son activité de magistrat. Je vous demande de rendre une décision qui le mette hors de cause car il le mérite », a conclu sa défense.
Comme l’a rappelé en préambule la rapporteuse Hélène Pauliat, la formation disciplinaire devra donc déterminer si l’article 84 a été correctement appliqué, si l’interception téléphonique peut être considérée comme légale. Et surtout, si le CSM est compétent pour porter une appréciation sur les actes juridictionnels des juges, qui ne peuvent être contestés que par l’exercice des voies de recours appropriés.
Décision le 16 décembre.
Le ministère de la Justice a demandé jeudi l’abaissement d’un échelon à l’encontre de François-Marie Cornu, ex-juge d’instruction à Bastia, jugé par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) notamment pour manquement à son devoir de réserve. Sa défense a sollicité l’abandon des poursuites.
Le ministère de la Justice a demandé jeudi l’abaissement d’un échelon à l’encontre de François-Marie Cornu, ex-juge d’instruction à Bastia, jugé par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) notamment pour manquement à son devoir de réserve. Sa défense a sollicité l’abandon des poursuites.
L’ordonnance n° 2020-1443 du 25 novembre 2020 vient compléter les mesures adaptant le droit des entreprises en difficulté à la situation sanitaire et économique. Elle reprend et modifie certaines mesures introduites par l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 adaptant les règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles.
Une autorisation de visite susceptible d’appel
L’Autorité des marchés financiers (AMF) se voit confier une grande diversité de missions (C. mon. fin., art. L. 621-1). Pour les accomplir, elle dispose de nombreux pouvoirs (v., parmi d’autres, T. Bonneau, P. Pailler, A.-C. Rouaud, A. Tehrani et R. Vabres, Droit financier, 2e éd., LGDJ, 2019, n° 115, p. 97). Dans le cadre de sa mission de veille et de surveillance des marchés, l’AMF peut notamment mener des contrôles et des enquêtes (C. mon. fin., art. L. 621-9 s.). L’article L. 621-12, alinéa 1er, du code monétaire et financier permet ainsi à son secrétaire général de demander au juge des libertés et de la détention (JLD) du tribunal judiciaire, dans le ressort duquel sont situés les locaux à visiter, d’autoriser les enquêteurs de l’autorité à effectuer des visites en tous lieux. Longtemps, cette ordonnance du JLD n’a été susceptible que d’un pourvoi en cassation. Sous la menace d’une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme, le législateur a finalement permis, au préalable, l’exercice d’un recours devant le premier président de la cour d’appel de Paris (sur cette évolution, v. F. Molinié, Visites domiciliaires de l’AMF et droits fondamentaux : panorama et perspectives au regard de quelques évolutions récentes, Rev. banc. fin. 2018. Étude 5, spéc. nos 8 s.). Or, dans ces contentieux économiques complexes, il n’est pas rare qu’un tiers à la visite intervienne volontairement devant le premier président. Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation vient préciser qu’elle doit être la nature de l’intérêt de l’auteur d’une telle demande incidente.
En l’espèce, un JLD a autorisé des enquêteurs de l’AMF, en charge d’une enquête ouverte par son secrétaire général portant sur l’information financière et le marché du titre d’une société, à procéder à une visite au siège social de celle-ci à l’occasion de la tenue de son prochain conseil d’administration. Une fois les opérations effectuées, l’une des représentantes de la société dont les ordinateurs portables et téléphones mobiles ont été saisis a relevé appel de l’ordonnance d’autorisation de visite et exercé un recours contre leur déroulement. Une autre société est intervenue volontairement à l’instance, à titre accessoire.
La visite domiciliaire accordée par l’ordonnance du JLD se limitant au siège social de la première société, le premier président a déclaré irrecevable la demande d’intervention volontaire à titre accessoire de l’autre société. Par ailleurs, il a rejeté la demande tendant à la restitution de l’intégralité des pièces et documents saisis auprès de la représentante de la société. Logiquement, la représentante de la première société et l’autre société intervenue volontairement à l’instance devant le premier président ont formé un pourvoi en cassation. Premièrement, ils font grief au premier président d’avoir déclaré irrecevable la demande d’intervention volontaire accessoire de la société qui n’a pas été visitée. Pour eux, il n’aurait pas dû conditionner cette demande incidente à l’existence d’un intérêt à agir. Deuxièmement, ils dénoncent une atteinte au droit au respect de la vie privée et de la correspondance de la représentante de la société qui n’aurait pas dû être concernée par la saisie de documents dès lors qu’elle n’était que de passage à l’occasion du conseil d’administration.
La chambre commerciale de la Cour de cassation casse et annule l’ordonnance du premier président. Au visa de l’article 330 du code de procédure civile, elle reproche d’abord au premier président d’avoir privé sa décision de base légale en écartant l’intérêt de la société à intervenir volontairement à titre accessoire. Au visa des articles L. 621-12 du code monétaire et financier et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, elle lui reproche ensuite de ne pas avoir retenu l’illégalité de la saisie de documents de la représentante de la société. Délaissant volontairement les aspects substantiels, ce commentaire se concentrera sur les aspects procéduraux, et plus précisément la consistance que doit revêtir l’intérêt de l’intervenant volontaire à titre accessoire.
Les deux formes d’intervention volontaire
Les définitions légales permettent « de traiter des ensembles, ou au moins de régler les rapports de mots et des distinctions de concepts » (G. Cornu, Linguistique juridique, 3e éd., LGDJ, 2005, n° 22, p. 106). Le code de procédure civile offre de nombreux exemples de cet exercice de linguistique juridique. Ainsi, après avoir révélé l’existence de deux formes d’intervention volontaire – principale et accessoire (C. pr. civ., art. 328), les rédacteurs du code se sont attachés à en donner une définition. « L’intervention est principale lorsqu’elle élève une prétention au profit de celui qui la forme » (C. pr. civ., art. 329, al. 1er). Au contraire, l’intervention est « accessoire lorsqu’elle appuie des prétentions d’une partie » (C. pr. civ., art. 330, al. 1er). Tout est dit.
De cette différence de nature doit normalement naître une différence de régime juridique (J.-L. Bergel, Différence de nature (égale) différence de régime, RTD civ. 1984. 255). À l’étude, des différences très nettes apparaissent (v. not. C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile. Droit commun et spécial du procès civil, MARD et arbitrage, 35e éd., Dalloz, 2020, nos 357 s., p. 288 s.). L’arrêt commenté permet de rappeler l’une d’entre elles concernant les conditions de recevabilité.
L’intérêt à agir n’est pas l’intérêt à intervenir accessoirement
Reprenons les dispositions du code de procédure civile consacrées à l’intervention volontaire. Après avoir défini la forme principale, l’article 329, alinéa 2, précise qu’elle « n’est recevable que si son auteur a le droit d’agir relativement à cette prétention » (nous soulignons). Rien d’étonnant à exiger de l’auteur d’une prétention personnelle qu’il ait intérêt et qualité pour le faire ! Quant à la forme accessoire, l’article 330, alinéa 2, précise qu’elle « est recevable si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie » (nous soulignons). Que faut-il déduire de ces rédactions quelque peu divergentes ? A priori, pas grand-chose. L’intérêt n’est-il pas une des conditions du droit d’agir en justice ? Le premier président de la cour d’appel en a jugé ainsi. Mais comment expliquer alors que sa décision ait été cassée par la chambre commerciale de la Cour de cassation ? C’est tout simplement parce que l’intérêt de l’article 330, alinéa 2, n’est pas celui de l’article 329, alinéa 2 ! En effet, l’intérêt à « intervenir accessoirement n’est pas identique à celui exigé pour agir » (J.-J. Taisne, J.-Cl. pr. civ., fasc. 600-20, spéc. n° 61). S’il s’agit bien d’un intérêt propre, celui-ci est « atténué » en ce qu’il se réduit à voir la prétention de la partie principale reçue par le juge (v. Rép. pr. civ., v° Intervention, par D. d’Ambra et A.-M. Boucon, spéc. n° 10). L’intervenant à titre accessoire « ne prétend donc à rien pour lui-même ; il prend seulement fait et cause pour l’une des parties originaires » (N. Cayrol, Procédure civile, 3e éd., Dalloz, 2020, n° 856, p. 418). On comprend mieux les raisons de cette cassation de l’ordonnance pour défaut de base légale. En recherchant l’existence d’un intérêt à agir, et non d’un intérêt à intervenir accessoirement, le premier président a manqué de constater une condition d’application de l’article 330 du code de procédure civile. Voilà certainement une nuance subtile, mais une nuance malgré tout !
L’intervention volontaire accessoire, qui appuie les prétentions d’une partie, est recevable si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie.
Si l’absence d’institution représentative du personnel imputable à l’employeur cause nécessairement un préjudice au salarié, tel n’est pas le cas lorsque l’instance a été mise en place mais que l’employeur n’a pas organisé d’élections partielle après le départ de certains représentants du personnel. Dans cette hypothèse, il appartient au salarié de démontrer l’existence d’un préjudice.
Une clause de non-concurrence stipulée en dépit d’un contexte de difficultés économiques connues, et octroyant au salarié une compensation d’un montant disproportionné au regard des sujétions imposées, et faisant dans le même temps obligation à l’employeur de procéder à son paiement en un seul versement sans faculté pour celui-ci de lever ladite clause, constitue un avantage exorbitant dépourvu de cause licite.
Le droit de l’Union ne prévoit aucune rémunération équitable et unique à la charge de l’utilisateur lorsqu’il effectue une communication au public d’un enregistrement audiovisuel contenant la fixation d’une œuvre audiovisuelle dans laquelle un phonogramme ou une reproduction de ce phonogramme a été incorporé.
Les dispositions relatives à l’inscription des privilèges issues de la loi du 1er juin 1924 instituent un régime spécial avec des règles de fond différentes de celles du droit général et continuent donc à s’appliquer dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle. Dès lors, le délai de deux mois exigé par l’article 237, aliéna 1er, du code civil pour l’inscription des privilèges à compter de l’acte de vente n’est pas applicable.
Les dispositions relatives à l’inscription des privilèges issues de la loi du 1er juin 1924 instituent un régime spécial avec des règles de fond différentes de celles du droit général et continuent donc à s’appliquer dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle. Dès lors, le délai de deux mois exigé par l’article 237, aliéna 1er, du code civil pour l’inscription des privilèges à compter de l’acte de vente n’est pas applicable.
La Cour vient rappeler que la compensation ne peut se produire qu’en présence de deux créances réciproques qui réunissent les conditions de certitude, d’exigibilité, de liquidité et de fongibilité. Sans preuve d’une éventuelle connexité, l’absence de l’une de ces conditions conduit au rejet de l’utilisation de la compensation.
Une ordonnance du 2 décembre 2020 proroge et modifie l’ordonnance du 25 mars 2020 qui avait elle-même adapté les règles de convocation, d’information, de réunion et de délibération des assemblées et des organes collégiaux d’administration, de surveillance et de direction des groupements de droit privé afin de leur permettre de continuer d’exercer leurs missions malgré les mesures de confinement.
La Cour de cassation vient préciser que le créancier qui n’a pas pu profiter de la prestation ne peut pas invoquer la force majeure pour demander la résolution du contrat. La force majeure est un outil à la disposition du débiteur et non du créancier.
Attention, arrêt remarqué et remarquable en droit des obligations ! Plus précisément, la solution explore les contours de la force majeure de l’article 1218 nouveau du code civil. Si on sait que ses applications peuvent être jugées parfois « sporadiques » comme le note M. Gréau (Rép. civ., v° Force majeure, par F. Gréau, n° 1), il faut bien rappeler que l’économie de l’article 1218 du code civil avait pour vocation de mettre fin au désordre ambiant autour de la notion même de force majeure (G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 2e éd., Dalloz, 2018, p. 563, n° 617). Mais l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 25 novembre 2020 explore une question qui peut encore poser difficultés. Le créancier peut-il invoquer la force majeure quand il ne peut pas profiter de la prestation à laquelle il a droit ? Penchons-nous sur les faits pour comprendre la situation. Un couple marié contracte avec une société de chaînes thermales pour un séjour du 30 septembre 2017 au 22 octobre de la même année pour un montant de 926,60 €. La somme a été payée au début du séjour. Le 4 octobre, l’un des époux est hospitalisé. Son épouse quitte également le lieu d’hébergement le 8 octobre suivant pour l’accompagner. Les contractants assignent la société de chaînes thermales pour obtenir résolution et indemnisation de leur contrat en soutenant que par l’effet de la force majeure ils n’ont pas pu profiter des deux dernières semaines d’hébergement. Le tribunal de Manosque précise que « M. B… a été victime d’un problème de santé imprévisible et irrésistible et que Mme B… a dû l’accompagner en raison de son transfert à plus de cent trente kilomètres de l’établissement de la société, rendant impossible la poursuite de l’exécution du contrat d’hébergement ». Ainsi, la force majeure a été reconnue et le contrat résilié. Mais la société se pourvoit en cassation en arguant que si la force majeure permet au débiteur d’une obligation contractuelle d’échapper à sa responsabilité et d’obtenir la résolution du contrat, c’est à la condition qu’elle empêche l’exécution de sa propre obligation. Ainsi, en ayant versé la somme due, la force majeure ne serait pas applicable puisque l’évènement tiré de l’hospitalisation n’a induit que l’impossibilité de profiter de la prestation dont les époux étaient créanciers. La Cour de cassation casse et annule le jugement entrepris pour violation de l’article 1218 du code civil. La motivation est claire : « le créancier qui n’a pu profiter de la prestation à laquelle il avait droit ne peut obtenir la résolution du contrat en invoquant la force majeure ». En somme, la force majeure est un outil destiné au débiteur et non au créancier. Voici une solution assurément importante qui appelle plusieurs précisions.
La Cour de cassation opte pour une lecture littérale de l’article 1218 du code civil, lequel a pour centre de gravité le débiteur seulement et non le créancier. Or ce centre de gravité s’explique par l’utilité de la force majeure en premier lieu. Il s’agit d’un mécanisme de protection du débiteur. Toutefois, dans une étude très remarquée, M. Grimaldi offrait un plaidoyer soutenu pour l’admission de la force majeure invoquée par le créancier (C. Grimaldi, La force majeure invoquée par le créancier dans l’impossibilité d’exercer son droit, D. 2009. 1298, spéc. n° 17 ). L’auteur notait en 2009, soit onze ans avant cet arrêt : « Pour des raisons d’équité, il nous paraît important de reconnaître au créancier la faculté d’invoquer la force majeure pour obtenir l’anéantissement du contrat. Dans ce cas, par principe, le créancier ne saurait être contraint d’exécuter son obligation, et, s’il l’a déjà fait, il devrait obtenir restitution. Il n’en irait autrement que si le débiteur rapportait la preuve d’un préjudice tel qu’il serait inique de le laisser à sa charge, ou si les parties avaient inséré une clause réglant la charge des risques (sous réserve de sa validité, au regard notamment de la législation sur les clauses abusives) ». La question était donc déjà évoquée avant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 mais cette importante position doctrinale n’a pas été suivie, du moins expressément. Gravitant autour du débiteur, la force majeure entretient évidemment des liens étroits avec la théorie des risques et le fameux adage res perit debitori (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, 2018, p. 820, n° 759). La solution donnée par la Cour de cassation aura peut-être des effets collatéraux sur des contentieux ultérieurs notamment relatifs à l’épidémie de covid-19 (v. par ex. J. Heinich, L’incidence de l’épidémie de coronavirus sur les contrats d’affaires : de la force majeure à l’imprévision, D. 2020. 611 ). On peut se demander si la fréquence des demandes dans ce sens formulées par des créanciers en période de coronavirus ne pourrait pas faire évoluer une telle position ; c’est du moins l’idée avancée par M. Grimaldi il y a quelques semaines dans les colonnes du Recueil Dalloz, citant même le jugement du tribunal de Manosque entrepris dans l’arrêt du 25 septembre 2020 (C. Grimaldi, Quelle jurisprudence demain pour l’épidémie de covid-19 en droit des contrats ?, D. 2020. 827, spéc. n° 10 ). La position de la Cour de cassation reste toutefois claire : la force majeure ne peut pas être invoquée par le créancier qui ne peut pas profiter de la prestation due.
On pourrait objecter à la solution de la Cour de cassation une certaine rigueur pour le créancier ; rigueur qu’elle n’a d’ailleurs pas toujours appliquée selon les circonstances (v. Civ. 1re, 10 févr. 1998, n° 96-13.316, D. 1998. 539 , note D. Mazeaud ; RTD civ. 1998. 674, obs. J. Mestre ; ibid. 689, obs. P. Jourdain , mais qui concerne une hypothèse régie par un texte spécial du code de l’éducation). Il y aurait là une volonté de s’écarter « des termes traditionnellement un peu trop étriqués de la théorie des risques et en mettant l’accent sur l’équilibre des relations entre les parties » (Rép. civ., op. cit., n° 96). Ces plaidoyers restent toutefois, malgré leur caractère très séduisant, peu suivis par la Cour de cassation. La solution analysée aujourd’hui montre que la haute juridiction reste arc-boutée sur la lettre de l’article 1218 du code civil. Texte centré autour du débiteur et non autour du créancier, l’article invite à n’appliquer la force majeure qu’au premier et à la refuser au second. On regrettera évidemment l’absence d’équilibre que tout ceci suggère entre les acteurs de l’obligation notamment dans les contrats synallagmatiques où le créancier d’une prestation est le débiteur d’une autre. Cette restriction dans l’approche de la force majeure permet toutefois de ne pas étendre ce mécanisme à la portée importante à des terres qui lui sont lointaines. Une approche volontairement minimaliste est donc préférée pour le moment. Reste à savoir si cette position peut résister à des demandes massives qui pourraient arriver devant les tribunaux prochainement en raison de l’épidémie de coronavirus. Affaire à suivre.
Le tribunal correctionnel de Paris a relaxé lundi le Alexander Vinnik des faits de cybercriminalité liés au rançongiciel Locky mais l’a condamné pour blanchiment organisé à cinq d’emprisonnement et 100 000 € d’amende. Le parquet avait requis dix ans et 750 000 €.
L’attractivité des quartiers prioritaires a peu progressé depuis dix ans, relève la Cour des comptes dans un rapport publié le 2 décembre.
L’attractivité des quartiers prioritaires a peu progressé depuis dix ans, relève la Cour des comptes dans un rapport publié le 2 décembre.
La Cour européenne des droits de l’homme a jugé irrecevable le recours d’un particulier qui contestait les mesures prises par l’État français pour lutter contre la propagation de la covid-19 à l’égard de la population française.
La Cour européenne des droits de l’homme a jugé irrecevable le recours d’un particulier qui contestait les mesures prises par l’État français pour lutter contre la propagation de la covid-19 à l’égard de la population française.
L’arrêt commenté a eu à trancher une question inédite depuis la réforme de la procédure d’appel introduite par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile : les chefs du jugement critiqués par une première déclaration d’appel peuvent-ils être étendus par une seconde déclaration d’appel ?
La réponse à cette question n’était pas évidente au regard des effets induits par le décret du 6 mai 2017. L’appel général d’un jugement n’est plus autorisé et il appartient à l’appelant de mentionner dans sa déclaration d’appel, à peine de nullité, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou s’il est indivisible (C. pr. civ., art. 901). L’effet dévolutif de l’appel est désormais limité, l’appel ne déférant à la cour d’appel que la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent (C. pr. civ., art. 562). La circulaire du 4 août 2017, prise en application du décret, précise que « la notion de chefs de jugement correspond aux points tranchés dans le dispositif du jugement ».
La rédaction de la déclaration d’appel doit donc aujourd’hui être particulièrement soignée par le praticien, la Cour de cassation jugeant que « seul l’acte d’appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement. Il en résulte que lorsque la déclaration d’appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués l’effet dévolutif n’opère pas » (Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-22.528, Dalloz actualité, 17 févr. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 288 ; ibid. 576, obs. N. Fricero ; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle ; D. avocats 2020. 252, étude M. Bencimon ; RTD civ. 2020. 448, obs. P. Théry ; ibid. 458, obs. N. Cayrol ). Dans une décision du 2 juillet 2020, la Cour de cassation a notamment sanctionné une déclaration mal rédigée en jugeant que « la cour d’appel, ayant constaté que la déclaration d’appel se bornait à solliciter la réformation et/ou l’annulation de la décision sur les chefs qu’elle énumérait et que l’énumération ne comportait que l’énoncé des demandes formulées devant le premier juge, en a déduit à bon droit, […] qu’elle n’était saisie d’aucun chef du dispositif du jugement » (Civ. 2e, 2 juill. 2020, n° 19-16.954). Il convient ainsi de ne pas confondre le dispositif du jugement qui doit être critiqué dans la déclaration d’appel avec les demandes qui ont été formulées devant le juge qui ne constituent pas les « chefs critiqués du jugement » et qui n’ont pas besoin d’être mentionnées dans la déclaration d’appel.
Mais dans une approche pragmatique, la Cour de cassation admet qu’une seconde déclaration d’appel puisse être formée...
La déclaration d’appel, nulle, erronée ou incomplète, peut néanmoins être régularisée par une nouvelle déclaration d’appel, dans le délai pour conclure. Dès lors, une seconde déclaration d’appel peut venir étendre la critique du jugement à d’autres chefs non critiqués dans la première déclaration, sans qu’un acquiescement aux chefs du jugement non critiqués dans un premier temps ne puisse être déduit de cette omission.
L’arrêt du 18 novembre 2020 porte sur des circonstances que l’on croirait tirées d’un cas pratique universitaire : un coureur cycliste professionnel de nationalité australienne résidant à Monaco est renversé en Italie par un véhicule conduit par une ressortissante française, assurée par une société française. La victime ayant saisi en France le juge des référés, en demandant une expertise et une provision, la question de la loi applicable se pose.
La difficulté de détermination de la loi applicable trouve son origine dans l’existence de deux textes qui ont, au premier abord, vocation à s’appliquer en présence d’un accident de la circulation ayant un caractère international.
D’une part, le règlement Rome II n° 864/2007 du du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles dispose de manière générale, par son article 4, § 1er, que la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent. D’autre part, la Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d’accidents de la circulation routière retient toutefois spécifiquement que, sous réserve de diverses exceptions, la loi applicable à un accident est la loi interne de l’État sur le territoire duquel l’accident est survenu (art. 3).
Il s’agit là d’un conflit de textes applicables, qui constitue...
Deux jugements récents rendus par les tribunaux de commerce de Paris et d’Aix-en-Provence méritent attention sur la question fondamentale du processus de recette dans l’exécution des contrats d’entreprise.
Dalloz actualité publie le texte du projet de loi – et son exposé sommaire – confortant le respect des principes de la République, initialement appelé projet de loi séparatisme, tel qu’il a été présenté en conseil des ministres ce matin.
Les dispositions controversées de la ASAP assouplissant les règles des marchés publics et celles du droit de l’environnement ont passé l’obstacle du Conseil constitutionnel, contrairement à vingt-six cavaliers législatifs.
La loi du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière habilite le gouvernement à transposer en droit interne plusieurs directives en matière de droit financier. Elle contient également des dispositions en matière de cession de créance.
Le règlement (UE) n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen prévoit diverses règles de compétence.
La règle générale de compétence est posée par l’article 4 : sont compétentes pour statuer sur l’ensemble d’une succession les juridictions de l’État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès.
L’article 5 prévoit par ailleurs la possibilité d’une élection de for. La compétence peut également être liée, selon l’article 7, au choix de la loi régissant l’ensemble de sa succession ou encore être fondée, au titre de l’article 9, sur la comparution de toutes les parties à la procédure.
Des compétences subsidiaires sont par ailleurs établies par l’article 10. Celui-ci dispose notamment, par son point 1, que « lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n’est pas située dans un État membre, les juridictions de l’État membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes pour statuer sur l’ensemble de la succession dans la mesure où : a) le défunt possédait la nationalité de cet État membre au moment du décès (…) ».
Cet article 10, point 1, a), permet de fonder la compétence des juridictions...
Traduction législative des mesures du Ségur de la santé qui ne relèvent pas du domaine budgétaire, la proposition de loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, portée par la députée de La République en marche Stéphanie Rist, a été adoptée, le 8 décembre, par l’Assemblée nationale.
Traduction législative des mesures du Ségur de la santé qui ne relèvent pas du domaine budgétaire, la proposition de loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, portée par la députée de La République en marche Stéphanie Rist, a été adoptée, le 8 décembre, par l’Assemblée nationale.
Hier, jour du 115e anniversaire de la loi de 1905, le gouvernement a présenté son « projet de loi confortant le respect des principes de la République ». Par rapport à l’avant-projet, certaines dispositions ont été adoucies. Le gouvernement a également inséré un article sur les délits de provocation.
La deuxième semaine du procès de Thibaud Garagnon, l’auteur d’un incendie qui a tué huit personnes au 4, rue Myrha, le 2 septembre 2015, s’est conclue mercredi par des réquisitions de vingt-cinq ans de réclusion criminelle contre l’accusé, puis par les plaidoiries de la défense. Lundi et mardi, la cour avait examiné sa personnalité.
En cas de fusion-absorption, la société absorbante peut désormais, à certaines conditions, être condamnée pénalement pour des faits commis avant la fusion par la société absorbée
Les dispositions de l’article L. 1251-40 du code du travail n’excluent pas la possibilité pour le salarié d’agir contre l’entreprise de travail temporaire lorsque les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d’œuvre est interdite n’ont pas été respectées, notamment lorsque des contrats de missions successifs ont été conclus sans respecter le délai de carence applicable. L’entreprise de travail temporaire peut être condamnée in solidum avec l’entreprise utilisatrice à supporter les conséquences de la requalification de la relation de travail.
Le 20 octobre 2017, un justiciable a sollicité le bénéfice de l’aide juridictionnelle. Le 7 novembre suivant, ce dernier a relevé appel d’une ordonnance de référé ayant constaté la résiliation du bail conclu avec une société. Le 17 du même mois, le greffe lui a alors adressé l’avis de fixation prévu à l’article 905-1 du code de procédure civile. Le 13 décembre, l’aide juridictionnelle lui est accordée.
Par ordonnance du 21 décembre 2017, le conseiller de la mise en état a prononcé la caducité de sa déclaration d’appel sur le fondement de l’article 905-1 du Code de procédure civile, faute pour l’appelant de ne pas l’avoir signifiée dans les dix jours de la réception de l’avis de fixation.
Ce dernier a déféré à la cour d’appel l’ordonnance du conseiller de la mise en état.
Le bureau d’aide juridictionnelle a désigné un huissier de justice le 8 janvier 2018.
Par arrêt du 12 juillet 2018 la cour d’appel, statuant sur déféré, a confirmé l’ordonnance de caducité.
La Cour, curieusement, reprochait à l’appelant de n’avoir pas signifié sa déclaration d’appel avant l’expiration du délai de dix jours suivant la désignation de l’huissier de justice, soit le 18 janvier 2018. En d’autres termes, selon la cour d’appel, le délai pour signifier la déclaration d’appel avait commencé à courir lors de la désignation de l’huissier de justice, soit le 8 janvier 2018.
M. X a formé un pourvoi devant la Cour de cassation. Ce dernier reprochait notamment à la cour d’appel d’avoir...
Les sénateurs ont adopté, le 8 décembre, une proposition de loi relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes français.
Les sénateurs ont adopté, le 8 décembre, une proposition de loi relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes français.
La méconnaissance du domaine des compétences définitivement transférées à la Nouvelle-Calédonie peut être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité.
L’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution dispose que : « Toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement. La mesure conservatoire prend la forme d’une saisie conservatoire ou d’une sûreté judiciaire ».
Lorsque le débiteur est titulaire de parts sociales dans une société civile immobilière, il est donc possible de solliciter l’autorisation de prendre un nantissement sur les parts sociales.
En revanche, il ne semble pas possible de prendre une inscription d’hypothèque judiciaire provisoire sur le bien immobilier appartenant à la société civile immobilière qui n’est pas débitrice, même si l’un de ses associés est le débiteur…et pourtant.
Les faits de l’espèce sont les suivants : une société civile professionnelle notariale estime qu’elle est créancière de l’un de ses associés.
Ce dernier est propriétaire de parts sociales dans trois sociétés civiles immobilières, elles-mêmes propriétaires de trois biens immobiliers.
À l’encontre de celui qu’elle considère comme leur débiteur, la SCP notariale a obtenu du juge de l’exécution d’un tribunal de grande instance de Montbéliard l’autorisation de pratiquer des saisies conservatoires sur les parts détenues par ce dernier dans la SCP et dans plusieurs sociétés civiles immobilières ainsi que sur les comptes bancaires ouverts par lui auprès de plusieurs...
Le juge de l’exécution peut autoriser l’inscription d’une hypothèque judiciaire provisoire sur un bien appartenant à une société dans laquelle le débiteur est associé, car il dispose du pouvoir d’examiner si la société peut être considérée comme fictive.
Plus de quinze ans après son entrée en vigueur, la conformité de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 aux droits constitutionnellement garantis est questionnée. Il y a quelques semaines déjà l’article 33-VI de cette loi était considéré comme potentiellement attentatoire aux articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du Citoyen de 1789 en ce qu’il prévoit la possibilité de réviser, suspendre ou supprimer une prestation compensatoire fixée sous forme de rente viagère avant l’entrée en vigueur de la loi du 30 juin 2000 (Civ. 1re, 15 oct. 2020, FS-P, n° 20-14.584, Dalloz actualité, 13 nov. 2020, obs. L. Gareil-Sutter). C’est à présent au tour des I et II de ce même article 33 d’être soumis au contrôle des Sages, la Cour de cassation pressentant que l’application immédiate des effets du divorce sur les avantages matrimoniaux est peut-être attentatoire à la garantie des droits.
En l’espèce, deux époux mariés en 1983 sous le régime de la communauté légale ont aménagé leur régime matrimonial par convention modificative reçue par notaire le 29 juin 2001. Au terme de cette nouvelle charte patrimoniale, l’épouse réalisait divers apports de biens propres avec dispense de récompense pour un montant total de 45 700 000 €. Le 5 février 2015 la cour d’appel de Versailles prononçait le divorce aux torts exclusifs de l’époux et refusait à l’épouse la possibilité de réaliser une reprise des apports. Le pourvoi formé contre cette décision fût rejeté.
La Première chambre civile de la Cour de cassation considéra en effet, au terme d’un arrêt rendu le 6 juillet 2016, que les dispositions de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 étaient applicables en la cause dans la mesure où l’assignation avait été délivrée après le 1er janvier 2005, conformément à l’article 33 I et II de cette loi : « la loi nouvelle a vocation à s’appliquer en toutes ses dispositions concernant les conséquences du divorce pour les époux, y compris celles afférentes au sort des avantages matrimoniaux, peu important la date à laquelle ceux-ci ont été stipulés « (Civ. 1re, 6 juill. 2016, n° 15-16.408 ; notons qu’au titre du rappel des faits, cet arrêt indique que les époux se sont soumis au régime de communauté universelle alors que, dans l’arrêt sous commentaire, il est indiqué qu’il s’agit d’un régime légal avec clause d’apport…).
Ayant épuisé tous les recours internes face à son ex-mari, la demanderesse assigna en responsabilité civile le notaire ayant instrumenté l’acte du 29 juin 2001. La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 5 novembre 2019, fit droit à cette demande en retenant que le défendeur avait manqué à son devoir de conseil et de mise en garde, ce qui avait causé une perte d’une chance d’introduire, dans l’acte de changement de régime matrimonial, une clause de reprise des apports. Le défendeur succombant forma alors un pourvoi en cassation, à l’occasion duquel il sollicita le renvoi devant le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité ainsi formulée :
« Les dispositions des I et II de l’article 33 de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004, en ce qu’elles disposent selon la portée que leur donne la jurisprudence constante de la Cour de cassation, que cette loi est applicable aux procédures introduites par une assignation délivrée après le 1er janvier 2005, date de son entrée en vigueur, et qu’en vertu de telles dispositions transitoires, la loi nouvelle a vocation à s’appliquer en toutes ses dispositions concernant les conséquences du divorce pour les époux, y compris celles afférentes au sort des avantages matrimoniaux, peu important la date à laquelle ceux-ci ont été stipulés, méconnaissent-elles la garantie des droits proclamée par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en remettant en cause les effets qui pouvaient être légitimement attendus d’une situation légalement acquise ? ».
Ainsi interrogée sur la réunion des conditions permettant la transmission au Conseil constitutionnel, la Cour de cassation juge la question sérieuse au motif « qu’en modifiant les conséquences du divorce sur les avantages matrimoniaux consentis avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004, les dispositions contestées, telles qu’interprétées par une jurisprudence constante, pourraient être de nature à remettre en cause des effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l’empire des textes antérieurs et porter atteinte à la garantie des droits proclamée par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ».
La question ainsi posée invite à préciser les difficultés soulevées par les dispositions incriminées afin d’expliquer en quoi un contrôle de constitutionnalité est ici pertinent (I) avant de s’interroger sur l’issue possible de ce contrôle (II).
I - La pertinence du contrôle
Avant l’entrée en vigueur de la loi du 16 mai 2004, le sort des avantages matrimoniaux (c’est-à-dire, concrètement, les modalités de liquidation du régime matrimonial) dépendait de la cause du divorce. Si le divorce était prononcé sur demande conjointe, les époux décidaient eux-mêmes du sort des donations et avantages qu’ils s’étaient consentis (C. civ., art. 268 anc.). Lorsqu’il était prononcé sur demande acceptée chacun des époux pouvait révoquer tout ou partie des donations et avantages qu’il avait consentis à l’autre (C. civ., art. 268-1 anc.). S’agissant du divorce pour faute, une logique punitive faisait dépendre les avantages et donations entre époux de la répartition des torts. S’ils étaient partagés, chacun pouvait révoquer tout ou partie des donations et avantages consentis à l’autre (C. civ., art. 267-1 anc.). En revanche, lorsque le divorce était prononcé aux torts exclusifs d’un époux, celui-ci perdait de plein droit toutes les donations et tous les avantages matrimoniaux que son conjoint lui avait consentis (C. civ., art. 267 anc.). Telle était la situation de la demanderesse en l’espèce. Le divorce ayant été prononcé aux torts exclusifs de son époux, elle aurait pu se prévaloir de la déchéance qu’il subissait pour réaliser une reprise des apports à la communauté, si tant est que l’ancien article 267 du code civil fut applicable en la cause. Il est en effet acquis que l’apport d’un bien propre à la communauté constitue un avantage matrimonial (Civ. 1re, 25 sept. 2013, n° 12-11.967, Bull. civ. I, n° 179 ; Dalloz actualité, 17 oct. 2013, obs. R. Mésa ; D. 2013. 2273 ; AJ fam. 2013. 635, obs. S. Thouret ; RTD civ. 2013. 887, obs. B. Vareille ; RJPF 2013, n° 12, p. 27 ; JCP N 2014. Comm. 1169 J. Massip ; de même que l’adoption d’une communauté universelle, Civ. 1re, 1er déc. 2010, n° 09-70.138, Bull. civ. I, n° 250 ; AJ fam. 2011. 48, obs. S. David ; RTD civ. 2011. 112, obs. J. Hauser ; JCP 2011. 1371, § 10, obs. A. Tisserand-Martin ; JCP N 2011, 17, 35, note J. Massip ; Defrénois, 30 avr. 2011, n° 8, p. 828, obs. J. Massip ; Gaz. Pal. 5 févr. 2011, n° 36, p. 16, note J. Casey ; RLDC 2011, n° 79, p. 56).
Cependant ce système complexe a été supprimé par la loi du 26 mai 2004 qui lui a substitué, aux termes du nouvel article 265 du code civil, un mécanisme très différent. Dorénavant, la cause du divorce importe peu. Une distinction doit être réalisée entre les avantages prenant effet au cours du mariage (qui sont maintenus en cas de divorce) et les avantages prenant effet au décès de l’un des époux ou à la dissolution du régime matrimonial (qui sont révoqués de plein-droit, sauf maintien constaté lors du prononcé du divorce). Or l’apport à la communauté, en ce qu’il modifie l’équilibre des masses, prend effet au jour de l’acte qui le stipule. Contrairement aux clauses liquidatives (préciput, parts inégales, attribution intégrale, etc.), il se réalise bien avant le partage, au seuil de l’entrée en vigueur de la convention matrimoniale : il doit donc être considéré comme maintenu malgré le prononcé du divorce pour faute.
Ainsi la situation de l’épouse apporteuse était-elle bien plus favorable à la veille de la réforme du 26 mai 2004 qu’à son lendemain. L’article 265 du code civil lui interdit désormais de réaliser la reprise, et elle n’avait, en 2001, pas...
La Cour de cassation transmet au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité relative aux effets du divorce sur les régimes matrimoniaux. La question est jugée sérieuse : les dispositions transitoires de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 « pourraient être de nature à remettre en cause des effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l’empire des textes antérieurs et porter atteinte à la garantie des droits proclamée par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ».
Le délai d’appel, à l’égard du destinataire de la lettre recommandée de notification du jugement, court à compter de la date à laquelle la lettre lui est remise, c’est-à-dire à compter de son retrait et non de son dépôt.
À regarder de plus près, les règles de computation de délais en cas de notification d’un acte ou d’une décision peuvent s’avérer infernales. Une caisse d’allocations familiales de La Réunion demande à un assuré social de payer une certaine somme à titre de trop-perçu et celui-ci sollicite le paiement d’un rappel de prestations. Selon jugement en date du 31 août 2016, le tribunal des affaires de sécurité sociale annule la mise en demeure et rejette les demandes de rappel de prestations. Le jugement est notifié, par lettre recommandée avec accusé de réception le 21 août 2016, et l’assuré social forme appel le 12 octobre 2016. Par arrêt du 30 novembre 2018, la cour d’appel déclare irrecevable l’appel comme tardif. L’appelant saisit la Cour de cassation et développe, au visa de l’article 669, alinéa 3, du code de procédure civile, le moyen selon lequel la date de réception d’une notification faite par lettre recommandée avec demande d’avis de réception est celle qui est apposée par l’administration des postes lors de la remise de la lettre à son destinataire tandis qu’il n’avait retiré le pli recommandé lui notifiant le jugement du 31 août 2016 que le 13 septembre 2016, soit moins d’un mois avant d’interjeter appel dudit jugement. La deuxième chambre civile casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion. Au visa des articles 528, 668 et 669 du code de procédure civile, la Cour de cassation donne la solution suivante :
« 6. Il résulte de ces textes que le délai d’appel, à l’égard du destinataire de la lettre de notification du jugement, court à compter de la date à laquelle la lettre lui est remise.
7. Pour déclarer l’appel irrecevable comme tardif, l’arrêt retient qu’il résulte des dispositions de l’article R. 142-28 du code de la sécurité sociale que le délai d’appel est d’un mois à compter de la notification du jugement, qu’en cas de notification à domicile, le délai court à compter du dépôt de la lettre recommandée et non pas de son retrait et qu’en conséquence, l’appel formé le 12 octobre 2016, alors que l’accusé de réception de la notification du jugement était en date du 6 septembre 2016, est manifestement hors délais.
8. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »
Par application de l’article 528, alinéa 1er, « Le délai à l’expiration duquel un recours ne peut plus être exercé court à compter de la notification du jugement, à moins que ce délai n’ait commencé à courir, en vertu de la loi, dès la date du jugement ». D’autre part, l’article 668 du même code dispose que « Sous réserve de l’article 647-1, la date de la notification par voie postale est, à l’égard de celui qui y procède, celle de l’expédition et, à l’égard de celui à qui elle est faite, la date de la réception de la lettre ». Enfin,...
Hors l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être qualifiée de coemployeur du personnel employé par une autre que s’il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeuse, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière.
Créé par la loi n° 2000-1257 du 23 déc. 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001, art. 53), le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA) est régi par le décret n° 2001-963 du 23 octobre 2001. Il prévoit que les victimes de dommages imputables à une exposition à l’amiante peuvent le saisir pour obtenir une indemnisation. Lorsque le lien entre l’exposition à l’amiante et la pathologie est établi, celui-ci fait une offre d’indemnisation que la victime est libre d’accepter ou de contester.
Si cette dernière conteste l’offre proposée, son action doit être intentée devant la cour d’appel dans le ressort de laquelle est situé le domicile du demandeur (art. 24) dans un délai de deux mois (art. 25). Ce délai court à partir de la notification, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, de l’offre d’indemnisation ou du constat établi par le Fonds que les conditions d’indemnisation ne sont pas réunies (art. 25). Les actions intentées devant la cour d’appel sont engagées, instruites et jugées conformément aux dispositions spéciales du décret du 23 octobre 2001 (art. 26).
Les articles 27 et 28 du décret prévoient le délai pour le dépôt de la demande et des pièces et documents justificatifs. C’est précisément sur la sanction du non-respect de ce délai que porte l’arrêt de cassation rendu le 26 novembre 2020 par la deuxième chambre civile.
En l’espèce, un homme est décédé en mai 2016 des suites d’un cancer du péritoine. Sa fille et sa compagne ont saisi le FIVA d’une demande en réparation de leurs préjudices personnels. L’offre faite par le FIVA ne leur convenant pas, elles l’ont contestée devant une cour d’appel.
Cette cour d’appel a fixé l’indemnisation des préjudices personnels des victimes par ricochet a une certaine somme en tenant compte de l’irrecevabilité des pièces et documents justificatifs qui n’avaient pas été produits en même temps que la déclaration ou l’exposé des motifs mais avaient été déposés postérieurement au délai d’un mois prescrit. La cour d’appel ayant été saisie par les victimes le 9 novembre 2017, les pièces, dont...
La prescription biennale est souvent un enjeu majeur dans le contentieux consumériste en général et en matière de crédit en particulier. On sait que cette dernière matière repose sur l’opposition entre le crédit à la consommation, soumis à une forclusion biennale en vertu de l’article R. 312-35 du Code de la consommation, et le crédit immobilier, obéissant quant à lui à la prescription biennale de l’article L. 218-2 du même Code (V. en ce sens Civ. 1re, 28 nov. 2012, n° 11-26.508, au motif que « les crédits immobiliers consentis aux consommateurs par des organismes de crédit constituent des services financiers fournis par des professionnels »). Toutefois, si la question du point de départ de la forclusion est clairement réglée par le Code de la consommation, on ne peut pas en dire autant du point de départ de la prescription, dans la mesure où l’article L. 218-2 précité est muet à cet égard. Dans un premier temps, la Cour de cassation a considéré que « le point de départ du délai de prescription biennale (…) se situe au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer l’action concernée, soit, dans le cas d’une action en paiement au titre d’un crédit immobilier consenti par un professionnel à un consommateur, à la date du premier incident de paiement non régularisé » (Civ. 1ère, 10 juill. 2014, n° 13-15.511). Très favorable aux emprunteurs mais contraire au droit commun de la prescription (en particulier C. civ., art. 2233), cette jurisprudence fut par la suite abandonnée par quatre arrêts remarqués en date du 11 février 2016 (Civ. 1re, 11 févr. 2016, n° 14-22.938, n° 14-28.383, n° 14-27.143, n° 14-29.539), ayant considéré qu’« à l’égard d’une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l’égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance, de sorte que, si l’action en paiement des mensualités impayées se prescrit à compter de leurs dates d’échéance successives, l’action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité » (V. à ce sujet V. à ce sujet J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 2ème éd., Dalloz, Cours, 2019, n° 207. V. égal. A. Gouëzel, Revirement sur le point de départ de la prescription en matière de crédit immobilier, JCP G, 4 avr. 2016, 405).
On comprend donc que les emprunteurs tentent...
Par respect du droit à un procès équitable, les dispositions du décret régissant l’indemnisation par le FIVA n’imposent pas à la cour d’appel d’écarter des débats les pièces produites à l’expiration des délais prévus lorsqu’il est établi que la partie destinataire de la communication a été mise, en temps utile, en mesure de les examiner, de les discuter et d’y répondre.
La sécurité juridique, invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable pour contester l’application immédiate d’une solution nouvelle résultant d’une évolution de la jurisprudence ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée. Cette évolution relève de l’office du juge dans l’application du droit.
La sécurité juridique, invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable pour contester l’application immédiate d’une solution nouvelle résultant d’une évolution de la jurisprudence ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée. Cette évolution relève de l’office du juge dans l’application du droit.
Le code du travail exclut pour le salarié le droit d’agir directement contre l’AGS et lui permet seulement de demander que les créances litigieuses soient inscrites sur le relevé dressé par le mandataire judiciaire afin d’entraîner l’obligation pour l’institution en question de verser, selon la procédure légale, les sommes litigieuses entre les mains de celui-ci.
Trois décrets du 2 décembre régissant des traitements de données à caractère personnel utilisés par les services de police sont très critiqués et devraient faire l’objet d’un recours devant le Conseil d’État.
Quatre ans de prison dont deux avec sursis ont été requis contre Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog et Gilbert Azibert, poursuivis pour trafic d’influence et corruption, auxquels s’ajoute, pour M. Herzog et M. Azibert, le délit de violation du secret professionnel. Le délibéré sera rendu le 1er mars 2021.
Le Conseil d’État étend la règle « un candidat, une offre » et précise la notion d’opérateur économique en affirmant que sont irrégulières deux offres identiques présentées par deux opérateurs économiques ne disposant pas l’un vis-à-vis de l’autre d’une « autonomie commerciale ».
Un candidat évincé d’un contrat de concession peut, après l’exercice de deux référés précontractuels, en former un troisième à l’objet identique, à condition que le contrat litigieux ne soit pas encore signé.
La méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte consécutivement à un accident ou une maladie d’origine professionnelle ou non professionnelle, dont celle imposant à l’employeur de consulter les représentants du personnel, prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.
Lorsque la fraude du débiteur a empêché les créanciers d’exercer l’action paulienne à compter du dépôt d’un acte de cession de parts en annexe au registre du commerce et des sociétés, le point de départ de cette action est reporté au jour où les créanciers ont effectivement connu l’existence de l’acte.
L’action dite « paulienne » a pour objectif « d’éviter que le débiteur ne puisse impunément porter atteinte aux droits de ses créanciers par des actes juridiques frauduleux » (J. François, Traité de droit civil, Tome 4, Les obligations. Régime général, 5e éd., Économica, 2020, n° 407). L’article 1341-2 du code civil dispose ainsi que « Le créancier peut (…) agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposables à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits, à charge d’établir, s’il s’agit d’un acte à titre onéreux, que le tiers cocontractant avait connaissance de la fraude » (déjà anc. art. 1167, al. 1, selon lequel les créanciers pouvaient « aussi, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits »). Encore faut-il, toutefois, que le délai de prescription ne soit pas écoulé.
En l’espèce, une action avait été intentée le 4 juin 2010 en vue d’obtenir le paiement de diverses sommes dues en vertu de deux reconnaissances de dette. Faisant droit à cette demande, un arrêt du 23 mai 2013 avait condamné le débiteur au paiement, lequel n’eut jamais lieu en pratique. Dès le 18 juin 2010, le débiteur (depuis lors décédé) céda à son compagnon ses parts dans une société civile immobilière. Considérant que cette cession avait eu lieu en fraude de leurs droits, les créanciers assignèrent ce compagnon sur le fondement de l’action paulienne par acte du 18 octobre 2016. L’action paulienne est, en effet, une action personnelle : elle est dirigée contre l’acte frauduleux d’appauvrissement. Par conséquent, selon la Cour de cassation, « l’action paulienne doit être dirigée contre les tiers acquéreurs », c’est-à-dire en l’espèce le bénéficiaire de la cession (Civ. 1re, 6 nov. 1990, n° 89-14.948, RTD civ. 1991. 739, obs. J. Mestre ).
La demande des créanciers fut, cependant, considérée comme irrecevable, le délai de prescription étant écoulé. Selon les juges du fond, le dépôt de l’acte de cession au greffe du tribunal de commerce avait eu pour effet de porter à la connaissance des tiers et de leur rendre opposable la cession de parts sociales. La publication ayant eu lieu le 2 août 2010, les créanciers étaient en mesure de connaître la cession à cette date, leur action étant donc prescrite le 18 octobre 2016. Les créanciers formèrent alors un pourvoi en cassation, fondé sur une violation de l’article 2224 du code civil et du principe selon lequel la fraude corrompt tout.
Leur argumentation est suivie par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, laquelle, dans un arrêt du 12 novembre 2020, casse l’arrêt de la cour d’appel pour défaut de base...
En cas de non-réitération de la vente devant notaire à la date fixée par la promesse synallagmatique de vente, le point de départ de la prescription de l’action en indemnisation est la connaissance caractérisée, par la partie contractante, du refus de son contractant d’exécuter son obligation principale de signer l’acte authentique de vente.
En cas de non-réitération de la vente devant notaire à la date fixée par la promesse synallagmatique de vente, le point de départ de la prescription de l’action en indemnisation est la connaissance caractérisée, par la partie contractante, du refus de son contractant d’exécuter son obligation principale de signer l’acte authentique de vente.
L’article 2224 du code civil fixe le point de départ de la prescription des actions personnelles à la date « où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Mais comment interpréter les notions de « connaissance » et de « fait » à l’aune de l’inexécution d’une promesse synallagmatique de vente ?
L’arrêt sous étude apporte quelques éléments de précision.
Le litige découle de l’inaction du bénéficiaire de la promesse synallagmatique de vente à la date de la réitération de la vente. Le vendeur, qui après plusieurs mises en demeure infructueuses, avait agi en résolution de la vente et en paiement de dommages et intérêt, se heurta à la prescription de son action prononcée par la cour d’appel. En effet, les juges du fond s’appuyèrent sur le point de départ du délai fixé par le compromis pour la réitération de la vente par acte authentiqué au 30 avril 2010.
Le pourvoi invoqué par le vendeur s’appuyait sur un moyen unique tenant au point de départ du délai de prescription des actions en responsabilité contractuelle, qui ne court qu’à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance (et ce en vertu d’une jurisprudence constante, v. par ex., Soc. 26 avr. 2006, n° 03-47.525, D. 2006. 1250 , pour le préjudice d’un salarié né de la perte de droits correspondant aux cotisations non versées par l’employeur ou encore, Civ. 1re, 9 juill. 2009, n° 08-10.820, D. 2009. 1960, obs. X. Delpech ; RTD civ. 2009. 728, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2009. 794, obs. D. Legeais ; ibid. 2010. 413, obs. B. Bouloc , pour l’octroi d’un prêt malgré une incapacité manifeste de l’emprunteur à faire face au remboursement).
Le demandeur estimait qu’à la date de la réitération de la vente, il appartenait à la cour d’appel, au lieu de se contenter de considérer l’action prescrite, de vérifier si celui-ci avait ou non conscience que le bénéficiaire voulait abandonner la...
L’article 7, point 2, du règlement Bruxelles I bis s’applique à une action fondée sur une allégation d’abus de position dominante et visant à faire cesser certains agissements mis en œuvre dans le cadre d’une relation contractuelle liant la société Booking.com à une société exploitant un hôtel.
L’article 7, point 2, du règlement Bruxelles I bis s’applique à une action fondée sur une allégation d’abus de position dominante et visant à faire cesser certains agissements mis en œuvre dans le cadre d’une relation contractuelle liant la société Booking.com à une société exploitant un hôtel.
L’arrêt de la Cour de justice du 24 novembre 2020 retiendra à l’évidence l’attention des juristes mais également des acteurs économiques. Le ministère français de l’Économie en a déjà assuré une certaine publicité, en en publiant un commentaire dans la Lettre de la Direction des affaires juridiques du 4 décembre 2020.
Dans cette affaire, une société allemande qui exploite un hôtel a conclu avec la société Booking.com, qui a son siège aux Pays-Bas, un contrat type lui permettant d’apparaître sur son site. Ce contrat prévoit l’acceptation de conditions générales. Par la suite, Booking.com a modifié ces conditions générales à différentes reprises.
La société allemande a contesté l’inclusion de ces conditions générales dans le contrat, en faisant valoir qu’en raison de la position dominante de Booking.com sur le marché des services d’intermédiaires et des portails de réservation d’hébergement, elle n’avait eu d’autres choix que de conclure le contrat. Elle a alors saisi un tribunal allemand d’une action visant à ce qu’il soit interdit à Booking.com de conditionner le positionnement de l’hôtel à l’octroi d’une commission de plus de 15 %.
Booking.com a toutefois contesté la compétence de ce tribunal allemand, en s’appuyant sur la clause attributive de juridiction prévue par le contrat et donnant compétence aux tribunaux néerlandais.
C’est donc uniquement sous l’angle de la détermination du juge compétent au regard des règles de droit international privé que cette affaire se présente, sans que soit directement envisagée la situation de la plate-forme au regard du régime de l’abus de position dominante (sur cette problématique, v. par ex. N. Lenoir et A. Jacquin, Référencement en ligne et abus de position dominante : quelles problématiques pour les plates-formes numériques ?, AJCA 2016. 223 ).
La difficulté concerne ainsi la mise en œuvre du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.
Plus précisément, il s’agit d’établir la qualification – contractuelle ou délictuelle – du litige, en vue de déterminer s’il y a lieu d’appliquer l’article 7, point 1, de ce règlement ou l’article 7, point 2. Rappelons que l’article 7, point 1, dispose qu’en matière contractuelle, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande, alors que l’article 7, point 2, énonce qu’en matière délictuelle, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.
Il s’agit, comme le relève l’arrêt (§ 25), de délimiter les champs d’application respectifs de ces deux règles, alors que le litige repose sur une violation alléguée du droit de la concurrence et que les parties à la procédure sont liées par un contrat.
L’enjeu de la qualification du litige était important en l’espèce puisque le juge allemand saisi pouvait retenir sa compétence, sur le fondement de l’article 7, point 2, si l’action était de nature délictuelle mais devait se dire incompétent, en application de l’article 7, point 1, en cas de qualification contractuelle.
Par son arrêt du 24 novembre 2020, la Cour de justice se prononce en faveur d’une application de l’article 7, point 2. Elle retient que la question de droit au cœur de l’affaire est celle de savoir si Booking.com a commis un abus de position dominante. Or, pour déterminer le caractère licite ou illicite des pratiques reprochées à Booking.com au regard du droit de la concurrence, il n’est pas indispensable d’interpréter le contrat liant les parties (arrêt, pt 35), ce qui conduit à retenir que l’action litigieuse relève de la matière délictuelle au sens de l’article 7, point 2, du règlement (arrêt, pt 36).
La Cour précise que cette interprétation est conforme aux objectifs de proximité et de bonne administration de la justice poursuivis par ce règlement. Le juge compétent est en effet alors celui du marché affecté par le comportement anticoncurrentiel allégué. Or il est le plus apte à statuer sur le bien-fondé de l’action, et cela notamment en termes de collecte et d’évaluation des éléments de preuve pertinents à cet égard (arrêt, pt 37).
Il n’est pas douteux que la solution qui est ainsi posée suscitera dans les différents États de l’Union européenne le développement d’actions en justice, puisqu’elle permet aux sociétés hôtelières de saisir un juge de l’État où elles exploitent leur établissement, ce qui constitue pour elles un avantage important et pour Booking.com un inconvénient majeur. Peut-être cette solution conduirait-elle d’ailleurs la société Booking.com à réexaminer ses conditions générales et le taux de sa commission, pour éviter une multiplication des contentieux.
Est nul le licenciement d’une salariée protégée en l’absence d’autorisation de licenciement par l’inspecteur du travail, malgré la volonté affichée par l’employeur, quelques jours après la notification de celui-ci, de se rétracter pour reprendre la procédure à son point de départ. Le licenciement ne pouvait en effet être annulé unilatéralement par l’employeur, sans un accord clair et non équivoque de la salarié.
La circonstance que le jugement de première instance n’ait pas été signifié à l’intimé est sans incidence sur l’irrecevabilité de son appel principal, dès lors que celui-ci n’a pas formé appel incident dans le délai de trois mois suivant la notification du mémoire de l’appelant.
La circonstance que le jugement de première instance n’ait pas été signifié à l’intimé est sans incidence sur l’irrecevabilité de son appel principal, dès lors que celui-ci n’a pas formé appel incident dans le délai de trois mois suivant la notification du mémoire de l’appelant.
La Cour de cassation change son fusil d’épaule et, retenant une conception subjective, fixe le point de départ du délai de prescription de l’action du ministère public à la date de la connaissance effective de la fraude.
M. X, de nationalité marocaine, a souscrit en 2002 une déclaration de nationalité en raison de son mariage célébré en 2001 avec une ressortissante française. Cette déclaration a été enregistrée en 2003. Les époux se séparent et le divorce est transcrit en 2004 en marge des actes de l’état civil. M. X se remarie alors la même année avec sa précédente épouse marocaine.
Le 27 décembre 2010, le ministère de l’Intérieur a informé le ministère de la Justice du refus d’enregistrement, le 17 mars 2010, de la déclaration souscrite par la seconde épouse marocaine de M. X, en raison de la fraude commise par celui-ci. Le 10 décembre 2012, le ministère public a engagé une action en annulation de l’enregistrement de la déclaration souscrite par M. X.
La cour d’appel de Paris, par un arrêt du 12 juin 2018 rendu sur renvoi après cassation, déclare l’action du ministère public recevable, car non prescrite, et annule l’enregistrement de déclaration de nationalité française. En effet, les juges ont considéré que la seule transcription du jugement de divorce ne permettait pas au ministère public de supposer une fraude au seul vu de l’acte, dans la mesure où il ne résultait d’aucune des mentions de l’acte de mariage que l’époux aurait acquis la nationalité française par son mariage. En outre, ils ont estimé que le signalement fait par le service de l’état civil au moment du mariage avec l’épouse marocaine ne concernait que l’absence de titre de séjour de cette dernière, ce qui n’était pas de nature à constituer un indice de fraude dans le cadre de la déclaration de nationalité souscrite par l’époux précédemment.
Monsieur X forme alors un pourvoi en cassation. Il soutient que la transcription d’un divorce en marge des actes d’état civil d’un ressortissant devenu français par mariage porte à la connaissance du ministère public la rupture de la vie commune des époux au sens de l’article 26-4. Ainsi, le ministère public avait été informé de la rupture de la vie commune à compter du 13 juillet 2004, date de la transcription du jugement de divorce en marge des actes de l’état civil.
En outre, au moment du mariage avec l’épouse marocaine, et du signalement fait par les services de l’état civil au ministère public, Monsieur X a dû fournir un acte de naissance, sur lequel était mentionné son acquisition de nationalité par déclaration, et son divorce ultérieur. Le ministère public était donc, dès 2004, en mesure de découvrir la fraude invoquée. L’action était dès lors prescrite en 2006.
La Cour de cassation rappelle dans un premier temps que l’enregistrement d’une déclaration de nationalité peut être contesté par le ministère public en cas de mensonge ou de fraude dans un délai le deux ans de...
L’un des objectifs de la réforme territoriale lancée en juin 2019 par le gouvernement est de réorganiser le réseau déconcentré de l’État. Quatre décrets, publiés au Journal officiel du 10 décembre, viennent mettre en œuvre cet objectif.
La Cour des comptes publie les deux derniers volets de son rapport annuel sur les finances publiques locales en 2020.
Cette nouvelle réglementation s’inscrit dans un long processus de discussion. Selon le rapporteur Geoffroy Didier : « Avec ce recours collectif à l’échelle européenne, c’est un changement d’ambition et un changement de dimension que nous proposons à l’ensemble des citoyens de l’Union européenne. »
Une réglementation longuement mûrie et très attendue
Une volonté affirmée de parvenir à un mécanisme européen harmonisé
La mise en place d’un mécanisme européen harmonisé de recours collectifs afin de protéger les intérêts collectifs des consommateurs a été mentionnée pour la première fois en décembre 1984 (Mémorandum sur l’accès des consommateurs à la justice de la Commission européenne COM(84)692) avant que la Commission n’annonce en mai 1987 son intention de mettre à l’étude une directive-cadre sur ce sujet. En 2008, la Commission publiait un livre vert sur les recours collectifs pour les consommateurs avant d’organiser en 2011 une consultation publique (« Renforcer la cohérence de l’approche européenne en matière de recours collectifs »).
Dès sa résolution « Vers une approche européenne cohérente en matière de recours collectifs » du 2 février 2012 (PE, réso., 2 févr. 2012, 2011/2089[INI]), le Parlement européen plaidait en faveur d’un cadre « horizontal » comprenant un ensemble de principes communs garantissant un accès uniforme à la justice au sein de l’Union européenne par la voie du recours collectif et traitant des infractions aux droits des consommateurs, tout en tenant compte des traditions du droit et des ordres juridiques des différents États membres et en prévoyant des garanties afin d’éviter les demandes non fondées ainsi que les abus en matière de recours collectif. Le 11 juin 2013, la Commission publiait une communication (« Vers un cadre horizontal européen pour les recours collectifs »), qu’elle accompagnait d’une recommandation (Comm. UE, recomm., 11 juin 2013 relative à des principes communs applicables aux mécanismes de recours collectif en cessation et en réparation dans les États membres en cas de violation de droits conférés par le droit de l’Union : JOUE n° L 201, 26 juill. 2013, p. 60), invitant les États membres à se doter de mécanismes nationaux de recours collectifs s’inspirant de plusieurs principes communs horizontaux (la qualité pour agir en représentation d’entités représentatives susceptibles d’engager des actions en représentation sur la base de conditions d’admission clairement définies, la recevabilité des recours collectifs, la diffusion effective d’informations auprès des demandeurs potentiels, le remboursement des frais de justice à la partie gagnante, le financement de l’action en justice, le traitement des litiges transnationaux) et de principes propres aux recours collectifs en cessation et en réparation. Le suivi de cette recommandation s’est avéré toutefois plutôt limité (Rapport de la Commission concernant la mise en œuvre de la recommandation de la Commission du 11 juin 2013 relative à des principes communs applicables aux mécanismes de recours collectifs en cessation et en réparation dans les États membres en cas de violation des droits conférés par le droit de l’Union).
Une nette accélération du processus législatif emportée par la nouvelle donne pour les consommateurs
Plus de trente ans après avoir appelé de ses vœux l’instauration d’un mécanisme européen harmonisé de recours collectifs, la Commission faisait le constat amer que des « pratiques abusives de grande ampleur qui ont récemment touché des consommateurs dans l’ensemble de l’Union européenne ont ébranlé la confiance des consommateurs dans le marché unique (Rapport de la Commission concernant la mise en œuvre de la recommandation de la Commission du 11 juin 2013 relative à des principes communs applicables aux mécanismes de recours collectifs en cessation et en réparation dans les États membres en cas de violation des droits conférés par le droit de l’Union) et son projet prenait alors un nouvel essor.
Le 11 avril 2018, elle lançait la « nouvelle donne pour les consommateurs » (Comm. UE, 11 avr. 2018, COM (2018) 183 final) et annonçait un « train de mesures législatives » dont la proposition de directive relative aux actions représentatives pour la protection des intérêts collectifs des consommateurs afin de faciliter les recours pour les consommateurs victimes de la même infraction dans une situation dite de préjudice de masse. La proposition législative ainsi publiée exigeait que l’ensemble des États membres se dotent d’un mécanisme d’action collective en indemnisation se rapprochant de celui de l’action de groupe, « à tout le moins dans le champ du droit européen de la consommation » (L. Usunier, Nouvelle donne européenne pour les consommateurs, RTD civ. 2018. 854 ). La récente publication au Journal officiel de l’Union européenne (JOUE) de la directive ouvre un délai de vingt jours à l’issue duquel la directive entrera en vigueur. Les États membres auront alors vingt-quatre mois pour la transposer dans leur droit national et six mois supplémentaires pour l’appliquer. Une fois entrée en vigueur, la nouvelle réglementation s’appliquera aux actions représentatives en cours et à venir.
La directive : un changement de paradigme au niveau européen ?
Les principales caractéristiques de l’action représentative issue de la directive
Le champ d’application de la directive est particulièrement vaste puisqu’il couvre les actions en cessation et en réparation à l’encontre des infractions aux droits des consommateurs dans des domaines variés visés dans son annexe 1, tels que le droit de la consommation, la protection des données, les services financiers, le transport aérien et ferroviaire, le tourisme, l’énergie, les télécommunications, l’environnement ou encore la santé (consid. 13, art. 2). La directive propose aux consommateurs un recours supplémentaire à l’encontre des professionnels en cas de violation du droit de l’Union européenne sans préjudice des droits qu’ils détiennent par ailleurs en application du droit européen. Il est précisé que l’exercice de ce nouveau mécanisme s’applique sans préjudice des règles de l’Union consacrées en droit international privé, notamment celles relatives à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, ainsi qu’à la loi applicable aux obligations contractuelles et non contractuelles (consid. 21, art. 2).
Chaque État membre devra désigner à l’avance une ou plusieurs « entités qualifiées » – qui pourront en particulier être des organisations de consommateurs ou des organismes publics (consid. 24) et établir une liste à jour des entités qui sera mise à disposition du grand public (consid. 32, art. 5, § 1er). Les critères d’habilitation des entités diffèrent selon le caractère transfrontalier ou national de l’action envisagée (consid. 23, art. 3). Les entités devront satisfaire, en ce qui concerne les actions transfrontières, à des critères de désignation stricts qui seront les mêmes dans l’ensemble de l’Union européenne – tenant à leurs sources de financement, leur structure organisationnelle, de gestion et d’affiliation, leur objet statutaire, leur solvabilité et leurs activités (consid. 25, art. 4). Elles seront évaluées au moins tous les cinq ans et les États membres pourront, le cas échéant, révoquer leur désignation (consid. 29, art. 5, § 3). En ce qui concerne les actions nationales, les États membres sont libres d’établir les critères de désignation des entités conformément à leur droit national (consid. 26, art. 4, § 5). La possibilité de recourir à des entités ad hoc spécialement constituées aux fins d’une action spécifique est rendue possible pour les actions nationales (art. 4, § 6) mais est exclue pour les actions transfrontières (consid. 28). Cette distinction entre actions nationales et actions transfrontières pourrait donner lieu à un forum shopping en faveur d’actions nationales dans les États membres dont les critères de désignation seraient plus souples (sous réserve que les juridictions de ces États membres soient compétentes pour connaître de telles actions).
Le financement des actions en réparation fait l’objet de développements particuliers (art. 10). La directive entend ainsi réglementer le financement par des tiers (third-party funding) afin de garantir une meilleure transparence et l’absence de conflit d’intérêts (consid. 25 et 52). Les États membres devront faciliter l’accès des entités à la justice (aide juridictionnelle) et veiller à ce que les coûts de la procédure ne soient pas dissuasifs en limitant les frais applicables ou encore en prévoyant un financement public (art. 20).
La directive milite en faveur d’une publicité accrue quant aux actions intentées ou envisagées par les entités (informations concernant l’état d’avancement des actions engagées sur le site internet des entités, mise en place de bases de données électroniques nationales – art. 13 et 14, consid. 61 et 63). Afin d’intenter une action représentative, l’entité qualifiée devra fournir des « informations suffisantes sur les consommateurs concernés par l’action représentative » (description du groupe de consommateurs, questions de fait et de droit à traiter, lieu où le fait dommageable s’est produit, consid. 34 et 49) afin de permettre à la juridiction saisie de s’assurer de sa compétence et de déterminer la loi applicable (art. 7, § 2). Cette rédaction, pour le moins « large », pourrait conduire à des interprétations divergentes des juridictions saisies.
Ces nouveaux mécanismes procéduraux visent ainsi à permettre à une entité qualifiée d’obtenir à la fois la cessation d’une pratique illégale (par le biais de mesures préventives dites « provisoires », de mesures « définitives » et de mesures de publication mises en œuvre après « consultation préalable » du professionnel en infraction afin de lui permettre de mettre fin à la pratique illégale dans les deux mois qui suivent la demande de consultation) et, le cas échéant, de demander réparation contre des professionnels qui enfreignent les dispositions du droit de l’Union européenne (consid. 8). Les États membres seront libres de décider si l’action représentative sera intentée dans le cadre d’une procédure judiciaire, administrative ou les deux selon le domaine de droit concerné ou le secteur économique concerné (consid. 19).
La directive laisse aux États membres le choix entre un mécanisme de participation (opt in) ou d’un mécanisme de non-participation (opt out) pour les actions représentatives. L’opt in est exclu en ce qui concerne les actions en cessation (art. 8) et la directive n’autorise que des mécanismes opt out qui n’incluent que les consommateurs qui ont leur résidence habituelle dans l’État membre où se trouve la juridiction devant laquelle l’action représentative a été intentée (consid. 45, art. 9). Là encore, on peut craindre une application asymétrique au regard de la diversité des mécanismes nationaux existants dans les États membres.
La directive introduit le principe dit du « perdant payeur » (loser pays principle) en vertu duquel la partie perdante rembourse les frais de procédure nécessaires exposés par la partie gagnante à l’exception des frais qui ont été exposés par le consommateur en raison de son comportement intentionnel ou négligent (consid. 36 et 38, art. 12). Les juridictions saisies d’une action représentative pourront rejeter les affaires « manifestement non fondées » au stade le plus précoce possible de la procédure conformément au droit national (consid. 49, art. 7, § 7). Cette procédure n’est pas sans rappeler la procédure américaine de motion to dismiss (Federal Rules of Civil Procedure [FRCP], art. 12) permettant au défendeur de mettre fin à l’instance de façon anticipée en faisant valoir que l’action initiée à son encontre est manifestement mal fondée (M. Gizardin et L. Moirignot, 3 Questions : Vers une motion du dismiss à la française pour endiguer l’engorgement des tribunaux provoqués par la crise sanitaire, JCP E 2020. 475). La nouvelle réglementation introduit une procédure de discovery pour les actions représentatives en invitant les États membres à donner aux entités qualifiées la possibilité de demander la production d’éléments de preuves (sur injonction des juridictions saisies) en possession du défendeur à l’action ou d’un tiers (consid. 68, art. 18).
Enfin, la Commission devra évaluer l’opportunité de créer une fonction de médiateur européen pour les actions représentatives. Elle présentera un rapport à ce sujet au plus tard le 26 juin 2028 (consid. 73, art. 23).
Vers une intensification des actions de groupe dans l’Union européenne et en France ?
Le rapporteur Geoffroy Didier a déclaré : « Avec cette nouvelle directive, nous avons trouvé un équilibre entre une protection renforcée pour les consommateurs et la garantie pour les entreprises de la sécurité juridique dont elles ont besoin. »
Depuis son introduction en droit français par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation (loi Hamon), l’action de groupe a été étendue progressivement à la santé (L. n° 2016-41, 26 janv. 2016, art. 184), la discrimination et les relations de travail, les dommages environnementaux et les données personnelles (L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016, art. 60 s. ; L. n° 2018-493, 20 juin 2018, art. 25 ; L. n° 2018-1021, 23 nov. 2018, art. 38).
Un rapport d’information, en conclusion des travaux d’une mission d’information sur le bilan et les perspectives de l’action de groupe, a été présenté à la commission des lois le 10 juin 2020 et publié le 11 juin 2020. La mission d’information y fait le constat d’un bilan décevant des class actions à la française (M.-J. Azar-Baud, En attendant un registre d’actions de groupe et autres actions collectives, JCP E 2018. 1637) alors qu’est observée une recrudescence des contentieux sériels, et que des solutions alternatives (médiation de groupe, mise en œuvre d’actions collectives conjointes) émergent (P. Métais et E. Valette, Class action à la française : une promesse séduisante, une application décevante, JCP 2018. 558 ; A. Biard, Sale temps pour l’action de groupe… La nécessaire recherche d’outils alternatifs pour résoudre les litiges de masse, RLDC n° 157, mars 2018, p. 21). Sont ainsi préconisés la création d’un cadre commun pour toutes les actions de groupe, un élargissement des conditions de la qualité à agir (extension de la qualité à agir aux associations régulièrement déclarées depuis deux ans au moins dont l’objet statutaire comporte la défense d’intérêts auxquels il a été porté atteinte, aux associations composées d’au moins cinquante personnes physiques, aux associations composées d’au moins dix entreprises constituées sous la forme de personnes morales ayant au moins deux ans d’existence et aux associations composées d’au moins cinq collectivités territoriales), une meilleure indemnisation des victimes, un meilleur financement des actions de groupe (une refonte des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens, la création d’une sanction civile) et la mise en œuvre de réformes procédurales pour réduire les délais de jugement en matière d’action de groupe (suppression de l’obligation de mise en demeure préalable pour les actions de groupe concernées, une compétence exclusive de certaines juridictions, une communication obligatoire au ministère public pour lui permettre d’intervenir comme partie jointe). Ces principaux axes de réforme sont repris dans une proposition de loi « pour un nouveau régime de l’action de groupe », qui a été déposée le 15 septembre 2020.
Reste à savoir comment la législation française en matière d’action de groupe prendra en considération les orientations de la directive. Alors que la mission d’information regrettait que « l’action de groupe [n’ait] pas été à l’origine d’avancées significatives dans la défense des consommateurs », la directive pourrait lui donner un nouvel élan. La réforme du mécanisme de l’article 700 du code de procédure civile proposée par les parlementaires français afin que les juges prennent en considération les sommes réellement engagées par la partie gagnante, qu’il s’agisse notamment des honoraires d’avocat ou des coûts internes afférents à la procédure s’inscrit dans la logique du « perdant payeur » prônée par la directive. Alors que la mission d’information proposait une réflexion sur l’introduction en France pour la recherche de la preuve dans les actions de groupe de la procédure de discovery présente dans des pays de common law afin de permettre la production de certaines pièces dont la liste serait strictement limitée (comme l’identité des consommateurs lésés), par une décision motivée du juge, ce mécanisme est introduit par la directive. En revanche, la mission d’information propose la condamnation du professionnel au paiement d’une amende civile affectée au Trésor public pour renforcer les sanctions à l’égard des entreprises fautives alors que la directive interdit le recours à des dommages et intérêts à caractère punitif.
Incontestablement, la transposition de la directive va donner une impulsion aux actions de groupe sur le territoire des États membres de l’Union européenne. Certains regretteront que l’initiative de l’action de groupe soit réservée à une « entité représentative » en observant qu’il s’agit précisément d’un frein au développement des actions de groupe qui a été constaté, notamment en France. Mais chaque État membre conserve la possibilité d’élargir les conditions prévues par la directive, sur ce point comme sur d’autres, d’ailleurs. La directive a seulement pour vocation de consacrer un cadre minimal et harmonisé pour les États membres, étant rappelé que les règles de l’Union européenne resteront applicables, notamment pour déterminer la compétence du juge et la loi applicable au litige.
La directive (UE) 2020/1828 relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs (ci-après : la directive) a été approuvée le 24 novembre 2020 par le Parlement européen et publiée au JOUE du 4 décembre 2020. Les États membres ont jusqu’au 25 décembre 2022 pour s’y conformer.
La directive (UE) 2020/1828 relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs (ci-après : la directive) a été approuvée le 24 novembre 2020 par le Parlement européen et publiée au JOUE du 4 décembre 2020. Les États membres ont jusqu’au 25 décembre 2022 pour s’y conformer.
Dans les conclusions d’une mission flash présentée ce matin en commission des lois, les députés Stéphane Mazars (LREM) et Antoine Savignat (LR) établissent un premier bilan positif de l’expérimentation des cours criminelles départementales. Ils formulent toutefois six recommandations. Si le ministère de la Justice a lui aussi tiré un premier bilan favorable, il attend les conclusions de sa mission sur l’avenir des assises.
L’employeur peut déléguer cette attribution qui lui incombe légalement, à la condition que la personne assurant la présidence par délégation de l’employeur ait la qualité et le pouvoir nécessaires à l’information et à la consultation de l’institution représentative du personnel, de nature à permettre l’exercice effectif des prérogatives de celle-ci, peu important que le délégataire soit mis à disposition de l’employeur par une autre entreprise.
Voici un nouvel arrêt sur les quasi-contrats rendu pour la fin de l’année 2020 (V. égal. Civ. 1re, 16 sept. 2020, FS-P+B, n° 18-25.429, Dalloz actualité, 14 sept. 2020, obs. C. Hélaine). Largement inspirés de Domat, les textes antérieurs à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 intéressant les quasi-contrats étaient sujets à diverses discussions doctrinales (sur ceci, Rép. civ., v° Gestion d’affaires, par P. le Tourneau, 2019, n° 10). L’une d’entre-elles a été de savoir si celui qui agit en tant que professionnel au titre d’une gestion d’affaires peut prétendre ou non à une rémunération. La réponse a été résolue par la négative déjà par le passé notamment pour les sociétés de généalogie (Civ. 1re, 29 mai 2019, n° 18-16.999, D. 2019. 1979 , note T. de Ravel d’Esclapon ; ibid. 1784, chron. S. Vitse, S. Canas, C. Dazzan-Barel, V. Le Gall, I. Kloda, C. Azar, S. Gargoullaud, R. Le Cotty et A. Feydeau-Thieffry ). L’arrêt étudié aujourd’hui en est une exacte confirmation, là-aussi sur une mission de généalogiste retrouvant un héritier refusant de signer un contrat de révélation.
Reprenons les faits pour mieux comprendre tout l’enjeu du problème. À la suite du décès d’une personne, le notaire chargé de sa succession mandate une société de généalogistes associés afin de savoir quels sont les héritiers en rangs utiles, i.e. ceux qui pourront recevoir la succession par le jeu de la dévolution par ordre et degrés. La société généalogiste identifie une seule personne comme héritière. Il faut préciser un silence dans les faits : l’héritier a refusé de signer un contrat de révélation proposé par la société de généalogie, figure connue du droit des successions et des libéralités (L. Leveneur, Une application du concept de bien-information : pour un renouvellement de l’approche du contrat de révélation de succession. Le droit privé français à la fin du XXe siècle – Études en l’honneur de Pierre Catala, Litec, 2001, p. 771 s., spéc. n° 12). Le contrat prévoit alors la rémunération du généalogiste sur une...
Quand une société de généalogie n’a d’autres choix que d’agir sur le terrain du quasi-contrat, faute de convention de révélation, elle ne peut pas obtenir de rémunération mais le simple remboursement des dépenses engagées pour sa mission.
Il y a six mois la Cour de cassation avait reconnu qu’une présomption conventionnelle de contribution quotidienne aux charges du mariage est parfois une clause de non-recours ayant la portée d’une fin de non-recevoir pour le passé mais qu’elle ne peut empêcher un recours pour l’avenir (Civ. 1re, 13 mai 2020, FS-P+B, n° 19-11.444, Dalloz actualité, 18 juin 2020, obs. Q. Guiguet-Schielé ; D. 2020. 1173 ; ibid. 2190, chron. S. Robin-Raschel, X. Serrier, V. Champ, S. Vitse, C. Azar, E. Buat-Ménard, R. Le Cotty et A. Feydeau-Thieffry ; ibid. 2206, obs. S. Godechot-Patris et C. Grare-Didier ; AJ fam. 2020. 362, obs. J. Casey ; RJPF 2020/7, p. 23, obs. J. Dubarry ; JCP N 2020. 1171, obs. S. Bernard ; Gaz. Pal. 28 juill. 2020, p. 65 s., obs. S. Deville ; LEFP juill. 2020, p. 6, obs. N. Peterka ; Dr. fam. 2020/9, comm. 120, obs. S. Torricelli ; Defrénois 3 déc. 2020, n° 166j9, p. 34, obs. I. Dauriac ; Gaz. Pal. 6 oct. 2020, n° 388h4, p. 68, obs. É. Mulon ; LPA 20 juill. 2020, n° 154t9, p. 16, obs. E. Rançon). Cette nouvelle lecture de l’aménagement des conventions matrimoniales contraste avec l’arrêt rendu ce 18 novembre 2020, qui réaffirme une solution classique quant à la portée probatoire de cet aménagement controversé de la convention matrimoniale.
Deux époux mariés sous un régime de séparation de biens avaient stipulé une clause libellée en ce termes : « Les époux contribueront aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives. Chacun d’eux sera réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive, en sorte qu’ils ne seront assujettis à aucun compte entre eux ni à retirer à ce sujet aucune quittance l’un de l’autre ». Au cours du mariage l’épouse avait remboursé sur ses deniers personnels l’emprunt contracté par le couple pour l’édification, sur un terrain appartenant à l’époux, d’une maison devenue par la suite le logement de la famille. À la suite du prononcé du divorce, des difficultés se sont élevées quant au règlement des intérêts patrimoniaux des parties. Dans ce cadre, l’ex-épouse sollicita le remboursement d’une somme de 74 723,19 € au titre d’une créance entre époux, demande qui fut accueillie par la cour d’appel de Nîmes le 20 février 2019. La motivation des juges du fond était cependant maladroite car, tout en reconnaissant le caractère irréfragable de la présomption énoncée par la clause, les magistrats nîmois ont estimé que cela n’empêchait pas un époux « de faire la démonstration de ce que sa participation a excédé ses facultés contributives » de sorte que « si la sur-contribution est démontrée, elle a pour effet de rendre la clause inefficace ». Elle suivait en cela une certaine doctrine selon laquelle le caractère irréfragable empêche uniquement de rapporter la preuve d’une sous-contribution et non celle d’une sur-contribution (v. infra).
Pourvoi est formé en cassation. Le moyen mettait en évidence la portée logique d’une présomption qualifiée d’irréfragable : elle « interdit aux époux de prouver que l’un ou l’autre d’entre eux ne se serait pas acquitté de son obligation » de sorte « qu’un époux ne peut se prétendre créancier de l’autre au titre du remboursement d’un emprunt bancaire contracté pour la construction du logement familial, lequel participe de l’exécution de l’obligation de contribuer aux charges du mariage ».
Ainsi la question posée à la Cour de cassation était-elle biaisée. Il ne s’agissait pas tant de s’interroger sur le caractère simple ou irréfragable de la présomption que sur les effets d’une présomption irréfragable. Une présomption conventionnelle irréfragable de contribution aux charges du mariage empêche-t-elle les époux de rapporter la preuve d’une sur-contribution et/ou d’une sous-contribution ?
L’arrêt d’appel est censuré au double visa des articles 214 et 1537 du code civil. En clarifiant la portée d’une présomption irréfragable de contribution aux charges du mariage, la première chambre civile de la Cour de cassation confirme nécessairement qu’une telle présomption est valable. Les juges du droit auraient pourtant pu saisir cette occasion pour condamner la pratique de telles clauses, qui sont à la fois contraires à l’impérativité de l’article 214 du code civil et à la prohibition des présomptions conventionnelles irréfragable. C’est tout l’inverse.
La Cour rappelle d’abord que les juges du fond sont souverains quant à l’interprétation de la portée de la présomption (v. déjà, Civ. 1re, 25 sept. 2013, n° 12-21.892, Bull. civ. I, n° 189 ; D. 2013. 2682 , note A. Molière ; ibid. 2014. 1342, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 1905, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel ; AJ fam. 2013. 647, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2013. 821, obs. J. Hauser ; ibid. 2014. 698, obs. B. Vareille ; ibid. 703, obs. B. Vareille ).
Elle précise ensuite la portée exacte d’une présomption irréfragable de contribution quotidienne aux charges du mariage : « un époux ne peut, au soutien d’une demande de créance, être admis à prouver l’insuffisance de la participation de son conjoint aux charges du mariage pas plus que l’excès de sa propre contribution ». Cette solution n’est pas inédite (Civ. 1re, 1er avr. 2015, n° 14-14.349, D. 2015. 864 ; ibid. 1408, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 2094, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel ; ibid. 2016. 674, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2015. 297, obs. J. Casey ; RTD civ. 2015. 362, obs. J. Hauser ; ibid. 687, obs. B. Vareille ; 3 oct. 2018, n° 17-25.858, D. 2019. 910, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2018. 697, obs. J. Casey ; JCP N 2019. 1174, note A. Karm) mais c’est la première fois que la portée de la clause est décrite avec autant de précisions. La présomption ne porte pas uniquement sur l’exécution de l’obligation mais sur la mesure de celle-ci. Non-seulement les époux sont présumés avoir exécuté leur obligation légale, mais ils sont présumés l’avoir exécutée dans l’exacte mesure que leur impose la loi, c’est-à-dire à proportion de leurs facultés respectives. Aucun d’eux ne peut donc être considéré comme ayant trop ou trop peu contribué.
Outre cette précision qui transcende la distinction entre « sur » et « sous » contribution, la solution est classique, tant sur le pouvoir d’appréciation des juges du fond que sur la possibilité de stipuler une présomption irréfragable. Néanmoins l’on attendait beaucoup mieux de la Cour de cassation au regard notamment des nombreux commentaires doctrinaux de l’arrêt rendu le 13 mai dernier. La réaffirmation de cette solution apparaît problématique à plusieurs égards. Elle contredit l’évolution du droit des contrats sur la preuve (I). Elle sape gravement l’autorité de l’article 214 du code civil qui est pourtant un texte impératif (II). Elle doit être articulée avec la qualification de « clause de non-recours », qui semble pouvoir s’ajouter à celle de « présomption irréfragable » (III).
I - La contrariété au droit des contrats sur la preuve
Selon le nouvel article 1356 du code civil (ord. n° 2016-131 du 10 févr. 2016, art. 4), les contrats sur la preuve sont licites mais les parties ne peuvent ni contredire ni établir, au profit de l’une d’elles, de présomption...
La Cour de cassation réaffirme qu’une présomption conventionnelle de contribution aux charges du mariage peut être irréfragable. Elle empêche alors un époux prouver l’insuffisance de la participation de son conjoint aux charges du mariage et l’excès de sa propre contribution. Cette solution classique peut surprendre, tant au regard de l’évolution du droit des contrats sur la preuve que du caractère d’ordre public de l’article 214 du code civil récemment réaffirmé.
À la lecture de cette décision, le non-juriste ne trouverait rien à redire. Sans doute, saluerait-il une décision de bon sens ou de logique. En se penchant sur cet arrêt, le juriste, en revanche, bondit sur sa chaise tel un cabri qui s’entendrait susurrer d’une voix chevrotante qu’il est en présence d’un arrêt important. Ainsi, le commentateur en quête de nouveautés, épiant les moindres soubresauts de la Cour de cassation et flairant les éventuels revirements devine, immédiatement, les possibles conséquences de cette décision.
Un enfant de onze ans et sa mère sont en visite chez un couple d’amis. Dans la maison, l’enfant s’empare d’un pistolet de défense. En le manipulant, il se blesse grièvement. La mère du mineur assigne le couple d’amis et leur assureur huit ans plus tard sur le fondement de la responsabilité du fait des choses. Les premiers juges rendent une décision défavorable au jeune homme. Ce dernier, devenu majeur entre temps, interjette appel de la décision. Nous sommes alors déjà le 26 avril 2019, douze ans après les faits, quand la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion rend son arrêt, cette fois, en faveur de la victime. Le couple chez qui s’est déroulé le drame, ainsi que leur assureur, forment un pourvoi devant la Cour de cassation. Le pourvoi est composé d’un moyen divisé en trois branches mais la Cour de cassation ne répondra qu’à la première, jugeant que les autres sont suffisamment motivées ou ne sont pas de nature à entraîner la cassation. Dans la première branche, ils reprochent aux juges du fond d’avoir considéré qu’il n’y avait pas eu transfert de garde du pistolet. Les époux font valoir que le gardien d’une chose est celui qui en a l’usage, le contrôle et la direction et que c’est donc la victime qui était gardienne de l’arme au moment des faits. Ils rappellent, en sus, des éléments de faits propres à corroborer leurs allégations : la victime s’est introduite seule et sans autorisation dans le sous-sol des époux ; elle s’est emparée à leur insu de l’arme et des munitions qui y étaient entreposées, et s’est blessée elle-même sous l’effet de ses manipulations.
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi en s’appuyant sur les éléments donnés par les juges du fond. Elle procède alors en deux temps qui visent, chacun, à invalider la thèse du transfert de garde. Dans un premier temps, elle rappelle que ce sont les conditions dans lesquelles ont été entreposées l’arme qui ont permis à l’enfant de s’en emparer, peu important que ce dernier ait eu l’autorisation de se rendre dans le lieu où elle s’y trouvait. Dans un second temps, les juges du droit font un parallèle entre l’âge de la victime au moment des faits, onze ans, et son incapacité à être gardien d’une chose.
Le problème du transfert de garde. Être gardien d’une chose signifie en avoir l’usage, le contrôle et la direction. Ces caractéristiques ont été posées dans le célèbre arrêt Franck du 2 décembre 1941 (Cass., ch. réun., 2 déc. 1941, DC 1942. 25, rapp. P. Lagarde et note G. Ripert ; S. 1941. 1. 17, note H. Mazeaud ; JCP 1942. II, n° 1766, note Mihura). Le principal intérêt de cet arrêt est de permettre de reconnaître la qualité de gardien d’une chose à une autre personne que son propriétaire. Dans l’arrêt, Franck, le voleur d’une automobile fut considéré comme le gardien de celle-ci, ce qui empêcha son propriétaire d’être jugé responsable des dommages causés par celui qui s’en était octroyé l’usage, le contrôle et la direction. Ainsi, grâce à cet arrêt, la présomption quasi-légale (v., P. Mimin, Les présomptions quasi-légales, JCP 1946. I, p. 578 ; P. Brun, Les présomptions dans le droit de la responsabilité civile, thèse Grenoble II, 1993, p. 106) qui pèse sur les propriétaires de choses peut être renversée en prouvant qu’il y a eu un transfert de garde (V. Req. 12 jan. 1927, DP 1927. I. 145, note R. Savatier ; S. 1927. 1. 129, note H. Mazeaud). Les auteurs parlent alors d’une conception matérielle de la garde – qui se rapporte à celui qui est gardien de fait – et non d’une conception juridique de la garde, qui se rapporte à celui qui est gardien en raison du droit réel qu’il a sur la chose (V. not., A. Bénabent, Droit des obligations, 15e éd., LGDJ, n° 590, 448 ; P. Brun, Droit de la responsabilité civile (Œuvre collective), éd. Wolters Kluwer, n° 260-35 ; P. le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats (Œuvre collective), Dalloz Action 2018-2019, n° 2221.152).
Malgré la consécration de la conception matérielle de la garde, il n’est pas rare que les juges de la Cour de cassation – qui se réservent le droit de contrôler la notion – (V. Civ. 2e, 21 nov. 1990, n° 89-19.401, Gaz. Pal. 1991. Pan. 61 ; RTD civ. 1991. 345, obs. P. Jourdain ; 9 déc. 1992, n° 91-16.954, Gaz. Pal. 1993. 1. Pan. 126 ; 21 oct. 1999, n° 98-10.945 ; 7 oct. 2004, n° 03-11.498, D. 2004. 2835 ; 26 oct. 2017, n° 16-24.703) rendent des décisions paraissant se conformer à la conception juridique de la garde en validant des arrêts d’appel défavorables aux propriétaires (Civ. 2e, 18 déc. 1967 ; 15 nov. 1978, n° 77-10.152 ; 3 mars 2011, n° 09-69.658, D. 2011. 2694, obs. F. G. Trébulle ). C’est le cas en l’espèce, car il est impossible d’admettre que le propriétaire avait véritablement le contrôle, l’usage et la direction de l’arme alors qu’elle se trouvait dans les mains d’un autre. Les faits de l’espèce montrent, par ailleurs, que la victime s’est emparée du revolver sans l’autorisation de son propriétaire, à son insu, et s’est blessée toute seule. Cet arrêt rend très difficile la possibilité de retenir un transfert matériel de la garde. Il doit être placé dans le contexte d’une décision rendue peu de temps après une autre ayant refusé, elle aussi, d’admettre le transfert de la garde sur le fondement de la responsabilité du fait de l’animal (Civ. 2e, 16 juill. 2020, n° 19-14.678, D. 2020. 1704 , note B. Waltz-Teracol ).
Cet arrêt est critiquable en ce qu’il fait peser sur le propriétaire une sorte d’obligation générale de surveillance sur son patrimoine. La décision est rendue, inévitablement, au regard de la nature particulière des faits et notamment au regard de la dangerosité de la chose à l’origine du dommage. Cependant, mal utilisé, un pistolet de défense n’est pas moins dangereux qu’une brique ou une lampe dans les mains d’une personne maladroite. Le propriétaire doit-il veiller et être tenu à la bonne utilisation de tous ses biens alors même que ces derniers ont été empruntés ou, demain, subtilisés ? L’arrêt admet que l’enfant a eu l’usage de l’arme mais ne pouvait en avoir le contrôle et la direction. Pourtant celui qui use de la chose ne peut être que celui qui en a la disposition matérielle. La décision a, en sus, pour conséquence de faire resurgir la faute au sein du régime de responsabilité du fait des choses, car il n’est finalement rien reproché d’autre, au couple, que d’avoir commis une faute de négligence. C’est le sens de l’arrêt quand il fait décision aux « conditions dans lesquelles l’arme était entreposée [qui] ont permis son appréhension matérielle par l’enfant ». À travers les critères de la direction et du contrôle, la faute réapparaît. Toutefois, sur ce point, la responsabilité du fait des choses a souvent été regardée comme une responsabilité pour faute dans la garde…
Le problème de l’âge de la victime. L’âge de la victime entre indéniablement en compte dans la décision prise. La Cour de cassation ne s’en cache pas : « De ses constatations et énonciations, faisant ressortir que l’enfant, âgé de onze ans, ne pouvait être considéré comme ayant acquis les pouvoirs de direction et de contrôle sur l’arme dont il avait fait usage ». Ainsi formulée, il pourrait être avancé qu’un enfant de onze ans n’est jamais en mesure d’acquérir les pouvoirs de direction et de contrôle pour des choses dangereuses. Il ne faudrait pas qu’en généralisant la solution, un enfant ne puisse plus être considéré comme gardien d’une chose. Il faut sans doute plus voir ici une solution d’opportunité qu’un infléchissement de la solution portée par l’arrêt de l’Assemblée plénière du 9 mai 1984 – Derguini – ? Faudrait-il, cependant, admettre que la qualité de mineur est incompatible avec celle de gardien tout comme cette dernière l’est avec la qualité de préposé dans la responsabilité des commettants ? La publicité conférée à cette décision (F-P+B+I) suppose en tout cas un durcissement de l’appréciation de la conception matérielle de la garde.
Il a, pourtant, déjà existé des décisions refusant le transfert de garde à un enfant. Dans un arrêt du 24 mai 1989, la Cour de cassation avait souscrit à l’analyse de juges du fond qui avaient déclaré responsables, sur le fondement de la responsabilité du fait des choses, des grands-parents dont le petit-fils avait décroché sans autorisation un fusil de guerre armé dans la cave de leur maison et blessé accidentellement son frère (Civ. 2e, 24 mai 1989, n° 88-12.558). Le raisonnement opéré était très semblable à celui de de notre espèce puisque, pour juger que les grands-parents étaient restés gardien de la chose, la Cour de cassation avait repris le passage de l’arrêt d’appel qui énonçait que : « cette appréhension matérielle de l’arme par Dominique D… rendue possible par sa position accessible dans une pièce où était rangée la canne à pêche des enfants, ne lui conférait pas les pouvoirs de contrôle et de surveillance sur l’arme ». Dans l’arrêt du 26 novembre 2020, l’expression « appréhension matérielle » est reprise : « les conditions dans lesquelles l’arme était entreposée ont permis son appréhension matérielle par l’enfant ». Il faut toutefois noter que l’arrêt du 24 mai 1989 est un inédit quand celui du 26 novembre 2020 fait l’objet d’une large publication. Au moins un autre arrêt avait quant à lui, admis le transfert de la garde de fusées contre la grêle à un enfant de treize qui se blessa en les utilisant (Civ. 2e, 17 oct. 1990, n° 89-17.008, RTD civ. 1991. 345, obs. P. Jourdain ) et ce dernier était publié. Les remarques d’une partie de la doctrine ne sont sans doute pas pour rien dans la prise en compte de l’âge du civilement responsable. Certains auteurs considérant qu’il n’est sans doute pas opportun de conférer la qualité de gardien à des enfants sans discernement (V. not., P. Brun, op. cit., n° 260-47). Mais si la qualité de gardien devient incompatible avec le jeune âge de l’enfant, quel seuil d’âge retiendra la Cour de cassation ? On peut aussi se demander si le jeune enfant demeurera responsable sur le fondement de l’article 1240 du code civil.
L’arrêt laisse en tout cas préfigurer l’émergence d’une jurisprudence propre aux choses dangereuses sous la garde d’adultes qui devront être extrêmement vigilants. Cela conduira à une prise en compte plus systématique de la capacité des gardiens à prévenir la survenance du dommage, lorsqu’ils ont en leur possession des biens dangereux, ce qui constituera un critère déterminant pour juger du transfert de la garde. Pour s’exonérer, le propriétaire devra donc prouver qu’il a bien pris toutes les mesures nécessaires propres à éviter que n’importe qui puisse se blesser ou heurter son entourage. Cela peut consister dans la fourniture d’informations précises sur le fonctionnement de la chose par exemple.
Le lecteur juriste ou non s’étonnera en tout cas de l’absence d’un partage de responsabilité. Le régime de la responsabilité du fait des choses offre tout de même la possibilité au gardien de s’exonérer en partie en montrant que la victime a commis une faute ayant contribué à son dommage. Cette cause d’exonération aurait pu alléger le sentiment de sévérité à l’encontre des propriétaires que l’on peut éprouver en lisant l’arrêt. À la lecture des autres banches du moyen et de l’arrêt d’appel, cette absence semble imputable aux conseils des parties.