Le débiteur ne peut faire appel d’un jugement rejetant le report de la date de cessation des paiements

La fixation de la date de cessation des paiements est un enjeu important de toutes procédures de redressement ou de liquidation judiciaires. D’une part, elle permet de cerner l’étendue de ce que l’on nomme la « période suspecte », mais également, d’autre part, de servir de point de référence en matière de sanctions des dirigeants d’une société débitrice (Com. 4 nov. 2014, n° 13-23.070, D. 2014. 2238, obs. A. Lienhard image ; Rev. sociétés 2014. 751, obs. L. C. Henry image).

Théoriquement, cette date doit être fixée au sein du jugement d’ouverture de la procédure à celle à laquelle le débiteur ne pouvait plus faire face à son passif exigible avec son actif disponible (Com. 7 févr. 2012, n° 11-11.347 P, D. 2012. 496 image). Or, dans ces conditions, nous mesurons à quel point elle peut être difficile à déterminer, car les paiements ont pu être interrompus pour une période, puis repris, puis de nouveau interrompus… Aussi et à défaut, le code de commerce prévoit que la cessation des paiements peut être fixée au jour du jugement d’ouverture de la procédure collective (C. com., art. L. 631-8 pour le redressement judiciaire et art. L. 641-1, IV, pour la liquidation judiciaire).

Suivant la même logique et pour pallier les difficultés inhérentes à la détermination de cette date, il est également possible, en cours de procédure, pour le tribunal, de modifier la date de cessation des paiements initialement fixée pour la reporter une ou plusieurs fois. Mais, en raison de ses grandes incidences sur la situation du débiteur et des créanciers, le report de la date de cessation des paiements est strictement encadré par les dispositions de l’article L. 631-8 du code de commerce applicable en liquidation judiciaire par le renvoi de l’article L. 641-5.

Si cette action est strictement encadrée par les textes précités, c’est que seuls l’administrateur, le mandataire judiciaire ou le liquidateur et le ministère public ont qualité pour agir en report de la date de cessation des paiements (C. com., art. L. 631-8). De cette liste limitative, il a été déduit que le débiteur ne pouvait agir à titre principal pour faire fixer cette date (Com. 7 déc. 1999, n° 97-16.491 P, D. 2000. 58 image, obs. A. Lienhard image ; RTD com. 2000. 186, obs. G. Paisant image ; 1er déc. 2015, n° 14-15.306 NP).

Cependant, il n’est toutefois pas entièrement démuni, dans la mesure où la jurisprudence lui a reconnu le droit de se défendre à cette action, ce qui implique, d’une part, qu’il soit entendu ou dûment convoqué à l’instance, et d’autre part, qu’il puisse faire appel ou former un pourvoi en cassation à l’encontre de la décision de report (Com. 1er févr. 2000, n° 97-18.480 NP ; 19 mai 2015, n° 14-14.258 NP).

L’arrêt sous commentaire vient affiner ce principe.

Il permet de répondre à la question de savoir si la mise en œuvre du droit propre du débiteur – c’est-à-dire sa qualité pour exercer un recours – dépend du fait que le jugement ait accueilli ou non la demande de report de la date de cessation des paiements.

Les faits de l’arrêt

En l’espèce, une société a été mise en redressement judiciaire par un jugement du 2 décembre 2014 au sein duquel la date de cessation des paiements était fixée au 31 décembre 2013. Par la suite, l’administrateur judiciaire désigné dans le dossier a assigné la société débitrice, ainsi que ses anciens dirigeants, en report de la date de cessation des paiements au 2 juin 2013. Or, le 24 avril 2015, la procédure a été convertie en liquidation judiciaire ; le liquidateur reprenant à son compte l’assignation en report de la date de cessation des paiements.

Le 15 avril 2016, l’un des anciens dirigeants de la société débitrice a appelé en intervention forcée à l’instance en report, le commissaire aux comptes, l’expert-comptable, ainsi que le mandataire ad hoc de la société débitrice – qui avait également été son conciliateur – afin que le jugement leur soit déclaré opposable. La jonction des procédures a été ordonnée.

Par...

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Fins de non-recevoir tirées des demandes nouvelles et de la concentration des prétentions au fond, c’est la Cour qui reçoit !

Le 6 juillet 2022, un conseiller de la mise en état de la cour d’appel de Paris présente une demande d’avis sur l’application stricte de l’article 914 du code de procédure civile qui définit ses compétences, sa compétence à statuer sur la recevabilité des demandes nouvelles en cause d’appel (C. pr. civ., art. 564) et des prétentions au fond présentées postérieurement à la remise des conclusions dans les délais imposés (C. pr. civ., art. 910-4). Pour paraître isolée, la démarche n’était pas celle d’un seul, elle était celle de tous. Depuis 2020, doctrine, avocats et magistrats étaient partagés sur la compétence à statuer sur ces deux fins de non-recevoir habituelles en appel. C’est l’une de ses vertus que de mettre fin aux divisions, la Cour de cassation livre un avis empreint d’une motivation très affirmative :

« 3. L’article 789, 6°, du code de procédure civile, modifié par le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, dispose que “Lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour statuer sur les fins de non-recevoir.”

4. Par renvoi de l’article 907 du code de procédure civile, ce texte est applicable devant le conseiller de la mise en état, sans que l’article 914 du même code n’en restreigne l’étendue.

5. En premier lieu, ainsi qu’il l’a été rappelé dans l’avis rendu par la deuxième chambre civile le 3 juin 2021 (n° 21-70.006, Dalloz actualité, 18 juin 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2021. 1139 image ; ibid. 2272, obs. T. Clay image ; ibid. 2022. 625, obs. N. Fricero image), publié, le conseiller de la mise en état est un magistrat de la cour d’appel chargé de l’instruction de l’appel. Conformément à l’article L. 311-1 du code de l’organisation judiciaire, la cour d’appel est, quant à elle, compétente pour connaître des décisions rendues en premier ressort et statuer souverainement sur le fond des affaires.

6. Il en résulte que la cour d’appel est compétente pour statuer sur des fins de non-recevoir relevant de l’appel, celles touchant à la procédure d’appel étant de la compétence du conseiller de la mise en état. Or l’examen des fins de non-recevoir édictées aux articles 564 et 910-4 du code de procédure civile, relatives pour la première à l’interdiction de soumettre des prétentions nouvelles en appel et pour la seconde à l’obligation de présenter dès les premières conclusions l’ensemble des prétentions sur le fond relatives aux conclusions, relève de l’appel et non de la procédure d’appel.

7. En second lieu, l’examen de ces fins de non-recevoir implique que les parties n’aient plus la possibilité de déposer de nouvelles conclusions après l’examen par le juge de ces fins de non-recevoir. Il importe, en effet, dans le souci d’une bonne administration de la justice, d’éviter que de nouvelles fins de non-recevoir soient invoquées au fur à mesure du dépôt de nouvelles conclusions et de permettre au juge d’apprécier si ces fins de non-recevoir n’ont pas été régularisées. Or, en matière de procédure ordinaire avec représentation obligatoire, conformément à l’article 783 du code de procédure civile, auquel renvoie l’article 907 du même code pour la procédure d’appel, les parties peuvent déposer des conclusions jusqu’à l’ordonnance de clôture, toutes conclusions déposées postérieurement étant irrecevables.

8. Dès lors, seule la cour d’appel est compétente pour connaître des fins de non-recevoir tirées des articles 564 et 910-4 du code de procédure civile ».

Apeirogon

Devant le nombre inépuisable de scenarii, l’avocat qui s’interroge sur la compétence à statuer sur la recevabilité de la demande nouvelle en cause d’appel se trouve, au risque d’en perdre la face, confronté à la réalité d’un Rubik’s cube. Quelles sont les données du problème ? En terme statistique, par mesure empirique, on peut avancer qu’un conseiller de la mise en état sur deux s’estime compétent pour statuer sur les demandes nouvelles en cause d’appel. Au sein d’une même cour, selon que l’avocat frappe à telle ou telle porte d’un conseiller (en procédure civile l’avocat n’a jamais la clé de la chambre de son choix), la réponse est ou blanche ou...

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Point de départ d’une astreinte : incidence de la régularité de la signification de la décision

L’astreinte est une mesure comminatoire de nature judiciaire qui permet d’exercer une pression financière sur le débiteur afin qu’il procède à l’exécution de la décision de justice exécutoire prononcée à son encontre (C. pr. exéc., art. L./R. 131-1 s.). Sauf à demeurer une simple menace, l’astreinte ainsi prononcée doit être liquidée par un juge, dans le respect des dispositions du code des procédures civiles d’exécution.

Conformément au premier alinéa de l’article R. 131-1 du code des procédures civiles d’exécution, cette mesure prend effet à la date fixée par le juge qui l’a prononcée, laquelle ne peut être antérieure au jour où la décision portant obligation est devenue exécutoire. Les utiles précisions apportées par ce texte n’épuisent cependant pas la problématique relative à l’identification de la date de prise d’effet de l’astreinte, notamment lorsque la décision exécutoire ordonnant cette mesure n’en a pas fixé le point de départ. À cet égard, la Cour de cassation s’est déjà prononcée en indiquant que, dans une telle...

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Constitutionnalisation de l’IVG : le Sénat mi-hâtif, mi-hésitant

L’arrêt Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization de la Cour suprême, qui est revenu sur Roe v. Wade a été un choc aux États-Unis. Un choc qui a eu des résonances de l’autre côté de l’Atlantique. Si le Conseil constitutionnel a toujours jugé conforme à la Constitution les lois IVG, il n’a pour autant jamais constitutionnalisé ce droit. Comme pour d’autres grands débats de société, il veille à ne pas s’immiscer dans les compétences du législateur.

À la suite de la décision américaine, plusieurs parlementaires ont annoncé vouloir constitutionnaliser ce droit. Le gouvernement a annoncé y être favorable. À l’Assemblée nationale, la présidente du groupe Insoumis, Mathilde Panot a déposé un texte, suivie par celle du groupe Renaissance Aurore Bergé. Les deux textes seront successivement étudiés d’ici la fin de l’année.

Le verrou du Sénat

Mais le verrou d’une réforme constitutionnelle se situe souvent au Sénat. Cela fait quatorze ans que notre Constitution n’a plus été modifiée : c’est la plus longue période sans révision de l’histoire de la Ve République. Plusieurs tentatives ont échoué au palais de Luxembourg, où la majorité n’est pas alignée sur celle de l’Assemblée. Par ailleurs, le Sénat reste la place forte de la droite, plus conservatrice sur les questions de société. Les sénateurs étaient d’ailleurs hostiles à la loi adoptée en...

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Les procédures orales et les faits compris dans le débat

Même si, depuis l’entrée en vigueur de l’article 51 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, l’avocat doit conclure, par écrit, avec son client, une convention d’honoraires (L. 31 déc. 1971, art. 10), le défaut de signature d’une convention, même en dehors des cas où cela est exceptionnellement prévu, ne prive pas l’auxiliaire de justice du droit de percevoir des honoraires pour ses diligences (Civ. 2e, 6 févr. 2020, n° 18-20.115 NP ; 21 nov. 2019, n° 17-26.856 NP, D. 2021. 104, obs. T. Wickers image; 4 juill. 2019, n° 18-18.787 NP ; 7 févr. 2019, n° 18-13.396 NP ; 14 juin 2018, n° 17-19.709 P, Dalloz actualité, 20 juin 2018, obs. J.-D. Pellier ; D. 2018. 1317 image ; ibid. 2048, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle image ; ibid. 2019. 91, obs. T. Wickers image ; AJ fam. 2018. 607, obs. S. Thouret image) ; les honoraires sont alors fixés, conformément aux prescriptions de l’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, c’est-à-dire en tenant compte, selon les usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci.

Lorsque la facture du professionnel est contestée, le premier président de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence semble avoir pour habitude, en l’absence de convention d’honoraires applicable, d’appliquer le taux horaire moyen de 200 euros hors taxe, pratiqué par les avocats dans le ressort de la cour d’appel (v. déjà Aix-en-Provence [1er prés.], 8 oct. 2019, n° 18/08640) ; ce n’est pas le seul (v. par ex. Rouen [1er prés.], 6 sept. 2022, n° 21/03534 ; 3 mai 2022, n° 21/04529). Mais encore faut-il alors respecter les principes directeurs du procès civil. Dans deux arrêts rendus le 6 octobre 2022, la Cour de cassation a censuré les ordonnances rendues par le premier président de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence au visa de l’article 7 du code de procédure civile, qui interdit au juge de se fonder sur un fait qui n’est pas dans le débat, dès lors que le premier président avait relevé que les parties avaient repris oralement à l’audience les termes de leurs écritures et qu’il ne résultait ni de ces écritures ni des pièces de la procédure que le taux horaire moyen pratiqué par les avocats dans le ressort de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence est de 200 € HT. Ce qui est en cause n’est pas la légitimité de la pratique consistant à fixer un honoraire selon le taux moyen pratiqué au sein du ressort de la cour d’appel, mais la méthode suivie : même si la procédure est orale, il faut que les éléments factuels sur lesquels le juge fonde sa décision soient compris...

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Les conditions requises pour figurer sur la liste des médiateurs

par Nicolas Hoffschir, maître de conférences à l'Université d'Orléansle 21 octobre 2022

Civ. 2e, 6 oct. 2022, F-B, n° 00-60.088

Nul n’ignore que, dans le ressort de chaque cour d’appel, est dressée une liste de médiateurs. Si cette liste est établie pour la simple « information des juges » (L. n° 95-125 du 8 févr. 1995, art. 22-1 A), les médiateurs y voient légitimement un moyen utile et commode de se faire connaître, d’où l’émergence d’un contentieux relatif à l’inscription sur ce document. L’article 2 du décret n° 2017-1457 du 9 octobre 2017 relatif à la liste des médiateurs auprès de la cour d’appel indique qu’une personne physique ne peut être inscrite sur la liste des médiateurs près la cour d’appel que si elle réunit un certain nombre de conditions. S’il appartient aux assemblées générales des magistrats du siège de chaque cour d’appel de dresser une liste des médiateurs, la Cour de cassation peut toujours être saisie d’un recours qui, parce qu’il est dirigé à l’encontre d’une simple décision de refus d’inscription ou de radiation (Décr. n° 2017-1457 du 9 oct. 2017, art. 9), ne peut vraisemblablement pas être qualifié de pourvoi en cassation (comp. Civ. 2e, 21 sept. 2006, n° 05-21.978 P). C’est à l’occasion d’un tel recours, exercé à...

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Clauses abusives : conditions alternatives ou cumulatives ?

L’actualité des questions préjudicielles autour des clauses abusives reste, comme à l’accoutumée, particulièrement importante ces dernières semaines. Nous avons vu, dans cette optique, que la Cour de justice de l’Union européenne a pu se pencher sur les dépens engagés par le consommateur dans le cadre d’une action contre ces types de clauses (CJUE 22 sept. 2022, aff. C-215/21, Dalloz actualité, 30 sept. 2022, obs. C. Hélaine) mais également sur la question particulière stimulante des conventions d’honoraires d’avocats recelant parfois des déséquilibres significatifs (CJUE 22 sept. 2022, aff. C-335/21, Dalloz actualité, 3 oct. 2022, obs. C. Hélaine). C’est dans ce contexte de forte activité jurisprudentielle en réponse aux renvois préjudiciels des États membres que nous nous intéressons à l’arrêt Nova Kreditna Banka Maribor rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 13 octobre 2022. L’interrogation posée concerne le droit slovène mais, à dire vrai, il touche une véritable question de fond qui intéressera tous les praticiens de droit de la consommation notamment quand un droit interne pousse la protection au-delà du curseur imposé par la directive. Rappelons les faits pour nous en convaincre. Le 19 septembre 2007, une personne physique et un établissement bancaire concluent un contrat de crédit. L’emprunteur meurt peu de temps plus tard si bien que c’est sa fille qui s’engage à rembourser le solde restant dû le 21 juillet 2014 (dans l’arrêt, est évoqué un « contrat d’adhésion à la dette »). Il fallait donc, pour l’héritière, rembourser la somme de 149 220 francs suisses (soit 89 568 € environ) à régler dans un délai de 240 mois. Mais voici où le bât blesse : le taux de change applicable n’était pas renseigné dans ce second contrat mais l’article 12 prévoyait, quant à lui, que le risque de change était assumé entièrement par l’emprunteur, du moins par sa fille reprenant la dette à son compte. Le 9 avril 2018, la nouvelle débitrice a introduit un recours devant l’Okrožno sodišče v Mariboru (le tribunal régional de Maribor en Slovénie) afin de solliciter la nullité du contrat de crédit en arguant notamment du changement brutal du taux de change entre l’euro et le franc suisse. La juridiction de première instance la déboute et cette dernière interjette appel devant le Višje sodišče v Mariboru (cour d’appel de Maribor, en Slovénie). La cour d’appel s’interroge car le droit slovène s’écarte sur la protection des clauses abusives de la directive 93/13. Elle fait valoir que, dans la législation interne concernée, elle n’a pas à s’interroger si la banque défenderesse a agi de...

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Le « Portail QPC » se prépare pour son lancement

On sait que l’open-data des décisions de justice est au cœur d’une actualité brûlante ces dernières semaines. À la fin du printemps dernier, nous commentions dans ces colonnes le très imposant rapport de la Cour de cassation « Diffusion des données décisionnelles et la jurisprudence » (« Quelle jurisprudence à l’ère des données judiciaires ouvertes ? », Dalloz actualité, 20 juin 2022, comm. C. Hélaine) dans lequel des constats importants étaient dressés sur la diffusion des décisions de justice de l’ordre judiciaire rendues par les juridictions du fond. Les principales questions soulevées intéressaient non seulement la pratique mais également la doctrine puisqu’avec la publication de telles décisions sur internet s’accompagnent de nouvelles difficultés sur le sens même de la jurisprudence. Mais il existe une thématique connexte plus discrète, celle de l’environnement des décisions QPC, à savoir les décisions de transmission ou de non-transmission prises sur le fondement de l’article 23-2 ou de l’article 23-4 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 dont l’introduction est due à la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009. Actuellement, la Cour de cassation et le Conseil d’État disposent d’outils précis et efficaces pour assurer la publication des décisions de leur propre filtrage menant ou non à une saisine du Conseil constitutionnel. Dans ses vœux adressés au président de la République le 6 janvier 2022, le président du Conseil Constitutionnel a résumé les données du problème et la solution apportée ainsi :

« Une troisième évolution interviendra, fin 2022, de nature technique mais importante elle aussi. La QPC occupe désormais une place de choix dans l’équilibre institutionnel et le fonctionnement du Conseil. Or, autant notre connaissance est complète concernant les QPC qui parviennent jusqu’au filtre du Conseil d’État et de la Cour de cassation, autant il n’existe aucun recensement des QPC qui ne parviennent pas dans l’ordre judiciaire jusqu’à la juridiction filtre. En clair, on connaît le somment de la pyramide des QPC, pas sa base. C’est une lacune pour les justiciables, pour les professionnels du droit et pour l’œuvre de justice. C’est pourquoi, grâce à un travail considérable, un portail numérique sera mis en place avant la fin 2022 sur le site du Conseil qui recensera désormais le flux et le sort de toutes les QPC déposées. »

Nous soulignons à dessein les passages qui nous...

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Réforme de l’adoption : premières vues sur l’ordonnance n° 2022-1292 du 5 octobre 2022 - la forme au service du fond

Origines

Comme chacun s’en souvient, l’article 18 de la loi de février 2022 avait surpris par son contenu, en habilitant le gouvernement – l’encre de la loi à peine sèche – « à prendre par voie d’ordonnance, dans un délai de huit mois […], toute mesure relevant du domaine de la loi visant à modifier les dispositions du Code civil et du code de l’action sociale et des familles en matière d’adoption, de déclaration judiciaire de délaissement parental, de tutelle des pupilles de l’État et de tutelle des mineurs, dans le but : 1° De tirer les conséquences, sur l’organisation formelle du titre VIII du livre Ier du code civil, de la revalorisation de l’adoption simple réalisée par la présente loi et de la spécificité de l’adoption de l’enfant de l’autre membre du couple ; [et] 2° D’harmoniser ces dispositions sur un plan sémantique [et] assurer une meilleure coordination entre elles »5. Autrement dit, et certainement conscients de l’inachèvement de leur œuvre, les députés avaient donc « habilité le gouvernement à moderniser, sans changement des règles de fond, la structuration du titre VIII du livre Ier du code civil [et à] coordonner et à harmoniser les dispositions [de ce code avec celles] du code de l’action sociale et des familles »6 ; et ce dans le dessein de corriger les errements d’un recours regrettable à une procédure accélérée, à l’origine de malfaçons de la loi.

Originalité

À l’arrivée, l’ordonnance propose donc, comme le précise le rapport, « une refonte purement formelle et à droit constant »7 des dispositions relatives à l’adoption. Point de nouveauté de fond, mais des nouveautés de forme qui, selon le garde des Sceaux, faciliteront le travail des praticiens en leur permettant de prendre connaissance du régime juridique des différentes formes d’adoptions de manière plus simple et plus claire8. Et l’on avouera partager ce point de vue, tant l’ordonnance améliore la lettre et l’esprit du titre VIII du livre Ier du code civil, et peut-être même le fond.

L’esprit

Un nouveau plan

S’inscrivant dans la droite ligne de l’habilitation donnée au gouvernement de réagencer « l’organisation formelle du titre VIII du livre Ier du code civil », l’ordonnance livre sur ce point un nouveau plan, à la fois plus clair et plus cohérent et, finalement, tout à fait pertinent.

En premier lieu, l’ancienne division tripartite du titre VIII, opposant l’adoption plénière (chap. Ier), l’adoption simple (chap. II) et les conflits de lois et l’effet en France des adoptions prononcées à l’étranger (chap. III), est délaissée au profit d’une nouvelle division chronologique et thématique de ces subdivisions.

Chronologiquement, d’une part, les trois premiers chapitres du titre VIII traitent désormais des conditions requises pour l’adoption (chap. Ier), de la procédure et du jugement d’adoption (chap. II) et des effets de l’adoption (chap. III), suivant en cela les étapes du processus d’adoption (sur le modèle, d’ailleurs, de l’ancien chap. Ier). Dans le détail, le nouveau chapitre Ier traite tour à tour de l’adoptant (sect. 1), de l’adopté (sect. 2), des rapports entre l’adoptant et l’adopté (sect. 3) et du consentement à l’adoption (sect. 4), dans une succession de textes opportunément repensée. Le chapitre 2 s’intéresse ensuite, et sur le même modèle, au placement en vue de l’adoption (sect. 1), à l’agrément (sect. 2) et au jugement d’adoption (sect. 3). Quant au chapitre III, celui-ci oppose, quant aux effets de l’adoption, les dispositions communes aux deux formes d’adoption (sect. 1), celles propres à l’adoption plénière (sect. 2) et celles propres à l’adoption simple (sect. 3). Comme le relève le garde des Sceaux, « le régime de l’adoption simple fait [donc] l’objet de dispositions propres, alors que le code civil procédait jusque-là par simple renvoi aux dispositions applicables à l’adoption plénière »9, ce dont chacun se félicitera.

Thématiquement, d’autre part, deux chapitres traitant de deux cas particuliers succèdent ensuite à ces trois premiers chapitres épousant le processus d’adoption : le chapitre IV relatif à l’adoption de l’enfant de l’autre membre du couple, dont les dispositions sont désormais réunies dans une seule et même subdivision, selon les vœux de l’article 18 de la loi du 22 février 2022 ; et le chapitre V relatif à l’adoption internationale, aux conflits de lois et à l’effet en France des adoptions prononcées à l’étranger, reprenant peu ou prou le contenu de l’ancien chapitre III de l’ancien titre VIII. L’intitulé de ce dernier chapitre se précise cependant par rapport à sa précédente version, dans la mesure où « l’adoption internationale » – dont une définition (discutée)10 est donnée – est désormais visée.

En définitive, ressort donc de ce nouveau plan, directement inspiré du rapport Théry-Leroyer11, une réelle impression de clarté et de cohérence, les améliorations résultant surtout de l’abandon de la méthode du renvoi pour l’adoption simple, grâce à la création d’un tronc commun à destination des deux formes d’adoption, mais aussi de la création de sections opportunément agencées et ciselées dans leurs intitulés, et de la création d’un chapitre consacré à l’adoption de l’enfant de l’autre membre du couple, seule apte à « traduire l’importance croissante de ce type d’adoption [correspondant] à plus de la moitié des adoptions prononcées en France »12, comme le relève là aussi le garde des Sceaux13. Mais au-delà de ce plan, l’ordre même des dispositions internes à ces différentes subdivisions gagne en intelligibilité, grâce à la création, au démembrement ou au remembrement de certains articles.

Un nouvel ordre

De façon fort opportune, l’ordonnance procède à plusieurs modifications d’articles du titre VIII du livre Ier du code civil, non seulement dans leur lettre (v. infra), mais aussi dans leur structuration.

Première illustration, celle de l’ancien article 360. Avant l’ordonnance, ce texte traitait à la fois de l’âge de l’adopté (al. 1er), des cas d’adoptions successives extraconjugales et intraconjugales (al. 2, 3), et de la nécessité du consentement de l’adopté à sa propre adoption au-delà de ses 13 ans (al. 4). En un seul et même texte, trois problématiques différentes étaient donc réunies sans réelle pertinence, ce que corrige catégoriquement l’ordonnance. L’ancien alinéa 1er est ainsi inséré dans nouvel article 345-1 limité à la condition d’âge de l’adopté ; l’ancien alinéa 2 dans un nouvel article 345-2 dédié aux cas d’adoptions successives ; l’ancien alinéa 3 dans le nouveau chapitre IV du titre VIII relatif à l’adoption de l’enfant de l’autre membre du couple (C. civ., art. 370-1-6 nouv.) ; et l’ancien alinéa 4 dans le nouvel article 349, alinéa 1er, codifié dans la section 4 du chapitre Ier du titre VIII, désormais dédié au consentement. La présentation gagne ainsi en rigueur, chaque texte traitant de chaque...

Les personnes morales ont-elles une vie privée ? Le Conseil d’État confirme sa position

Qu’est-ce qui fait le bois des grands arrêts ? Vaste question : parfois, il s’agit du revirement occasionné par la décision elle-même (par ex., Cass., ass. plén., 2 avr. 2021, n° 19-18.814 P+R, Dalloz actualité, 9 avr. 2021, obs. C. Hélaine ; D. 2021. 1164, et les obs. image, note B. Haftel image ; ibid. 1980, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon image ; AJ fam. 2021. 312, obs. J. Houssier image ; RTD civ. 2021. 607, obs. P. Deumier image), mais plus rarement, c’est l’opposition entre les chambres ou entre les différents ordres de juridiction qui participe à une telle qualification. Tel est le cas de l’arrêt Association Anticor rendu par le Conseil d’État statuant au contentieux le 7 octobre 2022. La thématique est connue, il s’agit de la protection de la vie privée et, plus généralement, des droits de la personnalité que l’on peut reconnaître aux personnes morales (Rép. civ., v° Droits de la personnalité, par A. Lepage, nos 175 s.). La trame générale de la décision concerne les comptes annuels d’une fondation d’entreprise n’ayant reçu aucune subvention publique. Peut-on attendre de l’administration qu’elle communique de tels comptes à la simple demande d’un tiers étranger au fonctionnement de l’entité ? Voici tout l’enjeu de la question au cœur de cet important arrêt qui sera, sans doute, très commenté dans les prochaines semaines et dans les prochains mois. À l’origine du pourvoi, on retrouve la célèbre association de lutte contre la corruption Anticor. Cette dernière avait demandé au tribunal administratif de Paris d’ordonner au préfet de Paris et de région Île-de-France de lui communiquer certains comptes annuels de la maison Louis Vuitton. Cette maison a pour cadre juridique la qualification de fondation d’entreprise. Le tribunal administratif refuse une telle demande en jugeant que la Fondation n’avait reçu aucune subvention publique et donc qu’aucun texte ne permettait une telle communication à un tiers (TA Paris, 17 juin 2020, n° 1910687/5-3). L’association de lutte contre la corruption se pourvoit donc et revient armée devant le Conseil d’État d’un solide mémoire pour démontrer qu’une telle communication était tout à fait légitime. L’association Anticor demandait d’annuler le jugement du 17 juin 2020 et de régler l’affaire au fond pour faire droit à sa demande de transmission de ces comptes annuels concernant les exercices 2016 et 2017 de la Fondation Louis Vuitton. L’arrêt rendu le 7 octobre 2022 peut se targuer d’être important en raison de la communication que le Conseil d’État lui accorde : non seulement le site internet de l’institution lui réserve un billet particulièrement long, mais également, chose plus rare, un communiqué de presse de deux pages résumant la solution pour le grand public.

Tout l’enjeu de la question reposait sur l’interprétation de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration et de sa combinaison notamment avec les articles L. 311-6 et L. 311-7 du même code. En somme, quand ces articles interdisent la communication, à une autre personne qu’à l’intéressé, des documents administratifs transmis, le texte parle-t-il également des personnes morales ? La question recoupe alors nécessairement le domaine précis de la protection des personnes morales, et ici de leur vie privée. On sait que, sur cette thématique, le Conseil d’État et la Cour de cassation ne partagent pas nécessairement les mêmes raisonnements (v. pour une étude approfondissant les différents points de vue, L. Dumoulin, Rev. sociétés 2006. 1 image).

Nous suivrons l’analyse du Conseil d’État dans son arrêt du 7 octobre 2022. La décision explore l’application aux personnes morales de droit privé des dispositions de l’article L. 311-6 tout en précisant le particularisme des comptes des fondations d’entreprise n’ayant reçu aucune subvention publique.

L’extension de la protection de la vie privée aux personnes morales confirmée par le Conseil d’État

Le considérant n° 3 vient approfondir une jurisprudence de 2013 du Conseil d’État (CE 17 avr. 2013, n° 344924, Ministre du...

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[PODCAST] Nouvelle loi de bioéthique - Épisode 8 : la voie s’ouvre aux embryons transgéniques et chimériques

Dans ce huitième épisode, Marie Mesnil, maîtresse de conférences en droit à l’université de Rennes 1, nous éclaire sur les embryons transgéniques et chimériques. La loi de bioéthique du 2 août 2021 lève l’interdiction de créer de tels embryons pour ne prohiber que la « modification d’un embryon humain par adjonction de cellules provenant d’autres espèces ».

Écouter le podcast

Voir déjà les épisodes 1, 2, 3, 4, 5, 6 et 7.

Sur la réforme de la loi bioéthique, v. aussi notre dossier « Réforme de la loi de bioéthique ».

Les délais courant à compter du prononcé du jugement et le droit au juge

Qu’un délai de recours ait pour point de départ le jour du prononcé de la décision est-il contraire aux exigences du droit à un procès équitable ?

Il peut arriver que la loi prévoie que le délai pour former un recours à l’encontre d’une décision coure non pas du jour de sa notification mais de celui de son prononcé (C. pr. civ., art. 528). Tel était le cas de l’appel de la décision rendue en matière de discipline des officiers publics ou ministériels : l’article 36 du décret n° 73-1202 du 28 décembre 1973 relatif au statut des officiers publics ou ministériels prévoyait ainsi, avant son abrogation par le décret n° 2022-900 du 17 juin 2022 relatif à la déontologie et à la discipline des officiers publics et ministériels, que le délai d’appel courait à l’égard de l’officier public ou ministériel du jour de la décision, quand celle-ci était rendue en présence de l’intéressé ou de son défenseur, ou, dans les autres cas, du jour de la notification qui lui en était faite.

Un notaire, dont l’appel dirigé à l’encontre du jugement prononçant à son égard diverses sanctions disciplinaires avait été déclaré irrecevable comme tardif, avait entrepris de faire valoir que le délai n’avait pu courir à son égard dès lors qu’il n’avait pas été informé à l’audience des voies et délais de recours et qu’il serait contraire au droit au juge qu’un délai de recours puisse courir sans qu’aient été délivrées de telles informations.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi. Elle a commencé par souligner que la disposition litigieuse poursuivait un but légitime de célérité de traitement des poursuites disciplinaires diligentées contre les officiers publics ou ministériels, en vue du prononcé d’un jugement dans un délai raisonnable ; elle a ajouté que l’absence d’information délivrée à l’intéressé quant aux voies et délais de recours applicables à la décision rendue en sa présence ne constituait pas une atteinte disproportionnée à son droit au juge dès lors qu’il était un professionnel du droit, officier public ou ministériel, en mesure d’accomplir les actes de la procédure d’appel dans les formes et délais requis.

La solution appartient à l’histoire car, depuis l’entrée en vigueur du décret n° 2022-900 du 17 juin 2022, le délai d’appel ne court plus qu’à compter de la notification de la décision à l’officier public ou ministériel. Mais les motifs de l’arrêt livrent quelques enseignements généraux qu’il n’est pas inutile de mentionner.

Un but légitime de célérité de la procédure

En énonçant que la fixation au jour du prononcé de la décision du point de départ du délai de recours poursuit un but légitime de célérité de la procédure, la Cour de cassation paraît admettre qu’un tel mécanisme porte, en lui-même, atteinte au droit au juge.

Indéniablement, un délai de recours ne saurait commencer à courir avant même que l’intéressé ait pu...

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Le secret professionnel de l’avocat et les droits de la défense d’une partie

L’application du secret professionnel de l’avocat a toujours soulevé des difficultés de mise en œuvre. Le dispositif, issu de l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, est bien connu : toutes les consultations adressées par l’avocat à son client, les correspondances échangées entre le client et son avocat, les notes d’entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel, sauf si elles portent la mention « officiel ». Entre un avocat et son client, les choses sont finalement assez simples. Le secret professionnel joue alors à sens unique : il pèse sur l’avocat, sauf si la production d’un document est nécessaire pour exercer sa défense, ce qui doit être apprécié strictement (Civ. 2e, 13 déc. 2018, n° 17-31.518 NP), sans égard pour la substance des informations contenues dans le document (Civ. 1re, 1er oct. 2014, n° 13-22.747 NP) ; en revanche, il ne s’applique pas au client que le secret vise justement à protéger (Com. 8 déc. 2015, n° 14-20.521 NP ; Civ. 1re, 30 mai 2013, n° 12-24.090 NP).

Le problème est que l’avocat et son client ne vivent pas en vase clos et sont, l’un comme l’autre, appelés à tisser des relations avec des tiers. Cette irruption d’un tiers dans une relation jusque-là binaire soulève une difficulté. Les correspondances échangées entre l’avocat et le tiers ne sont en principe pas couvertes par le secret professionnel, ce qui évite que tout document qui entre dans le bureau de l’avocat en ressorte, comme par magie, revêtu du sceau du secret professionnel (Civ. 1re, 22 sept. 2011, n° 10-21.219 P, D. 2011. 2979 image, note Y. Avril image). Un facteur de complexité supplémentaire apparaît lorsque ce tiers est lui-même avocat et, ainsi tenu au secret professionnel. L’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 prévoit que les correspondances échangées entre les avocats sont couvertes par le secret professionnel et cela oblige l’avocat à une vigilance de tous les instants car il ne peut pas utiliser à titre de preuve les correspondances que lui adressent ses confrères qui ne sont pas revêtues de la mention « officiel ». L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 29 septembre 2022 le rappelle une nouvelle fois.

Chacun sait que, lorsque la représentation était obligatoire devant la juridiction de première instance, la signification du jugement à une partie doit être précédée par sa notification à la personne qui la représentait (C. pr. civ., art. 678). S’apprêtant à faire signifier un jugement, un avocat s’était cru dispensé de cette formalité car son confrère, qui...

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Formalisme des conclusions d’appel : la discussion en discussion !

Discussion, du latin discussio, secousse, ébranlement. Ou lorsque l’étymologie révèle tout sens. Ou non-sens. Une société appelante se voit déboutée, selon un arrêt du 19 janvier 2021, de l’ensemble de ses demandes par la cour d’appel d’Amiens pour n’avoir pas exposé ses moyens dans une partie « Discussion ». Pour la cour, les conclusions de l’appelante « se limitent à présenter l’objet de la demande décliné d’abord en fait puis en droit » de sorte qu’il n’existe pas de discussion des prétentions et moyens. L’appelante forme un pourvoi contre l’arrêt en avançant qu’elle avait bien formulé plusieurs prétentions au dispositif de ses conclusions, qu’elle les discutait explicitement dans une partie intitulée « B. En droit » et que la cour ne pouvait dès lors refuser de répondre aux demandes qu’elle avait formulées. Pour casser et annuler en toutes ses dispositions l’arrêt et renvoyer les parties devant la cour d’appel de Douai, la deuxième chambre civile livre la réponse suivante :

« Vu l’article 954, alinéas 2 et 3, du code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 et l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis :
5. Aux termes du deuxième alinéa de ce texte, les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l’énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions et si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière distincte.
6. Le troisième alinéa de ce texte dispose que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.
7. Ces dispositions, qui imposent la présentation, dans les conclusions, des prétentions ainsi que des moyens soutenus à l’appui de ces prétentions, ont pour finalité de permettre, en introduisant une discussion, de les distinguer de l’exposé des faits et de la procédure, de l’énoncé des chefs de jugement critiqués et du dispositif récapitulant les prétentions. Elles tendent à assurer une clarté et une lisibilité des écritures des parties.
8. Elles n’exigent pas que les prétentions et les moyens contenus dans les conclusions d’appel figurent formellement sous un paragraphe intitulé « discussion ». Il importe que ces éléments apparaissent de manière claire et lisible dans le corps des conclusions.
9. Pour confirmer le jugement, l’arrêt retient que les conclusions de l’appelante ne comprenant aucune partie discussion au sens de l’article 954, alinéas 2 et 3, du code de procédure civile puisque qu’elles se limitent à présenter l’objet de la demande décliné d’abord en fait puis en droit, de sorte que la cour d’appel, qui n’a pas à répondre au moindre moyen invoqué dans une partie « Discussion », ne peut que confirmer le jugement, sans qu’il soit utile d’examiner la question de la recevabilité des moyens nouveaux opposée par les intimés.
10. En statuant ainsi, alors que les conclusions de l’appelante...

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Promesses de cession d’actions, engagement perpétuel et détermination du prix

Le salarié d’une filiale avait acquis 500 actions de la société mère du groupe par un acte du 10 juillet 2013. Il adhérait dans le même temps à un pacte d’actionnaires qui énonçait des promesses unilatérales croisées de vente et d’achat des titres des salariés en cas de départ de la société. En vertu de ce pacte, l’actionnaire salarié s’engageait, en cas de rupture du contrat de travail, à céder ses actions à une personne physique qui était désignée dans l’acte. Ce bénéficiaire s’engageait, de son côté, à acquérir les actions si l’option était levée. Il pouvait en outre se substituer à toute personne.

Quant au prix, le pacte distinguait deux régimes. L’article 6.1 prévoyait un prix pour les actions, qui était fixé selon des modalités particulières. En outre, en cas de licenciement du salarié, l’article 6.2 disposait que le prix fixé serait plafonné au prix d’achat si le salarié avait acquis les titres dans les vingt-quatre mois précédant la rupture.

Au cas présent, le salarié a été licencié le 5 février 2014, soit moins de vingt-quatre mois après l’acquisition des titres. Le bénéficiaire de l’option s’est substitué à la société mère qui, le 1er juin 2015, a exercé la promesse portant sur les 500 actions. Le salarié a cependant refusé le transfert des titres, ce qui lui a valu d’être assigné en exécution forcée du pacte.

Par un arrêt du 22 mai 2020, la cour d’appel de Paris a ordonné l’exécution forcée du contrat et le transfert des titres à la société mère. Formant un pourvoi en cassation, le salarié a fait valoir que la cour d’appel aurait dû juger que le pacte d’actionnaires était un engagement perpétuel sanctionné par la nullité. Par ailleurs, il a critiqué la cour d’appel en ce qu’elle n’aurait pas recherché si le prix énoncé dans le pacte était déterminé. La cour d’appel avait en effet jugé que, puisque le plafonnement devait trouver à s’appliquer en l’espèce, il n’était pas utile de rechercher si le prix de l’article 6.1 était suffisamment déterminable.

La Cour de cassation, dans un arrêt du 21 septembre 2022, a rejeté le moyen relatif à la prohibition des engagements perpétuels au motif que « [l]es engagements perpétuels ne sont pas sanctionnés par la nullité du contrat, mais chaque contractant peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable » (I). Elle a en revanche cassé partiellement l’arrêt quant à la détermination du prix en jugeant que la cour d’appel avait privé sa décision de base légale au regard de l’article 1134, devenu 1103, du code civil, en ne recherchant pas, « comme elle y était invitée, si le prix fixé par l’article 6.1 du pacte d’actionnaire, dont l’article 6.2 ne faisait que plafonner le montant dans certaines hypothèses, était déterminable ».

Ainsi, par cet arrêt, la Cour de cassation se prononce clairement sur la sanction des engagements perpétuels, même pour les contrats antérieurs à l’entrée en vigueur de la réforme du droit des contrats. En outre, elle pose que la fixation d’un plafond de prix, dont il n’est pas certain qu’il soit déterminable, n’est pas suffisante pour que la condition de détermination du prix soit remplie.

Les engagements perpétuels ne sont pas sanctionnés par la nullité

Il est un principe en droit français que les engagements perpétuels sont prohibés. Le nouvel article 1210 du code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le précise très clairement en son alinéa 1er. Par ailleurs, l’entrée en vigueur de la réforme du droit des contrats a permis de clarifier la sanction puisque, désormais, « [c]haque contractant peut y mettre fin dans les conditions prévues pour le contrat à durée indéterminée » (al. 2e). Ainsi, pour tous les contrats conclus postérieurement au 1er octobre 2016, il ne fait aucun doute que la sanction de la perpétuité est la possibilité pour le cocontractant d’y mettre fin « à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable » (art. 1211).

Le régime antérieur était beaucoup moins clair et la sanction était discutée en doctrine (B. Fages, Droit des obligations, 11e éd., LGDJ, 2021, § 345, p. 295 ; O. Deshayes, T. Genicon et Y.-M. Laithier, Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, 2e éd., LexisNexis, 2018, p. 505 ; Rép. civ., v° Contrat : effets, par G. Chantepie, nos 140-141 ; F. Chénedé, Le nouveau droit des obligations et des contrats, 2e éd., Dalloz, 2018, § 126.23, p. 130 ; R. Libchaber, Réflexions sur les engagements perpétuels et la durée des sociétés, Rev. soc. 1995. 437 image).

La Cour de cassation jugeait en effet traditionnellement qu’un contrat perpétuel était frappé de...

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L’ordonnance portant injonction de payer et la prescription des titres exécutoires

Voici un arrêt qui met en lumière la singularité de l’ordonnance portant injonction de payer tant que le débiteur dispose encore de la faculté de former une opposition.

Une ordonnance portant injonction de payer diverses sommes à un établissement bancaire a été rendue le 29 mai 2015. À l’initiative du créancier, l’ordonnance a été notifiée au débiteur ; mais, et cela a son importance, l’huissier ne parvenant pas à mettre la main sur le débiteur, celle-ci a été signifiée par dépôt en l’étude de l’officier public le 22 juin 2015. Parce qu’aucune opposition n’a été formée dans le mois suivant cette signification, la formule exécutoire a été apposée sur l’ordonnance en application de l’article 1422 du code de procédure civile dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2021-1322 du 11 octobre 2021 relatif à la procédure d’injonction de payer, aux décisions en matière de contestation des honoraires d’avocat et modifiant diverses dispositions de procédure civile.

Le temps a passé et, le 12 février 2019, l’ordonnance a été à nouveau signifiée à l’initiative de l’établissement bancaire, mais cette fois-ci, la signification a été faite à personne. Le 7 mars 2019, le débiteur a alors formé une opposition qui, rappelons-le, en l’absence de signification à personne de l’ordonnance portant injonction de payer, reste recevable jusqu’à l’expiration du délai d’un mois suivant le premier acte signifié à personne ou, à défaut, suivant la première mesure d’exécution ayant pour effet de rendre indisponibles, en tout ou partie, les biens du débiteur (C. pr. civ., art. 1416).

Le débiteur a alors eu beau jeu d’invoquer la prescription de la créance de l’établissement bancaire. Le tribunal judiciaire d’Annecy n’a cependant pas fait droit à ce moyen de défense et a estimé qu’en l’absence d’opposition dans le délai d’un mois, l’ordonnance produisait tous les effets d’un jugement contradictoire sans qu’il y ait lieu de la signifier à nouveau pour la rendre exécutoire, de sorte qu’il s’agissait d’un titre exécutoire soumis à la prescription décennale de l’article L. 111-4 du code des procédures civiles d’exécution ; grâce à cette interversion des délais de prescription, la créance de l’établissement bancaire était ainsi sauvée de l’écoulement du temps.

La Cour de cassation n’a pas partagé cette manière de voir les choses et a censuré le jugement annécien après avoir relevé d’office que « l’opposition régulièrement formée ayant pour effet de saisir le tribunal de la demande du créancier et de l’ensemble du litige sur lequel il est statué par un jugement qui se substitue à l’injonction de payer, les dispositions de l’article L. 111-4 du code des procédures civiles d’exécution, relatives au délai d’exécution des titres exécutoires, n’étaient pas applicables à la prescription de la créance de la banque ».

Appréciation de la solution

Cet arrêt révèle une tension interne au mécanisme de l’injonction de payer.

On comprend bien, d’un côté, que le créancier ne puisse pas attendre indéfiniment que le débiteur fasse opposition. En l’absence d’opposition dans le mois suivant sa notification, l’ordonnance portant injonction de payer devient exécutoire, même si l’huissier n’est pas parvenu à signifier l’acte à personne (Civ. 2e, 5 avr. 1993, n° 91-17.278 P. Comp. Civ. 2e, 6 déc. 1991, n° 90-15.606 P) et, dans le mois qui suit, la formule exécutoire pouvait être apposée sur l’ordonnance ; si le décret n° 2021-1322 du 11 octobre 2021 a prescrit que la formule soit immédiatement apposée sur l’ordonnance lorsqu’il est fait droit à la requête (C. pr. civ., art. 1410), cela ne change pas grand-chose. Car, avant comme après l’entrée en vigueur du décret, l’ordonnance revêtue de la formule exécutoire peut fonder diverses mesures d’exécution forcée dès lors qu’un mois est passé depuis sa signification (C. pr. civ., art. 1416, al. 2).

Mais, d’un autre côté, il faut assurer la protection du débiteur contre tout effet de cette ordonnance que le créancier a pu obtenir sans prendre la peine d’attraire son débiteur à la procédure. Les auteurs du décret n° 81-500 du 12 mai 1981 avaient à cet égard pris le soin d’énoncer que, en cas d’opposition, « le jugement du tribunal se substitue à l’ordonnance portant injonction de payer » (C. pr. civ., art. 1420), ce dont il découle que l’ordonnance ne peut donner lieu à confirmation (Civ. 3e, 17 déc. 2013, n° 12-25.366, inédit ; Com. 13 nov. 2012, n° 11-21.232, inédit ; Civ. 1re, 25 juin 2009, n° 08-18.363, inédit). Il est possible d’aller plus loin encore en avançant, comme a pu le faire la Cour de cassation dans un arrêt, que le seul l’exercice de l’opposition « suffit à mettre à néant l’ordonnance portant injonction de payer » (Civ. 3e, 9 juin 2016, n° 15-16.392, inédit, AJDI 2016. 691 image).

a) La difficulté apparaît lorsque l’ordonnance portant injonction de payer n’est pas signifiée à la personne même du débiteur. Même si on accepte d’assimiler cette ordonnance à un jugement (v. sur ce débat, P. Hébraud, Le recouvrement des petites créances commerciales, Procédures 1939. 80, n° 3-4), il faut convenir que cette décision individuelle n’a rien de...

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Vérification des créances et saisine du tribunal arbitral

Le cadre du litige

À l’occasion d’un contrat d’entreprise conclu entre une société française et une société éthiopienne, les parties avaient convenu en cas de litige de la compétence de la Cour internationale d’arbitrage instituée au sein de la Chambre de commerce international (CCI) établie à Genève.

La société française ayant décidé de résilier le contrat par anticipation, son cocontractant déposait en 2013 une demande d’arbitrage auprès du secrétariat de la CCI pour voir désigner un arbitre. Cette procédure était, semble-t-il, suspendue à la demande de la société française en vertu d’une autre clause du contrat. Quatre ans plus tard, la société française était admise au bénéfice du redressement judiciaire. Son cocontractant déclarait alors une créance d’indemnité de résiliation auprès du mandataire judiciaire, créance contestée par la société française. En 2018, le juge-commissaire rendait une ordonnance invitant la société créancière à saisir la juridiction compétente dans le délai d’un mois prévu par l’article R. 624-5 du code de commerce. L’ordonnance du juge-commissaire lui étant notifiée le 24 septembre 2018, la société créancière demandait le 10 octobre 2018 la reprise de la procédure d’arbitrage auprès du secrétariat de la CCI déjà saisie. Un arbitre devait être désigné le 28 novembre 2018.

L’instance arbitrale a été vraisemblablement suspendue, mais son sort n’est pas connu.

Dans le cadre de la procédure de vérification du passif, le juge-commissaire a alors prononcé, à la demande de la société débitrice et de son mandataire judiciaire, la forclusion de la société créancière et rejeté sa créance. La cour d’appel saisie a infirmé la décision en rejetant la demande de forclusion. Selon la société débitrice, le tribunal arbitral n’est saisi qu’à compter de sa constitution soit à partir de l’acceptation par l’arbitre ou les arbitres de leur mission, invoquant ici les dispositions du code de procédure civile relatives à l’arbitrage international.

La réponse de la Cour de cassation

La Cour de cassation balaye les moyens avancés et rejette le pourvoi de la société débitrice et du mandataire judiciaire. La position de la chambre commerciale est d’une grande clarté. Selon une disposition expresse du règlement d’arbitrage de la CCI, la partie demanderesse doit soumettre sa demande au secrétariat et la date de réception est considérée être celle de...

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Le régime matrimonial aux dépens de la prestation compensatoire

L’articulation du droit des régimes matrimoniaux et de la prestation compensatoire est une question désormais classique, que la Cour de cassation traite de manière assez simple : la prestation compensatoire s’apprécie indépendamment des droits que les époux tirent de leur régime matrimonial. Dans cet arrêt rendu le 21 septembre 2022, la première chambre civile de la Cour de cassation réaffirme cette position, qui a certes le mérite de faciliter le traitement du contentieux, mais dont la pertinence peut être sérieusement débattue.

Deux époux mariés en 1974 sans contrat de mariage ont divorcé aux torts exclusifs de l’époux au terme d’un jugement rendu le 9 juin 2016 qui a ordonné la liquidation et le partage de leurs intérêts patrimoniaux et fixé à 150 000 € le montant de la prestation compensatoire due par le mari. En appel, la décision est confirmée mais la prestation compensatoire est fixée à 250 000 € par un arrêt de la cour d’appel de Besançon. À la suite d’un premier pourvoi, l’arrêt d’appel est cassé, mais uniquement en ses dispositions relatives au montant de la prestation compensatoire (Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-18.574, AJ fam. 2019. 590, obs. G. Casey, J. Marquet, C. Rollett et A. Sebag image). Sur renvoi, la cour d’appel de Besançon autrement composée fixe la prestation compensatoire à 200 000 € sans prendre en compte le patrimoine dépendant de la communauté de biens ni statuer sur les dépens de la décision cassée.

L’époux succombant forme un nouveau pourvoi articulé en deux moyens. Le premier, relatif à la prestation compensatoire, est rejeté. Le second, qui concerne les dépens de la décision cassée est accueilli favorablement par la première chambre civile, qui casse l’arrêt d’appel sans renvoi puis évoque l’affaire au fond.

Prestation compensatoire et liquidation du régime matrimonial

Le premier moyen reprochait à la cour d’appel de renvoi ne n’avoir pas pris en compte la future liquidation de la communauté de biens entre époux pour déterminer le montant de la prestation compensatoire. Le demandeur au pourvoi estimait que la cour d’appel aurait dû rechercher si la liquidation du patrimoine commun n’était pas de nature à réduire sensiblement les besoins de l’épouse créancière de la prestation compensatoire. Les juges du fond auraient ainsi privé leur décision de base légale au regard de l’article 271 du code civil (§ 5).

Se posait donc une question assez classique : la liquidation à venir du régime matrimonial doit-elle être prise en compte pour la fixation de la prestation compensatoire ?

Sans grande surprise, le pourvoi est rejeté. La Cour de cassation s’abrite derrière le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond puis, au terme d’un contrôle lourd, les approuve d’avoir retenu « à bon droit » que « la liquidation du régime matrimonial des époux étant par définition égalitaire, il n’y a pas lieu de tenir compte de la part de communauté devant revenir » à la créancière pour apprécier la disparité créée par la rupture du lien conjugal dans les situations respectives des époux (§ 6).

La Cour de cassation entend ainsi réaffirmer une position déjà bien ancrée (Civ. 1re, 1er juill. 2009, n° 08-18.486 P, D. 2010. 1243, obs. G. Serra et L. Williatte-Pellitteri image ; AJ fam. 2009. 400, obs. S. David image ; Civ. 2e, 24 mai 1991, n° 90-12.224 P, RTD civ. 1992. 64, obs. J. Hauser image ; 14 janv....

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Gestation pour autrui, autorité parentale de la mère porteuse et adoption par le conjoint du père commanditaire

La prohibition des gestations pour autrui en droit français n’a pas été levée par la dernière loi bioéthique (L. n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique, v. Cons. const. 29 juill. 2021, n° 2021-821 DC, Dalloz actualité, 7 sept. 2021, obs. E. Supiot ; AJDA 2022. 42 image, note X. Bioy image ; ibid. 2021. 1658 image ; D. 2021. 1547, obs. C. const. image ; ibid. 2022. 872, obs. RÉGINE image ; ibid. 1228, obs. E. Debaets et N. Jacquinot image ; AJ fam. 2021. 448, obs. A. Dionisi-Peyrusse image ; RFDA 2021. 939, note J.-P. Camby image ; RTD civ. 2021. 867, obs. A.-M. Leroyer image). La loi de 2021 a même cherché à mettre un coup d’arrêt à la jurisprudence plutôt libérale de la Cour de cassation sur la transcription des actes de naissance étrangers (v. C. Bidaud, La force probante des actes de l’état civil étrangers modifiée par la loi bioéthique : du sens à donner à l’exigence de conformité des faits à la réalité « appréciée au regard de la loi française »…, RDIP 2022. 35 image).

Pourtant, la problématique de la situation d’enfants nés par de tels procédés à l’étranger ne cesse d’alimenter la jurisprudence et les débats doctrinaux en France. L’arrêt sous examen l’aborde sous un angle moins fréquent, celui de l’autorité parentale dont est titulaire la mère porteuse.

Deux enfants sont nés le 25 mars 2010 d’une gestation pour autrui réalisé en Inde. La mère porteuse, de nationalité indienne, a renoncé à tous ses droits parentaux selon déclaration du 30 juillet 2010 effectuée en Inde, sans que, manifestement, son lien de filiation ne soit remis en cause.

En décembre 2017, soucieux de permettre l’adoption des enfants par son conjoint, le père commanditaire assigne la mère porteuse en retrait de l’autorité parentale sur les deux enfants. La cour d’appel de Lyon, par un arrêt du 9 juin 2020, rejette sa demande....

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Écritures diffamatoires : le juge doit vérifier si les propos sont couverts par l’immunité

Dans le cadre d’un litige immobilier, des acquéreurs assignèrent le notaire et la SCP ayant reçu les actes de vente en responsabilité et indemnisation. La cour d’appel les condamna cependant à verser à ces derniers la somme de 1 000 € en réparation du préjudice résultant des propos outrageants et diffamatoires portés contre eux dans leurs écritures devant la cour. Dans leur pourvoi, les intéressés faisaient valoir que la cour d’appel, « en se bornant à stigmatiser la violence de certaines accusations contenues dans les conclusions des intimés, sans caractériser que les propos tenus ne visaient pas à fonder les prétentions des exposants », avait méconnu l’article 41 de la loi du 29 judiciaire sur la liberté de la presse qui garantit une immunité judiciaire notamment aux écrits produits devant les tribunaux.

Statuant au visa de ce texte, la première chambre civile de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt en ce qu’il a condamné les intéressés à réparer le préjudice résultant, pour le notaire et la SCP, du caractère outrageant et diffamatoire des écritures litigieuses, considérant qu’il incombait à la cour d’appel de vérifier le champ d’application de l’immunité judiciaire en recherchant si les propos en cause en étaient bien exclus, car étrangers à l’instance. Cette solution rappelle le principe de l’immunité judiciaire et ses limites.

Le principe de l’immunité judiciaire : la sauvegarde des droits de la défense

Aux termes de l’article 41, alinéa 4, de la loi sur la presse, « ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux ». Ces dispositions, qui sont d’ordre public, trouvent leur fondement...

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Qualité à agir en droit de la filiation

par Amélie Panet-Marre, Maître de conférences, Université de Lyon IIIle 5 octobre 2022

Civ. 1re, 21 sept. 2022, F-B, n° 20-21.035

Le contentieux de la filiation présente bien souvent une dimension successorale. Faut-il admettre que des personnes appelées à recevoir une part dans la succession, notamment par voie testamentaire, puissent contester les liens de filiation du de cujus ? Si initialement, les actions en matière d’état des personnes étaient intransmissibles, en raison de leur caractère personnel, l’ordonnance de 2005 a donné à l’article 322 en matière d’action relative à la filiation la physionomie suivante : « l’action peut être exercée par les héritiers d’une personne décédée avant l’expiration du délai qui était imparti à celle-ci pour agir. Les héritiers peuvent également poursuivre l’action engagée, à moins qu’il n’y ait eu désistement ou péremption d’instance ». Spécifiquement en matière de contestation de la filiation, l’article 333 du code civil prévoit que « lorsque la possession d’état est conforme au titre, seuls peuvent agir l’enfant, l’un de ses père et mère ou celui qui se prétend le parent véritable. L’action se prescrit par cinq ans à compter du jour où la possession d’état a cessé ou du décès du parent dont le lien de filiation est contesté».

C’est précisément à la notion d’héritier au sens de l’article 322 du code civil que...

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ASL : procédure de mise en conformité des statuts et détermination de l’ordre du jour

Dans une récente décision, la Cour de cassation a pris soin de distinguer selon l’irrégularité qui affecte l’association syndicale libre (ASL). Elle précise désormais que « lorsque l’acte a été délivré par une ASL qui n’a pas publié ses statuts constitutifs, l’irrégularité qui résulte de ce défaut de publication, lequel prive l’association de sa personnalité juridique, constitue une irrégularité de fond qui ne peut être couverte », en revanche, lorsque les statuts ont été dûment publiés, mais qu’ils n’ont pas été mis en conformité avec les dispositions de l’ordonnance du 1er juillet 2004, l’acte de saisine de la juridiction délivré au nom de l’association est entaché d’une irrégularité de fond pour défaut de capacité à agir en justice, mais celui-ci peut être régularisé jusqu’à ce que le juge statue (Civ. 3e, 15 avr. 2021, n° 19-18.093 et n° 19-18.619, Constr.-Urb. 2021. Comm. 97, obs. M.-L. Pagès-De Varenne ; Loyers et copr. 2022. Comm. 88, obs. A. Lebatteux). Restait à déterminer ce qui constitue une telle irrégularité. À cet égard, la présente décision conforte le revirement opéré par le juge du droit que doctrine et praticiens appelaient de leurs vœux.

Dans un premier temps, une stricte orthodoxie juridique s’exprima en exigeant que la mise en conformité porte sur la...

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Successions dans l’Union européenne : compétence du juge français

Par cet arrêt du 21 septembre 2022, la première chambre civile met un terme à une affaire dont elle avait déjà eu à connaître et qui a donné lieu à un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne.

L’affaire concerne la mise en œuvre du règlement (UE) n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen prévoit diverses règles de compétence.

Rappelons que son article 4 pose un principe général : sont compétentes pour statuer sur l’ensemble d’une succession les juridictions de l’État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès.

Le règlement énonce par ailleurs des règles de compétences subsidiaires. L’article 10 dispose notamment, par son paragraphe 1, que...

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Rapport des libéralités : renoncer à encaisser les loyers, c’est donner

Dans cette affaire, un couple marié sous le régime de la communauté a eu deux filles. Le mari décède le 26 mai 2005 et son épouse le 9 mai 2011. Le règlement du conflit fait apparaître des conflits entre les deux sœurs. En effet, l’une d’elle bénéficiait d’un bail sur des terres agricoles appartenant à leur mère. Toutefois, aucun fermage n’a été payé à la mère entre le 1er janvier 1994 et le décès de cette dernière. Ce sont ces montants dont la sœur demande à ce qu’ils fassent l’objet d’un rapport à la succession. La fille preneuse contestait un tel rapport. Cette dernière alléguait qu’en vertu d’un accord conclu avec sa mère, elle avait réglé en lieu et place des fermages durant ces dix-sept années, l’intégralité des charges foncières afférentes à l’ensemble des biens de ses parents et non seulement celles inhérentes aux biens dont elle avait la jouissance. Les juges de première instance comme ceux en appel (Rennes, 16 juin 2020, n° 18/05187) ont accueilli l’argumentaire de la sœur lésée par les largesses maternelles. En effet, si la cour d’appel constate l’effectivité des paiements des charges foncières par la fille, elle relève que l’héritière n’apportait pas la preuve d’un accord tacite intervenu entre elle et sa mère, bailleuse. Faute d’un tel accord, les juges du fond ont considéré que les sommes abandonnées par la mère entre le 1er janvier 1994 et son décès, le 9 mai 2011, constituaient bien des libéralités dont les montants devaient être réintégrés dans l’actif de la succession.

L’héritière, loin de renoncer décide de se pourvoir en cassation. Elle invite la Cour de cassation à se prononcer sur la nature des sommes que sa mère a négligé de percevoir. Au moyen de son pourvoi, la requérante argue que seule une dette qui existe peut faire l’objet d’une libéralité. La demanderesse considère que les fermages échus entre 1994 et 2005 étaient donc prescrits et que la cour d’appel ne pouvait – sans violer les articles 843 et 2277 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 17 juin 2008, applicable en la cause – en exiger le rapport.

L’argumentaire ne tient pas pour la Haute juridiction. Très logiquement, la première chambre civile rejette le pourvoi dans un attendu limpide : « Ayant retenu souverainement que la renonciation de [la mère] à recouvrer les fermages échus entre 1994 et 2005 l’avait été dans une intention libérale, la cour d’appel, qui s’est ainsi justement fondée sur le rapport des libéralités et non pas sur le rapport des dettes et qui a considéré que la remise de ces fermages était intervenue...

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La délégation de l’exercice de l’autorité parentale : usages et mésusages

L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant et revenant en principe aux parents afin qu’ils puissent protéger l’enfant, assurer son éducation et permettre son développement (C. civ., art. 371-1). L’autorité parentale donne donc un pouvoir effectif d’organisation de la vie de l’enfant dont l’exercice doit pouvoir être aménagé et, le cas échéant, confié à un tiers s’il en va de l’intérêt de l’enfant. C’est tout l’objet de la délégation de l’exercice de l’autorité parentale des parents vers un tiers. Mais celle-ci ne pourrait-elle alors servir à contourner les règles de l’adoption ou l’interdit de la gestation pour autrui (GPA) ? C’est la question au cœur de l’arrêt rendu le 21 septembre 2022 par la première chambre civile de la Cour de cassation.

En l’espèce, un couple résidant en Polynésie française attend un enfant. Eu égard à des circonstances personnelles, ce couple envisage de confier l’enfant à naître et, dans cette perspective, est mis en relation avec un couple résidant en métropole. Par requête du 6 mai 2020, les couples ont conjointement présenté devant le juge aux affaires familiales (JAF) du tribunal de première instance de Papeete une requête aux fins de voir prononcer la délégation de l’autorité parentale sur l’enfant, né le 18 avril 2020 à Papeete. Par jugement du 12 août 2020, le JAF a accueilli la demande, dispensé les parents biologiques de toute participation aux frais d’entretien et d’éducation de l’enfant et dit que les délégataires devraient requérir l’organisation de la tutelle de l’enfant mineur. Sur l’appel interjeté par le parquet le 18 août 2020, la cour d’appel de Papeete a confirmé le jugement entrepris dans toutes ses dispositions par un arrêt du 29 avril 2021. Le procureur général près la cour d’appel de Papeete a formé un pourvoi en cassation comprenant 9 moyens. En substance, il soutient que la délégation aurait été prononcée en violation des articles 16-7 et 16-9 du code civil interdisant la GPA ainsi que des règles encadrant l’adoption d’un mineur de deux ans, les...

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Quelques rappels autour de la disproportion du cautionnement

Le droit des sûretés personnelles, et avec lui, le droit du cautionnement continuent d’être au cœur de l’actualité des arrêts rendus par la Cour de cassation en ce début d’automne. Après une décision de la chambre commerciale la semaine dernière au sujet de l’abus de dépendance économique invoqué par la caution (Com. 21 sept. 2022, n° 21-12.218 F-B, Dalloz actualité, 29 sept. 2022, obs. C. Hélaine), c’est au tour de la première chambre civile de s’emparer à nouveau de la thématique en mêlant disproportion du cautionnement et devoir de mise en garde pour les cautionnements conclus avant le 1er janvier 2022. Les faits ayant donné lieu au pourvoi sont assez classiques. Un établissement bancaire consent par acte du 6 juin 2014 un prêt immobilier de 296 795 € à une société civile immobilière, garanti par le cautionnement solidaire d’une caution professionnelle et d’une seconde caution, personne physique, et ce dans la limite d’un montant total de 385 833,50 €. Peu à peu, le débiteur principal n’honore plus les échéances promises. Le 7 octobre 2015, le créancier prononce donc la déchéance du terme. La caution professionnelle règle le prêt en sa qualité de garant puis assigne la seconde caution, personne physique, et le débiteur principal en remboursement. Ces derniers invoquent la disproportion de l’engagement de caution en appelant en intervention forcée et en garantie la banque. Ils attestent, également, d’un manquement de la banque à son devoir de mise en garde. En cause d’appel, les juges du fond condamnent la seconde caution à payer à la caution professionnelle les sommes qu’elle a acquittées en précisant que celle-ci ne peut se voir opposer les exceptions opposables au créancier principal comme la disproportion de l’engagement de la caution. L’arrêt retient encore que si l’opération ne comportait pas de risque excessif pour la SCI, la caution qui n’était pas avertie avait souscrit un engagement disproportionné à ses biens et à ses revenus dès lors qu’elle disposait d’un revenu mensuel de 3 500 €, qu’elle remboursait plusieurs prêts et qu’elle était propriétaire d’un bien grevé d’un emprunt. Son patrimoine étant nettement inférieur à l’engagement souscrit, l’établissement bancaire avait manqué à son devoir de mise en garde selon la cour d’appel.

La banque se pourvoit en cassation en estimant que ce dernier raisonnement sur la violation de son devoir de mise en garde n’est pas pertinent puisque les juges du fond n’avaient pas pris en compte que la caution personne...

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Comment traiter les dossiers civils longs et complexes ?

En France, le règlement des dossiers civils longs et complexes est une question encore peu abordée. Malgré cette discrétion, le garde des Sceaux, ministre de la Justice, a par lettre de mission du 3 décembre 2020 demandé un rapport sur ces dossiers en particulier, et ce à un service peu connu du grand public, l’Inspection générale de la justice (IGJ). Le point névralgique posant difficulté de ces dossiers longs et complexes reste que – dans l’esprit du grand public – ils concourent à la lenteur de la justice. Est citée, à titre illustratif, une étude du secrétariat du ministère de la Justice relevant qu’une durée moyenne des affaires civiles au fond est de 10,3 mois. Le rapport publié le 29 septembre 2022 est donc l’occasion de s’intéresser aux difficultés se dissimulant derrière ces affaires complexes. Il aura fallu presque deux ans à l’IGJ pour boucler un rapport long d’une centaine de pages, ponctué de graphiques, de recommandations et de bonnes pratiques issues de l’audition de plusieurs magistrats, universitaires et avocats. La méthodologie retenue est robuste : des questionnaires adressés à l’ensemble des tribunaux judiciaires, des auditions plurielles et une sélection par l’IGJ d’une série de juridictions de première instance (Nanterre, Bordeaux, Montpellier, Narbonne, Vesoul, Mâcon, Pau, Le Mans et Fort-de-France) et de quatre cours d’appel (Toulouse, Colmar, Besançon et Rouen). Cette méthode permet de dresser un rapport pluriel, assez fourni et nécessitant plusieurs subdivisions pour affiner le cadre des résultats obtenus. Il faut noter, à ce titre, que le titre du rapport englobe des affaires concernées qui ne peuvent pas nécessairement avoir des points de recoupement précis ; ce qui a certainement complexifié la tâche de ses rédacteurs.

Nous suivrons les quatre subdivisions principales du rapport : l’effort de définition, l’étude des causes, les moyens possibles d’y remédier et les difficultés propres à chaque contentieux imposant un pilotage précis par les cours d’appel.

Un effort de définition délicat : quels sont les dossiers civils « longs et complexes » ?

Comme dans toute étude, il faut cerner l’objet examiné avec précision. Sur ce point, il faut bien avouer qu’aucune définition n’est connue des juristes, chacun pouvant trouver un dossier plus ou moins complexe ou plus ou moins long à traiter.

Le rapport commence donc par cette question de définition (p. 19). Il faut dire que les contentieux longs et complexes n’ont pas forcément autant « le vent en poupe » que certains autres, plus facilement identifiables pour le grand public. Méthodologie assez étonnante : l’IGJ commence par une étude de droit comparé pour isoler l’objet d’étude. Entendue par la mission du ministère de la Justice, le professeur Amrani-Mekki a pu identifier notamment que l’intitulé recoupait deux réalités différentes. Des dossiers peuvent être longs sans être difficiles, des dossiers difficiles peuvent ne pas être longs (p. 20 du rapport). Il n’y aurait donc aucune définition unitaire possible, mais seulement une intersection entre deux réalités. Le rapport aurait pu inverser la méthodologie en commençant par le point de vue de l’universitaire qui est certainement plus parlant que des arguments de droit comparé dans des systèmes judiciaires différents du nôtre. On comprend toutefois aisément cette analyse qui permet de s’inspirer de ce qui existe ailleurs.

Le rapport s’attache ensuite à définir ce qu’est la longueur d’une part et la complexité d’autre part.

• Sur la longueur, on retrouve les développements habituels sur la célérité de la procédure impulsée par l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme. Ces rappels n’appellent pas forcément plus de précisions d’autant que la Cour européenne des droits de l’homme considère la complexité pour retenir le caractère raisonnable du délai pour juger l’affaire. Il est facile de tomber dans un cabinet aux miroirs, en somme.

• Sur le caractère complexe, toutes les personnes entendues notent que la notion de complexité « n’est ni une notion juridique ni un concept clair, et demeure beaucoup plus difficile à appréhender que celui de la longueur » (p. 23). Sur ce dernier point, on note l’audition de l’actuel président de la chambre commerciale de la Cour de cassation, Vincent Vigneau, qui a élaboré une méthode à Nanterre, lorsqu’il y était en poste, visant à élaborer des indicateurs de complexité qui utilise des coefficients. Mais le rapport rappelle que la délicate absence de définition unitaire du dossier complexe en France empêche « la mise en place d’indicateurs fiables permettant de les identifier » (p. 24).

Le rapport en vient donc à isoler les points saillants de difficulté en interrogeant les questionnaires remis aux tribunaux judiciaires. Ce sont des matières qui sont complexes en réalité : droit de la construction, liquidations successorales, liquidations de régimes matrimoniaux, droit de la responsabilité médicale. Ces contentieux ont comme point commun l’intersection du domaine de longueur et de celui de la complexité selon les questionnaires retournés au ministère. On remarque ainsi que l’IGJ pointe précisément que le logiciel des tribunaux judiciaires et des cours d’appel (WinciTJ et WinciCa) ne permet pas réellement d’identifier une telle complexité. Ces logiciels permettent tout au plus de dresser des statistiques et de déterminer l’âge d’un stock d’une chambre. La recommandation n° 1 vise donc à assurer dans les logiciels en place ou dans le logiciel futur (Portalis) un indicateur précis sur les dossiers longs et...

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Interruption de l’instance en cas d’ouverture d’une procédure collective : danger !

Voilà un arrêt procédant à une intéressante piqûre de rappel pour les praticiens du droit des entreprises en difficulté quant au risque de voir déclarer certains des jugements intervenants postérieurement à l’ouverture d’une procédure collective non avenus.

En l’espèce, une société mère avait assigné en référé l’une de ses filiales et d’autres sociétés aux fins de voir désigner un mandataire ad hoc chargé de convoquer une assemblée générale ayant pour objet de statuer sur la possible révocation de son président. Postérieurement à cette assignation, le 23 janvier 2020, une procédure de sauvegarde a été ouverte au bénéfice de la filiale et un administrateur judiciaire s’est vu chargé d’une mission d’assistance. Parallèlement, par une ordonnance du 4 février 2020, le juge des référés a fait droit à la demande de désignation d’un mandataire ad hoc. Or, cette ordonnance a fait l’objet d’un appel le 11 février 2020 par plusieurs des parties à l’assignation originelle. Par la suite, la société débitrice a été mise en redressement judiciaire le 3 juin 2020, puis en liquidation judiciaire le 24 septembre 2020.

La cour d’appel a dit réputée non avenue l’ordonnance du 4 février 2020 et la société mère a formé un pourvoi en cassation, mais la Haute juridiction va conclure à un non-lieu à statuer.

Cette solution est logique et repose un raisonnement parfaitement établi.

Pour la Cour de cassation, l’ouverture de la procédure de sauvegarde pendant le cours de l’instance devant le juge des référés et la désignation d’un administrateur judiciaire avec mission d’assistance de la société débitrice, le 23 janvier 2020, ont eu pour effet d’interrompre cette instance (C. pr. civ., art. 369). Par conséquent, l’ordonnance de référé rendue le 4 février 2020, après l’interruption de l’instance, doit être réputée non...

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Honoraires d’avocats : attention aux clauses abusives et aux pratiques commerciales trompeuses !

La Cour de justice de l’Union européenne continue sa traque des clauses abusives en répondant aux renvois préjudiciels que les États membres lui font parvenir aussi régulièrement que possible. Après avoir étudié il y a quelques semaines la portée du réputé non écrit dans ce contentieux (CJUE 8 sept. 2022, aff. jtes C-80/21 à C-82/2, Dalloz actualité, 16 sept. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 1596 image), la Cour s’attaque dans un arrêt du 22 septembre 2022 à une question particulièrement sensible, celle des honoraires d’avocat. Les renvois préjudiciels que nous allons étudier concernent le droit espagnol mais des prolongements sont possibles en droit français, au moins parce qu’une convention d’honoraires peut comporter des clauses abusives comme en d’autres matières. La pratique doit donc rester très vigilante à ce sujet.

Rappelons les faits ayant été à l’origine du renvoi préjudiciel : c’est dans la ville colorée de Séville, en Espagne que ceux-ci prennent place. Le 9 février 2017, des avocats sont chargés par lettre de mission de l’examen d’un contrat de prêt conclu le 26 novembre 2003 par un consommateur avec un établissement bancaire. La lettre de mission prévoit, outre l’examen convenu, la saisine de la justice si des clauses abusives se trouvaient dans le document contractuel signé. Une clause de la lettre de mission entre le consommateur et son avocat prévoyait que si le client se désiste, il devra payer le montant résultant de l’application du barème de l’ordre des avocats pour la fixation des dépens concernant le recours relatif à l’effacement (une nullité en Espagne) de la clause abusive. La consommatrice avait contacté le cabinet d’avocat par le biais d’une publicité sur un réseau social et elle indiquait ne pas avoir eu connaissance de cette clause avant de signer l’ordre de mission. Nous commençons à voir le problème poindre.

Par un premier recours extrajudiciaire, l’avocat saisi demande le 22 février 2017 à la banque certaines sommes indument payées par son client. Le recours en nullité a été ensuite déposé le 22 mai 2017 par ce même avocat et une avouée auprès du Juzgado de Primera Instancia de Sevilla (le Tribunal de Première instance n° 10 bis de Séville, en Espagne) que la juridiction a enregistré le 12 juin 2017. Coïncidence : l’établissement bancaire propose, le 2 juin 2017 (et donc dans l’interstice entre le recours et son enregistrement) à son client la restitution d’une somme de 870,67 €. Une difficulté se cristallise car le consommateur a décidé d’accepter cette offre mais on ne sait pas à quelle date celui-ci a informé son avocat de la proposition de la banque. Voici donc que l’avocat précise, juste après l’introduction du recours, qu’il n’est pas d’accord avec la proposition de règlement évoquée précédemment puisqu’un recours a été introduit. L’avouée signale à la juridiction le 25 septembre 2017 que le consommateur demandeur à l’action en nullité s’est désisté puisqu’il a obtenu satisfaction par un règlement amiable. L’avouée précise que ce désistement était contraire à l’avis de son avocat et que l’acceptation de cette transaction était, en réalité, postérieure à l’introduction de l’instance. La procédure a donc été terminée à ce moment-là. L’avocat mécontent de la situation saisit la justice à son tour en paiement d’honoraires pour une somme de 1 105,50 € hors taxe soit un total de 1 337,65 €. La demande est accompagnée de la convention d’honoraires renvoyant aux règles applicables en cette matière dont les barèmes sont fixés par l’ordre des avocats de Séville. Le consommateur conteste cette demande en pensant que les honoraires ne sont pas dus. Il formule, devant le greffier, un grief tiré du caractère abusif de la clause de désistement évoquée précédemment. Le greffier de la juridiction de Séville rend une décision motivée (nous reviendrons sur cette procédure non juridictionnelle plus tard) fixant le montant dû des honoraires d’avocat à 1 337,65 € en accordant un délai de paiement de cinq jours. Il ne statue pas sur la question de la clause abusive, faute de pouvoir juridictionnel. Le consommateur conteste cette décision et saisit, à son tour, la juridiction de renvoi d’un recours en révision.

Le doute se cristallise à cette échelle car le tribunal de première instance de Séville émet des réserves sur les règles régissant la procédure nationale en paiement des honoraires. Celles-ci pourraient présenter des aspects non conformes aux exigences découlant de la protection des consommateurs contre les clauses abusives. Le tribunal décide donc de renvoyer cinq questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne. La dernière question intéresse une problématique connexe, à savoir les pratiques commerciales trompeuses.

Nous étudierons les questions et leurs réponses au fur et à mesure en reproduisant les intitulés des renvois préjudiciels au long du commentaire et ce pour davantage de confort de lecture.

De l’importance d’un contrôle juridictionnel des clauses abusives

La Cour commence par répondre aux deux premières questions posées par la juridiction de renvoi :

1) Une procédure sommaire en réclamation d’honoraires engagée par un avocat, qui ne permet pas au juge d’examiner d’office l’éventuel caractère abusif des clauses contenues dans le contrat conclu avec le consommateur étant donné qu’elle ne prévoit son intervention à aucun moment de son déroulement, sauf dans le cas où le client conteste cette réclamation et où l’une des parties forme par la suite un recours contre la décision finale du greffier, est-elle conforme à la directive 93/13/CEE et au principe d’effectivité qui lui est applicable, lus en lien avec le droit à la protection juridictionnelle effective prévu à l’article 47 de la Charte ?

2) Le fait que le contrôle éventuel du caractère abusif par le juge, d’office ou à la demande d’une partie, dans ce type de procédure, de nature sommaire, s’effectue dans le cadre d’un recours en révision facultatif de la décision rendue par un organe non juridictionnel tel que le greffier, qui doit en principe se limiter exclusivement à ce qui a fait l’objet de la décision et qui n’admet pas la production de preuves autres que les preuves documentaires déjà fournies par les parties, est-il conforme à la directive 93/13/CEE et au principe d’effectivité qui lui est applicable, lus en lien avec le droit à la protection juridictionnelle effective prévu à l’article 47 de la Charte ?

La problématique au cœur de ces deux premières questions permet de s’interroger sur la compatibilité entre la réglementation sur les clauses abusives et la procédure tout à fait particulière existant en Espagne de paiement des honoraires d’avocat en cas de litige laquelle fait l’objet d’une décision rendue par une autorité non juridictionnelle, laissant le recours contre cette décision à une autorité juridictionnelle sans réelle possibilité de contrôle des clauses abusives même au moment de ce recours.

La Cour de justice de l’Union européenne commence donc par rappeler une position de principe : le droit de l’Union n’est pas censé harmoniser les procédures qui permettent l’examen du caractère abusif ou non d’une clause (§ n° 53 de l’arrêt). Par conséquent, elle ne saurait s’immiscer dans le droit national concernant la procédure même. Toutefois, la Cour rappelle que dans le cadre où l’intervention du juge n’est réalisée qu’à un stade procédural avancé (par ex. ici dans le cadre du recours en révision), cette intervention respecte la directive 93/13/CEE sur les clauses abusives si et seulement si le consommateur n’est pas dissuadé de faire valoir ses droits à ce stade.

Le droit espagnol est donc particulièrement délicat à ce sujet car le greffier rendant la décision motivée ne peut pas apprécier si une des clauses du contrat peut revêtir un caractère abusif au sens de la directive. La Cour note encore au paragraphe n°61 que le recours contre la décision du greffier (le recours en révision) ne permet pas au juge de réaliser un examen de l’éventuel caractère abusif des clauses du contrat. Mais, sur ce point, le gouvernement espagnol conteste l’interprétation ainsi faite du droit interne par la juridiction de renvoi si bien que la Cour de justice est obligée de rappeler qu’elle n’est pas compétente pour interpréter le droit national, se contentant des éléments constants à sa disposition (à dire vrai donc les éléments retenus par la juridiction de renvoi de la question préjudicielle). Les points nos 65 à 68 montrent toute l’ambivalence des deux questions posées et ne présentent qu’un intérêt assez résiduel tant la Cour de justice semble incertaine des éléments qui lui sont présentés, notamment en raison de la contestation de l’interprétation donnée par le gouvernement espagnol. La formulation employée par la Cour de justice dans ces passages appuie ce constat (« aurait » au paragraphe n° 65, « il ne ressort pas clairement » au paragraphe n° 66, « semble » au paragraphe n °68).

Le résultat est facile à prévoir dans ce contexte : aucune réponse ferme quant au droit espagnol n’est donnée par la Cour de justice dans l’arrêt du 22 septembre 2022. Une chose est certaine : n’est pas conforme à la directive 93/13/CEE sur les clauses abusives une procédure sommaire en paiement d’honoraires d’avocats contre un client consommateur en vertu de laquelle l’intervention d’une autorité juridictionnelle n’est prévue qu’au stade du recours sans que la juridiction saisie puisse contrôler, au besoin d’office, le caractère abusif des clauses. Ce sera à la juridiction de renvoi d’apprécier si le juge statuant sur le recours en révision de la décision du greffier peut utiliser le mécanisme de contrôle des clauses abusives. Si ce n’est pas le cas, il faudra que la juridiction de renvoi applique tout de même les règles issues du droit de l’Union (§ n° 74). La protection contre les clauses abusives ressort victorieuse, sans réelle surprise.

En somme, le droit français ne saurait y craindre une quelconque menace, le contrôle du juge permettant de relever des clauses éventuellement abusives dans ce contexte. Il n’en reste pas moins que l’arrêt a pour mérite de mettre en lumière ce contexte particulier qui peut être un terrain d’élection de certaines clauses abusives.

De l’interprétation stricte des exceptions au contrôle des clauses abusives

La Cour s’attaque ensuite aux deux questions suivantes :

3) Une clause figurant dans un contrat conclu entre un avocat et un consommateur, telle que celle en cause au principal, qui prévoit le paiement d’honoraires dans l’hypothèse spécifique où le client se désiste avant la fin de la procédure judiciaire ou conclut un accord avec l’institution concernée, à l’insu ou contre l’avis du cabinet d’avocats, doit-elle être considérée comme relevant de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE dès lors qu’il s’agit d’une clause principale portant sur l’objet du contrat, en l’occurrence le prix ?

4) En cas de réponse affirmative à la question précédente, une telle clause, qui fixe les honoraires par référence au barème d’un ordre des avocats, lequel prévoit des règles différentes à appliquer selon les cas, et dont il n’a pas été fait mention dans le cadre de l’information préalable, peut-elle être considérée comme claire et compréhensible au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE ?

La troisième question permet d’étudier le mécanisme des clauses portant sur l’objet principal du contrat d’une part et celles portant sur l’adéquation entre le prix et le service dont on sait qu’elles ne font pas partie du contrôle des clauses abusives. La Cour de justice de l’Union européenne commence donc par rappeler l’interprétation stricte de l’article 4, § 2, de la directive 93/13/CEE. Ceci n’étonnera guère les spécialistes de méthodologie : les exceptions sont d’interprétation stricte (exceptio strictissimae interpretationis est). La Cour de justice explicite rapidement une idée connue en jurisprudence : les clauses s’intéressant à l’objet principal du contrat recouvrent une réalité assez étroite, essentiellement liée aux prestations essentielles (§ n° 78).

La réponse donnée est beaucoup plus ferme et beaucoup plus rapide sur cette troisième question : la clause de désistement litigieuse ne relève pas de l’exception de la réglementation des clauses abusives car elle ne saurait concerner ni l’objet principal du contrat ni l’adéquation entre prix et le service. Ce faisant, la réponse à la quatrième question n’est pas nécessaire eu égard au libellé de celle-ci.

Une telle qualification doit être accueillie favorablement en raison de l’éloignement de la clause considérée avec les exceptions prévues par la directive 93/13/CEE, sur les clauses abusives. Elle permet, en outre, de ne pas étirer le tissu des exceptions au contrôle des clauses abusives. Une position contraire conduirait à diminuer drastiquement le champ de la protection et donc l’intérêt de telles dispositions en droit interne.

Sur les pratiques commerciales déloyales

La cinquième question était libellée ainsi :

5) En cas de réponse négative à la question précédente, l’insertion dans un contrat conclu entre un avocat et un consommateur d’une clause telle que celle en cause au principal, qui fixe les honoraires de l’avocat en se référant simplement au barème d’un ordre des avocats, lequel prévoit des règles différentes à appliquer selon les cas, et dont il n’a pas été fait mention dans l’offre commerciale ni dans le cadre de l’information préalable, peut-elle être considérée comme une pratique commerciale déloyale au sens de la directive 2005/29/CE ?

La cinquième question s’éloigne du contentieux des clauses abusives pour s’intéresser aux pratiques commerciales déloyales. On pouvait, effectivement, se demander si la pénalité prévue non mentionnée dans l’offre commerciale qui se trouvait sur les réseaux sociaux pouvait s’analyser ainsi. Or, le problème de la rédaction de la clause litigieuse portait notamment sur le renvoi au barème de l’ordre professionnel des avocats de Séville « dont le contenu serait difficilement accessible et compréhensible » (§ n° 86 de l’arrêt).

Sur ce point, la Cour de justice de l’Union européenne n’hésite pas longtemps avant de considérer qu’une telle stipulation pourrait être analysée comme une pratique commerciale trompeuse. En somme, ici c’est la dissonance entre la publicité faite dans l’offre commerciale et la stipulation contenue dans la convention d’honoraires qui permet la qualification opérée. Mais la juridiction de renvoi doit évidemment vérifier que le consommateur croisant le chemin de la clause a pris une décision commerciale qu’il n’aurait pas pu prendre autrement (§ n° 87 de l’arrêt). On note, encore une fois, la prudence de la Cour de justice notamment en raison de la difficulté sur certains faits constants de l’affaire.

 

Voici donc un arrêt répondant à des questions originales sur le contrôle des clauses abusives. À dire vrai, cette originalité repose sur l’objet même du contrôle lié aux honoraires d’avocat. La réglementation nationale espagnole en question implique une certaine distance pour le lecteur français qui ne peut pas faire de réel parallèle avec la procédure de notre droit positif. Mais les enseignements sont connus : l’intervention du juge si ce n’est à l’étape d’une voie de recours doit pouvoir être l’occasion d’un contrôle des clauses abusives. Une clause de désistement ne saurait, en outre, relever de l’exception liée à l’objet du contrat ou à l’adéquation du prix et de la prestation. Prudence, enfin, sur la pratique commerciale trompeuse qui n’est jamais loin quand – comme ici – une omission importante a été faite lors de la publicité de l’avocat sur les réseaux sociaux espagnols actant ainsi probablement une discordance entre l’offre commerciale et la réalité.

Attention donc aux conventions d’honoraires conclues avec des consommateurs : même en France, celles-ci peuvent receler des clauses abusives et avec elles le risque d’un réputé non écrit !

Contrôle de légalité de la réforme de la procédure civile de 2019 : retour vers le futur au Conseil d’État (Première partie : le champ de la confirmation)

La décision du Conseil d’État en date du 22 septembre 2022 relative à la légalité du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile donne le tournis, sinon le vertige (sur ce décret, v. outre les nombreuses références qui suivront, M.-C. Lasserre, Panorama des principales réformes de la procédure civile à la suite de la publication du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile, Gaz. Pal. 7 janv. 2020, p. 13 ; v. égal. le dossier de la Gazette du Palais spécialisée en procédure civile du 28 janv. 2020).

Des vertiges plus exactement. Un premier vertige procède de l’annulation de certaines dispositions du code de procédure civile issues du décret attaqué, entrées en application en 2020 et qui avaient survécu à la frénésie réglementaire contemporaine (C. pr. civ., art. 750-1 en particulier). Un deuxième vertige provient de l’annulation de certaines dispositions transitoires dudit décret qui en avaient fixé l’entrée en vigueur au 1er janvier 2020 (soit moins de 20 jours après la publication). Le mal de crâne guette lorsqu’on s’essaie à la pondération des conséquences associées à pareille annulation. Il s’installe définitivement lorsque le troisième vertige arrive : si l’annulation de certaines dispositions est classiquement rétroactive (par ex., les art. 901 et 933 c. pr. civ. en ce qu’ils imposaient l’indication des pièces dans l’acte d’appel par renvoi à l’art. 57), d’autres annulations sont modulées dans le temps – c’est-à-dire d’effet différé. Plutôt qu’une aspirine – ou plus exactement : en plus d’une aspirine –, le soussigné se propose de dissiper le malaise au moyen des lignes qui suivent, en espérant qu’elles ne viendront pas l’aggraver.

Le contexte

Un court rappel du décret attaqué et du contexte permettront tout d’abord de resituer les choses. Nous sommes à la fin de l’année 2019. Le froid est là ; les fêtes approchent ; le coronavirus n’est encore qu’une lointaine inquiétude. L’inquiétude est même ailleurs dans le microcosme juridique : une réforme d’ampleur de procédure civile pointe son nez, préfigurée par les chantiers de la Justice (sur lesquels, v. l’inoubliable et si juste, C. Brenner, La réforme de la procédure civile : un chantier de démolition ?, D. 2018. 361 image), le fameux rapport Agostini-Molfessis et, bien sûr, la loi de programmation de la Justice 2019-2022 du 23 mars 2019 (toute ressemblance avec des évènements contemporains est fortuite ; sur la loi n° 2019-222 de programmation 2019-2022 et de réforme pour la justice, v. not., Procédures 2019. Étude 12, obs. H. Croze). Le 12 décembre 2019 paraît enfin au Journal officiel le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile – qui constitue la pièce maîtresse de la réforme de la procédure civile de 2019. C’est le décret attaqué devant le Conseil d’État, au cœur de la décision commentée. Cette réforme sera complétée par au moins un autre texte pris dans la précipitation, à savoir le décret n° 2019-1419 du 20 décembre 2019 relatif à la procédure accélérée au fond devant les juridictions judiciaires – corrigeant déjà certaines scories du décret attaqué (sur ce décret, v. not., M. Kebir, Procédure accélérée au fond devant les juridictions judiciaires, Dalloz actualité, 13 janv. 2020).

Chez les praticiens, la panique est palpable. Le décret entre en vigueur au 1er janvier 2020, suivant son article 55, I. Surtout il est, suivant la même disposition, applicable par principe aux instances en cours à cette date. Le II du même article diffère certes l’entrée en application de certaines dispositions aux instances introduites postérieurement à cette date ; mais le principe demeure celui d’une application immédiate aux instances en cours au 1er janvier 2020. Pour ne prendre ici qu’un exemple, certaines dispositions du décret attaqué venues étendre la représentation obligatoire devant le tribunal judiciaire s’appliqueront au 1er janvier 2020 aux instances en cours. Des praticiens se précipiteront donc pour se constituer dans les affaires concernées lorsqu’ils le peuvent, pour recourir à un postulant sinon. Bref, plutôt que de préparer les fêtes de fin d’année, avocats et magistrats sont à la tâche pour digérer de façon ultra-rapide la réforme de la procédure civile. Les échanges vont d’ailleurs bon train, chacun y allant de sa propre interprétation.

Un maigre espoir est bien là : en catastrophe, le Conseil d’État a été saisi en référé en vue de faire suspendre l’exécution du décret attaqué. Hélas, l’espoir est douché par l’ordonnance de la Saint-Roger, veille de Saint-Sylvestre, par décision du 30 décembre 2020, le Conseil d’État rejette la requête en suspension (CE, réf., 30 déc. 2019, n° 436941, sur laquelle, v. T. Coustet, Réforme de la procédure civile : l’application du décret n’est pas suspendu, Dalloz actualité, 8 janv. 2020 ; D. avocats 2020. 48, étude E. Raskin et Roy Spitz image). L’ordonnance a néanmoins deux mérites : d’une part, elle précise l’interprétation de l’article 54 du code de procédure civile sur un point précis (les saisines par voie électronique ; CE, réf., 30 déc. 2019, n° 436941, consid. 5) ; d’autre part, le Conseil d’État adresse obiter dictum un reproche bien senti à l’exécutif : « En différant ainsi l’entrée en vigueur de la plupart des dispositions du décret contesté au 1er janvier 2020, l’auteur du décret du 11 décembre 2019 a retenu un report de l’entrée en vigueur de cette réglementation nouvelle qui s’avère bref eu égard à l’ampleur des modifications apportées à la procédure civile. Il reste, toutefois, que nombre de ces dispositions, définissant les règles de procédure civile applicables devant le tribunal judiciaire, devaient entrer en vigueur pour le 1er janvier 2020, date fixée par le législateur, selon le XXIII de l’article 109 de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, pour la création de cette nouvelle juridiction de première instance. Dans ces conditions, si l’on peut regretter qu’une adoption plus précoce du décret n’ait pas été possible, il n’apparaît pas, en l’état de l’instruction et au vu de l’ensemble des intérêts en cause, qu’en retenant la date du 1er janvier 2020 pour l’entrée en vigueur de la plupart des dispositions du décret contesté, l’auteur de ce décret ait fixé un délai trop bref au regard de l’exigence tenant à l’édiction, pour des motifs de sécurité juridique, des mesures transitoires qu’implique, s’il y a lieu, une réglementation nouvelle. » (CE, réf., 30 déc. 2019, n° 436941, consid. 10).

Ce n’est néanmoins qu’un lot de consolation car le résultat est là : la suspension du décret attaqué est refusée. Il entre donc en vigueur au 1er janvier 2020. Sur quoi, un chapelet de textes viendra se greffer progressivement.

Leur énumération non-exhaustive redonne le tournis :

décret n° 2020-950 du 30 juillet 2020 relatif aux conditions de l’élection des bâtonniers du conseil de l’ordre des avocats et au report de la réforme de la saisie conservatoire des comptes bancaires, de l’extension de l’assignation à date et de la réforme de la procédure applicable aux divorces contentieux (v. not., S. Amrani-Mekki, Prise de date, prise de tête ?, Gaz. Pal. 26 janv. 2021, p. 49). décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020 portant diverses dispositions relatives notamment à la procédure civile et à la procédure d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions (v. S. Amrani-Mekki, Décret n° 2020-1452 réformant (encore !) la procédure civile, JCP 2020. 1404 ; H. Croze, Code de procédure civile : la mise à jour n° 2020-1452 est disponible, Procédures n° 2, févr. 2021, repère 2 ; L. Lauvergnat, Décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020 et procédures civiles d’exécution : l’heure est aux retouches ponctuelles, Gaz. Pal. 26 janv. 2021, p. 59 ; E. Jullien, Décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020 : encore un petit effort, Mesdames et Messieurs les rédacteurs, Gaz. Pal. 15 déc. 2020, p. 11 ; F.-X. Berger, Réforme de la procédure civile : pas de répit pour les praticiens, Dalloz actualité, 1er déc. 2020 ; M. Barba, Nouvelles retouches de l’appel civil ou le syndrome de la réforme permanente, D. 2021. 39 image). décret n° 2021-1322 du 11 octobre 2021 relatif à la procédure d’injonction de payer, aux décisions en matière de contestation des honoraires d’avocat et modifiant diverses dispositions de procédure civile (V. not. S. Amrani-Mekki, Le marronnier procédural 2021, JCP 2021. 1139 ; F.-X. Berger, Nouveau décret de procédure civile : du mieux, du moins bon et de l’incertain, Dalloz actualité, 15 oct. 2021). décret n° 2022-245 du 25 février 2022 favorisant le recours à la médiation, portant application de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire et modifiant diverses dispositions (v. not. F.-X. Berger, Décret d’application de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire : répercussions sur la procédure civile, Dalloz actualité, 3 mars 2022 ; L. Mayer, Les aspects du décret n° 2022-245 du 25 février 2022 relatifs aux modes amiables de résolution des différends, Gaz. Pal. 26 avr. 2022, p. 60).

La décision

Un champ d’application circonscrit

Cela pour dire que les dispositions issues du décret attaqué par requête du 20 décembre 2019 ont, à la date où le Conseil d’État est appelé à se prononcer, déjà été de nombreuses fois retouchées, modifiées, parfois même abrogées. Avant de descendre dans le détail de la décision, quelques observations générales s’imposent à l’adresse de ceux qui n’auraient pas le courage (ou l’envie) de s’y plonger.

Tout d’abord, la décision du Conseil d’État est assurément de portée pratique réduite. C’est le point fondamental : le champ de la confirmation excède de loin celui de l’annulation. L’annulation porte sur :

l’article 750-1 du code de procédure civile (i.e. le préalable amiable à la saisine du tribunal judiciaire en certains cas) ; les articles 901 et 933 du code de procédure civile (i.e. le formalisme de la déclaration d’appel en procédure avec et sans représentation obligatoire) mais uniquement en tant qu’ils renvoyaient dans leur version issue du décret attaqué à l’article 57 incluant l’indication des pièces ; les dispositions transitoires du décret attaqué, figurant à l’article 55, I et II.

Le champ de l’annulation est donc très circonscrit.

Des effets différés dans le temps

De plus, les effets de l’annulation de l’article 750-1 et des I et II de l’article 55 du décret attaqué sont différés dans le temps. Ce qui rend la décision pour l’essentiel platonique. Concrètement, pour la pratique actuelle et future de la procédure civile, c’est seulement l’annulation de l’article 750-1 qui porte vraiment à conséquence… et pour peu de temps sans doute puisque l’exécutif prendra rapidement un décret pour le ressusciter dans une version mieux configurée. La décision est donc de portée pratique très réduite.

La raison principale en est là, déjà déflorée : par l’empilement des textes et l’enchaînement continu des réformes, l’exécutif rend le contrôle du juge administratif soit inutile soit obsolète au regard des délais de traitement (environ 3 ans ici). Redisons-le. La plupart des articles issus de la réforme de 2019 dont la légalité est critiquée ont déjà été modifiés, remplacés ou abrogés. Et pour ceux qui demeurent – en leur forme originelle ou légèrement retouchée –, ils ont pour la plupart déjà produit leurs effets. Ces textes ont même tellement produit effet que le Conseil d’État n’ose les annuler rétroactivement, de peur du chaos qui en résulterait. Il diffère alors les effets de l’annulation pour des raisons tenant à la sécurité juridique. En un sens, le juge administratif n’a guère le choix et, de deux maux, choisit le moindre. L’exécutif a ainsi trouvé le moyen, sinon de contourner le contrôle de légalité, au moins d’en neutraliser les effets néfastes à ses yeux, à l’image du législateur et de ses lois à autodestruction programmée qui échappent à un contrôle de constitutionnalité efficient.

Le principe de rétroactivité jurisprudentielle bousculé

Ce qui conduit à une dernière observation générale avant le détail technique des questions procédurales : en deux jours, les cours faîtières ont montré qu’était fortement bousculé le principe de rétroactivité jurisprudentielle, selon lequel une jurisprudence nouvelle fait corps avec le texte interprété et rétroagit en conséquence à la date de son entrée en vigueur. Avec cette décision du Conseil d’État, les effets des principales annulations sont différés – peu ou prou – au jour de la décision. Le même jour, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l’article 60 du code des douanes dans sa rédaction issue du décret du 8 décembre 1948, mais a reporté l’abrogation des dispositions considérées au 1er septembre 2023, dérogeant au principe d’abrogation immédiate (Cons. const. 22 sept. 2022, n° 2022-1010 QPC, D. 2022. 1663 image). La veille, la Cour de cassation a – dans une volée d’arrêts qui feront date – modulé une jurisprudence nouvelle hors contexte de revirement sur le fondement essentiel des principes de sécurité juridique et de confiance légitime devant bénéficier aux justiciables de bonne foi (v. not. Civ. 1re, 21 sept. 2022, n° 21-50.042). Le principe de rétroactivité de la jurisprudence nouvelle est-il devenu théorique ? La question de sa force contemporaine peut en tout cas être posée (v. réc., M. Barba, Appel du refus de désigner un expert en vue de l’évaluation des droits sociaux – Histoire d’un revirement, avenir du revirement, D. 2022. 1291 image ; J. Jourdan-Marques, La computation des délais en matière de déféré : petits détails pratiques et grands enjeux théoriques, D. 2022. 1687 image).

Ces observations générales faites, revenons dans le détail de la présente décision du Conseil d’État, en distinguant le champ de la confirmation (v. ci-dessous) de celui de l’annulation (v. Dalloz actualité, à paraître).

Champ de confirmation

La plupart des dispositions critiquées résistent à l’examen de leur légalité. Revenons sur les plus importantes, qui concernent l’introduction de l’instance, le règlement des incidents de compétence au sein du tribunal judiciaire, l’exécution provisoire et la représentation obligatoire.

Introduction de l’instance

L’article 54 du code de procédure civile

L’article 54 du code de procédure civile constitue le siège normatif du formalisme attenant à la demande initiale en justice civile. Y sont précisées les mentions rendues obligatoires à peine de nullité. Le décret attaqué en a modifié la teneur. Il y était alors disposé que « Lorsqu’elle est formée par voie électronique, la demande comporte également, à peine de nullité, les adresse électronique et numéro de téléphone mobile du demandeur lorsqu’il consent à la dématérialisation ou de son avocat. Elle peut comporter l’adresse électronique et le numéro de téléphone du défendeur ». L’idée était à l’époque d’anticiper sur l’installation des futures procédures en ligne dématérialisées d’un bout à l’autre. La traduction de cette idée était néanmoins surprenante et imprécise ; si imprécise qu’il avait d’ailleurs déjà fallu l’intervention du Conseil d’État pour la préciser (c’est la fameuse ordonnance précitée de la Saint-Roger). L’exigence – assez surnaturelle – avait en tout cas fait grincer des dents l’avocature.

Le Conseil d’État rend un non-lieu à statuer de ce chef. La raison, double, en est simple : d’une part, le décret du 27 novembre 2020 a procédé à l’abrogation de cette disposition à effet au 1er janvier 2021 ; d’autre part, la disposition en question – formellement en vigueur entre le 1er janvier 2020 et le 1er janvier 2021 – n’a reçu aucune application dans cet intervalle, « dès lors que les premières saisines par voie électronique, dans le cadre du programme Portalis, n’ont été matériellement possibles que courant 2021 » (consid. 3). Nous avions tantôt parlé, à l’égard de cette disposition de l’article 54 du code de procédure civile , d’un « mort-né réglementaire » (M. Barba, Nouvelles retouches de l’appel civil ou le syndrome de la réforme permanente, préc., p. 41, n° 4), abrogé avant même de recevoir application. Le Conseil d’État en prend acte et rend un non-lieu à statuer.

Le Conseil d’État rendra également un non-lieu à statuer sur d’autres mort-nés réglementaires, à l’instar :

de l’article 754 du code de procédure civile en tant qu’il imposait la remise de l’assignation dans le délai de deux mois à compter de la communication de la date d’audience par voie électronique (abrogé par le décret du 11 octobre 2021 relatif à la procédure d’injonction de payer, aux décisions en matière de contestation des honoraires d’avocat et modifiant certaines dispositions de procédure civile) ; de l’article 761 du code de procédure civile en tant qu’il visait, par la disgrâce d’une erreur de plume, le juge de l’exécution en lieu et place du juge des contentieux de la protection (erreur corrigée par le décret du 20 décembre 2019, c’est-à-dire avant même l’entrée en vigueur du décret attaqué).

Il semble de bonne logique juridique de rendre un non-lieu à statuer sur ces éléments. Le Conseil d’État n’est pas là pour fournir des consultations abstraites sur des points de droit. Ce passage de la décision a néanmoins pour mérite premier de mettre en lumière la versatilité normative de l’exécutif, en même temps que l’impréparation évidente de certains textes, dont on se dit sans doute, en haut lieu, qu’il sera toujours temps de les modifier ou de les supprimer avant leur entrée en vigueur ou en application. Sans considération véritable pour les praticiens d’en bas. Ce passage de la décision administrative a pour mérite second de montrer la véritable avalanche de textes de procédure civile, se succédant les uns aux autres, le dernier en date ayant vocation à corriger le précédent à la façon d’une mise à jour informatique selon une boucle d’apparence infinie. Il y a là, c’est un euphémisme, matière à amélioration. L’exemple de l’article 57 du code de procédure civile atteste également que les textes de procédure civile sont particulièrement perfectibles.

L’article 57 du code de procédure civile

Dans sa version issue du décret attaqué et encore en vigueur aujourd’hui, l’article 57 du code de procédure civile relatif au formalisme de la requête intime d’y faire figurer les mentions énoncées à l’article 54 du même code à peine de nullité. Or le 6° de l’article 54 oblige le demandeur à indiquer les modalités de comparution devant la juridiction saisie et la précision que, faute pour le défendeur de comparaître, il s’expose à ce qu’un jugement soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire. Il y a là un illogisme patent : par définition, la procédure sur requête est introduite hors la présence de l’adversaire en matière contentieuse. C’est pourquoi le décret de 2019, auquel on doit ce déconcertant renvoi, fut attaqué de ce chef. Lui était reproché une certaine contrariété au principe de clarté et d’intelligibilité de la norme dont découlerait une méconnaissance du droit d’accès au juge.

Le Conseil d’État diverge sur la prémisse du raisonnement. Selon le juge administratif, les dispositions des articles 57 et 54 « ne sauraient être interprétées comme conduisant à imposer que la requête saisissant la juridiction comporte l’indication, prévue à l’attention du défendeur, des modalités de comparution devant celle-ci dans les hypothèses (…) qui ont expressément pour objet de permettre l’intervention d’une décision non contradictoire » (consid. 10).

La motivation est décevante. Il est constant que l’article 57 renvoie à l’article 54 dans son intégralité ; le renvoi n’est pas chirurgical mais bien général. Ce que le Conseil d’État veut sans doute dire est qu’une interprétation raisonnable – rationnelle – exclut mécaniquement qu’il faille indiquer, dans les requêtes unilatérales, les modalités de comparution à un défendeur qui n’est par définition pas appelé dans un premier temps procédural. Parce qu’une telle interprétation littérale n’aurait aucun sens… Ce qui était, précisément, le reproche adressé à l’article 57 dans sa version issue du décret attaqué. Le Conseil d’État corrige donc là, en vérité, le tir raté par l’exécutif en fournissant une sorte de réserve d’interprétation.

Le règlement des incidents de compétence internes au tribunal judiciaire

Une autre disposition célèbre issue du décret attaqué est l’article 82-1 du code de procédure civile, qui concerne le règlement des questions de « compétence » au sein du tribunal judiciaire (stricto sensu, il est douteux qu’il s’agisse véritablement de questions de compétence ; v. C. Bléry, Réforme de la procédure civile : simplification des exceptions d’incompétence, Dalloz actualité, 20 déc. 2019 ; J. Jourdan-Marques, La simplification des exceptions d’incompétence : une bombe à retardement ?, D. 2020. 495 image). Pour mémoire, cet article a pour objectif de simplifier (sic) le règlement des questions de compétence au sein du tribunal judiciaire par un procédé terriblement complexe, qui peut voir se succéder la bagatelle de 4 juges sur la seule question de la compétence matérielle. Ainsi, le juge premier saisi peut, par mention au dossier, régler une telle question avant la première audience et transmettre le dossier au juge désigné ; juge dont les parties peuvent ensuite discuter la compétence, s’il ne le fait lui-même. Si la compétence du deuxième juge est « remise en cause » (sic), il renvoie d’office ou à la demande d’une partie au président du tribunal judiciaire. Après être « remontée », l’affaire « redescend » sur le bureau du juge finalement désigné par détermination présidentielle insusceptible de recours – à la façon d’une mesure d’administration judiciaire. Le manège juridictionnel ne s’arrête virtuellement pas là : la compétence du troisième juge peut encore être contestée par les parties et la décision qui en résultera pourra encore être frappée d’appel dans les conditions du droit commun.

La légalité de l’article 82-1 a été discutée devant le Conseil d’État. La critique procède de ce qu’une telle disposition serait de nature à favoriser, sinon encourager, des manœuvres dilatoires de la part des parties, ce qui entraverait la réalisation de l’objectif de bonne administration de la justice. L’installation de cette disposition constituerait de surcroît une erreur manifeste d’appréciation de la part des auteurs du décret.

Le Conseil d’État ne se laisse pas ébranler par ces moyens assez faibles en droit. La circonstance selon laquelle « ces dispositions sont susceptibles de conduire à l’intervention successive de différents magistrats » est jugée insuffisante à caractériser une méconnaissance de l’objectif à valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice ou une erreur manifeste d’appréciation (consid. 13).

Il est vrai que le dispositif de l’article 82-1 paraît, en opportunité, malheureux. L’inopportunité du fond du texte ne suffit cependant pas à emporter son annulation pour illégalité. C’est en un sens heureux car, à défaut, un nombre considérable de textes issus des récentes réformes de procédure civile seraient exposés à l’annulation, à l’estime du soussigné.

L’exécution provisoire

Rappel des dispositions critiquées

Chacun sait que la réforme de 2019 de la procédure civile a révolutionné, pour le meilleur ou pour le pire (rayer la mention inutile), la question de l’exécution provisoire (sur quoi, v. not., J.-Cl. Procédures Formulaires, v° Exécution provisoire, par M. Barba et R. Laffly, à jour du 26 oct. 2020 ; v. égal., M. Boccon-Gibod et M. Boëlle, Le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, réformant la procédure civile, consacre l’exécution provisoire de droit, Procédures n° 3, mars 2020. Étude 11 ; « Premier bilan de la nouvelle jurisprudence en matière d’arrêt et d’aménagement de l’exécution provisoire », JCP 2021. 101 ; U. Schreiber, Réforme de la procédure civile : exécution provisoire de droit des décisions de justice, Dalloz actualité, 17 déc. 2019). L’idée, encore récemment reprise dans le rapport Sauvé des États généraux de la justice (sur lequel, v. notre récent propos, un brin amer : L’appel civil et les États généraux de la justice, JCP 2022. 1662), était de revaloriser la première instance par la généralisation de l’exécution provisoire de droit – tout en maintenant concurremment et de façon apparemment paradoxale le principe même du caractère suspensif des délais et voies de recours ordinaires, au premier chef desquels l’appel. La réforme de 2019 a donc fait de l’exécution provisoire de droit le principe, cependant que l’exécution provisoire octroyée devenait d’exception, ne pouvant être décidée que dans les hypothèses interstitielles où l’exécution provisoire de droit est écartée sans que l’exécution provisoire soit interdite. Cette généralisation de l’exécution provisoire de droit n’a néanmoins pas atteint tous les compartiments du droit puisque, en matière sociale notamment, l’exécution provisoire de droit demeure d’exception par la grâce de dispositions dérogatoires du code du travail.

La généralisation de l’exécution provisoire de droit s’est accompagnée d’une petite révolution technique. A par exemple été consacrée la possibilité pour le premier juge d’écarter cette exécution provisoire de droit à raison de la nature de l’affaire, sauf dans certaines hypothèses limitativement énumérées, où l’exécution provisoire de droit est absolue, comme irréductible (par ex., en référé, C. pr. civ., art. 514-1, al. 3). Lorsque l’exécution provisoire de droit est écartée, il est possible en cas d’appel d’en demander le rétablissement devant le premier président ou le conseiller de la mise en état, dès sa saisine (C. pr. civ., art. 514-4). Lorsque l’exécution provisoire de droit est maintenue ou impossible à évincer, il est aussi possible en cas d’appel de demander son arrêt devant le premier président de la cour d’appel, sur démonstration de conséquences manifestement excessives (condition classique) et rapport d’au moins un moyen sérieux d’annulation ou de réformation du jugement concerné (condition nouvelle en droit commun, C. pr. civ., art. 514-3). Étant ici rappelé que la partie restée taiseuse en première instance sur l’exécution provisoire de droit n’est recevable à demander son arrêt au premier président qu’à la condition d’évoquer des conséquences manifestement excessives révélées postérieurement à la décision de première instance (C. pr. civ., art. 514-3). C’est une façon détournée d’obliger les parties à discuter de l’exécution provisoire de droit devant le premier juge, à la façon d’un principe de concentration. Cette disposition de l’article 514-3 pose, en droit positif, de redoutables difficultés notamment à l’endroit du référé ; difficultés que la décision du Conseil d’État ne règle pas sans qu’on puisse le lui reprocher.

Les requérants ont critiqué ces innovations du décret attaqué tant sur le principe même de la généralisation de l’exécution provisoire de droit que sur les modalités techniques qui l’ont accompagnée.

Le nouveau principe de l’exécution provisoire de droit

Sur le principe, la critique est frontale. Selon les requérants, il y aurait d’abord une contradiction à affirmer simultanément que toutes les décisions de première instance bénéficient par principe de l’exécution provisoire de droit et que les voies et délais de recours ordinaire sont suspensifs d’exécution. En première approche, on peine effectivement à comprendre de quelle façon ces deux principes antagonistes peuvent coexister. Tenace est le sentiment que l’opération de l’un (principe d’exécution provisoire de droit) vient neutraliser celle de l’autre (principe d’effet suspensif). Le Conseil d’État réalise cependant une conciliation technique indiscutable : le principe d’effet suspensif attaché aux délais et voies de recours ordinaires trouve à s’appliquer dans les hypothèses où l’exécution provisoire de droit est écartée par le premier juge. De même qu’il trouve à s’appliquer dans l’hypothèse où l’exécution provisoire de droit est écartée par la loi sans que le juge ait décidé de l’octroyer. À quoi le juge administratif ajoute que le principe d’effet suspensif trouve encore à s’appliquer dans les matières où l’exécution provisoire est interdite. Techniquement, il est vrai que dans ces trois séries d’hypothèses, le principe d’effet suspensif a vocation à se déployer. Chacun perçoit cependant que le Conseil d’État fait l’aveu, pour ainsi dire, que le principe d’effet suspensif des délais et voies de recours ordinaires n’a plus qu’une vocation résiduelle, en tant qu’il ne s’applique plus qu’à des hypothèses exceptionnelles – ce qui peut surprendre s’agissant d’un principe. Cela ne suffit en tout cas pas à emporter l’annulation de l’article 514 du code de procédure civile.

Pas davantage que l’autre critique consistant à arguer que la généralisation réglementaire de l’exécution provisoire de droit heurterait une norme de niveau supra-décrétal imposant le principe de l’effet suspensif de l’appel (consid. 16). Pour cause, une telle norme n’existe pas en droit positif. Le Conseil d’État souligne par ailleurs, pour mieux montrer la proportionnalité sinon l’opportunité des nouvelles dispositions en matière d’exécution provisoire, que le principe nouveau n’est pas absolu mais assorti de dérogations, d’exceptions et autres garde-fous destinés à en contenir les dérives. Le juge administratif valide ainsi la généralisation de principe de l’exécution provisoire de droit, admettant dans le même temps que cette généralisation pouvait valablement ne pas s’étendre à la matière prud’homale, la différence de situation justifiant une différence de traitement (consid. 17). Le Conseil d’État relève ici à raison les spécificités de la juridiction prud’homale « tant dans ses principes d’organisation qu’au regard de la nature des litiges traités » (idem). À quoi on ajoutera, pour notre part, le taux de réformation considérable des décisions de première instance prud’homale. En passant, signalons qu’il y a là une étrangeté stratégique dans l’argumentaire des requérants consistant à critiquer le principe même de la généralisation de l’exécution provisoire de droit tout en regrettant de ne la voir étendue à la matière prud’homale. Ce type de contradiction n’aura pas aidé le recours à prospérer.

Les modalités nouvelles de l’exécution provisoire de droit

La critique portée par les requérants déborde le principe de la généralisation de l’exécution provisoire de droit pour s’étendre aux modalités techniques l’ayant accompagnée. Ce sont tout d’abord les dispositions des articles 514-1 et 514-3 du code de procédure civile qui sont critiquées, lesquelles intéressent respectivement la mise à l’écart de l’exécution provisoire de droit par le premier juge et son arrêt par le premier président. L’article 514-6 du code de procédure civile est aussi critiqué, lequel indique que les décisions du premier président sur l’exécution provisoire sont insusceptibles de recours. Est aussi et enfin critiqué le célèbre article 524 du code de procédure civile, reprise à droit constant de l’ancien article 526 du code de procédure civile relatif à la radiation pour défaut d’exécution – qui constitue une part importante du problème de la généralisation de l’exécution provisoire de droit en ce qu’il entrave le droit d’appel.

Les articles 514-1 et 514-3 du code de procédure civile. Les requérants critiquent la légalité des articles 514-1 et 514-3 de trois façons différentes.

Tout d’abord, c’est l’imprécision des termes employés par le premier qui est pointée du doigt – en vain (consid. 19).

Ensuite, est discutée la condition tenant à l’exigence de démonstration du sérieux de l’appel devant le premier président, en matière d’arrêt de l’exécution provisoire. Selon les requérants, cela conduit à exiger du premier président une forme de préjugement de l’appel lui-même, préjugement qui risque de peser sur l’issue de l’appel. Le premier président interférerait ainsi avec l’office des juridictions d’appel. Le Conseil d’État ne se laisse pas convaincre, au motif indiscutable que le premier président lui-même (ou son délégué) n’est pas appelé à siéger dans la formation connaissant finalement de l’appel. Cette motivation est en première approche satisfaisante. On persiste cependant à penser que le Conseil d’État évite – ou fait mine d’ignorer – la difficulté réelle, à savoir que le préjugement réalisé par le premier président pèsera dans l’appréciation même de l’appel par les conseillers. Lorsque le premier président dit l’appel dépourvu de sérieux, la cour d’appel peut être plus facilement amenée à le rejeter. Réciproquement, lorsque le premier dit l’appel sérieux, la cour d’appel aura une tendance naturelle à examiner soigneusement l’appel. Les praticiens ont d’ailleurs bien intégré dans leur pratique cette condition de préjugement du sérieux de l’appel par le premier président, qui peut fragiliser certains dossiers à hauteur d’appel. C’est pourquoi la demande d’arrêt de l’exécution provisoire n’est aujourd’hui plus systématique. On peut donc regretter que le Conseil d’État ne se soit pas penché davantage sur cet aspect (Le praticien ne peut d’ailleurs plus former cette demande sans avoir préalablement pensé la question des moyens d’annulation ou de réformation du jugement frappé d’appel ; alors qu’en droit antérieur, il lui était loisible de le faire dans la mesure où seule la condition tenant aux conséquences manifestement excessives était posée. Une nouvelle gymnastique procédurale s’est installée). Toujours est-il que le dispositif de l’article 514-3 est avalisé par le Conseil d’État sur ce point.

Enfin, il est avalisé sur un autre point fondamental, à savoir la variable relative à l’attitude de la partie concernée en première instance : si cette partie, qui requiert à présent l’arrêt de l’exécution provisoire de droit, a discuté la question en première instance, il lui « suffit » de faire valoir, outre le sérieux de son appel, des conséquences manifestement excessives ; en revanche, si cette partie est demeurée silencieuse, elle ne sera recevable en sa demande d’arrêt qu’à la condition d’alléguer des conséquences manifestement excessives survenues postérieurement à la décision de première instance ; ce qui complexifie la procédure d’arrêt mais également, compte tenu de la possibilité de radiation de l’appel pour défaut d’exécution, le droit d’appel lui-même.

Pour être parfaitement comprise, cette critique adressée à l’article 514-3 doit être rapprochée d’une autre : les conditions qui permettent d’obtenir la mise à l’écart de l’exécution provisoire devant le premier juge et son arrêt devant le premier président ne sont pas alignées. C’est une chose étrange de prime abord : les juridictions saisies paraissent juger de la même question de l’exécution provisoire de droit mais selon des conditions distinctes. Surtout, la logique de l’article 514-3 , qui sanctionne de la manière décrite le fait de demeurer silencieux sur l’exécution provisoire de droit en première instance, ne se comprend rationnellement pas puisque l’article 514-1 est pour sa part indifférent à la question des conséquences manifestement excessives, pour s’articuler entièrement autour de la compatibilité de l’exécution provisoire de droit au regard de la nature de l’affaire. La réalité est que les textes ont été imparfaitement rédigés, les moutures successives s’étant mélangées, laissant apparaître un nuancier involontaire de conditions, différentes en fonction de la demande (de mise à l’écart, d’arrêt et de rétablissement…).

Le Conseil d’État n’y trouve cependant rien à redire. À son estime, la contrainte issue de l’article 514-3 imposant indirectement aux parties de discuter l’exécution provisoire de droit en première instance « n’apparaît pas excessive au regard des objectifs poursuivis par la réforme » (consid. 20). Quant au désalignement général des conditions pour la mise à l’écart et l’arrêt, il s’expliquerait tout simplement par le fait que « le contrôle (est) opéré à des stades distincts de la procédure » et « peut (donc) se fonder le cas échéant sur des éléments distincts » (idem). On peine cependant à être parfaitement convaincu que la nature de l’affaire, décisive en première instance, ne soit plus d’aucune pertinence dans la procédure d’arrêt et que la condition tenant aux conséquences manifestement excessives varie d’un stade à l’autre dans son intensité… alors que la condition n’est d’aucune pertinence en première instance. Il y a là un illogisme persistant.

Le Conseil d’État fait superbe abstraction, en passant, de l’hypothèse actuellement critique du référé (sur quoi, v. not., M. Boccon-Gibod et M. Boëlle, Premier bilan de la nouvelle jurisprudence en matière d’arrêt et d’aménagement de l’exécution provisoire, préc.). Aucun praticien n’ignore que la jurisprudence des premiers présidents est actuellement fracturée. Certaines décisions retiennent que l’exigence posée par l’article 514-3 est générale : à défaut de faire valoir des observations sur l’exécution provisoire de droit en première instance de référé, une partie ne serait recevable à demander l’arrêt qu’à la condition d’alléguer des conditions manifestement excessives survenues postérieurement au jugement de première instance. À quoi d’autres décisions « répondent », fort justement à notre estime, qu’en matière de référé, les parties ne peuvent utilement faire d’observations sur l’exécution provisoire puisque, par la grâce de l’article 514-1, alinéa 3, le premier juge ne peut écarter l’exécution provisoire de droit en matière de référé. Ce qui conduit à neutraliser, en matière de référé, l’exigence de discussion de l’exécution provisoire de droit devant le premier juge. Actuellement, la jurisprudence est divisée, ce qui est d’abord le fait d’une rédaction particulièrement défectueuse des dispositions en question. On aurait aimé voir le Conseil d’État assortir d’une forme de « réserve d’interprétation » l’article 514-3 en matière de référé pour terminer la controverse. Il ne le fait pas. La controverse n’est donc pas près de s’éteindre ; en particulier parce que les décisions en la matière sont insusceptibles de recours en vertu de l’article 514-6, auquel s’attaquent également les requérants.

L’article 514-6 du code de procédure civile. Le premier président, saisi d’une demande d’arrêt de l’exécution provisoire de droit (art. 514-3) ou de rétablissement de celle-ci (art. 514-4), statue en référé par une demande non susceptible de pourvoi (art. 514-6). Il en va de même en matière de radiation (art. 524). À la vérité, les décisions du premier président sont susceptibles d’un pourvoi-nullité – le recours-nullité étant précisément ouvert en cas d’excès de pouvoir lorsque les recours ordinaires et extraordinaires sont fermés par les textes (sur quoi, v. Civ. 2e, 13 janv. 2022, n° 20-17.344, Dalloz actualité, 11 févr. 2022, obs. T. Goujon-Bethan ; Procédures n° 3, mars 2022. Comm. 55, obs. Y. Strickler). Il reste néanmoins qu’il est impossible d’articuler un pourvoi classique à l’encontre d’une décision du premier président statuant en matière d’exécution provisoire. L’article 514-6 ne peut au demeurant être regardé, suivant les mots du Conseil d’État, comme purement confirmatif des dispositions précédemment en vigueur, en particulier l’ancien article 525-2 du code de procédure civile, en ce qu’il doit être appréhendé dans le nouveau contexte normatif institué par le décret attaqué ayant généralisé l’exécution provisoire de droit. Le Conseil d’État avalise néanmoins les dispositions de l’article 514-6. Le Conseil d’État considère que dans la mesure où les décisions du premier président ont « pour unique objet » l’exécution provisoire de droit et non le « fond du litige », il n’est pas problématique qu’elles soient insusceptibles de pourvoi. Ce d’autant que « la décision rendue au fond au terme de la procédure d’appel peut, le cas échéant, faire l’objet d’un pourvoi en cassation » (consid. 24).

C’est là un passage particulièrement décevant de la décision, qui montre que le Conseil d’État ne prend pas la pleine mesure du problème. À suivre le juge administratif, si l’on caricature, les décisions sur l’exécution provisoire seraient de l’ordre du détail technique, cependant que seule la décision au fond de la cour d’appel importerait. Ce qui expliquerait la différence drastique de régimes de recours. À quoi l’on répondra uniquement que lorsque l’exécution provisoire de droit est maintenue et que la radiation pour défaut d’exécution est prononcée, par exemple faute d’avoir convaincu le magistrat compétent de l’impossibilité d’exécution, aucune décision n’est rendue sur le fond même de l’appel. Nul n’ignore aujourd’hui que les décisions relatives à l’exécution provisoire sont décisives du sort de l’appel. En sorte qu’il y a quelque chose d’incongru à interdire les recours à l’encontre des décisions en la matière qui ne sont pas, tant s’en faut, assimilables à de simples mesures d’administration judiciaire. La décision du Conseil d’État est donc décevante de ce chef.

L’article 524 du code de procédure civile. La décision relative à la légalité de l’article 524 – siège de la radiation pour inexécution de la décision frappée d’appel – est également décevante mais n’est pour sa part pas surprenante : le dispositif existait déjà à l’identique avant la réforme ; il n’a fait que prendre de l’importance avec la généralisation de l’exécution provisoire de droit. Le juge administratif détaille la procédure de radiation et se contente, peu ou prou, d’en affirmer l’équilibre global, pour conclure sèchement à sa légalité (consid. 27).

La représentation obligation

Furent également soumises à l’examen du Conseil d’État les nouvelles dispositions relatives à la représentation obligatoire en opérant une extension (v. A. Bolze, Réforme de la procédure civile : extension de la représentation obligatoire par un avocat et procédure sans audience, Dalloz actualité, 19 déc. 2019). La réforme de 2019 a effectivement opéré en la matière un petit bouleversement. Pour mémoire, un décalage a été opéré : avant, les procédures écrites obéissaient au principe de représentation obligatoire cependant que les procédurales orales y échappaient ; désormais, l’oralité de la procédure n’est plus un marqueur décisif et certaines procédurales orales obéissent bien au principe de représentation obligatoire. Techniquement, il faut donc parfois mobiliser un postulant dans les procédures orales couvertes par la représentation obligatoire et se déroulant hors ressort territorial du dominus litis.

Tribunal judiciaire

Pour le tribunal judiciaire, le principe est fixé par l’article 760 du code de procédure civile, à savoir le principe général de représentation obligatoire. Une exception est cependant posée à l’article 761 du même code. Les parties sont dispensées de constituer avocat : dans les matières relevant de la compétence du juge des contentieux de la protection ; dans les matières relevant, pour l’essentiel, de l’ancien tribunal d’instance devenu chambre de proximité du tribunal judiciaire ; pour les demandes portant sur un montant inférieur ou égal à 10 000 € et assimilées. Exception à l’exception : dans les matières relevant de la compétence exclusive du tribunal judiciaire, la représentation par avocat est obligatoire. Ces dispositions doivent, en un sens, être lues en conjonction avec d’autres, dont l’article 750 du code de procédure civile. Aux termes de celui-ci, la demande en justice devant le tribunal judiciaire est normalement formée par assignation mais peut l’être par requête lorsque le montant n’excède pas 5 000 € en procédure orale ordinaire ou dans certaines matières déterminées. Dit autrement, pour ce qui nous intéresse, il y a là un régime procédural un peu particulier notamment pour les demandes excédant 5 000 € mais ne dépassant pas 10 000 € : la constitution n’est pas obligatoire mais l’instance n’en doit pas moins être introduite sur assignation. La légalité de ces dispositions est mise en cause devant le Conseil d’État.

Le juge administratif valide ces dispositions sans coup férir. Tout d’abord, la circonstance que la combinaison des articles 750 et 761 puisse conduire à imposer le recours à l’assignation dans une matière où les parties sont dispensées de constituer avocat « ne met pas à la charge des justiciables une contrainte manifestement excessive » (consid. 31). Ensuite, en s’en tenant à l’essentiel, le Conseil d’État n’identifie aucune difficulté particulière à ce que la représentation soit rendue obligatoire en procédure orale, même si cela revient à imposer en certains cas la postulation (consid. 33).

À la vérité, on peut s’étonner, non de la décision du Conseil d’État, qui semblait acquise d’avance de ce chef, mais de la critique portée par le CNB et les autres requérants, qui semblent, en un sens, jouer là contre leur propre camp. Le droit d’accès au juge est-il donc mieux garanti dans les procédures sans représentation obligatoire ? C’est l’idée que semblent défendre les requérants… Il est permis de ne pas la partager.

Tribunal de commerce et juge de l’exécution

Le Conseil d’État valide également les dispositions de l’article 853 du code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret attaqué, faisant logiquement abstraction des modifications ultérieures réalisées par le décret du 27 novembre 2020. Le Conseil d’État n’annule pas davantage les dispositions issues du décret attaqué relatives à la représentation obligatoire et à la notification des décisions devant le juge de l’exécution, en particulier l’article 678 du code de procédure civile rendu applicable par l’article R. 121-5 du code des procédures civiles d’exécution.

Tel in globo le champ de la confirmation réalisée par le Conseil d’État. Voyons à présent le champ de l’annulation.

 

À suivre, dans l’édition du mardi 4 octobre de Dalloz actualité : Contrôle de légalité de la réforme de la procédure civile de 2019. Retour vers le futur au Conseil d’État (Deuxième partie : le champ d’annulation)

Rapport judiciaire se fondant sur un rapport officieux : nullité… si grief

Dans le cadre d’un litige opposant un locataire à son bailleur, et relatif à la résiliation du bail aux torts de ce dernier, une expertise est ordonnée en référé.

Ne pouvant, pour des raisons météorologiques, accéder au toit de l’immeuble pour constater les désordres, l’expert avait examiné, avec les parties, les documents photographiques annexés à un précédent rapport d’expertise, officieux et non-contradictoire.

Le bailleur s’était prévalu de la nullité de ce rapport d’expertise judiciaire, au motif que l’expert n’avait pas rempli personnellement sa mission, en violation de l’article 233 du code de procédure civile.

La cour d’appel d’Agen ne l’avait pas suivi, et le bailleur n’obtiendra pas une meilleure écoute devant la Cour de cassation qui rejette le pourvoi.

Le rapport d’expertise judiciaire à l’épreuve de la nullité pour vice de forme

La Cour de cassation nous dit que « les irrégularités affectant le déroulement des opérations d’expertise (…) sont sanctionnées selon les dispositions de l’article 175 du code de procédure civile qui renvoient aux règles régissant la nullité des actes de procédure, et notamment aux irrégularités de forme de l’article 114 du code de procédure civile ».

Cela mérite quelques explications, car c’est une nullité soumise à un régime un peu différent des nullités des actes de procédure.

L’irrégularité des opérations d’expertise relève du régime des exceptions de procédure, mais sans pour autant être une exception de procédure, comme nous l’a précisé la Cour de cassation (Civ. 2e, 31 janv. 2013, n° 10-16.910 P, D. 2013. 372 image ; ibid. 2802, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Darret-Courgeon image ; ibid. 2014. 795, obs. N. Fricero image ; JCP 2013. 263, note X. Vuitton ; Gaz. Pal. 24-25 mai 2013, p. 27, note Amrani Mekki ; Procédures 2013. Chron. 2, obs. Raschel ; ibid. n° 98, note Perrot ; Dr. et pr. 2013. 55, note Fricero).

En conséquence, et ce rappel ne paraît pas inutile, il n’y a pas lieu de saisir le magistrat de la mise en état en application de l’article 789 du code de procédure civile pour qu’il se prononce sur cette nullité, lequel magistrat de la mise en en état étant déjà bien occupé par ailleurs pour trancher les fins de non-recevoir dont il a hérité.

Et cette nullité présente aussi une particularité, en ce que la sanction pourra être atténuée. En effet, la nullité peut ne pas être intégrale, et ne pas affecter l’ensemble du rapport d’expertise (Civ. 2e, 12 juin 2003, n° 01-13.502 P, D. 2003. 2284 image ; Gaz. Pal. 9-10 juill. 2004, p. 13, obs. du Rusquec).

Pour autant, c’est bien le régime des nullités qui régit l’irrégularité.

Et si l’arrêt précité du 31 janvier 2013 pouvait éventuellement laisser entendre le contraire, l’irrégularité, et donc la nullité, devra être soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir (Civ. 1re, 30 avr. 2014, n° 12-21.484 P, D. 2014. 1040 image ; ibid. 2015. 287, obs. N. Fricero image ; ibid. 649, obs. M. Douchy-Oudot image ; ibid. 1231, obs. M. Bacache, D. Noguéro, L. Grynbaum et P. Pierre image ; AJ fam. 2014. 382, obs. P. Hilt image ; RTD civ. 2014. 936, obs. B. Vareille image ; Gaz. Pal. 10-12 août 2014, p. 33, obs. Leducq ; ibid. 9 sept. 2014, p. 11, note Amrani Mekki ; ibid. 14-16 sept. 2014, p. 35, obs. Casey ; LPA 31 mars 2015, p. 10, note Blaringhem-Lévêque; ibid. 8 mai 2015, p. 14, note YildIrim ; 14 nov. 2018, n° 17-28.529 P, Dalloz actualtié, 11 déc. 2018, obs. A. Hacene et M. Kebir). Hors de question, donc, d’invoquer la nullité « en tout état de cause », et la partie devra donc veiller à ne pas couvrir l’irrégularité en présenter des moyens de défense.

Outre cette antériorité, la nullité, en ce qu’elle relève des nullités pour vice de forme – et nous ne voyons pas comment une nullité de rapport d’expertise pourrait être de fond –, obligera la partie à justifier d’un grief.

Il ne suffit pas à la partie de se prévaloir d’une irrégularité, encore faut-il qu’il existe un grief.

Et c’est là certainement la principale difficulté pour espérer obtenir une nullité.

Pas de grief, pas de nullité

L’expert judiciaire n’avait pas pu accéder au toit pour constater de lui-même les désordres allégués.

Pour pallier à cette impossibilité, temporaire puisqu’elle résultait de la météo au moment des opérations d’expertise, l’expert a examiné les documents photographiques annexés à un rapport d’expertise qui non seulement était amiable, mais surtout n’était pas contradictoire.

Tout de suite, nous pensons à ces rapports d’expertise amiables, ou officieux, dont nous connaissons le peu de poids lorsqu’il s’agit d’administrer la preuve.

Si un tel rapport peut effectivement constituer un élément de preuve, encore faut-il qu’il ait été soumis à la discussion (cette fois contradictoire) des parties. Mais surtout, le juge ne peut fonder exclusivement sa décision sur un tel rapport, même si les parties ont pu en discuter (Cass., ch. mixte, 28 sept. 2012, n° 11-18.710 P, D. 2012. 2317, et les obs. image ; ibid. 2013. 269, obs. N. Fricero image ; ibid. 2802, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Darret-Courgeon image ; RTD civ. 2012. 769, obs. R. Perrot image ; RJ com. 2013. 59, obs. V. Vigneau ; Civ. 2e, 7 nov. 2013, n° 12-25.334 P).

C’est au vu d’un tel rapport que le technicien commis a pu établir ses conclusions, et rédiger un rapport d’expertise judiciaire.

En d’autres termes, les documents photographiques, qui jusqu’alors avaient une valeur assez relative, se sont vus accorder le poids accordé à une expertise judiciaire dont on sait que même si elle ne lie pas le juge (C. pr. civ., art. 246), ce dernier a parfois un peu de mal à s’en défaire. Et quiconque part avec un rapport d’expertise défavorable éprouvera le plus grand mal à remonter la pente et à espérer un jugement en sa faveur. Et précisément, la nullité du rapport d’expertise peut permettre cette remontée de pente, d’où l’intérêt de tout mettre en œuvre pour pouvoir utilement invoquer cette nullité.

Il apparaît que l’expert, quant à lui, s’était fondé exclusivement sur cette seule expertise amiable, non contradictoire, pour constater la réalité des désordres. Ce que le juge ne pouvait faire, l’expert le pouvait. Ce procédé revient tout de même à donner une force particulière à un rapport officieux qui jusqu’alors ne valait pas grand-chose devant une juridiction.

Mais voilà, il se trouve que ces documents avaient été examinées avec les parties. Il a donc été soumis à la libre discussion des parties… tout comme l’est le rapport officieux communiqué dans le cadre d’un litige, et qui pourtant ne lui confère pas une autorité permettant au juge de se l’approprier de manière exclusive.

Mais surtout, et c’est certainement là l’essentiel, la partie n’avait pas contesté cette manière de faire de l’expert.

Dans son dire, la partie n’avait pas contesté la réalité des désordres constatés par l’expert avec ces documents photographiques.

En conséquence, en l’absence de contestation de la part de la partie, celle-ci ne peut arguer d’un grief.

Au regard de cet arrêt, il en ressort que la partie aurait dû anticiper cette nullité, et contester le procédé lors des opérations d’expertise. La partie aurait dû refuser que l’expert se fonde sur des éléments d’un rapport officieux.

Ne l’ayant pas fait, et n’ayant pas exigé par exemple de l’expert qu’il revienne aux beaux jours pour accéder au toit, la partie s’était privée de la possibilité de se prévaloir ultérieurement d’une nullité au motif que l’expert n’avait pas accompli personnellement sa mission.

Et pourtant, il n’était pas abusif de soutenir que l’expert n’avait pas satisfait aux dispositions de l’article 233 du code de procédure civile.

Au demeurant, la Cour de cassation ne dit pas l’inverse. Elle ne dit pas que l’expert peut, de cette manière, transformer tout ou partie d’un rapport officieux en un rapport d’expertise judiciaire.

Mais si personne ne le conteste en temps utile, la partie devra se taire à jamais, sans pouvoir arguer d’une quelconque nullité qui autrement avait probablement des chances de prospérer, dès l’instant où il n’est pas discutable que l’expert n’a pas constaté de lui-même la réalité des désordres, faut d’être monté sur le toit (v. pour la nullité d’un rapport alors que l’expert a renvoyé les parties à un rapport concernant la cause des désordres, Civ. 2e, 11 janv. 1995, n° 93-14.697 P).

Il appartient donc aux parties d’être vigilante, lorsque l’expert entend se fonder sur des éléments provenant d’une expertise officieuse, surtout lorsque les conclusions de ce rapport sont contestées.

La nullité du rapport se prépare dès le déroulement des opérations d’expertise.

Congé délivré par LRAR : l’irrégularité ne fait pas un pli !

« Baux d’habitation : bannissez la lettre recommandée ! » Cette supplique adressée par la doctrine à la fin du siècle dernier aux contractants et à leurs conseils n’a pas pris une ride (J.-P. Blatter, AJDI 1997. 192 image).

Remise de la lettre à son destinataire

La raison de cette défiance envers ce mode de remise est à rechercher à l’alinéa 3 de l’article 669 du code de procédure civile, qui dispose que « la date de réception d’une notification faite par lettre recommandée avec demande d’avis de réception est celle qui est apposée par l’administration des postes lors de la remise de la lettre à son destinataire » (pour des décisions rendues au visa de cet article en matière de bail d’habitation, v. Civ. 3e, 14 déc. 1994, n° 93-12.481, AJDI 1997. 209 image ; ibid. 192, obs. J.-P. Blatter image ; 10 janv. 1996, n° 93-17.725, D. 1996. 369 image, obs. CRDP Nancy II image ; AJDI 1997. 209 image ; ibid. 192, obs. J.-P. Blatter image ; refusant de prendre en considération la date d’arrivée de la lettre au bureau de poste, v. aussi, Civ. 3e, 10 janv. 1996, n° 93-21.097, AJDI 1997. 209 image ; ibid. 192, obs. J.-P. Blatter image ; v. encore not., Civ. 3e, 7 janv. 1998, n° 96-10.326, D. 1998. 35 image ; AJDI 1998. 272 image, obs. J.-P. Blatter image ; RDI 1998. 305, obs. F. Collart-Dutilleul image ; 2 févr. 2005, n° 04-10.219, AJDI 2005. 463 image, obs. Y. Rouquet image ; 24 sept. 2020, n° 19-16.838, D. 2021. 1048, obs. N. Damas image).

Partant, le destinataire de l’envoi à qui la lettre n’est pas « remise » (parce que, absent lors du passage du préposé, il ne va pas retirer le pli à La Poste ou parce qu’il refuse de signer l’avis de réception) est réputé ne pas l’avoir reçue. Et le délai que le courrier est censé faire courir reste … lettre morte.

Stratégies de contournement

Devant cette fragilité consubstantielle de la lettre recommandée avec demande d’avis de réception, les législations spéciales ont adopté diverses stratégies de contournement.

Ainsi, la loi du 6 juillet 1989 permet-elle, en son article 15, que les notifications prennent la forme, certes d’une « LRAR », mais aussi d’une remise en main propre contre récépissé ou émargement, voire d’un acte d’huissier (forme qui, soit dit en passant, aux termes de l’art. 651 du c. pr. civ. est envisageable alors même qu’elle n’est pas expressément prévue ; concernant la sécurité juridique que confère le recours à un huissier, V. Fradin, Dr. et patr. 1/2010. 66). Le texte précise par ailleurs que le délai court « à compter du jour de la réception de la lettre recommandée, de la signification de l’acte d’huissier ou de la remise en main propre » (assimilant la notion de « réception » à celle de « remise effective au locataire », v. Civ. 3e, 13 juill. 2011, n° 10-20.478, Dalloz actualité, 31 août 2011, obs. Y. Rouquet ; D. 2011. 2037, obs. Y. Rouquet image ; ibid. 2012. 1086, obs. N. Damas image ; AJDI 2012. 121 image, obs. N. Damas image).

Plus radicale est l’approche adoptée par les textes en matière de copropriété et de délai de rétractation dans le cadre d’une vente immobilière, puisque tant l’article 64 du décret du 17 mars 1967 (en copropriété) que l’article L. 271-1 du code de la construction et de l’habitation (relatif à la vente) considèrent que le destinataire a reçu la lettre recommandée avec demande d’avis de réception le lendemain du jour de sa première présentation.

Pli avisé et non réclamé

Au cas particulier, le locataire signataire d’un bail d’habitation estimait être délié de tout engagement à l’égard de son cocontractant à l’issue du congé qu’il avait adressé au bailleur via une LRAR, alors même que la lettre lui était revenue avec la mention « pli avisé et non réclamé ».

En appel, il a obtenu gain de cause, le juge ayant estimé que le congé avait été régulièrement donné pour la date mentionnée dans l’acte.

Si, au regard de ce qui vient d’être exposé, on ne saurait être surpris de la censure opérée par le juge du droit (au visa de l’art. 15 de la loi de 1989), en revanche, on a du mal à s’expliquer comment un tel contentieux a, une fois encore, pu encombrer les prétoires.

Des dépens engagés par le consommateur dans le cadre du contrôle des clauses abusives

La Cour de justice de l’Union européenne continue son travail d’interprétation de la directive 93/13/CEE sur la réglementation des clauses abusives. Les renvois préjudiciels sont, ces temps-ci, assez nombreux et c’est dans ce contexte que la Cour de justice a pu rendre deux arrêts le même jour sur cette thématique (v. aussi CJUE 22 sept. 2022, aff. C-335/21, Vicente c/ Delia, à paraître au Dalloz actualité). Dans sa décision Zulima c/ Servicios Prescriptor y Medios de Pagos EFC SAU, la Cour vient examiner une question qui n’intéresse, de prime abord, pas directement les clauses abusives mais qui concerne tous les plaideurs engageant des actions contre des professionnels en vue de réputer non écrites ces clauses. Il s’agit d’un problème de procédure civile : celui des dépens engagés à l’occasion de l’instance. Ces derniers sont, en procédure civile française, supportés par la partie perdant le procès même si des exceptions existent (C. pr. civ., art. 696). On peut raisonnablement estimer que lorsqu’un professionnel succombe sur une thématique de clauses abusives, il est fréquemment condamné aux dépens de l’instance (sauf si chacun supporte ses propres dépens, ce qui peut arriver quand chaque plaideur succombe partiellement). Le consommateur n’a pas, dans ce contexte, alors la charge pécuniaire de la procédure visant à réputer non écrites des clauses abusives. Mais qu’en est-il quand, avant l’issue judiciaire, une voie amiable est trouvée entre le consommateur et le professionnel ? Tel est le problème posé en substance par l’arrêt du 22 septembre 2022 commenté.

Rappelons les faits pour comprendre comment la juridiction de renvoi a été saisie : ces derniers se déroulent en Espagne, dans les îles Canaries. Un consommateur conclut un contrat de crédit à la consommation renouvelable avec un professionnel du crédit par acte du 21 septembre 2016. Moins de quatre ans plus tard, l’emprunteur invoque le caractère usuraire du prêt et souhaite en obtenir la résiliation ainsi que le remboursement par le professionnel des sommes indûment perçues. Le professionnel du crédit refuse de donner satisfaction au consommateur par la voie amiable. Le requérant saisit donc une juridiction, le Juzgado de Primera Instancia n° 2 de Las Palmas de Gran Canaria (le tribunal de première instance de Grande Canarie en Espagne), pour constater la nullité du contrat de crédit en invoquant notamment son caractère usuraire. À titre subsidiaire, il invoque le caractère abusif de la clause relative aux intérêts notamment en raison d’un défaut de transparence du prêteur de deniers. Le recours est jugé recevable. Mais voici que notre professionnel souhaite obtenir la radiation de l’affaire dans le temps imparti pour conclure en faisant valoir que le consommateur aurait obtenu satisfaction par voie extrajudiciaire et qu’il avait pu notamment obtenir la résiliation du contrat de crédit concerné et le remboursement souhaité. Précisons tout de suite qu’en Espagne, si les chefs de demande sont satisfaits en dehors de la procédure, celle-ci est close sans qu’il y ait lieu de statuer sur les dépens de l’instance. Problème : le consommateur n’est pas d’accord avec la radiation de l’affaire en estimant que celle-ci n’était pas fondée au principal. Ce dernier précise qu’il n’a pas pu obtenir la nullité du contrat et qu’il souhaite obtenir à son profit la condamnation du professionnel aux dépens puisque celui-ci n’avait pas souhaité le rembourser pendant la phase amiable.

Voici la juridiction bien embarrassée : elle remarque que le demandeur à l’action a obtenu satisfaction par voie extrajudiciaire. Les chefs de demandes sont satisfaits en dehors de la procédure puisque le consommateur a pu obtenir la résiliation du contrat et le remboursement des sommes indûment versées. L’embarras vient d’une règle issue du droit espagnol empêchant les juridictions de condamner l’une ou l’autre des parties aux dépens quand celles-ci ont trouvé une issue extrajudiciaire à l’instance en cas notamment de protocole transactionnel. En outre, elle n’est pas autorisée à prendre en compte l’existence de mises en demeure antérieures à la procédure judiciaire pour apprécier si le professionnel est de mauvaise foi. C’est de ces points que le renvoi préjudiciel est né. Le Juzgado de Primera Instancia n° 2 de Las Palmas de Gran Canaria décide donc de surseoir à statuer.

La juridiction de renvoi a posé à la Cour de justice la question préjudicielle suivante :

Dans le cadre des recours de consommateurs contre des clauses abusives, fondés sur la [directive 93/13], en cas de satisfaction extrajudiciaire de ces consommateurs, l’article 22 de la [LEC] prévoit que lesdits consommateurs doivent supporter les dépens de l’instance, et ce indépendamment du comportement adopté antérieurement par le professionnel concerné, qui n’a pas donné suite aux mises en demeure préalables. Cette réglementation espagnole en matière de procédure constitue-t-elle un obstacle significatif susceptible de dissuader les mêmes consommateurs d’exercer leur droit à un contrôle juridictionnel effectif du caractère potentiellement abusif d’une clause contractuelle, obstacle qui serait contraire au principe d’effectivité ainsi qu’à l’article 6, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE ?

La Cour de justice répond à cette question délicate en essayant de préserver l’autonomie procédurale des États tout en liant, comme à l’accoutumée, la question au principe d’effectivité et au principe d’équivalence. Notons, à titre liminaire, la présence d’un problème épineux de compétence ainsi qu’un problème de recevabilité. Ce sera le plan de notre étude.

Une immixtion discutée dans la réglementation procédurale d’un État membre

Les arrêts répondant aux renvois préjudiciels posés par les juridictions nationales en matière de clauses abusives n’ont que des développements assez rapides sur la question de la compétence et de la recevabilité de la question posée. Ici, les paragraphes nos 17 à 24 (sur la compétence) et nos 25 à 31 (sur la recevabilité) sont particulièrement développés et pour cause : le gouvernement espagnol était assez fermement opposé à ce que la Cour de justice de l’Union se penche sur la question car il considérait que le renvoi était tout à la fois hors du champ de compétence de l’Union et qu’il doutait de l’interprétation faite du droit interne par la juridiction de renvoi. Nous allons examiner pourquoi cette interrogation liminaire permet de se rendre compte du niveau de protection imposé par la Cour de justice de l’Union européenne en matière de clauses abusives.

Sur la question de la compétence, bien évidemment c’est à la Cour de justice de vérifier sa propre compétence comme une jurisprudence constante l’exige. Le problème était épineux car il est tout à fait exact que la question des dépens concerne le droit judiciaire privé espagnol, domaine qui ne devrait pas pouvoir intéresser le droit de l’Union. Mais la Cour de justice sauve sa compétence en rappelant que l’enjeu procédural est directement lié à la thématique de clause abusive issue de la directive 93/13/CEE : le but est de savoir si la règle procédurale « peut constituer un obstacle substantiel susceptible de décourager les consommateurs d’exercer leurs droits, en violant des dispositions du droit de l’Union, à la lumière du principe d’effectivité » (§ n° 21 de l’arrêt). La Cour rappelle alors sa jurisprudence sur les injonctions de payer et cite toute une panoplie d’arrêts récents où elle a pu déployer cette analyse et détecter des procédures dissuasives pour les consommateurs (la Cour cite, 14 juin 2012, aff. C‑618/10, Banco Español de Crédito, pt 54, Dalloz actualité, 15 juill. 2012, obs. Caroline Fleuriot ; D. 2012. 1607 image ; ibid. 2013. 945, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; RTD eur. 2012. 666, obs. C. Aubert de Vincelles image ; 18 févr. 2016, aff. C-49/14, Finanmadrid EFC, pt 52 ; 13 sept. 2018, C-176/17, Profi Credit Polska, pt 69, D. 2019. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image). La question de la compétence est donc ici réglée à la double satisfaction du principe d’équivalence et du principe d’effectivité (§ n° 23). Le renvoi préjudiciel ne vise pas à étudier la règle procédurale en elle-même mais à vérifier si elle ne fait pas obstacle à la protection contre les clauses abusives. Nuance légère mais importante, en somme.

Sur la question de la recevabilité de la question préjudicielle, le requérant et le gouvernement espagnol arguaient d’une correction jurisprudentielle des textes du LEC. Ils estiment qu’un « critère de correction » permettrait de prendre en compte la mauvaise foi du professionnel et du défendeur et de condamner celui-ci aux dépens même en cas de satisfaction extrajudiciaire empêchant normalement cette condamnation. La Cour de Justice rappelle bien qu’elle est incompétente pour interpréter le droit national (§ n° 26), motif récurrent de ses décisions. Elle précise que le rejet d’une demande de décision préjudicielle n’est possible que si l’interprétation demandée n’a pas de rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou quand le problème est de nature hypothétique. La Cour peut également juger la question irrecevable quand elle ne dispose pas assez d’éléments en fait et en droit pour y répondre. Le paragraphe n° 28 sonne le glas de cette argumentation en rappelant que ce n’est pas le cas ici : la question est donc recevable. Était-elle nécessaire ? La question se discute en droit espagnol.

La compétence et la recevabilité permettent de montrer que même à propos d’un objet aussi éloigné de la compétence de l’Union (le droit procédural des États membres), la Cour de justice arrive à pouvoir sauvegarder la question posée par la juridiction de renvoi. Ceci lui permet, chemin faisant, de glaner un terrain rarement devant elle et périphérique aux clauses abusives, celui de la procédure qui est le cadre juridictionnel du contrôle de la protection du consommateur contre celles-ci.

Le fond présente un degré d’intérêt tout aussi important pour les spécialistes de droit de la consommation.

Un contrôle nuancé de la réglementation procédurale sur les dépens

La question permet de déterminer si des législations nationales peuvent ne pas permettre la condamnation aux dépens du professionnel quand le consommateur a pu trouver une issue favorable à ces demandes dans le cadre extrajudiciaire. La difficulté est, en droit espagnol, de l’impossibilité, au moins selon la juridiction de renvoi, de prendre en compte le comportement du professionnel qui n’avait pas répondu aux mises en demeure adressées avant la saisine de la juridiction pour le condamner aux dépens de l’instance qui se solde par voie amiable.

Les paragraphes nos 34 à 38 permettent de justifier – une dernière fois si nécessaire – la compétence de la Cour dans le contrôle opéré pour répondre à la juridiction de renvoi. La question des dépens, en ce qu’elle dépend (sans mauvais jeu de mot) de la procédure nationale de chaque État membre, ne devrait pas pouvoir être dans le champ de son contrôle. Mais ici, les principes d’effectivité et d’équivalence lui permettent de s’y intéresser pour savoir si le contrôle des clauses abusives peut être correctement réalisé eu égard à cette question. La Cour de justice cite donc son arrêt Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria (CJUE 16 juill. 2020, aff. C-224/19 et C-259/19, pt 98, D. 2020. 1516 image ; ibid. 2021. 594, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image) pour rappeler avec force que la répartition des dépens peut être un des obstacles procédural susceptible de décourager les consommateurs de pouvoir bénéficier de la protection contre les clauses abusives.

Or, le point faisant difficulté est un peu différent dans la question posée dans l’arrêt du 22 septembre 2022. Dans le droit espagnol, le consommateur engageant une action visant à annuler une clause abusive (en France, à la réputer non écrite) doit supporter ses propres dépens quand une issue extrajudiciaire est trouvée. La Cour de justice, sans le dire tout à fait explicitement, condamne cette pratique au paragraphe n° 41 en y voyant un de ces obstacles substantiels de nature à empêcher le consommateur de profiter de la réglementation issue du droit de l’Union. Or, comme le rappelle le gouvernement espagnol, un « principe de correction » prétorien est dégagé par les juridictions en la matière permettant de condamner le professionnel aux dépens en pareille situation quand il est démontré que ce dernier est de mauvaise foi. Dans notre affaire, la question se discute mais il est constant que le professionnel n’a pas répondu aux sollicitations amiables avant la saisine du juge. Ce n’est que sous la pression de cette saisine qu’il a pu proposer une issue amiable. Sa mauvaise foi pourrait donc permettre aux juridictions de renvoi de le condamner aux dépens et donc de permettre au consommateur de ne pas supporter toute une série de dépenses… même si en l’état aucune annulation n’a été prononcée. C’est l’effet comminatoire de la protection contre les clauses abusives qui est à l’œuvre. Mais il n’en reste pas moins que même à ce stade précoce, certains frais ont été engagés.

La réponse est donc teintée de nuances. Une réglementation nationale peut laisser le consommateur supporter ses propres dépens quand une issue extrajudiciaire au litige sur une clause abusive est trouvée. Mais elle doit impérativement permettre au juge de tenir compte de l’éventuelle mauvaise foi du professionnel et, le cas échéant, lui laisser la possibilité de condamner ce dernier aux entiers dépens. Voici une précision fort utile ! En droit français, la question posera certainement moins de difficultés (v. sur ceci , Rép. civ., v° Désistement, par Y. Strickler, 2021, n° 149).

Comment instruire et juger une demande « en la forme des référés » ?

Légiférer est un art difficile ! Telle pourrait être la morale de l’avis rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 14 septembre 2022.

Il n’y a pas si longtemps les textes regorgeaient de demandes qui devaient être instruites et jugées « en la forme des référés ». La formule, maintes fois critiquée, était trompeuse et ce fût une bonne chose que l’article 38 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice autorise le gouvernement à prendre par voie d’ordonnance les mesures nécessaires pour modifier les dispositions régissant les procédures en la forme des référés devant les juridictions judiciaires aux fins de les unifier et d’harmoniser le traitement des procédures au fond à bref délai (Y. Strickler, De la forme des référés à la procédure accélérée au fond, JCP 2019. 928). L’ordonnance n° 2019-738 du 17 juillet 2019 et le décret n° 2019-1419 du 20 décembre 2019 entreprirent donc de préciser le régime et le champ d’application de cette procédure accélérée au fond : ils tentèrent d’inventorier l’ensemble des textes mentionnant qu’une demande devait être jugée et instruite en la forme des référés pour préciser si elle devrait l’être désormais selon la procédure de référé, la procédure sur requête, la procédure de droit commun ou la procédure accélérée au fond.

Ce recensement des textes qui prescrivaient d’instruire et de juger une demande en la forme des référés était fastidieux et, inévitablement, exposait au risque d’un oubli (Y. Strickler, Les procédures rapides (procédure accélérée au fond, procédures d’urgence), Procédures 2020. Étude 7, n° 5). C’est précisément ce qui est arrivé à l’article 17 de l’ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945 portant deuxième application de l’ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l’ennemi : ce texte indique que toutes les demandes formées en application de l’ordonnance devaient être soumises au président du tribunal civil ou du tribunal de commerce « statuant en la forme des référés ». Certes, comme l’a relevé la Cour de cassation dans l’avis commenté, l’article 28 de l’ordonnance n° 2019-738 prévoit de manière générale que le président du tribunal judiciaire devra désormais connaître selon la procédure accélérée au fond des litiges attribués par conventions internationales ; mais l’ordonnance de 1945 n’est pas une convention internationale. Il y avait bel et bien un oubli qu’il fallait combler.

La Cour de cassation aurait pu rendre un avis un brin provocateur. On sait, en effet, que le président du tribunal judiciaire n’a en principe vocation à statuer selon la procédure accélérée au fond que dans les cas prévus par la loi ou le règlement (COJ, art. L. 213-2 ; v. égal., C. pr. civ., art. 481-1). Sauf en matière d’indivision (Civ. 1re, 15 févr. 2012, n° 10-21.457 P, Dalloz actualité, 21 mars 2012, obs. S. Prigent ; D. 2012. 553 image ; 20 mai 2009, nos 07-21.679, Larrivière (Epx) c/ Foncia Chablais (Sté), D. 2009. 1536 image ; ibid. 2058, chron. P. Chauvin, N. Auroy et C. Creton image et 08-10.413), c’était d’ailleurs en suivant scrupuleusement les textes que la Cour de cassation avait pu identifier les demandes qui devaient être instruites en la forme des référés (M. Foulon et Y. Strickler, Les référés en la forme, Dalloz, 2013, n° 11.14). Parce que l’article 17 de l’ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945 ne prévoit pas expressément le recours à la procédure accélérée au fond, la Cour de cassation aurait pu décider qu’il convenait de lui appliquer la procédure de droit commun (comp., Civ. 1re, 15 févr. 2012, n° 10-21.457 P, Dalloz actualité, 12 mars 2012, obs. S. Prigent).

Une telle lecture aurait cependant occulté l’intention du législateur et la Cour de cassation a justement préféré recourir à une interprétation téléologique (v. déjà, Civ. 2e, avis, 8 juill. 2022, n° 15008 P, Dalloz actualité, 17 juin 2021, obs. R. Laffly ; Légipresse 2014. 396 et les obs. image ; ibid. 556, comm. X. Salvat et B. Ader image). Lorsqu’une demande fondée sur l’application de l’ordonnance n° 45-770, le président du tribunal judiciaire décide « au fond », expression un peu vague qui paraît toutefois exclure qu’il statue selon la procédure de référé ou la procédure sur requête qui ne conduisent qu’au prononcé de décisions provisoires. Il fallait alors déterminer si la demande devait être instruite selon la procédure de droit commun ou selon la procédure accélérée au fond. Pour ce faire, la Cour de cassation a, dans l’avis commenté, opéré un rapprochement. D’un côté, l’ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945 avait, d’après ses motifs, pour finalité de permettre « par une procédure aussi rapide et peu coûteuse que possible, aux propriétaires dépossédés de rentrer légalement en possession de leurs biens, droits ou intérêts ». De l’autre, dans le rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2019-738 du 17 juillet 2019, il était indiqué que le texte tendait à « préserver la philosophie de la procédure « en la forme des référés » dans les matières dans lesquelles il est indispensable de pouvoir disposer d’une voie procédurale permettant d’obtenir un jugement au fond dans des délais rapides ». De ce rapprochement, la Cour de cassation a en déduit que le président du tribunal judiciaire statue selon la procédure accélérée au fond prévue à l’article 481-1 du code de procédure civile lorsqu’il connaît de demandes formées en application de l’article 17 de l’ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945. La solution est tout à fait conforme à l’intention du législateur et l’oubli est finalement sans conséquences dommageables…

Cautionnement, abus de dépendance économique et disproportion

Malgré la toute récente réforme issue de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 qui vient de fêter sa première bougie, le droit des sûretés personnelles antérieur au 1er janvier 2022 reste, aujourd’hui encore, celui de la majorité des cautionnements en circulation en France. Par conséquent, les arrêts qui statuent sur les règles du droit ancien doivent retenir toute l’attention de la pratique tant civiliste qu’affairiste. L’arrêt rendu par la chambre commerciale le 21 septembre 2022 croise, dans cette optique, deux problématiques importantes de ce droit antérieur : celle de la disproportion du cautionnement et celle, plus rare, de la nullité pour violence et, plus précisément, pour abus de dépendance économique. Rappelons les faits pour comprendre comment la situation a pu se présenter devant la Cour de cassation. Une société ouvre, le 25 janvier 2011, un compte auprès d’un établissement bancaire. Par acte du 29 août 2013, une personne physique se rend caution des engagements de celle-ci et ce dans la limite du 360 000 €. La société débitrice principale est, peu de temps après, mise en redressement puis en liquidation judiciaires. Le créancier assigne donc la caution en paiement des sommes non réglées. Mais celle-ci lui oppose la nullité de son engagement ainsi que sa disproportion, à titre subsidiaire. À hauteur d’appel, les juges du fond rejettent l’abus de dépendance économique et donc la nullité du contrat. Ils relèvent également qu’il n’y avait pas de disproportion de l’engagement ainsi souscrit en s’appuyant sur la fiche de renseignement remplie par le garant. Voici notre caution qui se pourvoit en cassation. Elle reproche à ce raisonnement une double violation de la loi. La première concernerait l’abus de dépendance économique : pour le demandeur au pourvoi, les juges du fond ne pouvaient pas se fonder sur des circonstances postérieures à l’échange des consentements. La seconde concernait la disproportion du cautionnement et la fameuse fiche de renseignements qui était selon le demandeur au pourvoi au moins partiellement inexact.

Le pourvoi est rejeté sur les deux chefs d’argumentation que nous venons de citer. Nous allons examiner pourquoi ce rejet s’imposait dans cette affaire mêlant des thématiques plurielles.

De l’appréciation de l’abus de dépendance économique

Le premier ressort argumentatif utilisé par le demandeur au pourvoi reposait sur l’appréciation de l’abus de dépendance économique qu’il alléguait et ce depuis la première instance. Il estime, devant la Cour de cassation, que c’est au moment où le consentement est donné qu’il convient de se placer pour déterminer si l’acte juridique doit être anéanti ou non. La situation était la suivante selon la rédaction du moyen : la société débitrice principale avait bénéficié pendant plusieurs années de larges facilités de caisse. Or, il a été demandé à la personne physique qui allait devenir la caution son engagement personnel à garantir les dettes de la société « sous la menace implicite de mettre fin à ces facilités » (§ n° 2) puisque le compte courant affichait un découvert de la somme de 254 513,02 €. Il n’en fallait guère plus pour le demandeur au pourvoi pour penser que le raisonnement des juges du fond était donc maladroit. En prenant en compte la situation selon laquelle le compte bancaire était redevenu créditeur deux mois après l’engagement, la décision n’aurait donc pas suffisamment été rigoureuse dans le moment d’appréciation de la violence économique alléguée selon le pourvoi.

La chambre commerciale refuse ce raisonnement en jugeant que la cour d’appel « pouvait prendre en compte l’évolution des comptes de la société dans les semaines ayant suivi le cautionnement litigieux afin d’apprécier la réalité de sa situation de dépendance économique à la date où ce cautionnement a été donné » (nous soulignons). On comprend de cette motivation que l’intérêt d’une telle démarche était de mettre en exergue la situation de dépendance économique pour savoir si, au moment où le contrat a été conclu, cette dépendance diffuse dans le temps avait exercé une pression ayant conduit à un consentement vicié. Le choix du verbe pouvoir est probablement à dessein : l’argumentation des juges du fond aurait pu par ailleurs se fonder sur d’autres éléments.

Sur le fond, la chambre commerciale rappelle que les juges du fond ont bien retenu qu’aucune preuve d’une dépendance économique n’était établie. La solution est donc dans la plus stricte orthodoxie de la théorie générale du contrat tout en apportant une dose de souplesse aux situations juridiques envisagées : les juges du fond peuvent prendre en compte un continuum de situations autour de l’acte pour déterminer si l’état de dépendance économique existe ou non (ici, l’évolution du compte de la société passant du statut de débiteur au statut de créditeur quelques semaines le cautionnement). On comprend l’intérêt de cette solution notamment quand on se rappelle l’important arrêt rendu à propos de l’abus de dépendance économique l’année dernière à propos des honoraires d’avocat (Civ. 2e, 9 déc. 2021, n° 20-10.096 F-P+B, Dalloz actualité, 13 déc. 2021, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 384 image, note G. Chantepie image ; ibid. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki image ; Just. & cass. 2022. 221, rapp. F. Besson image ; ibid. 228, avis S. Grignon Dumoulin image ; AJ fam. 2022. 8, obs. F. Eudier image ; RTD civ. 2022. 121, obs. H. Barbier image). Nul doute que ce style de raisonnement essaime donc, ces temps-ci, dans les stratégies développées par les avocats. La précision sera donc utile pour les plaideurs : l’appréciation de l’abus de dépendance s’apprécie bien au jour où le cautionnement est donné mais n’empêche pas de prendre en compte certains éléments contextuels à proximité de l’acte pour apprécier la réalité de la situation de dépendance économique. De l’art de la nuance, donc.

Sur l’appréciation de la disproportion, la solution est plus classique.

De l’appréciation de la disproportion du cautionnement

Si sa demande de nullité ne pouvait être accueillie, la caution avait formé une demande subsidiaire sur la disproportion de l’acte conclu. Elle estimait que la fiche de renseignement remplie comportait des anomalies si bien que les juges du fond devaient vérifier la réalité du patrimoine sans pouvoir se fonder sur cette seule fiche de renseignements.

La chambre commerciale refuse purement et simplement ce raisonnement. Elle rappelle le travail minutieux des juges du fond ayant relevé que la caution avait certifié de l’exactitude des renseignements. Elle estime encore, qu’il n’y a lieu à aucune cassation quand la cour ne détecte aucune disproportion en se fondant sur les éléments exacts de la fiche litigieuse. On se rappelle, qu’en la matière, les juges du fond doivent veiller à ne pas se fonder sur une fiche de renseignements comportant des anomalies apparentes. Ici, tel n’était pas le cas : les éléments qui n’étaient affectés d’aucune erreur matérielle apparente permettait d’apprécier la situation patrimoniale de la caution et donc de vérifier si l’engagement était disproportionné ou non.

Précisément, le problème portait sur l’inexactitude de certains éléments précis mais qui s’ajoutaient à d’autres dont l’exactitude ne posait pas question (notamment un contrat d’assurance-vie, un portefeuille boursier et plusieurs dépôts sur des comptes bancaires pour un montant de 980 000 €). La chambre commerciale estime, à raison selon nous, que ces éléments dont il est constant qu’ils sont exacts suffisent déjà s’assurer que le cautionnement n’est pas manifestement disproportionné (§ n° 7). Voici donc là où l’on voit que l’appréciation de la disproportion du cautionnement peut être souple tant que les éléments sur lesquels se fonde le juge pour en contrôler la substance sont exempts de défauts apparents et ce même si d’autres éléments portent à discussion.

L’arrêt du 21 septembre 2022 est donc original en ce qu’il mêle une thématique rare (l’abus de dépendance économique) à une problématique plus commune (la disproportion du cautionnement). Sa publication au Bulletin permet de confirmer ces solutions déjà connues en la matière.

Retour sur l’obligation précontractuelle d’information du distributeur d’assurance

Si la transposition récente d’une directive de 2016 (dir. [UE] n° 2016/97 du 20 janv. 2016) par l’ordonnance n° 2018-361 du 16 mai 2018 a conduit au remplacement de la notion d’intermédiaire en assurance (hérité d’une première directive, dir. [CE] n° 2002/92 du 9 déc. 2002, sur l’intermédiation en assurance) par celle de distributeur d’assurance, la fonction de distribution revêt toujours, dans le secteur de l’assurance, une coloration particulière, qui la rapproche plus d’une fonction d’intermédiation. C’est qu’« en raison de la position particulière de l’intermédiaire qui reste tiers au contrat d’assurance, il ne peut être que l’inspirateur des décisions opportunes que prendra l’assuré pour la satisfaction de son besoin d’assurance, connu de l’intermédiaire » (J. Bigot et al., La distribution d’assurance, 3e éd., LGDJ, 2020, p. 835, n° 1158). C’est donc essentiellement au travers de l’exécution d’un devoir d’information et de conseil que le distributeur d’assurance exerce sa fonction. C’est pourquoi, de longue date, la jurisprudence a imposé à ce dernier une obligation précontractuelle d’information fondée sur le droit commun de la responsabilité civile contractuelle (Civ. 1re, 10 nov. 1964, JCP 1965. II. 13981, note P. P.), laquelle a été relayée récemment par une législation spéciale adoptée sous l’influence du droit européen (C. assur., art. L. 520-1, II, 2° issu de la directive de 2002 précité qui a été déplacé et densifié par l’effet de l’ord. du 16 mai 2018 à l’art. L. 521-4 c. assur.). Il en ressort un paysage complexe où cohabitent encore deux corps de règles, jurisprudentielles et légales, et sur lequel plane l’influence européenne. Deux arrêts récents, rendus le 15 septembre 2022 et destinés tous deux aux honneurs de la publication, permettent de revenir sur cette complexité.

Dans la première affaire (n° 21-15.528), un contrat d’assurance est conclu par l’intermédiaire d’un courtier afin de garantir les risques liés à un spectacle de cascade et de rodéo automobiles organisé par une société et son gérant le 15 juillet 2007. Ces derniers reprochent au courtier un manquement à son obligation de conseil dès lors qu’il ne leur aurait pas indiqué que la couverture de l’assurance se limitait aux seuls risques automobiles (ce qui excluait la couverture du sinistre lié à l’électrocution de quatre bénévoles lors de l’installation des équipements).

Dans la seconde affaire (n° 21-13.670, Dalloz actualité, 23 sept. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 1660 image), le contrat d’assurance est conclu, cette fois, par l’intermédiaire d’un établissement de crédit, à l’occasion d’une opération de prêt conclue en 2006. L’emprunteur adhère ainsi à une assurance de groupe destinée à garantir le remboursement de ce prêt en cas de décès ou d’incapacité de travail. Il est cette fois reproché à la banque de ne pas avoir informé l’assuré de l’existence d’une clause excluant la garantie dès lors que le dommage était causé par « les suites médicales ou conséquences d’antécédents de santé mentionnés sur le bulletin d’adhésion ».

Dans les deux affaires, les requérants sont déboutés en appel mais l’arrêt est finalement cassé par le juge du droit. Le rapprochement de ces deux solutions permet de revenir tant sur la question du régime de responsabilité applicable que sur la caractérisation du manquement à l’obligation précontractuelle d’information et sur le préjudice réparable.

Le fondement de la responsabilité

Les deux arrêts commentés permettent, d’abord, d’illustrer deux évolutions caractéristiques qui ont trait au régime de la responsabilité applicable en cas de manquement par le distributeur à son obligation précontractuelle d’information.

On constate, d’une part, un processus de fusion progressive entre le droit commun et le droit spécial, parfaitement illustré par le premier arrêt commenté. Son visa mêle ainsi le droit commun (C. civ., art. 1147 anc. devenu art. 1231-1) et le droit spécial (C. assur., art. L. 520-1, II, 2° anc.) afin d’évoquer la responsabilité du courtier. Il ressort surtout, et d’autre part, du principe exposé par la Cour que la mise en...

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De l’importance de l’objet du litige en droit de la consommation

On sait que le droit de la consommation peut souvent apparaître comme un droit d’exception et notamment sur le terrain de la procédure civile. Par exemple, on se rappelle en ce sens de l’inflexion de la règle de l’article 910-4 du code de procédure civile édictant le principe de concentration temporelle des prétentions au sujet des clauses abusives (Civ. 1re, 2 févr. 2022, n° 19-20.640 FS-B, Dalloz actualité, 8 févr. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 277 image ; AJDI 2022. 290 image) ou encore du relevé d’office systématiquement imposé des règles protectrices de la matière (CJUE 11 mars 2020, aff. C-511/17, Dalloz actualité, 30 mars 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020. 1394 image, note G. Poissonnier image ; AJ contrat 2020. 292, obs. V. Legrand image ; Rev. prat. rec. 2020. 35, chron. K. De La Asuncion Planes image). L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 7 septembre 2022 peut s’inscrire dans une logique différente en ce qu’il se rattache directement aux principes essentiels de la procédure civile en invoquant la notion d’objet du litige. Rappelons les faits ayant donné lieu au pourvoi pour comprendre où se situait la difficulté. À l’occasion d’un démarchage, un auto-entrepreneur exerçant une activité de nettoyage automobile signe un bon de commande établi par une société spécialisée dans la communication. Ce bon de commande concerne la parution d’une publicité dans un annuaire. Voici que notre auto-entrepreneur ne règle pas la somme visée dans le bon de commande. La société l’assigne donc en paiement de la somme de 1 264,03 €. Le tribunal judiciaire d’Agens prononce d’office la nullité du contrat sur le fondement de l’article L. 242-1 du code de la consommation puisque le bon de commande ne comportait pas de référence à l’article L. 221-5 du même code et n’était pas accompagné d’un formulaire de rétractation. Ce moyen avait été relevé d’office mais l’entrepreneur avait proposé, le jour de l’audience, de régler progressivement la dette à la société de publicité. Cette dernière se pourvoit en cassation ; taux de ressort oblige. La société ayant établi le bon de commande reproche au jugement d’avoir annulé le contrat alors que l’auto-entrepreneur ne souhaitait pas obtenir la nullité mais régler sa dette de manière progressive.

La première chambre civile casse et annule le jugement attaqué en ces termes : « en statuant ainsi, après avoir relevé que M. [W], qui proposait à l’audience un paiement échelonné de sa dette, ne contestait pas celle-ci dans son principe, le tribunal, qui a modifié l’objet du litige, a violé le texte susvisé...

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L’associé face à l’ouverture de la procédure collective de sa société : quel(s) recours ?

Entre des délais d’action réduits et une qualité pour agir triée sur le volet, l’exercice des voies de recours dans le contexte particulier du droit des entreprises en difficulté est un art subtil (v. par ex., Com. 14 sept. 2022, n° 21-11.937 P, Dalloz actualité, 26 sept. 2022, obs. P. Cagnoli ; D. 2022. 1596 image).

La situation de l’associé face au jugement d’ouverture de la procédure collective de sa société en témoigne et c’est ce qu’illustre l’arrêt ici rapporté.

En l’espèce, une SCI a sollicité l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire. Or, l’un de ses associés est intervenu volontairement à l’instance devant le tribunal et a contesté l’état de cessation des paiements de la personne morale. Las, la société ayant été mise en liquidation judiciaire, l’associé a fait appel du jugement d’ouverture.

Les juges du second degré estimeront ce recours irrecevable et l’associé se pourvoit en cassation.

Sans surprise, la Haute juridiction déclare, à son tour, le pourvoi irrecevable au visa de l’article L. 661-1, I, 2°, du code de commerce.

Plus précisément, la Haute juridiction estime que le jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire d’une société n’étant pas susceptible d’un appel et d’un pourvoi en cassation de la part d’un associé de cette société, le pourvoi de ce dernier, qui n’invoque aucun excès de pouvoir qu’aurait commis ou consacré la cour d’appel, n’est pas recevable, et ce, peu important qu’il soit intervenu volontairement en première instance pour contester l’état de cessation des paiements déclaré par la débitrice.

Plus précisément, là où l’arrêt est intéressant, c’est qu’il affirme que l’intervention, fût-elle qualifiée de principale, n’a pas pour effet d’ouvrir à l’associé une voie de recours, qui, en tout état de cause, lui est fermée par la loi.

Au demeurant, hormis cette spécificité procédurale, en refusant la voie de l’appel et du pourvoi en cassation à l’associé sur le jugement d’ouverture de la procédure collective de sa société, l’arrêt sous commentaire opère le rappel d’une règle bien établie. Cela étant, c’est ici l’occasion d’identifier les voies de recours qui sont, au contraire, ouvertes à l’associé.

Les voies de recours fermées à l’associé : l’appel et le pourvoi en cassation

L’article L. 661-1 du code de commerce n’ouvre l’appel et le pourvoi en cassation contre le jugement d’ouverture d’une procédure collective qu’aux seules personnes qui y sont visées : le débiteur, le créancier poursuivant, le comité social et économique ou les membres de sa délégation du personnel et le ministère public.

Ainsi la Cour de cassation a-t-elle déjà eu l’occasion de préciser qu’un associé, n’ayant pas la qualité de partie au jugement prononçant la liquidation judiciaire, n’est pas recevable à interjeter appel du jugement d’ouverture de la procédure (Com. 13 juin 2006, n° 05-12.748 NP).

Ce dernier arrêt est extrêmement intéressant pour l’analyse, mais il pourrait quelque peu en brouiller les pistes en ce qu’il semble conditionner l’ouverture de l’appel et du pourvoi en cassation à la qualité de partie au jugement d’ouverture de la procédure collective.

À ce propos, l’on peut s’interroger sur l’incidence, en l’espèce, de l’intervention volontaire de l’associé à l’instance. Plus précisément, la question se pose de savoir si l’intervention volontaire de l’associé n’a pas eu pour effet d’ériger ce dernier au rang de « partie » à l’instance lui ouvrant donc, théoriquement, la voie de l’appel et du pourvoi.

Dans la pureté des notions, l’article 63 du code de procédure civile qualifie l’intervention de « demande incidente » et cette dernière est définie par l’article 66 du même code comme la demande dont l’objet est de rendre un tiers partie au procès engagé entre les parties originaires.

En outre, cette intervention volontaire peut être qualifiée de principale (C. pr. civ., art. 329) ou bien d’accessoire (C. pr. civ., art. 330).

Selon le premier de ces textes, l’intervention est principale lorsqu’elle élève une prétention au profit de celui qui la forme et qu’elle n’est recevable que si son auteur a le droit d’agir relativement à cette prétention. Selon le second texte, l’intervention est accessoire lorsqu’elle appuie les prétentions d’une partie et elle n’est recevable que si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie (pour un exemple d’enjeu lié à cette qualification, Civ. 2e, 14 janv....

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Toute perte de chance est réparable, [I]bis repetita[/I]

La perte de chance fait partie des figures connues en droit de la responsabilité pour son ambivalence et pour sa technicité. Elle illustre, en effet, le croisement entre les préjudices futurs et les préjudices éventuels (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, 13e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2022, p. 1049, n° 925). Mais ce n’est pas tout : on rencontre surtout la perte de chance dans toute une série de contentieux très différents lui donnant une certaine pluralité d’aspects. Par exemple, nous l’avons croisé récemment dans plusieurs matières : droit des assurances (Civ. 2e, 24 sept. 2020, n° 18-12.593, Dalloz actualité, 12 oct. 2020, obs. C. Hélaine ; D. 2020. 2323 image, note P.-G. Marly image ; AJ contrat 2020. 492, obs. P. Guillot image ; ibid. 558, obs. L. Perdrix image), droit des clauses abusives (Civ. 2e, 14 oct. 2021, n° 19-11.758, Dalloz actualité, 20 oct. 2021, obs. C. Hélaine ; D. 2021. 1920 image ; ibid. 2022. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki image ; ibid. 574, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image), ou encore droit du crédit (Com. 9 févr. 2022, n° 20-17.551 F-B, Dalloz actualité, 16 févr. 2022, obs. C. Hélaine ; RTD civ. 2022. 401, obs. P. Jourdain image). C’est d’ailleurs au sujet de cette dernière thématique que nous la retrouvons aujourd’hui dans cet arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 14 septembre 2022 et promis aux honneurs d’une publication au Bulletin. La solution donnée vient, par ailleurs, confirmer un arrêt de 2020 de la même formation (Civ. 2e, 20 mai 2020, n° 18-25.440, Dalloz actualité, 19 juin 2020, obs. A. Hacene-Kebir ; D. 2020. 1100 image ; ibid. 2021. 46, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz image ; ibid. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki image ; RDI 2020. 524, obs. H. Heugas-Darraspen image ; AJ contrat 2020. 385, obs. C. François image ; RTD civ. 2020. 629, obs. H. Barbier image ). Notons qu’il s’agit de responsabilité contractuelle, l’arrêt étant rendu au double visa de l’article 1147 ancien, devenu 1217 du Code civil après l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, d’une part et, celui du « principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime », d’autre part. Voici déjà de quoi annoncer la teneur de l’arrêt analysé, peu de décisions pouvant se targuer d’un tel double visa.

Positionnons le problème en évoquant les faits ayant donné lieu au pourvoi. Un établissement bancaire consent deux prêts immobiliers à une personne physique par acte du 16 novembre 2006. Afin de garantir le remboursement des prêts dans le cas de plusieurs sinistres possibles (décès, perte d’autonomie, incapacité de travail), l’emprunteur adhère à une assurance de groupe souscrite par la banque. Il déclare, au moment de son adhésion, le traitement médical qu’il suivait depuis quinze ans en raison d’une maladie de longue durée. Le 31 août 2015, l’emprunteur est placé en arrêt de travail en raison de l’évolution défavorable de sa maladie décrite précédemment. Il sollicite de l’assurance la garantie incapacité de travail dans le même temps. Après avoir fait réaliser une expertise médicale, l’assureur informe son assuré le 8 juin 2016 de son...

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Le chef dépendant est aussi celui qui résulte d’un chef de débouté

Le litige oppose un bailleur à son locataire, auquel celui-là demande le paiement au titre de travaux de réfection.

La contestation quant à ces travaux de réfection est portée devant le tribunal par le locataire.

À titre reconventionnel, le bailleur demande la résiliation du bail et l’expulsion du locataire, outre une indemnité d’occupation.

Le tribunal déboute le locataire de ses demandes et prononce en conséquence sa condamnation au paiement des travaux de réfection. En outre, faisant droit à la demande reconventionnelle du bailleur, il ordonne la résiliation avec expulsion, et condamnation au paiement d’une indemnité d’occupation.

Sur la déclaration d’appel, le locataire appelant mentionne le débouté de ses demandes, la résiliation du bail et la condamnation au titre de l’indemnité d’occupation. N’est pas expressément mentionnée la condamnation au titre des travaux de réfection.

Néanmoins, l’appelant conclut de ce chef, pour lequel il demande l’infirmation.

La cour d’appel relève d’office l’absence de dévolution, du chef de la condamnation pour les travaux de réfection, au motif que ce chef de condamnation n’est pas expressément mentionné dans la déclaration d’appel.

Mais devant la Cour de cassation, ça ne passe pas, et l’arrêt est cassé en ce qu’il a dit que ce chef non mentionné n’était pas dévolu.

Le chef, cette mention qui se précise

Si le « chef » est un terme largement usité en procédure, depuis 2017, il reste difficile d’en donner une définition.

Nous savons ce qu’il n’est pas – ce n’est ni les prétentions formées par la partie (Civ. 2e, 2 juill. 2020, n° 19-16.954 P, Dalloz actualité, 18 sept. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2021. 543, obs. N. Fricero image) ni les motifs du jugement (Soc. 14 oct. 2020, n° 18-15.229, Dalloz actualité, 3 nov. 2020, obs. C. Lhermitte ; D. 2020. 2071 image ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero image) – mais il est plus difficile de dire ce qu’il est.

Car de définition, il n’y en a pas véritablement, si ce n’est dans la circulaire du 2 août 2017 qui nous précise que « la notion de chefs de jugement correspond aux points tranchés dans le dispositif du jugement » (circ. 4 août 2017 de présentation des dispositions du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile, modifié par le décret n° 2017-1227 du 2 août 2017, NOR : JUSC1721995C).

Cet arrêt ne nous donnera pas une définition, mais il donne d’intéressantes précisions sur la notion de « chef dépendant », qui est venue depuis peu sur le devant de la scène (Civ. 2e, 9 juin 2022, n° 20-16.239, Dalloz actualité, 8 juill. 2022, obs. C. Lhermitte ; D. 2022. 1160 image).

Il apparaît que la Cour de cassation prend de la distance avec cette pratique, qui est malheureusement devenue comme une évidence, consistant à faire une copie servile du dispositif du jugement pour la coller dans la rubrique « chefs critiqués ». Et cette pratique a pris tant d’ampleur que certains juges d’appel peuvent ne pas réussir à s’en défaire, pour considérer que toute autre manière de faire est à proscrire et n’opère pas dévolution.

Ici, le jugement avait expressément condamné le locataire au paiement des travaux de réfection. Et il est acquis que l’appelant, curieusement – mais le processualiste l’en remerciera –, n’avait pas mentionné ce chef.

Mais il avait procédé différemment, en mentionnant dans son acte d’appel qu’il portait sur le débouté de sa demande tendant à ce qu’il soit jugé qu’il n’était pas tenu au paiement des frais de réfection de la toiture.

S’il fallait traduire, le locataire développait des moyens, en première instance, démontrant qu’il n’avait pas à supporter le coût des travaux, et que le bailleur devait en conséquence être débouté. Cette demande de débouté n’a pas prospéré...

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L’office de l’huissier significateur à l’épreuve des boîtes aux lettres

En l’espèce, une assignation en paiement est délivrée à la requête d’une banque (créancière au titre d’un cautionnement) à l’un des époux codébiteurs d’un prêt. La signification s’effectue selon les modalités de l’article 656 du code de procédure civile dans les circonstances suivantes : l’huissier de justice se rend à l’adresse qui lui est communiquée par la banque, constate que le nom du destinataire figure sur la boîte aux lettres (et vraisemblablement que celui-ci est absent, personne d’autre n’acceptant, en outre, de recevoir l’acte au domicile). Dans ces conditions, il laisse un avis de passage et conserve l’acte à son étude, à charge pour le destinataire de venir le récupérer.

Hélas, les époux se sont séparés. L’épouse, destinataire de la signification, ne réside plus à l’adresse à laquelle la signification a été effectuée. Elle n’a pas connaissance de l’acte signifié et ne comparaît pas en première instance. Condamnée par jugement réputé contradictoire, elle relève appel de la décision et demande l’annulation du jugement en raison de la nullité de l’assignation introductive d’instance pour irrégularité de la signification. La cour d’appel refuse de prononcer l’annulation du jugement et condamne la débitrice à régler diverses sommes.

Un pourvoi est formé par la débitrice. La Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel en ce qui concerne le refus d’annuler l’assignation. Elle rappelle que « la seule mention, dans l’acte de l’huissier de justice, que le nom du destinataire de l’acte figure sur la boîte aux lettres, n’est pas de nature à établir, en l’absence de mention d’autres diligences, la réalité du domicile du destinataire de l’acte » et relève que la cour d’appel n’a pas constaté « que l’acte de l’huissier de justice comportait d’autres mentions que celle relative au nom figurant sur la boîte aux lettres ». Cette cassation entraîne par voie de conséquence celle des autres chefs de dispositif, ceux-ci ayant un lien de dépendance nécessaire avec celui du refus d’annulation (C. pr. civ., art. 624).

Cet arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 8 septembre 2022 donne l’occasion d’opérer un rappel sur la rigueur de l’office de l’huissier significateur et d’apporter quelques précisions quant à la valeur de la stratégie du débiteur défendeur.

La rigueur de l’office de l’huissier significateur

Trois séries d’observations peuvent être faites quant au rappel de la rigueur de l’office de l’huissier dans le cadre de la signification à domicile.

D’abord, sur la rigueur. Le recours à la signification a pour but de maximiser les chances que le destinataire prenne connaissance de l’acte signifié par rapport à une notification par voie postale. C’est la raison pour laquelle il est attendu de l’huissier des vérifications supérieures à celles auxquelles se livrerait la Poste. En particulier, il doit prioritairement tenter de remettre l’acte à la personne du destinataire (C. pr. civ., art. 654). Lorsque cela est impossible, la signification peut être pratiquée à domicile au lieu où demeure le destinataire (C. pr. civ., art. 655, 656, 689). La réalité du domicile doit alors être scrupuleusement vérifiée. Le terme de « vérifications » figure au pluriel dans l’article 656 du code de procédure civile, de sorte que plusieurs vérifications sont requises. Ces vérifications doivent être relatées dans l’acte de signification (C. pr. civ., art. 655, 656), qui doit se suffire à lui-même (C. pr. civ., art. 663), conséquence du caractère solennel des actes dressés par l’huissier (en ce sens, C. Bléry, Conditions de formation et communication des actes de procédure, in S. Guinchard [dir.], Droit et pratique de la procédure civile, 10e éd., 2021, Dalloz Action, n° 271.31). À ce titre, la Cour de cassation avait déjà jugé que l’acte de signification ne pouvait pas se contenter de mentionner que le nom du destinataire figurait sur la boîte aux lettres (Civ. 2e, 15 janv. 2009, n° 07-20.472 P, D. 2009. 378 image ; ibid. 757, chron. J.-M. Sommer et C. Nicoletis image ; ibid. 2010. 169, obs. N. Fricero image ; 20 avr. 2017, n° 16-12.393 ; 4 mars 2021, n° 19-25.291 P, D. 2021. 530 image

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Nouvelles précisions sur la tierce opposition du jugement constatant le bon achèvement du plan

Un arrêt du 14 septembre 2022 rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation précise le régime des voies de recours applicables au jugement qui constate le bon achèvement du plan. L’espèce est rendue sous l’empire des textes antérieurs à la loi de sauvegarde des entreprises, époque à laquelle cette décision n’était pas prévue par le législateur. Cependant, les enseignements fournis demeurent d’actualité dès lors que les nouveaux textes qui l’envisagent (C. com., art. L. 626-28 et R. 626-50) ne précisent rien sur les voies de recours qui lui sont applicables.

L’arrêt est le second rendu par la haute juridiction dans la même affaire. Tout avait commencé lors d’une procédure de redressement judiciaire ouverte en 2002. Un plan de continuation avait été adopté, en août 2004, écartant le passif demeurant litigieux. Ce jugement n’avait fait l’objet d’aucune voie de recours, pas plus qu’une décision ultérieure qui modifiait le plan. Par la suite, un jugement du 7 juin 2011 constatait le bon achèvement du plan. Des créanciers dont les créances faisaient toujours l’objet d’instances en cours en formaient alors tierce opposition. La cour d’appel de Paris avait déclaré cette tierce opposition irrecevable, qualifiant la décision de simple mesure d’administration judiciaire, insusceptible de toute voie de recours. Un pourvoi en cassation fut alors formé par lesdits créanciers, qui fut couronné de succès. Dans un arrêt du 29 septembre 2015, la Cour de cassation énonçait que le jugement constatant le bon achèvement du plan était un acte juridictionnel et non une mesure d’administration judiciaire (Com. 29 sept. 2015, n° 14-11.393, Société d’expansion du spectacle c. Odetto, Dalloz actualité, 23 sept. 2015, obs. X. Delpech ; D. 2015. 1839 image ; ibid. 2016. 1894, obs. P.-M. Le Corre et F.-X. Lucas image ; JCP E. 2015, obs. P. Pétel ; APC 2015-15, n° 262, obs. P. Cagnoli ; Gaz. Pal. 19 janv. 2016, p. 63, obs. C. Lebel), donc potentiellement susceptible de voies de recours. Pour ce faire la haute juridiction retenait que cette décision était susceptible d’affecter les droits des créanciers.

La cour d’appel de Paris, qui fut désignée juridiction de renvoi dans une formation autrement composée, reprenait sa décision initiale dans un arrêt du 10 novembre 2020. Tout en prenant acte de la qualification retenue par la Cour de cassation, elle concluait à nouveau à l’irrecevabilité de la tierce opposition des créanciers, en retenant alors leur absence d’intérêt à former cette voie de recours. Pour ce faire, elle retenait, d’une part, que le jugement arrêtant le plan, tout comme celui le modifiant était passé en force de chose jugée et ne pouvait plus être remis en cause et, d’autre part, que la mission du représentant des créanciers n’avait pas pris fin, dès lors que la procédure de vérification des créances n’était pas allée jusqu’à son terme, les créanciers pouvant dès lors faire admettre leurs créances au passif et les recouvrer, le cas échéant.

C’est cet arrêt qui était l’objet d’un nouveau pourvoi en cassation par les créanciers concernés. Pour rejeter ce pourvoi, la chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle qu’en vertu de l’article L. 621-79 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, le plan de continuation doit prévoir le règlement de toutes les créances déclarées, même si elles sont contestées. Elle en déduit que « lorsque le plan est arrivé à son terme, les créances déclarées qui n’ont pas été inscrites au plan peuvent être recouvrées par l’exercice par le créancier de son droit de poursuite individuelle ». Enfin,...

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Être ou ne pas être une demande nouvelle en cause d’appel

Étendard de l’appel voie de réformation, l’interdiction de la demande nouvelle en cause d’appel fait toujours parler tant le principe et ses exceptions semblent délicats à aborder. C’est cette fois la voix de la première chambre civile qui se fait entendre. Une SCI assigne sa banque en nullité de la stipulation du taux d’intérêt et en substitution du taux d’intérêt légal au taux conventionnel. En appel, elle sollicite la déchéance du droit aux intérêts. Reprochant à la cour d’appel de Dijon d’avoir jugé cette demande recevable comme non nouvelle en cause d’appel, la banque forma pourvoi incident sur cette question. La première chambre civile répond :

« 4. Selon l’article 564 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait. Aux termes de l’article 565 du même code, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.

5. La demande en annulation d’une stipulation d’intérêts avec substitution du taux légal tend aux mêmes fins que celle en déchéance du droit aux intérêts dès lors qu’elles visent à priver le prêteur de son droit à des intérêts conventionnels.

6. Le moyen, qui postule le contraire, n’est donc pas fondé. »

Être ou ne pas être nouvelle

Voilà un nouvel arrêt publié qui permet de (re)définir ce qu’est une demande nouvelle. Ou ce qu’elle n’est pas. Bien que l’arrêt débouche in fine sur une cassation totale à la suite du pourvoi principal de l’emprunteur sur l’articulation entre le coût de l’assurance invalidité-décès et le taux effectif global, sa publication au Bulletin résulte non pas de la vision consumériste mais de l’approche processualiste. Mis en exergue par la première chambre elle-même – et c’est un signe – le pourvoi incident de la banque est examiné avant le pourvoi principal de l’emprunteur. Il est rejeté. Mais il est publié.

L’article 564 du code de procédure civile, cité par la Cour de cassation, pose le principe bien connu de l’irrecevabilité des demandes nouvelles en appel. Mais l’appel est une voie d’achèvement maîtrisée – ou une voie de réformation élargie selon la théorie du verre à moitié plein ou à moitié vide – et des exceptions au principe sont aussitôt apportées : les prétentions ne sont pas nouvelles si elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent, les parties pouvant ajouter aux prétentions soumises au premier juge...

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Reconnaissance d’un jugement dans l’Union et arbitrage

Faits et procédures arbitrales et nationales

Une importante pollution s’est produite, en Espagne et en France, en novembre 2002, à la suite du naufrage du pétrolier Prestige, au large des côtes espagnoles. Des poursuites pénales ont alors été engagées en Espagne à la fin de l’année 2002, de même que des actions civiles à l’encontre du capitaine du navire, de son propriétaire et de son assureur, qui n’a toutefois pas comparu.

S’appuyant sur la clause compromissoire stipulée dans le contrat d’assurance, l’assureur a quant à lui engagé à Londres une procédure d’arbitrage, en soutenant que l’Espagne devait faire valoir ses prétentions, déjà formulées dans la procédure engagée en Espagne, devant les arbitres et que sa responsabilité ne pouvait pas, en tout état de cause, être engagée à l’égard de l’Espagne, compte tenu des stipulations du contrat d’assurance. L’Espagne a toutefois refusé de participer à la procédure d’arbitrage.

Par une sentence du 13 février 2013, le tribunal arbitral a notamment retenu que l’Espagne aurait dû formuler ses demandes indemnitaires dans le cadre de l’arbitrage et que la responsabilité de l’assureur ne pouvait pas être engagée à son égard.

Par une ordonnance du 22 octobre 2013, la Haute Cour de justice d’Angleterre et du Pays de Galles a autorisé l’assureur à faire exécuter la sentence arbitrale. Elle a également prononcé le 22 octobre 2013 un arrêt, qui reprend les termes de la sentence, en application de l’article 66 de l’Arbitration Act 1996 (loi de 1996 sur l’arbitrage), intitulé « Exécution de la sentence », qui dispose que : « 1) Une sentence prononcée par le tribunal [arbitral] en vertu d’une convention d’arbitrage peut, sur autorisation de la cour, être exécutée de la même manière qu’un arrêt ou une ordonnance de la cour aux mêmes fins. 2) Lorsque cette autorisation est accordée, un arrêt reprenant les termes de la sentence peut être rendu ».

Les procédures judiciaires engagées en Espagne ont quant à elles conduit, notamment, à la condamnation de l’assureur à indemniser l’Espagne, par une ordonnance de la cour provinciale de la Corogne du 1er mars 2019.

Cette ordonnance espagnole a été reconnue, à la demande de l’Espagne, par une ordonnance de la Haute Cour de justice d’Angleterre et du Pays de Galles du 28 mai 2019, sur le fondement de l’article 33 du règlement Bruxelles I (CE n° 44/2001) du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Toutefois, l’assureur a formé un appel contre cette ordonnance du 28 mai 2019.

C’est au regard de ces éléments que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a été saisie et a rendu un arrêt le 20 juin 2022.

Problématique juridique

Le débat partait du constat que l’arrêt de la Haute Cour de justice d’Angleterre et du Pays de Galles du 22 octobre 2013 a repris les termes de la sentence arbitrale et était inconciliable avec l’ordonnance de la cour provinciale de la Corogne du 1er mars 2019. Dans ce cadre, il s’agissait de déterminer si, compte de la spécificité de son contenu, l’arrêt du 22 octobre 2013 pouvait être qualifié de « décision » au sens du règlement Bruxelles I et faire obstacle à la reconnaissance en Grande-Bretagne de l’ordonnance espagnole du 1er mars 2019.

Pour bien comprendre la position de la Cour de justice de l’Union européenne, il est utile de rappeler quelques dispositions du règlement Bruxelles I, étant souligné que le Brexit a été sans conséquence dans cette affaire, compte tenu des dates des décisions concernées :

• Art. 1 : « Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives. 2. Sont exclus de son application : […] ; d) l’arbitrage » ;

• Art. 32 : « On entend par décision, au sens du présent règlement, toute décision rendue par une juridiction d’un État membre quelle que soit la dénomination qui lui est donnée, telle qu’arrêt, jugement, ordonnance ou mandat d’exécution, ainsi que la fixation par le greffier du montant des frais du procès » ;

• Art. 33, point 1 : « Les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres, sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure » ;

• Art. 34, point 3 : « Une décision n’est pas reconnue si : […] ; 3) elle est inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes parties dans l’État membre requis ; […] » ;

• Art. 27 (litispendance) : « 1. Lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence du tribunal premier saisi soit établie. 2. Lorsque la compétence du...

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La nullité du rapport d’expertise est soumise aux conditions de la nullité des actes de procédure

Les rapports d’expertise jouent bien souvent un rôle décisif sur l’issue d’un litige et, pour cette raison, il n’est pas rare que l’une des parties prenne l’initiative d’en solliciter la nullité. Mais que les conditions nécessaires au prononcé de la nullité soient réunies s’avère finalement peu fréquent. L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 8 septembre 2022 le rappelle à nouveau.

Alors qu’un bail commercial avait été conclu, le preneur, invoquant de multiples désordres et notamment des infiltrations provenant de la toiture, avait saisi un juge des référés afin qu’il ordonne une expertise et désigne un expert. Sitôt le rapport d’expertise déposé, le locataire avait assigné son bailleur en réalisation du bail et en paiement de dommages-intérêts, ce à quoi ce dernier avait répliqué en sollicitant la nullité du rapport d’expertise. Il faut bien dire que le bailleur avait de quoi critiquer le déroulement des opérations d’expertise : les conditions météorologiques avaient en effet dissuadé l’expert de se rendre sur le toit du local loué et il avait préféré conclure à l’existence d’infiltrations en se fondant sur des photographies issues d’un rapport amiable réalisé à la demande du locataire. Le bailleur avait beau jeu de soutenir qu’en procédant ainsi, l’expert n’avait pas personnellement rempli la mission qui lui avait été confiée. Le tribunal de grande instance d’Agen a effectivement prononcé la nullité du rapport ; mais, saisie d’un recours, la cour d’appel a réformé le jugement de ce chef. L’expert avait en effet respecté le principe du contradictoire lors de l’examen des photographies et avait répondu au dire du bailleur qui s’était borné à soutenir que les désordres pouvaient avoir une autre origine que celle retenue par le technicien : pour la juridiction du second degré, cela suffisait amplement. Le bailleur eut beau former un pourvoi en cassation pour invoquer la violation de l’article 233 du code de procédure civile, celui-ci fut rejeté dès lors que la cour d’appel avait ainsi fait ressortir que le bailleur n’avait subi aucun grief.

Le raisonnement suivi par la Cour de cassation est imparable.

Il faut en effet se souvenir qu’en vertu de l’article 175 du code de procédure civile, « la...

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Quand un courriel du président ne sauve pas le jugement de la nullité pour violation de l’imparité

Pour être un acte éminent, le jugement n’en est pas moins un acte juridique. Comme tel, il est exposé à des causes de nullité qui sanctionnent les irrégularités affectant son élaboration. Toutefois, en tant qu’il est l’œuvre d’un juge et se voit doter d’une autorité de chose jugée, l’annulation du jugement pour de telles irrégularités obéit à un régime spécial, non seulement par rapport aux actes juridiques privés, mais aussi par rapport aux autres actes de procédure. Ce n’est que sous certaines réserves et conditions que les parties peuvent obtenir le prononcé de la nullité du jugement, ce dont témoigne l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 23 juin 2022.

En l’espèce, une cour d’appel a rendu un arrêt qui mentionne que quatre juges ont constitué la juridiction lors des débats et du délibéré. Cette situation n’est pas conforme à la règle qui veut que les juridictions soient composées de juges en nombre impair. Comme la nullité d’un jugement ne peut être demandée que par les voies de recours (C. pr. civ., art. 460), un pourvoi en cassation est formé par la partie perdante. La Cour de cassation prononce l’annulation de l’arrêt (et non une cassation) précisant que « la copie du courriel adressé par le président de chambre signataire de l’arrêt à l’avocat du défendeur au pourvoi n’est pas de nature à établir que les prescriptions légales ont été, en fait, observées ».

L’arrêt donne l’occasion de revenir sur la cause de nullité, la violation de la règle d’imparité, et sur les conditions de prononcé de la nullité, la Cour ne se contentant pas du courriel du président pour sauver le jugement.

La cause de nullité : l’imparité violée

Les causes de nullité des jugements (le terme est pris dans son sens notionnel et inclut les arrêts) sont définies strictement.

L’article 430 du code de procédure civile prévoit au stade des débats que « la juridiction est composée, à peine de nullité, conformément aux règles relatives à l’organisation judiciaire ». Par ailleurs, une liste, non limitative (C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile, 35e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, n° 1161), de causes de nullité figure à l’article 458 concernant l’élaboration du jugement. Cet article renvoie notamment à l’article 447 qui prévoit qu’« il appartient aux juges devant lesquels l’affaire a été débattue d’en délibérer. Ils doivent être en nombre au moins égal à celui que prescrivent les règles relatives à l’organisation judiciaire ».

L’article L. 121-2 du code de l’organisation judiciaire prévoit l’imparité comme règle commune aux juridictions judiciaires. La règle fut formulée par la loi du...

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Brevets : compétence dans l’Union européenne

Un litige oppose, devant une juridictions suédoise, deux sociétés suédoises à propos de droits contestés sur des inventions protégées par des brevets américains ou qui ont donné lieu au dépôt de demandes de brevets aux États-Unis et en Chine.

Le juge saisi se déclare alors incompétent en ce qui concerne la détermination de l’inventeur mais sa décision d’incompétence est contestée.

La Cour de justice est saisie, ce qui la conduit à se pencher sur la portée de l’article 24, point 4, du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale : « Sont seules compétentes les juridictions ci-après d’un État membre, sans considération de domicile des parties : (…) en matière d’inscription ou de validité des brevets, marques, dessins et modèles, et autres droits analogues donnant lieu à dépôt ou à un enregistrement, que la question soit soulevée par voie d’action ou d’exception, les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le dépôt ou l’enregistrement a été demandé, a été effectué ou est réputé avoir été effectué aux termes d’un instrument de l’Union ou d’une convention internationale. (…) ».

Il s’agit de déterminer si cet article 24 doit être interprété en ce sens qu’il s’applique à un litige tendant à déterminer, dans le cadre d’un recours fondé sur la qualité alléguée d’inventeur ou de co-inventeur, si une personne est titulaire du droit sur des inventions visées par des demandes de brevet déposées et par des brevets délivrés dans des pays tiers.

Pour répondre à cette question, il convient de déterminer si le litige considéré relève bien du champ d’application du règlement alors que les seuls éléments d’extranéité concernent des États tiers à l’Union, à savoir les brevets demandés ou délivrés aux États-Unis et en Chine, le reste du litige étant relatif à deux sociétés ayant leur siège dans le même État membre. Cette problématique n’est pas nouvelle :...

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Notion d’accident de la circulation : limitation du champ d’application de la loi Badinter

La loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 visant « à l’amélioration de la situation des victimes d’accident de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation », dite « loi Badinter », a mis en place un système de réparation du dommage particulièrement favorable pour les victimes. Les causes d’exonération du responsable sont retenues de manière restrictive (art. 2), particulièrement concernant les dommages corporels subis par des victimes non conductrices (art. 3). Les conditions de mise en œuvre de la responsabilité sont, en outre, assouplies par rapport au droit commun de la responsabilité civile. Tout recours au concept de causalité a effet été abandonné pour retenir celui d’implication (art. 1), issu de l’article 4 de la Convention de La Haye sur la loi applicable en matière d’accident de la circulation routière. Encore faut-il, toutefois, pour bénéficier de ce régime, avoir été victime d’un accident de la circulation. Il convient, dès lors, de parvenir à circonscrire les limites de cette notion (sur laquelle, v. A. Cayol, « Responsabilité du fait des accidents de la circulation », in R. Bigot et F. Gasnier [dir.],Lexbase, Encyclopédie. Droit de la responsabilité civile, 9 mai 2022 ; R. Bigot et A. Cayol, Le droit de la responsabilité civile en tableaux, Ellipses, 2022, p. 314). Bien qu’elle soit traditionnellement comprise de manière extensive, cette dernière ne saurait englober les hypothèses où un véhicule terrestre à moteur est présent lors d’un accident sans lien direct avec la circulation. Une doctrine autorisée s’interrogeait ainsi : « Ne serait-il pas audacieux de rattacher à la circulation routière l’hypothèse, parfois prise comme exemple, d’une victime défenestrée dont le corps viendrait s’écraser sur un véhicule en stationnement ? » (G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, Les régimes spéciaux de l’assurance de responsabilité, 4e éd., LGDJ, 2017, n° 100, p. 132). Ce cas d’école vient d’être soumis à l’appréciation de la Cour de cassation le 7 juillet 2022.

En l’espèce, une personne, effectuant des travaux sur le toit de son garage, tombe au travers de la lucarne du garage de son voisin, heurtant dans sa chute le véhicule de ce dernier qui y était stationné. La victime assigne l’assureur dudit véhicule en indemnisation de ses préjudices. La cour d’appel fait droit à sa demande en retenant l’existence d’un accident de la circulation, au sens de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985. Selon elle, « le stationnement d’un véhicule terrestre à moteur constitue en tant que tel un fait de circulation » (pt 5). Sa décision est cassée par la deuxième chambre civile, au visa de l’article 1er de la loi Badinter, aux motifs que « ne constitue pas un accident de la...

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Demande d’infirmation au dispositif des conclusions, la deuxième chambre civile poursuit son [I]opus magnum[/I]

Après le grand saut du 17 septembre 2020 et désormais selon la technique des petits pas, la Cour de cassation reste à la manœuvre pour qualifier les exigences du dispositif des conclusions d’appel. Le 28 juillet 2017, un salarié relève appel d’un jugement du conseil de prud’hommes devant la cour d’appel d’Orléans. Le dispositif des premières conclusions par lui déposées ne mentionnant pas l’infirmation du jugement, l’employeur souleva la caducité de la déclaration d’appel devant le conseiller de la mise en état qui écarta le moyen. Sur déféré, la cour déclara caduque la déclaration d’appel et l’appelante forma un pourvoi afin de se prévaloir d’une atteinte au droit à un procès équitable au regard de l’arrêt de la Cour de cassation du 17 septembre 2020 qui prévoit un différé d’application, à cette même date, de sa jurisprudence sanctionnant la partie qui n’a pas précisé sa demande de réformation ou d’annulation dès ses premières conclusions. Selon arrêt du 9 juin 2022, la deuxième chambre civile annule l’arrêt en confirmant l’ordonnance du conseiller de la mise en état. La solution est la suivante :

« Vu les articles 542, 908 et 954 du code de procédure civile et 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :
4. L’objet du litige devant la cour d’appel étant déterminé par les prétentions des parties, le respect de l’obligation faite à l’appelant de conclure conformément à l’article 908 s’apprécie nécessairement en considération des prescriptions de l’article 954.
5. Il résulte de ce dernier texte, en son deuxième alinéa, que le dispositif des conclusions de l’appelant remises dans le délai de l’article 908 doit comporter une prétention sollicitant expressément l’infirmation ou l’annulation du jugement frappé d’appel.
6. À défaut, en application de l’article 908, la déclaration d’appel est caduque ou, conformément à l’article 954, alinéa 3, la cour d’appel ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif, ne peut que confirmer le jugement.
7. Ainsi, l’appelant doit dans le dispositif de ses conclusions mentionner qu’il demande l’infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l’anéantissement, ou l’annulation du jugement. En cas de non-respect de cette règle, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue de relever d’office la caducité de l’appel. Lorsque l’incident est soulevé par une partie, ou relevé d’office par le conseiller de la mise en état, ce dernier, ou le cas échéant la cour d’appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d’appel si les conditions en sont réunies (Civ. 2e, 4 nov. 2021, n° 20-15-766, publié).
8. Cette obligation de mentionner expressément la demande d’infirmation ou d’annulation du jugement, affirmée pour la première fois par un arrêt publié (Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 18-23.626, publié), fait peser sur les parties une charge procédurale nouvelle. Son application immédiate dans les instances introduites par une déclaration d’appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.
9. Pour déclarer caduque la déclaration d’appel, l’arrêt retient que le dispositif des conclusions, déposées dans le délai de trois mois suivant la déclaration d’appel par Mme [L], énonce diverses demandes mais ne comporte aucune formule indiquant qu’elle sollicite l’infirmation ou la réformation de la décision critiquée.
10. En statuant ainsi, la cour d’appel a donné une portée aux articles 542, 908 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l’état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n’était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle il a été relevé appel, soit le 28 juillet 2017, l’application de cette règle de procédure, qui instaure une charge procédurale nouvelle dans l’instance en cours, aboutissant à priver Mme [L] d’un procès équitable au sens de l’article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

Ne jamais avoir raison avant tout le monde

Encore une cour d’appel qui avait un sens aigu de l’anticipation ! La cour d’Orléans avait parfaitement observé que le dispositif des conclusions, déposées dans le délai imparti, qui énonce diverses demandes mais ne comporte aucune formule mentionnant l’infirmation ou la réformation de la décision critiquée, entraîne la caducité de la déclaration d’appel. Preuve peut-être que la règle dégagée par la Cour de cassation, qui avait surpris plus d’un juriste, était dans l’air du temps, d’autres cours d’appel avaient vu juste également en dégageant cette même exigence de mention de la réformation au dispositif des conclusions avant même le 17 septembre 2020. À nouveau donc, la deuxième chambre civile approuve le raisonnement d’une cour d’appel ayant anticipé sur le sien. La motivation est saluée, mais aussitôt censurée par une annulation de l’arrêt. La cour d’appel, sur déféré, avait raison de dire que l’absence d’infirmation au dispositif des premières conclusions pouvait être sanctionnée par une caducité, mais il était trop tôt pour le dire !

La Cour de cassation pouvant, en matière civile, statuer au fond lorsque l’intérêt d’une bonne administration de la justice le commande, elle approuve donc la motivation de l’arrêt de la cour, pour finalement l’annuler et confirmer l’ordonnance de son conseiller de la mise en état qui avait jugé que l’acte d’appel n’était pas caduc. C’est « l’effet 17 septembre 2020 » que d’approuver celui qui a tort aujourd’hui et de sanctionner celui qui a raison trop tôt ! Mais on sait avec les Mémoires d’Hadrien que c’est encore avoir tort que d’avoir raison trop tôt.

Le 1er d’entre tous

On finit par comprendre en tous cas où la deuxième chambre civile nous emmène depuis ce fameux arrêt du 17 septembre 2020 : la cour d’appel qui est saisie par un dispositif des premières conclusions qui ne sollicitent pas l’infirmation ou l’annulation du jugement ne peut que le confirmer. Pour la première fois, la Cour de cassation allait assimiler réformation et annulation à une prétention au fond qui doit donc nécessairement être concentrée dans le délai pour conclure (C. pr. civ., art. 910-4) mais encore être contenue au dispositif (C. pr. civ., art. 954). C’était la première fois qu’elle dégageait une telle solution et consacrait le très rare principe de modulation des effets temporels de la jurisprudence dès lors que la voie de recours était en question. Ainsi, seules seraient concernées les déclarations d’appel postérieures au 17 septembre 2020 puisque « l’application immédiate de cette règle de procédure, qui résulte de l’interprétation nouvelle d’une disposition au regard de la réforme de la procédure d’appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 et qui n’a jamais été affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d’appel antérieure à la date du présent arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable » (Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 18-23.626, FS-P+B+I, Dalloz actualité, 1er oct. 2020, note C. Auché et N. De Andrade ; D. 2020, p. 2046, comm. M. Barba ; RTD civ. 2021, p. 479, obs. N. Cayrol ; Procédures nov. 2020. Comm. 190, obs. R. Laffly).

C’était donc la première fois, et si l’étudiant en droit de première année sait qu’une fois n’est pas coutume, la situation allait vite devenir coutumière.

Jamais 2 sans 3

La solution fut en effet reprise par deux fois, mais comme en la présente espèce au visa cette fois de l’article 6, § 1, de la Convention EDH. L’accès au juge prenait alors une autre dimension. Dans le premier cas du côté de l’appelant (Civ. 2e, 20 mai 2021, n° 19-22.316 et 20-13.210, F-B, Dalloz actualité, 4 juin 2021, obs. C. Lhermitte ; Dalloz 2021, p. 1217, comm. M. Barba ; Procédures, juill. 2021. Comm. 186, obs. R. Laffly), puis à l’égard de l’intimé qui forme appel incident. Ainsi, celui-ci a l’obligation de solliciter une demande de réformation au dispositif de ses premières écritures lorsqu’il forme appel incident (Civ. 2e, 1er juill. 2020, n° 20-10.694 F-B, Dalloz actualité, 23 juill. 2021, obs. C. Lhermitte ; Procédures, août-sept. 2021. Comm. 216, obs. R. Laffly). Débouté de sa prétention en première instance, c’est bien cette demande d’infirmation qui matérialise l’appel incident de l’intimé et l’on dira que cette solution était logique dans cette nouvelle logique. Et toujours avec le même report d’application au 17 septembre 2020.

Jamais 3 sans 4

Mais alors que l’on commençait précisément à s’accoutumer, par un quatrième arrêt publié, la Haute juridiction allait pour la première fois approuver la sanction de caducité de la déclaration d’appel et la compétence du conseiller de la mise en état pour la prononcer, ajoutant que « cette sanction, qui permet d’éviter de mener à son terme un appel irrémédiablement dénué de toute portée pour son auteur, poursuit un but légitime de célérité de la procédure et de bonne administration de la justice » ; « Par ailleurs, cette règle ne résulte pas de l’interprétation nouvelle faite par la Cour de cassation dans un arrêt du 17 septembre 2020 (Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 18-23.626 P+B+I, JurisData n° 2020-013427), imposant que l’appelant demande dans le dispositif de ses conclusions, l’infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l’anéantissement ou l’annulation du jugement. Il en résulte que cette règle n’entre pas dans le champ du différé d’application que cet arrêt a retenu en vue de respecter le droit à un procès équitable » (Civ. 2e, 9 sept. 2021, n° 20-17.263 F-B, Dalloz actualité, 24 sept. 2021, obs. R. Laffly ; D. 2021, p. 1848, obs. M. Barba ; JCP 22 nov. 2021, p. 1228, obs. D. D’Ambra ; Procédures 2021. comm. 288, obs. S. Amrani-Mekki). La sanction dégagée comme l’apparition du conseiller de la mise en état, qui laissaient sans voix l’ensemble des commentateurs (ils s’empressèrent donc de la faire entendre) étaient-elles l’amorce d’une autre voie ? Pas nécessairement, car l’arrêt rendu cette fois au visa des articles 908 et 954 du code de procédure civile, s’inscrivait dans un contexte particulier : l’appel avait été formé avant l’entrée en vigueur du décret du 6 mai 2017 et donc de la rédaction nouvelle de l’article 542 qui fit apparaître la nécessaire « critique du jugement ». Mais la situation ante, quoique plus souple, n’était bien sûr par exempte d’obligations procédurales, à commencer par l’énoncé de prétentions au dispositif des conclusions. Or, la lecture de l’arrêt d’appel qui donna lieu à celui du 9 septembre 2021 enseignait que les conclusions ne sollicitaient, outre une condamnation à un article 700 du code de procédure civile et aux dépens, que la confirmation du jugement en ce que le grief d’insuffisance professionnelle et le licenciement sans cause réelle et sérieuse n’étaient pas établis, pour mentionner ensuite et seulement : « faire droit à l’ensemble des demandes ».

Aussi, si l’on peut s’interroger sur l’intérêt de mentionner au dispositif de conclusions une réformation ou une annulation que l’on imagine volontiers consubstantielle à l’appel, sur l’idée habilement disruptive de les assimiler à une prétention au fond, le dispositif reste bien le lieu de prétentions par application de l’article 954. Or, si la confirmation est encore une prétention, l’appel principal ne peut être la voie seule de la confirmation. Dit autrement, on ne forme pas appel pour demander la confirmation pure et simple de la décision attaquée ! L’appel est bien la voie de la réformation ou de l’annulation, selon les termes d’un article 542 qui, ici, n’a pas varié. La justification de l’apparition du conseiller de la mise en état, par le biais de la caducité, reposait alors sur l’évidence de conclusions défaillantes ou « vides » qui ne faisaient apparaître ni réformation, ni annulation, ni prétentions.

Jamais 4 sans 5

Il fallait un cinquième arrêt pour clarifier les choses, et il intervint, le 4 novembre suivant, au visa des articles 542 et 954 du code de procédure civile, et 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme.

Ainsi, toujours avec le même différé d’application au 17 septembre 2020, l’appelant doit, dans le dispositif de ses conclusions, mentionner qu’il demande l’infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l’anéantissement ou l’annulation (Civ. 2e, 4 nov. 2021, n° 20-15.757, 20-15.776, 20-15.778, 20-15.787 F-B, Dalloz actualité, 18 nov. 2021, obs. C. Lhermitte ; Procédures, janv. 2022. Comm. 2, obs. R. Laffly). Mais alors que les trois premiers posait le principe que seule la confirmation pouvait être prononcée par la cour d’appel statuant au fond, que le quatrième dégageait la sanction de caducité, compétence partagée par la cour et le conseiller de la mise en état (sans différé d’application mais avec la réserve énoncée), l’arrêt du 4 novembre précisait « En cas de non-respect de cette règle, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue de relever d’office la caducité de l’appel. Lorsque l’incident est soulevé par une partie, ou relevé d’office par le conseiller de la mise en état, ce dernier, ou le cas échéant la cour d’appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d’appel si les conditions en sont réunies ». À la Cour statuant au fond la possibilité de sanctionner par une confirmation ou une caducité, au conseiller de la mise en état et à la cour sur déféré celle de prononcer la seule caducité.

Jamais 5 sans 6

L’arrêt du 9 juin 2022, sixième arrêt de la deuxième chambre civile sur le sujet, vise cette fois, outre l’article 6, § 1er, de la Convention, tous les articles de l’arsenal procédural et notamment l’article 908 au côté des articles 542 et 954.

Six arrêts, six points pour dégager une synthèse qui pourrait être celle-ci :

1. L’objet du litige devant la cour d’appel est déterminé par les prétentions des parties. 2. La réformation ou l’annulation est une prétention au fond. 3. Cette prétention au fond doit être expressément mentionnée au dispositif des premières conclusions. 4. Cette règle de procédure qui instaure une charge procédurale nouvelle ne peut être appliquée dans les instances introduites par une déclaration d’appel antérieure au 17 septembre 2020. 5. La sanction de caducité peut cependant être prononcée par le conseiller de la mise en état ou la cour si l’appel a été interjeté avant le 17 septembre 2020 dès lors qu’aucune demande de réformation ou d’annulation ni même de prétention n’apparaît au dispositif qui saisit la cour. 6. Si dans une instance introduite après le 17 septembre 2020 le dispositif des conclusions ne mentionne pas expressément la réformation ou l’annulation dans le délai imposé pour la remise des premières conclusions, la cour, au fond, peut confirmer la décision dont appel ou prononcer la caducité de la déclaration d’appel et le conseiller de la mise en état et la cour sur déféré peuvent prononcer sa caducité.

Et comme un pont jeté vers ce sixième arrêt du 9 juin, l’observateur attentif aura vu que la 2ème chambre civile a entretemps rappelé qu’une cour d’appel, qui constate que l’appelant a sollicité au dispositif de ses conclusions la réformation du jugement sur les chefs du dispositif critiqués et formulé ses prétentions, ne peut confirmer la décision motif pris que ne s’y trouvent pas détaillés les chefs de jugement critiqués (Civ. 2e, 3 mars 2022, n°20-20.017 F-B, Dalloz actualité, 12 mars 2022, obs. C. Lhermitte ; Procédures mai 2022. Comm. 117, obs. R. Laffly). On qualifiera cet arrêt de moment de respiration pour l’appelant qui avait « coché toutes les cases ». Dans l’attente d’une confirmation, on retiendra cependant sa respiration. L’acte d’appel avait été effectué avant le 17 septembre 2020.

Alors si le parti-pris de la Cour de cassation n’emporte pas tous les suffrages et a livré de nombreux débats et commentaires critiques, on donnera la parole en dernier à la défense. Par la voix de sa très complète « Lettre de la deuxième chambre civile » (Hors série n° 2, Procédure de l’appel civil, juin 2022), la deuxième chambre civile vient de livrer une conclusion en forme de guide :
« De la présentation commentée des avis et arrêts qui précédent, appréhendés en leur ensemble, se dessinent les traits dominants, les contours, et les articulations essentielles d’une jurisprudence qui, au fil des cinq années embrassées par ce panorama, s’est fixée, précisée, affinée.
Si, bien évidemment, elle est, par construction, tributaire, non sans aléas, des espèces à l’occasion desquelles elle s’affirme, cette jurisprudence n’en revendique pas moins, par-delà son inévitable complexité, une cohérence globale.
La politique juridictionnelle à laquelle elle donne forme, peut et doit être lue, interprétée et comprise en suivant moins un fil conducteur unique que plusieurs lignes directrices qui, croisant leurs trajectoires respectives, ont vocation à l’ordonner et à lui donner sens ».

Et de poursuivre s’agissant du différé d’application initié avec son arrêt du 17 septembre 2020 : le recours à ce mécanisme original, sinon inédit, du différé d’application dans le temps permet ainsi d’assurer une conciliation équilibrée, proportionnée, entre le but légitime de célérité et de bonne administration de la justice que poursuivent les règles de procédure civile en cause, issues, en particulier, du décret du 6 mai 2017, telles qu’interprétées et affirmées par la jurisprudence de la Cour de cassation, et les exigences de prévisibilité de la norme et de liberté d’accès au juge, découlant du principe du droit à un procès équitable, garanti par l’article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ».

Plus qu’un fil conducteur, la complexité du propos offre donc des lignes directrices. Guidé par le droit d’accès au juge, reste à les entrecroiser. Car sur un fil, tout est notion d’équilibre. Voilà sans doute la conclusion de cet opus magnum.

De la portée du réputé non écrit dans le contentieux des clauses abusives

Les renvois préjudiciels concernant les clauses abusives sont nombreux et ils donnent lieu à des arrêts toujours très instructifs sur la portée de la protection du dispositif selon la Cour de justice de l’Union européenne (v. par ex., CJUE 21 déc. 2021, aff.C-243/20, Dalloz actualité, 24 janv. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 5 image). Le 8 septembre 2022, une nouvelle décision a été rendue dans la même veine en s’accompagnant d’un communiqué de presse finissant de signer son intérêt particulier. Elle concerne une question délicate, celle de la portée de la sanction des clauses abusives dans les droits nationaux. Hasard de calendrier, la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu une décision proche de cette thématique la veille de sa publication (Civ. 1re, 7 sept. 2022, n°Â 20-20.826, à paraître au Dalloz actualité ; D. 2022. 1557 image). Reprenons les faits ayant permis d’aboutir à cet arrêt du 8 septembre 2022 qui concernait, encore une fois, les prêts libellés en devise étrangère.

Des consommateurs concluent des contrats de crédit hypothécaire avec un établissement bancaire pour financer notamment des logements situés en Pologne. Les prêts sont enregistrés en francs suisses mais mis à la disposition des emprunteurs en zlotys polonais avec un cours d’achat du franc-suisse par rapport à la monnaie polonaise comme prix de conversion. Toutefois, lors du remboursement des mensualités, le prix de conversion correspond au cours de vente du franc-suisse par rapport au zlotys polonais. Les consommateurs saisissent la justice, et notamment le tribunal de Varsovie-Śródmieście en se fondant sur les dispositions issues du Code de la consommation concernant les clauses abusives. Dans ces différentes affaires, le tribunal de district de Varsovie-Śródmieście s’interroge s’il est possible pour une juridiction nationale de constater la nullité de la clause abusive et substituer à cette clause une disposition de droit national à caractère supplétif alors que le consommateur ne souhaite pas maintenir le contrat conclu. Est ainsi décidé de transmettre à la Cour de justice de l’Union européenne quatre questions préjudicielles disséminées dans les affaires où elle décide de surseoir à statuer. Ces questions sont assez proches les unes des autres, mis à part la dernière portant sur la prescription de la sanction des clauses abusives.

Nous les reproduisons ci-dessous pour plus de clarté pour le lecteur :

1°) Faut-il interpréter l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE en ce sens qu’ils s’opposent à une interprétation jurisprudentielle de la législation nationale selon laquelle le juge constate le caractère abusif, non pas de l’intégralité d’une clause contractuelle, mais uniquement de la partie de la clause qui rend celle‑ci abusive, de sorte que la clause reste partiellement effective ?

2°) Faut-il interpréter l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE en ce sens qu’ils s’opposent à une interprétation jurisprudentielle de la législation nationale selon laquelle le juge peut, après avoir constaté le caractère abusif d’une clause contractuelle sans laquelle le contrat ne saurait être exécuté, modifier le reste du contrat en interprétant les déclarations de volonté des parties afin d’éviter l’annulation du contrat, lequel est favorable au consommateur ? »

3°) Faut-il interpréter l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE en ce sens qu’ils s’opposent à une interprétation jurisprudentielle de la législation nationale selon laquelle le juge peut, après avoir constaté le caractère abusif d’une clause contractuelle qui entraîne la nullité du contrat, compléter ce contrat par une disposition supplétive du droit national afin d’éviter l’annulation du contrat alors que le consommateur accepte la nullité du contrat ? »

4°) « L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE ainsi que les principes d’équivalence, d’effectivité et de sécurité juridique doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une interprétation jurisprudentielle de la législation nationale selon laquelle l’action du consommateur tendant à obtenir la restitution de sommes indûment versées en exécution d’une clause abusive d’un contrat conclu avec un professionnel se prescrit par dix ans à compter de la date de chaque prestation exécutée par le consommateur, même lorsque ce dernier n’avait pas connaissance du caractère abusif de ladite clause ? »

Nous diviserons le commentaire en plusieurs thématiques, l’arrêt étant long de plus de cent paragraphes.

Le juge national et le caractère abusif d’une partie seulement de la clause

La première question posée dans l’affaire C-80/21 implique de se demander s’il est possible pour les juridictions nationales de ne pas anéantir la totalité de la clause abusive mais seulement une partie de celle-ci quand c’est seulement cette fraction qui présente le caractère illicite reproché. On perçoit immédiatement que la Cour de justice de l’Union européenne émet des réserves quant à la pratique de la révision judiciaire dans ce contexte. Le paragraphe n° 60 rappelle, en ce sens, qu’une telle faculté diminuerait drastiquement l’effet dissuasif qui s’exerce sur les professionnels « dans la mesure où ceux-ci demeureraient tentés d’utiliser lesdites clauses, en sachant que, même si celles-ci devaient être invalidées, le contrat pourrait néanmoins être complété, dans la mesure du nécessaire, par le juge national, de sorte à garantir ainsi l’intérêt desdits professionnels ».

La Cour tempère en rappelant qu’elle a déjà jugé que le juge national peut supprimer l’élément abusif de la clause seulement quand l’effet dissuasif des clauses abusives est assuré par des dispositions législatives nationales qui en réglementent l’utilisation tant que cet élément consiste en une obligation contractuelle qui peut faire l’objet d’un examen « individualisé de son caractère abusif ». Mais la limite est immédiatement rappelée : le juge national ne peut pas supprimer uniquement l’élément abusif d’une clause lorsque la suppression aboutit à réviser le contenu de la clause en modifiant sa substance. En somme, la Cour de justice de l’Union européenne plaide pour une non-immixtion dans la sphère contractuelle en préférant la nullité pure et simple (en France, un réputé non écrit pour être exact eu égard à la transposition de la directive).

La réponse à la question préjudicielle est donc donnée au n° 64 de l’arrêt : le juge national ne peut pas constater le caractère abusif d’une partie de la clause quand une telle suppression aboutit à réviser la stipulation contractuelle et à changer son sens. La juridiction nationale devra vérifier ce point pour déterminer si elle peut annuler partiellement la clause, ce qui paraît extrêmement douteux dans le contentieux des prêts libellés en devise étrangère.

Le juge national et la substitution de la clause abusive par une disposition supplétive

Nous analyserons deux questions dans cette sous-partie qui est le point névralgique de l’arrêt.

Dans l’affaire C-81/21, le tribunal de district de Varsovie-Śródmieście interroge la Cour, en substance, sur la possibilité de constater la nullité de la clause abusive mais de sauvegarder le contrat dans son ensemble en substituant à la clause litigieuse une disposition de droit national supplétive. Dans cette situation, la Cour de justice rappelle qu’il est parfaitement possible de maintenir le contrat sans la clause litigieuse (la nullité n’est alors que partielle) au paragraphe n° 66 de l’arrêt. Mais elle en limite la portée : il faut que le contrat puisse subsister sans aucune autre modification que celle résultant dans la suppression de la clause abusive. Ceci rejoint les développements précédents.

La Cour de justice de l’Union évoque, au n° 67, la possibilité « exceptionnelle » de procéder à une substitution de la clause abusive par une disposition nationale quand le consommateur est exposé à des conséquences particulièrement préjudiciables dont il pâtirait en raison de la nullité totale du contrat.

La réponse donnée est donc simple : à chaque fois que le contrat peut subsister sans les clauses abusives, il convient de ne pas leur substituer des dispositions nationales supplétives dont la portée est proche. Ceci permet, là-encore, de ne pas sacrifier la force obligatoire choisie par les parties sur l’autel du contrôle des clauses abusives outre mesure. Quand une clause abusive est détectée, elle est supprimée et le contrat survit sans ladite clause lorsqu’une telle survivance est possible. La substitution n’intervient que dans des cas exceptionnels qui sont d’une grande rareté en pratique puisqu’il est assez peu fréquent que le consommateur pâtisse de la disparition d’un contrat vicié par des clauses abusives. C’est toutefois tout à fait possible et la limite portée par la Cour est donc très justement rappelée.

Dans les affaires C-80/21 et C-81/21, il était question de la possibilité pour le juge , tout en annulant la clause abusive devant normalement entraîner la nullité du contrat entier par indivisibilité de substituer à cette clause soit une interprétation de la volonté des parties pour éviter l’annulation du contrat, soit une disposition de droit national à caractère supplétif quand le consommateur a été informé des conséquences de la nullité et en a accepté le principe.

La Cour rappelle donc la réponse précédemment apportée, notamment sur les circonstances exceptionnelles de la substitution de la clause abusive par une disposition légale supplétive et analyse le cas d’espèce sur les conséquences particulièrement préjudiciables (nos 71 à 78 de l’arrêt étudié). Ce n’est pas le cas dans les espèces analysées selon la Cour de justice mais il faudra le vérifier par la juridiction de renvoi.

C’est sur l’interprétation judiciaire par la volonté des parties que la Cour de justice fait preuve de plus de fermeté. Elle rappelle que celle-ci doit être purement et simplement exclue (n° 79). Pour en arriver à ce constat, elle rappelle que le mécanisme des clauses abusives ne fait que de tenir les magistrats comptables de la suppression des clauses sans pouvoir s’immiscer dans le contenu contractuel en le modifiant. La question montre à quel point les systèmes juridiques régis par les dispositions de l’Union peuvent être différents : là où la juridiction polonaise s’interroge, son pendant français n’aurait probablement même pas effleuré la question en raison de la détermination du contenu contractuel par les parties seules en France. Certes, l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 a permis de faire évoluer ce constat mais les solutions de révision judiciaire sont rares et strictement limitées (v. par ex. sur la genèse de l’introduction de la révision judiciaire pour imprévision : M. Latina et G. Chantepie, Le nouveau droit des obligations et des contrats - Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 2e éd., Dalloz, 2018, p. 13, nos 16 s.).

En somme, voici donc une réponse simple : le juge ne peut pas substituer à la clause abusive une interprétation de la volonté des parties afin d’éviter l’annulation du contrat entier alors que le consommateur a accepté les conséquences de la nullité.

Sur la prescription de l’action visant à obtenir la restitution de sommes indûment versée

La juridiction polonaise s’était, enfin, demandée si la directive des clauses abusives s’oppose à une jurisprudence nationale selon laquelle le délai de dix ans de l’action visant à obtenir restitution des sommes indûment versées à un professionnel en raison d’une clause abusive commence à courir à la date de chaque prestation exécutée par le consommateur quand ce dernier n’était pas en mesure d’apprécier ledit caractère abusif ou quand il n’en avait pas connaissance. La question était particulièrement importante puisque le contrat avait une durée de remboursement de trente ans alors que la prescription n’était que de dix ans.

On comprend immédiatement le lien avec l’imprescriptibilité du réputé non écrit sanctionnant les clauses abusives en France que nous avons déjà eu l’occasion de rencontrer à de multiples reprises dans ces colonnes au sujet des arrêts de la Cour de cassation (Civ. 1re, 30 mars 2022, n° 19-17.996 FS-B<, Dalloz actualité, 4 avr. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 974 image, note J. Lasserre Capdeville image ; RDI 2022. 382, obs. J. Bruttin image ; Rev. prat. rec. 2022. 31, chron. K. De La Asuncion Planes image ; RTD civ. 2022. 380, obs. H. Barbier image ; RTD com. 2022. 361, obs. D. Legais image). La Cour de justice rappelle donc, au n° 90 de son arrêt, sa jurisprudence BNP Paribas également commentée dans ces colonnes (CJUE 10 juin 2021, aff. C-776/19 à C-782/19, Dalloz actualité, 9 juill. 2021, obs. J.-D. Pellier ; D. 2021. 2288 image, note C. Aubert de Vincelles image ; ibid. 2022. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki image ; ibid. 574, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; RDI 2021. 650, obs. J. Bruttin image ; RTD com. 2021. 641, obs. D. Legeais image). Mais la question est légèrement différente quand il s’agit d’une restitution des sommes indûment versée en raison de cette clause abusive.

On retiendra de l’argumentation de la Cour deux points essentiels : un délai de prescription peut être compatible avec le principe d’effectivité si et seulement si le consommateur a pu connaître ses droits avant que le délai ne commence à courir ou ne s’écoule entièrement (n° 98 de l’arrêt). La réponse se trouvait donc dans la question : puisque le consommateur ne connaissait pas le caractère abusif de la clause, il ne percevait pas que le délai de prescription s’écoulait. Le couperet tombe au n° 99 : « un tel délai rend, partant, excessivement difficile l’exercice des droits que ce consommateur tire de la directive 93/13/CEE et méconnaît, dès lors, le principe d’effectivité ».

Il faut bien rappeler que la Cour de justice ne sanctionne pas tout délai de prescription puisqu’elle estime que ce délai ne paraît aps de nature à rendre pratiquement impossible l’exercice des droits conférés par la directive (n° 93 de l’arrêt). Elle ne fait que de tenir compte de la situation d’infériorité du consommateur (n° 94). C’est de la confrontation de ces deux arguments contradictoires que la solution s’impose, notamment en raison de la grande différence entre le délai de prescription (dix ans) et la durée du remboursement du triple (30 ans).

 

Voici donc plusieurs réponses allant dans le même sens. Le juge national est tenu de supprimer les clauses abusives sans s’immiscer dans le contenu contractuel, à moins que l’intérêt du consommateur le commande. Quant à la prescription, on retrouve le motif du principe d’effectivité faisant planer le spectre de l’imprescriptibilité sur les conséquences du réputé non écrit (ici, une action en restitution d’un prêt remboursable sur trente ans). La Cour ne l’énonce pas aussi abruptement : le délai de prescription est possible quand le consommateur connaît ses droits ou a la possibilité de les connaître avant que ce délai ne commence à courir ou ne s’écoule entièrement. En somme, c’est le cas dans assez peu de situations… Il faudra veiller sur le développement de cette jurisprudence à l’avenir. Affaire à suivre !

Le juge des référés et le préliminaire légal de conciliation

L’existence d’un préliminaire de conciliation obligatoire légalement prévu fait-il obstacle à la saisine du juge des référés afin qu’il ordonne une mesure destinée à prévenir un dommage imminent ou à faire cesser un trouble manifestement illicite ?

Telle est la question à laquelle a répondu la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 13 juillet 2022.

Par lettre du 28 mai 2020, la Fédération française de taekwondo et disciplines associées avait convoqué une assemblée générale ordinaire qui devait se tenir du 26 au 30 juin suivant. Plusieurs personnes, sans doute membres de la fédération, avaient alors pris l’initiative de saisir un juge des référés afin qu’il annule la convocation et qu’il ordonne diverses mesures liées à l’organisation du vote. Le juge des référés du tribunal judiciaire de Lyon et la cour d’appel, saisie d’un recours dirigé contre son ordonnance, ont déclaré les prétentions irrecevables dès lors que n’avait pas été mise en œuvre, avant l’introduction de l’instance, le préliminaire de conciliation prévu par l’article R. 141-5 du code du sport. Il est vrai que ce texte prévoit que « la saisine du comité à fin de conciliation constitue un préalable obligatoire à tout recours contentieux, lorsque le conflit résulte d’une décision, susceptible ou non de recours interne, prise par une fédération dans l’exercice de prérogatives de puissance publique ou en application de ses statuts » (le soulignement est ajouté).

Mais la troisième chambre civile de la Cour de cassation n’a pas partagé cette manière de voir les choses et a doublement censuré l’arrêt rendu par la juridiction lyonnaise. Elle a commencé par juger, au visa des articles 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des libertés fondamentales, L. 141-4 et R. 141-5 du code du sport et 835 du code de procédure civile, que « en cas de trouble manifestement illicite ou de dommage imminent, les dispositions de l’article R. 141-5 du code du sport instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable ne font pas obstacle à la saisine du juge des référés ». Elle a encore censuré l’arrêt rendu par la cour d’appel au visa de l’article R. 141-5 du code du sport car « une convocation, qui a le caractère d’un acte préparatoire aux délibérations de l’assemblée générale, ne constitue pas une décision ».

Le juge des référés et les préalables de conciliation

Que les dispositions qui imposent, avant tout recours judiciaire, de mettre en œuvre un processus de conciliation ne fassent pas obstacle à la saisine d’un juge des référés en cas de trouble manifestement illicite ou de dommage imminent ne surprend pas. La première chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 24 novembre 2021, l’avait déjà clairement affirmé (Civ. 1re, 24 nov. 2021, n° 20-15.789 P, D. 2022. 856, chron. C. Dazzan, I. Kloda, X. Serrier, S. Vitse, E. Buat-Ménard, A. Feydeau-Thieffry et C. Azar image ; Rev. prat. rec. 2022. 25, chron. B. Gorchs-Gelzer image ; RTD civ. 2022. 126, obs. H. Barbier image ; ibid. 200, obs. N. Cayrol image). Si la conclusion de l’arrêt rendu par la troisième chambre civile n’innove pas, le chemin emprunté pour y parvenir est en revanche original. Pour justifier sa solution, la troisième chambre civile prend le soin de rappeler que chacun a droit à un recours effectif au juge, mais également de se référer à l’arrêt rendu par la première chambre civile le 24 novembre 2021 et à l’arrêt Alassini rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 18 mars 2010 qui avait énoncé que le principe de protection juridictionnelle effective ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui impose la mise en œuvre préalable d’une procédure de conciliation extrajudiciaire, pour autant que des mesures provisoires sont envisageables dans les cas exceptionnels où l’urgence de la situation l’impose. La solution doit être pleinement approuvée et il convient de renvoyer le lecteur au commentaire de l’arrêt rendu 24 novembre 2021 (Dalloz actualité, 9 déc. 2021, obs. N. Hoffschir).

Il est certain qu’un préliminaire légal ou conventionnel de conciliation ne constitue pas un obstacle à ce qu’un juge des référés soit saisi afin d’ordonner une mesure dictée par l’urgence : la chose paraît évidente lorsque l’urgence constitue une condition explicite du prononcé de la mesure (C. pr. civ., art. 834) ; elle est également vraie, et l’arrêt commenté en témoigne, lorsque l’urgence constitue une condition implicite de mise en œuvre des pouvoirs du juge, comme ce peut être le cas lorsque le juge des référés est saisi afin de prévenir un dommage imminent ou de faire cesser un trouble manifestement illicite. Mais, en dehors de toute idée d’urgence, il n’est pas encore certain que la prétention formulée devant le juge des référés soit recevable (v. sur ces points, N. Hoffschir, obs. préc.).

L’interprétation stricte du champ d’application de la conciliation préalable

Le préliminaire obligatoire de conciliation, qu’il trouve son origine dans la loi ou dans une convention, constitue un obstacle, sinon une restriction, à la recevabilité des prétentions soumises au juge des référés. Parce qu’il constitue une restriction à l’exercice d’un droit fondamental, cela n’invite pas nécessairement à en apprécier extensivement le champ d’application.

Lorsque la limitation a une origine contractuelle, il faut tenter d’apprécier la volonté des parties en analysant des clauses qui, bien souvent, n’ont pas constitué le cœur du processus de négociation. La clause qui prévoit qu’une tentative de règlement amiable doit être menée avant tout saisine d’un juge « en cas de litige » ne comporte aucune distinction quant à la nature des litiges devant être soumis à un conciliateur préalablement à toute instance judiciaire (Civ. 3e, 20 sept. 2011, n° 10-20.990, inédit, AJDI 2011. 871 image). Mais il y a des cas où il est douteux que les parties, en rédigeant une clause visant simplement tout litige, aient entendu subordonner la recevabilité d’une prétention à un préliminaire de conciliation : c’est pourquoi une déclaration expresse de volonté est requise s’il s’agit de faire obstacle à la recevabilité d’une demande reconventionnelle (Com. 24 mai 2017, n° 15-25.457 P, D. 2017. 1131 image ; ibid. 2559, obs. T. Clay image ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero image ; AJ contrat 2017. 396, obs. N. Dissaux image ; RTD civ. 2017. 653, obs. H. Barbier image) ou d’une demande formée devant le juge de l’exécution à l’occasion d’une saisie immobilière (Civ. 2e, 21 févr. 2019, n° 18-14.773 inédit, D. 2019. 1306, obs. A. Leborgne image ; AJDI 2019. 381 image ; RTD civ. 2019. 578, obs. H. Barbier image ; 22 juin 2017, n° 16-11.975 P, D. 2017. 1369 image ; ibid. 1868, chron. E. de Leiris, N. Touati, O. Becuwe, G. Hénon et N. Palle image ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero image ; ibid. 1223, obs. A. Leborgne image ; RTD civ. 2017. 653, obs. H. Barbier image ; ibid. 2018. 478, obs. P. Théry image).

Ces principes d’interprétation, qui ne paraissent pas viscéralement attachés à la matière contractuelle, peuvent guider l’interprète lorsqu’il s’agit de déterminer le champ d’application d’un préliminaire obligatoire de conciliation qui trouve sa source dans la loi. L’article R. 141-5 du code du sport exige qu’un préliminaire de conciliation soit suivi « lorsque le conflit résulte d’une décision ». La restriction du droit au juge ne concerne donc pas tous les litiges et, en conséquence, il n’y a pas lieu d’appliquer la clause lorsque le conflit n’est pas né d’une décision, mais, comme c’était le cas dans la présente affaire, d’une simple convocation. Les mots ont un sens…

De la bonne information sur le fonctionnement d’un prêt libellé en devise étrangère

Hasard de calendrier, la première chambre civile publie un nouvel arrêt sur les prêts libellés en devise étrangère la veille d’une importante décision rendue par la Cour de justice de l’Union européenne dont le commentaire paraîtra prochainement au Dalloz actualité (CJUE 8 sept. 2022, aff. C-80/21 à C-82/21). Ce nouvel arrêt est destiné au Bulletin et il s’(inscrit dans la continuité de plusieurs décisions que nous avons commentées ces derniers mois (V. par ex., Civ. 1re, 20 avr. 2022, n° 19-11.599 FS-B, Dalloz actualité, 12 mai 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 789 image ; RDI 2022. 382, obs. J. Bruttin image ; et 20 avr. 2022, n° 20-16.316 FS-B, Dalloz actualité, 12 mai 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 788 image ; RDI 2022. 382, obs. J. Bruttin image ; RTD com. 2022. 361, obs. D. Legais image). Le tout permet de concourir à l’essor d’une véritable jurisprudence sur ces prêts dont la toxicité est parfois rapidement consommée. Il ne s’agit pas, dans l’arrêt du 7 septembre 2022, de prêts « Helvet Immo » mais de contrats « Jyske Bank » dont le fonctionnement reste légèrement différent. Rappelons les faits pour mieux comprendre le problème. Ils sont classiques en la matière : suivant offre de prêt acceptée le 20 juin 2007 et formalisée par acte authentique du 30 octobre 2007, une société bancaire consent à un emprunteur un prêt dit « multidevises » d’un montant de 500 000 € ou, selon ladite clause, « l’équivalent, à la date de tirage du prêt, dans l’une des principales devises européennes, dollars américains ou yens japonais ». Le montant du prêt a été tiré pour 834 750 francs suisses et le 16 juin 2011, la banque procède à sa conversion en euros. L’emprunteur assigne en annulation de la conversion l’établissement bancaire en invoquant une irrégularité dans cette opération (fondée sur le contrôle des clauses abusives) et un manquement de la banque à ses obligations d’information. À hauteur d’appel, les juges du fond rejettent la demande tendant à faire déclarer abusives certaines clauses aux contrats puisque ces stipulations portent sur l’objet de la convention et sont rédigées de manière claire et compréhensible. Sur l’obligation d’information, la cour d’appel écarte tout manquement notamment en raison de l’envoi d’un courrier informant le futur emprunteur des possibles variations du marché avant la conclusion du contrat. L’emprunteur se pourvoit en cassation.

L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation aboutit à une double cassation pour défaut de base légale. Nous allons examiner pourquoi à travers la question des clauses abusives et celle de l’information du prêteur de deniers.

De l’art de contrôler l’application du contrôle des clauses abusives

La jurisprudence de la Cour de cassation sur les prêts libellés en devise étrangère s’appuie assez régulièrement sur les règles protégeant les consommateurs des clauses abusives. À ce titre, il faut noter que le réputé non écrit qui sanctionne ces clauses est imprescriptible, ce que la première chambre civile a eu l’occasion de rappeler dernièrement (Civ. 1re, 30 mars 2022, n° 19-17.996 FS-B, Dalloz actualité, 4 avr. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 974 image, note J. Lasserre Capdeville image ; RDI 2022. 382, obs. J. Bruttin image ; Rev. prat. rec. 2022. 31, chron. K. De La Asuncion Planes image ; RTD civ. 2022. 380, obs. H. Barbier image ; RTD com. 2022. 361, obs. D. Legais image) tout en laissant une porte entrouverte sur la transposition de cette jurisprudence en droit commun (v. par ex. pour l’articulation, Com. 26 janv. 2022, n° 20-16.782, Dalloz actualité, 1er févr. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 539 image, note S. Tisseyre image ; ibid. 725, obs. N. Ferrier image ; ibid. 1419, chron. S. Barbot, C. Bellino, C. de Cabarrus et S. Kass-Danno image ; RTD civ. 2022. 124, obs. H. Barbier image). Dans le contentieux ayant abouti au pourvoi commenté, c’est sur le terrain des conditions d’examen des clauses abusives que la discussion s’était placée. À ce titre, on rappellera que la protection issue du droit de la consommation en matière de clauses abusives ne peut pas porter sur les stipulations sur l’objet du contrat, pour autant que celles-ci soient rédigées de façon claire et compréhensible.

Le demandeur au pourvoi estimait que ladite protection devait également s’appliquer quant à la portée concrète desdites clauses. La première chambre civile rappelle donc la dernière jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne à ce sujet (CJUE 10 juin 2021, aff. C-776/19 à C-782/19, Dalloz actualité, 9 juill. 2021, obs. J-D. Pellier, arrêt cité au paragraphe n° 8 de l’arrêt commenté ; D. 2021. 2288 image, note C. Aubert de Vincelles image ; ibid. 2022. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki image ; ibid. 574, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; RDI 2021. 650, obs. J. Bruttin image ; RTD com. 2021. 641, obs. D. Legeais image). D’après cette décision, il faut vérifier si la banque a fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et concrètes pour comprendre le fonctionnement du mécanisme financier du prêt libellé en devise étrangère, d’une part et, d’autre part, si la banque a fourni une information suffisante sur le risque de ces contrats notamment en cas de dépréciation de la monnaie dans laquelle l’emprunteur perçoit ses revenus par rapport à la monnaie de compte. Les juges du fond avaient, ici, bien relevé que la clause était rédigée de manière claire et compréhensible tout en portant sur l’objet du contrat. Mais aussi juste soit ce raisonnement dans les contentieux classiques des clauses abusives, il ne correspond pas à la jurisprudence de 2021 précédemment citée ; l’arrêt d’appel datant du 6 février 2020.

Il n’y a donc aucune erreur de raisonnement sur le fond, ce qui explique la cassation pour défaut de base légale. En somme, il faut vérifier in concreto cette double information (fonctionnement du mécanisme financier et risques encourus) pour pouvoir rejeter la demande sur le terrain d’une clause portant sur l’objet du contrat. La juridiction de renvoi pourrait, par ailleurs, rendre une décision dans la même orientation mais motivée autrement, en fonction des éléments fournis au dossier. Toutefois, si l’une de ces deux informations fait défaut, le contrôle des clauses abusives devra déployer ses effets. Son résultat est incertain car les clauses ne sont pas toutes rédigées de la même manière (v. par ex., Civ. 1re, 20 avr. 2022, n° 19-11.599 FS-B et 20 avr. 2022, n° 20-16.316 FS-B, préc.).

Sur l’information délivrée par le prêteur de deniers

Le second moyen reprochait à l’arrêt d’avoir rejeté la demande fondée sur le manquement à l’obligation d’information de l’établissement bancaire. L’argumentation se fondait sur l’insuffisance du courrier envoyé qui avait été utilisé par les juges du fond pour dénier tout manquement à ladite obligation. La cour d’appel avait, par ailleurs, aussi relevé qu’un investisseur normalement avisé connaissait les conséquences d’un tel prêt, notamment en raison du taux de variation possible du taux de change. Le demandeur au pourvoi reprochait l’absence de recherche par les juges du fond d’une information effective sur les risques encourus par ce type de prêt.

Là-encore, nous retrouvons une cassation pour défaut de base légale reposant sur le fondement de la responsabilité contractuelle, soit l’article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 puisque les contrats ont été conclus en 2007. La première chambre civile rappelle sa jurisprudence habituelle : « lorsqu’elle consent un prêt libellé en devise étrangère, stipulant que celle-ci est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l’emprunteur, la banque est tenue de fournir à celui-ci des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l’État où celui-ci est domicilié et d’une hausse du taux d’intérêt étranger » (nous soulignons). On retrouve, sans grande surprise, une correspondance entre le contrôle des clauses abusives et l’obligation d’information sur cette thématique puisque les motivations déployées dans ces deux parties différentes de l’arrêt se recoupent. Ce contrôle très poussé exigé des juges du fond implique, bien souvent, pour la banque de se voir reprochée une information insuffisante sur les risques des contrats conclus au détriment des emprunteurs.

En creux, la première chambre civile refuse de considérer que le courrier envoyé avant la signature du serait un élément déterminant pour vérifier l’information suffisante et exacte pour la compréhension du mécanisme financier du prêt libellé en devise étrangère. Pour rejeter tout défaut dans l’obligation d’information de la banque, il aurait fallu motiver la décision en trouvant des éléments factuels permettant de justifier la délivrance de ces informations « suffisantes et exactes ». Dans le cas contraire, le manquement serait alors consommé et la responsabilité du prêteur de deniers sera alors recherchée.

Voici une jurisprudence toute en nuance qui impose la vigilance à tous les praticiens concernés. Aux établissements bancaires d’abord, de se préserver des preuves écrites de la délivrance de cette information « suffisante et exacte » sur le fonctionnement du mécanisme financier du prêt libellé en devise étrangère. Aux avocats ensuite, d’axer leur raisonnement devant les juges du fond sur ces points précis justifiant des indemnisations importantes. Aux magistrats enfin, dans la motivation de leurs décisions puisque la Cour de cassation, en raison de celle de la Cour de justice de l’Union européenne, veille au grain. Ces échelles de complexité ne facilitent donc pas la tâche aux professionnels du droit. Mais la jurisprudence se forge de manière de plus en plus précise en tout état de cause. Affaire à suivre.

Véhicules diesel et contrôle des émissions en oxyde d’azote (NOx): la CJUE ouvre la porte aux actions en résolution

Fin de partie pour les constructeurs ayant équipé leurs véhicules de logiciels permettant de diminuer l’efficacité du système de contrôle des émissions en oxyde d’azote (NOx) durant la majeure partie de l’année et lors de températures habituelles. La Cour de justice de l’Union vient de rendre trois arrêts sur renvois préjudiciels (CJUE 14 juill. 2022, aff. C-128/20, GSMB Invest. ; aff. C-134/20, Volkswagen et aff. C-145/20, Porsche Inter Auto et Volkswagen) venant qualifier cette pratique de dispositif d’invalidation interdit et en tirant les conséquences juridiques qui s’imposent. Ces trois décisions se ressemblent sur plusieurs aspects, la différence venant essentiellement des parties à la procédure, à savoir plusieurs grands groupes automobiles ayant installé ce type de logiciel sur leurs véhicules diesel. La question au cœur de ces arrêts repose sur l’interprétation de l’article 5, § 2, du règlement (CE) n° 715/2007 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2007 d’une part. Ce règlement concerne la réception des véhicules à moteur au sujet de leurs émissions notamment. D’autre part, l’interrogation repose également sur l’article 2, § 2, sous d) et de l’article 3, § 6, de la directive 1999/44/CE du 25 mai 1999 sur des aspects de la vente et des garanties des biens de consommation. Plus précisément était en jeu la qualification de défaut de conformité en la matière quand un véhicule présente un tel système illicite. Nous commenterons dans le présent article l’arrêt C-145/20 mais les remarques sont transposables aux arrêts C-128/20 et C-134/20 tous trois regroupés dans le même communiqué de presse de la Cour de justice de l’Union européenne.

Reprenons les faits pour comprendre comment le litige est né devant les juridictions nationales concernées. Le 21 décembre 2013, un consommateur achète un véhicule de marque Volkswagen équipé d’un moteur diesel de génération 5 auprès de Porsche Inter Auto, une concession automobile indépendante de Volkswagen. Ce véhicule est équipé d’un logiciel qui fait fonctionner le système de recyclage des gaz d’échappement selon deux modes : un uniquement activé au cours du test d’homologation et l’autre activé en conditions de conduite réelle. Il ressort de l’arrêt que l’office fédéral pour la circulation des véhicules à moteur n’avait pas connaissance d’un tel système de commutation et qu’il n’aurait pas réceptionné ce type de véhicule s’il en avait eu connaissance. L’acquéreur, quant à lui, aurait tout de même acheté le véhicule en cause même informé de ce système de commutation. Par une décision du 15 octobre 2015, l’office allemand a ordonné à Volkswagen de retirer le système de commutation afin de rétablir la conformité de ce type de moteur. Le 15 février 2017, l’acquéreur procède à la mise à jour du logiciel sur son véhicule : cette dernière remplace le système de commutation par une programmation en vertu de laquelle le mode réduisant les émissions s’active en cas d’utilisation du véhicule sur route. Mais ce recyclage des gaz d’échappement n’était pleinement efficace que lorsque la température se situait dans une fenêtre précise entre 15 et 33 degrés Celsius.

L’acquéreur décide de former un recours devant le Landesgericht Linz (le tribunal régional de Linz) afin de solliciter le remboursement du prix d’achat du véhicule en cause. À titre subsidiaire, il sollicite la réduction du prix du véhicule et à titre encore plus subsidiaire, des dommages-intérêts en raison de la présence d’un dispositif d’invalidation illicite au sens de l’article 5, § 2, du règlement n° 715/2007 évoqué précédemment. Par un jugement du 12 décembre 2018, il en est débouté purement et simplement. Par arrêt du 4 avril 2019, l’Oberlandesgericht Linz (le tribunal régional supérieur de Linz) confirme le jugement entrepris. L’acquéreur déçu introduit donc un ultime recours devant l’Oberster Gerichtshof (la Cour suprême d’Autriche). Il s’agit d’un pourvoi en révision contre l’arrêt attaqué. L’acquéreur argue que le système de commutation constituait un dispositif d’invalidation illicite. La mise à jour du logiciel n’aurait pas remédié à ce défaut et le véhicule courrait donc le risque de perdre de sa valeur et de subir des dommages. C’est devant cette juridiction que les questions préjudicielles se sont cristallisées. La juridiction nationale s’interroge, en effet, sur la présence d’un défaut de conformité et sur la réalité du dispositif d’invalidation illicite au sens du règlement de 2007 et de ses exceptions.

Pour le confort de nos lecteurs, nous reproduirons les trois questions posées dans l’arrêt C-145/20 :

1) Convient-il d’interpréter l’article 2, paragraphe 2, sous d), de la directive [1999/44] en ce sens qu’un véhicule à moteur[,] qui relève du champ d’application du [règl. n° 715/2007,] présente la qualité habituelle d’un bien de même type à laquelle le consommateur peut raisonnablement s’attendre[,] si ce véhicule est équipé d’un dispositif d’invalidation illicite au sens de l’article 3, point 10, et de l’article 5, paragraphe 2, du règlement n° 715/2007, mais que le type de véhicule est néanmoins couvert par une réception CE par type en vigueur et que le véhicule peut par conséquent être utilisé sur la route ?

2) Convient-il d’interpréter l’article 5, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 715/2007 en ce sens que peut être licite en application dudit article un dispositif d’invalidation[,] au sens de l’article 3, point 10, [de ce] règlement, qui est conçu de telle manière que, en dehors des essais en conditions de laboratoire, et donc en conditions de conduite réelles, le recyclage des gaz d’échappement ne fonctionne pleinement que si la température extérieure se situe [dans la fenêtre de températures], ou bien l’application de la disposition dérogatoire précitée est-elle en tout état de cause exclue du seul fait que la pleine efficacité du système de recyclage des gaz d’échappement est ainsi limitée à des conditions qui, sur une partie du territoire de l’Union, ne règnent qu’environ six mois par an ?

3) Convient-il d’interpréter l’article 3, paragraphe 6, de la directive 1999/44/CE en ce sens qu’un défaut de conformité consistant en la présence, dans le véhicule, d’un dispositif d’invalidation illicite en vertu de l’article 3, point 10, du règlement n° 715/2007[,] appliqué conjointement avec l’article 5, paragraphe 2, de ce règlement, est à qualifier de mineur[,] au sens de ladite disposition[,] si, à supposer qu’il eût connaissance de l’existence et du fonctionnement dudit dispositif, l’acheteur aurait néanmoins acheté le véhicule ?

Nous analyserons les réponses données point par point dans la suite de cet article.

Sur la nature du dispositif en question

Les deux premières questions préjudicielles concernent la qualification du logiciel de commutation au sens du règlement de 2007.

La première question fait l’objet d’une réponse aux paragraphes nos 46 à 58 de la décision commentée. Le point central de ce passage reste probablement au n° 54 où la Cour de justice de l’Union européenne énonce que « lorsqu’il acquiert un véhicule appartenant à la série d’un type de véhicule réceptionné, et, partant, accompagné d’un certificat de conformité, un consommateur peut raisonnablement s’attendre à ce que le règlement n° 715/2007 et, notamment, l’article 5 de celui-ci, soit respecté s’agissant de ce véhicule, et cela même en l’absence de clauses contractuelles spécifiques » (nous soulignons). Solution empreinte de bon sens et de respect des règles européennes, il faut noter que cette motivation répondant à cette première question préjudicielle n’était pas bien difficile à prévoir. Un véhicule qui n’est pas conforme aux exigences de l’article 5 du règlement n° 715/2007 ne présenterait pas la qualité et les prestations habituelles auxquelles le consommateur peut raisonnablement s’attendre au sens de l’article 2, § 2, sous d) de la directive de 1999 sur le défaut de conformité. Le consommateur attend, en effet, un véhicule respectant les normes d’émission en oxyde d’azote (NOx). Aux paragraphes nos 56 et 57, la Cour de justice règle une question connexe, celle de l’indifférence que le véhicule soit couvert par un certain type de réception lui permettant d’être utilisé sur la route. En tout état de cause, l’office fédéral allemand pour la circulation des véhicules n’aurait pas procédé à la réception en cause de ce type de véhicule s’il avait eu connaissance du système illicite de commutation comme nous l’avons rappelé précédemment. Voici donc résolue la première question, assez fort simplement il faut bien le dire mais de manière très efficace.

Il faut considérer que lorsqu’un véhicule est équipé d’un dispositif d’invalidation dont l’utilisation est interdite, ledit véhicule ne présente pas la qualité habituelle des biens de même type à laquelle le consommateur peut raisonnablement s’attendre. Nous l’aurons compris : la situation deviendra rapidement épineuse pour les sociétés automobiles concernées qui peuvent légitimement s’attendre à un fort contentieux en raison de ces logiciels de commutation illicites.

La deuxième question intéresse une donnée factuelle évoquée précédemment, celle de la fenêtre de température (entre 15 et 33 degrés pour que le logiciel puisse fonctionner). Sur une partie du territoire de l’Union et pendant une période de l’année, la température est en effet inférieure à 15° et parfois supérieure à 33° rendant le logiciel moins efficace. Si l’article 5, § 2, du règlement n° 715/2007 précise que l’utilisation de dispositif d’invalidation réduisant l’efficacité des systèmes de contrôle des émissions est interdite, il existe plusieurs exceptions à cette interdiction notamment quand le besoin du dispositif se justifie en termes de protection du moteur. La Cour de justice s’appuie sur l’avis de l’avocat général notamment aux paragraphes nos 62 et 69 pour déconstruire la difficulté. Le gouvernement allemand, Porsche Inter Auto et Volkswagen faisaient valoir que le dispositif d’invalidation était, en réalité, justifié quand des températures trop basses et trop élevées avaient cours. Dans cette situation, des dépôts peuvent se former notamment sur la vanne EGR et provoquer une panne et dégrader le moteur voire induire un incendie du véhicule entier. Pour éviter des pertes de puissance du moteur, le constructeur avait donc utilisé le dispositif d’invalidation d’émission pour prévenir ce risque selon les moyens développés. L’argumentation soulevée ne vient pas convaincre la Cour de justice de l’Union qui rappelle l’interprétation stricte des exceptions aux dispositifs d’invalidation (n° 75 de l’arrêt). Le raisonnement est légaliste, à ce titre, quand la Cour rappelle que l’exception n’est prévue que pour des situations en termes de protection du moteur et pour le fonctionnement en toute sécurité du véhicule ; ces conditions sont, en effet, cumulatives comme le rappelle l’arrêt. Il conviendra à la juridiction de renvoi de se pencher sur l’application de l’exception à ce titre mais les choses semblent, sur ce point, ne pas être évidentes à démontrer. La Cour finit par rappeler, pour répondre aux conclusions du gouvernement allemand, de Porsche Inter Auto et de Volkswagen qu’un tel système d’invalidation peut être licite si et seulement si aucune autre solution ne permet d’éviter des risques immédiats. On notera la référence à un arrêt récent sur cette deuxième question préjudicielle aux paragraphes nos 61, 64 et 65 de l’arrêt (CJUE 17 déc. 2020, aff. C-693/18, RTD eur. 2021. 220, obs. P. Thieffry image ; communiqué de presse disponible ici).

Cette question, plus technique, trouve une réponse simple : ne peut relever de l’exception prévue à l’article 5, §,2, et donc de l’exception à l’illicéité des dispositifs d’invalidation un tel dispositif qui dans des conditions normales de circulation fonctionne durant la majeure partie de l’année. Le communiqué de presse note avec l’arrêt qu’admettre un tel dispositif aurait pour effet de porter « une atteinte disproportionnée au principe même de la limitation des émissions d’oxyde d’azote ».

La seconde partie de la décision s’interroge sur les droits du consommateur acquéreur dudit véhicule.

Sur les conséquences en droit de la consommation

La troisième question s’intéresse au défaut de conformité qui consiste en la présence d’un tel dispositif d’invalidation illicite au sens du règlement n° 715/2007. Plus précisément, il tend à se questionner sur la qualification de « mineur » d’un tel défaut. À titre préliminaire, le raisonnement prend appui sur l’article 2, § 3, de la directive 1999/44/CE qui précise que le défaut de conformité est réputé ne pas exister si au moment de la conclusion du contrat, le consommateur connaissait ou ne pouvait pas légitimement ignorer ce défaut. Mais ici, l’arrêt vient justement rappeler que le consommateur ne connaissait pas le défaut et ne pouvait pas raisonnablement le connaître comme nous l’avons mentionné dans l’exposé des faits.

La question du caractère mineur du défaut de conformité est plus épineuse. La simple admission par le consommateur qu’il aurait acquis le véhicule même en connaissance d’un tel défaut n’est pas suffisante pour démontrer une telle qualification (n° 85 de l’arrêt). La solution est heureuse car la décision contraire reviendrait à purement et simplement admettre que beaucoup de défauts de conformité revêtent cette qualité au moindre aveu judiciaire de l’acquéreur. L’arrêt doit donc interpréter la directive 1999/44/CE pour détecter si un tel défaut peut être mineur. La première remarque qui s’impose est simple : il n’existe aucune définition du défaut de conformité mineur dans la législation européenne considérée. L’arrêt en arrive donc à une interprétation littérale issue du lexique commun : est mineur « un défaut de conformité de faible importance ». La Cour rappelle que la résolution du contrat ne peut être, en tout état de cause, demandée que lorsque le défaut de conformité présente une importance suffisante.

Or, dans la situation de l’espèce, la présence d’un dispositif d’invalidation illicite implique que le véhicule ne respecte pas les valeurs limites d’émission en oxyde d’azote. L’arrêt rappelle au paragraphe n° 95 toute l’importance de la lutte contre les émissions d’oxyde d’azote (NOx) des véhicules à diesel. Par conséquent, un tel logiciel réduisant l’efficacité du système de contrôle des émissions ne peut pas permettre une qualification de défaut de conformité seulement mineure. La résolution du contrat peut donc, en principe, être demandée comme le note le communiqué de presse relatif aux trois arrêts. C’est une décision sévère mais logique eu égard aux règles de droit de la consommation.

***

Voici donc un arrêt répondant à ces trois questions de manière parfaitement pédagogique. Les 98 paragraphes construisent une solution cohérente qui vient sonner le glas de ces pratiques illicites visant pour les constructeurs automobiles à commercialiser des véhicules ne respectant pas les dispositions européennes en termes d’émission d’oxyde d’azote (NOx). Le risque pour ces constructeurs reste maintenant celui que nous avons évoqué dans le commentaire, celui d’un contentieux massif en résolution des ventes conclues eu égard à l’importance du défaut de conformité. Le nombre de véhicules diesel vendu chaque année n’étant pas négligeable, ces constructeurs devront faire face à des actions en résolution ces prochaines années. Affaire à suivre !

Suicide assisté : le Comité consultatif national d’éthique pose les termes du débat

Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) considère « qu’il existe une voie pour une application éthique de l’aide active à mourir ». La posture très circonspecte qu’adopte la haute instance de la bioéthique dans son avis n° 139 relatifs aux questions éthiques relatives aux situations de fin de vie vient baliser le terrain ô combien sensible de l’accompagnement des personnes en fin de vie. La promesse figurait au programme du candidat Macron, une convention citoyenne sera bien constituée dès octobre, sous l’égide du Conseil économique, social et environnemental, ainsi que l’a annoncé l’Élysée dans la foulée de la diffusion de l’avis. Les conclusions seront rendues en mars 2023. Le CCNE se propose, pour sa part, d’organiser des débats publics en...

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L’indispensable connaissance de l’objet de la restitution pour prescrire

par Mélanie Jaoul, Maître de conférences, Université de Montpellierle 19 septembre 2022

Civ. 1re, 13 juill. 2022, FS-B, n° 20-20.738

Une femme décède le 31 juillet 2001 en laissant deux testaments. Un premier testament olographe daté du 18 novembre 2000 (testament 1) où elle institue un premier légataire universel (légataire universel A) et un second testament olographe en date du 29 avril 2001 (testament 2) qui institue un légataire universel différent (légataire universel B). Le 6 janvier 2011, une décision judiciaire annule le second testament. Le 4 août 2017, les ayant-droit du légataire universel A – décédé depuis – assignent le légataire universel du testament annulé en restitution des sommes perçues en exécution d’un testament olographe daté du 20 avril 2001. La cour d’appel (Bourges, 8 avr. 2020, n° 19/00406) infirme la décision rendue en première instance et déclare recevable l’action des ayants droit du légataire universel A. Elle condamne alors le légataire universel B, dont le legs a été annulé à leur payer les sommes de 65 550 et 10 589,22 € avec intérêts au taux légal à compter du 3 février 2011, ainsi que celle de 3 000 € à titre de dommages et intérêts.

Le légataire universel déchu forme un pourvoi en cassation considérant que « la prescription quinquennale de l’action en restitution consécutive à une annulation commence à courir à compter de l’annulation de l’acte » (il invoquait donc la prescription de l’action des ayants droit du légataire universel A était acquise depuis le 6 janvier 2016 soit plus d’un an avant l’introduction de l’action). Cependant, les juges du fond ont déclaré que le point de départ du délai de prescription quinquennale enfermant cette action,...

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La demande d’aide juridictionnelle ne peut interrompre un délai pour exercer une action ou un recours qu’une seule fois

Lorsqu’une décision d’admission à l’aide juridictionnelle est caduque, une nouvelle demande d’aide juridictionnelle, formalisée dans le délai pour agir, est-elle de nature à interrompre le délai de prescription ?

C’est à cette question qu’a répondu la chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 12 juillet 2022.

L’aide juridictionnelle constitue sans doute l’une des mal-aimées du droit judiciaire privé ; elle constitue pourtant un pilier nécessaire afin de garantir à tout justiciable le droit d’accéder à un juge et « participe du droit au procès équitable et du principe de protection juridictionnelle effective » (L. Cadiet, L’accès à la justice, D. 2017. 522 image).

Afin de garantir cet accès au juge, il est nécessaire que, le temps de l’examen de la demande d’aide juridictionnelle, le temps soit figé : l’auteur de la demande doit pouvoir décider d’engager ou non la procédure en sachant s’il peut compter ou non sur cette aide de l’État. C’est pourquoi, lorsqu’une action en justice ou un recours doit être exercé dans un délai déterminé, l’action ou le recours est réputé avoir été intenté dans ce délai si la demande d’aide juridictionnelle s’y rapportant est adressée ou déposée au bureau d’aide juridictionnelle avant l’expiration de ce délai et si la demande ou le recours est effectivement introduit dans un nouveau délai qui commence à courir à compter soit de la date à laquelle a été notifiée la décision d’admission provisoire au bénéfice de l’aide juridictionnelle (ou à celle où est éventuellement désigné un auxiliaire de justice), soit de celle à laquelle la décision refusant le bénéfice de cette aide ou constatant la caducité de la demande est notifiée ou ne peut...

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Compétence dans l’Union, responsabilité délictuelle et dommages-intérêts

L’arrêt de la première chambre civile du 15 juin 2022 met un terme à une affaire qui a déjà donné lieu au prononcé d’un arrêt de la même chambre le 13 mai 2020 et d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne le 21 décembre 2021.

Dans cette affaire, une société tchèque de production et de diffusion de contenus reprochait à un professionnel exerçant son activité en Hongrie d’avoir diffusé des propos dénigrants sur plusieurs sites et forums. Elle avait alors saisi un juge des référés en France, en demandant la cessation des actes de dénigrement ainsi que la réparation de ses préjudices économique et moral.

Le débat portait sur les conditions de mise en œuvre du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, qui prévoit, par son article 4, que les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites devant les juridictions de cet État membre, et, par son article 7, point 2, que ces personnes peuvent également être attraites en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.

Par son arrêt du 13 mai 2020 (n° 18-24.850, Dalloz actualité, 7 juill. 2020, obs. F. Mélin ; D. 2020. 1114 image ; ibid. 2021. 923, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke image ; Légipresse 2020. 399 et les obs. image ; ibid. 2021. 291, étude...

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De la mainlevée de soins sous contrainte consécutifs à une irresponsabilité pénale

par Cédric Hélaine, Docteur en droit, Juriste assistant placé auprès du Premier Président de la Cour d'appel d'Aix-en-Provencele 16 septembre 2022

Civ. 1re, 6 juill. 2022, F-B, n° 20-50.040

L’actualité jurisprudentielle des soins sans consentement a connu un léger répit ces dernières semaines après un avis rendu en mai dernier par la première chambre civile de la Cour de cassation (Civ. 1re, avis, 18 mai 2022, n° 22-70.003 B+R, Dalloz actualité, 25 mai 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 1574, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire image ; RDSS 2022. 685, note P. Curier-Roche image). Dans un arrêt rendu le 6 juillet 2022, nous retrouvons ce contentieux dans ces colonnes avec une question peu fréquemment promise aux honneurs du Bulletin, celle de l’hospitalisation sous contrainte résultant d’une décision d’irresponsabilité pénale sur le fondement de l’article 706-135 du code de procédure pénale. On sait que ce type de soins est calqué, du moins pour l’entrée du patient et certaines facettes du renouvellement, sur les soins sous contrainte à l’initiative du représentant de l’État dans le département. Mais quelques questions peuvent rester en suspens, notamment sur la mainlevée de la mesure. Puisque les textes sont construits d’une manière particulière, sur le modèle d’un millefeuille, des difficultés d’interprétation apparaissent. Les faits sont classiques en la matière : un tribunal correctionnel juge qu’une personne a commis des faits de dégradation volontaire d’un bien appartenant à autrui par incendie. Le tribunal a déclaré l’intéressé irresponsable pénalement de ces faits en raison d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. Il a, en outre, décidé sur le fondement des articles 122-1 du code pénal et 706-135 du code de procédure pénale son admission en soins psychiatriques sans consentement...

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Chronique CEDH : droits de la femme contre les traditions, les violences et les erreurs médicales

Le recours en manquement exercé par le comité des ministres en cas de refus d’un État de se conformer à un arrêt définitif de la Cour

L’article 46 de la Convention européenne des droits de l’homme, dont le paragraphe 2 rappelle que l’arrêt définitif de la Cour est transmis au comité des ministres qui en surveille l’exécution, a été enrichi depuis l’entrée en vigueur le 1er juin 2010 du Protocole additionnel n° 14 d’un paragraphe 4 aux termes duquel : « Lorsque le comité des ministres estime qu’une haute partie contractante refuse de se conformer à un arrêt définitif dans un litige auquel elle est partie, il peut, après avoir mis en demeure cette partie et par décision prise par un vote à la majorité des deux tiers des représentants ayant le droit de siéger au comité, saisir la Cour de la question du respect par cette partie de son obligation [de se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels il est partie énoncée par le paragraphe 1] ». Jusqu’alors, ce recours en manquement du comité des ministres n’avait donné lieu qu’à un seul arrêt : Ilgar Mammadov c. Azerbaïdjan du 29 mai 2019 (n° 15172/13, AJDA 2019. 1803, chron. L. Burgorgue-Larsen image ; RTD civ. 2019. 810, obs. J.-P. Marguénaud image). Il en existe désormais un second, également rendu en grande chambre : Kavala c. Turquie du 11 juillet 2022 (n° 28749/18, AJDA 2020. 160, chron. L. Burgorgue-Larsen image). En l’espèce, la Turquie, contre laquelle un arrêt de chambre du 10 décembre 2019 avait dressé des constats de violations de l’article 5 de la Convention européenne consacrant le droit à la liberté et à la sûreté et surtout de l’article 18 qui interdit les détournements de pouvoir, avait entravé la libération du requérant en le chargeant, le jour où il devait sortir, de nouvelles accusations de tentative de coup d’État et d’espionnage. Avant d’estimer que cette attitude avait constitué une violation de l’article 46, la grande chambre a fermement rappelé que la non-exécution d’une décision judiciaire définitive et obligatoire risquerait de créer des situations incompatibles avec le principe de la prééminence du droit que les États contractants se sont engagés à respecter en ratifiant la Convention. Elle a surtout précisé, d’une part, que toute la structure de la Convention repose sur le postulat général que les autorités publiques des États membres agissent de bonne foi si bien que l’exécution d’un arrêt doit se faire de bonne foi et de manière compatible avec les « conclusions et l’esprit » de l’arrêt ; d’autre part, que l’obligation relative à la bonne foi revêt une importance cruciale lorsque la Cour a conclu, comme en l’espèce, à la violation de l’article 18. Puisqu’il ne s’agit pas de livrer ici un commentaire approfondi de l’arrêt Kavala du 11 juillet, on s’en tiendra à relever aussi qu’il a donné l’occasion à la Cour de s’interdire d’apprécier l’opportunité du choix du comité des ministres d’exercer un recours en manquement.

Avis consultatif formulé en réponse à une demande du Conseil d’État français

On sait que la Cour de cassation française est la première des plus hautes juridictions européennes à avoir adressé à la Cour européenne des droits de l’homme une demande d’avis consultatif au titre du Protocole additionnel n° 16 qui se rapportait à l’établissement de la filiation des enfants nés à l’étranger par GPA. Peut-être soucieux de ne pas la laisser se réserver le monopole de l’utilisation de ce nouvel instrument destiné à faciliter le dialogue du juge européen et des juges nationaux, le Conseil d’État français a pris à son tour sa plus belle plume pour formuler une demande. Elle concernait le point de savoir si la règle, adoptée en fonction de la loi du 24 juillet 2019 portant création de l’Office français de la biodiversité, qui réserve aux seules associations de propriétaires ayant une existence reconnue au moment de la création d’une association communale de chasse agréée la faculté de s’en retirer, répondait aux exigences conventionnelles interdisant la discrimination. La réponse que la Cour de Strasbourg a apportée le 13 juillet à cette demande (portant le n° P 16-2022-2) peut passer pour une sorte de guide pratique de mise en œuvre du principe européen de non-discrimination qui suppose de vérifier d’abord si les personnes concernées étaient dans des situations analogues ou comparables puis de rechercher si les différences observées avaient une justification objective ou raisonnable en fonction de la légitimité du but poursuivi et du rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi. Elle témoigne aussi d’une certaine vitalité de la récente innovation procédurale.

Le droit à la vie d’une personne soumise à des essais cliniques

L’article 2 de la Convention européenne qui garantit le droit à la vie continue à valoir aux États membres du Conseil de l’Europe des constats de violations qui reflètent l’aggravation du malheur du monde. Ainsi, la Cour a jugé que ses deux volets, substantiel et procédural, avaient été bafoués dans une énième affaire de brutalités policières Parvu c. Roumanie du 30 août (n° 13326/18) contrebalancée sur le terrain de l’article 3 par un arrêt Torosian c. Grèce du 7 juillet (n° 48195/17) et dans l’affaire Safi et autres c. Grèce du 7 juillet (n° 5418/15), ayant également justifié un constat de violation de l’article 3 prohibant les traitements inhumains ou dégradants, qui se rapportait à une nouvelle tragédie provoquée par le naufrage d’un navire qui transportait des migrants. En revanche, l’arrêt Tagiyeva c. Azerbaïdjan du 7 juillet (n° 72611/14) n’a mobilisé que le volet procédural de l’article 2 dans l’affaire de l’assassinat d’un écrivain éditorialiste frappé, lui aussi, d’une fatwa. L’écho que ces affaires ont pu trouver dans l’actualité estivale pourrait leur valoir une étude plus détaillée. On la réservera cependant à un arrêt au...

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[PODCAST] Nouvelle loi de bioéthique - Épisode 7 : le droit à l’avortement évolue

Dans ce septième épisode, Lisa Carayon, maîtresse de conférences en droit à l’université Sorbonne Paris Nord, revient sur les modifications du cadre juridique de l’interruption de grossesse apportées par la loi de bioéthique du 2 août 2021 et par la loi renforçant le droit à l’avortement du 2 mars 2022.

 

Écouter le podcast

Voir déjà les épisodes 1, 2, 3, 4, 5 et 6.

Sur la réforme de la loi bioéthique, v. aussi notre dossier « Réforme de la loi de bioéthique ».

Option entre faculté de rétractation et nullité du contrat conclu hors établissement

Les contrats hors établissement continuent d’intéresser la Cour de cassation dans ce cinquième et ultime arrêt publié le 31 août 2022 sur cette question. Ce type particulier de contrat implique un contentieux récurrent devant les juges du fond tant certains aspects de sa réglementation peuvent poser difficulté. En tant que « pièce principale » du mécanisme des contrats hors établissement (J. Calais-Auloy H. Temple et M. Dépincé, Droit de la consommation, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, p. 610, n° 562), le délai de rétractation génère par conséquent fréquemment des interrogations sur sa nature ou sur sa portée. La question posée dans l’arrêt du 31 août peut se résumer ainsi : quand le délai de rétractation n’a pas été porté à l’attention du consommateur, peut-il invoquer la nullité du contrat alors qu’il dispose d’une prolongation du délai légal de rétractation (à douze mois) ? Rappelons les faits pour se rendre compte comment ce problème a abouti au pourvoi. Par contrat conclu hors établissement le 5 mars 2015, une société spécialisée dans la location donne à bail à une seconde société un matériel de vidéosurveillance. Les loyers ne sont pas honorés par le preneur si bien que la résiliation du contrat de bail est prononcée. Le bailleur assigne le preneur en paiement d’une indemnité de résiliation et en restitution du matériel loué. Voici que le preneur invoque désormais la nullité du contrat en estimant que le professionnel n’avait...

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Levée de l’anonymat du don de gamètes en AMP : les modalités précisées

Le droit de la bioéthique a beaucoup évolué car, lorsque la procréation médicalement assistée a été mise en place par la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 (JO 30 juill.), relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal quand les couples recouraient à un donneur de gamètes, le secret sur les origines et l’anonymat du donneur constituaient des principes de base (I. Corpart, Le secret des origines, RDSS 1994. 1 image).

Au fil du temps, les enfants nés grâce à ces dons ont fait savoir qu’ils souffraient de ne pas connaître toute leur histoire et la levée de l’anonymat des donneurs avait été évoquée à plusieurs reprises lors des réformes bioéthiques intervenues entre 1994 et 2021 néanmoins les projets visant à modifier les principes de base n’avaient pas abouti (B. Feuillet, La levée de l’anonymat, une question complexe, Médecine et droit 2011. 17). Pour tenir compte de l’évolution des mœurs, lors de la dernière loi n° 2021-1017 du 2 août 2021, le législateur a choisi de lever cet anonymat en apportant des changements au droit de la bioéthique (P. Dauptain, AMP : l’anonymat et le secret jouent à cache-cache, JCP N 11 mars 2022, p. 1107).

Avec cette réforme, l’anonymat est maintenu au moment de la procréation médicalement assistée (PMA) car le donneur ne connaît toujours pas l’identité du receveur et le receveur pas celle du donneur (C. civ., art. 16-8). En revanche, le législateur a apporté d’autres modifications entrées en vigueur au 1er septembre 2022 autorisant les enfants nés d’une PMA avec tiers donneur à demander la levée de l’anonymat à compter de leur majorité. Désormais, les enfants nés grâce à l’AMP avec donneur – autorisée à des femmes seules ou à des femmes en couple depuis la réforme de 2021 – pourront enfin découvrir l’homme qui les a fait naître et comprendre leur histoire familiale.

Grâce à cette nouvelle avancée législative, les règles évoluent pour les tiers donneurs car ils sont à présent dans l’obligation de transmettre à la fois leur identité et leurs données non identifiantes au moment où ils font cet acte de générosité et de soutien aux personnes infertiles. Ce sont toutefois surtout les enfants procréés grâce à des dons de spermatozoïdes ou d’ovocytes qui vont profiter de l’évolution du droit car dorénavant l’accès à leurs origines leur est ouvert.

Les apports de la réforme visant les personnes faisant des dons de spermatozoïdes ou d’ovocytes

Pour que, dès leur majorité, les enfants puissent accéder à leurs origines, le législateur a décidé de lever l’anonymat des donneurs de gamètes, sachant toutefois que l’identité des donneurs de gamètes n’est pas communiquée aux couples ou aux femmes seules bénéficiant de ces dons. Il impose de grands changements pour les dons effectués à partir du 1er septembre 2022 mais les personnes ayant fait des dons avant cette date sont admises à se manifester si elles désirent faire connaître leur identité.

De nouvelles obligations pour les donneurs de gamètes

Afin de permettre aux enfants d’accéder à leurs origines au moment de leur majorité s’ils en font la demande, le législateur impose aux donneurs de transmettre leur identité et des données non identifiantes au moment du don.

À compter du 1er septembre 2022, il devient obligatoire pour les personnes qui aimeraient faire naître des enfants grâce à leurs spermatozoïdes ou à leurs ovocytes d’accepter de communiquer leur identité ainsi que des données non identifiantes, éléments qui seront nécessairement révélés aux enfants nés grâce à ces dons si ces derniers veulent connaître leurs origines, ce qui sera possible une fois qu’ils auront...

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Pour exécuter, notifiez le jugement et l’arrêt qui le confirme

Un débiteur conteste la validité d’un commandement aux fins de saisie-vente pratiqué sur le fondement d’un arrêt rendu par une cour d’appel confirmant des condamnations prononcées par un jugement de première instance. Au soutien de sa contestation, il fait valoir que le jugement de première instance n’avait pas été signifié, seul l’arrêt de la cour l’ayant été. Or, soutient le débiteur, la signification du jugement était impérative en application de l’article 503 du code de procédure civile. Pour rappel, ce texte précise que « les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés qu’après leur avoir été notifiés, à moins que l’exécution n’en soit volontaire ». La cour d’appel avait considéré que la signification de l’arrêt confirmatif était suffisante. La Cour de cassation casse cette décision et énonce en principe que « l’exécution forcée des condamnations résultant d’un jugement, confirmées en appel, est subordonnée à la signification de l’arrêt et du jugement ».

On n’insistera pas sur la nécessité de la notification du jugement préalablement à la mise à exécution forcée, sinon pour rappeler que celle-ci remplit une fonction comminatoire en mettant le débiteur dans la situation de devoir exécuter le contenu du jugement sous la menace d’une exécution forcée à venir (v. T. Goujon-Bethan, Point de notification, point d’exécution !, Dalloz actualité, 9 juin 2021). Il convient en revanche d’analyser la double exigence portée par l’arrêt sous commentaire pour procéder à l’exécution forcée des condamnations prononcées par le jugement confirmé : procéder à la notification du jugement, d’une part, et à celle de l’arrêt confirmatif, d’autre part.

La notification du jugement : une exigence évidente

Techniquement, les condamnations sont prononcées par le premier jugement ; c’est lui qui en constitue la source. L’arrêt confirmatif ne change rien à cela. La confirmation n’est pas une novation du jugement et ne vaut pas...

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Contrats de capitalisation : non à la prescription biennale du code des assurances !

La récente décision du Conseil constitutionnel déclarant la prescription biennale du droit des assurances (C. assur., art. L. 114-1) conforme à la Constitution (R. Bigot, La prescription biennale du droit des assurances conforme à la Constitution, ss Cons. const. 17 déc. 2021, n° 2021-957 QPC, in D. 2022. 1119 image ; R. Bigot et A. Cayol, Constitutionnalité de la prescription biennale du droit des assurances : une solution contestable et une motivation évanescente, Dalloz actualité, 12 janv. 2022) ne manquera pas de créer un nouvel appel d’air dans la voile contentieuse du droit des assurances, déjà bien gonflée (ce que révèle un « contentieux pléthorique » : B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, 4e éd., LGDJ, 2021, n° 595), et sur laquelle des assureurs souffleront inévitablement afin de tenter d’éviter de garantir (v. ex. multi R. Bigot, Quand tous les moyens sont bons – prescription ou exclusion – pour éviter de garantir, ss Civ. 2e, 6 févr. 2020, n° 18-17.868, Dalloz actualité, 25 févr. 2020). Un arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 7 juillet 2022 témoigne de cet opportunisme procédural.

En l’espèce, une personne, soutenant avoir souscrit par l’intermédiaire d’un mandataire divers contrats de capitalisation auprès d’une société d’assurance, a assigné cette dernière afin d’ordonner une expertise judiciaire destinée à vérifier la validité des contrats d’épargne au porteur qu’elle détenait, à chiffrer le préjudice résultant de la fraude dont elle déclarait avoir été victime de la part du mandataire et à condamner la société d’assurance au paiement d’une certaine somme sur le fondement de l’article L. 511-1 du code des assurances. La cour d’appel de Paris a déclaré son action irrecevable, comme prescrite (Paris, 8 déc. 2020), aux motifs qu’elle ne visait pas uniquement à obtenir l’indemnisation de préjudices invoqués du fait de la remise de faux bons de capitalisation, mais plus globalement à indemniser l’ensemble des actes fautifs attribués au mandataire. Les juges du fond en ont conclu que cette action dérivait ainsi d’un contrat d’assurance, au sens de l’article L. 114-1 du code des assurances.

Formant un pourvoi en cassation, la souscriptrice a...

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Confirmation tacite du contrat nul et reproduction des dispositions applicables

par Cédric Hélaine, Docteur en droit, Juriste assistant placé auprès du premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provencele 9 septembre 2022

Civ. 1re, 31 août 2022, F-B, n° 21-12.968

Voici un arrêt intéressant à la croisée des chemins entre droit de la consommation et théorie générale du contrat. La confirmation de l’acte nul n’a, en effet, que peu l’occasion d’être sous le feu des projecteurs dans des arrêts publiés au Bulletin de la Cour de cassation. Ce mécanisme est fondamental dans la vie des affaires en ce qu’il permet la survivance du contrat frappé d’un vice de formation tant que la nullité encourue n’est que relative (M. Latina et G. Chantepie, Le nouveau droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 2e éd., Dalloz, 2018, p. 425, n° 477). L’arrêt rendu par la première chambre civile le 31 août 2022 permet de mieux comprendre les enjeux de la question en droit de la consommation, notamment dans le cas assez fréquent de la reproduction des dispositions applicables issues du Code de la consommation dans le contrat conclu entre le professionnel et le consommateur. Rappelons les faits pour comprendre ce qui a conduit au pourvoi ayant donné lieu à l’arrêt. La situation est classique : une personne physique a conclu hors établissement deux contrats de fourniture et d’installation de panneaux photovoltaïques, lesquels ont été financés par deux emprunts souscrits le même jour avec une seconde personne physique. Les emprunteurs ont assigné tout à la fois la société de fourniture et d’installation de panneaux photovoltaïques et les deux établissements bancaires concernés par les prêts en nullité des contrats conclus. Ils invoquent une insuffisance dans le bon de commande concernant le prix des biens et des services (ce qui est très classique en la matière, v. Civ. 1re, 2 juin 2021, n° 19-22.607, Dalloz actualité, 15 juin 2021, obs....

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De l’importance du système organisé dans la qualification du contrat à distance

par Cédric Hélaine, Docteur en droit, Juriste assistant placé auprès du premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provencele 8 septembre 2022

Civ. 1re, 31 août 2022, F-B, n° 21-13.080

Voici un second arrêt rendu le 31 août 2022 par la première chambre civile de la Cour de cassation et qui est promis tout à la fois au Bulletin et aux très sélectives Lettres de chambre. Là encore, c’est la thématique des contrats conclus à distance qui est sous le feu des projecteurs. Si l’arrêt présente un intérêt important, c’est parce qu’il questionne le champ d’application de la notion là où on rencontre plus fréquemment des arrêts tendant à l’analyse de son régime. Il faut donc immédiatement noter cette originalité qui fait de la décision une solution à retenir de cette rentrée. Les faits sont classiques en la matière. Rappelons-les pour déterminer le point posant difficulté. Au cours du mois de février 2017, une personne physique prend contact avec une autre personne pour procéder à des travaux d’aménagement, d’ameublement et de décoration de son appartement. Les deux cocontractants s’entendent sur la prestation de travaux et différents acomptes sont réglés. Le 7 juillet 2017, la personne réalisant lesdits travaux émet une facture. Peu de temps plus tard, son cocontractant l’assigne en restitution des sommes indûment versées selon lui et, subsidiairement, en indemnisation en arguant d’un contrat conclu à distance. La cour d’appel de Douai retient que les parties n’établissent pas que les contrats ont été conclus au sein d’un système organisé...

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Règlement Signification : décompte du délai d’opposition

Le règlement n° 1393/2007 du 13 novembre 2007 relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale (signification ou notification des actes) est applicable, selon l’article 1, en matière civile et commerciale, lorsqu’un acte judiciaire ou extrajudiciaire doit être transmis d’un État membre à un autre pour y être signifié ou notifié (art. 1).

Règles applicables

En application de l’article 7 du règlement, l’entité requise procède ou fait procéder à la signification ou à la notification de l’acte soit conformément à la législation de l’État membre requis, soit selon le mode particulier demandé par l’entité d’origine, sauf si ce mode est incompatible avec la loi de cet État membre.

L’article 8, § 1, dispose que l’entité requise informe le destinataire, au moyen du formulaire type figurant à l’annexe II, qu’il peut refuser de recevoir l’acte à signifier ou à notifier, au moment de la signification ou de la notification ou en retournant l’acte à l’entité requise dans un délai d’une semaine, si celui-ci n’est pas rédigé ou accompagné d’une traduction dans l’une des langues suivantes : a) une langue comprise du destinataire ou b) la langue officielle de l’État membre requis ou, s’il existe plusieurs langues officielles dans cet État membre, la langue officielle ou l’une des langues officielles du lieu où il doit être procédé à la signification ou à la notification. Ces dispositions méritent d’être précisées, de deux points de vue.

D’une part, c’est au requérant qu’il appartient de décider s’il y a lieu de faire traduire l’acte, étant noté qu’il en supporte le coût (CJUE 16 sept. 2015, Alpha Bank Cyprus, aff. C-519/13, pt 35, Dalloz actualité, 5 oct. 2015, obs. F. Mélin ; D. 2015. 1901 image).

D’autre part, cette possibilité de refuser la réception d’un acte à signifier ou à notifier permet de protéger les droits de la...

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Quand la prise de date vire à la prise de tête

Le point emblématique de la réforme a été la fusion du tribunal d’instance et du tribunal de grande instance en une juridiction unique, le tribunal judiciaire.

La fusion des deux juridictions – une bonne idée en soi – ne s’est pas accompagnée de règles plus simples pour la saisine et l’instruction. Si c’était la simplicité qui était recherchée, c’est loupé.

Bref, un bilan mitigé s’il fallait en faire un. Avec cette réforme, c’est toute la procédure devant le tribunal judiciaire qui a été revue, avec notamment, point clé, l’obligation de « prendre date », disposition dont l’entrée en vigueur a été reportée pour être effective le 1er janvier 2021.

Mais nous constatons, et déplorons, une méconnaissance effrayante de règles de procédure de première instance, ce qui n’est pas sans conséquence.

Le point de départ est l’article 751 du code de procédure civile, qui prévoit désormais que l’assignation est portée à une audience.

En soi, l’idée n’est pas mauvaise, même si cela n’a pas pour autant révolutionné la procédure de première instance, et ne semble pas avoir de conséquences sur les délais d’instruction des procès.

La difficulté est surtout que cette date est exigée un peu partout, et bien entendu, là où elle n’a pas à figurer.

Et nous pensons aux assignations en intervention forcée. Car, selon les juridictions, certains greffes, mal formés et mal informés, exigent des avocats, parfois pas mieux formés ou informés, qu’ils prennent systématiquement une date, quand ce ne sont pas les avocats eux-mêmes qui prennent cette initiative malheureuse.

Et c’est alors que tout se complique.

La prise de date, ça sert à quoi ?

L’article 751 du code de procédure civile prévoit que « la demande formée par assignation est portée à une audience dont la date est communiquée par le greffe ». Un arrêté du garde des Sceaux du 9 mars 2020 fixe les modalités d’application (arrêté JUSC2001176A du 9 mars 2020).

C’est l’article 4 du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 qui a créé cette obligation de prendre une date, dont l’entrée en vigueur était prévue le 1er septembre 2020 (Décr. n° 2019-1333 du 11 déc. 2019, art. 55, III), puis différée au 1er janvier 2021 (Décr. n° 2020-950 du 30 juill. 2020, art. 3, qui a modifié l’art. 55, III, du décr. du 11 déc. 2019).

Avant même son entrée en vigueur, le texte a été modifié in extremis par le décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020.

Cette disposition oblige l’avocat, qui veut assigner devant le tribunal judiciaire, à demander au greffe de lui communiquer une date qui sera mentionnée dans l’acte d’assignation.

La date dont il est question est celle de « l’audience d’orientation » de l’article 776.

C’est une audience de conférence, devant le président de chambre, qui permet d’orienter l’affaire, en...

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Annexe à la déclaration d’appel, après la pluie le beau temps

Le coup de tonnerre

A-t-on déjà vu en un mois autant d’émoi ? Existe-t-il un précédent qui a conduit, en quelques jours, à une avalanche de commentaires sur les réseaux sociaux, à une intervention du Conseil national des barreaux auprès du garde des Sceaux et à une réponse immédiate de la Chancellerie par l’adoption d’un texte destiné à contrer – rien que cela – un arrêt de section de la Cour de cassation ? La réponse est suggérée par la question. Par cet arrêt publié du 13 janvier 2022, la deuxième chambre civile venait en effet de mettre un terme à la très répandue pratique de l’annexe à la déclaration d’appel sans qu’une contrainte technique ne l’imposât (Civ. 2e, 13 janv. 2022, n° 20-17.516 FS-B, Dalloz actualité, 20 janv. 2022, obs. R. Laffly ; D. 2022. 325 image, note M. Barba image ; ibid. 625, obs. N. Fricero image ; AJ fam. 2022. 63, obs. F. Eudier et D. D’Ambra image ; Rev. prat. rec. 2022. 9, chron. D. Cholet, O. Cousin, M. Draillard, E. Jullien, F. Kieffer, O. Salati et C. Simon image). La sentence du 13 janvier 2022 était sans appel : pour que l’effet dévolutif puisse jouer, les chefs de jugement critiqués doivent figurer dans la déclaration d’appel qui est un acte de procédure se suffisant à lui seul permettant à l’appelant, sous seule condition d’un empêchement technique, de la compléter par un document faisant corps avec elle et auquel elle doit renvoyer. La contrainte du RPVA était connue : 4 080 caractères de chefs de jugement critiqués. Connue aussi était l’importance des déclarations de sinistres à venir tant l’utilisation d’une annexe, sans la moindre contrainte technique, était devenue monnaie courante en appel en dépit, notamment, de l’avertissement d’une circulaire de la Chancellerie du 4 août 2017 : « Dans la mesure où le RPVA ne permet l’envoi que de 4 080 caractères, il pourra être annexé à la déclaration d’appel une pièce jointe la complétant afin de lister l’ensemble des points critiqués du jugement. Cette pièce jointe, établie sous forme de copie numérique, fera ainsi corps avec la déclaration d’appel ». L’empêchement technique était clairement exprimé. Ce n’était qu’une circulaire. Mais c’était aussi un risque à prendre.

L’arrêt du 13 janvier 2022 était en tous cas dénué d’équivoque : au-delà de 4 080 caractères, une annexe à l’acte d’appel peut être établie, en deçà, l’effet dévolutif ne joue pas. La sanction de surcroît ne vaudrait pas seulement pour l’avenir mais pour les déclarations d’appel en cours, aucun différé d’application n’ayant cette fois été prévu… jusqu’à un décret n° 2022-245 et à un arrêté du 25 février 2022 modifiant l’arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d’appel (Décr. n° 2022-245, 25 févr. 2022, JO 26 févr., Dalloz actualité, 8 mars 2022, obs. N. Fricero).

Le paratonnerre

Afin de sauver un nombre considérable de déclarations d’appel ne répondant pas à l’exigence posée par la Cour de cassation, la modification du texte était donc prise en grande hâte. Et cela se voit.

Le tour de passe-passe est celui-là : si le fichier au format XML est une déclaration d’appel, « il comprend obligatoirement les mentions des alinéas 1 à 4 de l’article 901 du code de procédure civile », c’est-à-dire :
Les mentions prescrites par les 2° et 3° de l’article 54 et par le cinquième alinéa de l’article 57 et à peine de nullité (al. 1),
1° - La constitution de l’avocat de l’appelant (al. 2),
2° - L’indication de la décision attaquée (al. 3),
3° - L’indication de la cour devant laquelle l’appel est porté (al....

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Clause de conciliation préalable, convention de garantie de passif et cautionnement

La question des exceptions opposables par la caution ne cesse de générer de très intéressantes problématiques portées devant la chambre commerciale de la Cour de cassation. Pour les cautionnements conclus avant le 1er janvier 2022, les plaideurs utilisent la distinction entre les exceptions purement personnelles non opposables et les exceptions inhérentes à la dette dont le garant peut se prévaloir. Point désormais classique, voire incontournable, du droit du cautionnement (P. Simler et P. Delebecque, Droit civil. Les sûretés, la publicité foncière, 7e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2016, p. 44, n° 48), cette dualité appelle des difficultés particulières dans la mise en jeu des clauses de conciliation préalable obligatoire parfois convenues entre le créancier et son débiteur principal. L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 6 juillet 2022 vient approfondir cette jurisprudence en confirmant sa position constante, à savoir que la fin de non-recevoir tirée du défaut de respect de ladite clause dans le contrat principal ne peut être considérée comme une exception inhérente à la dette pour la caution. Mais les difficultés de l’arrêt analysé aujourd’hui vont au-delà de ce simple rappel puisque la clause de conciliation préalable était insérée dans une convention de garantie de passif et non dans le contrat principal. Plus encore, en maintenant sa jurisprudence, la chambre commerciale ne fait pas le choix de la première chambre civile d’aligner la solution sur le droit nouveau comme cette dernière a pu le faire concernant la prescription biennale en droit de la consommation (Civ. 1re, 20 avr. 2022, n° 20-22.866, Dalloz actualité, 2 mai 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 790 image).

Reprenons les faits pour mieux comprendre la portée de cet arrêt aux intérêts pluriels. Plusieurs personnes physiques cèdent à une société l’intégralité des actions qu’elles détenaient dans le capital d’une société. Par acte du même jour, ils ont consenti une garantie de passif dont un établissement bancaire s’est par un acte distinct du 20 décembre 2011 rendu caution solidaire dans la limite de 250 000 €. La société ayant acquis les actions tente de mettre en œuvre la garantie de passif par lettre recommandée avec accusé de réception en raison d’un redressement de l’URSSAF et d’une rectification fiscale. Elle assigne par la suite les vendeurs et la banque afin de faire jouer judiciairement ladite garantie de passif. Toutefois, est opposée systématiquement à la banque l’irrecevabilité de la demande puisqu’une clause prévoyait une procédure de conciliation amiable préalable obligatoire stipulée dans la convention de garantie de passif. L’affaire suit un premier circuit qui aboutit à un arrêt de la chambre commerciale (Com. 19 juin 2019, n° 17-28.804, D. 2020. 576, obs. N. Fricero image ; RTD civ. 2019. 578, obs. H. Barbier image). L’arrêt d’appel est alors cassé pour un problème lié au principe du contradictoire compte tenu d’un moyen relevé d’office par les juges du fond. La cour d’appel de renvoi déclare irrecevable la société acquéreuse de sa...

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La nécessaire désignation judiciaire du notaire remplaçant dans les partages complexes

Être ou ne pas être désigné par le juge, là est la question permettant, selon la Cour de cassation d’assurer la légitimité du notaire chargé de procéder à la liquidation et au partage d’une succession complexe.

En l’espèce, deux époux étaient décédés à quelques jours d’intervalle en 2006 en laissant deux filles à leur succession. Un jugement rendu le 12 mai 2010 par le tribunal de grande instance de Châlons-en-Champagne avait ordonné l’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de l’indivision successorale et désigné un notaire pour y procéder. Il était précisé dans le jugement qu’en cas d’empêchement du notaire il serait pourvu à son remplacement par ordonnance du vice-président chargé de la chambre civile, sur requête de la partie la plus diligente.

Le notaire désigné ayant cessé ses fonctions, son successeur, nommé par arrêté du garde des Sceaux en 2011, avait repris la conduite des opérations et établi un acte comportant un projet d’état liquidatif et des propositions d’allotissement. L’une des cohéritières assigna l’autre en homologation du projet de partage. La défenderesse sollicita reconventionnellement la désignation d’un nouveau notaire. Par un arrêt du 9 octobre 2020, la cour d’appel de Reims rejeta la demande de désignation d’un nouveau notaire et homologué le projet de partage.

Le pourvoi formé en cassation questionnait la légitimité du notaire remplaçant. Pouvait-il valablement établir un projet de partage sans avoir été judiciairement désigné ?

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel au double visa des articles 1364 et 1371, alinéa 2, du code de procédure civile. Elle rappelle que selon le premier de ces textes, si la complexité des opérations le justifie, le tribunal désigne un notaire pour procéder aux opérations de partage et commet un juge pour surveiller ces opérations et que le notaire est choisi par les copartageants et, à défaut d’accord, par le tribunal. Elle rappelle en outre la teneur de l’alinéa 2 de l’article 1371 du code de procédure civile selon lequel le juge commis peut, même d’office, procéder au remplacement du notaire commis par le tribunal.

La Cour déduit de la combinaison...

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De l’imperfection mineure de la mention manuscrite sur fond de gage du créancier

Centrale pour le créancier comme pour la caution, la question de la proportionnalité du cautionnement occupe la Cour de cassation régulièrement dans les pourvois qui lui sont soumis. En ce début d’année 2022, plusieurs solutions ont déjà été publiées au bulletin sur cette thématique (Civ. 1re, 2 févr. 2022, n° 20-22.938 FS-B, Dalloz actualité, 9 févr. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 212 image ; AJ fam. 2022. 295, obs. P. Hilt image ; 19 janv. 2021, n° 20-20.467 FS-B, Dalloz actualité 31 janv.2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 164 image ; RTD civ. 2022. 181, obs. C. Gijsbers image ; 5 janv. 2022, n° 20-17.325 FS-B, Dalloz actualité 18 janv. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 68 image ; AJDI 2022. 289 image ; ibid. 289 image ; ibid. 291 image ; RTD com. 2022. 134, obs. D. Legeais image). L’arrêt rendu par la chambre commerciale le 6 juillet 2022 vient apporter quelques précisions au régime probatoire à suivre en la matière, mais le thème de la disproportion n’est pas le seul de l’arrêt. La décision explore également une imperfection mineure de la mention manuscrite de l’ancien article L. 341-2 du code de la consommation ainsi qu’une difficulté autour de l’information annuelle que doit délivrer le créancier au sujet du montant restant à régler (capital, intérêts, frais et commissions).

Rappelons les faits pour positionner correctement le problème. Le 23 décembre 2010, un établissement bancaire consent à une société un prêt d’un montant de 330 000 euros garanti par le cautionnement solidaire de deux personnes physiques (dans la limite de 429 000 euros) et pour une durée de neuf ans. La société a été mise en redressement puis en liquidation judiciaire. La banque a donc assigné les cautions en paiement. Ces dernières lui ont opposé la disproportion de leur engagement, un manquement à son obligation d’information annuelle et un défaut dans la mention manuscrite insérée dans le contrat. Les cautions avaient, en effet, recopié avec une erreur ladite formule en précisant « mes revenus et bien » et non « mes revenus et mes biens » (nous soulignons). La cour d’appel de Montpellier condamne les cautions à payer à la banque la somme de 288 691,55 euros. Leur raisonnement est purement et simplement rejeté, la cour d’appel ayant jugé qu’il ne s’agissait que d’une erreur mineure n’affectant pas le fond de la mention manuscrite de l’article L. 341-2 ancien du code de la consommation. Sur la disproportion du cautionnement, les cautions sont également déboutées. Les juges du fond remarquent l’absence de preuve particulière d’un tel déséquilibre. La cour d’appel finit par rejeter la demande tirée de l’information annuelle, puisque la banque rapportait la preuve de l’exécution de son devoir issu de l’article L. 313-22 du code monétaire et financier.

Nous aurons compris que les cautions se pourvoient en cassation en arguant de trois idées distinctes pour tenter de démontrer qu’elles ne devaient pas régler le créancier de la société au titre de la garantie souscrite....

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L’action en contribution au passif et le sort des cautions associées

La proximité entre le droit des sûretés et le droit des obligations est particulièrement perceptible dans certaines facettes particulières des garanties à disposition du créancier (P. Delebecque et P. Simler, Droit civil. Les sûretés, 7e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2016, p. 13, n° 9). Mais les comparaisons ne s’arrêtent pas là : au sein même du cautionnement personnel, la place du régime général des obligations reste de choix puisqu’elle permet de mieux comprendre comment la dette de la caution s’éteint notamment. L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 6 juillet 2022 insiste sur la distinction entre l’obligation du débiteur principal et celle de la caution, ce qui permet de retrouver de belles problématiques de droit des sociétés, de procédure civile et de droit des obligations entremêlées. Rappelons les faits ayant donné lieu au pourvoi pour mieux comprendre la portée de cet arrêt à la croisée des chemins.

Un établissement bancaire consent à une EARL plusieurs concours financiers garantis par les cautionnements des fondateurs de celle-ci. L’EARL est plus tard transformée en société civile d’exploitation agricole (une SCEA). Sont entrées dans le capital, dans cette optique, deux nouvelles sociétés tandis que les fondateurs initiaux restaient détenteurs de 29 % des parts du capital social. La société agricole est mise en redressement judiciaire par jugement publié le 8 juin 2003. La banque a donc assigné ses deux garants en leur qualité de caution. Par une décision devenue irrévocable, les cautions ont été condamnées à payer diverses sommes à l’établissement bancaire. Mais la banque a également été condamnée à payer à l’un des fondateurs de la société une certaine somme de dommages-intérêts d’un montant égal à celui au paiement duquel il était condamné en sa qualité de caution. Par assignation du 11 octobre 2007, les deux associés cautions ont demandé sur le fondement de l’article 1857 du code civil la condamnation des deux sociétés entrées en capital tardivement à leur payer des sommes correspondantes au montant des dettes dont la SCEA était tenue à l’égard du créancier, et ce à due concurrence de la participation des sociétés dans le capital de ladite société. Par assignation en intervention forcée du 7 mai 2008, l’une des deux sociétés entrées en capital appelle en garantie la banque, laquelle a notifié des conclusions par lesquelles elle demandait la condamnation de tous les associés de la SCEA au titre de l’article 1857 du code civil. La cour d’appel saisie déclare recevable la demande formée par la banque. Les juges du fond condamnent les deux associés à payer à la banque la somme de 110 957,77 € pour la cofondatrice et 246 572,85 € pour le cofondateur.

Les deux associés forment un pourvoi reprochant deux griefs distincts : le premier est tiré de la prescription des demandes de la banque. Le second s’intéresse à l’action en contribution au passif. L’arrêt du 6 juillet 2022 aboutit à un rejet du pourvoi sur ces deux moyens distincts. Nous allons examiner pourquoi il faut accueillir cette décision avec bienveillance en étudiant successivement la question de la prescription et celle de la compensation.

Interruption de la prescription et intervention forcée

La question de l’interruption de la prescription occupe une place centrale dans le contentieux civil si bien que tous les arrêts de la Cour de cassation promis aux honneurs du Bulletin s’y intéressant sont intéressants pour les praticiens. La décision du 6 juillet 2022 ne fait pas exception, notamment après une autre solution importante rendue en mai dernier que nous avons commentée dans ces colonnes (Com. 18 mai 2022, n° 20-23.204 P, Dalloz actualité, 23 mai 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 992 image). Dans l’arrêt étudié aujourd’hui, l’argumentation des demandeurs au pourvoi résidait sur une donnée factuelle évoquée ci-dessus : la banque avait été appelée en garantie au présent contentieux par une intervention forcée de la société attraite par les associés. Or ces derniers déniaient tout lien d’instance en pareille situation. Le demandeur à l’action principale et le garant n’étaient pas, selon eux, en situation de lien d’instance propre à interrompre la prescription.

Le raisonnement a été purement et simplement refusé par les juges du fond qui ont considéré que l’intervention forcée avait conféré la qualité de partie à l’instance à la banque. Dès lors, cette dernière était parfaitement recevable à former des demandes contre toute partie à l’instance, dont les associés garants. La chambre commerciale ne trouve rien à redire à cette solution qui est respectueuse d’une lecture classique des règles communes de procédure civile en matière d’intervention forcée (S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chainais et L. Mayer, Procédure civile, 35e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, p. 289, nos 361 s.). Le paragraphe 9 de l’arrêt rappelle utilement l’article 68 du code de procédure civile pour bien préciser que l’assignation forcée du 7 mai 2008 avait pu utilement conférer la qualité de partie à l’instance à la banque. Par conséquent, les premières conclusions du 5 juin 2008 mentionnant la demande de celle-ci avaient interrompu la prescription à l’égard des associés.

La solution permet de préserver le recours de la banque, appelée en garantie par la société à la suite de la mise en mouvement de l’article 1857 du code civil contre les sociétés entrées en capital. Une solution inverse aurait été peu compréhensible eu égard à la conception de l’intervention forcée qui permet d’intégrer une partie non assignée initialement dans le lien d’instance créé par l’acte introductif originel.

Le second moyen présentait une difficulté plus épineuse.

Contribution au passif et compensation

Les demandeurs au pourvoi avaient songé à un second moyen pour remettre en cause leur condamnation. Ils pensaient que la compensation, en tant qu’exception inhérente à la dette, emportait extinction de l’obligation principale garantie. Rappelons-nous de ce que nous avons évoqué au titre des faits : les fondateurs de la SCEA avaient été condamnés en qualité de cautions dans un jugement précédent devenu irrévocable mais le cofondateur avait bénéficié d’une condamnation de la banque du même montant que la somme à régler. Ce dernier invoquait alors la compensation dans cette nouvelle instance dédiée à l’action en contribution au passif.

Le raisonnement avait été balayé par les juges du fond qui avaient considéré que la compensation n’avait aucune utilité ici. Les indemnités dues à la caution en raison de la condamnation de la banque ne sauraient, en effet, avoir un quelconque lien avec la contribution au passif exercée par la banque. L’arrêt du 6 juillet 2022 vient rejeter le pourvoi. Il estime ce raisonnement parfaitement fondé en droit. Ceci vient utilement distinguer les deux contentieux successifs qui se sont enchaînés dans cette situation. Reprenons de manière synthétique :

• dans le premier contentieux opposant la banque et la caution, la compensation pouvait évidemment avoir une utilité : l’obligation de la seule caution diminuant alors à hauteur de la condamnation de la banque ;

• dans le second contentieux, c’est-à-dire celui de l’action en contribution au passif, la compensation n’a plus aucun intérêt. Cette dernière n’a, en effet, pas de lien avec l’obligation principale qui fonde le recours de la banque contre les associés. Les soldes impayés des prêts cautionnés pouvaient donc parfaitement être réclamés dans cette instance où la banque n’avait été qu’appelée en garantie et donc attraite en intervention forcée.

En somme, le piège se referme contre les associés : initialement demandeurs à l’action contre les sociétés entrées tardivement en capital, ils se retrouvent débiteurs envers la banque au titre des soldes impayés des prêts cautionnés. L’intérêt de la distinction entre les obligations du débiteur principal et de la caution conserve donc une force importante pour le créancier. Celui-ci conserve, en pareille situation, ses pleins recours eu égard à la situation de redressement judiciaire connue par la société. D’où l’on voit l’importance de pouvoirs jouer sur plusieurs tableaux.

Chronique d’arbitrage : CJUE [I]versus[/I] CEDH, la bataille pour l’arbitrage a commencé

La présente livraison est l’occasion de mettre en perspective deux arrêts. D’une part, un arrêt London Steam-Ship de la Cour de justice (CJUE 20 juin 2022, aff. C-700/20), par lequel la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) révèle que son acrimonie à l’encontre de l’arbitrage n’est pas limitée au droit des investissements. Elle concerne désormais l’arbitrage commercial et c’est tout l’édifice qui se met à trembler. D’autre part, un arrêt BTS Holding (CEDH 30 juin 2022, n° 55617/17), où la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) condamne l’État slovaque pour défaut d’exécution d’une sentence. Deux décisions qui, si elles ne se situent pas sur le même plan, mettent à jour les préoccupations divergentes des deux juridictions européennes. Au point que, face aux assauts de la Cour de justice, le salut de l’arbitrage pourrait bien venir de la Cour européenne.

Au-delà de ces deux arrêts, deux autres décisions, l’une de la Cour de justice (CJUE 16 juin 2022, avis n° 1/20, Traité sur la charte de l’énergie) et l’autre de la Cour européenne (CEDH 9 juin 2022, Lucas c. France, n° 15567/20, Dalloz actualité, 16 juin 2022, obs. C. Bléry ; AJDA 2022. 1190 image ; AJ fam. 2022. 353, obs. F. Eudier image), sont à signaler. Si la quantité ne fait pas la qualité, avoir quatre décisions supranationales en quelques jours révèle l’accélération du phénomène d’européanisation du droit de l’arbitrage. Si, pendant des années, il suffisait d’observer la jurisprudence de la cour d’appel de Paris et de la Cour de cassation, il est désormais indispensable de tourner le regard vers Strasbourg et Luxembourg.

Que le lecteur se rassure néanmoins. La cour d’appel de Paris constitue encore un moteur du droit français et international de l’arbitrage. Plusieurs décisions intéressantes sont à signaler, notamment l’affaire Antrix dans le cadre du renvoi après cassation (Paris, 28 juin 2022, n° 20/05699, Dalloz actualité, 20 mai 2022, obs. J. Jourdan-Marques) ou encore les arrêts Pizzarotti (Paris, 17 mai 2022, n° 20/15162) et Billionaire (Paris, 17 mai 2022, n° 20/18020) en matière de révélation.

I. Arbitrage et droit de l’Union européenne

A. Arbitrage commercial et droit de l’Union européenne

La décision rendue le 20 juin 2022 fera date (CJUE 20 juin 2022, aff. C-700/20, London Steam-Ship). Elle laisse peu de doutes sur la volonté de la Cour de justice d’étendre sa croisade contre l’arbitrage à l’arbitrage commercial. Pour mener à bien son entreprise, la Cour s’affranchit du droit. Car il faut le dire simplement : juridiquement, la solution proposée, qui consiste à consacrer un principe d’effet relatif de la clause compromissoire et à imposer indirectement un respect des règles de litispendance aux arbitres, est dépourvue de fondement. Elle fait litière de l’exclusion de l’arbitrage par les règlements de Bruxelles 1 (applicable ratione temporis au litige) et 1 bis. À ce titre, il devient délicat d’en livrer une analyse rationnelle, d’en rechercher les limites ou d’anticiper ce qu’elle autorise par une lecture a contrario. En réalité, l’arrêt London Steam-Ship offre le spectacle d’une Cour de justice toute puissante, qui s’octroie le droit de vie et de mort sur l’arbitrage. Comme elle l’a fait à travers sa jurisprudence Achmea (CJUE 6 mars 2018, aff. C-284/16, Dalloz actualité, 4 avr. 2018, obs. F. Mélin ; AJDA 2018. 1026, chron. P. Bonneville, E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser image ; D. 2018. 2005 image, note Veronika Korom image ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2448, obs. T. Clay image ; Rev. crit. DIP 2018. 616, note E. Gaillard image ; RTD eur. 2018. 597, étude J. Cazala image ; ibid. 649, obs. Alan Hervé image ; ibid. 2019. 464, obs. L. Coutron image ; Rev. arb. 2018. 424, note S. Lemaire ; Procédures 2018. Comm. 143, obs. C. Nourissat ; JDI 2018. 903, note Y. Nouvel ; JDI 2019. 271, note B. Rémy) et ses suites, à l’occasion desquelles elle n’a pas hésité à faire évoluer sa solution au gré des nécessités et indépendamment de ses propres fondements, on pressent que cette décision est un séisme majeur dont on éprouvera les répliques à l’occasion de futures affaires.

Afin de mieux comprendre, un retour sur les faits est indispensable. Il n’est pas exclu qu’ils ne soient pas été indifférents à la solution retenue. À la suite du naufrage, au mois de novembre 2002, du pétrolier Prestige au large des côtes espagnoles, une instruction pénale a été ouverte en Espagne. Plusieurs personnes morales, parmi lesquelles l’État espagnol, ont engagé des actions civiles dans le cadre de la procédure pénale. Elles étaient dirigées contre le capitaine du Prestige, contre les propriétaires du navire et, sur le fondement de l’article 117 du code pénal espagnol relatif à l’action directe, contre l’assureur, le London P&I Club. L’action qui nous intéresse est celle opposant l’État espagnol au London P&I Club. Elle a abouti à une condamnation du London P&I Club au profit de l’État espagnol, par deux décisions de 2017 et 2019, à la somme de 855 millions d’euros.

Parallèlement, le London P&I Club a engagé une procédure d’arbitrage à Londres visant à faire constater que, en application de la clause compromissoire figurant dans le contrat d’assurance conclu avec les propriétaires du Prestige, le Royaume d’Espagne est tenu de présenter ses demandes au titre de l’article 117 du code pénal espagnol dans le cadre de cet arbitrage. Par une sentence rendue le 13 février 2013, le tribunal arbitral a statué en faveur du London P&I Club.

La situation est celle d’un conflit entre, d’une part, les deux décisions espagnoles et, d’autre part, la sentence arbitrale, qui se prononcent l’une et l’autre en sens opposé au point de faire naître une discussion sur leur caractère inconciliable.

Au mois de mars 2013, le London P&I Club a saisi la High Court of Justice, au titre de l’article 66, paragraphes 1 et 2, de la loi de 1996 sur l’arbitrage, afin qu’elle autorise l’exécution de la sentence arbitrale sur le territoire national, et qu’elle rende un arrêt reprenant les termes de cette sentence. Par ordonnance du 22 octobre 2013, la High Court a autorisé le London P&I Club à faire exécuter la sentence arbitrale du 13 février 2013. Elle a rendu, également le 22 octobre 2013, un arrêt reprenant les termes de cette sentence.

Par requête du 25 mars 2019, le Royaume d’Espagne a demandé à la High Court of Justice, sur le fondement de l’article 33 du règlement n° 44/2001, la reconnaissance au Royaume-Uni de la décision espagnole du 1er mars 2019. Cette juridiction a fait droit à cette demande par ordonnance du 28 mai 2019. Le 26 juin 2019, le London P&I Club a saisi la juridiction de renvoi d’un appel contre cette ordonnance en application de l’article 43 du règlement n° 44/2001. À l’appui de son appel, le London P&I Club a soutenu, d’une part, que la décision de 2019 est inconciliable, au sens de l’article 34, point 3, du règlement n° 44/2001, avec l’ordonnance et l’arrêt du 22 octobre 2013 rendus en application de l’article 66 de la loi de 1996 et, subsidiairement, que cette décision espagnole est contraire à l’ordre public, notamment au regard du principe de l’autorité de la chose jugée (ce second point, objet de la troisième question préjudicielle, ne sera pas évoqué). C’est au titre de ces questions que la High Court of Justice a saisi la Cour de justice d’une triple question préjudicielle. La principale question est de savoir si un arrêt rendu sur le fondement de l’article 66 de la loi de 1996 sur l’arbitrage est une décision au sens de l’article 34, point 3, du règlement n° 44/2001.

Avant d’évoquer le contenu de la décision, il faut dire un mot de l’article 66 (2) de l’Arbitration Act. L’article 66 énonce que « (1) An award made by the tribunal pursuant to an arbitration agreement may, by leave of the court, be enforced in the same manner as a judgment or order of the court to the same effect ; (2) Where leave is so given, judgment may be entered in terms of the award ». Autrement dit, la sentence arbitrale interne peut-être intégrée au sein de l’ordre juridique anglais par la voie d’un jugement qui en reprend les termes. L’intérêt de ce mécanisme est de faire bénéficier le créancier de la réglementation sur le « contempt of court » ainsi que des traités de circulation des jugements, en particulier au sein des pays du Commonwealth (l’auteur remercie maître Rory Wheeler pour ces précisions). Une doctrine, tout en confirmant ce second aspect, envisage également la faculté de bénéficier des traités européens : « The method outlined in section 66(2) permits “judgment to be entered in terms of the award”. The practical result is that the applicant will have not only an arbitral award, but also an English court judgment in the same terms. This option may be attractive where the applicant wishes to rely on the award in another jurisdiction where court judgments are given more weight or greater legal recognition. This may be the case, for example, where enforcement is sought in another EU Member State under the provisions of the Brussels Regulation and the provisions of the Regulation are considered to be more favourable to the claimant than those under the New York Convention as applied in the country where enforcement is sought » (C. Tevendale et A. Canon, Arbitration in England, with chapters on Scotland and Ireland, [Lew, Bor, Fullelove, et al. (eds), Jan 2013], Chapter 26: Enforcement of Awards, n° 26-9).

Toute la difficulté dans l’analyse de cet arrêt réside dans la question de savoir s’il faut s’en tenir au caractère spécifique de cette incorporation de la sentence ou s’il faut en tirer des conséquences au-delà. À ce titre, on peut tenter une lecture optimiste de l’arrêt. Néanmoins, on peut craindre que la Cour de justice ait profité de l’occasion pour faire acte d’autorité à l’encontre de l’arbitrage. On est alors contraint d’envisager une lecture pessimiste de la décision.

1. Une analyse optimiste de l’arrêt London Steam-Ship

Soyons optimistes. L’arrêt London Steam-Ship ne doit être lu qu’à l’aune du caractère exceptionnel de la procédure visant à reprendre une sentence arbitrale dans un arrêt. La réponse à la question préjudicielle donnée par la Cour de justice invite d’ailleurs à une telle lecture. Elle énonce qu’« il convient de répondre aux première et deuxième questions que l’article 34, point 3, du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’un arrêt prononcé par une juridiction d’un État membre et reprenant les termes d’une sentence arbitrale ne constitue pas une décision, au sens de cette disposition […] ». Partant, la cour ne se prononce par sur les hypothèses où la sentence arbitrale intègre l’ordonnancement juridique sans être reprise dans un arrêt, comme c’est le cas en France. En effet, le droit français ne substitue pas son jugement d’exequatur à la sentence. Ainsi, la décision de la Cour de justice n’emporterait aucune conséquence sur le droit français et l’arbitrage continuerait à échapper à l’autorité de la Cour de justice.

D’ailleurs, une lecture rapide de l’arrêt London Steam-Ship conforte cette analyse. La question est de savoir si l’arrêt des cours anglaises reprenant une sentence est une « décision », au sens de l’article 34, point 3, du règlement, de nature à faire obstacle à la circulation d’un jugement européen. Pour y répondre, la Cour de justice commence par livrer une motivation rassurante. Elle rappelle l’exclusion de l’arbitrage du champ d’application des règlements Bruxelles 1 et 1 bis (§ 43), dont elle précise qu’elle vaut « en tant que matière dans son ensemble, y compris les procédures introduites devant les juridictions étatiques » (§ 44). Elle en profite pour rappeler que la procédure de reconnaissance et d’exécution d’une sentence arbitrale ne relève pas des règlements, mais du droit national (§ 45). Elle en tire une première conclusion, en soulignant qu’un « arrêt reprenant les termes d’une sentence arbitrale relève de l’exclusion de l’arbitrage énoncée à l’article 1, paragraphe 2, sous d), du règlement n° 44/2001 et qu’il ne saurait, partant, bénéficier de la reconnaissance mutuelle entre les États membres et circuler dans l’espace judiciaire de l’Union conformément aux dispositions dudit règlement » (§ 47).

Cette première salve de motivation n’a rien d’étonnant et est conforme à la lettre et à l’esprit des textes. L’arbitrage échappe aux règlements mais, en contrepartie, n’en bénéficie pas. Il n’est d’ailleurs pas exclu que la Cour de justice ait souhaité mettre les points sur les i, en rappelant l’interdiction de faire bénéficier les sentences du régime de circulation des jugements. En effet, si l’objectif de l’intégration prévue par le droit anglais est de faire bénéficier les sentences arbitrales des règlements européens, en les faisant circuler sous un faux-nez de jugement d’un État membre, la solution anglaise est inadmissible et devait être condamnée. Cela dit, la question préjudicielle posée par les juridictions anglaises partage ce postulat, en retenant qu’un « arrêt reprenant les termes d’une sentence arbitrale, tel que celui rendu en vertu de l’article 66 de la loi de 1996 sur l’arbitrage, est une décision qui n’entre pas dans le champ d’application matériel du règlement n° 44/2001 du fait de l’exception d’arbitrage visée à son article 1er, paragraphe 2, sous d) ».

Une fois ces questions préliminaires résolues, la cour s’intéresse à la faculté de qualifier de « décision » l’arrêt anglais reprenant une sentence. La réponse est positive. Elle juge, sur cet aspect, que « cette notion recouvre toute décision rendue par une juridiction d’un État membre, sans qu’il y ait lieu de faire une distinction en fonction du contenu de la décision en cause, pourvu qu’elle ait fait, ou était susceptible de faire, dans l’État membre d’origine, l’objet, sous des modalités diverses, d’une instruction contradictoire » (§ 49). La Cour de justice fait ainsi le choix d’intégrer les arrêts anglais au sein de la catégorie « décision » du règlement. Partant, le caractère inconciliable des décisions devient un motif de refus de reconnaissance d’un jugement européen au titre du règlement (§ 53). On notera simplement, à ce stade, que l’absence de caractère contradictoire de l’ordonnance d’exequatur interdit de faire un parallèle avec le droit français, au moins avant la décision de la cour d’appel.

Pour justifier sa solution, la Cour de justice se prévaut d’ailleurs d’un argument qui devrait emporter les suffrages. Elle souligne que la finalité de l’article 34, point 3, du règlement est de « protéger l’intégrité de l’ordre juridique interne d’un État membre et garantir que son ordre social ne soit pas troublé par l’obligation de reconnaître un jugement émanant d’un autre État membre qui est inconciliable avec une décision rendue, entre les mêmes parties, par ses propres juridictions » (§ 50). Difficile d’être hostile à un tel objectif, le refus d’intégrer dans un ordre juridique des décisions contradictoires étant une préoccupation centrale du droit international privé.

Le bilan de cette démonstration est simple : le règlement ne s’applique pas à la circulation des arrêts d’incorporation vers les autres États membres ; en revanche, le règlement s’applique lorsqu’il s’agit de faire échec à la circulation d’un jugement européen sur le territoire de l’État requis. La solution est alléchante pour l’arbitragiste. Elle permet de renforcer la faculté pour une sentence de faire échec à la circulation d’un jugement européen. En outre, elle respecte la logique de la territorialité de la reconnaissance et de l’exequatur des sentences arbitrales.

Cela dit, cette solution ne va pas sans exception. C’est la suite de la démonstration de la Cour de justice. Elle énonce qu’« il en va cependant autrement dans l’hypothèse où la sentence arbitrale dont cet arrêt reprend les termes a été adoptée dans des circonstances qui n’auraient pas permis l’adoption, dans le respect des dispositions et des objectifs fondamentaux de ce règlement, d’une décision judiciaire relevant du champ d’application de celui-ci » (§ 54). La formule est sibylline. Elle est explicitée plus loin (§ 59 s.). L’idée est de se demander si, toute chose égale par ailleurs, un jugement étatique aurait pu être rendu de la même façon que la sentence arbitrale a été rendue. La Cour invite donc à assimiler l’arbitre à un juge – ici le juge anglais – et à se demander si la même décision aurait pu être celle d’un juge anglais. Or l’assimilation de l’arbitre à un juge d’un État membre permet de s’interroger sur le respect par l’arbitre des « règles fondamentales » des règlements européens (§ 59).

Dans la présente affaire, ce sont deux « règles fondamentales » qui sont en cause : l’effet relatif de la clause compromissoire et la litispendance. Or, nous y reviendrons (v. infra), la solution de l’arbitre ne respecte pas ces deux principes (faute, sans doute, de lui être applicables). Ainsi, le juge anglais mis dans la peau de l’arbitre n’aurait pas pu rendre cette décision, car il aurait violé le règlement Bruxelles 1. Partant, il convient pour la Cour de justice d’en tirer les conséquences et de refuser la qualification de « décision » à un arrêt qui, en réalité, n’aurait pas pu être rendu dans les mêmes conditions par le juge anglais. La Cour en conclut qu’« un arrêt reprenant les termes d’une sentence arbitrale, tel que celui en cause au principal, ne saurait faire obstacle, en vertu de l’article 34, point 3, du règlement n° 44/2001, à la reconnaissance d’une décision émanant d’un autre État membre » (§ 72).

En définitive, l’arrêt incorporant une sentence peut faire échec, sur le fondement du droit européen, à la circulation des jugements des États membres, sauf dans certains cas, lorsque le juge n’aurait pas pu rendre une décision identique. Une telle solution n’est d’ailleurs pas illogique : dès lors que l’arrêt incorpore la sentence, le juge anglais fait sienne la décision des arbitres. Partant, on peut s’accorder pour dire que, pour agir de cette façon, encore faut-il qu’il puisse rendre une décision identique indépendamment de toute sentence. Ce n’est pas le cas dans les hypothèses où le règlement y fait obstacle, en particulier en ne lui donnant pas compétence ou en lui interdisant de statuer prioritairement en vertu de la litispendance. La solution est alors compréhensible, et elle l’est d’autant plus que rien n’impose au juge anglais de recourir à une telle incorporation. Ainsi, les spécificités de l’arrêt expliquent la solution et l’analyse restrictive retenues par la Cour de justice. Reste à savoir si l’on peut se tenir à cette version optimiste, qui réduit la décision de la Cour de justice à une figure d’espèce dont la portée est limitée matériellement aux seuls arrêts d’incorporation d’une sentence arbitrale.

2. Une analyse pessimiste de l’arrêt London Steam-Ship

Il n’est pas certain que l’on puisse s’en tenir à une vision optimiste de l’arrêt. Tout au contraire, les voyants sont au rouge. La raison principale à cela est que l’on imagine mal la Cour de justice rendre un arrêt dépourvu de portée pratique. En effet, l’analyse optimiste nous conduit à une distinction entre l’arrêt d’incorporation qui, s’il est « régulier », est une décision pouvant faire échec à la circulation d’un jugement européen en cas d’inconciliabilité et celui qui est « irrégulier », qui n’est pas une décision au sens du droit européen. Que faire dans cette seconde hypothèse ? Deux options sont envisageables. La première conduit à considérer qu’il convient de se fonder sur le droit commun de l’État membre d’accueil pour vérifier la compatibilité entre l’arrêt anglais et le jugement espagnol. Autrement dit, le défaut de qualification de « décision » de l’arrêt conduit à se situer en dehors du droit européen. La seconde option invite à retenir que, faute de pouvoir être qualifié de décision, l’arrêt anglais ne peut plus faire échec à la circulation du jugement espagnol, le retour au droit commun étant exclu.

L’arbitragiste sera tenté de pencher en faveur de la première branche de l’alternative. N’est-ce pas celle qui doit prévaloir, dès lors que l’arbitrage est exclu du champ d’application des règlements ? On imagine d’autant plus aisément cette hypothèse que la sentence arbitrale n’a pas fait simplement l’objet d’un arrêt d’incorporation ; plus classiquement, elle a aussi été reconnue. La question de l’articulation entre une sentence et un jugement relève, en principe, du droit commun. Reste que cette solution prive de tout intérêt la décision de la Cour de justice. D’ailleurs, la Cour de justice ne semble pas encline à la suivre, elle qui écrit noir sur blanc que « cet arrêt ne pouvant dans ce cas faire obstacle, dans ledit État membre, à la reconnaissance d’une décision rendue par une juridiction dans un autre État membre » (§ 73). Le défaut de qualification de décision emporte l’impossibilité de faire obstacle à la circulation du jugement espagnol. Impossibilité qui paraît définitive.

En réalité, l’arrêt garde le silence sur la problématique qui aurait dû être celle au cœur de la discussion : l’application du règlement Bruxelles 1 (et 1 bis) en présence d’un conflit entre deux décisions, lorsque l’on touche à des questions d’arbitrage. Cet éléphant au milieu de la pièce est soigneusement ignoré – faute de clarté de la question préjudicielle ? parce que les parties se sont exclusivement fondées sur le règlement ? – et constitue l’origine de tous les doutes. La situation factuelle nécessitait d’être éclairée. D’un côté, il est indiscutable que l’arrêt anglais, par sa nature, touche à l’arbitrage. De l’autre, l’arrêt espagnol, en l’absence de comparution du London P&I Club, n’a jamais eu à trancher une question relative à l’arbitrage. Doit-on considérer, dans une telle situation, que l’exclusion par le règlement de l’arbitrage nous place dans ou en dehors du règlement ? Trancher ce préalable aurait permis de lever une partie des hésitations. Tel n’a pas été le cas.

En déplaçant la discussion, la Cour de justice tend un piège à l’arbitrage. L’inclusion des arrêts anglais d’incorporation de la sentence parmi les « décisions » susceptibles de faire échec à la circulation des jugements sur le fondement du règlement conduit, de facto, à placer le débat sur le terrain du règlement. Cette forme de faveur – presque de bienveillance – vis-à-vis de ces arrêts d’incorporation, que l’on accepte d’intégrer parmi les « décisions », permet à la Cour de justice de refermer son piège. Puisque les arrêts d’incorporation des sentences font partie du règlement, on en déduit que la question relève du règlement. De la sorte, la Cour de justice a la possibilité, d’une part, d’imposer ses conditions à la mise en œuvre du règlement et, d’autre part, d’interdire de s’abstraire du règlement. Surtout, la Cour de justice a étendu de façon considérable le champ d’application de ses règlements.

La question qui en découle est celle de la portée d’une telle solution en présence d’une simple reconnaissance d’une sentence arbitrale, sans incorporation. Que ce serait-il passé si le juge anglais s’était limité à faire bénéficier la sentence de l’article 66 (1) de l’Arbitration Act ou si la sentence avait été exequaturée en France ? La Cour de justice est-elle prête à rendre d’une main ce qu’elle vient de prendre de l’autre ? C’est là que l’on voit que la question du champ d’application du règlement est centrale. Si l’on se place dans le règlement, il est certain qu’une sentence, même exequaturée, ne répond pas aux exigences de l’article 34, point 3, du règlement Bruxelles 1. La définition de la notion de « décision », donnée par l’article 32 précise bien qu’il faut l’entre comme « toute décision rendue par une juridiction d’un État membre ». Or il est acquis de longue date et répété à l’envi que l’arbitre n’est pas la juridiction d’un État membre (CJCE 23 mars 1982, aff. C-102/81, Nordsee, Rec. CJCE 1982. I. 1095 ; Rev. arb. 1982. 349, obs. X. de Mello ; Rev. arb. 1982. 473, concl. av. gén. G. Reischl ; D. 1983. 633, note J Robert ; Cah. dr. eur. 1983. 207, obs. F. Dumon ; v. égal. CJCE 27 janv. 2005, Denuit et Cordenier, aff. C-125/04, RTD com. 2005. 440, obs. M. Luby image ; ibid. 488, obs. E. Loquin image ; RTD eur. 2006. 477, chron. J.-B. Blaise image ; JCP 2005. 1132, note G. Chabot ; Bull. ASA 2005. 408, note A. Mourre ; Rev. arb. 2005. 765, note L. Idot ; Procédures 2005, n° 12, p. 15). Ainsi, il est impératif de se situer en dehors des règlements européens pour qu’une sentence arbitrale puisse faire échec à la circulation d’un jugement d’un État membre. À défaut, la sentence est ravalée au rang de simple contrat – voire de bout de papier – insusceptible d’être placé sur le même plan qu’un jugement.

Tout repose donc sur l’interprétation de l’article 1er, 2 (d) du règlement Bruxelles 1 bis et du considérant 12. Cette question centrale fait pourtant l’objet de peu de jurisprudence. Aucune méthodologie précise n’existe à ce jour. Néanmoins, dans l’arrêt Armanenti (Paris, 1er févr. 2022, nos 19/22977 et 18/27765, Dalloz actualité, 16 mars 2022, obs. J. Jourdan-Marques), la cour d’appel de Paris a esquissé quelques lignes directrices. Dans cette affaire, elle a privé un jugement italien du bénéfice des règlements européens, dès lors qu’il a eu à trancher la question de la compétence arbitrale. C’est donc une interprétation extensive de l’exclusion de l’arbitrage qui est retenue.

La Cour de justice sera-t-elle prête à suivre une logique équivalente ? La lecture de l’arrêt permet d’en douter. La Cour rappelle clairement qu’elle ne se sent pas tenue par la seule lettre des textes. Elle commence par rappeler que « pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs de la réglementation dont elle fait partie » (§ 55). Ces objectifs sont ensuite listés : « ces objectifs se reflètent dans les principes qui sous-tendent la coopération judiciaire en matière civile au sein de l’Union, tels que ceux de libre circulation des décisions relevant de cette matière, de prévisibilité des juridictions compétentes et, partant, de sécurité juridique pour les justiciables, de bonne administration de la justice, de réduction au maximum du risque de procédures concurrentes et de confiance réciproque dans la justice » (§ 56). Quelle est la place de l’arbitrage au milieu de ces objectifs ? La réponse est dépourvue de toute ambiguïté : « il y a lieu d’ajouter que la confiance réciproque dans la justice au sein de l’Union sur laquelle sont fondées, selon le considérant 16 du règlement n° 44/2001, les règles que celui-ci prévoit en matière de reconnaissance des décisions judiciaires ne s’étend pas aux décisions prises par des tribunaux arbitraux, ni aux décisions judiciaires qui en reprennent les termes » (§ 57). Pour finir, la Cour précise « qu’une sentence arbitrale ne saurait, au moyen d’un arrêt reprenant les termes de celle-ci, emporter des effets dans le cadre de l’article 34, point 3, du règlement n° 44/2001 que si cela n’entrave pas le droit à un recours effectif garanti à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et permet d’atteindre les objectifs de la libre circulation des décisions en matière civile ainsi que de confiance réciproque dans la justice au sein de l’Union dans des conditions au moins aussi favorables que celles résultant de l’application de ce règlement » (§ 58). L’incise, qui rappelle que la question au cœur de la motivation est celle d’un arrêt reprenant une sentence, peine à faire illusion. On pressent de cette motivation que la faculté d’une sentence arbitrale à faire échec à la circulation d’un jugement européen doit rester exceptionnelle. Partant, on peut craindre une extension du champ d’application du règlement.

Si l’avenir nous en dira plus sur l’approche adoptée par la cour, on peut d’ores et déjà anticiper au moins trois questions, qui risqueront de cristalliser le débat : premièrement, la seule présence d’une sentence arbitrale a-t-elle pour conséquence d’exclure l’application des règlements ? Deuxièmement, un jugement sur le fond est-il exclu du règlement lorsque la question sur la compétence a été tranchée dans une décision distincte ? Troisièmement, comme faut-il interpréter les notions de principal et d’incident en présence d’une question touchant à l’arbitrage ? On peut craindre qu’en dépit de la formulation du considérant 12, la Cour de justice donne à chacune de ces questions une réponse visant à réduire au maximum les hypothèses échappant au règlement.

Au-delà de la question du champ d’application du règlement, l’arrêt London Steam-Ship soulève une deuxième série de difficultés. La Cour consacre des « règles fondamentales » permettant de priver une sentence arbitrale de toute portée. La Cour en évoque deux, mais la liste est loin d’être exhaustive et on peut compter sur l’imagination de la Cour pour en identifier d’autres. Revenons toutefois sur la litispendance et l’effet relatif.

La litispendance est érigée au rang de règle fondamentale dont la violation justifie d’écarter une décision de celles bénéficiant de l’article 34, point 3. L’opportunisme d’un tel choix est évident. D’une part, la Cour de justice a jugé précédemment que la violation des règles de litispendance par une juridiction saisie en second ne permet pas de refuser sa reconnaissance (CJUE 16 janv. 2019, aff. C-386/17, Dalloz actualité, 31 janv. 2019, obs. F. Mélin ; D. 2019. 135 image ; ibid. 1016, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke image ; AJ fam. 2019. 214, obs. A. Boiché image ; Rev. crit. DIP 2019. 487, note H. Muir Watt image ; RTD eur. 2019. 761, obs. V. Egéa image ; Procédures 2019, n° 3, p. 20, obs. C. Nourissat ; Europe 2019, n° 3, p. 34, obs. L. Idot ; LPA 2019, n° 53, p. 7, obs. V. Legrand ; JDI 2019. 1232, note I. Barrière-Brousse). Voilà donc une drôle de règle fondamentale, qui peut librement être violée par la juridiction d’un État membre, mais qui s’impose aux arbitres. D’autre part, il est évident que la volonté d’imposer le respect des règles de litispendance aux arbitres est dépourvue de fondement. Pourtant, la Cour de justice juge l’inverse : « il incombe à la juridiction saisie en vue de rendre un arrêt reprenant les termes d’une sentence arbitrale de vérifier le respect des dispositions et des objectifs fondamentaux du règlement n° 44/2001 afin de prévenir un contournement de ceux-ci, tel que celui consistant à mener à son terme une procédure arbitrale en méconnaissance […] des règles relatives à la litispendance prévues à l’article 27 de ce règlement » (§ 71). Sans même parler du principe compétence-compétence, qui est ostensiblement ignoré, les règlements européens sur la compétence n’ont jamais eu vocation à s’imposer aux arbitres. Retenir une telle solution, même indirectement, revient à méconnaître la lettre et l’esprit de ces textes. D’ailleurs, on imagine bien que l’application de cette règle se fera dans un sens – au détriment des arbitres – mais jamais dans l’autre – en faveur des arbitres.

L’effet relatif est également consacré comme règle fondamentale. Pas simplement l’effet relatif de la clause attributive de juridiction, mais bien l’effet relatif de la clause compromissoire (§ 59). Pour aboutir à une telle solution, la Cour de justice assimile purement et simplement ces deux clauses. Autant les clauses attributives de juridiction sont incluses au sein des règlements européens, autant les clauses compromissoires en sont exclues. Une fois encore, la Cour de justice s’autorise à imposer une interprétation en dehors de tout fondement.

La consécration de ces règles fondamentales suscite de nouvelles interrogations. Si leur portée est réduite au domaine d’application des règlements de Bruxelles, cette consécration de règles fondamentales n’a qu’un intérêt limité. En effet, l’intégralité du débat se réduira à la question de savoir si l’on se trouve dans le champ d’application du règlement. Si c’est le cas, peu importe ces règles fondamentales, dès lors que la sentence est dépourvue de toute portée. En conséquence, la question est de savoir si la Cour de justice imposera le respect de ces règles fondamentales en dehors du champ d’application du règlement. Autrement dit, les sentences sont confrontées à une double lame : d’abord, l’absence d’effet dans le champ d’application du règlement ; ensuite, l’absence d’effet, même en dehors du champ d’application du règlement, en cas de violation de ces règles fondamentales.

Les conséquences d’une telle solution – dont la consécration est hypothétique – sont vertigineuses. Pour le droit français, cela implique ni plus ni moins qu’une révision des règles matérielles sur la circulation des conventions d’arbitrage et la mise en place d’exceptions au principe de compétence-compétence. Pire, à l’échelle européenne, on imagine très bien les stratégies qui peuvent être mises en place pour faire échec à la convention d’arbitrage, notamment par la résurrection des fameuses « torpilles italiennes ».

En définitive, l’arrêt London Steam-Ship soulève de très nombreuses questions. La principale est de savoir si sa portée doit être limitée aux arrêts d’incorporation de sentences arbitrales. En cas de réponse positive, son apport pour le juriste français est minime et le Brexit en tournera rapidement la page. En cas de réponse négative, c’est un arrêt majeur, qui bouleverse en profondeur le droit français de l’arbitrage et entraîner une pluie de questions préjudicielles. Dans cette perspective, la Cour de justice pose un véritable défi à l’arbitrage et aux arbitragistes : intégrer le champ du droit européen ou continuer à faire cavalier seul, au risque de disparaître. Il y a un peu plus de dix ans, à l’occasion de la réforme du règlement de Bruxelles, le choix de l’exclusion l’a emporté. Aujourd’hui, la Cour de justice, en détruisant méthodiquement les atouts de l’arbitrage, impose de se poser de nouveau la question.

B. Arbitrage d’investissement et droit de l’Union européenne

La présente chronique est (trop) riche en décisions de la Cour de justice. Néanmoins, l’avis du 16 juin 2022 sur le projet de modernisation du Traité sur la charte de l’énergie (CJUE 16 juin 2022, avis n° 1/20) ne suscite pas des réactions aussi épidermiques que l’affaire London Steam-Ship. Dans le cadre des négociations de modernisation du TCE, le Royaume de Belgique a saisi pour avis la Cour de justice à propos de l’article 26 (3) portant sur l’arbitrage. Ces négociations ont donné lieu, le 27 novembre 2018, à l’adoption d’une liste de domaines ouverts à la négociation. Cette liste, longue d’une vingtaine de points, ne comprend par l’arbitrage. Depuis, les discussions en vue de la modernisation du TCE vont bon train et l’Union européenne y participe activement. Toutefois, l’Union a tenté, sans succès, d’ajouter à la liste des négociations la question du règlement des différends. C’est la raison pour laquelle la Cour de justice a été saisie pour avis. La crainte formulée par le Royaume de Belgique est que l’article 26 du TCE demeure inchangé et, en conséquence, que les solutions imposées par la jurisprudence Achmea ne soient pas reprises. Pire, certains pourraient interpréter ce statu quo comme une ratification implicite du recours à l’arbitrage. Il est d’ailleurs remarquable de constater que la Commission et la quinzaine des États membres – à l’exception notable de la Hongrie – ayant participé à la procédure devant la CJUE soutiennent à l’unisson la démarche de la Belgique. On ne boudera pas notre plaisir de voir la Commission et les États membres confrontés à leurs paradoxes. Alors qu’un retrait du TCE est la seule conséquence cohérente à tirer de la jurisprudence de la Cour de justice, cette solution a finalement été écartée. Dès lors, l’Union se retrouve en difficulté dans une négociation où les États tiers pourraient lui faire payer cher une évolution des textes sur ce point. C’est la raison pour laquelle la Cour de justice est appelée à la rescousse.

Ce renfort, la Commission et les États membres ne l’obtiendront pas. Alors qu’ils espéraient se trouver liés par un avis de la Cour, elle s’y refuse. La Cour estime que la demande d’avis porte sur la compatibilité de l’accord avec le droit de l’Union. Or, à ce stade des négociations, le contenu du texte est inconnu et le choix de ne pas faire porter la révision sur l’article 26 du TCE n’est pas encore définitif. L’avis est donc prématuré. La Cour ajoute, et cela ne manque pas de sel, que la demande d’avis a été formulée avant l’arrêt Komstroy. Dans l’esprit de la Cour, cette décision peut conduire les États tiers à ouvrir la négociation sur la clause de règlement des différends. Il n’est d’ailleurs pas faux de penser que ces États tiers pourraient être échaudés de voir la Cour de justice préempter l’interprétation d’un traité dans un litige extraeuropéen pour lequel les parties ont consenti à recourir à l’arbitrage.

On fera deux remarques supplémentaires sur cet avis. D’une part, la Cour de justice signale que, quand bien même les négociations ne portent pas sur l’article 26, elles portent sur des notions telles que l’« investissement » ou l’« investisseur ». Pour le coup, on peut suivre la Cour de justice dans l’idée qu’il n’est pas nécessaire de modifier l’article 26 pour aboutir au résultat désiré. Il est possible, par exemple, de restreindre les notions d’investisseur ou d’investissement afin d’en écarter les situations intraeuropéennes. Par cette voie, il est possible de faire échapper ces situations non seulement du champ de l’arbitrage, mais également du champ du TCE. Cette solution est cohérente avec l’idée, prônée depuis quelques années, selon laquelle le droit européen protège les investisseurs. D’autre part, la Cour de justice précise qu’aucune modification du TCE n’est en réalité nécessaire, dès lors que sa jurisprudence Komstroy est claire en rendant inapplicable l’article 26 aux investissements intraeuropéens. On aimerait lui donner tort et rappeler que le TCE est un acte de droit international, et non un acte de droit européen. Cela dit, la jurisprudence arbitrale commence à suivre la Cour de justice dans cette voie (Green Power K/S and Obton A/S v. Spain, SCC Case n° 2016/135). Faut-il y voir une capitulation ?

II. Arbitrage et convention européenne des droits de l’homme

Depuis plusieurs années, et face au mouvement d’hostilité de la Cour de justice, une partie de la doctrine préconise le recours à la Cour européenne pour faire contrepoids et rappeler les États à leurs obligations conventionnelles. L’arrêt BTS Holding contre Slovaquie (CEDH 30 juin 2022, n° 55617/17, l’arrêt n’est pas traduit en français) révèle que cette stratégie est possiblement la bonne et qu’il est désormais nécessaire de s’intéresser aux potentialités offertes par la Convention.

L’intérêt de l’arrêt ne concerne pas tant les faits, relativement anecdotiques, que les perspectives offertes par le contrôle réalisé par la Cour européenne des droits de l’homme et le fondement de la condamnation. En quelques mots, la société BTS Holding a été le soumissionnaire retenu pour l’achat d’une part majoritaire de l’aéroport de Bratislava dans le cadre de sa privatisation. Un contrat a été conclu avec le National Property Fund of Slovakia (NPF). Pourtant, l’opération a été annulée et la société requérante a obtenu le remboursement d’une partie du prix d’achat versé. Un litige est toutefois né et un tribunal arbitral, avec un siège à Paris, a été saisi conformément à la clause compromissoire figurant dans l’accord. Le NPF a été condamné à diverses sommes. L’exécution de la sentence a été réclamée en Slovaquie, mais les juridictions locales s’y sont opposées, pour des motifs variés, certains pouvant être rattachés à la convention de New York et d’autres non.

L’apport de l’arrêt de la Cour européenne est essentiel sur trois points. Premièrement, la Cour reconnaît la qualification de bien (« possession » dans la version anglaise de l’arrêt) à la créance figurant dans la sentence arbitrale. La solution n’est pas nouvelle. Elle a été consacrée à l’occasion de l’affaire Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce (CEDH 9 déc. 1994, n° 13427/87, AJDA 1995. 124, chron. J.-F. Flauss image ; RTD civ. 1995. 652, obs. F. Zenati image ; ibid. 1996. 1019, obs. J.-P. Marguénaud image). Elle est néanmoins fondamentale. En admettant une telle qualification, la Cour européenne fait bénéficier la sentence arbitrale de la protection de l’article 1er du 1er protocole additionnel à la Convention. Une condition préalable est toutefois nécessaire. Il faut que la créance soit suffisamment établie pour être exécutoire (« sufficiently established to be enforceable »). Or la spécificité des faits laisse persister une double ambiguïté sur ce point. D’une part, le droit slovaque ne distingue pas l’exequatur de l’exécution. Cette reconnaissance implicite et automatique de la sentence change-t-elle quelque chose (« there was no separate decision to be taken for the recognition of the award in Slovakia and, by operation of law, its legal recognition in Slovakia was implicit ») ? Autrement dit, l’acquisition de la qualité de bien n’est-elle que postérieure à l’exequatur ? D’autre part, cette qualification dépend-elle de l’échec ou de l’absence d’exercice d’un recours en annulation ? Autrement dit, la sentence est-elle un bien avant le recours en annulation ? La réponse à ces deux questions est essentielle, puisqu’elle conduit à appliquer ou à ne pas appliquer les exigences de la convention à l’occasion des recours contre la sentence. Plus la qualification de bien est acquise en amont – au moment où la sentence est rendue par le tribunal – plus la protection est forte. L’arrêt BTS Holding ne permet pas d’apporter une réponse très précise, comme avant l’arrêt Raffineries grecques. Simplement, certains critères soulignés par la cour – le caractère définitif et obligatoire de la sentence, l’autorité de la chose jugée de la sentence, la référence à la Convention de New York – plaident en faveur d’une qualification de bien en amont de l’exequatur.

Deuxièmement, et c’est la conséquence logique, la Cour examine la conformité des décisions slovaques aux exigences de l’article 1er du protocole additionnel. La question est de savoir si un refus d’exécution d’une sentence par un État constitue une ingérence dans le droit au respect des biens. Pour le vérifier, la Cour examine successivement les cinq motifs retenus par les juridictions internes pour refuser l’exécution de la sentence. Certains aspects de la motivation de la Cour sont marquants. Ainsi, pour ce qui relève de la compétence et afin de constater le caractère arbitraire du refus d’exécuter la sentence, la Cour européenne des droits de l’homme vise l’indépendance de la clause compromissoire par rapport au contrat principal (« under the applicable domestic law a recission of a contract as such has no impact on the validity of an arbitration clause ») et constate l’absence de contestation de la compétence devant le tribunal arbitral (« the Court notes that under the ICC Tribunal’s terms of reference the parties submitted their dispute to the ICC Tribunal and that neither of them objected to its jurisdiction in the course of the arbitration proceedings »). Toutefois, c’est la conclusion qui est la plus marquante. La cour retient que les motifs utilisés pour refuser l’exécution sortent du cadre juridique fixé par le droit interne et la Convention de New York (« it would appear that the grounds relied on by the domestic courts were not given and/or fell outside the legal framework for denying enforcement of a foreign arbitration award allowed by the provisions of the domestic law and the New York Convention »). Elle insiste sur le caractère disproportionné de ce refus (« even assuming that denying enforcement of the award on these grounds served a general interest, it has not been shown that it was proportionate to that aim »). Elle termine en soulignant qu’il n’a pas été tenu compte des droits fondamentaux du requérant (« the domestic courts took no account of the requirements of the protection of the applicant company’s fundamental rights and the need for a fair balance to be struck between them and the general interest of the community rights »).

Deux éléments sont essentiels dans cette analyse. D’une part, la Cour européenne des droits de l’homme contrôle la motivation du juge étatique. Que le motif retenu se rattache à la Convention de New York (comme c’est le cas pour la compétence) ou pas, la Cour n’hésite pas à substituer son appréciation à celle de la juridiction nationale. D’autre part, la Cour contrôle la proportionnalité de l’atteinte, quand bien même elle est fondée sur un motif d’intérêt général. En cela, l’arrêt offre des perspectives intéressantes pour discuter les obstacles à l’exécution d’une sentence arbitrale, en particulier ceux résultant de l’arrêt Achmea (mais aussi Micula). Cette jurisprudence Achmea présente, a minima, une double difficulté. Elle conduit à un anéantissement rétroactif de la faculté de recourir à l’arbitrage, indépendamment du consentement des parties et même de leur absence d’objection. Elle fait prévaloir l’intérêt général unioniste sans aucune préoccupation pour le caractère proportionné de la solution.

Troisièmement, il faut signaler que les perspectives de réparation sont encore incertaines, mais pourraient être favorables. Contrairement à l’affaire Lucas (v. infra), et probablement car l’État condamné est le débiteur de la sentence, la cour envisage une réparation équivalente à celle fixée par les arbitres. Après avoir constaté l’absence de révision possible des décisions slovaques, la Cour décide d’ouvrir à nouveau le débat pour permettre aux parties de discuter du montant de l’indemnisation. Il faudra attendre une décision ultérieure pour en tirer tous les enseignements. Si toutefois l’État est condamné à payer le montant fixé par la sentence, la saisine de la Cour européenne ne sera pas une voie symbolique : elle permettra d’obtenir une réparation pécuniaire satisfaisante.

Ainsi, comme cela était déjà préconisé, la saisine de la CEDH est bien la voie à suivre pour les investisseurs privés de leur droit de recourir à l’arbitrage – voire de leur sentence – afin de forcer les États à respecter leurs engagements. Si de nombreuses zones d’ombres subsistent, notamment sur le moment où une sentence acquiert la qualité de bien, il n’en demeure pas moins que la perspective de voir les solutions européennes examinées par la Cour européenne est réelle. C’est alors que la bataille pour l’arbitrage aura lieu !

III. Le principe compétence-compétence

A. La qualité des parties à la clause

L’article 2061 du code civil, que ce soit dans sa version antérieure ou postérieure à la loi du 18 novembre 2016, conditionne, hier la validité, aujourd’hui l’opposabilité de la clause à l’exercice d’une activité professionnelle. La caractérisation de cette activité est donc déterminante à la mise en œuvre de la clause. Plus encore, même si la question n’a jamais été frontalement tranchée, cette qualification semble pouvoir être réalisée indépendamment du principe compétence-compétence. La Cour de cassation a déjà jugé à propos de retraités, alors que les juridictions étatiques étaient saisies en présence d’une clause compromissoire, que ceux-ci n’exerçaient « plus aucune activité professionnelle, la cour d’appel en a déduit, à bon droit, que les contrats n’ont pas été conclus en raison d’une activité professionnelle au sens de l’article 2061 du code civil, de sorte que la clause compromissoire était nulle et de nul effet » (Civ. 1re, 29 févr. 2012, n° 11-12.782, Dalloz actualité, 6 mars 2012, obs. X. Delpech ; D. 2012. 1312, obs. X. Delpech image, note A.-C. Rouaud image ; ibid. 2991, obs. T. Clay image ; Rev. arb. 2012. 359, note M. de Fontmichel ; JCP 2012. Act. 310, obs. J. Béguin ; JCP E 2012. 1314, note J. Monéger ; ibid. 2012. 1498, obs. J. Ortscheidt ; Procédures 2012, n° 4, p. 21, obs. L. Weiller ; LPA 2012, n° 102, p. 11, note V. Legrand ; ibid. n° 135, p. 7, note A.-S. Courdier-Cuisinier ; ibid. n° 187, p. 14, note E. Faivre).

Dans une affaire soumise à la cour d’appel de Fort-de-France (17 mai 2021, n° 21/00302), la question se pose cette fois à propos d’une société en formation. Un fonds de commerce a été cédé à une personne physique pour le compte d’une société en formation. La cour est saisie d’une action de la société ayant acquis le fonds contre le cédant. Comme dans l’arrêt de 2012, la cour d’appel fait abstraction du principe compétence-compétence. Elle juge que l’acquisition du fonds de commerce a pour objet la reprise de l’activité de courtier en assurance du cédant, ce qui permet de caractériser une activité professionnelle. La solution est logique. On peut difficilement faire plus topique comme contrat conclu à raison d’une activité professionnelle que l’acquisition d’un fonds de commerce. Néanmoins, on comprend mal pourquoi la discussion s’est focalisée sur l’article 2061 du code civil, alors que l’article L. 721-3 du code de commerce paraît plus adéquat.

Un arrêt de la cour d’appel de Rennes balaie aussi cette question (Rennes, 3 mai 2022, n° 21/06099). Le contrat contenant la clause compromissoire a été souscrit dans le cadre de l’ouverture d’une salle de remise en forme. La cour y voit le reflet de « l’exercice de son activité professionnelle de gérant de la société d’exploitation de cette salle ». De ce fait, elle écarte l’inopposabilité de la clause, après avoir procédé à la qualification nécessaire.

En revanche, un arrêt de la cour d’appel de Toulouse ne s’intéresse pas à la qualité de professionnel, mais à celle de salarié (Toulouse, 30 mai 2022, n° 20/03103). De celle-ci dépend, en matière interne, la compétence exclusive des juridictions prud’homales. C’est à une analyse minutieuse que se livre la cour d’appel pour écarter, en l’espèce, la qualité de salarié et renvoyer à l’arbitrage. Toutefois, la logique reste la même, à savoir l’indifférence au principe compétence-compétence lorsqu’il s’agit d’établir la qualité d’une partie.

En somme, ces trois décisions révèlent qu’en l’état actuel, la jurisprudence est indifférente au principe compétence-compétence à l’occasion de la qualification des parties. Si la solution n’est pas injustifiée, elle reste une entorse au principe qui mérite une décision claire de la part de la Cour de cassation.

B. La deuxième mise en œuvre de la clause compromissoire

Il est acquis que la clause compromissoire ne se périme pas par son usage. Pourtant, cette évidence ne l’est pas pour tout le monde. Une affaire TCM, soumise à la 5-16, ce qui n’est pas le plus fréquent à ce stade, le rappelle (Paris, 24 mai 2022, n° 21/21700). La cour commence par retenir un attendu que l’on trouve rarement en jurisprudence : « en présence d’une clause compromissoire et alors même que le tribunal arbitral n’est pas saisi, le juge étatique doit se déclarer incompétent à moins qu’un examen sommaire ne lui permette de constater la nullité ou l’inapplicabilité manifeste de la clause, priorité étant réservée à l’arbitre auquel il appartient de statuer sur sa propre compétence pour juger de la validité et de l’efficacité de la clause d’arbitrage » (v. néanmoins, Paris, 23 janv. 2014, n° 13/03806 ; Paris, 8 oct. 2013, n° 12/18722). Au soutien de la compétence des juridictions étatiques, le demandeur considère que les arbitres ont vidé leur saisine par la première sentence et qu’ils ont exclu leur compétence pour connaître des prétentions. Le moyen est sèchement rejeté. La cour constate que « le tribunal ne s’est pas prononcé sur la validité de ces obligations et n’a pas jugé qu’il était ou non compétent ». Partant, il s’agit de questions nouvelles, pour lesquelles il faut vérifier la nécessité de mettre en œuvre la clause compromissoire. Pour ce faire, la cour identifie un lien entre l’action et la clause. Elle conclut en soulignant que « par l’effet lié à la force obligatoire d’une clause compromissoire qui interdit au juge étatique de se prononcer sur sa compétence avant ce dernier ». La solution est logique.

On signalera une curiosité à propos de cette affaire. Au moment de la saisine des juridictions étatiques, le tribunal arbitral est encore constitué. En toute logique, il appartient au juge étatique de faire droit à l’exception d’incompétence, sans même examiner la question de l’inapplicabilité ou la nullité manifeste. En revanche, en appel, la sentence est rendue. Quid de la mise en œuvre de l’article 1448 du code de procédure civile ? La cour ne s’y intéresse pas. Il y a pourtant un vrai sujet en matière d’application temporelle du principe compétence-compétence, en fonction des dates de saisine des juridictions et des dates auxquelles les décisions sont rendues. En tout état de cause, le praticien doit être vigilant sur ces questions.

C. Les clauses pathologiques

Les clauses pathologiques sont fréquentes dans les contrats. Une affaire en offre une belle illustration, ce qui permet au demandeur devant les juridictions étatiques de contester la clause tous azimuts (Rennes, 3 mai 2022, n° 21/06099). La clause mérite d’être reproduite : « Différends – Médiation – Clause attributive de compétence – Contenu du contrat. Droit applicable – Attribution de juridiction : […] 20.2 – Tous les litiges auxquels la présente convention pourrait donner lieu, ou tout différend né entre les parties de son interprétation concernant notamment sa validité, son interprétation, son exécution ou sa résiliation seront soumis à une procédure d’arbitrage conformément au Règlement de conciliation et d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale. Elles s’engagent dans les sept jours de la nomination du médiateur à adresser à celui-ci tous les documents et pièces utiles à son travail en en adressant copie à la partie adverse. Dans le cas contraire sera, à défaut de solution amiable, soumis par la partie la plus diligente, au tribunal de grande instance ou de commerce de Rennes, selon la nature du différend ». Cette clause est un cas classique de confusion entre la médiation et l’arbitrage, avec une faculté subsidiaire de recourir à la justice étatique, ce qui accroît l’incertitude. Toutefois, l’article 1448 du code de procédure civile impose, en présence d’un tel doute, de renvoyer aux arbitres. C’est ce que juge la cour d’appel de Rennes, qui estime que « l’obligation de recourir à l’arbitrage […] n’en est pas moins expressément prévue, dès lors seulement que toute solution négociée a échoué ». Par ailleurs, le requérant conteste le champ d’application matériel de la clause, estimant les litiges relatifs à la conclusion ou à la validité du contrat sont exclus. Pour le coup, c’est une critique qui peut difficilement être adressée à la clause, ce que souligne la cour, qui relève « la très grande généralité des termes employés » pour écarter l’inapplicabilité manifeste de la clause et rappeler que cette question appartient au tribunal arbitral. Enfin, la partie conteste la validité de la clause, sur le fondement de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, de l’égalité des armes, de l’article 1170 du code civil et enfin sur celui du déséquilibre significatif. La cour écarte l’ensemble des griefs, en notant en particulier qu’« à supposer même que les conventions litigieuses instaurent un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, ce déséquilibre serait sans effet sur la validité des clauses compromissoires elles-mêmes », clauses qui « ne renferment en elles-mêmes aucun déséquilibre ». Enfin, à propos des difficultés financières du requérant, la cour conclut en soulignant que « la nullité manifeste d’une clause compromissoire, au sens de l’article 1448 du code civil, ne saurait être déduite de l’impossibilité alléguée par les appelants de faire face au coût de la procédure d’arbitrage, étant en effet observé que la validité d’une clause contractuelle, quelle qu’en soit la nature, doit toujours être appréciée au jour où elle est souscrite, et non au regard de circonstances postérieures ».

D. L’arbitrage d’un litige entre avocats

L’arbitrage du bâtonnier est sans doute une anomalie. L’article 21 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, crée selon certains auteurs un « arbitrage contre nature » du fait de son caractère forcé (T. Clay, obs. ss décr. n° 2011-1985, 28 déc. 2011, D. 2012. Pan. 2991 image, spéc. p. 2992). L’alinéa 3 de cet article énonce que « tout différend entre avocats à l’occasion de leur exercice professionnel est, en l’absence de conciliation, soumis à l’arbitrage du bâtonnier qui, le cas échéant, procède à la désignation d’un expert pour l’évaluation des parts sociales ou actions de sociétés d’avocats ».

Néanmoins, en parallèle de ce faux arbitrage, il est possible qu’un véritable arbitrage, fondé sur une clause compromissoire, existe. C’est une telle hypothèse qui a donné lieu à un jugement d’incompétence du tribunal judiciaire de Paris (TJ Paris, 12 mai 2022, n° 20/02767). Dans cette affaire, plusieurs cabinets d’avocats internationaux se sont réunis dans un groupe. La convention de correspondance organique de ce groupe contient une clause compromissoire stipulant que « tout litige pouvant survenir au sujet de l’interprétation ou de l’exécution des présentes sera tranché en dernier ressort par l’arbitre désigné d’un commun accord par monsieur le bâtonnier du barreau de Paris et monsieur le bâtonnier du barreau de New York ». Ainsi, c’est bien d’un véritable arbitrage dont il s’agit, lequel emporte application du régime approprié. En conséquence, le tribunal renvoie à mieux se pourvoir le requérant, ancien avocat de l’un des cabinets du groupe, agissant contre le groupe. Il juge que « les effets de cette clause compromissoire s’étendent à l’ensemble des parties directement impliquées dans cette relation d’affaires et dans les litiges qui peuvent en résulter, bien qu’elles ne soient pas signataires du contrat qui la stipule ».

IV. Les mesures d’instruction préalables à la saisine de l’arbitre

L’article 1449, alinéa 1er, du code de procédure civile énonce que « l’existence d’une convention d’arbitrage ne fait pas obstacle, tant que le tribunal arbitral n’est pas constitué, à ce qu’une partie saisisse une juridiction de l’État aux fins d’obtenir une mesure d’instruction ou une mesure provisoire ou conservatoire ». On pense à celles réalisées avant tout litige, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile. Il n’est pas rare que le juge étatique soit saisi d’une telle demande. Néanmoins, pour être admise, la mesure doit avoir pour objet la conservation ou l’établissement de la preuve de faits. C’est ce que rappelle la cour d’appel de Rennes (10 mai 2022, n° 21/05443) pour rejeter la demande formée par une partie. Elle juge que « s’agissant de l’examen des prestations qu’elle a réalisées, et notamment des études qu’elle a rédigées, de sa bonne conduite du projet, de sa bonne coordination des différentes missions et de son engagement humain, matériel et financier, la société WTA n’explicite pas quelles preuves doivent être établies ou conservées, s’agissant d’éléments qu’elle détient nécessairement. Elle entend en fait que l’expert se livre à un recollement de ses propres pièces d’exécution, qu’elle devrait être capable de justifier elle-même devant le tribunal arbitral, en en demandant une “évaluation” au regard de dispositions contractuelles sur la valeur et la nature desquelles il est apparu que les parties ne s’accordent pas ». Ainsi, il ne peut être demandé au juge étatique d’ordonner des mesures qui ont vocation à empiéter sur le débat qui doit être mené devant le tribunal arbitral.

V. Les recours contre la sentence

A. Aspects procéduraux des voies de recours

1. L’utilisation de la voie électronique

Il y a quelques années, la Cour de cassation a rappelé que l’utilisation de la voie électronique s’impose en matière de recours contre les sentences arbitrales (Civ. 2e, 26 sept. 2019, n° 18-14.708, Dalloz actualité, 2 oct. 2019, obs. C. Bléry ; ibid., 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 1891 image ; ibid. 2435, obs. T. Clay image ; JCP 2019. 2072, note L. Weiller ; Gaz. Pal. 2019, n° 40, p. 25, obs. D. Bensaude ; Procédures 2019, n° 12, p. 23, obs. L. Weiller ; JCP E 2019, n° 50, p. 45, note P. Casson). Cette décision, qui a attiré l’attention en dehors de la communauté des arbitragistes, met toutefois en lumière une double difficulté : d’une part, le rôle des protocoles de procédure, de nature à induire en erreur le justiciable ; d’autre part, l’inadéquation de l’outil informatique, qui nécessite d’être « forcé » en présence d’un recours non prévu par le système.

C’est cette affaire qui est soumise à la Cour européenne des droits de l’homme et qui donne lieu à un arrêt de condamnation de la France (CEDH 9 juin 2022, Lucas c. France, n° 15567/20, préc.). Si la cour juge que l’obligation de recourir à la voie électronique est prévisible, notamment par la généralité des textes applicables, elle est plus critique sur les moyens à mettre en œuvre. Elle constate que « la remise par voie électronique de son recours en annulation sur ebarreau supposait que l’avocat du requérant complète un formulaire en utilisant des notions juridiques impropres » (§ 54). Elle ajoute qu’aucune « information précise relative aux modalités d’introduction du recours litigieux [ne] se trouvait à la disposition des utilisateurs » (§ 55) et qu’en conséquence, « le conseil du requérant n’a pas agi avec une particulière imprudence » (§ 56). Ces éléments justifient la condamnation de la France. La Cour européenne juge que « dans les circonstances de l’espèce, que les conséquences concrètes qui s’attachent au raisonnement ainsi tenu apparaissent particulièrement rigoureuses. En faisant prévaloir le principe de l’obligation de communiquer par voie électronique pour saisir la cour d’appel sans prendre en compte les obstacles pratiques auxquels s’était heurté le requérant pour la respecter, la Cour de cassation a fait preuve d’un formalisme que la garantie de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice n’imposait pas et qui doit, dès lors, être regardé comme excessif » (§ 57).

En droit de l’arbitrage, il n’y a pas grand-chose à tirer de cette affaire, puisque, quand bien même les plateformes n’ont pas, à notre connaissance, été modifiées depuis cette date, l’arrêt du 26 septembre 2019 rend la solution prévisible. On peut toutefois faire deux remarques. D’une part, on voit que l’intervention de la Cour européenne des droits de l’homme ne concerne pas seulement les aspects substantiels (comme dans l’affaire BTS Holding [v. supra]), mais aussi les questions procédurales. D’autre part, la saisine de la CEDH pose un dilemme, révélé par cette affaire. La cour d’appel de Douai a annulé la sentence, avant que son arrêt soit cassé sans renvoi par la Cour de cassation. Devant la CEDH, le requérant sollicite une condamnation de l’État à la somme correspondant au montant figurant dans la sentence (autour de trois millions d’euros) qui aurait dû être annulée. Assez logiquement, la Cour européenne s’y refuse, et limite la réparation à 3 000 €, après avoir également rejeté le remboursement des frais de défense. D’abord, d’un point de vue financier, l’opération est négative pour le requérant. Ensuite, d’un point de vue juridique, la condamnation de la France pourrait n’être que symbolique, dès lors qu’aucune voie de révision n’est ouverte en matière civile, en dehors de l’état des personnes (COJ, art. L. 452-1). Enfin, et surtout, le succès devant la Cour européenne pourrait avoir pour effet paradoxal de priver le justiciable de son action en responsabilité contre son conseil. On voit mal comment ce dernier pourrait être désormais condamné, étant donné que la Cour écrit que « le conseil du requérant n’a pas agi avec une particulière imprudence ». En somme, ce succès devant la CEDH a un goût amer pour le justiciable, qui est toujours lié par la sentence, mais perd sa meilleure piste d’indemnisation. Il est donc impératif, avant d’envisager une saisine de la Cour européenne, d’en examiner l’apport. Et pourquoi pas de privilégier, en amont, une demande d’avis à la Cour, comme le permet le protocole n° 16 de la Convention.

2. La rédaction de la déclaration d’appel

L’utilisation de la voie électronique n’est pas le seul piège susceptible de se trouver sur le chemin des parties dans le cadre d’un recours. L’article 901, 4°, du code de procédure civile, qui impose à l’appelant de critiquer les chefs de jugement dans sa déclaration d’appel, soulève également des difficultés. En réalité, la question ne se pose pas dans un recours en annulation. En revanche, elle existe dans le cadre de l’appel de l’ordonnance d’exequatur. L’appelant doit critiquer l’ordonnance d’exequatur s’il veut que son recours emporte effet dévolutif. C’est sur ce point que l’arrêt Vergnet (Paris, 28 juin 2022, n° 21/03765) apporte des précisions. Pour trancher la question, la cour distingue, au sein de l’ordonnance d’exequatur, faute de dispositif, ce qui relève des motifs (l’absence de contrariété à l’ordre public) et ce qui relève de la décision (la force exécutoire apposée sur la sentence). Or, à partir du moment où la force exécutoire constitue le seul « chef de jugement », c’est celui qui doit être critiqué par l’appelant. C’est cet élément qu’il convient de citer et critiquer dans la déclaration d’appel, afin que l’elle emporte effet dévolutif.

3. La présentation des conclusions

L’article 954 du code de procédure civile pose des règles précises en matière de rédaction des conclusions. Ces exigences ne sont pas dépourvues de sanction, notamment en ce que l’alinéa 3 précise que « la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion ». La première partie de cet alinéa fait déjà l’objet d’une jurisprudence abondante, la 5-16 ayant pris l’habitude de faire le ménage dans les prétentions, en particulier les irrecevabilités, non reproduites (Paris, 5 avr. 2022, Alltech Metal, n° 20/13582 ; 22 mars 2022, n° 19/09863, Saab ; 1er mars 2022, n° 20/13575, Legrand, Dalloz actualité, 20 mai 2022, obs. J. Joudran-Marques, LexisPSL, 11 avr. 2022, obs. B. Rigaudeau). En revanche, la question des moyens devant figurer dans la discussion est moins fréquente. C’est pourtant cette difficulté qui est soumise à la cour à l’occasion d’un déféré (Paris, 10 mai 2022, n° 20/18330, Douala International Terminal). Il est reproché aux conclusions du requérant de ne pas contenir une partie « discussion » distincte de l’exposé des faits et de la procédure. La cour rejette l’incident. Elle constate que, malgré l’absence de partie « discussion » et un éclatement de l’argumentation au sein de plusieurs parties, que « les motifs du recours sont bien discutés sur le fond dans les conclusions litigieuses ». Ce point écarte une lecture trop formaliste du texte, qui exige d’intituler les développements avec le terme « discussion ». Surtout, la cour précise qu’aucune caducité n’est prévue par la combinaison des articles 908 et 954 du code de procédure civile. À ce titre, on peut se demander si la sanction idoine n’est pas, comme en matière de prétentions, un défaut de saisine.

4. Les auditions devant la cour

L’article 5.5 du protocole relatif à la procédure devant la chambre internationale de la cour d’appel de Paris du 7 février 2018 prévoit la possibilité d’auditionner des techniciens (notamment sur des points de droit). Il y a quelques mois, une telle audition a eu lieu pour un seul technicien. Dans l’affaire Aersud (Paris, 21 juin 2022, n° 21/00473), ce sont deux techniciens – un par partie – qui ont été auditionnés, après avoir produit une consultation écrite. Cette démarche révèle la volonté de la cour d’appel de Paris de favoriser l’oralité et de laisser une place réelle au débat. D’un point de vue pratique, cette audition conduit – même si rien n’est figé – à une présentation de sa position par chaque technicien puis à un échange avec la cour, ponctué par des questions des parties. Si le cadre n’est pas identique à celui utilisé en arbitrage, la volonté de rapprochement est évidente.

5. Le choix de l’appel en arbitrage interne

Le décret du 13 janvier 2011 a inversé le principe et l’exception en matière de voies de recours contre les sentences internes. Avant ce décret, l’appel était prévu, sous réserve d’une stipulation contraire des parties. Désormais, l’appel est exclu, sauf volonté contraire (C. pr. civ., art. 1489). La question est de savoir comme doit être exprimée cette volonté contraire des parties. Dans un arrêt Rurban Coop, la cour d’appel de Paris (14 juin 2022, n° 20/16019) estime implicitement que la mention « les sentences arbitrales sont exécutoires, sauf appel devant les juridictions compétentes » suffit à établir le choix de se ménager la voie de l’appel. Une autre analyse conduit à considérer que la stipulation ne porte que sur le caractère exécutoire de la sentence, dont le caractère immédiat dépend de l’exercice d’une voie de recours. Cette solution révèle une interprétation très compréhensive de la volonté des parties de se ménager la voie de l’appel.

6. L’articulation entre la sentence et l’arrêt d’appel

Dès lors que les parties ont choisi la voie de l’appel contre une sentence interne, la question de l’articulation entre les deux décisions peut se poser. Dans une affaire soumise à la cour d’appel de Rouen (25 mai 2022, n° 19/03457), les arbitres réclament le paiement de leurs honoraires. La question qui se pose est celle de la répartition de ceux-ci entre les parties. La sentence a procédé à une répartition deux tiers et un tiers des frais d’arbitrage. En appel contre la sentence, la cour a « dans son dispositif rejeté toute autre demande et condamné la société Novellus aux dépens, en ce compris les frais d’expertise ». La cour saisie de la demande des arbitres estime que son homologue saisie de l’appel contre la sentence n’a pas tranché la demande de modification de répartition des frais d’arbitrage. En conséquence, c’est la répartition prévue par la sentence qui perdure, malgré l’exercice d’un appel. Cette solution est cohérente avec l’idée que l’appel contre une sentence est une voie de réformation. Elle est toutefois moins intuitive qu’en matière judiciaire et rend l’articulation entre la sentence et l’arrêt d’appel peu évidente.

B. Aspects substantiels des voies de recours

1. La compétence

a. La recevabilité des moyens nouveaux

L’affaire Schooner, qui a fait tant de bruit (Civ. 1re, 2 déc. 2020, n° 19-15.396, Schooner, Dalloz actualité, 24 déc. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2456 ; ibid. 2021. 1832, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux ; ibid. 2272, obs. T. Clay ; Procédures 2021, n° 2, p. 24, obs. L. Weiller ; Rev. arb. 2021. 419, note P. Duprey et M. Le Duc) et dont la solution fait tant de mal, est de retour devant la cour d’appel (Paris, 31 mai 2022, n° 21/01497). Sans doute pour la gloire, l’argument relatif à l’irrecevabilité des moyens est maintenu par le défendeur. La réponse ne faisait aucun doute, non seulement à cause de la solution de la Cour de cassation dans la présente espèce, mais encore par la reprise immédiate de cette jurisprudence par la cour d’appel (Paris, 26 janv. 2021, n° 19/10666, Vidatel, Dalloz actualité, 22 févr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; JCP 2021. Doctr. 696, obs. P. Giraud ; Paris, 16 févr. 2021, n° 18/16695, Grenwich, Dalloz actualité, 30 avr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques). En toute logique, la cour s’en tient donc à cette solution et se limite à une reprise de la solution énoncée par la Cour de cassation. Elle juge que, « lorsque la compétence a été débattue devant les arbitres, les parties ne sont pas privées du droit d’invoquer sur cette question, devant le juge de l’annulation, de nouveaux moyens et arguments et à faire état, à cet effet, de nouveaux éléments de preuve ».

Ce qui est intéressant dans l’affaire Schooner – et qui n’a sans doute pas été assez souligné – c’est que le moyen nouveau ne vise pas à contester la compétence, mais à fonder positivement la compétence. Pourtant, il est vrai qu’intuitivement, on s’attend plutôt à ce que cette solution soit utilisée par une partie déçue de la compétence arbitrale plutôt que l’inverse. À ce titre, la jurisprudence Schooner n’a pas de religion : elle peut être utilisée au profit du demandeur ou du défendeur à l’arbitrage. Une des questions qu’il faudra se poser dans un avenir proche est relative à la faculté pour une partie de se prévaloir d’une convention d’arbitrage différente au soutien de son recours. Imaginons une sentence d’incompétence ou une sentence de compétence contestée. Dans un cas comme dans l’autre, la partie au recours peut-elle se fonder sur une convention figurant dans un autre contrat ou dans un autre traité pour soutenir la compétence arbitrale ? La logique de la jurisprudence Schooner voudrait que la réponse soit positive. La difficulté réside toutefois dans la divergence de rédaction de ces clauses, qui peut avoir un impact réel sur l’arbitrage. Il ne nous semble pas pour autant qu’il faille abandonner d’emblée cette voie. La restriction progressive du champ de la compétence au profit de la recevabilité (v. infra) contribue à rendre cette analyse viable et peut offrir d’intéressantes perspectives aux plaideurs.

b. La distinction entre compétence et recevabilité

La distinction entre compétence et recevabilité n’est pas évidente à réaliser. Elle est rendue d’autant plus difficile qu’elle est confrontée à une forme d’inadéquation entre les notions employées en matière de procédure civile classique et celles utilisées en arbitrage. À cela, il faut ajouter la problématique du droit comparé, qui peut entraîner une appréciation distincte de la question. Par ailleurs, la difficulté touche aussi bien l’arbitrage commercial que l’arbitrage d’investissements. C’est à ces questions que les arrêts Rusoro (Paris, 7 juin 2022, n° 21/10427) et Aktor (Paris, 31 mai 2022, n° 20/17978) s’intéressent.

Dans un cas comme dans l’autre, on voit apparaître une formule identique. La cour estime que « le juge de l’annulation n’a pas à s’arrêter aux dénominations et qualifications retenues par les arbitres ou proposées par les parties ». Si la formule est connue et a été utilisée en matière de qualification des sentences arbitrales, elle est plutôt originale dans un tel cas de figure. Il semble qu’elle soit utilisée par la cour pour s’extraire du débat imposé par les parties et suivre sa propre démonstration.

Surtout, les deux arrêts révèlent une volonté de restreindre la notion de compétence au profit de celle de recevabilité. En matière d’arbitrage commercial, la question se pose à travers les éventuelles imperfections ou restrictions prévues par la clause. En matière d’arbitrage d’investissement, ce sont les stipulations du traité qui sont à l’origine des discussions.

En matière commerciale, il n’est pas rare que les clauses soient rédigées de manière plus ou moins restrictive. C’est le cas des clauses types figurant dans les contrats FIDIC, qui prévoient le recours à un dispute adjudication board (DAB), lequel pour donner lieu ensuite à un arbitrage. Plus précisément, deux types de procédures sont prévues par ces clauses. La première est celle de la contestation de la décision du DAB, qui peut donner lieu à un arbitrage. La seconde est celle de l’inexécution de la décision du DAB, qui là aussi peut donner lieu à un arbitrage. Le problème réside dans une rédaction divergente entre les deux hypothèses, qui font l’objet de deux clauses différentes. Dès lors, il s’agit de savoir si les pouvoirs du tribunal arbitral en ressortent affectés. C’est la problématique à laquelle la cour est confrontée dans l’affaire Aktor. Le tribunal arbitral est saisi car une partie ne s’est pas conformée à la décision du DAB. Devant l’arbitre, des demandes complémentaires, relatives à de la TVA, ont été présentées. À l’occasion du recours, le requérant conteste la faculté pour le tribunal arbitral d’examiner ces prétentions qui n’ont pas été soumises au DAB. La rédaction restrictive de la convention d’arbitrage fonde cette argumentation, en particulier à travers une comparaison avec l’hypothèse d’une contestation de la décision du DAB.

La cour d’appel refuse d’entrer dans cette discussion. Elle juge « la circonstance selon laquelle le tribunal arbitral aurait à tort ajouté à la condamnation prononcée par les comités amiables le montant de la TVA qui lui avait été demandé dans le cadre de la requête d’arbitrage, ne constitue pas un moyen relevant de la compétence de ce tribunal pour trancher le manquement de l’ARA à se conformer aux décisions rendues par ces comités amiables. En effet, les parties ont accepté de soumettre à l’arbitrage leurs différends liés aux contrats nos 1 et 3 auxquels se rattachaient les réclamations formées par la société JV Copri. Cet argument revient à contester la recevabilité d’une telle demande devant le tribunal arbitral alors qu’elle n’avait pas été soumise de manière expresse et préalablement aux comités amiables ». Cette réponse, qui conduit à placer l’argumentation sur le terrain de la recevabilité plutôt que celui de la compétence, est assez remarquable. Elle s’inscrit dans un rétrécissement progressif de la notion de compétence (au sens de C. pr. civ., art. 1520, 1°) au profit d’un élargissement de celle de recevabilité.

En matière d’investissement, l’arrêt Rusoro adopte une démarche similaire. Certes, dans un premier temps, la cour énonce que, « lorsque la convention d’arbitrage résulte d’un traité bilatéral d’investissements, la compétence du tribunal arbitral et l’existence de son pouvoir de juger dépendent du traité qui l’investit de sorte que le tribunal arbitral ne peut connaître d’un litige que s’il entre dans le champ d’application du traité et qu’il est satisfait à l’ensemble de ses conditions d’application temporelle, personnelle et matérielle ayant trait à l’existence de ce pouvoir ». Cette formule donne le sentiment d’une approche distincte, avec une appréciation plus large de la compétence. Toutefois, la cour nuance le propos, en ajoutant que, « sauf stipulation expresse, ces conditions ne peuvent conduire à priver le tribunal arbitral, ainsi investi, de l’exercice de son pouvoir de juger et notamment faire dépendre la compétence du tribunal de la recevabilité des demandes portées devant lui ».

Une telle approche, si elle est influencée par la solution de la Cour de cassation rendue dans la même affaire (Civ. 1re, 31 mars 2021, n° 19-11.551, Dalloz actualité, 30 avr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2021. 704 image ; ibid. 2272, obs. T. Clay image ; JCP 2021. 1214, obs. P. Giraud) se retrouve de façon très remarquable dans d’autres affaires, en particulier les arrêts Cengiz (Paris, 25 mai 2021, n° 18/27648, Dalloz actualité, 18 juin 2021, obs. J. Jourdan-Marques) et Aboukhalil (Paris, 12 oct. 2021, n° 19/21625, Dalloz actualité, 19 nov. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2021. 2272, obs. T. Clay image). Au fur et à mesure, la jurisprudence réalise un tri entre ce qui relève de la compétence et ce qui n’en relève pas. Dans l’arrêt Rusoro, comme on pouvait s’y attendre, la cour juge à propos d’une stipulation du traité relative au délai pour introduire la demande que « cette condition de délai, qui s’apparente à un délai de prescription, ne conditionne pas l’aptitude du tribunal arbitral à connaître du litige et donc sa compétence, mais seulement la recevabilité devant ce tribunal, régulièrement investi, de certaines demandes ».

Ce phénomène mérite de faire l’objet d’une réflexion approfondie. Il est délicat d’en avoir une appréciation tranchée à ce stade. D’un côté, cette restriction de la notion de compétence conduit le juge à s’assurer de l’essentiel – une volonté des parties de recourir à l’arbitrage – et de laisser ensuite aux arbitres le soin d’examiner ce qui doit être tranché. Partant, le juge limite son immixtion dans le travail des arbitres, ce qui n’est pas une mauvaise chose. D’un autre côté, on peine à expliquer comment le choix des parties de limiter les pouvoirs des arbitres à certaines questions peut être exclu du champ de la compétence, voire (surtout ?) du champ de la mission. En tout état de cause, c’est une piste sérieuse à creuser dans le cadre d’un recours pour faire échec à une argumentation sur la compétence.

c. La validité de la clause

Le contrôle de la compétence est toujours réalisé à l’aune de ses règles matérielles. Quelle que soit la nature du grief invoqué contre la clause – validité, efficacité, existence, licéité –, la règle reste inchangée. En revanche, la cour n’hésite pas à adapter sa formulation en fonction de l’angle sous lequel la clause est contestée. Ainsi, dans un arrêt Aktor (Paris, 31 mai 2022, n° 20/17978, préc.), la cour use d’une formule à la fois originale et tout droit transposée de Dalico pour répondre à une objection relative à la validité de la clause : « si devant le juge de l’annulation la nullité de la clause d’arbitrage peut être alléguée, le contrôle de la validité de la clause est effectué par le juge, sous réserve des règles impératives du droit français et de l’ordre public international au regard de la seule volonté commune des parties, sans qu’il soit besoin de se référer à une loi étatique ».

En l’espèce, la question est de déterminer la compétence du tribunal arbitral en présence de deux clauses compromissoires successives, où la validité de la seconde est discutée. Avant de s’attacher aux différences entre les clauses, la cour remarque qu’« il se déduit de ces deux contrats une volonté commune des parties de soumettre leurs différends à un tribunal arbitral ». Elle ajoute ensuite que les discussions autour de la seconde clause compromissoire « n’ont apporté que des modifications d’ordre technique, voire purement formelles, au processus de résolution du litige préalablement à la saisine du tribunal arbitral, sans remettre nullement en question le recours à l’arbitrage et le consentement des parties à l’arbitrage ». Elle en conclut que « la volonté commune des parties de soumettre leur différend à l’arbitrage, incontestée au terme des contrats initiaux de 2012, n’a pas été modifiée du fait de la conclusion de ces avenants, quand bien même ils auraient été signés dans des conditions irrégulières au regard de la loi albanaise et des pouvoirs du directeur du PMU, points dont l’ARA n’est pas fondée à se prévaloir pour remettre en cause son consentement à l’arbitrage ». La solution est logique. En présence de deux clauses compromissoires successives, il serait paradoxal de remettre en cause le recours à l’arbitrage motif pris de l’incomplétude du processus de conclusion de la seconde. En outre, dès lors que ces difficultés résultent d’exigences d’une loi étrangère, le recours à la règle matérielle justifie d’y être indifférent.

En réalité, la principale difficulté en présence de deux conventions d’arbitrage successives réside dans la détermination des règles applicables à la procédure. En effet, si les parties font le choix d’une modification de la clause, c’est pour en faire évoluer certains éléments (en changeant la procédure, le siège, la langue, etc.). Or les arbitres sont tenus de respecter la volonté des parties, sous peine de voir leur sentence annulée. En conséquence, le risque est que les arbitres et le juge de l’annulation n’adoptent pas la même approche et ne s’appuient pas sur la même clause pour déterminer les règles applicables. Dans une telle hypothèse, le juge de l’annulation, saisi en second, est susceptible d’annuler la sentence s’il est en désaccord avec l’analyse retenue par les arbitres.

d. La clause de la nation la plus favorisée

La question de la clause de la nation la plus favorisée continue à faire l’objet d’incertitudes en jurisprudence française. L’affaire Schooner apporte une nouvelle pierre à l’édifice (Paris, 31 mai 2022, n° 21/01497), sans permettre de dégager une ligne claire en la matière. Dans un premier temps, la cour d’appel de Paris a jugé que la clause de la nation la plus favorisée n’a pas vocation à s’étendre aux avantages procéduraux de règlement des différends prévus dans les traités de protection des investissements (Paris, 25 juin 2019, n° 17/06430, Dalloz actualité, 23 juill. 2019, obs. J. Jourdan-Marques). Dans un deuxième temps, elle a été plus ambiguë sur la question, en n’excluant pas qu’une telle clause puisse inclure l’importation d’une procédure de règlement des différends (Paris, 23 mars 2021, n° 18/05756, DS Construction, Dalloz actualité, 4 févr. 2022, obs. J. Jourdan-Marques). C’est une approche différente qui est cette fois retenue. La cour estime, dans son arrêt Schooner, que, « si par une telle clause, les États parties au TBI ont admis la possibilité d’importer des dispositions plus favorables, cette extension doit s’inscrire dans le périmètre du TBI de base et ne saurait excéder le champ des matières qui sont incluses dans ce TBI, sauf à être en confrontation directe avec la volonté commune des États parties. Ainsi, sauf disposition expresse résultant de la clause NPF, celle-ci n’a vocation à produire ses effets que dans la limite et le champ du traité de base ». Autrement dit, la clause NPF n’a pas vocation à permettre au traité de couvrir de nouveaux domaines, notamment les questions fiscales. Reste à savoir si la solution de l’arrêt Schooner doit être considérée comme exclusive des précédentes ou si elles sont complémentaires. En tout état de cause, la question de la clause de la nation la plus favorisée est en cours de construction et le juge français entend suivre sa propre voie.

e. L’arbitrabilité du litige

La jurisprudence sur l’arbitrabilité est rare et il est donc heureux de voir la cour reprendre les principes (Paris, 28 juin 2022, n° 21/06317, Haco). D’abord la cour rappelle – mais était-ce bien nécessaire ? – que le grief tiré de l’arbitrabilité est recevable devant le juge de l’annulation, qui peut la contrôler sur le fondement des articles 1520, 1° et 5°, du code de procédure civile. Ensuite, elle nous offre une succession d’attendus riches en informations. Elle juge qu’il lui appartient de contrôler « l’existence de la clause compromissoire, l’applicabilité de la clause, et l’arbitrabilité du litige, qui est non seulement une condition de validité de la convention d’arbitrage, mais aussi une condition de la compétence des arbitres et relève à ce titre du contrôle par le juge de l’annulation au titre de l’article 1520-1° susrappelé ». La formule est intéressante à double titre. Premièrement, elle rappelle la triple dimension du contrôle de la compétence, qui porte sur l’existence (ou la validité) et l’applicabilité de la clause ainsi que l’arbitrabilité du litige. On peut ajouter, car c’est parfois ce fondement qui est utilisé, le respect du délai par le tribunal arbitral. Deuxièmement, la cour estime que l’arbitrabilité peut affecter aussi bien la validité de la clause que la faculté de l’arbitre à trancher tout ou partie du litige. À dire vrai, une nullité de la clause fondée sur l’arbitrabilité est improbable. Il faudrait que sa rédaction soit en contradiction avec les exigences relatives à l’arbitrabilité. L’essentiel du temps, l’inarbitrabilité découle des prétentions ou des moyens des parties et prive l’arbitre de trancher tout ou partie du litige, sans pour autant que la clause ne soit remise en question. La cour d’appel ajoute que « l’arbitrabilité d’un litige doit être tranchée en priorité par les arbitres en vertu du principe de compétence-compétence ». La formule est nouvelle et permet de signaler que l’arbitrabilité ne met pas en échec le principe compétence-compétence.

Par ailleurs, l’arrêt réitère des principes anciens, qui découlent de l’arrêt Labinal (Paris, 19 mai 1993, Rev. arb. 1993. 645, note C. Jarrosson). D’une part, « l’arbitrabilité d’un litige n’est pas exclue du seul fait qu’une réglementation d’ordre public, fût-elle une loi de police, est applicable au rapport de droit litigieux ». D’autre part, l’arbitre a « compétence pour apprécier sa propre compétence quant à l’arbitrabilité du litige au regard de l’ordre public international et dispose du pouvoir d’appliquer les principes et règles relevant de cet ordre public, ainsi que de sanctionner leur méconnaissance éventuelle, sous le contrôle du juge de l’annulation. Si le caractère de loi de police économique d’une réglementation est établi et qu’il interdit aux arbitres de prononcer des injonctions ou des amendes, les arbitres peuvent néanmoins tirer les conséquences civiles d’un comportement jugé illicite au regard desdites règles d’ordre public qui peuvent être directement appliquées ». Rien n’est nouveau dans ces attendus. Ils rappellent que l’article 2060 du code civil est, déjà depuis plusieurs décennies, désuet et la jurisprudence est dans l’obligation de s’en écarter.

2. La constitution du tribunal arbitral

a. L’obligation de révélation

La présente livraison est encore l’occasion de s’intéresser à l’obligation de révélation dans toutes ses dimensions. Avant cela, on signalera que l’arrêt Haco (Paris, 28 juin 2022, n° 21/06317) souligne la demande de récusation d’un arbitre rejetée par le juge d’appui, si elle a autorité de chose jugée, n’interdit pas une nouvelle discussion devant le juge de l’annulation sur la partialité de l’arbitre, si elle est fondée sur des éléments résultant de la sentence. La cour énonce que « le fait que le juge d’appui ait rejeté la demande de récusation d’un arbitre n’épuise pas le grief tiré de la partialité ou de sa dépendance dès lors que celui-ci résulte de circonstances survenues postérieurement ». Elle ajoute que, « si un tel doute peut le cas échéant résulter de la sentence elle-même, encore faut-il, dès lors que le contenu de la motivation de la sentence arbitrale échappe au contrôle du juge de l’annulation, que ce doute soit fondé sur des éléments précis quant à la structure de la sentence ou ses termes mêmes, qui laisseraient supposer que l’attitude de l’arbitre a été partiale ou à tout le moins serait de nature à donner le sentiment qu’elle l’a été ».

i. L’arrêt Pizzarotti

L’arrêt Pizzarotti (Paris, 17 mai 2022, n° 20/15162) est intéressant sur au moins deux aspects.

D’une part, il confirme la place des règlements d’arbitrage dans la délimitation des obligations de révélation. Cette évolution, que l’on a vue venir depuis l’arrêt Vidatel (Paris, 26 janv. 2021, n° 19/10666, préc.), conduit à faire des règlements la source principale de l’obligation de révélation. Dans cet arrêt (v. égal. Paris, 17 mai 2022, n° 20/18020, Billionaire), la cour commence, comme elle en a désormais l’habitude, par viser le règlement d’arbitrage de la CCI et sa Note aux parties de 2016. C’est seulement après que le code de procédure civile est mentionné. Toutefois, la motivation va désormais beaucoup plus loin, puisqu’elle tire les conséquences de ce renversement de la hiérarchie des normes. En effet, la lecture de l’arrêt permet de constater que l’étendue de l’obligation de révélation ne dépend plus du code de procédure civile, mais bien du règlement d’arbitrage. En l’espèce, le lien au cœur de la discussion concerne l’arbitre et le conseil de la partie l’ayant désigné. À cet égard, la Note aux parties de la CCI prévoit que l’arbitre doit révéler toute circonstance pouvant être considérée comme caractérisant « une relation professionnelle ou personnelle étroite avec le conseil de l’une des parties ou le cabinet d’avocats de ce conseil ». Or c’est ce critère qui va être utilisé par la cour d’appel pour déterminer si l’arbitre a violé son obligation de révélation. La cour va passer au crible les différentes circonstances litigieuses et vérifier si, oui ou non, elles manifestent une « relation professionnelle ou personnelle étroite ». On retrouve quatre fois la mention selon laquelle les circonstances litigieuses n’impliquent nullement une relation « étroite ». La bascule est donc définitive (v. égal. l’arrêt Billionaire, qui adopte une démarche identique). L’obligation de révélation est désormais fixée, à titre principal, par les règlements d’arbitrage et, à titre subsidiaire, sur le code de procédure civile. Cela change tout, car cela signifie qu’à situations identiques, mais dans des arbitrages distincts, un arbitre aura à révéler certaines circonstances et pas un autre. Surtout, la jurisprudence s’érige désormais en interprète officiel des règlements d’arbitrage, ce qui est là aussi une nouveauté. Enfin, il faudra observer si ce mouvement concerne la question de la notoriété et celle du doute raisonnable. Pour l’instant, rien n’indique que c’est le cas, notamment car la jurisprudence tient fermement à l’exception de notoriété malgré le silence des règlements sur cette question. En tout état de cause, la cour d’appel innove et on reste très curieux de connaître la suite de ce mouvement, qui ne manquera pas de susciter la discussion.

D’autre part, même si l’analyse résulte d’une interprétation de la note de la CCI, l’appréciation faite de l’obligation de révélation reste intéressante. Il est reproché, pêle-mêle à l’arbitre et au conseil d’avoir été, ensemble, membres de la chambre arbitrale de Milan, d’avoir participé à une quinzaine de manifestations scientifiques, d’avoir été enseignants dans la même université, d’avoir coaché des équipes d’étudiants dans le cadre du Vis Moot de Vienne et même, bouquet final, d’avoir participé à un match de football ! Les divers arguments sont balayés, en particulier à cause de l’ancienneté de certains d’entre eux (vingt ans pour la circonstance relative à la chambre arbitrale de Milan, sept ans pour le match de football), de leur caractère insignifiant (la qualité de visiting professor, parmi près de 80 autres enseignants), voire leur caractère inexact (le coaching). Surtout, la cour précise à propos des activités scientifiques que « la participation commune à des travaux ou réflexions scientifiques qui, s’ils peuvent emporter l’existence de relations entre des confrères susceptibles de devenir arbitres et/ou conseil d’une partie, ne sont pas de nature à déclencher une obligation de révélation dès lors qu’ils s’inscrivent dans un contexte purement académique dont il ne peut être déduit de ce seul fait la caractérisation de relations étroites susceptibles de générer un potentiel conflit d’intérêts ».

ii. L’arrêt Billionaire

L’arrêt Billionaire (Paris, 17 mai 2022, n° 20/18020) reprend plusieurs traits de l’arrêt Pizzarotti, en particulier sur l’utilisation des règlements d’arbitrage en tant que source de l’obligation de révélation. Néanmoins, c’est sur la question de l’exception de notoriété qu’il est le plus intéressant.

D’une part, la cour réitère une formule vue dans un arrêt précédent (Paris, 22 févr. 2022, n° 20/05869, Bestful, Dalloz actualité, 20 mai 2022, obs. J. Jourdan-Marques) selon laquelle, en l’absence de demande de récusation la partie est « présumée avoir renoncé à soulever le grief tiré d’une telle irrégularité, sauf pour elle à établir qu’elle n’avait pu en avoir connaissance avant la sentence ». Une telle présomption, constitutive d’un renversement de la charge de la preuve, ne semble pas être mise en œuvre avec trop de rigueur. En effet, prise au pied de la lettre, elle doit conduire le requérant à démontrer sa méconnaissance des circonstances discutées. Cela revient à imposer une preuve négative et, partant, impossible à rapporter. En réalité, on se rend bien compte que la cour continue à examiner les preuves positives de la notoriété apportées par le défendeur. L’échec dans l’administration de cette preuve conduit le défendeur à succomber sur ce moyen, ce qui révèle que la charge de la preuve n’a pas été véritablement renversée.

D’autre part, l’arrêt Billionaire nous offre un exemple, désormais exceptionnel, d’une situation non notoire. La circonstance porte sur la coprésidence d’une conférence quelques années avant la désignation. La conférence et la coprésidence sont mentionnées, de manière plus ou moins claire, sur la page internet de l’arbitre, sur le site du barreau de Genève, sur la déclaration d’indépendance de l’arbitre et sur le CV du conseil. La cour en conclut qu’« en dépit de la faculté pour la société Billionaire de retrouver cette information sur des sites publics, une telle information ne peut être considérée comme aisément accessible puisqu’elle nécessitait des investigations minutieuses pour être retrouvée plus de cinq ans après, et ce alors que l’arbitre mentionnait avoir participé à plus de 22 conférences ». Naturellement, on se réjouit d’une appréciation moins excessive de l’exception de notoriété. Reste que l’on peine à comprendre ce qui a pu, dans cette espèce, convaincre la cour d’écarter l’irrecevabilité. Il est difficile d’y voir, à tout le moins dans l’immédiat, un infléchissement de la jurisprudence. En effet, dans le même arrêt, à propos cette fois de l’appartenance à la section des avocats de barreaux étrangers du barreau de Genève, la cour considère la circonstance notoire. Pour cela, elle juge que l’appartenance à cette section est mentionnée dans le CV de l’arbitre, sur sa page personnelle et sur le site de la section. En revanche, il n’est précisé nulle part dans ces documents que le conseil d’une partie est président de ladite section. Pour le découvrir, il faut prendre l’initiative de se rendre sur le site de la section, où l’information se trouve. Reste qu’aucun élément objectif n’invitait les parties à entamer une telle démarche.

En tout état de cause, l’arrêt Billionaire confirme la priorité donnée à l’examen de la notoriété par rapport à l’obligation de révélation. Ainsi, la cour d’appel recherche si une circonstance est notoire, avant même de s’assurer qu’elle doit être communiquée. Après avoir abondamment discuté de la notoriété de la coprésidence d’une conférence, la cour retient sobrement que, faute d’éléments complémentaires, « le seul fait d’avoir coprésidé une conférence n’implique nullement l’existence de relations professionnelles ou personnelles “étroites” au sens de la note CCI précitée, les relations pouvant tout au plus être qualifiées d’académiques ».

La contestation de la constitution du tribunal arbitral est une course d’obstacles. L’euphorie du franchissement de la première haie ne doit pas faire perdre de vue que l’on peut échouer à la deuxième… alors même qu’il en reste encore une troisième !

iii. L’arrêt Soletanche

On sera bref sur l’arrêt Soletanche, dès lors que l’apport de la Cour de cassation est modeste (Civ. 1re, 25 mai 2022, n° 20-23.148). L’arrêt d’appel (Paris, 15 déc. 2020, n° 18/14864, Dalloz actualité, 22 févr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; Rev. arb 2021. 1203, note M. Henry) a eu à trancher la question d’un arbitre ayant indiqué, lors d’une audience, avoir reçu mandat de la société mère d’une partie pour une mission de conseil, dans le cadre d’un projet sans rapport avec le litige. Postérieurement, cette mission initiale de conseil s’est transformée en mission d’accompagnement dans le cadre d’un arbitrage. Pourtant, la déclaration d’indépendance de l’arbitre n’a fait l’objet d’aucune mise à jour. La cour d’appel a rejeté ce grief, au motif que « ces échanges, les conseils prodigués à ces occasions et la rencontre organisée à Perth pour préparer la demande d’arbitrage, qui s’inscrivaient dans la poursuite et l’évolution prévisibles du mandat connu des parties, ne modifiaient pas la nature et l’ampleur de l’intervention de l’arbitre auprès de l’entité qui l’avait mandaté ». Cette analyse a été critiquée en doctrine (M. Henry, note préc.), qui relève qu’en pratique, une telle évolution de la mission n’est pas prévisible ni insignifiante. Pourtant, la Cour de cassation rejette le pourvoi. L’essentiel dans l’arrêt réside dans le pouvoir souverain confié à la cour d’appel. Ainsi, en ce qui concerne les circonstances devant faire l’objet d’une révélation, la Cour de cassation refuse d’entrer dans l’examen des faits pour contredire l’analyse de la cour d’appel. Cette solution est donc de nature à réduire l’intérêt pour les parties de former un pourvoi et conforte la cour d’appel dans son approche restrictive du grief relatif au devoir de révélation.

b. Le respect des règles prévues par les parties

L’affaire Antrix est de retour devant la cour d’appel. Après avoir donné lieu à un très remarqué arrêt de cassation (Civ. 1re, 4 mars 2020, n° 18-22.019, Dalloz actualité, 4 mai 2020, note J. Jourdan-Marques ; ibid. 3 juill. 2020, obs. L. Jandard ; D. 2020. 608 image ; ibid. 2484, obs. T. Clay image ; RTD civ. 2020. 617, obs. H. Barbier image ; JDI 2021. 612, note C. Debourg ; Procédures 2020, n° 6, p. 23, obs. L. Weiller ; JCP E 2020, n° 42, p. 23, note P. Casson), la cour d’appel de Paris est à nouveau saisie du dossier (Paris, 28 juin 2022, n° 20/05699). La première question à trancher, qui a fait l’objet de tout le débat à l’occasion du pourvoi, est celle de la recevabilité des griefs.

Dans cette affaire, la clause compromissoire est mal rédigée et laisse planer un doute sur la volonté des parties de se soumettre à un arbitrage CCI ou un arbitrage CNUDCI. Cette alternative a cristallisé la discussion, le demandeur ayant saisi la CCI et le défendeur s’y opposant. Afin de faire valoir sa position, le défendeur a adopté deux positions distinctes. Dans un premier temps, il a protesté, auprès de la CCI, contre le caractère institutionnel de l’arbitrage, en invoquant que le choix d’un tel arbitrage ne peut être réalisé par le seul demandeur. En dépit de ses objections, la Cour internationale d’arbitrage de la CCI a procédé à la désignation des arbitres. Dans un second temps, il a contesté la compétence du tribunal arbitral en soutenant que la clause compromissoire, en ce qu’elle fait référence à deux règlements d’arbitrage sans fixer les modalités de choix entre eux, est pathologique. À défaut d’accord préalable des parties, elle est donc inapplicable, ce qui prive le tribunal de pouvoir juridictionnel. Le tribunal arbitral n’y a pas fait droit.

Devant les juridictions françaises, la question est de savoir si cette argumentation peut être avancée sur le fondement de la constitution irrégulière du tribunal arbitral plutôt que sur celui de la compétence. La Cour de cassation a tranché positivement cette question et jugé que « l’invocation par la société Antrix, devant le tribunal arbitral, du caractère pathologique de la clause prévoyant une procédure d’arbitrage conduite conformément aux règles et procédures de la CCI ou de la CNUDCI emportait nécessairement contestation de la régularité de la composition du tribunal arbitral, constitué sous l’égide de la CCI, dès lors que l’option alternative du choix des règles de la CNUDCI offerte par la clause impliquait un arbitrage ad hoc, exclusif d’un arbitrage institutionnel, de sorte que l’argumentation soutenue devant le juge de l’exequatur, selon laquelle la clause d’arbitrage viserait un arbitrage ad hoc sans intervention de la CCI dans la désignation du tribunal arbitral, n’était pas contraire à celle développée devant celui-ci ». Dans le renvoi après cassation, la cour d’appel s’aligne sur cette analyse. Certes, elle reprend, dans un premier temps, une formule qui a justifié l’irrecevabilité du grief par le premier arrêt d’appel (Paris, 27 mars 2018, n° 16/03596, Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 39, obs. D. Bensaude) : « c’est au regard de l’argumentation développée devant les arbitres, et non des péripéties procédurales antérieures ou parallèles à l’instance arbitrale, qu’il convient d’apprécier si une partie est réputée avoir renoncé à se prévaloir d’une irrégularité ». Elle ajoute toutefois que « cette présomption ne peut résulter de la seule qualification retenue par le tribunal de l’argumentation faite devant lui. En outre, si une renonciation est alléguée, encore faut-il qu’elle ne soit pas équivoque ».

Ainsi, la cour d’appel de Paris ne renie pas sa doctrine, mais l’infléchit pour respecter les injonctions de la Cour de cassation. Pour motiver sa solution, la cour prend en considération le comportement de la société Antrix devant l’institution, devant les juridictions indiennes, mais aussi devant le tribunal arbitral. Dans une motivation très dense d’un point de vue factuel, la cour conclut que « la contestation de la régularité de la constitution du tribunal arbitral avait donc bien été soumise au tribunal quand bien même la société Antrix a ensuite articulé dans ce mémoire son argumentation sur la question de l’inefficacité de la clause, à défaut pour celle-ci de prévoir que le choix entre un arbitrage CCI et un arbitrage CNUDCI peut résulter unilatéralement de l’une des parties ou d’un accord complémentaire entre les parties ». Autrement dit, c’est une lecture plus souple des faits qui est réalisée par la cour d’appel, qui ne s’en tient pas à la stricte dénomination de l’argumentation soumise au tribunal arbitral pour juger de la recevabilité du grief. Cela lui permet de juger que « l’invocation par la société Antrix devant le tribunal arbitral du caractère pathologique d’une clause compromissoire emportait aussi contestation de la régularité de la composition du tribunal arbitral, ce dont le tribunal était aussi saisi ».

Faut-il tirer de cette solution des enseignements plus généraux ? Il est difficile d’être tranché. Cela dit, en permettant aux parties de ne pas être liées par leurs qualifications – ce qui est indispensable dans un arbitrage international où les concepts français ne sont pas toujours utilisés – et en refusant une renonciation équivoque, la cour fait un pas vers une appréciation plus souple. Néanmoins, elle reste attachée à l’exigence d’une argumentation soumise aux arbitres, invitant les parties à systématiquement réitérer leurs réserves pendant l’instance.

L’obstacle de la recevabilité étant franchi, il convient ensuite pour la cour d’appel d’examiner le bien-fondé du moyen. La clause litigieuse est ainsi rédigée : « la procédure d’arbitrage sera conduite conformément aux règles et procédures (rules and procedures) de la CCI (Chambre de commerce internationale) ou de la CNUDCI ». Le requérant soulève principalement deux arguments à l’encontre de cette stipulation : d’une part, elle concerne la procédure, à l’exclusion de la nomination des arbitres et, d’autre part, elle nécessite un accord des parties pour le choix des règles applicables à la procédure.

L’argumentation est écartée. La motivation de la cour, qui n’est pas sans rappeler celle retenue dans l’arrêt Vidatel (Paris, 26 janv. 2021, n° 19/10666, préc.) à propos de la recherche d’un effet utile du règlement d’arbitrage, est de nature à renforcer l’efficacité des procédures arbitrales. La cour estime qu’« il [lui] appartient […] d’interpréter la clause, guidée par un principe de cohérence et d’utilité et privilégier une interprétation qui confère un effet à la clause dont l’objet est de tendre à la mise en place effective d’un arbitrage, afin d’éviter qu’une partie ne puisse se soustraire à ses engagements et remettre en cause son consentement à l’arbitrage ». Par cet attendu, la cour d’appel établit une hiérarchie très claire entre la volonté de recourir à l’arbitrage et ses modalités. Dès lors que la volonté est actée, les modalités doivent être lues avec suffisamment de souplesse pour garantir la mise en œuvre de l’arbitrage. Partant, elle juge, à propos du premier argument du requérant, que « considérer que cet alinéa doit être lu, au regard notamment de son emplacement, comme cantonnant l’application du Règlement CCI à la seule conduite de la procédure d’arbitrage, après seulement la désignation des arbitres par les seules parties, conduit à privilégier une interprétation restrictive de la clause qui ne permet pas d’en donner une pleine efficacité ». Elle ajoute, à propos du second argument, que « le fait que cette clause n’impose pas qu’un accord soit conclu entre les parties préalablement à l’exercice de l’option, ne signifie pas que celle-ci ne serait pas efficace, mais conduit à considérer que les parties ont considéré que cette clause impliquait qu’à défaut de précision sur ce point, le choix était laissé à la partie la plus diligente, l’autre partie consentant à s’y soumettre ayant dès le départ accepté l’une ou l’autre des modalités ».

En définitive, l’arrêt Antrix trouve un équilibre que l’on peut juger très satisfaisant. Dans un premier temps, la cour d’appel s’est écartée d’une vision restrictive de la recevabilité du grief, pour accueillir un débat qui, s’il a pris des formes et une coloration juridiques variables, n’a jamais cessé d’exister. Dans un second temps, elle adopte une lecture finaliste de la clause compromissoire afin d’éviter que ses imperfections soient utilisées pour en paralyser les effets. Cette approche mérite approbation.

3. Le respect de la mission

L’arrêt Pizzarotti (Paris, 17 mai 2022, n° 20/15162) mérite quelques mots sur la question du respect par les arbitres de leur mission. Plusieurs moyens sont soulevés par le requérant, souvent couplés avec une violation du contradictoire ou de l’ordre public. Premièrement, la cour juge que les arbitres ne violent pas leur mission pour avoir pris en compte dans leur sentence de nouveaux éléments soumis par une partie au soutien de sa demande, alors qu’une ordonnance de procédure leur a imposé de se limiter à répondre aux demandes reconventionnelles. Pour admettre cette solution, la cour constate que les arbitres ont examiné la demande d’irrecevabilité formulée par le défendeur à propos de cette nouvelle argumentation, qu’ils ont explicitement indiqué qu’ils en examineraient la « force probante » et ont laissé suffisamment de temps au défendeur pour en débattre. Deuxièmement, en matière de demandes nouvelles après la conclusion de l’acte de mission, la cour juge que le règlement CCI n’impose pas une décision formelle d’admission de celles-ci. Le tribunal est libre de statuer sur cette question dans sa sentence. Troisièmement, la cour rappelle que le moyen tiré d’une clause préalable de règlement amiable constitue une question relative à la recevabilité des demandes, qui n’entre pas dans le champ de la mission de l’arbitre.

Dans l’affaire Rusoro, la difficulté au cœur du débat porte sur l’évaluation du préjudice par les arbitres (Paris, 7 juin 2022, n° 21/10427). En principe, cette question échappe au contrôle du juge de l’annulation. Néanmoins, dans cette affaire, les parties se sont accordées sur une méthode d’évaluation du préjudice, qui doit conduire à rechercher la « juste valeur de marché ». En l’espèce, la cour mène une analyse superficielle en observant la démarche du tribunal arbitral pour vérifier s’il a recherché la « juste valeur de marché » exigée par les parties. Convaincue par l’identification de certains passages allant en ce sens, elle juge qu’il « ressort de ces énonciations que le tribunal arbitral ne s’est ainsi pas écarté de la mission qui lui a été confiée de déterminer la “juste valeur de marché” de l’entreprise, mais qu’il a choisi pour déterminer cette juste valeur de s’en remettre à trois méthodes d’évaluation combinées ».

La démarche est à peu près équivalente concernant la date d’évaluation du préjudice relatif à l’expropriation. La cour considère qu’il « ne peut être reproché au tribunal d’avoir méconnu l’accord des parties sur la date d’évaluation de l’expropriation, et ce quand bien même il a pu prendre en compte des paramètres antérieurs à celle-ci ».

Dans un cas comme dans l’autre, il est flagrant que la cour ne souhaite pas entrer dans le débat. Son analyse ressemble à celle adoptée en matière de contrôle du respect par l’arbitre de ses pouvoirs d’amiable compositeur. Si la cour d’appel ne se limite pas à la recherche de certains mots magiques, elle n’envisage pas de substituer son appréciation à celle du tribunal arbitral. Si l’équilibre est délicat à trouver, il est certain que l’évaluation du préjudice relève du cœur du litige et que le principe de non-révision au fond doit s’appliquer. L’identification de certaines contraintes imposées par les parties aux arbitres ne doit pas servir de prétexte pour tenter de remettre en cause ces principes. À ce titre, le travail réalisé par la cour d’appel est pleinement satisfaisant et assure un équilibre bienvenu.

C’est encore une difficulté relative à la mission qui est à l’origine de l’arrêt Bluestone (Paris, 28 juin 2022, n° 20/17927). Il est reproché au tribunal arbitral de ne pas avoir respecté sa mission de détermination de la valeur d’un actif, alors que c’est ce qui lui était demandé par les parties. Selon le demandeur, il est unanimement constaté que cet actif a au moins une certaine valeur. En conséquence, le tribunal arbitral ne peut pas rejeter la demande, même pour insuffisance de preuve. La cour ne retient pas cette analyse. Elle constate que la question de la charge de la preuve est bien dans le débat et que la mission du tribunal arbitral n’est pas limitée à l’évaluation d’un actif. Implicitement, la cour refuse de retirer à l’arbitre une partie de son pouvoir juridictionnel et d’en faire un simple tiers évaluateur. La plénitude de sa juridiction l’autorise à vérifier le bien-fondé des prétentions d’une partie et, le cas échéant, de les rejeter faute de preuve.

4. La violation du contradictoire

L’obligation imposée aux arbitres de respecter le contradictoire est souvent l’objet de discussions lorsque la sentence révèle un raisonnement riche qui peut, parfois, surprendre les parties dans le cheminement utilisé. Il est alors nécessaire de faire le tri entre ce qui révèle une véritable violation du contradictoire et ce qui est indifférent. L’arrêt Aersud, sur lequel nous resterons bref, apporte quelques précisions (Paris, 21 juin 2022, n° 21/00473, le lecteur est informé que le rédacteur de cette chronique a été impliqué dans le recours). La cour rappelle les principes cardinaux en la matière : « le principe de la contradiction exige seulement que les parties aient pu faire connaître leurs prétentions de fait et de droit et discuter celles de leur adversaire de telle sorte que rien de ce qui a servi à fonder la décision des arbitres n’ait échappé à leur débat contradictoire. De plus, si le tribunal arbitral n’est pas tenu de soumettre au préalable l’argumentation juridique qui étaye sa motivation aux parties, celui-ci ne peut fonder sa décision sur des moyens de droit non invoqués ». Après avoir exposé la motivation du tribunal arbitral, la cour juge « qu’aucun des motifs décisoires contenus dans ces paragraphes rejetant la demande en paiement ne fait référence à des éléments qui n’auraient pas été débattus, relatifs notamment à la licéité de la clause de résiliation, seule la section D) de la sentence, dont l’arbitre lui-même note qu’elle est surabondante, portant sur la faculté unilatérale pour les défendeurs de cesser le paiement et de résilier le contrat ». Elle ajoute, dans une synthèse éclairante, que « les motifs critiqués n’ont, au mieux, qu’enrichi la sentence d’éléments complémentaires ». Elle conclut en ajoutant que « la référence à une jurisprudence de la Cour de cassation du 20 novembre 2019, ou la référence à l’ordre public transnational font partie du raisonnement juridique de l’arbitre qui n’a pas à être débattu préalablement par les parties ». Deux enseignements peuvent être tirés de cet arrêt. D’une part, la référence aux « motifs décisoires », nouvelle à notre connaissance, constitue une piste sérieuse pour réaliser une distinction entre ce qui peut conduire à une annulation et ce qui ne peut pas être retenu. D’autre part, les références juridiques ajoutées par l’arbitre pour enrichir son raisonnement n’ont pas à être débattues.

Une autre affaire attire l’œil du lecteur et permet de se rendre compte que, à côté de l’arbitrage international pour lequel le cadre est plutôt clair, il existe des pratiques beaucoup plus folkloriques de l’arbitrage. L’arrêt Les serres du Mont Saint Michel (Paris, 31 mai 2022, n° 20/15799) nous propose de découvrir l’institution « CIMEDA », dont la première valeur mentionnée par la charte éthique est la… convivialité (on attend impatiemment que la devise de l’arbitrage « liberté, égalité, efficacité » devienne « liberté, égalité, convivialité », v. T. Clay, « “Liberté, égalité, efficacité” : la devise du nouveau droit français de l’arbitrage. Commentaire article par article (Première partie) », JDI 2012. 444) !

Pour le plaisir des yeux, et parce que cette chronique est déjà bien trop longue, nous proposons au lecteur une reproduction de la clause type proposée par l’institution : « Devant la Cour internationale de médiation et d’arbitrage de l’association mondiale de médiarbitrage et, conformément à sa procédure de médiarbitrage, dans une première phase de médiation, les parties devront tenter de résoudre à l’amiable tous conflits découlant du contrat ou en relation avec celui-ci ainsi que les rapports ou les effets juridiques qui lui sont liés directement ou indirectement ou ayant trait à un acte illicite opposant les parties. Dans une seconde phase, consécutive à la phase précédente et quelle que soit l’issue de la première phase de médiation, l’arbitrage tranchera définitivement le litige. La Cour internationale de médiation et d’arbitrage applique son Règlement international de médiarbitrage auquel les parties se réfèrent, à l’exclusion de tous autres tribunaux. Le Conseil de délibéré se tiendra à Genève ou Paris. Selon le Règlement international de médiarbitrage, le Conseil de délibéré sera composé d’au moins trois (3) juges-médiateurs. Convient, à la demande des parties, que la Cour internationale de médiation et d’arbitrage statuera avec les pouvoirs d’amiable compositeur. La sentence arbitrale de la Cour internationale de médiation et d’arbitrage est définitive ». Il y a beaucoup à dire sur cette clause. On soulignera simplement, avec une certaine gourmandise, que le « Conseil de délibéré » auquel la clause fait référence ne figure à aucun endroit du règlement de l’institution…

Surtout, le fonctionnement de cette institution laisse songeur. À la lecture du règlement et de l’arrêt, la distinction entre la cour et le tribunal arbitral n’est pas claire au sein de cette institution. On découvre que, dans cette affaire, la sentence est rendue au nom de l’institution qui, tout en se prononçant sur le fond, rejette les demandes de récusation. Plus encore, alors que la sentence est rendue au nom de l’institution, on apprend que le représentant légal d’une des parties n’est autre que le vice-président de l’institution.

Les problèmes de fonctionnement de cette institution sont tellement flagrants que le lecteur peut finir par se demander la raison pour laquelle cet arrêt est évoqué dans la rubrique relative au contradictoire. La raison est simple : c’est le seul grief qui est invoqué contre la sentence ! Fort heureusement, il y a matière à annulation sur ce fondement. La cour juge qu’« il ne résulte d’aucun élément produit aux débats [que la partie] a été informée, suite à l’achèvement de la médiation, de la mise en œuvre de la procédure d’arbitrage ». Bref, la sentence subit le sort qu’elle mérite.

Avec une telle institution, on peut au moins espérer une procédure bon marché. Que nenni. Pour un litige à 30 000 000 €, il vous en coûtera 105 000 € de frais administratifs et… 1 400 000 € d’honoraires des arbitres ! La qualité (et la convivialité), ça se paie…

5. L’ordre public

a. L’ordre public international

i. La renonciation à l’ordre public de protection

On sait depuis longtemps que l’ordre public de fond n’est pas susceptible de renonciation, contrairement à l’ordre public procédural ou de protection (encore récemment, v. Paris, 22 févr. 2022, n° 20/05869, Dalloz actualité, 20 mai 2022, obs. J. Jourdan-Marques). En revanche, la question est plus délicate lorsque certains éléments sont dans le débat devant l’arbitre, sans faire l’objet d’une articulation précise. C’est à cette question que l’arrêt Aersud répond, sur laquelle nous resterons concis (Paris, 21 juin 2022, n° 21/00473, le lecteur est informé que le rédacteur de cette chronique a été impliqué dans le recours). La cour rappelle le principe selon lequel l’article 1466 du code de procédure civile « ne vise pas les seules irrégularités procédurales, mais tous les griefs qui constituent des cas d’ouverture du recours en annulation des sentences, à l’exception des moyens tirés de ce que la reconnaissance ou l’exécution de la sentence violerait l’ordre public international de fond ». Elle constate ensuite que « la question du déséquilibre significatif et de la validité de la clause 4.4.5 du contrat a été posée par la société Aersud […] et les sociétés Airbus y ont répondu » et que les arbitres y ont répondu. La cour en conclut que c’est au regard de cette argumentation sur les clauses du contrat, même si le demandeur à l’arbitrage n’a formulé aucune demande à ce titre, et même s’il n’est fait référence dans la sentence à l’article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce que dans une note de bas de page, qu’il convient de considérer qu’aucune renonciation à se prévaloir d’un déséquilibre significatif ne peut résulter de ces éléments, ce grief ayant été débattu par les parties, même si elles ne s’en sont pas prévalues pour fonder leurs demandes ». Ce faisant, la cour adopte une démarche permissive quant à l’invocation des moyens d’ordre public susceptibles de renonciation. Elle semble adopter une logique proche de celle retenue en matière de compétence avec l’arrêt Schooner. Certes, il faut que le moyen tiré de l’ordre public de protection ait été évoqué d’une façon ou d’une autre, mais une fois cet élément acquis, il est possible de faire évoluer son argumentation devant la cour d’appel.

ii. L’ordre public étranger

L’arrêt MK Group est à l’origine d’une nouvelle ère en matière de contrôle de l’ordre public international (Paris, 16 janv. 2018, n° 15/21703, MK Group, Paris, 16 janv. 2018, n° 15/21703, D. 2018. 1635 image, note M. Audit image ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke image ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2448, obs. T. Clay image ; RTD com. 2020. 283, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2018. 401, note S. Lemaire ; JDI 2018. Comm. 12, note S. Bollée ; ibid. Comm. 13, note E. Gaillard). En acceptant d’intégrer dans l’examen du juge du recours une loi de police étrangère, il a ouvert la voie à une multiplication des recours fondés sur des dispositions étrangères. C’est encore le cas dans l’arrêt Aktor (Paris, 31 mai 2022, n° 20/17978, préc.). La situation est originale, puisque c’est un traité qui est invoqué au soutien du moyen fondé sur l’ordre public international.

Dans cette affaire, un accord entre un établissement public albanais et la Banque islamique de développement a été conclu. La question est alors de savoir si les allégations de violation de cet accord (qui relève du domaine des traités) par les arbitres sont susceptibles de faire l’objet d’un examen à travers le fondement de l’ordre public international. Pour le requérant, « la reconnaissance ou l’exécution de la sentence serait de nature à exposer l’Albanie à la violation de ces accords internationaux et entérinerait la violation des principes de primauté des accords internationaux et de respect de l’ordre public, reconnus comme essentiels tant par l’Albanie que par la France ».

Le moyen est finement présenté. En soulignant la préoccupation commune de la France et de l’Albanie de respecter leurs engagements internationaux, le requérant tend un bel hameçon à la cour. Elle ne s’y laisse pas prendre. Elle juge que « le contrôle par le juge de l’annulation du respect de l’ordre public international, n’a pas vocation à permettre d’apprécier le respect par l’Albanie de ses propres engagements qu’elle qualifie en l’espèce d’internationaux ». Juger l’inverse aurait entraîné le juge de l’annulation sur une pente très glissante. Surtout, il est loin d’être acquis que, même pour la France, tout ce qui relève d’un engagement international puisse intégrer l’ordre public international (on pense au droit dérivé de l’Union). Par conséquent, la solution retenue est justifiée.

iii. Le déséquilibre significatif

Le déséquilibre significatif est-il une loi de police en droit de l’arbitrage ? Dans l’arrêt Aersud, la cour d’appel de Paris laisse la question en suspens (Paris, 21 juin 2022, n° 21/00473, le lecteur est informé que le rédacteur de cette chronique a été impliqué dans le recours). Pour rejeter le recours, plutôt que d’écarter une qualification de loi de police, la cour constate que l’arbitre n’a donné effet à aucune clause illicite. Elle considère que pour rejeter la demande de paiement du requérant, l’arbitre s’est fondé sur des indices de corruption plutôt que sur des clauses contractuelles, pour lesquelles le caractère déséquilibré ne fait l’objet d’aucune demande. Elle conclut en soulignant qu’il « ne peut être soutenu qu’il aurait dû annuler d’office le contrat ou la clause de résiliation unilatérale en application de ce texte, ce qui reviendrait à contrôler la motivation de l’arbitre sous couvert de la qualification de loi de police invoquée et à faire rejuger au fond la demande, la nature de loi de police de l’article susrappelé, à la supposer établie, étant en en tout état de cause sans incidence sur la solution retenue par l’arbitre au visa des “red flags” ». En somme, la cour d’appel mêle deux arguments pour écarter le grief : d’une part, que l’arbitre a raisonné sur la corruption plutôt que sur les clauses contractuelles pour rejeter la demande de paiement ; d’autre part, que l’arbitre n’est pas saisi d’une demande relative à la validité ou à la résiliation du contrat au regard des textes sur le déséquilibre significatif. Partant, elle ne constate aucune violation caractérisée de l’ordre public international.

iv. Les procédures collectives

Depuis toujours, la question de l’articulation des procédures collectives avec l’arbitrage est une question complexe qui emporte des conséquences radicales. La cour d’appel fait œuvre de pédagogie dans l’affaire Vergnet (Paris, 28 juin 2022, n° 21/03765) et rappelle les principes acquis, mais le plus souvent méconnus. Elle rappelle que « le contrôle exercé par le juge de l’annulation pour la défense de l’ordre public international ne vise cependant pas à s’assurer que le tribunal arbitral a correctement appliqué des dispositions légales, fussent-elles d’ordre public, mais s’attache vérifier qu’il ne résulte pas de la reconnaissance ou de l’exécution de la sentence une violation caractérisée de l’ordre public international ». Ainsi, ce n’est pas tant le respect scrupuleux des dispositions techniques des procédures collectives qui est attendu, mais la conformité aux grands principes. Parmi eux, la cour rappelle le principe essentiel : « le principe d’arrêt ou de suspension des poursuites individuelles en matière de faillite relève de l’ordre public international ». Cela dit, la portée exacte de ce principe n’est pas toujours claire. C’est en cela que l’arrêt Vergnet fait œuvre utile. Il rappelle que « ce principe interdit, après l’ouverture de la procédure collective, la saisine du tribunal arbitral par un créancier dont la créance a son origine antérieurement au jugement d’ouverture, sans qu’il se soit soumis, au préalable, à la procédure de vérification des créances ». Cette règle soulève une épineuse question de date, afin de déterminer si la saisine du tribunal arbitral est antérieure ou postérieure à la procédure collective. Pour contourner l’obstacle, la cour d’appel souligne une seconde conséquence du principe de suspension des poursuites individuelles : « De même, les instances en cours à la date du jugement d’ouverture sont suspendues jusqu’à ce que le créancier ait déclaré sa créance. Elles sont alors reprises de plein droit, le représentant des créanciers et, le cas échéant, l’administrateur dûment appelés, mais ne peuvent tendre en tout état de cause qu’à la constatation des créances et à la fixation de leur montant ». De cette seconde branche du principe, résulte une interdiction pour le tribunal arbitral de prononcer une condamnation du débiteur. C’est ce qui n’a pas été fait en l’espèce par le tribunal arbitral, raison pour laquelle l’exequatur de la sentence est refusé.

En définitive, l’arrêt Vergnet est très utile pour se rappeler des principes cardinaux à suivre en présence d’une procédure collective. D’une part, pas de saisine du tribunal arbitral postérieurement à l’ouverture d’une procédure collective sans procédure de vérification des créances. La difficulté, dans ce cas de figure, réside dans l’identification de la date de saisine du tribunal arbitral, entre la date de la demande d’arbitrage et celle à laquelle le tribunal arbitral est constitué. D’autre part, après la déclaration de la créance par le créancier, la procédure arbitrale peut avoir pour objet unique la constatation et la fixation de la créance. En revanche, le tribunal arbitral doit se garder de faire figurer une condamnation dans son dispositif.

b. L’ordre public interne

Contrairement à l’ordre public international, l’ordre public interne attire rarement les regards. S’il est admis que le second est plus large que le premier, en ce qu’il inclut des règles qui ne figurent pas dans l’ordre public international, la question de la nature de l’examen reste mystérieuse. Un arrêt SODIPI de la formation interne (Paris, 17 mai 2022, n° 20/05576) apporte une contribution intéressant à cette discussion. Le litige est relatif à un contrat de franchise. Le contrat contient en son sein une clause prévoyant un droit d’entrée différé et une clause de non-réaffiliation. La validité de ces clauses a été contestée devant les arbitres, en particulier sur le fondement de l’article L. 420-1 du code de commerce, mais également de l’article L. 442-6, I du même code.

Pour commencer, la cour rappelle les principes applicables à l’occasion d’un examen de la conformité d’une sentence à l’ordre public interne. Elle souligne que « le constat que l’arbitre a violé une règle d’ordre public ne peut être retenu par le juge de l’annulation que si la solution qui en résulte heurte l’ordre public. Le juge de l’annulation n’a pas le pouvoir de contrôler le contenu de la motivation de la sentence ni de procéder à sa révision au fond. Le contrôle du respect des règles d’ordre public doit être mené à partir des éléments de fait et de droit retenus par les arbitres dans leur sentence compte tenu de ce qui a été plaidé devant eux, la cour saisie d’un recours en annulation, n’étant pas le juge du procès qui s’est déroulé devant le tribunal arbitral ».

La première observation que l’on peut formuler, c’est que les attendus diffèrent entre la matière interne et la matière internationale. Alors que l’on se situe après l’arrêt Belokon et la consécration de la violation caractérisée (Civ. 1re, 23 mars 2022, n° 17-17.981, Dalloz actualité, 10 mai 2022, obs. V. Chantebout ; D. 2022. 660 image ; Gaz. Pal. 2022, n° 15, p. 11, obs. L. Larribère), que les défendeurs invitaient la cour à rechercher une « violation manifeste, effective et concrète » de l’ordre public, la cour d’appel ne fait aucune référence à ces méthodes. De plus, si la cour accepte de réaliser un examen « de fait et de droit », elle le limite aux éléments « qui [ont] été plaidé devant [les arbitres] », ce qui constitue encore une potentielle divergence avec l’ordre public international.

Ensuite, la façon de réaliser l’examen s’éloigne de la logique retenue par la chambre internationale. La cour s’intéresse uniquement à la démarche des arbitres. Elle constate qu’ils se sont prononcés sur la compatibilité des clauses aux dispositions invoquées et qu’ils ont décidé de réduire, en équité, les montants alloués afin d’écarter toute restriction de concurrence. Partant, la cour d’appel juge que les requérants, en reprenant les moyens développés devant les arbitres, demandent « à la cour de vérifier la pertinence du raisonnement juridique par lequel les arbitres se sont prononcés sur la question dont ils étaient saisis […] et ce faisant d’exercer un contrôle au fond de la sentence qui échappe au juge de l’annulation ». Ce choix de s’intéresser à la solution des arbitres, plutôt que d’y substituer sa propre analyse, est révélateur d’une approche distincte. Elle repose sur l’observation de la réalisation par les arbitres d’un contrôle, puis par la confiance dans leur jugement. Cette démarche est confortée par le rappel selon lequel le juge de l’annulation n’exerce pas un contrôle au fond de la sentence, motivation qui n’est pas de pure apparence.

En somme, on sent bien que la démarche n’est pas identique entre le contrôle de l’ordre public interne et l’ordre public international. Cela dit, on peut se demander si la différence de fondement justifie vraiment, en l’espèce, la différence de démarche. Il fait peu de doute que l’article 420-1 du code de commerce, qui porte sur une pratique anticoncurrentielle, tombe également sous le coup de l’ordre public international. Dès lors, il n’est pas exclu que les différentes formations de la 5-16 ne soient pas en phase pour contrôler l’ordre public.

VI. Le recours en annulation du recours en révision

L’articulation des différents recours contre la sentence n’est pas toujours évidente. D’une part, le plaideur peut se trouver en position de choix entre l’exercice d’un recours en annulation ou d’un recours en révision. Sur ce point, la jurisprudence ne s’est jamais prononcée, à notre connaissance, sur le caractère alternatif ou cumulatif des deux. Simplement, il ne faut pas oublier que le choix de l’un n’interrompt pas le délai pour exercer l’autre. À ce titre, il peut être pertinent de former les deux en même temps.

Une fois le choix du recours en révision fait, la voie du recours en annulation s’ouvre à nouveau. En effet, la décision de l’arbitre rendue à l’issue d’un recours en révision est bien une sentence (on notera que, de façon discutable, la cour a refusé de qualifier de sentence une décision de l’arbitre se prononçant favorablement sur le bien-fondé du recours et acceptant de rétracter la sentence, v. Paris, ord., 30 juin 2020, n° 19/12440, Libye, Dalloz actualité, 29 juill. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay image). Par conséquent, elle est susceptible de recours. Sur quoi porte ce recours en annulation ? En toute logique, il porte sur la sentence en révision, et non sur la sentence d’origine. C’est ce que met en lumière un arrêt Hydro (Paris, 31 mai 2022, n° 20/06119), qui souligne que l’acte de mission conclu dans la première instance ne peut fonder un examen du juge pour examiner la sentence en révision. Il en va de même pour une violation du principe de la contradiction, si le grief porte sur une circonstance résultant de la première instance.

Néanmoins, l’arrêt soulève une autre difficulté intéressante. L’article 595 du code de procédure civile prévoit plusieurs cas d’ouverture du recours en révision. Le tribunal arbitral est-il tenu de tous les examiner, quand bien même le recourant ne s’est fondé que sur l’un d’entre eux. La réponse est logiquement négative. La cour retient qu’il n’appartient pas au tribunal arbitral « d’examiner cette demande fondée autrement que sur le paragraphe 1 de l’article 595 du code de procédure civile ni en quoi il appartenait aux arbitres de le relever d’office ». La question peut d’ailleurs rebondir sur le point de savoir si les parties ont la faculté, dans le cadre du recours en annulation, de se fonder sur un moyen différent de celui présenté à l’arbitre. La réponse semble toutefois devoir être négative, dès lors que la cour refuse de voir dans la décision de réouverture une question de compétence (Paris, 1er déc. 2020, n° 17/22735, Tecnimont, Dalloz actualité, 4 févr. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay image).

Vendeur professionnel : absence d’exonération de garantie des vices cachés

Par l’arrêt de censure rapporté, la Cour de cassation rappelle que la mauvaise foi du vendeur ne lui permet pas de déroger à la garantie légale des vices cachés (C. civ, art. 1641 s.) par le biais d’une clause standard de non-garantie de l’article 1643 du code civil.

 Application de la clause exonératoire de responsabilité en appel

Dans cette affaire, alors qu’une expertise avait révélé que de graves désordres affectaient l’immeuble vendu, la cour d’appel (Besançon, 1re ch., 4 mai 2021, n° 20/00459) avait rejeté la demande de l’acquéreur tendant à obtenir du vendeur une diminution du prix et une indemnisation au titre des vices cachés.
En l’occurrence, le vendeur était aussi le constructeur : il avait lui-même effectué les travaux de rénovation de l’immeuble avant de le vendre au demandeur (transformation d’une ferme en maison avec conservation des pignons en pierre, mais reconstruction des murs et sols).

La cour d’appel a cependant retenu que l’entrepreneur en maçonnerie ne possédait pas les connaissances techniques nécessaires pour anticiper un vice du sol au moment des travaux, rendant de ce fait effective la clause exonératoire de responsabilité stipulée dans le contrat de vente (signé vingt ans après).

L’acquéreur a contesté cette décision devant le juge du droit.

Exclusion de la clause exonératoire de responsabilité en cassation

La décision d’appel est censurée par le juge du droit, celui-ci reprochant au juge bisontin d’avoir exclu la responsabilité de l’entrepreneur qui se prévalait de la clause de non-garantie : il aurait dû sonder...

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Pause estivale

Tout au long de la période d’interruption de l’actualité, vous pouvez continuer à consulter les articles publiés grâce, notamment, à la recherche avancée.

Cette année encore, nous espérons que Dalloz actualité a répondu, au quotidien, à vos attentes. Si vous souhaitez profiter de cette pause pour nous faire part de vos suggestions, remarques et commentaires, vous pouvez nous écrire en utilisant la zone « La rédaction » en bas de la page d’accueil.

Nous reprendrons les publications dès le 5 septembre 2022, avec une édition qui signalera, notamment, les principaux textes parus au Journal officiel et au Journal officiel de l’Union européenne durant l’été.

Encore merci d’être toujours plus nombreux à nous lire.

Nous vous souhaitons d’excellentes vacances, sous le soleil, et serons ravis de vous retrouver à la rentrée !

La dispense de mention des chefs critiqués, sous conditions, en cas d’indivisibilité de l’objet du litige

Une partie fait appel d’un jugement l’ayant condamnée à se séparer de ses coqs, sous astreinte, et au paiement de dommages et intérêts.

Le propriétaire de la basse-cour fait appel a minima, se contenant de mentionner sur l’acte d’appel que l’appel est « limité aux chefs expressément critiqués », sans autres précisions.

Pour tenter de sauver son appel mal engagé, l’appelant argue de l’indivisibilité du litige, estimant que la séparation des gallinacés et les dommages et intérêts étaient unis de manière indivisible par un lien de dépendance et de subordination.

La Cour de cassation refuse cette porte de sortie qui ouvrait la boîte de Pandore.

Le pourvoi est rejeté.

L’appel est « limité aux chefs du jugement critiqués »

L’appelant avait fait preuve d’une grande originalité et avait longuement réfléchi la rédaction de sa déclaration d’appel, avant de préciser que l’appel était « limité aux seuls chefs de jugement critiqué ».

Dès lors que « l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément » (C. pr. civ., art. 562), l’appel est nécessairement limité aux chefs du jugement critiqué, de sorte que cette précision sur l’acte d’appel était sans grand intérêt, et ne valait pas beaucoup mieux que le « appel total » que l’on rencontre encore trop souvent.

Si cette formule n’est pas exclue, en soi, la Cour de cassation souligne son insuffisance, puisque ces chefs devaient être détaillés.

Et là se pose une autre interrogation, à savoir jusqu’où doit aller le détail des chefs critiqués, étant relevé que ce terme ne nous semble pas habituellement usité.

Et ici encore, nous sommes amenés à nous interroger sur la portée de formules qui, pour n’être pas aussi imprécises et inutiles que celle dont il est question ici, ne nous paraissent pas d’une grande précision… faute de détail. Il s’agit de ces déclarations d’appel qui, reprenant le dispositif du jugement, mentionne que l’appel porte sur le « débouté de toutes les demandes ».

L’intimé qui reçoit un tel acte d’appel n’est pas beaucoup plus avancé que celui qui découvre, en lisant l’acte d’appel, qu’il porte sur les chefs de jugement critiqués.

Au risque de faire dire à cet arrêt davantage que ce qu’il dit, et d’y voir un message subliminal, nous serions tentés de comprendre que l’appelant doit être précis dans la rédaction de son acte d’appel, de manière à ce qu’il soit utile et permette tant à la cour d’appel qu’à l’intimé, de savoir précisément ce qui sera discuté en cause d’appel.

Pour cette raison, il nous paraît préférable, dans l’acte d’appel, de préciser les chefs de...

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Absence d’effet dévolutif : la cour, rien que la cour !

Le 15 janvier 2019, une partie fait appel d’un jugement ayant déclaré des demandes irrecevables pour autorité de chose jugée attachée à un précédent jugement.

L’appelant omet d’indiquer, dans sa déclaration d’appel, les chefs qu’il entend critiquer dans le cadre de son appel.

L’intimé, de manière peu opportune, saisit le conseiller de la mise en état qui, par chance pour l’intimé et malheureusement pour l’appelant, rejette le moyen de nullité. Aucun déféré n’est formé, et l’ordonnance devient irrévocable.

Dans ses conclusions au fond, l’intimé conclut à l’absence d’effet dévolutif, ce qui est accueilli par la cour d’appel de Douai.

Dans le cadre de son pourvoi, l’appelant soutient en substance que l’irrégularité a été purgée par le conseiller de la mise en état, qui a écarté la nullité, de sorte que la cour d’appel ne pouvait plus être saisie de la question de l’absence des chefs critiqués dans la déclaration d’appel.

Le moyen est rejeté.

Chefs (expressément) critiqués : la sanction deux-en-un

L’intimé, peu ou mal inspiré, avait ouvert les hostilités en saisissant le conseiller de la mise en état d’un incident de nullité, avant de penser à saisir la cour d’appel.

Mais il est vrai que l’irrégularité tenant à l’absence de mention des chefs critiqués dans la déclaration d’appel est doublement sanctionnée, même si en pratique l’une des sanctions constitue un évident cadeau fait à l’appelant.

Comme la Cour de cassation nous l’avait précisé, sans grande surprise, le défaut d’une mention prévue à l’article 901 relève de la nullité, pour vice de forme (Civ. 2e, 20 déc. 2017, 3 avis, nos 17019, 17020 et 17021, Dalloz actualité, 12 janv. 2018, obs. R. Laffly ; Gaz. Pal. 6 févr. 2018, obs. Amrani-Mekki), ce qui suppose de soulever ce moyen devant le conseiller de la mise en état en circuit ordinaire avec désignation d’un conseiller de la mise en état, avant toute défense au fond et fin de non-recevoir (C. pr. civ., art. 74), et en justifiant d’un grief (C. pr. civ., art. 114).

Mais rien n’oblige l’intimé à se prévaloir de cette nullité, qui, évidemment, ne peut être relevée d’office par le juge… qui ne saurait arguer d’un grief (Civ. 3e, 22 mars 1995, n° 93-18.111 P, Omnium de gestion immobilière de l’Île-de-France (Sté) c/ Lemeunier (Epx), D. 1996. 375 image, obs. CRDP Nancy II image ; Rev. huiss. 1995. 821, obs. R. Martin).

L’option dont dispose l’intimé est de renoncer à la nullité, pour se concentrer sur l’absence d’effet dévolutif.

Et pour l’intimé, l’option s’impose, puisque la nullité permettra à l’appelant, qui profite de l’effet interruptif de son acte d’appel, de réitérer son appel, alors même que le délai d’appel serait expiré (Civ. 2e, 16 oct. 2014, n° 13-22.088 P, Dalloz actualité, 28 oct. 2014, obs. N. Kilgus ; D. 2014. 2118 image ; ibid. 2015. 287, obs. N. Fricero image ; ibid. 517, chron. T. Vasseur, E. de Leiris, H. Adida-Canac, D. Chauchis, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati image ; 1er juin 2017, n° 16-14.300, Dalloz actualité, 4 juill. 2017, obs. R. Laffly ; D. 2017. 1196 image ; ibid. 1868, chron. E. de Leiris, N. Touati, O. Becuwe, G. Hénon et N. Palle image ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero image ; 1er oct. 2020, n° 19-16.992 NP).

Un appelant qui subit une attaque en nullité de sa déclaration d’appel a donc tout intérêt à abonder dans le sens de son adversaire, de manière à profiter d’une nullité salvatrice.

Malheureusement pour l’appelant, l’intimé avait...

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La forme de l’appel incident à l’épreuve du syllogisme juridique

Condamnée à payer diverses sommes à la suite d’un jugement de mainlevée d’une saisie-attribution qu’elle avait pratiquée, la Caisse national des barreaux français (CNBF) relève appel devant la cour d’appel de Basse-Terre. L’appelante intime la partie contre laquelle elle avait pratiqué la saisie sur compte ainsi que la SCP d’Huissiers qui avait diligenté la saisie et leur signifie ses conclusions le 15 octobre 2019. L’intimé se constitue et forme appel incident par conclusions remises au greffe le 14 novembre 2019 et signifiée à la SCP d’Huissiers, non constituée, le 18 novembre 2019. La cour d’appel juge cependant irrecevables ces dernières conclusions dès lors que les articles 68 et 551 du code de procédure civile prévoient que l’appel incident ou provoqué doit être formé par voie d’assignation. Au visa des articles 909 et 911 du code de procédure civile, la deuxième chambre civile casse et annule l’arrêt en ce qu’il a estimé irrecevable l’appel incident et remet sur ce point l’affaire et les parties devant la même cour autrement composée. La solution est la suivante :

« 5. Selon le premier de ces textes, l’intimé dispose, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, d’un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant pour former le cas échéant appel incident. Aux termes du second, les conclusions sont signifiées, au plus tard dans le mois suivant l’expiration des délais prévus aux articles 905-2 et 908 à 910 du code de procédure civile, aux parties qui n’ont pas constitué avocat. Cependant, si, entretemps, celles-ci ont constitué avocat avant la signification des conclusions, il est procédé par voie de notification à avocat.6. Il en résulte que l’appel incident formé par un intimé contre un co-intimé défaillant est valablement formé par la signification de conclusions et n’a pas à revêtir la forme d’une assignation.

7. Pour déclarer irrecevable l’appel incident formé par M. [R] contre le chef du jugement l’ayant débouté de sa demande de dommages-intérêts dirigée contre la société [H], l’arrêt retient que les articles 68 et 551 du code de procédure civile prévoient, à peine d’irrecevabilité, que l’appel incident ou provoqué doit être formé par voie d’assignation lorsqu’il est dirigé contre une partie défaillante, que la société [H], partie intimée dans l’acte d’appel principal, a constitué avocat le 9 décembre 2019 et que l’appel incident dirigé contre elle, partie défaillante à l’appel incident, et formé par conclusions remises au greffe le 14 novembre 2019, doit être déclaré irrecevable.

8. En statuant ainsi, alors que la société [H] avait été régulièrement intimée par l’appelant, et que M. [R], qui formait un appel incident contre elle, n’était donc tenu que de lui signifier ses conclusions d’appel incident dans les délais requis et non de l’assigner à comparaître, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Mouton

Commençons par l’enjeu très pratique de la question posée à la Cour de cassation. Toute solution contraire, dans le sens de celle retenue par la cour d’appel de Basse-Terre, aurait conduit à un flot de déclarations de sinistre tant la pratique révèle que les avocats procèdent le plus souvent, pour dénoncer leurs conclusions à l’intimé non constitué, par voie de signification et non d’assignation. L’enjeu était donc de taille ; le pire étant que le raisonnement de la cour d’appel était exact au regard des textes appliqués. Car si lue rapidement, la solution de la deuxième chambre civile n’étonnera pas, l’évidence de cette première lecture ne provient pas tant des dispositions légales que d’une pratique instaurée depuis des années. Et c’est là que réside le risque : ne plus se poser de questions face à une pratique installée et partagée de tous. Toute coïncidence avec la saga de l’annexe à la déclaration d’appel n’est bien évidemment pas fortuite, et n’est pas terminée. C’est finalement le risque d’un comportement moutonnier, qui s’inscrit au-delà des textes, ici remis sèchement en perspective par la cour d’appel de Basse-Terre.

Ainsi, si l’avocat de l’intimé forme appel incident contre un co-intimé constitué, il lui dénonce ses conclusions par voie de notification et si celui-ci n’est pas encore constitué, comme en l’espèce, il les lui signifie. Tout le monde le sait, donc le fait. Tout le monde le fait, donc le sait. Oui, mais ne devrait-il pas l’assigner à l’instar de l’appel provoqué ? En effet, loin des débats doctrinaux sur le régime procédural de l’appel provoqué et celui de l’appel incident, qui ne répondent pourtant pas à la même fonction, la Cour de cassation avait assimilé les deux pour corriger l’imperfection notable de la rédaction de l’ancien article 909 qui avait omis l’appel provoqué au côté de l’appel incident. L’erreur fut réparée avec le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017. Entre temps, on avait appris qu’un appel provoqué se fait nécessairement par assignation et dans le délai pour conclure (Civ. 2e, 9 janv. 2014, n° 12-27.043, Dalloz actualité, 24 janv. 2014, obs. M. Kebir ; D. 2014. 795, obs. N. Fricero image ; ibid. 1722, chron. L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, T. Vasseur, E. de Leiris, H. Adida-Canac, D. Chauchis et N. Palle image ; ibid. 2015. 287, obs. N. Fricero image ; Gaz. Pal. 28 févr-1er mars 2014, nos 59 et 60, obs. C. Lhermitte ; Gaz. Pal. 9-11 mars 2014, nos 68 à 70, obs. E. Jullien ; Village de la justice, 29 mai 2015, obs. V. Mosquet). Puis que quand bien même l’intimé sur l’acte d’appel avait, lui aussi, intérêt à relever appel principal, il devait procéder par assignation en appel provoqué sans pouvoir former une déclaration d’appel principal (Civ. 2e, 27 sept. 2018, n° 17-13.835, Dalloz actualité, 24 oct. 2018, obs. R. Laffly). Et enfin que l’assignation en appel provoqué doit être délivrée dans le délai pour conclure de l’intimé, sans que ce délai puisse être prorogé dans les conditions prévues par l’article 911 du code de procédure civile, qui régit la signification de conclusions à une personne déjà attraite dans la procédure d’appel (Civ. 2e, 6 juin 2019, n° 18-14.901, Dalloz actualité, 3 juill. 2019, obs. R. Laffly ; D. 2019. 1233 image). C’est peu dire que s’ils peuvent se rejoindre, le régime de l’appel provoqué est bien plus sévère que celui de l’appel incident qui se forme par voie de conclusions et qui offre, lui, le délai augmenté de l’article 911. Voilà tout l’enjeu de la recevabilité de l’appel incident pour une question, une de plus, de pure forme.

Rhinocéros

Pour dégager le syllogisme de la forme que doit revêtir l’appel incident dirigé contre un intimé non constitué, les juges d’appel avaient bien à disposition une prémisse majeure et une prémisse mineure. Celle en premier lieu de l’article 68 qui dispose que « Les demandes incidentes sont formées à l’encontre des parties à l’instance de la même manière que sont présentés les moyens de défense. Elles sont faites à l’encontre des parties défaillantes ou des tiers dans les formes prévues pour l’introduction de l’instance. En appel, elles le sont par voie d’assignation » et celle de l’article 551 qui précise que « L’appel incident ou l’appel provoqué est formé de la même manière que sont les demandes incidentes ».

Selon les enseignements d’Aristote, pour que le syllogisme fonctionne, sa conclusion doit être contenue dans la prémisse majeure qui doit être générale et universelle. Cela fonctionne à merveille. On le sait :
« Tous les hommes sont mortels.
Socrate est un homme.
Donc Socrate est mortel ».

On sait aussi ce qu’il advint avec Ionesco et son dialogue paralogique :
« Tous les chats sont mortels. Socrate est mortel. Donc Socrate est un chat.
- C’est vrai, j’ai un chat qui s’appelle Socrate.
- Vous voyez… ».

L’art est difficile et le danger immédiat est celui qui conduit à la pensée totalitaire, suivie par tous et dénoncée par l’auteur de Rhinocéros. Mais à l’inverse, pas de raisonnement sophiste de la part de la cour d’appel. Le piège était d’autant plus réel que le raisonnement par syllogisme, qui s’appuyait sur les textes, était bon :
Les demandes incidentes se forment contre les parties défaillantes ou des tiers, en appel, par voie d’assignation.
L’appel incident se forme de la même manière que sont les demandes incidentes.
L’appel incident contre une partie défaillante se forme donc en appel par voie d’assignation.

Le syllogisme, qui permet de dégager une vérité, pour ne pas dire la vérité, était en marche.

Face à cette logique implacable, comment la Cour de cassation pouvait-elle s’y prendre ? Au regard des dispositions légales, exactement visées, faire échec au raisonnement n’était pas chose aisée. L’argumentation pouvait être : si « Les demandes incidentes sont formées à l’encontre des parties à l’instance de la même manière que sont présentés les moyens de défense », ces derniers sont formés par voie de conclusions dénoncées à la partie adverse, pas par assignation. Oui, mais le texte ajoute, répondraient les juges de Basse-Terre, que les demandes incidentes « sont faites à l’encontre des parties défaillantes ou des tiers dans les formes prévues pour l’introduction de l’instance ». Donc par assignation. Oui mais un co-intimé contre lequel un intimé forme appel incident n’est pas un tiers. Le tiers à la procédure est l’intervenant forcé en cause d’appel qui n’a pas la qualité de partie en première instance ; l’intimé sur appel provoqué est partie en première instance mais n’est pas intimé sur l’acte d’appel principal ; l’intimé sur l’acte d’appel est à la fois partie en première instance et intimé sur l’acte d’appel principal. Il n’est ni un tiers à la procédure de première instance, ni à celle d’appel. Oui, mais la Cour de Basse-Terre répliquerait qu’au sens du texte, ce co-intimé qui n’est certes pas un tiers, est bien « défaillant » au moment de la dénonciation des conclusions puisqu’il n’a pas constitué avocat. Il doit donc être assigné.

Chouette

Perspicacité et sagesse étaient les qualités requises pour contourner l’obstacle. La première erreur de la cour d’appel était déjà de ne pas avoir vu un arrêt de la Cour de cassation qui avait dégagé la même solution. Identiquement, la cour d’appel de Rennes avait estimé, par référence aux mêmes textes, que l’intimé constitué qui forme un appel incident contre un co-intimé non constitué doit procéder par assignation. Mais la deuxième chambre civile avait répondu « Qu’en statuant ainsi, alors que la seule obligation pesant sur M. Z. était de signifier ses conclusions d’appel incident à M. Y, régulièrement intimé par l’appelant, dans les délais prescrits par les articles 909 et 911 du code de procédure civile, soit avant le 12 août 2017, sauf à ce que M. Y constitue avocat avant la signification, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (Civ. 2e, 9 janv. 2020, n° 18-24.606, Dalloz actualité, 22 janv. 2020, obs. C. Auché et N. de Andrade ; D. 2020. 88 image ; ibid. 576, obs. N. Fricero image).

L’erreur était aussi celle de ne pas avoir vu, ou voulu voir, l’article 911 du code de procédure civile.Car pour sauvegarder les droits des parties, l’habileté de la deuxième chambre civile n’est justement pas de se hasarder à une exégèse des textes, et donc à l’interprétation des articles 68 et 551, mais au contraire d’en trouver un troisième, l’article 911 ! Sur les autres, l’article 911, spécial à l’appel, s’impose. S’il rappelle que les conclusions sont notifiées aux avocats des parties dans le délai de leur remise au greffe de la cour, le texte prévoit le sort des conclusions en l’absence de constitution de l’intimé : « elles sont signifiées au plus tard dans le mois suivant l’expiration des délais prévus à ces articles aux parties qui n’ont pas constitué avocat ; cependant, si, entre-temps, celles-ci ont constitué avocat avant la signification des conclusions, il est procédé par voie de notification à leur avocat ».

L’interprétation relève donc d’un parti-pris et d’une hauteur de vue qui s’infèrent de la solution donnée : celle de faire de l’intimé non constitué un personnage comme les autres. L’intimé non constitué, qui peut être défaillant comme le rappelle à propos l’arrêt (6), reste un intimé. Cet arrêt est d’autant plus intéressant qu’il reprend le terme de défaillant, celui de l’article 68, qui était occulté dans l’arrêt précité du 9 janvier 2020. Autrement dit, ce n’est pas cette défaillance qui induit le régime de l’assignation, c’est sa qualité de partie à l’acte d’appel qui exclut l’assignation. Alors on pourra toujours l’assigner à comparaître, mais la seule signification des conclusions sera suffisante. L’arrêt le dit, la signification, qui est une dénonciation par voie d’Huissier de justice, « n’a pas à revêtir la forme d’une assignation ». Lorsque l’article 911 précise que les conclusions sont signifiées aux parties qui n’ont pas constitué avocat, la qualité de partie ne fait aucun doute. En l’espèce, les deux co-intimés sur la déclaration d’appel de la CNBF avaient, dès le départ (constitués ou non par conséquent) cette qualité d’intimé. Mais si l’un ou l’autre avait souhaité intimer une partie présente en première instance mais non intimée sur l’acte d’appel principal, ou faire intervenir pour la première fois un tiers à l’instance, l’un et l’autre n’aurait eu d’autre choix que de l’assigner, soit en appel provoqué, soit en intervention forcée. L’assignation est bien l’invitation à comparaître, c’est là l’un des intérêts de l’assignation, et de cet arrêt. Or, l’intimé sur la déclaration d’appel, peu important qu’il ait constitué, n’avait-il pas déjà été invité à comparaître ? Parmi tous ces textes, n’aurait-on pas oublié l’alinéa 1er de l’article 902 : « Le greffier adresse aussitôt à chacun des intimés, par lettre simple, un exemplaire de la déclaration d’appel avec l’indication de l’obligation de constituer avocat ». Les invitations étaient parties depuis longtemps.

Du point de départ de l’action en responsabilité contre le notaire

La question de la prescription extinctive continue d’intéresser la première chambre civile de la Cour de cassation en ce début d’été. Lors de ces six derniers mois, c’est un véritable flot continu d’arrêts qui a été rendu sur cette question (pour un florilège non exhaustif, Civ. 1re, 5 janv. 2022, nos 20-16.031, 19-24.436, 20-18.893 et 20-18.893, Dalloz actualité, 17 janv. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 4 image ; Rev. prat. rec. 2022. 25, chron. O. Salati image; Rev. prat. rec. 2022. 25, chron. O. Salati image ; RTD com. 2022. 134, obs. D. Legeais image ; D. 2022. 68 image ; AJDI 2022. 217 image ; Com. 9 févr. 2022, n° 20-17.551, Dalloz actualité, 16 févr. 2022, obs. C. Hélaine ; Civ. 1re, 11 mai 2022, n° 21-12.513, Dalloz actualité, 18 mai 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 992 image). Il faut bien avouer que la matière, technique par nature, implique des hésitations notamment sur le point de départ de la prescription de chaque action en particulier. Pour harmoniser des solutions parfois divergentes, la Cour de cassation apporte des réponses qui sans fixer un point de départ unique, adapte celui-ci pour respecter au mieux la lettre de l’article 2224 du code civil qui fixe ce point de départ au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer l’action personnelle en question. La complexité réside donc dans cette nuance de réponses adaptant le point de départ à l’action prise dans son individualité tout en assurant un ensemble cohérent et respectueux de la lettre du texte concerné. Une belle illustration de cette question est donnée par l’arrêt commenté aujourd’hui et rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 29 juin 2022. Reprenons-en les faits essentiels pour comprendre où se situait le problème. Un expert-comptable propose à un commerçant un montage juridique lui permettant de céder son fonds de commerce sans être imposé au titre des plus-values. Par acte du 3 avril 2001, le commerçant a ainsi donné son fonds de commerce en location gérance à une société dont il était à la fois le gérant et l’associé majoritaire. Le 29 août 2007, l’administration lui notifie un redressement fiscal d’un montant de 66 960 € au titre de l’imposition des plus-values. La cour administrative d’appel de Bordeaux rejette dans un arrêt confirmatif la demande du contribuable tendant à faire reconnaître son droit à l’exonération envisagée. Les 14 et 23 mars 2016, l’exploitant du fonds de commerce déçu de l’inefficacité de ce montage juridique a assigné le notaire, la société civile professionnelle dans laquelle ce dernier exerce et son assureur en responsabilité et en indemnisation. Par jugement en date du 7 avril 2017, le tribunal de grande instance de Bergerac juge l’action prescrite et déboute le demandeur. Celui-ci interjette appel. La cour d’appel de Bordeaux infirme le jugement entrepris pour substituer au débouté une irrecevabilité qui est la conséquence logique de la prescription qu’elle confirme pour le surplus. Voici notre exploitant du fonds de commerce qui se pourvoit en cassation en arguant que l’action ne pouvait courir qu’à compter de la date de réalisation du dommage ou à la date où la victime est en mesure d’agir. Pour lui, cette date se situait au 07 janvier 2014, date de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux qui rejetait son recours contre le redressement fiscal dont il a fait l’objet.

Il obtient gain de cause puisque la première chambre civile de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt dans sa décision rendue le 29 juin 2022. Elle précise que : « En statuant ainsi, alors que le dommage de M. [E] ne s’était réalisé que le 7 janvier 2014, date de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux ayant rejeté son recours et constituant le point de départ du délai de prescription quinquennal, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

L’arrêt explore un nouveau cas de nuance du point de départ de la prescription tout en assurant la même ligne directrice désormais connue et ce sous l’égide de l’article 2224 du code civil.

Un point de départ fixé au jour de l’arrêt condamnant le contribuable

L’article 2224 du code civil, utilisé comme visa dans cette solution, est interprété d’une manière adaptative par la première chambre civile de la Cour de cassation. On connaît la solution classique en droit de la responsabilité qui veut que le point de départ se situe au jour où le dommage s’est réalisé ou, du moins, à la date où la victime est en mesure d’agir. Pour les préjudices corporels, ceci implique de prendre en compte la date de consolidation du dommage par exemple (Civ. 2e, 10 févr. 2022, n° 20-20.143, Dalloz actualité, 4 mars 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 279 image). Mais pour les autres préjudices, comme celui au cœur de l’arrêt commenté, d’autres difficultés se posent sur le bon positionnement de ce point de départ. Ici, le facteur de complication consistait à savoir s’il fallait placer le point de départ comme l’avait considéré la cour d’appel au 29 août 2007, date de la lettre de redressement par laquelle l’administration fiscale avait informé le contribuable que la cession devait faire l’objet d’une imposition au titre des plus-values. Est-ce que cette date pouvait convenir pour matérialiser le dommage et ainsi respecter la lettre de l’article 2224 du code civil ? La question se discute car en présence d’un recours comme celui initié par l’exploitant du fonds de commerce redressé, celui pouvait avoir encore l’espoir que le redressement n’était qu’une erreur du Trésor Public. En somme, son dommage n’était peut-être pas encore réalisé à cette date.

La question est résolue d’une manière lapidaire mais efficace par la première chambre civile. Le point de départ se situe au jour de l’arrêt confirmatif qui vient définitivement fermer les portes à cet espoir du contribuable de voir son montage juridique fonctionner. C’est donc au 7 janvier 2014, date de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux, que se matérialise la connaissance des faits lui permettant d’exercer son action en responsabilité contre le notaire. La solution invite à une certaine prudence les praticiens car elle montre à quel point la lecture de l’article 2224 du code civil implique de veiller à bien positionner le point de départ du délai.

L’ensemble eut créer une impression de pluralité dans les décisions de la Cour de cassation mais la solution n’en est pas moins respectueuse d’une certaine unité.

Diversité des points de départs mais unité de la justification

La lecture des derniers arrêts rendus par la Cour de cassation au sujet du point de départ de la prescription extinctive peut laisser quelques lecteurs perplexes. Les décisions peuvent conduire à, matériellement, retenir des éléments factuels différents : premier incident de paiement pour le devoir de mise en garde de la caution (Civ. 1re, 5 janv. 2022, n° 20-17.325 FS-B, préc.), jour où l’emprunteur a eu connaissance du défaut de garantie du risque qui s’est réalisé (Civ. 1re, 5 janv. 2022, n° 19-24.436, Dalloz actualité, 17 janv. 2022, obs. C. Hélaine ; Rev. prat. rec. 2022. 25, chron. O. Salati image ; RTD com. 2022. 134, obs. D. Legeais image), jour où le dommage s’est consolidé (Civ. 2e, 10 févr. 2022, n° 20-20.143, préc.), etc. Ces solutions plurielles vont toutefois dans le même sens comme nous le notons régulièrement dans ces colonnes et ce sous à l’aide d’une interprétation utile des règles du code civil.

Ces décisions, certes de première apparence différentes, sont les garantes d’une lecture respectueuse de l’article 2224 du code civil lequel est rédigé de telle sorte à entraîner ces questions d’interprétation dynamique en fonction de chaque action prise dans son individualité par le juge. Une telle lecture implique une certaine adresse des praticiens à pouvoir déduire de l’action qu’ils engagent le bon point de départ considéré. Reste à savoir si la construction prétorienne est garante de sécurité juridique. Il faut probablement répondre par la positive car une lecture unitaire fixant au même jour tous les points de départ de la prescription violerait la lettre de l’article 2224 du code civil qui n’évoque pas une telle solution unique.

L’arrêt du 29 juin 2022 est, par conséquent, intéressant à bien des titres. Il vient d’abord confirmer l’attrait des praticiens pour les questions de prescription. Arme redoutable puisqu’entraînant une irrecevabilité de la demande, cette dernière reste parmi l’arsenal de choix du conseil de la partie qui doit subir une action, ici en responsabilité. Mais attention à bien positionner le point de départ, sinon que de temps perdu ! La décision vient également construire une fresque aux motifs divers mais dont l’histoire qu’elle raconte trouve sa cohérence au sein de l’article 2224 du code civil. Reste à attendre la suite de cette belle tapisserie brodée avec soin par la Cour de cassation.

Le « chef dépendant », ou comment sauver un chef non mentionné dans la déclaration d’appel

Dans un litige d’accident de personne, la victime agit contre les syndicats des copropriétaires et leurs assureurs, en responsabilité et en indemnisation de son préjudice.

Le tribunal écarte la responsabilité des syndicats des copropriétaires, mais retient un droit à indemnisation au regard de la loi du 5 juillet 1985, s’agissant d’un accident de la circulation. Il met hors de cause les assureurs, en leur qualité d’assureurs responsabilité civile immeuble et propriétaire d’immeuble des syndicats des copropriétaires.

La victime fait appel en le limitant à la mise hors de cause des assureurs des syndicats des copropriétaires.

Mais l’appelant conclut du chef de l’application de la loi de 1985 au litige, chef non mentionné sur la déclaration d’appel.

La cour d’appel de Besançon déclare irrecevables les demandes tendant à remettre en cause le régime juridique applicable au litige et les modalités de fixation des préjudices, et confirme en conséquence la mise hors de cause des assureurs.

L’arrêt d’appel est cassé.

La cour d’appel devait rechercher si le chef de la « responsabilité » n’était pas dévolu, en ce qu’il serait la conséquence du chef de la mise hors de cause.

Et si la dévolution n’a pas opéré de ce chef, la cour d’appel n’avait pas à prononcer une irrecevabilité, mais devait constater l’absence d’effet dévolutif.

La dévolution d’un chef non mentionné

Aux termes des articles 562 et 901, 4°, l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément, contenus dans la déclaration d’appel, et de ceux qui en dépendent.

La dévolution est donc doublement encadrée : d’une part, par la déclaration qui mentionne les chefs critiqués et, d’autre part, par les conclusions qui ne peuvent aller au-delà des chefs mentionnés dans l’acte d’appel, et ne peuvent contenir des demandes mentionnées dans l’acte d’appel mais non susceptibles d’être critiqués.

Depuis la réécriture des articles 901 et 562, les avocats doivent faire preuve de vigilance quant à la rédaction de la déclaration d’appel, ce qui suppose de savoir ce qu’est un chef critiqué, et où il se niche. Et sur ce point, la Cour de cassation est peu diserte.

En pratique, l’habitude – que nous devons certainement à la circulaire du 4 août 2017 (Circ. 4 août 2017 de présentation des dispositions du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile, modifié par le décret n° 2017-1227 du 2 août 2017, NOR : JUSC1721995C) – consiste à reprendre, pour tout ou partie, le dispositif du jugement.

Cela vaut ce que ça vaut, mais à ce jour, cette pratique, qui ne nous paraît pas toujours satisfaisante (Procédures d’appel, 2022-2023, Dalloz, coll. « Delmas express », n° 21.132, p. 94), n’a pas été sanctionnée par la Cour de cassation.

Dans cette affaire, la victime avait agi en responsabilité civile des syndicats des copropriétaires, et avait appelé à la cause les assureurs responsabilité civile.

La responsabilité civile des syndicats des copropriétaires est écartée, le tribunal retenant que le demandeur était victime d’un accident de la circulation, relevant en conséquence des dispositions de la loi de 1985.

Les assureurs responsabilité civile sont donc mis hors de cause.

C’est cette mise hors de cause qui est mentionnée comme chef critiqué sur la déclaration d’appel.

Comme le rappelle de manière habituelle la Cour de cassation, c’est l’acte d’appel et seule- ment l’acte d’appel qui fixe la dévolution de l’appel (v. not., Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-22.528 P, « seul l’acte d’appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement », Dalloz actualité, 17 fév. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 288 image ; ibid. 576, obs. N. Fricero image ; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle image ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero image ; D. avocats 2020. 252, étude M. Bencimon image ; RTD civ. 2020. 448, obs. P. Théry image ; ibid. 458, obs. N. Cayrol image ; 2 juill. 2020, n° 19-16.954 P, Dalloz actualité, 18 sept. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2021. 543, obs. N. Fricero image).

En conséquence, si un chef n’est pas mentionné dans l’acte d’appel, il n’est pas dévolu à la cour d’appel qui n’en sera pas saisie.

Mais comme le prévoit l’article 562, un chef peut néanmoins saisir la cour d’appel, alors même qu’il n’est pas mentionné dans l’acte d’appel, s’il dépend du chef mentionné.

Et c’est sur ce « chef dépendant » du chef mentionné que la Cour de cassation donne des indications, sans pour autant nous en donner trop, de manière à conserver une partie du suspense pour les prochains épisodes.

Le « chef dépendant » d’un chef mentionné

Pour la Cour de cassation, les chefs qui dépendent des chefs mentionnés sont « ceux qui sont la conséquence des chefs du jugement expressément critiqués ».

Et la Cour de cassation d’ajouter que la cour d’appel devait rechercher ce lien de dépendance, tout en se gardant bien de dire si, en l’espèce, ce lien existait. Il appartiendra à la juridiction de renvoi de lire entre les lignes.

En l’espèce, les assureurs avaient été mis hors de cause au motif qu’ils étaient assureurs responsabilité civile des syndicats.

L’appelant pouvait-il contester cette mise hors de cause sans contester ce faisant le principe de « responsabilité » (étant toutefois précisé que le loi de 1985 est une loi d’indemnisation, non de responsabilité) ?

Et effectivement, le lien de dépendance semble exister, car c’est bien parce que la responsabilité des syndicats est écartée que les assureurs responsabilité civile sont mis hors de cause.

Pour cette raison, même si l’appelant n’a pas mentionné le principe de responsabilité dans son acte d’appel, l’examen de la mise hors de cause suppose que soit tranchée au préalable la « responsabilité » applicable.

En l’espèce, l’appelant semble donc avoir sauvé son appel.

À l’instar des dispositifs des conclusions, les dispositifs des jugements peuvent parfois laisser à désirer.

Un jugement peut par exemple – et ce n’est pas un cas d’école – prononcer la condamnation au remboursement du prix de vente, au titre d’une résolution prononcée dans les motifs mais non reprise dans le dispositif. L’appelant qui reprend le dispositif du jugement mentionnera la condamnation au remboursement comme chef critiqué dans son acte d’appel, sans mentionner la résolution de la vente.

Au regard de cet arrêt de cassation, il pourrait être soutenu que le remboursement du prix de vente suppose la dévolution du chef de la résolution, « chef dépendant ».

Mais cela ne fonctionnera pas à tous les coups.

Si l’appelant se contente de mentionner les condamnations comme chef critiqué, sans mentionner le principe de responsabilité, le quantum ne présente pas un lien de dépendance. En effet, il est parfaitement possible de limiter son appel au seul quantum, sans vouloir discuter du principe de responsabilité, ou du droit à indemnisation. Il peut donc être dangereux de se limiter au dispositif du jugement, et de ne pas mentionner certains chefs (Procédures d’appel, 2022-2023, op. cit., n° 21.133, p. 95).

Il en ressort que cette notion de « chef dépendant » devra constituer une bouée de sauvetage, à invoquer lorsque l’appelant n’aura pas été suffisamment complet dans la mention des chefs critiqués.

Même s’il nage bien le chef, le mieux est d’éviter de tomber à l’eau, et d’être complet lors de la rédaction de l’acte d’appel, en mentionnant tous les chefs.

Et dans l’affaire ayant donné lieu au présent arrêt de cassation, l’appelant aurait été mieux inspiré s’il avait mentionné expressément que l’appel portait sur le régime de responsabilité applicable.

Indiquer le chef, mais dans quels termes ?

Les termes de l’arrêt suscitent une interrogation.

Il est précisé que le chef dépendant est « le régime de responsabilité applicable ».

Du fait d’une habitude généralisée, il ne vient à l’esprit d’aucun appelant de se dégager du dispositif du jugement, dont l’acte d’appel devient un copié-collé, avec tous les risques que cela comporte, ce qui engendre une déclaration d’appel parfois peu lisible.

Nous sommes d’avis, néanmoins, que l’appelant n’avait pas l’obligation de mentionner le chef critiqué de cette manière : « dit que la demande de M. [X] est fondée sur les articles 1 et suivants de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ».

Il aurait suffi à l’appelant de préciser ce chef comme « le régime de responsabilité applicable », pour qu’opère la dévolution (Procédures d’appel, 2022-2023, op. cit., n° 21.133, p. 95).

Ces termes sont au demeurant plus intelligibles.

Or, « la déclaration d’appel, laquelle est un acte de procédure se suffisant à lui seul » (Civ. 2e, 14 avr. 2022, n°20-22.497 NP ; 19 mai 2022, n° 21-12.267 NP ; 19 mai 2022, n° 21-13.642 NP ; 13 janv. 2022, n°20-17.516 P, D. 2022. 325 image, note M. Barba image ; ibid. 625, obs. N. Fricero image ; AJ fam. 2022. 63, obs. F. Eudier et D. D’Ambra image ; Rev. prat. rec. 2022. 9, chron. D. Cholet, O. Cousin, M. Draillard, E. Jullien, F. Kieffer, O. Salati et C. Simon image), doit permettre à elle-seule de comprendre quelle est la portée de la dévolution opérée, ce qui suppose que les chefs critiqués soient correctement et précisément indiqués. Au demeurant, cela pose la question des formules sibyllines du style « déboute la partie de toutes ses demandes », sans précisions quant à ces demandes (Procédures d’appel, 2022-2023, op. cit., n° 21.133, p. 95).

Une absence d’effet dévolutif qui n’est pas une irrecevabilité

La cour d’appel, suivants en cela les intimés, avait déclaré irrecevables les demandes.

Mais si le doute avait été permis lors de l’entrée en vigueur du décret du 6 mai 2017, au regard de la jurisprudence antérieure (Civ. 3e, 15 mai 2002, n° 99-10.507 P), nous savons désormais que toute difficulté liée à l’effet dévolutif ne se traduit pas en terme d’irrecevabilité, mais d’absence d’effet dévolutif (Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-22.528 P, préc. ; Procédures d’appel, 2022-2023, op. cit., n° 21.171, p. 109), ce qui au demeurant allège le travail d’un conseiller de la mise en état déjà bien occupé par ailleurs.

Il en résulte que si l’appelant a omis de mentionner un chef dans sa déclaration d’appel, que la cour d’appel n’annule pas le jugement et que le chef oublié n’est pas un « chef dépendant » d’un chef mentionné, alors la cour d’appel n’aura pas à se prononcer sur la demande lié à ce chef dont elle n’est pas saisie.

Or, pour déclarer une demande irrecevable, encore faut-il qu’elle passe le stade de la dévolution, et qu’elle saisisse le juge.

Pour cette raison, au demeurant, la demande de confirmation du chef du prononcé du divorce et de prononcé du divorce n’a pas à être déclarée irrecevable si l’appel ne dévolue pas ce chef du prononcé du divorce. Il n’y a pas davantage lieu à prononcer une irrecevabilité de cet appel de ce chef, s’agissant d’une question de dévolution.

L’absence d’effet dévolutif, c’est le pétard mouillé, celui qui n’explose pas. Pourtant, ce pétard existe bien, et quelqu’un l’a allumé. Mais il ne produit aucun effet.

La confidentialité de la médiation et ses conséquences

Le principe de confidentialité constitue, à n’en pas douter, l’un des piliers de la justice participative (M. Reverchon-Billot, La justice participative : naissance d’un vrai concept, RTD civ. 2021. 297 image, spéc. n° 21). L’article 21-3 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 prévoit en ce sens que « sauf accord contraire des parties, la médiation est soumise au principe de confidentialité ». Voilà qui permet aux parties de s’engager pleinement dans le processus de médiation en sachant que l’avis ou les constatations du médiateur ne seront pas utilisés ultérieurement à leur encontre devant une juridiction. Ce principe, que l’on pourrait qualifier de grand, concerne toute médiation, judiciaire ou conventionnelle (C. pr. civ., art. 131-14 et 1531), et même administrative (CJA, art. L. 213-2). Mais, une fois ce principe proclamé, il reste à le mettre en œuvre et à en tirer les conséquences. L’arrêt rendu le 9 juin 2022 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation livre à cet égard quelques enseignements.

Alors qu’une médiation s’était tenue, une partie avait produit au soutien de son assignation à comparaître différentes pièces relatives à la procédure de médiation et, notamment, l’avis du médiateur. Parce que son adversaire estimait que le respect du principe de confidentialité constituait une formalité substantielle, il avait demandé que la nullité de l’assignation soit prononcée et, pour faire bonne mesure, que les pièces litigieuses soient écartées des débats. Le tribunal d’instance de Marseille a cependant rejeté l’exception de nullité de l’acte introductif d’instance en l’absence de grief et a même statué au vu des pièces litigieuses. La Cour de cassation n’a pas partagé cette manière de voir les choses. Après avoir souligné que « l’atteinte à l’obligation de confidentialité de la médiation impose que les pièces produites sans l’accord de la partie adverse, soient, au besoin d’office, écartées des débats par le juge », elle a censuré le jugement rendu par le tribunal d’instance de Marseille.

Cet arrêt apporte quelques précisions importantes relatives au champ d’application du principe de confidentialité et au dispositif garantissant son respect.

Le champ d’application du principe de confidentialité

La lecture de l’article 21-3 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 pourrait laisser penser que le principe de confidentialité ne couvre pas tous les éléments échangés au cours du processus de médiation. Le texte indique en effet que seules « les constatations du médiateur et les déclarations recueillies au cours de la médiation ne peuvent être divulguées aux tiers ni invoquées ou produites dans le cadre d’une instance judiciaire ou arbitrale sans l’accord des parties ». Au cours de la médiation, les parties sont invitées, voire incitées par le médiateur, à faire des concessions en vue de parvenir à un accord. Celle qui fait un pas vers son adversaire, et joue ainsi le jeu de la médiation, ne doit pas le faire avec la crainte que sa bonne volonté puisse se retourner contre elle ; les déclarations ou constatations du médiateur, dont le rôle est de rapprocher les parties, ne doivent naturellement pas davantage pouvoir être utilisées par les parties au cours d’une procédure juridictionnelle. Il en va naturellement de même des offres adressées par une partie au médiateur (Versailles, 13e ch., 26 janv. 2021, n° 19/05110). Le sceau du secret doit donc entourer le processus de médiation… Il ne fait guère de doute, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, que le principe de confidentialité avait été méconnu ; l’avis même du médiateur avait en effet été versé aux débats ; même s’il était « succinct » et se bornait à indiquer que le texte du contrat unissant les parties en litige « porte à confusion », cela importait peu ; les opinions et avis du médiateur sont couverts par le principe de confidentialité.

Il reste qu’on ne peut s’empêcher de trouver la disposition de l’article 21-3 bien étroite. Car, au cours du processus de médiation, d’autres documents peuvent naturellement être échangés par les parties, car il faut bien qu’elles éclairent le médiateur sur l’objet et les causes de leur litige. Au-delà des pièces relatives aux constatations du médiateur et aux déclarations recueillies au cours de la médiation, il est ainsi permis de se demander si toutes les pièces échangées par les parties au cours du processus ne sont pas soumises au principe de confidentialité. Le texte de l’article 21-3 n’incite pas à répondre par l’affirmative ; son esprit, pas davantage. Car la partie, qui a fait l’effort de conserver ou de recueillir des pièces et les présente, à tort ou à raison, au cours de la médiation, ne doit pas être privée du droit de les employer au cours d’une procédure juridictionnelle postérieure (comp. F. de Korodi, La confidentialité de la médiation, JCP 2012. 1320). À la rigueur, il pourrait simplement être admis que les pièces dont il lui a été remis une copie au cours du processus non juridictionnel ne puissent pas être utilisées ultérieurement, même si rien ne lui interdira d’en solliciter la production forcée…

Il reste qu’une pièce soumise au principe de confidentialité peut, dans quelques cas, être utilisée en justice : en cas de raisons impérieuses d’ordre public ou de motifs liés à la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ou à l’intégrité physique ou psychologique d’une personne ou encore lorsque la révélation de l’existence ou la divulgation du contenu de l’accord issu de la médiation est nécessaire pour sa mise en œuvre ou son exécution (Loi n° 95-125 du 8 févr. 1995, art. 21-3, a et b). Surtout, il ne faut pas oublier qu’un accord des parties peut toujours permettre aux parties de produire des éléments qui sont soumis au principe de confidentialité (Loi n° 95-125, art. 21-3). Sur ce point, les cours d’appel paraissent assez compréhensives en jugeant que la partie qui produit une pièce en justice ne peut, même si elle est couverte par le principe de confidentialité, s’opposer à ce qu’elle soit utilisée par son adversaire (Agen, ch. civ., sect. com., 5 juill. 2021, n° 19/01127, AJDI 2021. 593 image ; ibid. 594 image ;  v. égal. Pau, 1re ch., 31 mars 2015, n° 13/04006), même si, plutôt qu’un hypothétique accord tacite, un tel résultat aurait sans doute pu être obtenu en interdisant simplement à la partie de se prévaloir d’un moyen contraire à ses écritures. Dans l’arrêt commenté, aucune de ces raisons ne paraissait cependant justifier la production des pièces litigieuses en justice.

La sanction de la méconnaissance du principe de confidentialité

Il reste alors à déterminer quelle est la sanction attachée à la méconnaissance du principe de confidentialité. L’article 21-3 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 n’en dit rien ; dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, le requérant avait non seulement soulevé une exception de nullité de l’assignation, mais également demandé au tribunal, à titre subsidiaire, d’écarter des débats les pièces litigieuses.

Il paraît assez évident que des pièces, produites en méconnaissance du principe de confidentialité, doivent être écartées des débats (v. par ex., Dijon, 2e ch. civ., 18 mars 2021, n° 20/01180 ; Paris, pôle 4, ch. 9, 8 oct. 2020, n° 17/15973). C’est précisément ce que juge la Cour de cassation dans l’arrêt commenté : « l’obligation de confidentialité de la médiation impose que les pièces produites […] soient, au besoin d’office, écartées des débats par le juge ». Le respect du principe de confidentialité est ainsi garanti par le pouvoir d’office du juge. Il est vrai que le juge peut assez aisément identifier certaines des pièces dont la production heurte le principe de confidentialité ; c’est ce qui explique que la Cour de cassation paraisse bel et bien obliger le juge à écarter les pièces litigieuses. En statuant au vu des pièces couvertes par le principe de confidentialité, le tribunal d’instance avait ainsi méconnu les exigences de l’article 21-3 de la loi et cela suffisait à justifier la censure du jugement rendu ; il ne pouvait en effet se borner à rejeter la demande de nullité de l’assignation.

En revanche, même si la Cour de cassation ne dit rien sur ce point, il pourrait paraître douteux que la méconnaissance du principe de confidentialité puisse conduire à la nullité de l’acte qu’accompagnent les pièces litigieuses. Certes, il existe un lien entre un acte de procédure et les pièces sur lesquels il se fonde, ce qui explique par exemple que la partie qui est privé du droit de conclure ne peut prétendre verser des pièces aux débats (Civ. 2e, 13 nov. 2015, n° 14-19.931 P, D. 2016. 736, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati image ; AJDI 2016. 130 image) ; cependant, l’acte et les pièces ne font pas corps et un acte de procédure peut tout à fait être reçu alors que les pièces versées à son soutien sont déclarées irrecevables. Il existe toutefois une hypothèse qui peut faire difficulté : c’est celle où un acte de procédure recopie le contenu d’éléments couverts par le principe de confidentialité. Dans un tel cas de figure, la cour d’appel de Paris a pu se raccrocher à la théorie des nullités (Paris, pôle 4, ch. 9, 8 oct. 2020, n° 17/15973, préc.) : la méconnaissance du principe de confidentialité, érigé pour l’occasion en formalité substantielle ou d’ordre public, conduit alors à la nullité de l’acte de procédure dès lors que celui qui l’invoque établit un grief (Paris, pôle 4, ch. 9, 8 oct. 2020, n° 17/15973, préc.). La protection du principe de confidentialité serait ainsi soumise à la démonstration d’un grief, qui n’est pourtant pas exigée lorsqu’il s’agit simplement d’écarter certaines pièces des débats ; il est donc permis de penser que les éléments litigieux devraient être ôtés des débats, sans passer par la théorie des nullités…

La combinaison de l’exception de nullité pour irrégularité de fond et de l’exception d’incompétence

Les règles de présentation des exceptions de procédure relèvent d’un formalisme dont le code de procédure civile livre une image brouillée. Un texte qui se veut général, l’article 74, fixe une chronologie précise : les exceptions de procédure doivent être soulevées avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir (in limine litis) et simultanément, à peine d’irrecevabilité. Pourtant, quand on explore le régime propre à chaque exception de procédure, on se rend compte que certaines d’entre elles, parmi lesquelles tout spécialement l’exception de nullité pour irrégularité de fond, font figure de vilains petits canards. L’article 118 du code précise en effet que les exceptions de nullité de fond « peuvent être proposées en tout état de cause, à moins qu’il en soit disposé autrement ». Cela revient à libérer le plaideur de la chronologie imposée par l’article 74. L’exception de nullité pour irrégularité de fond est une exception de procédure… mais n’obéit pas au régime de ces exceptions. Voilà bien une singularité au regard de la rationalité censée gouverner la méthodologie juridique (J.-L. Bergel, Différence de nature égale différence de régime, RTD civ. 1984. 255 ; F. Rouvière, « Le revers du principe “différence de nature [égale] différence de régime” », in Le droit entre autonomie et ouverture. Mélanges en l’honneur de Jean-Louis Bergel, Bruylant, 2013, p. 415). L’articulation de ces textes conduit à des difficultés d’application, ce d’autant plus lorsque viennent se greffer d’autres exceptions de procédure, telle qu’une exception d’incompétence…

C’est ce dont rend compte un arrêt rendu le 9 juin 2022 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation.

En l’espèce, une société de droit portugais a assigné le titulaire de marques françaises en revendication ou annulation de ces marques devant le tribunal judiciaire de Marseille. Le défendeur, domicilié à Toulon, a saisi le juge de la mise en état de différents moyens de défense. Dans un premier temps, il se prévaut dans un jeu de conclusions d’une exception d’incompétence territoriale. Dans un second jeu de conclusions, déposé avant que le juge de la mise en état ne rende son ordonnance sur la compétence, il se prévaut d’une exception de nullité pour irrégularité de fond de l’assignation fondée sur le défaut de pouvoir de la personne représentant la société de droit portugais. Le juge de la mise en état rend une ordonnance où il déclare irrecevable l’exception de nullité de l’assignation et rejette l’exception d’incompétence.

Sur le terrain de la compétence, rien d’étonnant. Les affaires relatives aux marques (CPI, anc. art. L. 716-3 et désormais L. 716-5) obéissent à des règles qui spécialisent certaines juridictions. En l’espèce, seul le tribunal judiciaire de Marseille pouvait statuer, le tribunal judiciaire de Toulon n’étant pas spécialement désigné à cette fin. On ne rouvrira pas dans ces colonnes le vif débat afférent à la sanction qui sied au non-respect de ces règles spécialisant certaines juridictions (sur la question, v. dernièrement P. Théry, Quelques observations sur le pouvoir juridictionnel, Rev. des procédures [Luxembourg] 2022, n° 3, p. 4 ; T. Goujon-Bethan, Fonction juridictionnelle et questions de compétence, Rev. des procédures [Luxembourg] 2022, n° 3, p. 11. Une uniformisation est peut-être augurée par Com. 17 nov. 2021, n° 19-50.067, Dalloz actualité, 9 déc. 2021, obs. B. Ferrari ; D. 2021. 2084 image ; ibid. 2262, chron. S. Barbot, C. Bellino et C. de Cabarrus image ; ibid. 2022. 625, obs. N. Fricero image ; Rev. sociétés 2022. 185, obs. L. C. Henry image ; RTD civ. 2022. 191, obs. P. Théry image). On se...

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Violences conjugales : forte hausse des hébergements d’urgence

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Quelques précisions de droit de la consommation pour le crédit immobilier

par Cédric Hélaine, Docteur en droit, Juriste assistant placé auprès du Premier Président de la Cour d'appel d'Aix-en-Provencele 8 juillet 2022

Civ. 1re, 29 juin 2022, F-B, n° 21-11.690

L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 29 juin 2022 permet au lecteur d’explorer deux facettes très intéressantes au sujet du crédit immobilier, à savoir ses liens avec la condition résolutoire et les contours du devoir de mise en garde du créancier. Ces questions classiques font l’objet d’une jurisprudence importante, et l’arrêt commenté aujourd’hui s’inscrit dans la continuité de la ligne directrice de la haute juridiction ces derniers mois. Reprenons les faits pour mieux en comprendre la portée. Suivant des offres acceptées le 26 octobre 2009, deux particuliers ont souscrit plusieurs prêts auprès d’un établissement bancaire pour financer une acquisition immobilière de l’un d’eux. Des échéances sont impayées, menant la banque à assigner les coemprunteurs en paiement. À titre reconventionnel, l’un des emprunteurs sollicite des dommages-intérêts pour manquement de la banque à son devoir de mise en garde. Pendant la procédure d’appel, l’établissement bancaire a cédé sa créance à un fonds commun de titrisation le 3 août 2020. La cour d’appel de Douai précise que le bien en vue duquel les prêts ont été consentis a été acquis le 2 novembre 2009, si bien que la condition résolutoire ne s’est pas réalisée au profit de l’emprunteur assigné. Elle condamne également l’établissement bancaire à payer à l’emprunteur auteur de la demande reconventionnelle une certaine somme au titre de dommages-intérêts pour défaut dans son devoir de mise en garde. Pour ce faire, elle prend en compte les revenus de l’emprunteur et estime donc que le prêt était à l’origine d’un risque d’endettement sans que la banque démontre avoir...

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L’UFC-Que Choisir déboutée face aux contrats BlaBlaBus

La Cour de cassation connaît depuis ces derniers mois une actualité brûlante au sujet des clauses abusives (v. par ex. Civ. 1re, 30 mars 2022, n° 19-17.996 et 20-16.316, Dalloz actualité, 4 avr. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 974 image, note J. Lasserre Capdeville image ; Rev. prat. rec. 2022. 31, chron. K. De La Asuncion Planes image ; 20 avr. 2022, nos 19-11.599, Dalloz actualité, 12 mai 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 789 image). Cette dynamique n’est permise que grâce à un nombre croissant de demandes devant les juges du fond tendant à réputer non écrites toute une série de clauses jugées comme déséquilibrées dans les contrats conclus avec les consommateurs. La décision que nous commentons aujourd’hui en est une bonne illustration en ce que les parties au procès sont des acteurs connus de l’économie. À l’initiative de l’instance, on retrouve l’UFC-Que Choisir qui est agréée sur le plan national pour exercer les droits reconnus aux associations de consommateurs sur le fondement de l’article L. 811-1 et suivants du code de la consommation. Elle assigne une société peu identifiée du grand public par son nom, la société SNCF-C6 qui exploite une activité de transport de voyageurs sous le nom commercial beaucoup plus connu Ouibus. Cette société a été cédée en 2019 au groupe BlaBlaCar et désormais l’activité commerciale s’intitule BlaBlaBus. Ces nouveaux opérateurs économiques ont été la conséquence de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 dite loi « Macron » libéralisant le secteur du transport en autocars. L’UFC-Que Choisir reproche la présence d’un nombre important de clauses abusives ou illicites dans les contrats de transport par autocar proposés aux voyageurs Ouibus devenu BlaBlaBus. Par lettre recommandée du 1er juin 2017, l’UFC-Que Choisir a mis en demeure la société SNCF-C6 de se conformer aux règles du droit de la consommation et donc de purger ses contrats des clauses qu’elle juge illicites. À l’automne 2017, l’UFC-Que Choisir estime que la société ne s’est pas mise en conformité. Par acte d’huissier délivré le 14 décembre 2017, elle a donc fait assigner la société SNCF-C6 devant le tribunal de grande instance de Paris. L’UFC-Que Choisir avait dans son viseur plus de vingt clauses des conditions générales des contrats de transport de la SNCF qui lui paraissaient abusives. Dans un jugement contradictoire rendu le 28 juin 2022, le tribunal judiciaire de Paris rend une décision de 28 pages déboutant l’UFC-Que Choisir de l’intégralité de ses demandes. Elle déclare, à titre préliminaire, par ailleurs irrecevable l’association en ses demandes relatives aux clauses des conditions générales 2017. La société C6 ne voit pas sa demande de dommages-intérêts accordée, celle-ci est également déclarée irrecevable. Mais elle récolte une somme importante au titre de l’article 700 du code de procédure civile, soit 10 000 € que devra lui verser l’UFC-Que Choisir.

Afin d’examiner ce jugement intéressant le contentieux des clauses abusives, nous nous pencherons successivement sur les problèmes de recevabilité avant d’examiner le fond des clauses concernées.

Sur les problèmes de recevabilité

La société C6 soutenait que certaines des clauses attaquées n’étaient plus proposées aux consommateurs depuis 2018. Par conséquent, l’UFC-Que Choisir était selon elle dénuée d’intérêt à agir sur ce point. Le jugement commence donc par noter en page 7 la position constante de la Cour de justice de l’Union européenne : le juge national peut déclarer abusives des clauses qui ne...

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De la cause de l’obligation de restituer de l’emprunteur

Préalablement à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la notion de cause était l’un de ces mécanismes fondamentaux qui restaient quelque peu nimbés de mystères tant leurs contours exacts étaient sujets à des conflits doctrinaux importants ; à travers notamment la distinction entre cause du contrat et cause de l’obligation (v. sur ce point M. Latina et G. Chantepie, Le nouveau droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 2e éd., Dalloz, 2018, p. 245, n° 284). La réforme a donc décidé de l’abandonner, mais cet abandon n’a été pour certains que sémantique tant la cause survit à travers les notions de contrepartie et de but (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, p. 439 s., nos 395 s.). L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 29 juin 2022 permet d’étudier la notion de cause de l’obligation de restitution dans le contrat de prêt. Reprenons les faits pour mieux en comprendre la portée. Un établissement bancaire consent à un particulier pour les besoins de son activité d’architecte un prêt de 180 000 € remboursable en 84 mensualités au taux de 5,44 % par année. Son épouse séparée de biens est intervenue en qualité de coemprunteur. Les deux emprunteurs ne paient plus malgré plusieurs mises en demeure ayant abouti à une déchéance du terme du prêt. La banque assigne donc en paiement l’épouse coemprunteur mais celle-ci meurt en cours d’instance laissant ses héritiers reprendre le procès. De son côté, son époux a été placé en liquidation judiciaire et c’est donc le liquidateur qui est intervenu ès qualités. Les héritiers de l’épouse formulent une demande reconventionnelle voyant dans le contrat de prêt, un contrat nul pour absence de cause. La cour d’appel de Rennes condamne les héritiers à payer une somme de 133 376,40 € au titre du capital restant dû et à une somme de 18 070,36 € au titre des échéances impayées en 2011. Elle estime que la qualité de tiers de l’épouse à l’entreprise de son conjoint importait peu dès lors que son obligation de restitution trouvait sa cause dans la remise des fonds. Les héritiers et l’emprunteur se pourvoient en cassation en estimant que ce raisonnement n’est pas pertinent....

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La détermination de la date à laquelle le jugement passe en force de chose jugée en cas d’appel portant sur les seules conséquences du divorce

À quelle date le juge doit-il se placer pour apprécier une demande de prestation compensatoire ?

La question est classique, mais continue de créer quelques difficultés.

Sauf, bien évidemment, en cas de divorce par consentement mutuel par acte sous signature privée contresigné par un avocat, c’est au jour où la décision qui prononce le divorce passe en force de chose jugée que le divorce est dissous (C. civ., art. 260) ; à cette même date, le devoir de secours prend fin et doivent être appréciées la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie des époux et la nécessité d’ordonner le versement d’une prestation compensatoire (C. civ., art. 270). Ces principes, simples en apparence, sont parfois difficiles à mettre en œuvre. Car il peut arriver que seuls les chefs de dispositif relatifs au règlement des conséquences de la rupture fassent l’objet d’un appel et, en ce cas, celui prononçant le divorce peut, sans qu’on y prête attention, passer en force de chose jugée ; la cour d’appel, doit alors apprécier le principe ou le montant de la prestation compensatoire non pas au jour où elle statue, mais à une date antérieure.

Il faut le rappeler : un jugement passe en force de chose jugée lorsqu’il n’est susceptible d’aucun recours suspensif d’exécution (C. pr. civ., art. 500). En somme, fixer le jour auquel le jugement prononçant le divorce passe en force de chose jugée revient à déterminer le moment où il n’est plus susceptible d’appel ou d’une autre voie de recours suspensive d’exécution. Du coup, la date du prononcé du jugement de divorce ne peut pas être celle où la décision passe en force de chose jugée. Pourtant, un temps, la Cour de cassation a enjoint aux juges d’apprécier l’existence et le montant de la prestation compensatoire « à la date du prononcé du divorce » dès lors que l’appel ne portait pas sur le principe du divorce (Civ. 1re, 2 mars 2004, n° 03-10.388, inédit ; Civ. 2e, 27 févr. 2003, n° 01-10.066, inédit ; 10 oct. 2002, n° 01-01.432 P ; 28 mars 2002, n° 00-13.936, inédit ; 25 mars 1985, n° 82-15.317 P). Manifestement, il y avait là une erreur car, en raison du caractère suspensif de l’appel, le jugement rendu par le juge aux affaires familiales ne peut passer en force de chose jugée dès son prononcé. Cette erreur était peut-être davantage à mettre au rang des approximations, parfois pratiquement inévitables en la matière ; même s’il paraît relever du bon sens que, en cas d’appel portant tant sur le prononcé du divorce que sur ses conséquences, la cour d’appel doive apprécier l’existence et le montant de la prestation compensatoire au jour où elle statue (Civ. 1re, 2 sept. 2020, n° 19-16.315, RTD civ. 2020. 860, obs. A.-M. Leroyer image; inédit ; 19 sept. 2018, n° 17-23.711, AJ fam. 2018. 546, obs. V. Avena-Robardet image, inédit ; 4 mars 2015, n° 13-28.469, inédit ; 20 nov. 2013, n° 12-27.726, inédit), le caractère suspensif du pourvoi en cassation fait pourtant obstacle à ce que l’arrêt passe en force de chose jugée au moment où la juridiction du second degré statue (C. pr. civ., art. 1086). Toutefois, à la différence de ce dernier cas de figure, aucune raison pratique n’empêche la juridiction du second degré, saisie d’un appel portant sur les seules conséquences du divorce, d’apprécier le principe et le montant de la prestation compensatoire au jour où la décision du premier juge est passée en force de chose jugée. Il suffit de déterminer le jour où le jugement prononçant le divorce n’est plus susceptible d’appel.

On sait que l’appelant principal est soumis à une règle stricte : sa déclaration d’appel (éventuellement complétée) fixe les chefs du jugement critiqués, sans que des conclusions ultérieures puissent étendre l’effet dévolutif de son appel (Civ. 1re, 22 juin 1999, n° 97-15.225 P, Koski c/ Société EMI France, D. 1999. 189 image ; Rappr. égal., Civ. 2e, 19 mai 2022, n° 21-10.685 P, Dalloz actualité, 15 juin 2022, obs. R. Laffly ; D. 2022. 1046 image ; 25 mars 2021, n° 20-12.037 P, Rev. prat. rec. 2021. 6, chron. O. Cousin, A.-I. Gregori, E. Jullien, F. Kieffer, A. Provansal et C. Simon image ; 2 juill. 2020, n° 19-16.954 P, Dalloz actualité, 18 sept. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2021. 543, obs. N. Fricero image) ; ce n’est donc qu’au jour où l’intimé ne peut plus lui-même former un appel incident, pour critiquer le principe du divorce, que le jugement le prononçant passe en force de chose jugée ; d’où cette formule de la première chambre civile jugeant à raison que « le prononcé du divorce n’est passé en force de chose jugée qu’à la date du dépôt des conclusions de l’intimée » (Civ. 1re, 30 avr. 2014, n° 13-16.140, inédit ; 6 nov. 2013, n° 12-28.605, inédit ; 6 juin 2012, n° 11-11.260, RTD civ. 2012. 517, obs. J. Hauser image, inédit ; 11 mai 2012, 11-11.588, RTD civ. 2012. 517, obs. J. Hauser image, inédit ; 15 déc. 2010, n° 09-15.235 P, D. 2011. 161 image ; ibid. 1107, obs. M. Douchy-Oudot image ; AJ fam. 2011. 103, obs. S. David image ; RTD civ. 2011. 112, obs. J. Hauser image). Mais, peut-être par inadvertance, la première chambre civile a même été jusqu’à préciser que c’était à la date du dépôt des « dernières conclusions de l’intimé » que le juge devait se placer (Civ. 1re, 18 nov. 2020, n° 19-19.361, inédit ; 15 nov. 2017, n° 16-26.523, inédit ; 25 juin 2014, n° 13-18.751, inédit).

Dans l’arrêt commenté, la cour d’appel avait choisi de se détourner de cette dernière précision et, alors que l’appel principal était limité aux conséquences du divorce, avait estimé que le jugement était passé en force de chose jugée à la date du dépôt des premières conclusions de l’intimé dès lors que celles-ci ne contenaient aucun appel incident relatif au prononcé du divorce. Un pourvoi a été formé et son auteur avait beau jeu de soutenir que c’était à la date du dépôt des dernières conclusions de l’intimé que la cour d’appel aurait dû se placer pour fixer le principe et apprécier le montant de la prestation compensatoire. Le pourvoi est rejeté par la Cour de cassation, qui amende ainsi sa jurisprudence antérieure. 

Certes, un appel incident peut en principe être formé en tout état de cause (C. pr. civ., art. 550). Mais c’est sous réserve des règles relatives à la procédure d’appel ordinaire avec représentation obligatoire énoncées par les articles 909, 910 et 905-2 du code de procédure civile (C. pr. civ., art. 550). L’article 909, qui prévoit que « l’intimé dispose […] d’un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant […] pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué », oblige l’intimé à former son appel incident dans le délai de trois mois dont il dispose pour conclure ; il n’y a donc pas lieu d’attendre, pour déterminer si la décision prononçant le divorce passe en force de chose jugée, le dépôt de son dernier jeu d’écritures. La Cour de cassation a logiquement rejeté le pourvoi. Elle a même ajouté que le jugement prononçant le divorce était passé en force de chose jugée au jour du dépôt des premières conclusions de l’intimé. C’est à ce moment là que devait être appréciée la nécessité d’ordonner le versement d’une prestation compensatoire.

Cette solution fait ainsi du délai de trois mois prévu par l’article 909 du code de procédure civile un délai maximum pour déposer les conclusions au greffe (et les notifier à l’appelant) : l’intimé ne devrait pas pouvoir, même dans le délai de trois mois prévu par le texte, déposer un second jeu de conclusions pour former un appel incident ; une fois les conclusions déposées, il perd le bénéfice du délai de trois mois. A suivre ce raisonnement, l’appelant, qui peut toujours déposer une nouvelle déclaration d’appel afin de compléter ou régulariser une déclaration d’appel dans le délai dont il dispose pour conclure (Civ. 2e, 19 nov. 2020, n° 19-13.642 P, Dalloz actualité, 9 déc. 2020, obs. H. Ciray ; D. 2020. 2349 image ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero image ; 30 janv. 2020, n° 18-22.528 P, Dalloz actualité, 17 févr. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 288 image ; ibid. 576, obs. N. Fricero image ; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle image ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero image ; D. avocats 2020. 252, étude M. Bencimon image ; RTD civ. 2020. 448, obs. P. Théry image ; ibid. 458, obs. N. Cayrol image), ne devrait plus pouvoir y procéder une fois qu’il a déposé son premier jeu de conclusions, ce qui avait déjà été souligné par un auteur (S. Amrani-Mekki, note ss. Civ. 2e, 30 janv. 2020, n°18-22.528 P, préc., Gaz. Pal. 28 avr. 2020, p. 45)…

Mais, désormais, même en matière de divorce, l’intérêt à interjeter appel doit, à la suite de l’entrée en vigueur du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, être apprécié pour chaque chef de dispositif (Civ. 1re, avis, 20 avr. 2022, n° 22-70.001 P, Dalloz actualité, 13 mai 2022, obs. C. Lhermitte ; D. 2022. 792 image ; AJ fam. 2022. 281, obs. J. Casey image). Cela pourrait conduire à une difficulté lorsque le divorce est prononcé conformément aux prétentions élevées en première instance par celui qui est devenu intimé. Car, en ce cas, il pourrait être avancé que l’intimé n’a pas la possibilité d’interjeter appel du chef dispositif du jugement ayant prononcé le divorce et qu’il est pratiquement inutile d’attendre le dépôt de ses conclusions pour déterminer si le jugement prononçant le divorce est ou non passé en force de chose jugée. Cette analyse, simple et efficace, peut toutefois être contestée. Le défaut d’intérêt à interjeter appel d’un chef de dispositif ne peut résulter que d’une décision du juge – qui n’a d’ailleurs pas à relever d’office le défaut d’intérêt à exercer cette voie de recours (Civ. 2e, 6 juin 2019, n° 18-15.301 P) ; en conséquence, tant qu’aucune décision d’irrecevabilité de l’appel n’est prononcée, il n’y a pas lieu de prendre en considération une autre date que celle du dépôt des conclusions de l’intimé. Même si l’appel incident est déclaré irrecevable, la même solution pourrait continuer à s’appliquer ; c’est au jour où il est formé qu’est en principe apprécié l’intérêt de l’appelant à exercer la voie de recours (Com. 29 janv. 2020, n° 18-22.137 P, Dalloz actualité, 24 févr. 2020, obs. C-S. Pinat ; D. 2020. 278 image ; Civ. 2e, 25 juin 2015, n° 14-16.824, inédit ; Com. 26 janv. 2010, n° 08-21.637, inédit ; 6 avr. 2006, n° 04-12.803, inédit ; 8 avr. 1999, n° 97-12.190, inédit ; 6 mai 1998, n° 96-19.014 P;  4 mars 1981, n° 79-17.130 P) ; la décision d’irrecevabilité n’indique pas que, avant d’être interjeté, l’appel incident aurait été irrecevable (même si pratiquement il est rare que l’intérêt disparaisse). On pourrait donc considérer que, en cas d’appel principal portant sur les seules conséquences de la rupture, le jugement prononçant le divorce passe toujours en force de chose jugée au jour où l’intimé dépose son premier jeu de conclusions dès lors qu’elles ne contiennent aucun appel incident portant sur le principe du divorce…

Pas d’héritiers pour les gamètes conservés

L’affaire est connue. Un jeune homme décède le 13 janvier 2017, à l’âge de 23 ans, des suites d’un cancer. Il avait procédé au dépôt de ses gamètes auprès du centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humain (CECOS) de l’hôpital, établissement relevant de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP). Sa mère avait alors saisi la juridiction administrative pour obtenir l’exportation des gamètes vers un établissement de santé situé en Israël. Cette requête, fondée sur une atteinte au droit au respect de la vie privée, a été rejetée tant par le juge des référés du tribunal administratif de Paris par ordonnance du 2 novembre 2018 que, suite à un recours contre cette décision, par une ordonnance du juge des référés du Conseil d’État rendu le 4 décembre 2018.

La requérante avait alors porté le litige devant la Cour européenne des droits de l’homme, arguant d’une violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Par décision du 12 novembre 2019 (n° 23038/19, §§ 16 et 20, Petithory Lanzmann (Mme) c/ France, AJDA 2020. 1096 image ; AJ fam. 2020. 9, obs. A. Dionisi-Peyrusse image ; RTD civ. 2020. 332, obs. J.-P. Marguénaud image), la Cour a déclaré la requête irrecevable aux motifs d’une part que « le sort des gamètes déposés par un individu et la question du respect de sa volonté qu’elles soient mises en œuvre après sa mort concernent le droit d’un individu de décider de quelle manière et à quel moment il souhaite devenir parent qui relève de la catégorie des droits non transférables, d’autre part, que le champ d’application de l’article 8 de la Convention ne comprend pas le droit de fonder une famille et ne saurait englober, en l’état de sa jurisprudence, le droit à une descendance pour des grands-parents.

La mère s’est alors tournée devant les juridictions judiciaires devant lesquelles elle a de nouveau assigné l’AP-HP le 22 janvier 2020 afin de se voir restituer les gamètes de son fils. L’AP-HP, quant à elle, a soulevé une exception d’incompétence au profit de la juridiction administrative.

La cour d’appel de Paris, par un arrêt du 6 avril 2021, a rejeté sa demande aux motifs, en substance, que les conditions de conservation des gamètes sont régies par l’article R. 2141-18 du code de la santé publique qui prévoit leur destruction par l’administration en cas de décès de la personne, la possibilité d’un don étant réservé à la décision du déposant exprimée dans les formes requises par ce même texte, le litige relevait de la compétence des juridictions administratives. La mère s’est alors pourvue en cassation. Au soutien de son pourvoi, elle présentait un moyen unique composé de trois branches dont l’argumentaire peut être résumé comme suit : les gamètes constituant un bien au sens de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne, l’AP-HP a commis une voie de fait en refusant de remettre à l’héritière du déposant décédé les gamètes conservés afin qu’ils puissent être utilisés conformément à la volonté exprimée de son vivant par le déposant. Cette voie de fait résultant donc d’une décision prise par l’administration et portant atteinte à la liberté individuelle, le juge judiciaire est compétent.

La première chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 15 juin 2022, rejette le pourvoi rappelant que « dès lors que des gamètes humains ne constituent pas des biens au sens de l’article 1er du protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, eu égard à la portée économique et patrimoniale attachée à ce texte (CEDH, gr. ch., 27 août 2015, n° 46470/11, 6215, Dalloz actualité, 22 sept. 2015, obs. Nicolas Nalepa ; ibid. 9 juill. 2014, obs. N. Nalepa ; D. 2015. 1700, et les obs. image ; ibid. 2016. 752, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat image ; ibid. 1779, obs. L. Neyret et N. Reboul-Maupin image ; AJ fam. 2015. 433, obs. A. Dionisi-Peyrusse image ; RTD civ. 2015. 830, obs. J.-P. Marguénaud image ; ibid. 2016. 76, obs. J. Hauser image), que seule la personne peut en disposer et que la liberté de procréer n’entre pas dans le champ de la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution, c’est à bon droit et sans être tenue de procéder à une recherche inopérante que la cour d’appel, faisant application de l’article R. 2141-18 du code de la santé publique, a retenu que le refus opposé par l’AP-HP à la restitution des gamètes se rattachait à ses prérogatives, écarté l’existence d’une voie de fait et déduit que la juridiction judiciaire était incompétente pour connaître du litige ».

La motivation de la Cour de cassation qui exclut les gamètes de la catégorie des biens, ne surprend pas eu égard aux principes assurant en droit français la protection du corps humain et, en particulier, au principe d’extra-patrimonialité. La Cour résiste ainsi à une argumentation qui a su convaincre d’autres juridictions, à l’étranger.

Les gamètes exclues de la catégorie des biens

Entre être et avoir, le corps est au cœur d’importantes questions juridiques dont l’actualité ne s’éteint pas, entretenue par la valeur économique croissante du corps humain, de ses éléments et de ses produits. Le corps, s’il est le substrat de la personne physique, ne peut à lui seul entrer dans la catégorie des personnes juridiques. C’est ainsi qu’après le décès, le corps devient une chose, tout comme un élément détaché du corps vivant. Une chose auquel le droit reconnaît un statut particulier et pour laquelle il organise une protection particulière. Au titre de ces protections, se trouve le principe d’extra patrimonialité du corps humain énoncé à l’article 16-1 du code civil « Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial ». Le corps humain, ses éléments et ses produits n’intègrent donc pas le patrimoine de la personne, qui n’est pas pour autant privée d’un droit de disposition sur son corps. Ainsi, la personne peut céder son corps (après sa mort) ou des éléments de celui-ci dans le cadre d’un don (et non d’une donation), mais pas les vendre (à quelques exceptions près comme les cheveux par exemple). Application logique de ces principes en matière d’autoconservation, l’article R. 2141-18 du code de la santé publique prévoyait avant la réforme de la loi de bioéthique de 2022 (et prévoit toujours, mais par renvoi) que la personne dépositaire est la seule à pouvoir disposer de ses gamètes conformément aux possibilités qui lui sont ouvertes par le droit (utilisation pour elle-même, don à la recherche ou à un tiers dans le cadre d’une AMP, destruction) et que, une fois le dépositaire décédé, aucune personne ne pouvant disposer des gamètes à sa place, l’administration doit les détruire. Autrement dit, les gamètes ne faisant pas partie du patrimoine du dépositaire, les droits relatifs à ces gamètes ne sont pas transmis aux héritiers du dépositaire à cause de mort.

Cette exclusion des gamètes du champ des biens est contestée par le pourvoi au nom de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, article qui, on le sait, protège de manière large le droit de propriété. Mais il est vrai, et la cour de cassation le relève, que la Cour européenne avait été saisie d’une question proche tenant à la qualité de bien d’un embryon. Dans l’arrêt Parrillo c/ Italie, cité par la première chambre civile, la Cour européenne avait en effet affirmé que « eu égard à la portée économique et patrimoniale qui s’attache à cet article, les embryons humains ne sauraient être réduits à des « biens » au sens de cette disposition ». La Cour de cassation procède par analogie pour retenir l’inapplicabilité de l’article aux gamètes.

Eu égard à la persévérance de la demanderesse, il n’est pas exclu qu’elle introduise un nouveau recours devant la Cour de Strasbourg pour violation de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention. Or, si du point de vue français, l’interprétation de la Cour de cassation paraît des plus logiques et conforme à la jurisprudence européenne, il faut néanmoins garder à l’esprit que la patrimonialité des gamètes a pu être reconnue ailleurs et que l’extra-patrimonialité ne va donc pas nécessairement de soi.

La tentation de la patrimonialité

En dehors de l’hexagone, l’extra-patrimonialité des gamètes n’est pas une règle absolue et nombre des pays membres de l’Union européenne autorisent la rémunération des donneurs. La question de permettre une telle rémunération est d’ailleurs systématiquement abordée lors des révisions successives des lois de bioéthique, sans avoir jusqu’ici jamais abouti. On se souvient qu’aux États-Unis, la vente d’ovocyte avait même fait l’objet d’une class action sur le terrain du droit de la concurrence pour dénoncer la fixation d’un prix excessivement bas (F. Bellivier et C. Noiville, Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ? Les contrats américains de ventre d’ovocytes à l’épreuve du droit de la concurrence, RDC 2012/1, p.225).

De manière plus directe, l’existence d’un droit de propriété a pu être reconnu par diverses juridictions étrangères, notamment au Royaume-Uni au profit des dépositaires (v. par ex., F. Bellivier et C. Noiville, Sur quel fondement juridique indemniser la destruction des éléments et produits du corps humain ?, RDC 2010/3, p. 1007) et plus récemment en Israël au profit cette fois des parents du dépositaire et contre l’avis de la veuve (M. Lamarche, Procréation – Le sperme des morts… Qui hérite des forces procréatrices du défunt ?, Dr. fam., janv. 2017. Alerte 1). En effet, si les gamètes entrent dans le patrimoine du dépositaire, leur propriété est transmise aux héritiers à son décès à hauteur de leur part respective dans la succession. Cela ne va pas sans rappeler les difficultés qui avaient été rencontrées en droit français concernant le traitement des cendres funéraires (v. par ex., B. Grosjean, Corps épars. De plus en plus de familles s’entredéchirent pour la dépouille du défunt, Libération, 1er nov. 1999) et l’intervention corrélative du législateur pour imposer que le corps humain soit traité avec respect et dignité, y compris après le décès (C. civ., art. 16-1-1).

Espérons donc que la Cour européenne, si elle est saisie, saura résister à la tentation de considérer les gamètes comme des biens au sens de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention et appliquer aux gamètes la solution qu’elle avait retenue pour l’embryon.

La nullité d’un acte de procédure et son appréciation

Dans un arrêt rendu le 9 juin 2022, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation précise les modalités d’appréciation de la nullité des actes de procédure. Dans les faits, la société Victor Heinrich a commandé à la société Dam, l’étude et la réalisation d’un moule permettant la fabrication en série de lampadaires avec réflecteurs aluminisés. La société Dam a alors fait appel à trois sous-traitants. Finalement, la production de pièces conformes à la commande n’a pas été possible et la société Victor Heinrich n’a pas été en mesure d’honorer ses commandes. Des expertises judiciaires ont été ordonnées, et une seconde société, la société Heinrich Éclairage est intervenue volontairement à l’instance. C’est alors que la société Dam, deux de ses sous-traitants et leurs assureurs respectifs ont été assignés en responsabilité par… la société Victor Heinrich Éclairage. Les défendeurs soulèvent une exception de nullité entachant les assignations délivrées au nom d’une société qui n’est ni la société Victor Heinrich, ni la société Heinrich Éclairage. Le juge de la mise en état rejette cette exception de procédure. Appel est interjeté et la cour d’appel déclare toutes les assignations délivrées par la société Victor Heinrich Éclairage nulles pour irrégularité de fond en raison de l’inexistence légale de la société Victor Heinrich Éclairage. La société Heinrich Éclairage forme un pourvoi en cassation. Elle prétend que la régularité des assignations devait être appréciée au jour de leur délivrance, sans pouvoir s’appuyer sur des écritures ultérieures. En outre, elle reproche à la cour d’appel de s’être fondée sur les moyens soulevés en première instance, violant le principe selon lequel, la cour d’appel statue exclusivement au vu des prétentions et des moyens énoncés dans les dernières conclusions d’appel des parties. La deuxième chambre civile devait alors se prononcer sur les modalités d’appréciation de la nullité des actes de procédure. Elle affirme que « Si la nullité d’un acte de procédure doit être appréciée à la date de ce dernier, cette appréciation peut se fonder sur des éléments de preuve extérieurs à cet acte » (§ 10). La formule d’apparence limpide ne se comprend pleinement qu’à la lumière du régime des nullités.

L’incident rappel de la dichotomie des nullités des actes de procédure
Quand aucune personne morale n’existe sous une raison sociale, c’est qu’il s’agit soit d’une erreur de dénomination, soit d’un problème d’existence de ladite personne. En l’espèce, la première hypothèse semblait acquise, mais c’est pourtant l’irrégularité de fond que les juges ont retenu.

La mise à l’écart de l’apparente erreur de dénomination

Cette espèce impliquant deux sociétés ayant des noms commerciaux proches (Victor Heinrich et Heinrich Éclairage), il semblait évident que l’assignation délivrée par la société Victor Heinrich Éclairage résultait d’une erreur de dénomination. Or, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de préciser que l’erreur de dénomination « ne constitue qu’un vice de forme, lequel ne peut entrainer la nullité́ de l’acte que sur justification d’un grief » (Civ. 2e, 4 févr. 2021, n° 20-10.685, Dalloz actualité, 22 févr. 2021, obs. Maugain ; D. 2021. 543, obs. N. Fricero image ; Rev. prat. rec. 2021. 7, chron. D. Cholet, O. Cousin, E. Jullien et R. Laher image, de l’erreur relative à la dénomination d’une partie dans un acte de procédure). C’est sans doute faute de grief que le juge de la mise en état a rejeté l’exception de nullité. Quant à la cour d’appel qui infirme la décision de première instance, elle ne nie pas l’existence d’une dénomination erronée. Seulement, l’arrêt retient que « cette assignation n’est pas seulement affectée d’un seul vice de forme ».

La retenue de l’inexistence de la personne morale distincte

Ce n’est pas la même chose d’être mal dénommé et de ne pas être. Une personne juridique qui n’existe pas, ou plus, n’a pas la capacité d’agir en justice. C’est une irrégularité de fond qui affecte la validité de ses actes (C. pr. civ., art. 117). En l’espèce, la cour d’appel a pu constater qu’au-delà de la maladresse rédactionnelle affectant l’assignation, la société Victor Heinrich et la société Heinrich Éclairage avaient adopté, dans leurs conclusions de première instance, des positions procédurales qui ne laissaient aucun doute quant au fait que ni l’une ni l’autre n’était la société à l’origine des assignations. La première d’entre elles y est présentée comme demanderesse principale, comme si elle était venue aux droits de la société Victor Heinrich Éclairage. La seconde, intervenue volontairement, y allègue explicitement agir distinctement de la société Victor Heinrich Éclairage. Il est alors évident que « l’assignation, selon la propre présentation des intéressées, a été délivrée au nom d’une société distincte ». Mais cette dernière n’existe pas. Les assignations sont donc frappées de nullité pour irrégularité de fond. Cette nullité qui ne nécessite pas la démonstration d’un grief et sanctionne plus sûrement des parties qui ont fait preuve de négligence.

Qu’à cela ne tienne. La société Heinrich Éclairage, demanderesse au pourvoi, va alors s’appuyer sur le droit de la preuve pour tenter de faire échec à la nullité des assignations.

La précision des modalités d’appréciation de la nullité d’un acte de procédure
Devant l’évidence de l’irrégularité de fond, la société Heinrich Éclairage – qui ne soulève le vice de forme qu’à titre subsidiaire – s’appuie sur un principe jurisprudentiel bien établi pour lier le moment où doit être appréciée la nullité d’un acte de procédure et la date des éléments de preuve qui peuvent être utilisés. La Cour de cassation balaie l’amalgame dans une réponse qui doit être précisée.

La distinction entre moment et fondements de l’appréciation de la nullité d’un acte de procédure

L’article 121 du code de procédure civile prévoit que la nullité pour irrégularité de fond « ne sera pas prononcée si sa cause a disparu au moment où le juge statue », à condition que la nullité soit susceptible d’être couverte. Or la Cour de cassation énonce depuis longtemps que le défaut de capacité dû au défaut d’existence ne peut être régularisé. Ainsi n’est pas régularisable l’assignation délivrée par une société en participation (Civ. 2e, 26 mars 1997, n° 94-15.528), par une société en formation (Com. 30 nov. 1999, n° 97-14.595, Progressif (Sté) c/ Ugo (Sté), D. 2000. 627 image, note E. Lamazerolles image ; ibid. 37, obs. M. B. image ; Rev. sociétés 2000. 512, note M. Beaubrun image ; RTD com. 2000. 368, obs. C. Champaud et D. Danet image ; et Civ. 2e, 4 mars 2021, n° 19-22.829, Dalloz actualité, 17 mars 2021, obs. G. Maugain ; Rev. sociétés 2022. 180, note V. Thomas image) ou encore par une société ayant disparu dans une fusion-absorption (Civ. 2e, 27 sept. 2012, n° 11-22.278, Rev. sociétés 2013. 30, obs. S. Prévost image0). Partant de là, la demanderesse au pourvoi affirme que les conditions de validité de fond d’une assignation non susceptible de régularisation doivent être appréciée au jour de sa délivrance et non au vu des écritures ultérieures. Mais ce raccourci n’a pas trompé la Cour de cassation. Si la nullité d’un acte de procédure insusceptible de régularisation doit être appréciée à la date de ce dernier, la date des éléments de preuve sur lesquels fonder cette appréciation n’a en revanche aucune importance. Ce qui importe c’est que ces éléments prouvent la nullité ou non existant à la date de l’appréciation de la validité de l’acte. En l’espèce, les conclusions de première instance, reprises en partie par les dernières conclusions d’appel de la société Heinrich Éclairage – le principe énoncé à l’article 954 était sauf – prouvaient qu’au moment de l’assignation, la société Victor Heinrich Éclairage était une société distincte, dépourvue d’existence. La non reprise par la Cour de cassation de l’adjectif « ultérieurs » montre sa volonté de se départir d’une appréciation temporelle des éléments de preuve. En lui préférant l’adjectif « extérieurs », elle insiste sur la distinction entre moment et fondements de l’appréciation de la nullité de l’acte de procédure.

De la distinction à la dissociation

Cette distinction est-elle suffisante ? Une lecture un peu rapide du paragraphe 10 pourrait laisser penser qu’il existe toutefois une corrélation entre les deux. Le caractère automatique de l’appréciation de la nullité d’un acte de procédure à la date de ce dernier entraine la faculté de se fonder sur des éléments de preuve extérieurs à ce acte. Il n’en est rien. Tout d’abord, la nullité d’un acte de procédure ne s’apprécie pas toujours à la date de ce dernier. L’article 121 du code de procédure civile énonce que « la nullité [tenant à une irrégularité de fond] ne sera pas prononcée que si sa cause a disparu au moment où le juge statue ». Ainsi, pour toutes les nullités fondées sur des irrégularité de fond autre que l’inexistence, c’est au moment où le juge statue qu’il faut se placer. Pour l nullités pour vice de forme, elle doit être appréciée soit à la date de la forclusion, soit à la date où le juge statue (C. pr. civ., art. 115). Dans tous les cas, l’appréciation de la nullité de l’acte de procédure peut se fonder sur des éléments de preuve extérieurs à cet acte. Par exemple, un jugement peut permettre d’apprécier la validité d’un acte de procédure du point de vue du pouvoir ad agendum du représentant de la partie. Moment et fondements de l’appréciation de la nullité de l’acte de procédure doivent être dissociés. La réponse de la Cour de cassation doit être comprise de la manière suivante : même dans l’hypothèse où la nullité d’un acte de procédure doit être appréciée à la date de ce dernier, cela n’empêche pas que cette appréciation puisse se fonder sur des éléments de preuve extérieurs à cet acte.

La neutralisation des clauses de médiation préalable dans le contrat de travail

À l’instar de tout autre droit, l’action peut faire l’objet d’actes juridiques. Parmi ceux-ci figurent des conventions visant à la « suspendre temporairement » (N. Cayrol, Les actes ayant pour objet l’action en justice, thèse, préf. F. Grua [dir.], Economica, 2001, spéc. nos 327 s.). Les clauses contractuelles de conciliation et de médiation préalables en sont une illustration topique : elles subordonnent l’exercice du droit d’action à un préalable amiable contractuellement organisé. Mettant fin à des divergences jurisprudentielles, une chambre mixte de la Cour de cassation proclama en 2003 que « licite, la clause d’un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, dont la mise en œuvre suspend jusqu’à son issue le cours de la prescription, constitue une fin de non-recevoir qui s’impose au juge si les parties l’invoquent » (Cass., ch. mixte, 14 févr. 2003, n° 00-19.423 P, D. 2003. 1386, et les obs. image, note P. Ancel et M. Cottin image ; ibid. 2480, obs. T. Clay image ; Dr. soc. 2003. 890, obs. M. Keller image ; RTD civ. 2003. 294, obs. J. Mestre et B. Fages image ; ibid. 349, obs. R. Perrot image). Ainsi, la demande en justice non précédée de la mise en œuvre de la clause sera déclarée irrecevable. La force obligatoire du contrat s’impose au juge ; il n’a aucun pouvoir d’appréciation, même s’il ne dispose pas du pouvoir de relever d’office cette irrecevabilité, la fin de non-recevoir n’étant pas d’ordre public et ne concernant pas le défaut d’intérêt, le défaut de qualité ou la chose jugée (C. pr. civ., art. 125).

Il ne faut cependant pas occulter que derrière ce droit technique qu’est l’action en justice se dresse un droit fondamental : celui d’accéder à la justice. Ce droit-là est garanti au plus haut niveau, conventionnel (CEDH 21 févr. 1975, n° 4451/70, Golder c. Royaume-Uni) et constitutionnel (v. par ex. Cons. const. 27 juill. 2006, n° 2006-540 DC, D. 2006. 2157, chron. C. Castets-Renard image ; ibid. 2878, chron. X. Magnon image ; ibid. 2007. 1166, obs. V. Bernaud, L. Gay et C. Severino image ; RTD civ. 2006. 791, obs. T. Revet image ; ibid. 2007. 80, obs. R. Encinas de Munagorri imageconsid. 11). Les clauses de médiation et de conciliation ne sont pas en soi incompatibles avec le droit d’accès au juge : ce droit n’est pas absolu (par ex. CEDH, gr. ch., 18 févr. 1999, n° 28934/95, Beer et Regan c. Allemagne, § 49) et tolère des formes de renonciation (par ex. CEDH, gr. ch., 17 sept. 2009, n° 10249/03, AJDA 2010. 997, chron. J.-F. Flauss image ; D. 2010. 2732, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé et S. Mirabail image ; RSC 2010. 234, obs. J.-P. Marguénaud image; Scoppola c. Italie (n° 2), § 135). Il en résulte la possibilité pour un plaideur de renoncer temporairement à l’exercice de l’action par des clauses de suspension telles que les clauses de médiation ou de conciliation. La fermeture du droit au juge n’est, dans ce cas, même pas définitive (v. not. P. Ancel et M. Cottin, L’efficacité procédurale des clauses de conciliation ou de médiation, D. 2003. 1386 image, n° 5).

Cela étant, il n’est pas neutre de déclarer irrecevable la demande en justice d’un justiciable au seul motif qu’une clause imposant un préalable de médiation ou de conciliation n’a pas été respectée. La sanction est particulièrement énergique. Elle peut être invoquée en tout état de cause, même pour la première fois en appel (Com. 24 juin 2020, n° 18-15.249, D. 2020. 2484, obs. T. Clay image ; ibid. 2021. 718, obs. N. Ferrier image ; RTD civ. 2020. 869, obs. H. Barbier image), donc bien après le commencement du procès. La jurisprudence n’admet pas l’idée qu’en acceptant le débat sur le fond, le défendeur a renoncé à se prévaloir de cette fin de non-recevoir (pourtant suggérée par une doctrine autorisée, not. R. Perrot, Clause de conciliation préalable, RTD civ. 2003. 349 image). De surcroît, lorsque l’adversaire se prévaut de la fin de non-recevoir, le demandeur n’a pas d’échappatoire : la mise en œuvre de la clause de médiation ou de conciliation en cours d’instance ne régularise pas la situation puisque la clause imposait le préalable amiable avant la saisine du juge (Cass., ch. mixte, 12 déc. 2014, n° 13-19.684 P, Dalloz actualité, 6 janv. 2015, obs. M. Kebir ; D. 2015. 298, obs. C. de presse image, note C. Boillot image ; ibid. 287, obs. N. Fricero image ; RDI 2015. 177, obs. K. De la Asuncion Planes image ; AJCA 2015. 128, obs. K. de la Asuncion Planes image ; D. avocats 2015. 122, obs. N. Fricero image ; RTD civ. 2015. 131, obs. H. Barbier image ; ibid. 187, obs. P. Théry image). Or, et c’est là le risque, lorsqu’elle est prononcée, l’irrecevabilité prive la demande en justice de son effet interruptif de prescription (C. civ., art. 2243 ; Com. 26 janv. 2016, n° 14-17.952 P, Dalloz actualité, 15 fév. 2016, obs. F. Mélin; Cormier c/ Mandataires judiciaires associés, D. 2016. 310 image ; Civ. 2e, 21 mars 2019, n° 17-10.663 P, Dalloz actualité, 8 avr. 2019, obs. R. Laffly; D. 2019. 648 image). C’est dire que la sanction retenue, pour légitime qu’elle soit (L. Cadiet, L’effet processuel des clauses de médiation, RDC 2003. 182) peut conduire à une suppression totale du droit d’accès au juge !

En raison des dangers que la clause ainsi sanctionnée fait peser sur l’effectivité de ce droit fondamental, celle-ci doit faire l’objet d’une attention particulière. La jurisprudence veille, de manière générale, à ce que la clause témoigne d’une renonciation temporaire non équivoque à l’action, à défaut de quoi l’irrecevabilité serait une ingérence injustifiée dans le droit au juge. Pour reprendre les termes de l’arrêt de 2003, seule la « clause d’un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge » donne lieu à sanction. Encore faut-il déplorer les divergences jurisprudentielles concernant cette qualification. Quand la chambre commerciale exige de la clause qu’elle comporte des « conditions particulières de mise en œuvre » (Com., 29 avr. 2014, no 12-27.004 P, Medissimo (Sté) c/ CGI France (Sté), D. 2014. 1044 image ; ibid. 2541, obs. T. Clay image ; ibid. 2015. 287, obs. N. Fricero image ; AJCA 2014. 176, obs. N. Fricero image ; RTD civ. 2014. 655, obs. H. Barbier image), la troisième chambre civile ne définit pas de critère et s’en remet à l’appréciation souveraine des juges du fond (Civ. 3e, 19 mai 2016, no 15-14.464 P, Dalloz actualité, 3 juin 2016, obs. M. Kebir; D. 2016. 2377 image, note V. Mazeaud image ; ibid. 2589, obs. T. Clay image ; ibid. 2017. 375, obs. M. Mekki image ; ibid. 422, obs. N. Fricero image ; RTD civ. 2016. 621, obs. H. Barbier image). Le départ entre la clause purement indicative (se contentant « de prôner, de manière incantatoire, la recherche d’une solution amiable entre les parties », v. J. Mestre, « Clause de conciliation et de médiation », in F. Buy et al., Les principales clauses des contrats d’affaires, 2e éd., 2019, LGDJ, coll. « Les Intégrales », p. 139-149, spéc. n° 296, p. 146) et celle instituant une véritable procédure amiable préalable ne s’en trouve pas facilitée. Tout au plus la clause de médiation ou de conciliation imprécise ou ambiguë pourra-t-elle être requalifiée en clause de style et privée de sa force obligatoire (Civ. 3e, 11 juill. 2019, n° 18-13.460, D. 2020. 576, obs. N. Fricero image ; AJDI 2019. 919 image), sans que la prévisibilité des solutions soit assurée (sur l’analyse de la jurisprudence, v. not. L. Veyre, La clause de conciliation : un régime à perfectionner !, D. 2020. 1046 image ; V. Lasserre, Les effets des clauses de conciliation ou de médiation, JCP 2021. 271). De manière spécifique, la clause est neutralisée lorsque le droit au juge se fait prégnant (en cas d’urgence) ou lorsque la renonciation provisoire peut être présumée équivoque.

C’est à ce mouvement que pourrait être rattaché l’avis rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 14 juin 2022. En l’espèce, la Cour de cassation a été saisie d’une demande d’avis formée par la cour d’appel de Colmar ainsi formulée : « la convention instituant un préliminaire obligatoire de médiation s’impose-t-elle au juge du fond dès lors que les parties l’invoquent et doit-elle en conséquence entraîner l’irrecevabilité d’une demande formée sans que la procédure de médiation ait été mise en œuvre ? » La Cour de cassation répond par la négative en se fondant sur l’article L. 1411-1 du code du travail qui définit l’office du conseil de prud’hommes, lequel « règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient » et « juge les litiges lorsque la conciliation n’a pas abouti ». La chambre sociale en déduit « qu’en raison de l’existence en matière prud’homale d’une procédure de conciliation préliminaire et obligatoire, une clause du contrat de travail qui institue une procédure de médiation préalable en cas de litige survenant à l’occasion de ce contrat n’empêche pas les parties de saisir directement le juge prud’homal de leur différend ».

Cette réponse peut étonner dans la mesure où elle n’est pas parfaitement ajustée à la question. Alors que la question posée visait la saisine de tout juge du fond, la Cour de cassation s’appuie dans sa réponse sur la seule procédure prud’homale. Il est vrai que la compétence du conseil de prud’hommes a vocation à épuiser le champ des relations individuelles nouées entre l’employeur et le salarié à l’occasion du contrat de travail (C. trav., art. L. 1411-1). L’avis ne donne pas de précision sur le sort de la clause dans le cadre d’un litige qui ne serait pas soumis au conseil de prud’hommes (par exemple, en matière d’accidents du travail, v. Soc. 30 sept. 2010, n° 09-41.451 P, Dalloz actualité, 21 oct. 2010, obs. L. Perrin ; CPAM de Saint-Etienne c/ Chanut (Mme), D. 2010. 2372 image). La chambre sociale a déjà admis le jeu de la sanction de la clause de conciliation dans un litige opposant un syndicat et un employeur au titre de l’application d’une convention collective (Soc. 4 nov. 2020, n° 19-13.922).

Par ailleurs, le raisonnement présenté par la Cour est original. Les raisons invoquées par l’avis peuvent être discutées, ce qui laisse entrevoir d’autres interprétations du résultat pragmatique auquel il aboutit.

La raison invoquée par l’avis : une clause respectée dans la procédure prud’homale

Pour la chambre sociale, la procédure de conciliation préliminaire et obligatoire instaurée dans le procès prud’homal constituerait une sorte de mode d’exécution de la clause de médiation préalable. En d’autres termes, la saisine directe du juge prud’homal, qui a un office de conciliation, respecterait les prévisions de la clause.

Le même raisonnement avait été tenu à propos d’une clause de conciliation dans un arrêt de 2012 (Soc. 5 déc. 2012, n° 11-20.004 P, Dalloz actualité, 8 janv. 2013, obs. B. Ines; Médica France (Sté), D. 2012. 2969 image ; ibid. 2013. 114, chron. F. Ducloz, P. Flores, L. Pécaut-Rivolier, P. Bailly et E. Wurtz image ; ibid. 2936, obs. T. Clay image ; Just. & cass. 2013. 178, rapp. C. Corbel image ; ibid. 186, avis P. Lalande image ; Dr. soc. 2013. 178, obs. D. Boulmier image ; ibid. 576, chron. S. Tournaux image ; RDT 2013. 124, obs. E. Serverin image ; RTD civ. 2013. 171, obs. R. Perrot image). On lisait avant même cet arrêt dans la doctrine travailliste que « l’existence d’une phase obligatoire de conciliation dans la procédure prud’homale, autant que le caractère d’ordre public de la compétence de la juridiction paritaire, privent [la règle générale dégagée par l’arrêt de chambre mixte de 2003] de pertinence pour les litiges qui relèvent de cette compétence » (J. Pélissier et a., Les grands arrêts du droit du travail, 4e éd., Dalloz, 2008, p. 114).

L’avis sous commentaire réaffirme la solution et l’étend à la clause de médiation. Cette extension intervient dans un contexte renouvelé. Entre-temps les modes amiables se sont normalisés devant la juridiction prud’homale. La loi du 6 août 2015 a notamment abrogé l’article 24 de la loi du 8 février 1995 qui prévoyait que les dispositions relatives à la médiation « ne s’appliquent à la médiation conventionnelle intervenant dans les différends qui s’élèvent à l’occasion d’un contrat de travail que lorsque ces différends sont transfrontaliers ». Plusieurs auteurs pensaient que la solution de 2012 serait abandonnée (v. par ex. T. Lahalle, La baisse du contentieux prud’homal, JCP S 2018. 1386 ; A. Bugada, État des lieux des réformes de la justice prud’homale et questions d’actualités, JCP S 2016. 1283 ; sur le développement de la médiation, v. R. Chiss, Libres et brefs propos sur la médiation, JCP S 2019. 1165).

Surtout, il nous semble que, plus encore pour la clause de médiation que pour la clause de conciliation, le raisonnement de la Cour se fonde sur deux présupposés discutables. Il s’agit, d’une part, de l’idée d’équivalence entre une procédure de conciliation devant le conseil de prud’hommes et une médiation conventionnelle et, d’autre part, de l’idée de redondance que représenterait le cumul de ces deux procédures amiables.

Équivalence ?

D’une part, pour approuver pleinement le raisonnement de la Cour, il faudrait considérer qu’il existe une équivalence entre la procédure de conciliation judiciaire devant le conseil de prud’hommes et une médiation conventionnelle. Cela se discute à deux égards : concernant la distinction entre médiation et conciliation et concernant plus spécifiquement celle de la médiation conventionnelle et de la conciliation judiciaire par le juge.

D’abord, une médiation équivaut-elle à une conciliation ?

Concédons que la médiation et la conciliation peinent à être véritablement distinguées en raison d’un flou terminologique que le droit contemporain entretient toujours. De manière générale, dans le langage courant (qui peut servir de référence pour des parties qui stipulent une clause), la conciliation est un terme vague qui n’implique pas forcément l’intervention d’un tiers (la conciliation informelle entre les parties a toujours existé). La médiation implique, quant à elle, l’intervention d’un tiers médiateur, même dans le langage courant. De ce point de vue, les clauses de conciliation et de médiation sont d’une extrême diversité : elles peuvent ou non imposer la présence d’un tiers (W. Dross, Clausier. Dictionnaire des clauses ordinaires et extraordinaires des contrats de droit privé interne, v° Médiation, p. 483 s., spéc. p. 484). De manière plus spécifique, dans le livre V du code de procédure civile auquel renvoie le code du travail (C. trav., art. R. 1471-1), tant la conciliation conventionnelle que la médiation conventionnelle impliquent l’intervention d’un tiers. Toutefois, la définition est commune aux deux modes amiables, étant appréhendés tous deux comme une déclinaison de la notion européenne de médiation telle que définie par la directive européenne 2008/52/CE du 21 mai 2008 (C. pr. civ., art. 1530 : « La médiation et la conciliation conventionnelles régies par le présent titre s’entendent, en application des articles 21 et 21-2 de la loi du 8 février 1995 susmentionnée, de tout processus structuré, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord, en dehors de toute procédure judiciaire en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers choisi par elles qui accomplit sa mission avec impartialité, compétence et diligence »). La confusion résulte aussi du fait qu’historiquement, la médiation est née devant les prétoires dans le creuset de la conciliation. La Cour de cassation a jugé en 1993 que la médiation était une modalité de la conciliation par le juge (Civ. 2e, 16 juin 1993, n° 91-15.332 P).

Il n’en reste pas moins que la distinction existe, notamment depuis la loi du 8 février 1995 et le décret du 22 juillet 1996 qui ont institutionnalisé la médiation. La médiation implique que le tiers cherche à « confronter [les] points de vue » des parties et permettre à celles-ci « de trouver une solution » (C. pr. civ., art. 131-1), méthodologie que n’implique pas nécessairement la conciliation. À ce titre, Carbonnier qualifiait la médiation de « conciliation en plus moderne mais surtout en plus dynamique » (Droit civil, t. 1, 2e éd., 2017, PUF, n° 89). Par ailleurs, le conseil de prud’hommes qui exerce son office de conciliation peut ordonner une médiation, tant devant le bureau de conciliation et d’orientation que devant le bureau de jugement (C. trav., art. R. 1471-2), ce qui suggère bien que les deux modes amiables ne sont pas identiques.

Ensuite, une médiation conventionnelle équivaut-elle à une conciliation menée directement par le juge prud’homal ? On peut en douter, à deux titres.

Premièrement, le préliminaire de conciliation devant le conseil est partie intégrante d’une procédure judiciaire déjà introduite. Il fait suite au dépôt d’une requête, acte introductif d’instance (C. trav., art. R. 1452-1) et à la convocation du défendeur (C. trav., art. R. 1452-4). Les hostilités sont, pour ainsi dire, déjà engagées. L’esprit est très différent de celui qui anime une médiation ou une conciliation hors du prétoire, avant toute instance. En outre, le décalage existe également entre la conciliation judiciaire et l’intention contractuelle qui préside à l’insertion d’une clause de médiation ou de conciliation, lesquelles sont l’expression d’une conception du contrat « relationnalisé » renforçant la confiance entre contractants par la chance donnée au règlement déjudiciarisé (H. Kassoul, L’après-contrat, thèse, Y. Strickler (dir.), 2018, spéc. nos 367 et 388). Il est vrai cependant que le droit du travail n’est pas très réceptif à ce paradigme, étant précisé de surcroît que ce qui précède le procès en la matière est souvent réglementé (comme la procédure de licenciement) et peut rendre complexe la mise en œuvre d’une phase amiable (M. Keller, note ss Cass., ch. mixte, 14 févr. 2003, n° 00-19.423 P, D. 2003. 1386, et les obs. image, note P. Ancel et M. Cottin image ; ibid. 2480, obs. T. Clay image ; Dr. soc. 2003. 890, obs. M. Keller image ; RTD civ. 2003. 294, obs. J. Mestre et B. Fages image ; ibid. 349, obs. R. Perrot image ; Dr. soc. 2003. 890).

Deuxièmement, l’office des juges conciliateurs n’est pas dédié à la conciliation : ils concilient mais peuvent aussi prendre des mesures provisoires (C. trav., art. R. 1454-14). Les parties ne sont pas forcément présentes en personne puisqu’elles peuvent être représentées (C. trav., art. R. 1453-1). Par ailleurs, pour la Cour de cassation, les conseillers doivent vérifier que les parties sont informées de leurs droits respectifs à peine d’excès de pouvoir (Soc. 24 mai 2006, n° 04-45.877 P, RDT 2006. 192, obs. E. Serverin image). Cet office n’est pas celui d’un médiateur conventionnel. La divergence est d’autant plus forte que désormais, la pratique de la conciliation par le conseil de prud’hommes ménage une certaine place à la conciliation forfaitaire, selon un barème établi (C. trav., art. L. 1235-1 et D. 1235-21) qui n’a de conciliation que le nom. On ajoutera que dans les faits, la conciliation prud’homale remplit mal sa fonction de conciliation… Un rapport sénatorial (A. Canayer et a. [commission des affaires sociales et commission des lois], « La justice prud’homale au milieu du gué », rapport d’information n° 653, 10 juill. 2019) relevait que « les conditions de la conciliation prud’homale ne sont pas réunies » avec un taux d’affaires résolues par voie de conciliation « en moyenne de 8 % en 2018, variant de 0 à 26 % d’un CPH à l’autre ». Les rapporteurs relevaient, par contraste que « la conciliation est opérée en partie en dehors du CPH » et que « les conseillers prud’hommes ne disposent pas de formation spécifique à ce mode de règlement des différends » estimant – de manière insuffisamment renseignée – à 13 % en 2018 le taux de résolution amiable hors du conseil de prud’hommes.

Toutes ces raisons incitent à ne pas tenir pour équivalente une conciliation par le juge prud’homal et la mise en œuvre d’une clause de médiation préalable à toute instance.

Redondance ?

D’autre part, le raisonnement de la Cour présuppose que la mise en œuvre de la clause de médiation ferait double emploi avec la procédure de conciliation instaurée devant le conseil de prud’hommes. Il est vrai que la succession de préliminaires de conciliation ou de médiation ne favorise pas le délai raisonnable de jugement et peut s’avérer contre-productive (v. M. Keller, note ss Cass., ch. mixte, 14 févr. 2003, n° 00-19.423 P, préc.). Cette redondance était visée par la Cour de cassation elle-même dans un commentaire de l’arrêt du 5 décembre 2012 (Mensuel du droit du travail, n° 38, déc. 2012, p. 31-32). Ce présupposé n’emporte pas la conviction sur le plan purement juridique.

D’abord, de manière générale, la loi ne rechigne pas à imposer des formalités amiables conventionnelles avant une procédure judiciaire de conciliation. Il en va ainsi devant le tribunal judiciaire : la demande de tentative préalable de conciliation peut être subordonnée à la mise en œuvre d’un mode amiable conventionnel préalable (C. pr. civ., art. 750-1 et 827). Le droit du travail n’est pas épargné par cette logique. La loi a mis fin à l’inéligibilité de la matière prud’homale à la procédure participative. Une fois le litige né, les parties assistées de leurs avocats ont donc la possibilité de conclure une convention qui les oblige à négocier de bonne foi un accord (C. civ., art. 2062) sans pouvoir recourir au juge tant que cette convention est en vigueur (C. civ., art. 2065). Lorsque la procédure échoue, il n’est prévu aucune dispense de conciliation devant le conseil de prud’hommes, et ce alors qu’une telle dispense existe dans les autres matières (C. civ., art. 2066, al. 3). C’est dire que le législateur n’est pas opposé à une succession de phases conciliatoires dans le contentieux du travail. Le cumul étant toléré par le législateur, on aurait pu penser qu’il devait l’être a fortiori lorsque les parties sont convenues de s’imposer ce préalable supplémentaire.

Ensuite, de manière plus particulière, toute affaire soumise au conseil de prud’hommes n’implique pas la saisine du bureau de conciliation et d’orientation. Spécialement, lorsque l’affaire a trait à la requalification en contrat de travail à durée indéterminée d’un contrat de travail à durée déterminée (C. trav., art. L. 1245-41) ou d’une mission d’intérim (C. trav., art. 1251-41) ou à la requalification d’une prise d’acte de la rupture (C. trav., art. L. 1451-1), c’est directement le bureau de jugement qui est saisi. Faudrait-il en conclure que la clause devrait être exécutée lorsque de telles demandes sont formulées ? Le doute est permis, car en théorie, même les bureaux de jugement ont mission de concilier : le texte cité à l’appui de l’avis est relatif à la mission de conciliation du conseil de prud’hommes lui-même (qui dérive de l’office général de conciliation du juge, v. C. pr. civ., art. 21). Il n’en demeure pas moins que cette conciliation est laissée à la discrétion du bureau de jugement. Il ne s’agit pas, dans cette hypothèse, d’une « procédure de conciliation préliminaire et obligatoire » telle que visée dans l’avis pour justifier la solution (v. déjà A. Bugada, « Inopposabilité de la clause de conciliation préalable insérée au contrat de travail », Procédures 2013, n° 106).

En cet état, il est difficile de souscrire à l’analyse qui voudrait que la clause de médiation préalable soit satisfaite par la saisine du juge.

Le résultat énoncé par l’avis : une clause n’empêchant pas la saisine directe du juge

L’avis énonce qu’« une clause du contrat de travail qui institue une procédure de médiation préalable en cas de litige survenant à l’occasion de ce contrat n’empêche pas les parties de saisir directement le juge prud’homal de leur différend ». La justification invoquée, suivant laquelle une telle clause est réputée satisfaite avec l’introduction de l’instance prud’homale n’emportant pas l’adhésion, il convient de considérer plutôt que la solution neutralise la sanction procédurale de la clause de médiation dans un contexte où elle aurait pu avoir vocation à jouer. Cette orientation est d’autant plus fondée que le contentieux du contrat de travail relève en grande majorité du conseil de prud’hommes. Quelles raisons justifient une telle neutralisation ? La thèse de l’illicéité de la clause doit être écartée : la Cour ne répute pas non écrite la clause. Celle-ci étant simplement privée de sa sanction procédurale, elle apparaît plus vraisemblablement comme frappée d’inopposabilité dans le contrat de travail.

Licéité

Le droit au juge revêt une importance singulière dans la relation de travail. S’il en va ainsi, ce n’est pas tant parce que le contrat de travail intéresse l’ordre public (ce qui n’a jamais été un obstacle à la mise en place d’un mode amiable, v. v. not. X. Lagarde, « Esquisse d’un régime juridique des clauses de conciliation », RDC 2003, n° RDCO2003-1-051, p. 189) mais plutôt parce qu’il est un contrat d’adhésion (même si la définition légale du contrat d’adhésion rebat les cartes, v. G. Loiseau et A. Martinon, Le contrat de travail est-il (encore) un contrat d’adhésion ?, Cah. soc. janv. 2018, n° 122f0, p. 3). Cette configuration contractuelle fait présumer l’équivoque dans la renonciation temporaire au droit au juge (not. J. Icard, Le juge et les modes conventionnels de règlement des litiges du travail, Dr. soc. 2017. 33 image, spéc. I A 1 ; D. Boulmier, Contentieux individuels de travail et conciliation/médiation : état des lieux (dégradé !), Dr. soc. 2012. 121 image ; Clause contractuelle de conciliation préalable à la saisine du juge, Dr. soc. 2013. 178 image).

Dans certains contrats d’adhésion, la clause de médiation ou de conciliation préalable est frappée d’illicéité. Ainsi en va-t-il dans les contrats de consommation. Depuis la transposition de la directive n° 2013/11/UE du 21 mai 2013 par l’ordonnance n° 2015-1033 du 20 août 2015 relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation, « est interdite toute clause ou convention obligeant le consommateur, en cas de litige, à recourir obligatoirement à une médiation préalablement à la saisine du juge » (C. consom., art. L. 612-4). Quant aux clauses rédigées antérieurement à l’entrée en vigueur de ce texte, elles sont présumées abusives en ce qu’elles sont susceptibles de « supprimer ou entraver l’exercice d’actions en justice ou des voies de recours par le consommateur » (C. consom., art. R. 212-2, 10°). La Cour de cassation le juge de manière constante (Civ. 1re, 16 mai 2018, n° 17-16.197, D. 2019. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image; Civ. 3e, 19 janv. 2022, n° 21-11.095, Dalloz actualité, 15 fév. 2022, obs. F. Garcia ; D. 2022. 928 image, note J.-D. Pellier image ; ibid. 625, obs. N. Fricero image ; AJDI 2022. 321, point de vue F. de La Vaissière image ; Rev. prat. rec. 2022. 25, chron. B. Gorchs-Gelzer image) même si l’on peut regretter l’« empilement normatif qui obscurcit le régime applicable à ce type de clauses » (H. Kassoul, Clause de conciliation préalable et droit de la consommation : espérons une clarification, LEDC mars 2022, n° DCO200r8 ; adde J.-D. Pellier, Retour sur la clause de conciliation préalable dans les rapports de consommation, D. 2022. 928 image) dans la mesure où l’ancien régime tolère la preuve contraire tandis que le régime nouveau interdit purement la clause. Il n’en reste pas moins que l’objectif est clairement celui de la neutralisation des clauses de médiation et de conciliation préalable dans le contrat de consommation en tant qu’elles créent une contrainte sur le consommateur. Une clause s’imposant au professionnel ne serait pas éradiquée.

Le contrat de travail se rapproche du contrat de consommation. Comme le consommateur, le salarié est une partie faible. Le dispositif de lutte contre les clauses abusives prévu à l’article 1171 du code civil peine à se développer en droit du travail (encore qu’il ne soit pas exclu, v. E. Dockès, G. Auzero et D. Baugard, Droit du travail, 35e éd., 2021, Dalloz, coll. « Précis », n° 680, p. 883 ; sur l’idée de soumettre les clauses de conciliation à ce dispositif, v. A. Bugada, « Sept incitations à la médiation en droit du travail », in A. Leborgne [dir.], La médiation civile : alternative ou étape du procès, PUAM, 2018, p. 193 s., spéc. p. 200). Le code du travail comporte d’ailleurs une disposition précisant que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché » (C. trav., art. L. 1121-1). La « liberté fondamentale d’agir en justice » est bien évidemment protégée à ce titre, comme en atteste la jurisprudence relative à la nullité des mesures de licenciement intervenues en rétorsion à l’exercice d’une action en justice par le salarié (v. Soc. 21 sept. 2016, n° 15-10.263 ; 9 oct. 2019, n°17-24.773 P, D. 2019. 1998 image ; RDT 2019. 801, obs. F. Guiomard image ; 4 nov. 2020, n° 19-12.367 P, Dalloz actualité, déc. 2020, obs. C. Couëdel ; D. 2020. 2175 image ; ibid. 2021. 1152, obs. S. Vernac et Y. Ferkane image ; Dr. soc. 2020. 1046, obs. J. Mouly image) de même que les textes qui défendent la compétence d’ordre public du conseil de prud’hommes (interdiction de la clause attributive de compétence [C. trav., art. L. 1411-4 et L. 1221-5]). Cette disposition pourrait donc fonder un principe d’interdiction de la clause de médiation ou de conciliation préalable en ce qu’elle complexifie l’accès à la justice pour le salarié, dans le même esprit que la législation consumériste.

Ce n’est pourtant pas dans cette voie que s’engage l’avis commenté. Plusieurs arrêts pouvaient pourtant être interprétés comme une forme de neutralisation sans nuance de la clause de conciliation lorsque celle-ci était insérée dans une convention collective. La Cour de cassation a jugé que « la tentative de conciliation prévue par la convention collective ne saurait faire échec aux règles de droit commun ni constituer un préliminaire de conciliation » (Soc. 8 déc. 1965 P, D. 1966. Somm. 48) puis que « les juges du fond ont estimé à juste titre que l’obligation faite aux parties par l’article 105 de la convention collective du notariat de saisir l’organisme paritaire de conciliation créé par celle-ci ne pouvait priver X… du droit de porter de façon immédiate devant la juridiction prud’homale le litige l’opposant à son employeur à l’occasion du contrat de travail, conformément à l’article 81 du décret n° 58-1292 du 22 décembre 1958 » (Soc. 18 juin 1970, n° 69-40.331 P). Cette jurisprudence s’est maintenue (Soc. 26 janv. 1994, n° 91-40.464 P : « la création d’organismes conventionnels chargés de régler les différends nés à l’occasion du contrat de travail, ou même de procéder à la conciliation des parties, ne saurait faire obstacle à la saisine directe de la juridiction prud’homale par les intéressés » ; Soc. 6 févr. 2001, n° 98-42.679).

La doctrine rattache encore parfois ces solutions à la compétence d’ordre public et exclusive du conseil de prud’hommes (v. not. E. Dockès, G. Auzero et D. Baugard, op. cit., n° 113). Il s’agit d’éviter toute concurrence entre la justice prud’homale et des systèmes de justice privée qui peuvent se développer en prenant appui sur le terreau de la médiation préalable (T. Grumbach et E. Séverin, Dans l’air du temps de la marchandisation de la justice : la mise en concurrence du juge prud’homal avec les services de justice privée, in Faut-il renforcer les modes alternatifs de résolution des litiges entre employeurs et salariés ?, RDT 2010. 205 image). Pourtant, dans la pureté des principes, si les règles de compétence permettent de déterminer devant quelle juridiction l’action doit être exercée, elles n’ont pas vocation à faire obstacle à la conclusion d’actes juridiques relatifs à l’action (sauf à interdire tout accord et donc toute transaction en droit du travail). On comprend ainsi pourquoi l’argumentation de la chambre sociale a évolué et n’est pas identique selon qu’elle neutralise la clause compromissoire (qui pose un problème de répartition des compétences entre le juge étatique et l’arbitre) ou la clause de conciliation ou de médiation (v. ainsi, RDC 2013. 1010, obs. C. Pelletier). Cela présuppose la validité de la clause (Gaz. Pal. 9 mars 2013, n° 121w3, obs. S. Amrani-Mekki).

L’avis commenté révèle que la chambre sociale n’a toujours pas entendu rompre avec le principe de licéité de la clause de médiation ou de conciliation en droit du travail. Il faut l’en approuver : ce qui pose un problème est moins la clause en elle-même que la sanction – potentiellement violente – qui lui est attachée en cas de violation.

Inopposabilité

Dès lors que l’on admet que la clause n’est pas satisfaite par la saisine directe du juge prud’homal et qu’elle n’est pas non plus tenue pour illicite, on est conduit à considérer que le résultat pragmatique de l’avis est de priver de sanction procédurale la clause de médiation. Il s’agit d’une forme de neutralisation entendue comme la « privation d’effets qui fait qu’un acte non annulé est cependant inopposable » (G. Cornu [dir.], Vocabulaire juridique, v° Neutralisation, 14e éd., PUF, coll. « Quadrige », 2022). On peut donc suggérer l’idée d’inopposabilité de la clause de médiation (v. déjà, en ce sens, A. Bugada, Inopposabilité de la clause de conciliation préalable insérée au contrat de travail, Procédures 2013, n° 106 ; RDC 2013, n° RDCO2013-3-036, p. 1010, obs. C. Pelletier). L’inopposabilité est classiquement une sanction par laquelle un tiers se retrouve fondé à ignorer un acte, mais dans un sens large, l’inopposabilité peut aussi concerner les parties. L’adjectif inopposable « se dit relativement à une personne, d’un acte ou d’un droit dont cette personne est fondée à ignorer ou à faire écarter les effets » (G. Cornu [dir.], Vocabulaire juridique, v° Inopposable). C’est par exemple en ce sens que l’article 2061 du code civil précise à propos de la clause compromissoire que « lorsque l’une des parties n’a pas contracté dans le cadre de son activité professionnelle, la clause ne peut lui être opposée ». La sanction traduit en réalité l’inefficacité d’une clause qui n’est pas nulle (G. François, L’inefficacité des clauses de conciliation précontentieuse insérées dans le contrat de travail, JCP E 2013. 1127 ; T. Clay, L’arbitrage des conflits du travail, BJT févr. 2019, n° 111d6, p. 35).

D’abord, l’inopposabilité de la clause apparaît être une solution opportune. Elle l’est au regard du contexte contractuel, qui fait douter de la réalité de la volonté non équivoque du salarié de consentir à suspendre son droit d’action en cas de litige. Elle l’est au regard du contexte processuel. En droit du travail, une fin de non-recevoir peut avoir des effets dévastateurs tant les délais de prescription sont réduits et les délais de jugement longs. La sanction est donc ici menaçante pour le droit au juge. Surtout, l’inopposabilité est une sanction équilibrée du point de vue de la politique des modes amiables : elle ne dissuade pas les parties d’insérer la clause ni d’envisager volontairement la médiation avant tout procès. Il ne s’agit pas d’un frein porté au développement des modes amiables en la matière mais d’une limite apportée à leur développement à marche forcée. Comme l’avait écrit Perrot, il y a là un « solide bon sens » (R. Perrot, Clause de conciliation préalable : sa portée en matière prud’homale, RTD civ. 2013. 171 image).

Ensuite, l’inopposabilité ouvre des perspectives. La formulation de la chambre sociale laisse penser que tant le salarié que l’employeur ont la possibilité de saisir le juge en dépit de la clause. Mais l’inopposabilité tolère une application distributive. Or, en opportunité, on peut se demander si la clause ne devrait pas être déclarée opposable à l’employeur qui est supposé la partie forte au contrat. De fait, à l’analyse, la jurisprudence se révèle moins récalcitrante à donner effet à des clauses de préalable amiable lorsque celles-ci ont vocation à bénéficier au salarié. Il en va ainsi de la charte du football professionnel, ayant valeur de convention collective, qui prévoit que lorsque l’employeur envisage la rupture du contrat de travail d’un éducateur professionnel en raison d’un manquement de ce dernier à ses obligations, le litige doit être porté devant la commission juridique qui convoque immédiatement les parties et tente de les concilier. Le non-respect de cette clause par l’employeur n’est pas neutre puisque la Cour de cassation y voit une « garantie de fond » pour le salarié qui rend irrégulière la rupture du contrat de travail (Soc. 26 sept. 2012, n° 11-18.783P, Dalloz actualité, 16 oct. 2012, obs. C. Fleuriot ; D. 2013. 527, obs. Centre de droit et d’économie du sport image ; RDT 2012. 694, obs. F. Mandin image ; v. aussi, sur le domaine d’application, 29 janv. 2020, n° 17-20.163 P, Dalloz actualité, 25 fév. 2020, obs. L. de Montvalon ; D. 2020. 287 image ; ibid. 2021. 388, obs. Centre de droit et d’économie du sport (OMIJ-CDES) image ; Dr. soc. 2020. 278, obs. J. Mouly image).

Le renforcement du contradictoire dans les procédures orales

Lorsque la procédure est orale, le juge qui constate l’absence de production d’une pièce, dont la communication est pourtant visée dans les écritures, doit-il inviter les parties à s’expliquer sur cette anomalie ? C’est à cette question qu’a répondu la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans l’arrêt du 9 juin 2022 sous commentaire.

Alors qu’un avocat était en litige avec un (ancien) de ses clients (au sujet des honoraires dus par le second au premier), le premier président d’une cour d’appel avait cru pouvoir condamner le client au versement d’une certaine somme car celui-ci n’avait versé aux débats ni le relevé bancaire ni la copie du chèque établissant le paiement qu’il prétendait avoir effectué. Même si cette absence de production aux débats, constatée par le premier président, était sans doute difficilement contestable, le client forma un pourvoi en cassation afin de soutenir que le magistrat aurait pu l’avertir de cette omission dès lors que l’en-tête de ses observations écrites, régulièrement soutenues à l’audience, mentionnait la communication de ces pièces et que cette communication n’était pas discutée par l’adversaire. La Cour de cassation fit droit à ce moyen et censura l’ordonnance rendue par le premier président de la cour d’appel.

Cette solution n’est pas inconnue. Lorsque la procédure est écrite, la Cour de cassation répète à l’envi, en s’appuyant sur l’article 16 du code de procédure civile, que le juge doit inviter les parties à s’expliquer sur l’absence de production d’une pièce figurant dans le bordereau annexé aux conclusions et dont la communication n’a pas été discutée (Com. 25 mai 2022, n° 20-16.676 NP ; Soc. 13 avr. 2022, n° 20-23.668 NP ; Com. 30 mars 2022, n° 19-20.624 NP ; Civ. 3e, 16 sept. 2021, n° 19-22.160 NP ; Civ. 2e, 28 janv. 2021, n° 19-24.803 NP ; Civ. 3e, 16 mars 2011, n° 09-69.544 P, Dalloz actualité, 29 mars 2011, obs. G. Forest ; Ferrera, AJDA 2011. 862 image ; D. 2011. 948, obs. G. Forest image ; ibid. 2127, chron. G. Forest image ; ibid. 2298, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin image ; AJDI 2012. 93, chron. S. Gilbert image ; ibid. 93, chron. S. Gilbert image ; RDI 2011. 325, obs. R. Hostiou image ; AJCT 2011. 365, obs. J.-F. Struillou image). L’absence de production d’une telle pièce constitue en effet une anomalie procédurale : il s’agit vraisemblablement d’un oubli, bien dommageable pour le détenteur de la pièce, même si on ne peut totalement exclure que celle-ci n’ait pas été produite volontairement parce qu’elle contenait des éléments défavorables à sa cause (R. Perrot, obs. ss Civ. 2e, 11 janv. 2006, n° 04-11.129, RTD civ. 2006. 374 image). En invitant l’ensemble des parties à s’expliquer, le juge devrait pouvoir y voir plus clair… Mais l’enfer est toujours pavé de bonnes intentions. Contraindre le juge à solliciter les explications des parties dès que la production d’une pièce, même insignifiante pour la solution du litige, a été omise serait sans doute excessif ; c’est donc uniquement lorsqu’il s’est fondé sur l’absence de production d’une pièce...

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Cada : des droits nouveaux pour journalistes et ONG

Le bilan de la Cada est d’abord quantitatif. Le nombre de demandes d’avis et de conseils reçus en 2021 a augmenté de près de 30 % par rapport à 2020 (année covid). C’est supérieur de 23 % à la moyenne des quatre années précédentes. La commission a réussi à augmenter le nombre de dossiers bouclés : de 5 029 avis et conseils rendus en 2018, ce chiffre est passé 7 842 en 2021, un record. Alors qu’en 2018-2019, elle mettait en moyenne six mois à répondre, ce délai est de quatre-vingts jours, notamment grâce à la réorganisation de la commission.

L’an dernier, la Cada a obtenu une modification législative dans la loi 3DS pour mieux traiter les demandes sérielles. En 2021, dix demandeurs, dont huit journalistes et associations, ont, à eux seuls, entraîné à 1 280 avis. La modification législative vise à simplifier l’action de la Cada en cas de demandes massives d’un même document à plusieurs collectivités.

Des droits nouveaux pour les journalistes, chercheurs et ONG

Comme le note Jean-Luc Nevache, le président de la Cada, dans son avant-propos, sous l’impulsion de...

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Loi applicable aux accidents de la circulation

L’arrêt prononcé par la première chambre civile du 15 juin 2022 mérite, même s’il n’est pas un grand arrêt, de retenir l’attention. Il permet en effet de s’arrêter sur la Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d’accidents de la circulation routière, qui est bien connue des universitaires, mais sans doute assez ignorée des praticiens.

Rappelons que cette convention détermine la loi applicable à la responsabilité civile extracontractuelle découlant d’un accident de la circulation routière (art. 1).

Conformément au principe traditionnel qui conduit à appliquer en matière de responsabilité délictuelle la lex...

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Préjudice financier et compétence dans l’Union européenne

Le règlement Bruxelles I bis, n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, énonce que les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont en principe attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre (art. 4, § 1).

Toutefois, en matière délictuelle, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire (art. 7, § 2).

Ce principe donne lieu à une jurisprudence abondante. La Cour de justice a, notamment, été appelée à se prononcer en cas de préjudice financier. Elle a alors jugé que les juridictions du domicile du demandeur sont compétentes, au titre de la matérialisation du dommage, pour connaître d’une telle action, notamment lorsque ce dommage se réalise directement sur un compte bancaire de ce demandeur auprès d’une banque établie dans le ressort de ces juridictions. Toutefois, ce critère ne saurait être, à lui seul, qualifié de « point de rattachement pertinent » (CJUE 28 janv. 2015, aff. C-375/13, Dalloz actualité, 19 févr. 2015, obs. F. Mélin  Kolassa c/ Barclays Bank plc (Sté), D. 2015. 770 image, note L. d’Avout image ; ibid. 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke image ; ibid. 2031, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; Rev. crit. DIP 2015. 921, note O. Boskovic image ; RTD eur. 2015. 374, obs. E. Guinchard image). C’est uniquement dans la situation où les autres circonstances particulières de l’affaire concourent également à attribuer la compétence à la juridiction du lieu de matérialisation d’un préjudice purement financier qu’un tel préjudice pourrait, d’une manière justifiée, permettre au demandeur d’introduire l’action devant cette juridiction (CJUE 16 juin 2016, aff. C-12/15, Dalloz actualité, 6 juil. 2016, obs. F. Mélin ; D. 2016....

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Compétence de l’ONIAM : rappel du principe de subsidiarité

À l’occasion d’un arrêt rendu le 15 juin 2022, la première chambre civile est venue rappeler que la compétence de l’ONIAM obéit au principe de subsidiarité, lequel implique la possibilité, pour le fonds d’indemnisation, d’exercer un recours subrogatoire contre le responsable du dommage et contre son assureur.

En l’espèce, le 12 janvier 2007, à l’occasion d’une intervention médicale effectuée dans une clinique, une patiente a chuté de la table d’opération, ce qui a entraîné une fracture de vertèbres dorsales avec contusion de la moelle épinière.

Le 21 janvier 2008, la victime a saisi la commission de conciliation et d’indemnisation de la région Aquitaine (CCI), laquelle a estimé que le dommage résultait d’un défaut de surveillance imputable à l’infirmière panseuse et au médecin anesthésiste exerçant à titre libéral. Dès lors, il appartenait à l’assureur du médecin anesthésiste ainsi qu’à celui de la clinique de faire une offre d’indemnisation. Selon la CCI, la charge de la réparation devait être répartie entre eux pour moitié.

L’assureur du médecin anesthésiste a présenté une offre d’indemnisation à la victime, couvrant la moitié des préjudices, qui a été acceptée. En revanche, l’assureur de la clinique a refusé de faire une telle offre.

Afin de pallier cette carence, l’ONIAM s’est substitué à l’assureur et a indemnisé la victime pour l’autre moitié de son préjudice. Par la suite, l’ONIAM a entendu exercer un recours subrogatoire contre l’assureur de la clinique. Son recours a toutefois été rejeté, de sorte que l’ONIAM a finalement assigné le médecin anesthésiste et son assureur afin d’obtenir le remboursement des sommes versées. La cour d’appel de Pau a rejeté cette demande. Les juges du fond ont considéré que le fonds s’était substitué à l’assureur de la clinique, et non à l’assureur du médecin anesthésiste. Ainsi, l’ONIAM n’était pas fondé à exercer un recours subrogatoire contre le médecin anesthésiste et son assureur.

Dans un arrêt du 15 juin 2022, la Cour de cassation casse et annule la décision des juges du fond. Au visa des articles L. 1142-1, II, L. 1142-14 et L. 1142-15 du code de la santé publique, elle rappelle que la compétence de l’ONIAM et l’indemnisation au titre de la solidarité nationale ont un caractère subsidiaire, et admet le recours subrogatoire du fonds contre le médecin anesthésiste et son assureur.

Institué par la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, l’ONIAM a pour compétence principale l’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CSP, art. L. 1142-22). Cette compétence obéit à une condition préalable négative, qui est l’absence de responsabilité d’un professionnel de santé. La compétence de l’ONIAM est ainsi subsidiaire, dans le sens où la victime ne peut bénéficier du fonds que si aucune responsabilité ne peut être mise en jeu à l’encontre d’un professionnel de santé (M. Bacache-Gibeili, Les obligations. La...

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La procédure de vérification des créances, le pouvoir juridictionnel et l’effet dévolutif de l’appel

La problématique de la vérification des créances constitue indéniablement l’un des contentieux les plus importants du droit des entreprises en difficulté. Aussi, la jurisprudence a souvent l’occasion de se prononcer sur l’étendue des pouvoirs reconnus au juge-commissaire dans le cadre de la procédure de vérification des créances. Si l’arrêt sous commentaire s’inscrit dans ce mouvement jurisprudentiel, il le dépasse néanmoins en apportant d’intéressantes précisions sur les conséquences procédurales du régime des pouvoirs reconnus au juge-commissaire.

L’éventail de ces derniers est prévu à l’article L. 624-2 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005 et applicable en l’espèce. Le texte prévoyait qu’« au vu des propositions du mandataire judiciaire, le juge-commissaire décide de l’admission ou du rejet des créances ou constate soit qu’une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence ». S’agissant de la décision d’incompétence, l’article R. 624-5 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi de sauvegarde, disposait que « la décision d’incompétence ouvre au créancier, au débiteur et au mandataire judiciaire un délai d’un mois à compter de la notification ou de la réception de l’avis délivré pour saisir la juridiction compétente à peine de forclusion […] ».

Aux côtés de ces précisions textuelles, la jurisprudence est venue quelque peu affiner le domaine des décisions susceptibles d’être prises par le juge-commissaire. Ainsi a-t-elle ajouté à l’hypothèse d’une discussion relevant de la compétence d’une autre juridiction, celle du défaut de pouvoir juridictionnel du juge-commissaire en présence d’une contestation sérieuse sur le fond de la créance, ce qui sera, par la suite, repris par l’ordonnance du 12 mars 2014. En ce domaine, puisque le juge-commissaire ne peut statuer qu’en tant que juge « de l’évidence », il a été jugé qu’il commettrait un excès de pouvoir s’il tranchait une contestation échappant à ses prérogatives et relevant du seul pouvoir juridictionnel du juge du fond (v., par ex., Com. 12 avr. 2005, n° 03-17.207 NP). En réalité, et en présence d’une contestation sérieuse, le juge-commissaire doit surseoir à statuer sur l’admission de la créance et inviter les parties à saisir le juge compétent pour que soit tranchée la contestation sérieuse (Com. 28 janv. 2014, Marseillaise de crédit (Sté), n° 12-35.048 P, Dalloz actualité, 12 févr. 2014, obs. A. Lienhard ; D. 2014. 368, obs. A. Lienhard image ; RTD com. 2014. 863, obs. A. Martin-Serf image).

L’arrêt sous commentaire témoigne de la mise en œuvre et des conséquences procédurales de cette technique sur les pouvoirs juridictionnels du juge du fond chargé de trancher la contestation...

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Les mesures de sûreté conservatoires et les exigences du droit à un procès équitable

Il est bien admis qu’il découle de l’article 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que, en matière pénale, la personne poursuivie ou son avocat dispose de la parole en dernier (Crim., 18 mai 2022, n° 22-81.573 NP ; 10 nov. 2021, n° 21-85.182 P, Dalloz actualité, 24 nov. 2021, obs.  David Pamart ; D. 2021. 2048 image ; AJ pénal 2022. 41 image ; comp. Crim. 25 nov. 1998, n° 98-81.273 P ; 17 févr. 1983, n° 82-90.664 P). Mais cette exigence ne cesse pas de produire ses effets en atteignant les frontières du procès pénal. La première chambre civile l’applique ainsi en matière disciplinaire (Civ. 1re, 25 mars 2020, n° 19-14.413 NP ; 20 févr. 2019, n° 18-12.298 P, Dalloz actualité, 14 mars 2019, obs. A. Bolze ; D. 2019. 438 image ; 1er juin 2016, n° 15-11.243, Dalloz actualité, 22 juin 2016, obs. F. Mélin ; et 15-11.244 P ; 3 juill. 2013, n° 12-23.553 P, Ordre des avocats au barreau des Pyrénées-Orientales, Dalloz actualité, 16 juill. 2013, obs. A. Portmann ; D. 2013. 1840 image ; 16 mai 2012, n° 11-17.683 P, Proc. rép. près TGI Chartres, Dalloz actualité, 1er juin 2012, obs. L. Dargent ; D. 2012. 1411 image ; 25 févr. 2010, n° 09-11.180 P, Dalloz actualité, 5 mars 2010, obs. L. Dargent ; D. 2010. 658, obs. L. Dargent image), au contraire de la chambre commerciale qui, paraissant accorder une grande importance à la possibilité de produire une note en délibéré, juge que le droit à un procès équitable n’implique pas que la personne à l’encontre de laquelle il est demandé le prononcé d’une sanction professionnelle ait la parole en dernier « avant la clôture des débats » (Com. 29 sept. 2021, n° 19-25.112 P, Dalloz actualité, 15 oct. 2021, obs. G. Teboul ; D. 2021. 1765 image).

L’application de cette règle, issue du droit à un procès équitable, peut toutefois donner lieu à quelques difficultés lorsqu’est ordonnée une « mesure de suspension provisoire ». Lorsqu’un officier public ou ministériel fait l’objet d’une poursuite pénale ou disciplinaire, le...

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De la précision des délais d’exécution dans le bon de commande

Le contentieux autour de l’installation des panneaux photovoltaïques continue d’alimenter en pourvois la première chambre civile de la Cour de cassation. Au printemps 2021, nous avions examiné un arrêt ayant précisé que le défaut du prix unitaire dans le bon de commande ne permettait pas d’engager la nullité du contrat conclu (Civ. 1re, 2 juin 2021, n° 19-22.607 F-P, Dalloz actualité, 15 juin 2021, obs. C. Hélaine ; D. 2021. 1132 image). Le 15 juin 2022, la première chambre civile a pu se pencher sur la question des mentions exigées dans le bon de commande et figurant à l’article L. 111-1 du code de la consommation, notamment sur le moment d’exécution des obligations du vendeur. À l’origine du pourvoi, on retrouve un démarchage à domicile classique. Une personne physique décide de conclure auprès d’une société un contrat de fourniture et d’installation de panneaux photovoltaïques et de chauffe-eau thermodynamique financé par un crédit consenti par un établissement bancaire, souscrit la veille avec son épouse. Les acquéreurs invoquent diverses irrégularités sur le bon de commande en estimant notamment que le délai d’exécution est trop vague. Ils assignent le vendeur et la banque en annulation du contrat de vente mais également du prêt souscrit. La cour d’appel de Poitiers relève une anomalie dans le bon de commande : celui-ci comportait une mention pré-imprimée indiquant que la livraison du ou des matériaux et la pose auraient lieu dans un délai maximum de 120 jours. La cour d’appel annule le contrat principal de ce chef sur le fondement de l’article L. 111-1, 3°, du code de la consommation. Elle refuse de voir dans le comportement des acquéreurs une volonté tacite de confirmer le contrat ainsi nul. La société venderesse se pourvoit en cassation et la banque émet un pourvoi incident. Le vendeur et la banque font grief à l’arrêt d’annuler le contrat. Ils estiment que l’indication par le professionnel du délai auquel il s’engage à livrer le bien ou à exécuter le service suffit au sens de l’article L. 111-1, 3°, du code de la consommation. Le vendeur reprochait également de ne pas avoir considéré que l’acquéreur s’était exécuté en connaissance de cause et avait donc renoncé à se prévaloir de l’irrégularité entachant le bon de commande.

Le pourvoi est rejeté. Dans la droite ligne de la jurisprudence de la première chambre civile en droit de la consommation, la solution vient préciser quelques contours originaux et inédits en matière de rigueur du bon de commande. L’arrêt interroge également la confirmation de l’acte nul.

De l’importance de la précision des délais dans le bon de commande

La Cour de cassation vient opter pour une lecture qui peut paraître exigeante de l’article L. 111-1, 3°, du code de la consommation lequel précisait dans sa rédaction applicable au litige que le vendeur doit mentionner « en l’absence d’exécution immédiate du contrat, la date ou le délai auquel (il) s’engage à livrer le bien ou à exécuter le service ». On sait qu’il existe depuis quelques années une certaine tolérance de la jurisprudence sur cette disposition (J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2021, p. 51, n° 29). La solution du 15 juin 2022 s’inscrit, au contraire, dans une certaine forme de sévérité en refusant de voir remplie la condition posée par le texte par une mention pré-imprimée selon laquelle la livraison du ou des matériaux et la pose auraient lieu dans un délai maximum de 120 jours. La première chambre civile vient donc sanctionner non l’absence de délai mais un délai qui paraît « global » et ne permettant pas aux acquéreurs de déceler quand le vendeur exécuterait ses différentes obligations. En réalité, ce que la Cour de cassation critique reste le contournement de la prescription légale par une sorte de délai maximal, standardisé à tous les contrats concernés et pré-imprimés sur chaque bon de commande.

La motivation des juges du fond est particulièrement bien menée sur ce point : « toutefois, cette indication est trop vague pour être conforme aux dispositions susvisées de l’article L. 111-1, 3°, du code de la consommation, puisqu’elle ne distinguait pas entre le délai de pose des modules et celui de réalisation des prestations à caractère administratif (…) » (nous soulignons). Il faut donc, pour les professionnels rédigeant des bons de commande, veiller à détailler les différents délais jusqu’à remplir la formalité de l’article L. 111-1, 3°, du code de la consommation.

La sanction est sévère puisque c’est la nullité du contrat qui est ici prononcée par les juges du fond. Le pourvoi était, bien évidemment, orienté tout entier pour pouvoir éviter cet anéantissement rétroactif en pensant que l’indication prévue au contrat était suffisante. Il faut, en tout état de cause, toujours se méfier des mentions « pré-imprimées ». Elles ne sont pas toujours garantes d’un respect individualisé à chaque situation. Mieux vaut donc adapter le bon de commande si plusieurs délais doivent être appliqués, ce qui était logique ici pour installer les différents éléments de l’installation photovoltaïque.

L’arrêt permet également de s’interroger sur les conditions de la confirmation tacite.

De la recherche d’une confirmation par les acquéreurs

Les cocontractants du couple de consommateurs ont joué leur ultime carte dans la seconde partie de leur pourvoi. Ils arguaient de la possibilité de voir une confirmation de l’acte entaché de nullité dans le comportement des acquéreurs, notamment par la signature de l’attestation de livraison et d’installation, par le versement du montant du capital dans les mains du vendeur par la banque mais également par la conclusion d’un contrat d’achat d’énergie électrique au 28 novembre 2016. Pour les demandeurs au pourvoi, le contrat avait été exécuté si bien que les effets de la nullité relative ne trouveraient pas à s’appliquer.

La Cour d’appel de Poitiers avait procédé à une adoption de motifs ici. Le jugement entrepris avait considéré que ni la banque ni le vendeur n’avaient « rapporté la preuve, exigée par l’article 1338 du code civil, que les emprunteurs avaient eu connaissance du vice affectant l’obligation et qu’ils avaient eu l’intention de le réparer ». Sur ce point, la première chambre civile refuse de suivre le raisonnement des demandeurs au pourvoi qui voyaient dans la conclusion de toute une série d’actes postérieurs la présence d’une confirmation, au moins tacite du contrat.

On retrouve ici les motifs habituels des conditions de la confirmation tacite (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, 12e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, p. 628, n° 554). La solution est heureuse car le comportement de l’acquéreur n’a pas de rapport réel avec le contrat initial et sa nullité. Pour que la confirmation puisse agir encore faut-il une « volonté univoque de ratifier le contrat en toute connaissance de cause » ; ce qui n’est pas le cas ici. Du moins, la preuve n’en est pas rapportée. La motivation est exempte de toute critique fondamentale. 

La première chambre civile opte donc pour une solution assez rigide eu égard au bon de commande de l’article L. 111-1 du code de la consommation et plus particulièrement des délais d’exécution. La prudence commande la précision dans le bon de commande en distinguant les différentes étapes d’exécution et en évitant au maximum les délais globaux qui ne parviennent pas à remplir l’objectif du texte sur ce point. Sur la confirmation, la solution est classique : celle-ci ne se présume pas, encore faut-il rapporter la preuve de la volonté univoque de ratifier le contrat en connaissance de cause. Le droit de la consommation ne fait pas exception ici, bien au contraire. Voici donc une solution dans la plus grande orthodoxie sous l’angle de la théorie générale du contrat. 

La recevabilité des prétentions nouvelles en matière de partage successoral

La liquidation et le partage d’une succession sont des opérations de nature particulière qui échappent aux incombances procédurales gouvernant les demandes nouvelles.

En l’espèce, trois héritiers étaient en désaccord à propos des opérations de liquidation, compte et partage de la succession de leurs deux parents. En appel, l’une des héritières sollicitait la condamnation des deux autres au rapport de certaines libéralités dont les aurait gratifiés les de cujus. Sa demande est jugée irrecevable car tardive dans un arrêt rendu le 19 mai 2020 par la cour d’appel de Rennes. Les juges d’appel avaient considéré qu’une telle prétention aurait dû être formulée dans les premières conclusions déposées devant eux. En effet, selon l’alinéa premier de l’article 910-4 du code de procédure civile : « À peine d’irrecevabilité, relevée d’office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond ». Or, faute de survenance ou de révélation d’un fait postérieur à ces écritures, ne sont recevables que les prétentions formées dans les conclusions formant appel incident, ce qui exclut celles contenues dans les conclusions ultérieures (§ 7).

Sur pourvoi, l’arrêt d’appel est pourtant cassé pour violation de la loi au visa de l’article 910-4 du code de procédure civile. La première chambre civile rappelle d’abord qu’en application de l’alinéa 2 du texte, l’irrecevabilité prévue par son alinéa 1er ne s’applique pas aux prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses (§ 5). Elle énonce ensuite en attendu de principe qu’« en matière de partage (…), les parties étant respectivement demanderesses et défenderesses quant à l’établissement de l’actif et du passif, toute demande doit être considérée comme une défense à une prétention adverse » (§ 6). Elle en conclut que les prétentions formées dans les dernières conclusions, qui portaient sur de nouvelles demandes de rapports dus par les cohéritiers, avaient trait au partage de l’indivision successorale, de sorte qu’elles devaient s’analyser en une défense aux prétentions adverses (§ 8).

Il est ainsi reproché aux juges rennais de n’avoir envisagé que l’alinéa 1er de l’article 910-4 du code de procédure civile, c’est-à-dire le principe de concentration des prétentions dans les premières conclusions déposées en appel, et d’avoir négligé l’alinéa 2 du même texte qui en tempère la rigueur pour « les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l’intervention d’un tiers ou de la survenance ou de la révélation d’un fait ».

L’issue n’est pas surprenante mais elle n’est pas dépourvue d’intérêt. Elle n’est pas surprenante car la formule de principe utilisée par la Cour de cassation est classique : en matière de partage, les parties sont respectivement demanderesses et défenderesses, de sorte que toute demande est en réalité une défense à une prétention adverse. Cette jurisprudence est constante depuis 1928 (Civ. 20 avr. 1928 P ; Civ. 1re, 25 sept. 2013, n° 12-21.280 P, Dalloz actualité, 11 oct. 2013, obs. J. Marrocchella ; D. 2014. 1905, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel image ; AJ fam. 2013. 722, obs. P. Hilt image ; RTD civ. 2013. 882, obs. B. Vareille image ; ibid. 884, obs. B. Vareille image ; Gaz. Pal. 29 oct. 2013, p. 18, note J. Casey ; ibid. 21 janv. 2014, p. 19, note J. Casey ; JCP 2013. 1323, obs. P. Simler ; 3 avr. 2001, n° 99-20.717 NP, Procédures 2001, n° 155, note H. Croze ; 17 juin 1976, n° 74-14.697 P ; 10 janv. 1978, n° 76-10.835 P ; 20 mars 1989, n° 87-10.798 P ; Civ. 2e, 3 févr. 1983, n° 80-16.702 P, Gaz. Pal. 1983. 1. Pan. 170, obs. S. Guinchard ; Civ. 1re, 12 nov. 1987, n° 86-10.258 NP ; 1er oct. 1996, n° 94-18.297, inédit ; Procédures 1996, n° 322, note R. Perrot).

La décision est cependant intéressante pour au moins deux raisons.

Le partage comme limite au principe de concentration des prétentions en appel

D’une part, c’est la première fois que la Cour de cassation déploie ce raisonnement juridique pour l’application de l’article 910-4 du code de procédure civile. Jusqu’à présent, elle n’avait statué qu’au visa des articles 564, 565 et 566 du code de procédure civile ou de l’article 107 du décret du 28 août 1972. En d’autres termes, la recevabilité des demandes nouvelles présentées dans le cadre du partage n’était jusqu’à présent qu’un tempérament à l’effet dévolutif de l’appel, qui interdit de soumettre au juge d’appel des prétentions sur lesquelles le premier juge n’a pas statué. Désormais, le partage est aussi une limite au principe de concentration des prétentions en appel, c’est-à-dire à la nécessité de présenter toutes les demandes dès le dépôt des premières conclusions, à peine d’irrecevabilité. Il en résulte une plus grande souplesse pour les parties. Non seulement elles peuvent placer dans le débat en appel des prétentions qui n’ont pas été discutées en première instance, mais elles sont dorénavant autorisées à formuler des demandes dans des conclusions postérieures à celles présentées pour la première fois devant la cour d’appel.

La qualification d’une demande de rapport successoral en défense en prétention adverse

D’autre part, la position de la Cour de cassation, quoique classique et fort opportune, peut être juridiquement discutée. En effet, il est un peu réducteur de qualifier une demande de rapport successoral en défense à une prétention adverse. Ce n’est pas parce qu’un héritier se prétend créancier d’un rapport au titre d’une libéralité qu’il conteste être lui-même débiteur du rapport d’une autre libéralité. Dis plus simplement, je peux prétendre que ma sœur me doit 30 000 € sans contester lui en devoir 50 000 €. Il y a là deux demandes distinctes qui ne sont en rien inconciliables.

Ce n’est qu’en raisonnant de manière globale, par une logique de compte, que l’on peut concevoir la demande de l’un comme une défense à la prétention adverse. La Cour n’évoque pas autre chose lorsqu’elle précise que les parties sont respectivement demanderesses et défenderesses « quant à l’établissement de l’actif et du passif ». Ainsi, en prétendant que ma sœur me doit 30.000€ je ne nie pas lui devoir 50 000 € mais je m’oppose à sa demande en paiement de cette somme, que je souhaite ramener à 20 000 €. Il s’agit bien d’une discussion sur la détermination de l’actif.

Dès lors, la demande de rapport n’est pas moins destinée à faire écarter les prétentions adverses qu’à opposer compensation. La nuance est sans incidence à propos de l’article 564 du code de procédure civile qui évoque clairement les deux finalités : « opposer compensation, [ou] faire écarter les prétentions adverses ». Cependant l’article 910-4 du code de procédure civile ici en cause n’évoque pas la compensation. Le seul moyen pour la Cour de cassation d’étendre sa jurisprudence était donc de continuer à raisonner en termes de tentatives de faire écarter les prétentions adverses plutôt que selon une logique de compensation.

Sur un plan purement juridique, la Cour de cassation aurait donc eu les moyens de se montrer plus exigeante envers les plaideurs si elle l’avait souhaité. Il lui aurait suffi de raisonner à l’échelle de l’obligation au rapport et non à celle de l’actif global et de privilégier le raisonnement fondé sur la compensation. La recevabilité des demandes tardives est donc un véritable choix de sa part. Un choix salutaire, très opportun, voire nécessaire pour tempérer la rigueur de l’effet dévolutif de l’appel et du principe de concentration des prétentions en appel.

Notons pour finir que ce n’est pas tant la notion de partage que celle de la liquidation qui devrait juridiquement fonder la solution. Le partage n’est en somme qu’une opération permettant d’attribuer à chacun son dû et de mettre fin à une indivision, donc de passer d’une propriété collective à plusieurs propriétés privatives. Ce sont plutôt les opérations de liquidation qui permettent de déterminer l’actif et le passif d’une succession, donc d’opérer compensation entre les dettes et créances des parties. La preuve en est que la solution s’applique également en matière de calcul de créance de participation dans le régime matrimonial de participations aux acquêts (Civ. 1re, 22 févr. 2005, n° 02-11.904 NP). Il n’y est pourtant pas question de partage, faute de propriété collective, mais simplement de liquidation, ce qui est suffisant pour justifier la recevabilité des demandes nouvelles en appel. La solution doit donc pouvoir s’appliquer à tous les cas dans lesquels il est nécessaire de réaliser une liquidation en dehors de toute demande en partage, comme par exemple s’agissant du calcul d’une indemnité de réduction en l’absence d’indivision entre le donataire ou légataire et l’héritier réservataire.

  

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