Les dispositions frappées d’inconstitutionnalité sont issues de la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement. Cette loi avait rassemblé en seul texte, l’article L. 116-4 du code de l’action sociale et des familles, diverses incapacités de recevoir destinées à protéger les personnes vulnérables hébergées dans une institution du secteur médico-social (pour une présentation de cet aspect de la loi, v. M. Nicod, Liberté de disposer de la personne âgée et lutte contre les captations d’héritage, Dr. Fam. n° 10, oct. 2016, doss. 36, soulignant notamment la cohérence de la réforme qui aboutit à ce que la protection patrimoniale du patient en fin de vie relève du code civil, en son article 909, tandis que la protection de la personne vulnérable hébergée dans une institution du secteur médico-social ou aidée à son domicile par un auxiliaire de vie obéit aux règles du code de l’action sociale et des familles). Outre cette réorganisation des textes, la loi du 28 décembre 2015 avait également redéfini le champ d’application de ces incapacités pour les étendre aux auxiliaires de vie qui apportent une aide personnelle à domicile. Cette mesure était inspirée par la volonté du législateur d’étendre la protection patrimoniale des personnes âgées et handicapées vulnérables. De fait, aucune disposition spécifique n’était alors prévue pour ces personnes lorsqu’elles bénéficient d’une aide à domicile. La Cour de cassation appliquant strictement les textes, ayant par exemple jugé qu’une aide-ménagère n’est pas frappée d’incapacité de recevoir à titre gratuit (Civ. 1re, 25 sept. 2013, n° 12-25.160, Bull. civ. I, n° 193 ; Dalloz actualité, 10 oct. 2013, obs. T. Douville ; D. 2013. 2273 ; JA 2013, n° 487, p. 10, obs. S.Z. ; AJ fam. 2013. 639, obs. E. Bourrié ; RDSS 2013. 1124, note M. Bruggeman ; RTD civ. 2014. 86, obs. J. Hauser ), le législateur a estimé qu’il lui revenait de légiférer pour étendre la protection patrimoniale des personnes qu’il présume vulnérables (sur cette motivation, v. M. Pinville, Rapp. AN n° 2155, 17 juill. 2014).
Techniquement, l’incapacité fustigée repose aujourd’hui sur trois textes. L’article L. 116-4, I, du code de l’action sociale et des familles pose le principe de l’interdiction de recevoir. Pour désigner les personnes frappées de cette incapacité, il procède notamment par renvoi au code du travail, en ses dispositions qui définissent les activités de services à la personne (C. trav., art. L. 7231-1). Sont ainsi visés les auxiliaires de vie qui interviennent à domicile, que ce soit à travers un service organisé (CASF, art. L. 116-4, I, al. 1er : « les personnes physiques propriétaires, gestionnaires, administrateurs ou employés […] d’un service soumis à agrément ou à déclaration mentionné au 2° de l’article L. 7231-1 du code du travail, ainsi que les bénévoles ou les volontaires qui agissent en leur sein ou y exercent une responsabilité ») ou en tant que salariés des personnes bénéficiant de leur aide (CASF, art. L. 116-4, I, al. 2 : « L’interdiction prévue au premier alinéa du présent article est applicable […] aux salariés mentionnés à l’article L. 7221-1 du code du travail [c’est-à-dire les salariés employés par des particuliers à leur domicile privé pour réaliser des travaux à caractère familial ou ménager] accomplissant des services à la personne définis au 2° de l’article L. 7231-1 du même code »). Le 2° de l’article L. 7231-1 du code du travail, auquel il est renvoyé, vise le service à la personne consistant en « l’assistance aux personnes âgées, aux personnes handicapées ou aux autres personnes qui ont besoin d’une aide personnelle à leur domicile ou d’une aide à la mobilité dans l’environnement de proximité favorisant leur maintien à domicile ».
L’incapacité de disposer corrélative à cette incapacité de recevoir frappe « les personnes prises en charge par le service » (CASF, art. L. 116-4, I, al. 1er) et les personnes accompagnées (CASF, art. L. 116-4, I, al. 2), ce qui, par l’effet du renvoi au code du travail, vise les personnes âgées, les personnes handicapées et les autres personnes qui ont besoin d’une aide personnelle à leur domicile ou d’une aide à la mobilité favorisant leur maintien à domicile. Devant le Conseil constitutionnel, ce n’est pas tant la situation des personnes handicapées que celle des personnes âgées qui a été débattue, même si le texte leur réserve un sort identique. Reste que la déclaration d’inconstitutionnalité frappe l’ensemble de ces personnes, puisque ce sont les trois renvois opérés par l’article L. 116-4 du code de l’action sociale et des familles au code du travail qui ont été jugés contraires à la Constitution, en ce que celle-ci protège le droit de propriété.
Si l’on comprend aisément les raisons de l’inconstitutionnalité prononcée par le Conseil, on peut s’interroger sur les suites de cette décision.
Les raisons de l’inconstitutionnalité
C’est une incapacité de recevoir que formulent les textes. À cet égard, la loi ne méconnaît aucune disposition constitutionnelle, la capacité de recevoir n’étant pas un droit garanti par la Constitution. Le Conseil constitutionnel avait déjà eu l’occasion d’affirmer que le droit de propriété n’implique pas le droit de recevoir à titre gratuit (au sujet de la limitation de la capacité des associations de recevoir des libéralités, v. Cons. const. 29 janv. 2015, n° 2014-444 QPC, D. 2015. 269 , écartant le grief tiré de l’atteinte au droit de propriété au motif qu’aucune exigence constitutionnelle n’impose que toutes les associations déclarées jouissent de la capacité de recevoir des libéralités). Certes, il s’agissait alors du droit de propriété de personnes morales mais la propriété des personnes morales n’est pas garantie différemment de celle des personnes physiques ; seule la capacité à contracter est régie suivant des règles différentes (v. C. civ., art. 1145, posant un principe de capacité générale des personnes physiques et un principe de capacité spéciale des personnes morales). Il existe donc un précédent qui tend à refuser une protection constitutionnelle au droit de recevoir à titre gratuit. Toutefois, dans cette décision, l’absence de protection du droit de recevoir avait curieusement été assimilée à une absence de protection du droit de disposer (§ 7 : « les griefs tirés de l’atteinte au droit de propriété et à la liberté contractuelle des associations déclarées doivent donc être écartés ; par voie de conséquence, il en va de même des griefs tirés de l’atteinte au droit de propriété et à la liberté contractuelle des testateurs et donateurs »).
Or, si le droit de recevoir n’est pas garanti constitutionnellement, il en va autrement du droit de disposer, qui constitue un attribut inhérent au droit de propriété. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs eu plusieurs occasions d’affirmer que le droit de disposer librement de son patrimoine est un attribut essentiel du droit de propriété (Cons. const. 29 juill. 1998, n° 98-403 DC, § 40, AJDA 1998. 739 ; ibid. 705, note J.-E. Schoettl ; D. 1999. 269 , note W. Sabete ; ibid. 2000. 61, obs. J. Trémeau ; RDSS 1998. 923, obs. M. Badel, I. Daugareilh, J.-P. Laborde et R. Lafore ; RTD civ. 1998. 796, obs. N. Molfessis ; ibid. 1999. 132, obs. F. Zenati ; ibid. 136, obs. F. Zenati ) et que les limitations apportées à ce droit de disposer constituaient des atteintes au droit de propriété lui-même (Cons. const. 9 avr. 1996, n° 96-373 DC, AJDA 1996. 371 , note O. Schrameck ; D. 1998. 156 , obs. J. Trémeau ; ibid. 145, obs. J.-C. Car ; ibid. 147, obs. A. Roux ; ibid. 153, obs. T. S. Renoux ; RFDA 1997. 1, étude F. Moderne ; 26 juill. 1984, n° 84-172 DC). C’est la raison pour laquelle la constitutionnalité des incapacités édictées par l’article L. 116-4, I, du code de l’action sociale et des familles a été contestée sous l’angle des incapacités de disposer qu’elles impliquent, et non sous l’angle des incapacités de recevoir.
Effectivement, qui dit incapacité de recevoir dit, par un corollaire nécessaire, incapacité de disposer : parce qu’elles n’existent qu’entre personnes déterminées, les incapacités de recevoir qui empêchent telle personne de bénéficier d’une libéralité impliquent, à l’autre bout du lien interpersonnel, des incapacités qui empêchent telle autre personne de disposer à titre gratuit au profit de celle qui ne peut recevoir. À une incapacité de recevoir correspond donc nécessairement une incapacité de disposer. De ce point de vue, en ce qu’elle limite l’abusus des personnes frappées (protégées ?) par l’incapacité de disposer, la loi porte atteinte à leur droit de propriété, constitutionnellement garanti. C’est ce que souligne le Conseil constitutionnel dans la présente décision lorsqu’il relève que « les dispositions contestées interdisent aux responsables et aux employés ou bénévoles des sociétés délivrant de tels services, ainsi qu’aux personnes directement employées par celles qu’elles assistent, de recevoir de ces dernières des donations ou des legs », que, « par conséquent, les dispositions contestées limitent, dans la mesure de cette interdiction, les personnes âgées, les personnes handicapées ou celles qui ont besoin d’une aide personnelle à leur domicile ou d’une aide à la mobilité dans leur capacité à disposer librement de leur patrimoine » et que « le droit de disposer librement de son patrimoine étant un attribut du droit de propriété, les dispositions contestées portent atteinte à ce droit ».
Classiquement, le Conseil constitutionnel rappelle que l’exercice du droit de propriété peut être limité par la loi pourvu que les atteintes ainsi portées soient liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi. La formule, devenue classique, rappelle la distinction qu’opère la juridiction constitutionnelle entre les atteintes prenant la forme de privations du droit de propriété et les autres atteintes, prenant notamment la forme de limitations des conditions d’exercice du droit de propriété. Les premières doivent nécessairement respecter les exigences de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (nécessité publique légalement constatée ; juste et préalable indemnité), tandis que les secondes, contrôlées sur le fondement de l’article 2 du même texte, doivent « seulement » être justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi. Au rang des motifs susceptibles de justifier une limitation du droit de propriété figurent aussi, outre l’intérêt général, les « exigences constitutionnelles », même si elles n’étaient pas en cause en l’espèce (sont généralement visés à travers cette formule les objectifs à valeur constitutionnelle, ou encore les autres droits et libertés garantis par la Constitution). Pour contrôler la constitutionnalité de l’atteinte portée au droit de propriété, le Conseil s’est donc employé à vérifier que l’incapacité de recevoir était, d’une part, justifiée par l’intérêt général et, d’autre part, proportionnée à l’objectif poursuivi. Si la première de ces conditions a été considérée comme remplie, il n’en est pas de même de la seconde.
S’agissant d’abord de l’intérêt général qui préside à l’incapacité de disposer, il tient, selon le Conseil, à la protection de personnes « placées dans une situation particulière de vulnérabilité vis-à-vis du risque de captation d’une partie de leurs biens » par ceux qui leur apportent l’assistance dont elles ont besoin pour favoriser leur maintien à domicile. On trouve là une illustration de la difficulté, connue des contractualistes, à distinguer les règles protectrices de l’intérêt général de celles qui protègent les intérêts privés (sur ce point, v. not. J.-L. Aubert, E. Savaux et J. Flour, Droit civil. Les obligations. Tome 1 : l’acte juridique, 16e éd., Sirey, coll. « Université », 2014, spéc. n° 328, soulignant qu’il « n’existe pas de frontière tranchée entre l’intérêt général et les intérêts privés : toute disposition légale présente toujours, peu ou prou, un certain caractère d’intérêt général ; sinon, elle n’aurait pas été édictée »).
En effet, l’objectif consistant à renforcer la protection de personnes situées dans une situation de vulnérabilité ressort classiquement à la protection d’intérêts privés. Cela explique que la méconnaissance de ces règles soit sanctionnée par une nullité relative (C. civ., art. 1147 ; F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, Droit civil. Les successions. Les libéralités, Dalloz, 4e éd., 2014, n° 331, affirmant que « les incapacités qu’elles soient d’exercice ou de jouissance […], sont sanctionnées par une nullité relative, car elles sont toutes sous- tendues par une idée de protection »). Il est vrai que, si on l’observe sous l’angle de l’incapacité de recevoir et non plus sous celui de l’incapacité de disposer, la règle poursuit un objectif qui se rapproche davantage de l’intérêt général : en ce qu’elle s’impose aux auxiliaires de vie, l’interdiction a également pour but d’assurer un exercice désintéressé et indépendant de l’activité de service à la personne et, en cela, contribue à assurer le respect d’une certaine éthique au sein de la profession visée. Cette dimension justifierait même, selon certains, que l’incapacité soit sanctionnée par une nullité absolue (en ce sens, v. G. Raoul-Cormeil et Q. Le Pluard, L’incapacité de recevoir à titre gratuit du professionnel de santé et l’existence de la maladie létale, D. 2021. 509 , au sujet des incapacités de jouissance inscrites à l’article 909 du code civil).
Reste que la position du Conseil constitutionnel, qui voit dans la protection des personnes vulnérables la poursuite d’un objectif d’intérêt général, ne doit, semble-t-il, pas être comprise comme un parti pris sur la question de l’intérêt, privé ou général, poursuivi par la règle envisagée. Il y a là deux acceptions différentes de l’intérêt général, auquel s’attachent des enjeux distincts. En droit des contrats, l’intérêt général s’oppose à l’intérêt privé pour déterminer le régime de la nullité, absolue ou relative, qui sanctionne la méconnaissance de la règle de droit. Même si toutes les règles, y compris celles qui protègent une personne déterminée ou une catégorie de personnes, sont à tout le moins teintées d’intérêt général, il est nécessaire de retenir une acception stricte de cette notion pour ne pas étendre démesurément le nombre des règles sanctionnées par une nullité absolue. En droit constitutionnel, en revanche, la notion d’intérêt général est comprise dans un sens plus large car elle permet de justifier les atteintes aux droits et libertés garantis par la Constitution. En ce domaine, l’intérêt général englobe les règles destinées à protéger des intérêts privés. C’est, du reste, ce qui ressort de la jurisprudence du Conseil constitutionnel : nombreuses sont les atteintes au droit de propriété dont le Conseil a estimé qu’elles poursuivaient un objectif d’intérêt général alors même que la loi visait davantage à protéger un intérêt privé (v. par ex. Cons. const. 13 juill. 2011, n° 2011-151 QPC, AJ fam. 2011. 426, obs. N. Régis ; RTD civ. 2011. 565, obs. T. Revet ; ibid. 750, obs. J. Hauser , pour la protection du conjoint économiquement défavorisé lors d’un divorce ; 1er août 2013, n° 2013-337 QPC, D. 2013. 1959 , pour la protection des héritiers réservataires ; 20 mars 2014, n° 2014-691 DC, AJDA 2014. 655 ; D. 2014. 1844, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ; AJDI 2014. 325, point de vue F. de La Vaissière ; JT 2014, n° 163, p. 8, obs. E. Royer ; Constitutions 2014. 169, chron. P. Bachschmidt ; ibid. 364, chron. P. De Baecke , pour la protection des locataires ; Cons. const. 20 juill. 2000, n° 2000-434 DC, D. 2001. 1839 , obs. D. Ribes , pour la protection des enfants en promenade le mercredi ; Cons. const. 16 déc. 2011, n° 2011-206 QPC, D. 2012. 1509, obs. A. Leborgne , pour garantir l’aboutissement de la procédure de saisie immobilière). En somme, lorsque le Conseil affirme que les incapacités de jouissance poursuivent un but d’intérêt général, cela ne devrait avoir aucun impact sur la sanction du non-respect desdites incapacités.
S’agissant ensuite de la proportionnalité de l’atteinte, le Conseil constitutionnel considère qu’elle n’est pas caractérisée : « l’interdiction générale contestée porte au droit de propriété une atteinte disproportionnée à l’objectif poursuivi ». Elle est pourtant triplement limitée.
Ratione materiae, l’interdiction ne s’applique pas aux gratifications rémunératoires pour services rendus. Sur ce point, la précision du Conseil constitutionnel est bienvenue car elle dissipe une incertitude qui pouvait exister à la lecture de l’article L. 116-4, I, du code de l’action sociale et des familles. En effet, seul le premier alinéa de ce texte, applicable aux personnes qui interviennent dans le cadre d’un établissement ou d’un service, renvoie aux exceptions prévues par l’article 909 du code civil et autorise donc notamment les dispositions rémunératoires au profit de ces personnes. En revanche, le deuxième alinéa de l’article L. 116-4, I, du code de l’action sociale et des familles ne comporte pas le même renvoi à l’article 909 du code civil, ce qui pouvait laisser penser que les exceptions prévues par ce texte ne s’appliquaient pas aux personnes directement employées par le particulier bénéficiant de l’assistance à domicile. Il n’en est rien. Le Conseil constitutionnel n’opère aucune distinction entre les règles applicables à ces deux catégories de personnes lorsqu’il retient que les dispositions contestées visent à la fois les responsables, employés et bénévoles des sociétés délivrant des services d’assistance personnelle à domicile et les personnes directement employées par celles qu’elles assistent. En affirmant que l’interdiction légale « ne s’applique pas aux gratifications rémunératoires pour services rendus », il laisse entendre que l’exception autorisant les dispositions rémunératoires s’applique à l’ensemble des personnes visées par l’incapacité inscrites à l’article L. 116-4 du code de l’action sociale et des familles.
Ratione temporis, ensuite, l’incapacité de jouissance est également limitée puisque, comme le relève le Conseil constitutionnel, elle ne s’applique qu’aux libéralités consenties pendant la période d’assistance du donateur (l’interdiction de recevoir formulée par le texte vise les dispositions à titre gratuit faites « pendant la durée de [la] prise en charge »). Sur ce point, l’incapacité édictée par le texte évoque celle de l’article 909, alinéa 1er, du code civil qui interdit aux soignants de bénéficier des libéralités faites par leur patient « pendant le cours » de la maladie dont ils sont décédés.
Ratione personae, enfin, l’interdiction est également limitée. D’une part, elle ne s’applique qu’aux personnes accomplissant des services d’assistance personnelle à domicile, visés par le 2° de l’article L. 7231-1 du code du travail, alors pourtant que le législateur avait envisagé dans un premier temps de l’étendre aux personnes accomplissant des services à domicile relatifs aux tâches ménagères ou familiales, visés par le 3° du même texte (en ce sens, v. M. Nicod, art. préc.). D’autre part, l’incapacité de recevoir ne frappe pas les héritiers en ligne directe ou, en l’absence d’héritiers en ligne directe, les parents jusqu’au quatrième degré de la personne bénéficiant de l’assistance. À cet égard, la qualité de parent l’emporte sur celle de soignant ou d’auxiliaire de vie. Cette exception se fonde sur le renvoi à l’article 909, 2°, du code civil opéré par l’article L. 116-4 du code de l’action sociale et des familles. On pourrait ajouter, bien que le Conseil constitutionnel ne l’ait pas relevé, que l’interdiction formulée par l’article L. 116-4, I, alinéa 2, ne s’applique qu’au salarié lui-même et non pas à ses conjoint, partenaire, concubin, ascendants ou descendants, contrairement à l’accueillant familial visé par le même texte.
Cette triple limitation, toutefois, ne suffit pas à rendre proportionnée l’atteinte portée au droit de propriété des disposants. Prenant le contrepied de la logique suivie par le législateur, le Conseil constitutionnel affirme son désaccord, tant sur le plan des présupposés que sur celui de la méthode.
Quant aux présupposés, le Conseil exclut toute assimilation systématique entre service d’assistance à domicile et besoin de protection patrimoniale. Pour ce faire, il retient deux séries d’arguments tenant, d’une part, à la personne assistée et, d’autre part, aux modalités du service rendu. D’une part, « il ne peut se déduire du seul fait que les personnes auxquelles une assistance est apportée sont âgées, handicapées ou dans une autre situation nécessitant cette assistance pour favoriser leur maintien à domicile que leur capacité à consentir est altérée ». Autrement dit, avoir besoin d’une assistance pour pouvoir se maintenir à domicile n’implique pas nécessairement une altération des facultés mentales de nature à entraver l’aptitude à consentir. La vulnérabilité peut prendre différentes formes qui n’impliquent pas toutes un même besoin de protection ni, en conséquence, une réponse identique. Ainsi, il y a indubitablement une vulnérabilité intrinsèque à l’âge, au handicap, voire à d’autres situations rendant nécessaire une assistance personnelle au domicile. Mais cette vulnérabilité, d’ordre physique, ne traduit pas systématiquement une fragilité mentale justifiant une mesure d’incapacité. Si l’une et l’autre peuvent coïncider, elles ne sont pas pour autant toujours réunies. D’autre part, « les services à la personne définis au 2° de l’article L. 7231-1 du code du travail recouvrent une multitude de tâches susceptibles d’être mises en œuvre selon des durées ou des fréquences variables. Le seul fait que ces tâches soient accomplies au domicile des intéressées et qu’elles contribuent à leur maintien à domicile ne suffit pas à caractériser, dans tous les cas, une situation de vulnérabilité des personnes assistées à l’égard de ceux qui leur apportent cette assistance ». Autrement formulé, la relation d’assistance qui se noue au domicile de la personne assistée n’est pas nécessairement source de vulnérabilité extrinsèque, à l’égard de l’assistant. Ainsi, à supposer même que la personne assistée subisse une altération de ses facultés cognitives, les modalités de l’assistance dont elle bénéficie (durée, fréquence) peuvent être exclusives de toute dépendance psychique à l’égard de l’assistant et de tout risque de captation de sa part. Par ces motifs, le Conseil constitutionnel invalide le postulat du législateur suivant lequel les personnes âgées ou handicapées bénéficiant d’une aide à domicile se trouveraient par principe dans une situation de vulnérabilité justifiant la protection de leur patrimoine contre leur propre volonté.
Quant à la méthode employée par le législateur, le Conseil constitutionnel marque également sa désapprobation en relevant que « l’interdiction s’applique même dans le cas où pourrait être apportée la preuve de l’absence de vulnérabilité ou de dépendance du donateur à l’égard de la personne qui l’assiste ». On remarquera que les notions de vulnérabilité et de dépendance sont ici distinguées, la vulnérabilité semblant désigner un état intrinsèque de la personne et la dépendance, un lien pouvant exister entre l’assistant et l’assisté. Pourtant, un peu plus haut, en son point 9, la juridiction évoque la vulnérabilité des personnes assistées à l’égard de ceux qui leur apportent assistance, ce qui semblait accréditer l’idée que la vulnérabilité peut être soit intrinsèque à la personne, à raison de son état, soit extrinsèque, et résulter des relations qu’elle noue avec les personnes qui l’entourent. Indépendamment du vocabulaire employé, la formule aboutit à dénoncer la méthode de protection choisie par le législateur. Les incapacités de jouissance sont généralement présentées comme reposant sur une présomption légale de captation qui serait irréfragable, aucune preuve de l’absence de captation ne pouvant être rapportée pour sauver la libéralité faite au mépris de l’interdiction. Pourtant, ce n’est pas une présomption qu’édictent les articles 909 du code civil ou L. 116-4 du code de l’action sociale et des familles. La loi ne présume pas que la libéralité serait le fruit d’une captation. Elle pose une interdiction générale qui prend la forme d’une règle de fond (incapacité de recevoir) assortie de deux exceptions (libéralités rémunératoires ; libéralités intrafamiliales) dont aucune ne repose sur la preuve de l’absence de captation. Ce sont des critères exclusivement objectifs qui conditionnent l’interdiction (relation entre le disposant et le gratifié ; temporalité de la libéralité), tout autant que ses exceptions (proportion entre les facultés du disposant et les services rendus ; lien de parenté entre le disposant et le gratifié). Si les critères de l’interdiction sont remplis, la libéralité sera frappée de nullité même s’il est démontré qu’elle est véritablement mue par les liens d’affection unissant le disposant et le gratifié. Ainsi, si présomption il y a, ce n’est que dans l’esprit du législateur et non dans la lettre de la loi. Cette technique législative permet, certes, d’éviter d’interminables débats d’experts sur l’insondable intention du disposant. Elle aboutit cependant à une interdiction qui, par sa généralité, « porte au droit de propriété une atteinte disproportionnée à l’objectif poursuivi ».
Autant de considérations qui ont conduit le Conseil constitutionnel à déclarer contraire à la Constitution l’incapacité de jouissance inscrite à l’article L. 116-4 du code de l’action sociale et des familles, en ce qu’elle vise les auxiliaires de vie intervenant au domicile des personnes nécessitant une assistance personnelle. Partant, la question des suites de l’inconstitutionnalité prononcée peut se poser.
Les suites de l’inconstitutionnalité
Deux interrogations ne manqueront pas de se poser au lendemain de la présente déclaration d’inconstitutionnalité.
En premier lieu, le législateur pourrait envisager d’intervenir de nouveau, par exemple à l’occasion de la loi Grand âge et autonomie promise pour 2021, pour protéger les personnes bénéficiant d’un service d’assistance personnelle à domicile contre le risque de captation de leur patrimoine. Quelles seraient alors les modalités d’une protection constitutionnellement acceptable ?
Il faudrait, déjà, s’interroger sur la politique législative retenue. On se souvient que l’élargissement du champ des incapacités de protection par la loi du 28 décembre 2015 avait suscité des débats quant au sort réservé aux personnes âgées, spécifiquement visées, aux côtés des personnes handicapées, par les interdictions nouvelles. Il a ainsi pu être souligné que l’incapacité de jouissance, qui se veut protectrice des intérêts patrimoniaux de la personne, interroge néanmoins le respect de l’autonomie de celle-ci (M. Rebourg, Vers un statut des personnes âgées ? Réflexions à la lumière du droit brésilien, RDSS 2020. 83 ; v. aussi M. Nicod, art. préc., soulignant qu’« à une époque où la liberté de disposer à titre gratuit est érigée en dogme […] et où la reconnaissance de l’autonomie de la personne vulnérable est affirmée comme principe […], il peut paraître paradoxal de multiplier les interdictions frappant les personnes âgées dépendantes »). Faut-il nécessairement interdire pour protéger ? Faut-il persister dans la voie de l’élargissement de l’incapacité de recevoir, au nom d’une éventuelle vulnérabilité, d’une possible altération de l’aptitude à consentir, dont le Conseil constitutionnel vient de souligner qu’elle ne découle pas nécessairement de la situation de l’assistance à domicile ? La présente décision ne devrait-elle pas freiner la tentation de l’instrumentation de la vulnérabilité (sur cette question, v. M. Rebourg et S. Renard, « De l’éventualité d’une prolongation du confinement spécifique aux personnes âgées : que sommes-nous prêts à sacrifier ? », RDLF 2020, chron. n° 30), mise ici au service d’une politique successorale familialiste (v. M. Nicod, art. préc. : « Entre l’aide-ménagère qui assiste le vieillard au quotidien et l’héritier qui n’est pas forcément très présent à ses côtés, le législateur a clairement choisi de privilégier le second au nom des principes de la dévolution légale. En cela, l’incapacité des auxiliaires de vie apparaît surtout comme un instrument de prévention des libéralités extrafamiliales ») ?
Si, toutefois, le législateur décidait d’intervenir de nouveau, il devrait le faire en respectant les indications qui ressortent de la décision du Conseil constitutionnel. Deux critères sont évoqués comme pouvant justifier une incapacité de disposer : l’altération de la capacité à consentir et la vulnérabilité de la personne assistée à l’égard de celle qui l’assiste. L’une comme l’autre peuvent, en l’état du droit positif, être sanctionnées sans passer par le biais d’une incapacité. En effet, l’article 901 du code civil protège à la fois l’aptitude à consentir, en énonçant qu’il « faut être sain d’esprit » pour faire une libéralité, et la qualité du consentement donné, en frappant de nullité la libéralité fondée sur un consentement « vicié par l’erreur, le dol ou la violence ». Or l’élargissement de la notion de violence par la réforme du droit des obligations pourrait permettre de sanctionner, à travers l’article 1143 du code civil, les libéralités consenties sous l’empire d’une dépendance, donc d’un état de vulnérabilité, du disposant à l’égard du gratifié. Toute la difficulté de ce dispositif tient à la question de la preuve : pour obtenir l’annulation d’une libéralité sur l’un de ces fondements, il faut être en mesure de démontrer l’insanité d’esprit ou l’état de dépendance dont le gratifié aurait abusé au détriment du disposant. Instaurer une incapacité légale de disposer et de recevoir permet de supprimer ces difficultés de preuve. Mais l’interdiction devra alors être nuancée pour que l’atteinte portée au droit de propriété du disposant soit proportionnée à l’objectif de protection poursuivi.
Deux techniques sont alors envisageables : celle de la règle de fond et celle de la règle de preuve. La règle de fond impliquerait de poser un principe d’incapacité tempéré par une exception. Les auxiliaires à domicile ne pourraient recevoir de libéralités consenties par une personne âgée, une personne handicapée ou une autre personne ayant besoin d’une aide personnelle à domicile, sauf dans les cas où les modalités du service à domicile n’impliquent pas une dépendance de la personne assistée à l’égard de l’auxiliaire de vie. Quant à l’aptitude intrinsèque à consentir, elle resterait protégée par l’article 901 du code civil. La technique de la règle de preuve, quant à elle, reposerait sur une présomption qui ne serait pas simplement sous-tendue par la loi, mais véritablement posée comme telle. Sans aller jusqu’à présumer l’altération des facultés mentales de la personne âgée ou handicapée nécessitant une aide personnelle à domicile, le législateur pourrait se contenter de présumer l’état de dépendance lié aux services d’assistance à domicile. Il faciliterait ainsi la mise en œuvre des règles du droit des contrats protectrices du consentement, et en particulier celle de l’article 1143 du code civil. Cette présomption devrait nécessairement être simple et admettre la preuve contraire, pour satisfaire aux exigences constitutionnelles.
En second lieu, il est possible de s’interroger sur l’impact de la déclaration d’inconstitutionnalité sur les autres incapacités de disposer, qu’il s’agisse des autres interdictions figurant à l’article L. 116-4 du code de l’action sociale et des familles ou de celles inscrites à l’article 909 du code civil. La constitutionnalité de ces incapacités pourrait-elle être mise en doute ? Il est certain que l’ensemble des incapacités de recevoir posées par le législateur impliquent corrélativement des incapacités de disposer qui portent atteinte au droit de propriété du disposant en en limitant l’abusus. Toutes ces incapacités seraient probablement considérées comme poursuivant un but d’intérêt général tenant à la protection des personnes placées dans une situation de vulnérabilité créant un risque de captation (personnes hébergées dans un établissement médico-légal ou au domicile d’un accueillant familial, visées par l’article L. 116-4 du code de l’action sociale et des familles ; personnes atteintes d’une maladie létale, personnes soumises à une mesure de protection juridique, personnes pratiquant une religion, visées par l’article 909 du code civil), voire à la moralisation des professions concernées par l’incapacité de recevoir. Reste à savoir si toutes les interdictions de disposer formulées par la loi sont proportionnées à l’objectif de protection poursuivi.
Sur ce point, la portée de l’inconstitutionnalité prononcée par le Conseil dépend de la ratio decidendi de la décision. Si le critère décisif tient à la méthode retenue, à savoir l’impossibilité de rapporter la preuve de l’absence de vulnérabilité ou de dépendance du donateur à l’égard de la personne qui l’assiste, alors toutes les incapacités de jouissance pourraient se trouver menacées. En effet, les incapacités de disposer reposent toutes sur une présomption irréfragable de captation ; aucune des interdictions formulées ne cède face à la preuve de l’absence de dépendance ou de vulnérabilité du disposant à l’égard de la personne qu’il ne peut gratifier. En revanche, si la critique des présupposés du législateur a été tout aussi décisive que la critique de la méthode retenue, la décision rendue par le Conseil constitutionnel ne préjuge aucunement de la constitutionnalité des autres incapacités de disposer.
En effet, une dimension importante de la décision tient dans l’idée que la personne qui a besoin d’une assistance pour se maintenir à domicile ne voit pas forcément sa capacité décisionnelle altérée. On ne peut en dire autant du majeur protégé, que l’article 909 du code civil frappe d’une incapacité de disposer au profit du mandataire judiciaire chargé de sa protection. L’aptitude du majeur protégé à consentir est nécessairement altérée, ce qui suffit à justifier l’interdiction.
En outre, un autre élément significatif de la décision réside dans l’absence d’assimilation entre service d’assistance à domicile et vulnérabilité à l’égard de l’assistant. Sur ce point, le Conseil prend le soin de souligner que tout dépend du type de service rendu et de ses modalités, de sorte que la protection n’est pas nécessaire dans tous les cas de figure (« les services à la personne définis au 2° de l’article L. 7231-1 du code du travail recouvrent une multitude de tâches susceptibles d’être mises en œuvre selon des durées ou des fréquences variables. Le seul fait que ces tâches soient accomplies au domicile des intéressées et qu’elles contribuent à leur maintien à domicile ne suffit pas à caractériser, dans tous les cas, une situation de vulnérabilité des personnes assistées à l’égard de ceux qui leur apportent cette assistance »). Il s’agit là d’une considération propre au service d’assistance à domicile. À l’inverse, on pourrait considérer que les situations dans lesquelles une personne se trouve hébergée dans un établissement médico-légal ou au domicile d’un accueillant familial impliquent nécessairement une forme de dépendance à l’égard de la structure d’accueil ou de l’accueillant, pendant toute la durée de la prise en charge. De même, la personne atteinte d’une maladie létale dépend de son soignant. Si l’on persiste à considérer que la vulnérabilité de la personne justifie de porter atteinte à son droit de propriété et, par là, à son autonomie, alors les diverses incapacités seraient probablement jugées proportionnées à l’objectif poursuivi, dans la mesure où elles sont limitées à la durée de la situation de vulnérabilité. L’interdiction de disposer au profit du ministre du Culte pourrait toutefois être mise en question, au vu de l’imprécision de sa formulation par l’article 909 du code civil (« les mêmes règles seront observées à l’égard du ministre du Culte »). Il n’y a ici aucune indication de durée ni précision des personnes concernées par l’incapacité de disposer.
Il reste néanmoins que la censure de la loi repose sur des motifs qui sont en partie propres à la situation des personnes bénéficiant d’une aide à domicile qui ne se retrouvent pas en tant que tels dans les autres incapacités de recevoir et de disposer instaurées par le législateur. L’inconstitutionnalité prononcée par la présente décision ne menace donc pas nécessairement les autres incapacités de recevoir.