Les courtiers en assurance, en opérations de banque et en services de paiement ont dorénavant l’obligation d’adhérer à une association professionnelle, chargée d’établir les règles applicables à la profession, agréée par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.
Un nouveau projet de loi, présenté hier au conseil des ministres, contient différentes dispositions sur les terroristes sortants de prison et les mesures administratives de contrôles prévues par la loi qui a succédé à l’état d’urgence. Plusieurs articles vont également renforcer les pouvoirs du renseignement. Détails.
En dépit d’une dénomination qui sous-entend une nouvelle phase, le projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire prévoit avant toute chose de prolonger l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 31 octobre 2021.
Si sa dénomination insiste sur une nouvelle phase, le projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire met en place, jusqu’au 31 octobre 2021, un régime qui comporte de nombreux traits communs avec l’état d’urgence sanitaire. Il prévoit d’ailleurs que le gouvernement pourrait le rétablir dans certaines zones, l’intervention du Parlement n’étant requise qu’au bout de deux mois si moins de 10 % de la population est concernée.
L’action en expulsion d’un occupant sans droit ni titre, fondée sur le droit de propriété, constitue une action en revendication qui n’est pas susceptible de prescription.
L’action en expulsion d’un occupant sans droit ni titre, fondée sur le droit de propriété, constitue une action en revendication qui n’est pas susceptible de prescription.
Première pierre au processus de structuration d’une représentation et d’un dialogue social au sein des plateformes, l’ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation a été publiée.
La seule circonstance pour une juridiction de fixer à une même audience des affaires mettant en cause une même partie, mais portant sur des litiges différents, et de se prononcer sur celles-ci n’est pas de nature à porter atteinte à son impartialité.
Si le principe d’impartialité des juridictions est applicable à l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), ce principe, juge le Conseil d’État, « ne peut être opposé à l’autorité assurant les fonctions de poursuite, qui n’est pas appelée à décider d’une éventuelle sanction ».
Si un PSE ne peut s’appliquer à un salarié dont le contrat a été rompu avant son adoption, le salarié qui a été privé du bénéfice de ses dispositions en raison des conditions de son licenciement est toutefois fondé à en demander réparation.
En cas de renvoi pour suspicion légitime ordonné au cours d’une instance en résolution d’un plan de redressement et en ouverture d’une liquidation judiciaire pour survenance de la cessation des paiements pendant l’exécution du plan, seules sont réputées non avenues les décisions de la juridiction dessaisie qui remplissent les critères posés par le troisième alinéa de l’article 347 du code de procédure civile et ont été rendues à l’occasion de cette instance.
En cas de renvoi pour suspicion légitime ordonné au cours d’une instance en résolution d’un plan de redressement et en ouverture d’une liquidation judiciaire pour survenance de la cessation des paiements pendant l’exécution du plan, seules sont réputées non avenues les décisions de la juridiction dessaisie qui remplissent les critères posés par le troisième alinéa de l’article 347 du code de procédure civile et ont été rendues à l’occasion de cette instance.
Une assemblée des associés de SARL, tenue en dehors de son siège social, ne peut être annulée que pour un abus de droit. Par ailleurs, la révocation de l’un de ses gérants peut être décidée par le seul associé détenant plus de la moitié des parts sociales.
Lorsqu’un indivisaire a payé seul les échéances de l’emprunt afférant à l’immeuble indivis, il peut en demander le paiement sur l’actif avant le partage. C’est le paiement de chaque échéance de l’emprunt bancaire qui fait naître la créance contre l’indivision et qui sert de point de départ à la prescription, laquelle s’opère selon les modalités du droit commun.
Si le locataire restaurateur empêché d’exploiter du fait de la réglementation covid doit continuer à verser ses loyers, la demande de règlement des intérêts et pénalités contractuelles de retard relève de l’appréciation des juges du fond.
Si le locataire restaurateur empêché d’exploiter du fait de la réglementation covid doit continuer à verser ses loyers, la demande de règlement des intérêts et pénalités contractuelles de retard relève de l’appréciation des juges du fond.
Dans cet ouvrage qui compte parmi les modèles du genre judiciaire, Florence Aubenas propose, au terme d’un parcours qui mène des lieux du crime aux ramifications impressionnantes du dossier d’instruction, une passionnante enquête autour d’un meurtre sordide.
L’exception de jeu de l’article 1965 du code civil ne génère pas beaucoup de contentieux devant la Cour de cassation. Aussi, chaque arrêt rendu à ce sujet intéresse assurément la doctrine. Si le texte dispose que « la loi n’accorde aucune action pour une dette du jeu ou pour le paiement d’un pari », la jurisprudence en a précisé les contours. La plupart du temps, les discussions gravitent autour de chèques impayés notamment dans des casinos (P. Le Tourneau et C. Bloch [dir.], Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action, 2021-2022, n° 2123.51). L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 8 avril 2021 est l’un de ces arrêts non publiés au Bulletin qui permet de déterminer les frontières exactes de l’exception de jeu. Rappelons-en brièvement les faits pour comprendre l’enjeu de la question.
Un joueur fréquente un casino de la Côte d’Azur entre 2010 et 2012. Toutefois, plusieurs chèques émis par le client sont retournés par la banque pour défaut de provision. Le casino et le joueur concluent alors un contrat en vue du règlement de la coquette somme de 170 000 €, qui correspond aux chèques impayés. Un an et demi plus tard, le joueur n’a pas exécuté ce protocole. Le casino assigne ainsi son cocontractant en exécution du protocole et en dommages-intérêts. Le client invoque l’exception de jeu de l’article 1965 du code civil pour refuser de payer le moindre centime. Le tribunal de grande instance de Grasse fait droit à la demande du casino, mis à part en ce qui concerne les dommages-intérêts. Le client interjette alors appel. La cour d’appel d’Aix-en-Provence infirme le jugement entrepris car il y voit une cause illicite puisque les chèques impayés étaient émis pour couvrir l’avance consentie par le casino. Le protocole ne peut donc pas être exécuté, faute de cause licite. Le casino se pourvoit alors en cassation en regrettant l’application de l’exception de jeu de l’article 1965 du code civil et en mettant particulièrement en avant la conclusion d’un protocole avec le client. Compte tenu de ce lien contractuel, le casino pensait pouvoir faire échec à l’exception de jeu.
Le pourvoi est rejeté. Nous allons essayer de comprendre pourquoi.
Une solution constante : le chèque impayé et l’alimentation du jeu
Le client d’un casino réglementé par les pouvoirs publics ne peut, en tout état de cause, pas se prévaloir de l’article 1965 du code civil sauf si le casino a prêté des deniers au client pour « alimenter le jeu ». Cette solution provient d’une position désormais bien connue de la première chambre civile de la Cour de cassation, citée d’ailleurs dans l’arrêt commenté aujourd’hui (Civ. 1re, 30 juin 1998, n° 96-17.789, Bull. civ. I, n° 229 ; D. 1999. 112 , obs. R. Libchaber ; 20 juill. 1988, n° 86-18.995, Bull. civ. I, n° 257). Dans son commentaire, M. Libchaber note que cette décision « reflète en effet la crainte très actuelle de l’endettement – particulièrement redoutable dans le cas du jeu, où il se constitue sans laisser au joueur de contrepartie matérielle –, mais ne déresponsabilise pas pour autant les joueurs en les traitant en incapables ». En somme, tout dépend si le joueur à – lors de l’émission du chèque – les deniers nécessaires pour honorer la somme inscrite. Si ce n’est pas le cas, le casino alimente alors le jeu en prêtant des deniers.
Dans tout casino, chaque client peut jouer grâce à son lot de jetons (voire de plaques), ces éléments représentant une certaine valeur monétaire. Une fois que le lot de jetons est écoulé, le client peut raisonnablement se dire qu’il doit soit retirer de l’argent pour reprendre des jetons ou des plaques mais il peut également s’arrêter de jouer faute de liquidités. Le casino qui avance volontairement des deniers à un joueur endetté ne peut donc pas poursuivre le remboursement desdites sommes compte tenu de la jurisprudence de 1998 (v. Rép. civ., v° Jeu – Pari, par F. Guerchoun, n° 73). L’exception de jeu trouve alors une application dynamique où il peut être difficile de savoir quand le casino fait réellement une avance. Cette question probatoire suscite des difficultés devant les juges du fond.
L’arrêt commenté aujourd’hui commence par confirmer cette position tout en la confrontant à l’originalité de l’espèce, notamment eu égard à la transaction.
Le truchement du protocole transactionnel
Dans l’affaire du 8 avril 2021, l’originalité tient à l’acte conclu entre le casino et son client infortuné aux tables de jeu. Les deux parties étaient liées par un contrat et on pouvait raisonnablement se demander si l’article 1965 du code civil pouvait trouver application en pareille situation. C’était d’ailleurs le terrain d’élection des moyens présentés à la Cour de cassation par le casino. Mais il n’en est finalement rien. La Cour de cassation refuse ce raisonnement et rappelle dans une motivation développée les contours de l’arrêt de 1998. Le travail de la cour d’appel d’Aix-en-Provence était minutieux puisque les juges avaient pu détecter que les chèques impayés n’avaient pas été émis en paiement de jetons mais pour couvrir les avances consenties par le casino. On retrouve alors les traits caractéristiques du domaine de l’exception de jeu en matière de chèques impayés. Le casino perd alors tout recours.
Mais il restait toujours ce contrat conclu entre le casino et le client. La lecture de l’arrêt d’appel est ici utile puisqu’on y apprend que, pour se défaire du lien obligatoire, la cour d’appel a pu juger que « la cause du protocole n’étant pas licite, le casino doit être débouté de sa demande en paiement » (nous soulignons). On comprend aisément que la cause illicite est étroitement liée avec l’exception de jeu de l’article 1965 du code civil. Le contrat étant lié à l’avance pour « alimenter le jeu », son motif impulsif et déterminant n’est pas licite. En ce sens, la solution s’inscrit dans la droite lignée tant de la lettre de l’article 1965 que de la jurisprudence nuancée de 1998.
La force obligatoire des contrats y est ici sacrifiée sur l’autel de la cause, désormais sur le contenu licite et certain depuis l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. Mais ce sacrifice se comprend eu égard aux risques générés par la pratique des casinos d’accorder des avances à des clients endettés par le jeu. Le joueur en question dans l’arrêt du 8 avril 2021 se décrivait lui-même devant la cour d’appel comme un « joueur compulsif », ce qu’avait noté l’arrêt d’appel du 2 mai 2019 dans l’exposé des faits. Il n’en reste pas moins que la solution est très sévère pour ces établissements autorisés par la loi. L’exception de jeu les prive de tout recours en exécution d’une telle transaction.
L’article 1965 du code civil n’est donc pas l’un des articles oubliés, inadaptés ou vieillissants du code civil. Il demeure parfaitement utilisable en dépit de la conclusion d’un protocole transactionnel.
Prudence, donc, aux avances consenties aux clients infortunés !
La Cour de cassation rappelle l’importance de ce que l’on appelle l’exception de jeu. La loi n’accordant aucune action pour les dettes de jeu, un casino ne peut pas se prévaloir d’un protocole de règlement de chèques impayés de l’un de ses clients pour les avances que l’établissement a pu faire pendant le jeu au client déjà endetté.
La présente chronique sera une nouvelle fois très riche. Pour autant, aucune décision ne nous a paru suffisamment importante pour être mise particulièrement en lumière. Cela ne veut pas dire qu’elles ne sont pas nombreuses à mériter un examen approfondi. Ainsi, pour n’en citer que les principales, on ne peut pas passer à côté de l’arrêt Rusoro (Civ. 1re, 31 mars 2021, n° 19-11.551), qui fait suite à un arrêt d’appel très discuté qui avait accepté de contrôler une question de prescription sur le fondement de la compétence ; de l’arrêt Oschadbank (Paris, 5-16, 30 mars 2021, n° 19/04161), qui annule une sentence, sur le fondement d’une incompétence ratione temporis ; de l’arrêt DS Construction (Paris, 5-16, 23 mars 2021, n° 18/05756), qui annule également une sentence pour irrégularité de la constitution du tribunal ; de l’arrêt LERCO (Paris, 5-16, 23 févr. 2021, n° 18/03068), qui refuse d’annuler une sentence pour un défaut de révélation ; du jugement d’incompétence dans l’action en responsabilité contre l’un des arbitres de l’affaire Volkswagen (TJ Paris, 31 mars 2021, n° 19/00795, Dalloz actualité, à paraître, obs. P. Capelle). Ainsi, nous reviendrons successivement sur le principe de compétence-compétence, sur les pouvoirs du juge d’appui, sur les recours contre la sentence, sur la responsabilité des acteurs de l’arbitrage et enfin sur les interactions entre l’arbitrage et l’Union européenne.
Puisqu’aucun arrêt n’est à l’honneur, nous nous permettrons quelques remarques liminaires.
Premièrement, dans la précédente chronique, nous avions indiqué que le pôle 1 - chambre 1 (1-1), anciennement compétent pour l’arbitrage, était transformé en pôle 3 - chambre 5 (3-5). Si la transformation de la chambre est définitive, il semble que la compétence de cette dernière pour les litiges relatifs à l’arbitrage ne soit que temporaire. D’après ce que nous comprenons, mais rien ne semble clair, l’arbitrage interne et l’arbitrage international seront tous deux de la compétence de la 5-16, mais différemment composée. Il y aurait donc, d’une part, les magistrats de l’ancienne 1-1 qui connaîtront de l’arbitrage interne pour la 5-16 et, d’autre part, les magistrats initialement affectés à la 5-16, qui continueront à traiter de l’arbitrage international. Autrement dit, une chambre, mais deux formations différentes, pour l’arbitrage. En tout cas, on trouve déjà une décision de la formation « interne » rendue par le 5-16 (Paris, 5-16, 16 mars 2021, n° 19/03195, Mateou). Suite au prochain épisode !
Deuxièmement, et c’est tout à fait remarquable, aussi bien d’un point de vue doctrinal que pratique, la 5-16 est en train de réinventer le maniement des sources du droit. De nombreuses décisions donnent lieu à l’utilisation, au sein de la motivation de la cour, de sources diverses. Il est vrai que l’on n’arrive pas encore à identifier la valeur précise que la cour donne à la source utilisée : droit dur, droit souple, simple source d’inspiration. Pour ne donner que quelques exemples, la cour fait mention, dans les arrêts de cette seule livraison, de décisions du Tribunal fédéral Suisse et de la High Court de justice de Londres (Paris, 5-16, 30 mars 2021, n° 19/04161, Oschadbank), des IBA Rules sur les conflits d’intérêts (Paris, 5-16, 23 févr. 2021, n° 18/03068, LERCO), des usages du commerce international (Paris, 3-5, 2 mars 2021, n° 18/16891, Rotana), de la loi type CNUDCI sur la passation des marchés publics (Paris, 5-16, 13 avr. 2021, n° 18/09809, AD Trade), des travaux de la Commission de droit international des Nations unies et de la position adoptée par certains États adhérents à un traité lors d’instances arbitrales (Paris, 5-16, 23 mars 2021, n° 18/05756, DS Construction). D’un point de vue doctrinal, il faudra observer le poids de ces sources dans le raisonnement de la cour. À première vue, il n’est pas décisif, mais pas non plus insignifiant. D’un point de vue pratique, cette appréhension de nouvelles sources pourrait modifier l’approche des plaideurs dans l’exercice de leur recours, en les invitant à proposer une argumentation fondée sur ces règles. Néanmoins, on n’explique pas l’absence, dans cette révolution des sources, de la jurisprudence arbitrale. En effet, aucun arrêt, en particulier pour les recours liés au droit des investissements, n’y fait référence. Pourtant, il s’agit d’une source majeure de ce droit. Reste à savoir si ce n’est que partie remise où s’il y a là un véritable positionnement de la cour.
Troisièmement, et c’est plus inquiétant, il convient de constater que les annulations en matière internationale se multiplient (v. déjà J. Jourdan-Marques, Chronique d’arbitrage : compétence et corruption – le recours en annulation à rude épreuve, Dalloz actualité, 24 déc. 2020). On en dénombre déjà quatre depuis le début de l’année 2021, certaines partielles, d’autres totales (Paris, 5-16, 30 mars 2021, n° 19/04161, Oschadbank ; 23 févr. 2021, n° 18/03068, LERCO ; 23 mars 2021, n° 18/05756, DS Construction ; Paris, 3-5, 19 janv. 2021, n° 18/04465, Hop !, Dalloz actualité, 22 févr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; il faut également ajouter un refus d’exequatur partiel, v. Paris, 5-16, 13 avr. 2021, n° 18/17862, Ferrovial ; et une annulation d’une sentence interne, v. Paris, 5-16, 13 avr. 2021, n° 18/27764, Brezillon). En réalité, toutes ne se valent pas, certaines annulations pour des motifs techniques sont difficilement discutables. Si l’on prend un peu de recul, il nous semble qu’il existe deux courants opposés. L’un, plus exigeant à l’encontre de l’arbitrage, reflète un recul dans le libéralisme de la jurisprudence ; l’autre, indulgent à l’égard des arbitres, refuse presque systématiquement d’annuler les sentences en cas de manquement à l’obligation de révélation. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que d’observer ces deux mouvements se croiser.
D’un côté donc, il y a plus d’annulations. Celles-ci sont particulièrement visibles lorsque les recours impliquent des États, et plus précisément lorsque l’examen donne lieu à l’interprétation d’un traité d’investissements. C’est le cas dans les arrêts Oschadbank et DS Construction. C’était déjà le cas, il y a quelque temps, dans l’arrêt Garcia (Paris, 3 juin 2020, n° 19/03588, Garcia, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques) et, malgré sa cassation, dans l’arrêt Rusoro (Paris, 29 janv. 2019, n° 16/20822, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ; JDI 2020. 199, note H. Ascencio ; Gaz. Pal. 2019, n° 24, p. 21, obs. D. Bensaude ; Cah. arb. 2019. 87, note T. Portwood et R. Dethomas ; Rev. arb. 2019. 250, note M. Audit ; ibid. 584, note M. Laazouzi). Et l’on attend encore – très fébrilement et sans grand espoir – l’arrêt Komstroy (actuellement devant la Cour de justice à la suite de la question préjudicielle, v. Paris, 24 sept. 2019, n° 18/14721, Dalloz actualité, 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clayhttp://RECUEIL/CHRON/2019/3813 ; Gaz. Pal. 2019, n° 40, p. 22, obs. D. Bensaude ; Rev. arb. 2020. 816, note C. Fouchard ; JDI 2020. 983, note M. Audit). Faut-il y voir une hostilité de principe à l’arbitrage d’investissements ou une faveur à l’égard des États ? Difficile à dire, si ce n’est qu’il est certain que la cour ne retient pas une approche très extensive de la compétence des tribunaux arbitraux dans ces affaires. En tout état de cause, il ne fait pas très bon avoir un siège à Paris lorsque l’on est investisseur.
Toutefois, l’explication pourrait être ailleurs. L’autre grand sujet actuel est celui de l’ordre public international. Là aussi, on sait que la jurisprudence est encline, en particulier en matière de corruption, à annuler les sentences (Paris, 17 nov. 2020, n° 18/02568, Sorelec, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay ; Paris, 28 mai 2019, n° 16/11182, Alstom, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 1956, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux ; ibid. 2435, obs. T. Clay ; RTD com. 2020. 283, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2019. 850, note E. Gaillard ; 10 avr. 2018, n° 16/11182, D. 2018. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; RTD com. 2020. 283, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2018. 574, note E. Gaillard ; Cah. arb. 465, note A. Pinna). Or s’il y a bien un point commun entre l’examen de la compétence et celui de la corruption, c’est l’intensité du contrôle. Dans les deux cas, et l’on pourra discuter des heures sur la nature des mots, la cour d’appel tranche le moyen sans aucun égard pour la décision du tribunal arbitral. Dit autrement, elle révise (au fond ou sur la compétence). Si la décision est identique, tant mieux ; si elle ne l’est pas, l’annulation est immédiate. On en veut d’ailleurs pour preuve que, dans les deux cas, les parties peuvent produire devant le juge de nouveaux moyens, de nouvelles preuves, de nouvelles pièces. Autrement dit, pour ces cas d’ouverture, on glisse du recours en annulation vers l’appel (sur cette idée, v. M. de Fontmichel, note ss Civ. 1re, 2 déc. 2020, JDI, à paraître). Il y a sans doute des aspects positifs dans cette évolution (le contrôle approfondi de l’ordre public n’était-il pas réclamé par tous ?). Néanmoins, les aspects négatifs sont flagrants. D’abord, en matière d’arbitrage d’investissements, cela revient à donner le dernier mot sur l’interprétation de traités bilatéraux auxquels la France est étrangère au juge français. Ensuite, il est évident que le juge français n’est pas aussi bien outillé qu’un tribunal arbitral pour trancher ces questions. Pour l’anecdote, dans l’affaire Oschadbank, le requérant reprochait au tribunal d’avoir violé sa mission en ne passant qu’une minute par page sur les 9 500 pages que comptait le dossier. Nul doute qu’après sa victoire devant la cour d’appel, il n’ira pas faire le même reproche à cette dernière. Il n’en demeure pas moins que la question est réelle : malgré les moyens pharaoniques (pour la justice française) dont dispose la 5-16, peut-elle assurer un travail équivalent à celui réalisé par un tribunal arbitral ? Ce n’est pas lui faire injure que d’en douter.
D’un autre côté, et cela sème complètement le doute, il existe un autre mouvement, presque bienveillant à l’égard des arbitres. Il n’y a pas eu, et sauf erreur de notre part, depuis le début de l’année 2020, d’annulation pour manquement à l’obligation de révélation (la dernière en date étant probablement celle de l’affaire Volkswagen, v. Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-15.756, Dalloz actualité, 12 déc. 2019, obs. C. Debourg ; ibid. 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ; RTD com. 2020. 297, obs. E. Loquin ; JCP 2019. 2329, § 3, obs. C. Seraglini). Pourtant, ce ne sont pas les occasions qui manquent : Dommo (25 févr. 2020, Dommo, nos 19/07575 et 19/15816 à 19/15819, Dalloz actualité, 27 avr. 2020, obs. C. Debourg ; ibid., 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay ; JCP 2020. 870, note M. de Fontmichel ; Rev. arb. 2020. 501, note L. Jaeger ; Procédures 2020, n° 6, p. 23, obs. L. Weiller), Vidatel (Paris, 5-16, 26 janv. 2021, n° 19/10666, Vidatel, Dalloz actualité, 22 févr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques), Hop ! (Paris, 3-5, 19 janv. 2021, n° 18/04465, Hop !, préc.), Soletanche (Paris, 1-1, 15 déc. 2020, n° 18/14864, Soletanche, Dalloz actualité, 22 févr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques), CWT (Paris, 3-5, 12 janv. 2021, n° 17/07290, CWT, Dalloz actualité, 22 févr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques) et aujourd’hui LERCO (Paris, 5-16, 23 févr. 2021, n° 18/03068, LERCO, avec notre commentaire critique infra), sont des affaires dans lesquelles des manquements à l’obligation de révélation sont invoqués. Toutes en réchappent, alors que certains griefs sont critiques. Finalement, en dix ans, la jurisprudence sur l’obligation de révélation aura oscillé tel un pendule. Faiblement exigeante dans la première décennie du XXIe siècle, elle aura fait la bascule avec le premier arrêt Tecnimont et revient finalement, aujourd’hui, à sa position initiale. Obtenir l’annulation d’une sentence pour un manquement à l’obligation de révélation devient un chemin semé d’embûches, parsemé d’obligations de curiosité, de réactions et la nécessité d’apporter la preuve d’un doute raisonnable. Laissant ainsi, par la même occasion, se propager autant de pratiques délétères pour la confiance des parties dans l’arbitrage.
Il faut bien avouer que ce mouvement qui se dessine ne correspond pas nécessairement à l’arbitrage dont nous rêvons. À titre personnel, sans doute très naïvement, nous aurions tendance à préférer un droit exigeant avec les arbitres sur la révélation, mais confiant, sans être complaisant, dans leur capacité à prendre les bonnes décisions, que ce soit sur la compétence ou sur l’ordre public international. Ce n’est pas le chemin actuellement emprunté. Il faut faire avec.
I. Le principe de compétence-compétence
Le principe compétence-compétence, comme toujours, donne lieu à des difficultés d’application. Pour rappel, l’effet négatif, prévu à l’article 1448 du code de procédure civile, impose aux juridictions étatiques de se dessaisir du litige lorsque le litige relève d’une convention d’arbitrage. La mise en œuvre de cette disposition nécessite de distinguer deux situations : celle où le tribunal est déjà saisi et celle où il ne l’est pas.
A. Le tribunal est déjà saisi
Les hypothèses où le tribunal arbitral est déjà saisi sont rares en jurisprudence. C’est le cas dans un arrêt soumis à la Cour de cassation (Civ. 1re, 17 mars 2021, n° 20-14.360, Bouaziz). Le litige porte initialement sur la fixation de valeurs des parties sociales d’une société. À la suite du décès d’un des actionnaires, un coactionnaire saisit les juridictions françaises à l’encontre d’un autre coactionnaire et des héritiers du défunt. Les défendeurs soulèvent une exception d’incompétence au profit d’un tribunal arbitral rabbinique et des juridictions israéliennes (v. F.-X. Licari, L’arbitrage rabbinique, entre droit talmudique et droit des nations, Rev. arb. 2013. 57). L’exception d’incompétence fondée à la fois sur la compétence d’un tribunal arbitral et d’une juridiction étatique a sans aucun doute semé le trouble dans les débats (Versailles, 28 janv. 2020, n° 19/02799). La cour d’appel avait donc réalisé un examen approfondi des modalités de saisine de la juridiction étrangère et de la sienne et avait conclu à sa compétence, du fait de la différence de parties et de prétentions entre les deux actions. L’arrêt est cassé, au visa de l’article 1448 du code de procédure civile. La cour rappelle que dès lors qu’est alléguée la saisine antérieure d’un tribunal arbitral, la compétence du juge français ne peut être examinée qu’au regard des conditions limitatives prévues par cet article (en réalité, l’article 1448 du code de procédure civile ne prévoit aucune condition lorsque le tribunal arbitral est déjà saisi). Ce que n’avait pas fait la cour d’appel, en s’interrogeant sur les parties et les prétentions dans les deux instances.
La solution n’est pas étonnante : un tel examen par la cour d’appel de sa propre compétence est réalisé en violation du principe compétence-compétence. Il est cependant très intéressant de constater que la Cour de cassation relève d’office l’article 1448 du code de procédure civile. À la lecture de l’arrêt d’appel et du pourvoi, le débat était placé uniquement sur le terrain de la litispendance. Pourtant, la Cour de cassation juge habituellement que le principe compétence-compétence ne peut pas être relevé d’office par le juge (Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 17-28.233, Dalloz actualité, 6 mars 2019, obs. J. Jourdan-Marques). On peut avancer deux explications pour justifier une telle différence de traitement : soit, d’une part, le juge ne peut pas relever d’office l’article 1448 du code de procédure civile lorsque le tribunal arbitral n’est pas encore saisi, mais il peut et doit le faire lorsqu’il l’est ; soit, d’autre part, la Cour s’est retrouvée dans l’impossibilité de trancher le pourvoi au regard de la question de la litispendance et a préféré relever d’office le fondement adéquat.
B. Le tribunal n’est pas encore saisi
Lorsque le tribunal n’est pas encore saisi, l’article 1448 du code de procédure civile limite l’examen du juge étatique aux seules hypothèses d’inapplicabilité et de nullité manifestes de la clause. Malheureusement, c’est souvent bien au-delà que le juge réalise son examen. Ainsi, la cour d’appel de Colmar (Colmar, 22 mars 2021, n° 18/03474) écarte la clause compromissoire en faisant prévaloir une clause attributive de juridiction et en considérant que certaines demandes sont délictuelles. Une telle motivation contrevient à l’effet négatif et est susceptible d’entraîner la cassation. En revanche, de son côté, la cour d’appel de Versailles accepte de renvoyer les parties à l’arbitrage, même à l’égard de parties intervenantes à une convention de garantie de passif (Versailles, 4 mars 2021, n° 19/03431).
II. Les pouvoirs du juge d’appui
Dans une affaire GBO (Paris, 5-16, 6 avr. 2021, n° 20/13048), les parties s’opposaient sur la participation forcée à l’arbitrage d’une tierce partie. Le tribunal arbitral a fait droit, en raison d’une acceptation tacite, à la demande d’extension de la clause compromissoire et a autorisé la partie à faire citer le tiers afin qu’il participe à la procédure arbitrale. Sans doute confrontée au refus de ce tiers de participer à la procédure, la partie a saisi le juge d’appui aux fins d’obtenir une décision enjoignant au tiers de participer à la procédure arbitrale. Le juge d’appui a déclaré la demande irrecevable.
La première question qui se posait à la cour d’appel était de savoir si elle pouvait connaître d’un recours contre cette décision du juge d’appui. L’article 1460 du code de procédure civile énonce en effet que « le juge d’appui statue par ordonnance non susceptible de recours ». Il est toutefois classiquement admis que l’appel-nullité est possible contre la décision en cas d’excès de pouvoir. À ce titre, la cour énonce que « l’appel-nullité reste ouvert, à titre exceptionnel, afin de faire censurer un excès de pouvoir de son auteur ou la violation d’un principe fondamental de procédure ». Le lecteur ne manquera pas d’être surpris par cette référence à la violation d’un principe fondamental de procédure. Il est jugé avec constance qu’un tel grief n’est pas de nature à ouvrir la voie de l’appel-nullité (Cass., ch., mixte, 28 janv. 2005, n° 02-19.153, D. 2005. 386, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2006. 545, obs. P. Julien et N. Fricero ; AJDI 2005. 414 ; Gaz. Pal. 2005, n° 65, p. 9, avis M. Domingo ; Procédures 2005, n° 4, p. 14, obs. R. Perrot ; Dr. et patr. 2006, n° 144, p. 102, note S. Amrani-Mekki ; Paris, 20 oct. 2020, n° 19/05231, ITOC, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; Paris, 26 févr. 2020, n° 19/22834, Dalloz actualité, 4 mai 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; Gaz. Pal. 2020, n° 26, p. 36, obs. D. Bensaude). Ceci étant, cette divergence ne prête pas à conséquence, dès lors qu’un « excès de pouvoir négatif » est ici reproché au juge d’appui, à savoir un refus d’exercer son pouvoir. Le recours est donc recevable.
La seconde question est de savoir si le juge commet un excès de pouvoir en refusant d’enjoindre au tiers de participer à la procédure arbitrale. La réponse est négative. Pour la cour, « la demande soumise au juge d’appui portait sur une injonction relevant de la compétence du tribunal arbitral et non du juge d’appui ». Autrement dit, ce n’est pas une difficulté relative à la contestation du tribunal arbitral (pour une appréciation identique sur les pouvoirs du juge d’appui, v. TJ Paris, ord., 16 avr. 2021, n° 21/50115, commentaire lors de la prochaine chronique). La cour ajoute, à très juste titre, que « la défaillance de la partie qui conteste une telle extension ne devrait alors pas être traitée différemment de la défaillance de la partie qui a signé la clause d’arbitrage et qui n’empêche pas en principe l’instance arbitrale de se dérouler ». Ainsi, après la décision du tribunal arbitral, le tiers n’est plus un tiers ; il est une partie. Sa non-participation n’est rien d’autre qu’une non-comparution devant le tribunal arbitral. Elle ne fait pas obstacle à ce qu’une sentence soit rendue. En définitive, la participation de cette partie à l’arbitrage est une question de compétence, tranchée par le tribunal et susceptible d’un contrôle par le juge de l’annulation. Son défaut de comparution ne peut être contourné.
III. Les recours contre la sentence
A. Aspects procéduraux du recours
Les aspects procéduraux du recours en annulation peuvent devenir particulièrement complexes à apprécier dès lors qu’ils combinent les difficultés relatives à une procédure d’appel et celles relatives à un recours contre une sentence arbitrale. Autant dire que l’on est en plein dans le champ de mines pour les parties non averties (l’expression est de J. Paulsson, L’exécution des sentences arbitrales en dépit d’une annulation en fonction d’un critère local (ACL), Bull. CCI 1998, p. 14, spéc. p. 14). À cet égard, on signalera simplement que la Cour européenne des droits de l’homme a été saisie d’une requête (req. n° 15567/20) sur une éventuelle (et très improbable) atteinte au droit d’accès à un tribunal et à un recours effectif à cause de l’obligation faite aux parties de saisir le juge du recours par la voie électronique (Civ. 2e, 26 sept. 2019, n° 18-14.708, Dalloz actualité, 2 oct. 2019, obs. C. Bléry ; ibid., 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 1891 ; ibid. 2435, obs. T. Clay ; JCP 2019. 2072, note L. Weiller ; Gaz. Pal. 2019, n° 40, p. 25, obs. D. Bensaude ; Procédures 2019, n° 12, p. 23, obs. L. Weiller ; JCP E 2019, n° 50, p. 45, note P. Casson).
1. La recevabilité de l’appel
La réforme du 13 janvier 2011 a opéré un renversement majeur en arbitrage interne : alors que le principe était celui d’un appel ouvert, sauf volonté contraire des parties, il est désormais celui d’un appel fermé, sauf volonté contraire des parties (C. pr. civ., art. 1489). Si cette solution permet d’aligner la règle sur la pratique la plus répandue, elle ne manquera pas de surprendre dans certains domaines. C’est précisément le cas en matière « d’arbitrage médical », où l’on peut douter que les victimes aient véritablement conscience de la portée de leur acceptation. Malheureusement, dès lors que la qualification d’arbitrage est retenue, le juge n’a d’autres choix que de constater que, faute d’accord contraire, l’appel n’est pas ouvert (Bastia, 17 févr. 2021, n° 18/00385). La question se posait d’une conversion de l’appel en recours en annulation. Si la cour s’interdit de substituer une voie de recours à une autre, on constate néanmoins qu’elle examine les griefs au fond. D’une certaine façon, la cour rejette ensemble la prétention sur la recevabilité et le bien-fondé. Si, d’un point de vue de la rigueur juridique, la méthode n’est pas satisfaisante, elle permet aussi, d’un point de vue pratique, de montrer au requérant que son recours ne pouvait pas prospérer…
En revanche, un autre arrêt juge l’appel recevable, par un motif qui interpelle (Paris, 5-16, 16 mars 2021, n° 19/03195, Mateou). En l’espèce, l’appelant ne produisait pas la convention d’arbitrage et l’intimé n’était pas comparant. Impossible donc de savoir si les parties s’étaient accordées sur un appel. Pourtant, la cour énonce qu’il « ressort du dispositif de la sentence que la voie de l’appel est ouverte ». En conséquence, l’appel est jugé recevable. On est un peu étonné par cette portée accordée à la sentence, alors qu’il n’appartient pas à l’arbitre de déterminer les voies de recours. La cour n’aurait-elle pas dû, particulièrement en l’absence de l’intimé, exiger la preuve de la convention d’arbitrage pour accueillir l’appel ? La question mérite d’être posée.
2. La concentration des prétentions
Dans l’arrêt Ukravtodor (Paris, 5-16, 9 mars 2021, n° 18/21326), la question se posait de la recevabilité d’un élément soumis à la discussion après le premier jeu de conclusion. En effet, l’article 910-4 du code de procédure civile énonce qu’« à peine d’irrecevabilité, relevée d’office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond ».
Pour que le principe de concentration s’applique au premier jeu de conclusions, il faut que l’élément puisse être qualifié de prétention. Lors d’un recours en annulation (ou contre l’ordonnance d’exequatur), il n’y a qu’une seule prétention : l’annulation de la sentence (ou celle de l’ordonnance d’exequatur). Les moyens ultérieurs au soutien de cette prétention sont recevables, nonobstant cette obligation de concentration. Cela vaut, naturellement, pour un nouveau grief invoqué au soutien d’un cas d’ouverture, mais aussi, pour un cas d’ouverture supplémentaire qui serait présenté postérieurement. En clair, si une partie a invoqué uniquement un grief tiré de l’incompétence du tribunal (art. 1520, 1°) du fait de la nullité de la clause dans son premier jeu de conclusions, il peut, ultérieurement, invoquer un autre grief tiré de ce même cas d’ouverture (par exemple l’inapplicabilité de la clause), et un grief relevant d’un autre cas d’ouverture (par exemple, un manquement lié à l’obligation de révélation, fondé sur l’art. 1520, 2°). C’est ce que dit l’arrêt d’appel dans cette affaire, puisqu’il retient que « le paragraphe litigieux n’est pas une prétention nouvelle, mais un élément de discussion supplémentaire qui vient au soutien du moyen en annulation fondé sur la violation de l’ordre public international ». On soulignera particulièrement que le cas d’ouverture relatif à l’ordre public international est bien qualifié de « moyen », et pas de prétention.
La question peut également se poser pour certains arguments du défendeur au recours. En effet, la jurisprudence a une interprétation souple de la notion de prétention, au point d’y inclure des moyens de défense (Civ. 1re, 4 mars 2021, n° 19-15.695). Pour autant, les moyens de défense, s’ils peuvent être des prétentions, ne sont pas des prétentions au fond. Ainsi, les fins de non-recevoir, pour ne citer qu’elles, ne sont pas soumises à ce principe de concentration.
3. La renonciation aux irrégularités
a. Les modalités de la renonciation
L’arrêt DS Construction (Paris, 5-16, 23 mars 2021, n° 18/05756) apporte deux précisions intéressantes sur les modalités de la renonciation.
D’abord, il soulève une interrogation. En énonçant qu’« aux termes de l’article 1466 du code de procédure civile, applicable en matière d’arbitrage international et en l’espèce, dès lors que le siège de l’arbitrage litigieux a été fixé à Paris », il invite à se demander si la renonciation prévue par le code de procédure civile ne s’appliquerait pas lorsque le siège n’est pas fixé en France. Il en va d’ailleurs de même de l’arrêt Grenwich, qui retient, pour appliquer l’article 1466, que, pour « les parties ayant choisi Paris (France) en tant que siège de l’arbitrage, la loi française est applicable à la procédure » (Paris, 5-16, 16 févr. 2021, n° 18/16695). Ces formules sont, à notre connaissance, nouvelles. Il conviendra d’y être attentif et de s’assurer qu’elles ne conduisent pas le juge à écarter la renonciation lorsque la sentence n’a pas été rendue en France, ce qui nous paraîtrait discutable.
Ensuite, et c’est là encore particulièrement intéressant, l’arrêt DS Construction ne limite pas la renonciation au demandeur au recours. En principe, ce moyen est invoqué pour faire échec à un grief formulé par l’auteur du recours à l’encontre de la sentence arbitrale. Il s’agit donc de préserver la sentence. Dans cette affaire, la cour accepte la situation inverse : le grief présenté par le demandeur au recours est recevable parce que le défendeur a renoncé à se prévaloir de l’irrégularité pendant l’instance. Autrement dit, l’irrecevabilité est irrecevable.
Dans les faits, le litige opposait la société DS Construction, demandeur, à la Libye, défendeur. Alors que des difficultés de constitution du tribunal arbitral ont émaillé la procédure, il a été demandé à celui-ci de trancher par une sentence la question de la régularité de sa constitution en application du règlement CNUDCI de 1976. Lors de cette instance, la société DS construction n’a pas soulevé de fin de non-recevoir tirée de l’abus de droit ou du défaut d’intérêt à agir de la Libye pour contester la constitution. Pour la cour d’appel, il en résulte que DS Construction n’est plus recevable à invoquer ces fins de non-recevoir devant le juge de l’annulation pour faire échec au recours formé par la Libye.
Sur le papier, la solution peut se prévaloir de l’article 1466 du code de procédure civile, qui ne distingue pas selon que les irrégularités soient invoquées par le demandeur ou le défendeur au recours. Il n’en demeure pas moins qu’une telle solution devrait s’accompagner d’une véritable révolution dans la façon de mener une procédure arbitrale. En effet, il ne s’agit plus simplement de protéger ses droits en tant que potentiel demandeur à un recours ; il s’agit également de les préserver en tant que futur défendeur à un recours. Une application trop stricte pourrait conduire le défendeur à voir ses moyens de défense considérablement diminués lors du recours. En effet, la distinction entre une irrégularité – susceptible de renonciation – et un moyen de défense – en particulier une fin de non-recevoir ou une exception de procédure – est loin d’être évidente. Là encore, il faudra observer attentivement les évolutions d’une telle jurisprudence et adapter son comportement durant les procédures arbitrales.
b. La portée de la renonciation
Lors d’une chronique récente, on évoquait, sans cacher notre désaccord, la décision rendue par la Cour de cassation dans l’affaire Schooner (Civ. 1re, 2 déc. 2020, n° 19-15.396, Schooner, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2456 ; Procédures 2021, n° 2, p. 24, obs. L. Weiller). Il aura fallu peu de temps pour que les effets corrosifs de cette jurisprudence se fassent ressentir (v. déjà, reprenant l’attendu, mais en dehors d’une question de compétence, Paris, 5-16, 26 janv. 2021, n° 19/10666, Vidatel, préc.). Désormais, il convient de distinguer deux choses : la renonciation à un cas d’ouverture du recours et la renonciation à un grief. L’arrêt Schooner de la Cour de cassation n’a pas modifié la question de la renonciation à un cas d’ouverture, qui avait été fixée dans l’arrêt d’appel (Paris, 2 avr. 2019, n° 16/24358, Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Cah. arb. 2019. 751, note C. Crepet Daigremont).
Sur la renonciation à un cas d’ouverture, la solution est régulièrement reprise : l’article 1466 du code de procédure civile « ne vise pas les seules irrégularités procédurales mais tous les griefs qui constituent des cas d’ouverture du recours en annulation des sentences, à l’exception des moyens fondés sur l’article 1520, 5°, du code de procédure civile et tirés de ce que la reconnaissance ou l’exécution de la sentence violerait l’ordre public international » (Paris, 5-16, 16 févr. 2021, n° 18/16695, Grenwich). Les parties sont susceptibles de renoncer à n’importe quel cas d’ouverture, sauf l’ordre public international (et plus précisément, l’ordre public international substantiel de direction ; pour l’exclusion de l’ordre public de protection et procédural, v. Paris, 14 mai 2019, n° 16/16502, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques). L’arrêt Schooner ne modifie pas cette solution.
Toutefois, la renonciation ne concerne pas que les cas d’ouverture ; elle concerne aussi les griefs. L’arrêt Grenwich reprend cette solution, en rappelant qu’elle « vise des griefs précisément et concrètement articulés et non des catégories de moyens ». C’est cette solution qui est remise en cause en matière de compétence par l’arrêt du 2 décembre 2020. Cette faculté d’invoquer de nouveaux moyens et arguments et nouvelles pièces est conditionnée à la contestation de la compétence préalable du tribunal arbitral. Autrement dit, si la compétence a été discutée, le débat peut évoluer devant le juge du recours ; en revanche, s’il n’a pas eu lieu, les parties ont renoncé à invoquer tous moyens sur la compétence. Dans deux arrêts successifs, la cour d’appel reprend à son compte la solution de la Cour de cassation et l’applique immédiatement, accueillant ainsi pour son examen de la compétence de nouveaux moyens.
C’est le cas, premièrement, dans l’arrêt Oschadbank (Paris, 5-16, 30 mars 2021, n° 19/04161), où la cour énonce que, « lorsque la compétence a été débattue devant les arbitres, les parties ne sont pas privées du droit d’invoquer sur cette question, devant le juge de l’annulation, de nouveaux moyens et arguments et à faire état, à cet effet, de nouveaux éléments de preuve, dès lors qu’il n’est pas possible d’induire du fait qu’un argument n’ait pas été précédemment évoqué devant le tribunal arbitral l’acceptation de sa compétence par l’autre partie ». Cela dit, les faits étaient un peu particuliers, puisque le défendeur à l’arbitrage n’avait pas participé à la procédure arbitrale, mais avait, dans un courrier adressé au tribunal arbitral, exposé qu’il ne reconnaissait pas sa compétence. Aussi, l’admission des moyens pouvait autant se fonder sur le défaut de comparution que sur la jurisprudence Schooner.
C’est également le cas, deuxièmement, dans l’arrêt Ukravtodor (Paris, 5-16, 9 mars 2021, n° 18/21326). Cette fois, le défendeur a bien comparu devant le tribunal arbitral. Il suffit pour la cour de constater que la compétence a été contestée pour autoriser la partie à faire valoir de nouveaux moyens. Elle énonce qu’« il ressort de ce qui précède que la compétence ayant été débattue devant les arbitres, Ukravtodor, qui ne change pas de position procédurale, est recevable, à soutenir le moyen d’annulation tiré de l’incompétence du tribunal arbitral devant le juge de l’annulation en faisant valoir des faits et des moyens nouveaux ». Ainsi, la sentence est susceptible d’être annulée pour un motif qui n’a pas été préalablement discuté devant lui. La priorité du tribunal arbitral est purement et simplement ignorée. Les parties sont d’autant moins incitées à présenter l’ensemble de leurs arguments devant le tribunal arbitral que l’estoppel est écarté, la cour estimant qu’il « ne se confond pas avec la mauvaise foi ». Ainsi, les spécificités du recours en annulation sont gommées, celui-ci étant relégué au rang d’appel voie d’achèvement, où les parties peuvent librement discuter de nouveaux moyens.
B. Aspects substantiels du recours
1. La compétence
a. La distinction compétence et recevabilité
La Cour de cassation a rendu le 31 mars 2021 (Civ. 1re, 31 mars 2021, n° 19-11.551, D. 2021. 704 ) une décision qu’on ne peut que saluer, tant on l’appelait de nos vœux. Dans une affaire Rusoro (Paris, 29 janv. 2019, n° 16/20822, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ; JDI 2020. 199, note H. Ascencio ; Gaz. Pal. 2019, n° 24, p. 21, obs. D. Bensaude ; Cah. arb. 2019. 87, note T. Portwood et R. Dethomas ; Rev. arb. 2019. 250, note M. Audit ; ibid. 584, note M. Laazouzi), la cour d’appel avait accepté d’examiner, sous couvert de compétence ratione temporis, une question relative à la prescription. Ce faisant, elle mettait à mal la distinction entre les questions de compétence, soumises au contrôle du juge du recours, et les questions de recevabilité, exclues de son examen. Pour être plus précis, la cour d’appel n’envisageait pas de contrôler les questions de recevabilité. Plus subtilement, elle jouait sur la qualification de ce moyen, pour qualifier de compétence ce qui aurait dû être qualifié de recevabilité et faire entrer le grief dans le cadre de son examen. Autrement dit, c’est la catégorie « compétence » qui était déformée.
Cette voie d’eau dans la notion de compétence commençait déjà à produire ses effets, puisque la cour d’appel avait implicitement déclaré recevable une question relative au non-respect d’une clause amiable de règlement des différends (Paris, 1er déc. 2020, n° 19/08691, Qatar c. Keppel Seghers Engineering Singapore, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques). Le risque était qu’à moyen terme, les questions de recevabilité soient finalement qualifiées de compétence et soumises au contrôle a posteriori du juge étatique.
L’arrêt est cassé, précisément sur ce motif. La Cour de cassation énonce que « le délai de prescription prévu au paragraphe 3, d), de l’article XII de l’accord ne constitue pas une exception d’incompétence, mais une question relative à la recevabilité des demandes, qui ne relève pas de l’article 1520, 1°, du code de procédure civile ». Ce faisant, la Cour accepte de contrôler la qualification réalisée par le juge d’appel. Elle requalifie l’argument en question de « prescription ». Forte de cette requalification, la Cour juge logiquement, en privant la cour d’appel d’une appréciation souveraine, qu’il s’agit d’une question de recevabilité et non de compétence. En conséquence, elle redonne à la catégorie compétence sa forme initiale en supprimant l’excroissance occasionnée par l’arrêt d’appel.
Est-ce à dire qu’il n’existe pas, en matière d’arbitrage, de problématiques liées au champ d’application ratione temporis ? La réponse semble devoir être négative, comme l’illustre l’arrêt Oschadbank (v. infra). Néanmoins, la distinction doit être rigoureusement réalisée entre ce qui relève du champ d’application de la convention d’arbitrage et ce qui relève de la recevabilité de la prétention.
b. L’examen de la compétence
• La compétence fondée sur un TBI
Dans l’arrêt Oschadbank (Paris, 5-16, 30 mars 2021, n° 19/04161), la cour commence sa motivation par souligner que « seule la volonté commune des parties a le pouvoir d’investir l’arbitre de son pouvoir juridictionnel, lequel se confond en matière d’arbitrage avec sa compétence ». Cette assimilation de la compétence au pouvoir ne manquera pas d’attirer l’œil de la doctrine, d’autant qu’elle a déjà été discutée (M. Boucaron-Nardetto, Le principe compétence-compétence en droit de l’arbitrage, préf. J.-B. Racine, PUAM, 2013, nos 359 s.).
Elle a cependant peu d’importance dans l’affaire, qui consiste pour l’essentiel à déterminer le champ d’application temporel d’un traité bilatéral Russie-Ukraine, sur lequel le tribunal arbitral avait fondé sa compétence. Dans l’affaire Rusoro, qui vient d’être évoquée, la cour d’appel avait tenté d’assimiler une question de prescription à une problématique de champ d’application temporel. Dans l’affaire Oschadbank, le débat est d’une autre nature puisque l’article 12 du traité stipule que « le présent accord s’applique à tous les investissements réalisés par les investisseurs d’une partie contractante sur le territoire de l’autre partie contractante à compter du 1er janvier 1992 » (« This Agreement shall apply to all investments made by the investors of one Contracting Party in the territory of the other Contracting Party as of 1 January 1992 »). Il s’agit d’une véritable condition temporelle d’application du traité.
L’examen de cette clause fera sans aucun doute l’objet d’analyses érudites par les spécialistes du droit des investissements. Nous nous limiterons donc à quelques remarques sur le raisonnement de la cour qui l’amène à annuler la sentence arbitrale. La principale critique que nous pouvons formuler à l’encontre de l’arrêt, mais elle est capitale, réside dans la motivation du paragraphe 83. La cour y énonce que « les termes de l’article 12 précité sont suffisamment clairs pour considérer qu’il détermine le champ d’application temporel du traité et qu’il n’ouvre droit à une protection tant substantielle que procédurale qu’aux seuls investissements qui ont été réalisés à compter du 1er janvier 1992 de sorte qu’en sont nécessairement exclus ceux qui l’ont été antérieurement ». Autrement dit, la cour distingue les investissements antérieurs et les investissements postérieurs au 1er janvier 1992 et exclut les premiers du champ d’application du traité, quand bien même ils perdurent après cette date butoir. La cour appuie sa motivation en soulignant « qu’interpréter cet article 12 comme pouvant inclure les investissements, qui bien que réalisés avant le 1er janvier 1992 perdurent après cette date, serait manifestement contraire au sens ordinaire de cette disposition et reviendrait à priver celle-ci de son objet et de son but ». Ce faisant, la cour abuse du raisonnement a contrario. Les limites de cette technique d’interprétation sont mises en lumière depuis longtemps, la doctrine signalant que « le raisonnement a contrario est très dangereux, car il ne procure aucune certitude » (B. Starck, H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, 5e éd., Litec, 2000). La cour n’échappe pas à cet écueil. Certes, le traité indique qu’il s’applique aux investissements postérieurs au 1er janvier 1992. En revanche, il est silencieux sur les investissements antérieurs. Or les investissements antérieurs sont, au moins, de deux ordres : ceux achevés avant cette date et ceux qui perdurent après l’entrée en vigueur du traité. Exclure les premiers du bénéfice du traité par une interprétation a contrario peut s’entendre, exclure les seconds par la même interprétation n’a absolument rien d’évident, contrairement à ce que prétend la cour. Pour appuyer son analyse, la cour utilise les travaux préparatoires du traité, qui sont plus convaincants, sans être décisifs. En somme, la motivation de la cour pour annuler la sentence aurait mérité d’être approfondie. On regrette particulièrement que la jurisprudence arbitrale sur le champ d’application ratione temporis des traités bilatéraux d’investissements ne soit pas convoquée, alors qu’il est fait référence à des décisions étatiques étrangères.
• La transmission de la clause compromissoire
La transmission de la clause compromissoire est une question classique de l’arbitrage international. Elle pose deux questions : celle de l’application de la clause au nouveau titulaire de l’obligation et celle de son application à l’ancien titulaire de l’obligation. Ces deux questions ont fait l’objet de décisions dans la période récente.
La première hypothèse était présentée à la cour dans un arrêt Rotana (Paris, 3-5, 2 mars 2021, n° 18/16891). La cour énonce simplement que « la clause compromissoire s’impose à toute partie venant aux droits de l’un des contractants ». Il est vrai que cette situation ne présente pas véritablement de discussions. Elle figure d’ailleurs à l’article 2061 du code civil : « La clause compromissoire doit avoir été acceptée par la partie à laquelle on l’oppose, à moins que celle-ci n’ait succédé aux droits et obligations de la partie qui l’a initialement acceptée ». La difficulté peut porter sur la caractérisation d’une véritable succession entre deux parties. Néanmoins, une fois ce point tranché, il ne fait aucun doute que la clause est transmise, comme c’est le cas dans cet arrêt.
La seconde situation, plus complexe, était soumise à la cour dans l’affaire Ukravtodor (Paris, 5-16, 9 mars 2021, n° 18/21326). Le défendeur à l’arbitrage rejetait la compétence du tribunal arbitral, au motif que le demandeur avait cédé le contrat contenant la clause compromissoire. Le plus souvent, on est habitué à ce que la question de l’application de la clause se pose à l’égard du cessionnaire. Il est beaucoup plus rare qu’elle se pose à l’égard du cédant.
La cour commence par rappeler la règle matérielle issue de l’arrêt Dalico (Civ. 1re, 20 déc. 1993, n° 91-16.828, Rev. crit. DIP 1994. 663, note P. Mayer ; RTD com. 1994. 254, obs. J.-C. Dubarry et E. Loquin ; Rev. arb. 1994. 116, note H. Gaudemet-Tallon ; JDI 1994. 432, note E. Gaillard), mais dans une formulation légèrement modifiée : « Selon une règle matérielle du droit de l’arbitrage international, la clause compromissoire est juridiquement indépendante du contrat principal qui la contient ou s’y réfère. À condition qu’aucune disposition impérative du droit français ou d’ordre public international ne soit affectée, son existence ou sa validité dépend uniquement de l’intention commune des parties sans qu’il soit nécessaire de se référer à un droit national ». Cette formulation ne semble cependant pas présenter d’évolution majeure.
Ensuite, concernant le cas plus précis de la cession de contrat, la cour énonce qu’« indépendamment du fait que le contrat contenant la clause d’arbitrage ait été cédé ou non avant l’introduction de la procédure arbitrale, il convient de vérifier l’existence et la portée du consentement des parties à l’arbitrage pour permettre au tribunal arbitral de connaître du différend et ce faisant l’aptitude du tribunal arbitral à connaître de l’affaire, ce qui revient à en apprécier la compétence ». La transmission du contrat n’a donc pas d’effet sur la compétence du tribunal, qui s’examine au regard du seul consentement initial à la clause. La cour précise sa pensée en ajoutant que « la clause d’arbitrage, particulièrement en matière internationale lorsqu’elle est insérée dans un contrat mettant en jeu les intérêts du commerce international, présente une autonomie juridique excluant qu’elle puisse être affectée tant par une éventuelle invalidité du contrat que par la transmission de ce contrat ». Cette motivation ne manquera pas de susciter la discussion. Prise à la lettre, elle signifie que la clause n’est pas transmise quand bien même le contrat est transmis. C’est pourtant tout l’inverse qui est préconisé depuis deux décennies. Dans les arrêts Banque Worms (Civ. 1re, 5 janv. 1999, n° 96-20.202, D. 1999. 31 ; Rev. crit. DIP 1999. 536, note E. Pataut ; Rev. arb. 2000. 85, note D. Cohen ; Gaz. Pal. 2000, n° 287, p. 11, obs. E. du Rusquec) et Banque générale de commerce (Civ. 1re, 19 oct. 1999, n° 97-13.253, Rev. arb. 2000. 85, note D. Cohen), la Cour de cassation avait énoncé, dans des termes identiques, que « la clause d’arbitrage international, valable par le seul effet de la volonté des contractants, est transmise au cessionnaire avec la créance, telle que cette créance existe dans les rapports entre le cédant et le débiteur cédé ».
Comment concilier, d’une part, une clause qui est transmise à l’égard du cessionnaire avec la cession et, d’autre part, une clause qui n’est pas affectée par la transmission à l’égard du cédant ? C’est qu’en réalité, le terme de transmission, s’il est adapté à l’obligation principale, ne l’est pas pour la clause compromissoire. La clause n’est pas transmise ; elle prolifère. C’est un processus équivalent à la mitose, qui correspond à la division d’une cellule mère en deux cellules filles strictement identiques génétiquement : lors de la transmission de l’obligation, la clause compromissoire se divise en deux et lie aussi bien le cédant au cédé que le cessionnaire au cédé (dans le même sens : F.-X. Train, Arbitrage et action directe : à propos de l’arrêt ABS du 27 mars 2007, Cah. arb. 2007, n° 3, p. 6). Ainsi, les arbitres sont mis en mesure de juger les litiges entre les premiers ou entre les seconds, et notamment de trancher la question de la cession du contrat. C’est précisément ce que juge la cour, qui énonce que le tribunal arbitral a « compétence pour connaître du litige opposant ces deux sociétés, nonobstant la question de la cession des contrats […], qui au demeurant est contestée en l’espèce et relève d’un débat au fond qu’il appartient au tribunal arbitral de trancher […], et qui en tout état de cause n’efface pas la volonté commune […] de soumettre tous les litiges liés aux contrats à l’arbitrage ».
• L’extension de la clause
L’arrêt Rotana (Paris, 3-5, 2 mars 2021, n° 18/16891) est l’occasion de revenir sur la question de l’extension de la clause compromissoire à un tiers non-signataire. La cour énonce que, « selon les usages du commerce international, la clause compromissoire insérée dans un contrat international a une validité et une efficacité propres qui commandent d’en étendre l’application aux parties directement impliquées dans la négociation, la conclusion, l’exécution et/ou la résiliation du contrat ». La formule est intéressante. Elle est reprise d’un précédent arrêt (Paris, 16 oct. 2018, n° 16/18843, Rev. arb. 2019. 884, note S. Willaume). Elle illustre toutefois, comme le révélait déjà le commentateur de l’arrêt de 2018, les difficultés de la jurisprudence à se fixer sur une règle précise en matière d’extension de la clause. Trois règles semblent cohabiter. La première, la plus exigeante, requiert de la part du tiers la connaissance et l’acceptation de la clause, fût-elle présumée (Paris, 23 juin 2020, n° 17/22943, Kout Food Group, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay ; Cah. Arb. 2020. 61, note P. Rosher ; Rev. arb. 2020. 701, note E. Gaillard ; JDI 2021. 153, note J.-B. Racine). La deuxième, intermédiaire, requiert simplement la connaissance, mais pas l’acceptation de la clause (Paris, 26 nov. 2019, n° 18/20873, Axa France IARD, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; Paris, 26 févr. 2013, n° 11/17961, Rev. arb. 2014. 82, note P. Duprey et C. Fouchard). La troisième, la plus libérale, ne fait référence, comme dans le présent arrêt, ni à la connaissance ni à l’acceptation (Civ. 1re, 27 mars 2007, n° 04-20.842, D. 2007. 2077, obs. X. Delpech , note S. Bollée ; ibid. 2008. 180, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2007. 798, note F. Jault-Seseke ; RTD civ. 2008. 541, obs. P. Théry ; RTD com. 2007. 677, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2007. 785, note J. El-Ahdab ; JDI 2007. 968, note C. Legros ; LPA 2007, n° 192, note F. Parsy ; JCP 2007. II. 10118, note C. Golhen ; ibid. I. 168, § 11, obs. C. Seraglini ; ibid. I. 200, § 11, obs. Y.-M. Serinet ; LPA 2007, n° 160, note A. Malan ; Gaz. Pal. 21-22 nov. 2007. 6, note F.-X. Train ; CCC 2007. 166, note L. Leveneur). Reste que, comme le signale François-Xavier Train, ces différences n’ont sans doute qu’une portée formelle (F.-X. Train, L’extension de la clause compromissoire. Chronique des années 2012-2017, Rev. arb. 2017. 389, n° 13). Il n’en demeure pas moins qu’une règle unique serait sans doute préférable, notamment pour permettre aux arbitres de s’appuyer sur les bons critères pour juger en faveur de l’extension de la clause.
En l’espèce, la preuve de l’implication du tiers est rapportée, la cour considérant que celui-ci a joué un « rôle actif dans l’exécution et la résiliation du contrat […] au-delà du simple contrôle qu’elle pouvait exercer sur sa filiale ».
• La convention d’arbitrage et le droit du travail
C’est une question particulièrement intéressante sur les relations entre arbitrage et droit du travail, mais qui devrait rester assez rare, qui était posée à la cour d’appel de Versailles (Versailles, 9 mars 2021, n° 19/05333, Gan Yael). Une relation de travail unissait un employeur et son salarié. Elle s’est terminée par le licenciement du salarié. Toutefois, avant le licenciement, un compromis d’arbitrage a été conclu entre l’employeur et le salarié pour résoudre des difficultés relatives à des primes et des arriérés de salaires. Une sentence arbitrale a été rendue par un tribunal arbitral rabbinique. L’annulation de la sentence est demandée, sur le fondement des dispositions du code du travail qui donne au conseil de prud’hommes une compétence exclusive et d’ordre public. Il y a une triple spécificité dans ce litige : premièrement, la compétence arbitrale résulte d’un compromis ; deuxièmement, le litige est tranché avant le licenciement du salarié ; troisièmement, c’est l’employeur qui demande l’annulation de la sentence.
La sentence est annulée. La cour énonce que « le caractère exclusif et d’ordre public de la compétence du conseil de prud’hommes résulte de ce texte et s’impose quelle que soit la partie qui s’en prévaut ». Elle ajoute que « le litige ne pouvait faire l’objet d’une convention d’arbitrage en raison de la matière et que la chambre arbitrale rabbinique ne pouvait retenir sa compétence sans heurter la règle de compétence d’ordre public issue des dispositions du code du travail, dès lors que les parties étant encore liées par un contrat de travail ».
Le débat est naturellement complexifié par le déroulement de l’arbitrage pendant la durée du contrat de travail. Il n’en demeure pas moins que, en principe, les litiges résultant d’un tel contrat ne sont pas inarbitrables. C’est la clause compromissoire qui est stigmatisée, pas le recours à l’arbitrage. Faut-il étendre l’interdiction à un compromis conclu pendant l’exécution du contrat ? On peut en douter. On peut d’autant plus en douter que l’annulation est ici demandée par l’employeur. Fallait-il permettre à ce dernier de s’en prévaloir, et y voir une nullité absolue ? Ce n’est pas nécessairement la logique de la prohibition de la clause compromissoire en droit positif. Ainsi, l’article 2061 du code civil permet seulement à la partie qui n’a pas contracté dans le cadre de son activité professionnelle de ne pas se la voir opposée. C’est aussi la solution retenue pour le contrat de travail international (Soc. 16 févr. 1999, n° 96-40.643, Bull. civ. V, n° 78 ; D. 1999. 74 ; Dr. soc. 1999. 632, obs. M.-A. Moreau ; Rev. crit. DIP 1999. 745, note F. Jault-Seseke ; Rev. arb. 1999. 290 [1re esp.], note M.-A. Moreau ; JCP E 1999. 1685, note P. Coursier ; ibid. 748, obs. F. Taquet ; Gaz. Pal. 2000. Somm. 699 [1re esp.], obs. M.-L. Niboyet ; LPA 2000, n° 158, p. 4 [1re esp.], obs. F. Jault-Seseke ; J. Pelissier, A. Lyon-Caen, A. Jeammaud et E. Dockes, Les grands arrêts de droit du travail, 3e éd., Dalloz, 2004., n° 26). La protection contre le recours à l’arbitrage est donc, en principe, unilatérale.
• L’interprétation de la clause
Le plus souvent, le juge annule des sentences où le tribunal arbitral s’est déclaré à tort compétent. Il est en revanche beaucoup plus rare que l’annulation soit prononcée contre une sentence d’incompétence. C’est pourtant le cas dans l’arrêt LERCO (Paris, 5-16, 23 févr. 2021, n° 18/03068). La cour retient l’interprétation différente de la clause. Il s’agissait de savoir si certaines demandes extracontractuelles relevaient du champ d’application de la clause. Réponse négative pour le tribunal arbitral, positive pour la cour d’appel. La sentence est annulée partiellement sur ce point.
2. La constitution du tribunal arbitral
a. Le respect des règles de constitution du tribunal arbitral
L’annulation de la sentence arbitrale dans l’affaire DS Construction c. Libye (Paris, 5-16, 23 mars 2021, n° 18/05756) devrait faire grand bruit. La société DS Construction a investi en Libye et, à la suite d’un litige avec l’État, lui a adressé une notification de différend, en application des dispositions de l’accord sur la promotion, la protection et la garantie des investissements entre les États membres de l’Organisation de la Conférence islamique (ci-après « le Traité de l’OCI »), auquel la Libye est partie. Face au refus du défendeur de désigner un arbitre, le demandeur a saisi le secrétaire général de l’OCI afin qu’il procède à cette désignation. Le secrétaire général de l’OCI n’a pas répondu à la demande de désignation. Confrontée à ce silence, la société DS Construction a saisi le secrétaire général de la Cour permanente d’arbitrage (ci-après « la CPA ») afin que celle-ci procède à la désignation d’un arbitre pour le compte de l’État de Libye, en se fondant sur les dispositions du règlement d’arbitrage de la CNUDCI. Malgré les protestations du défendeur, le secrétaire général de la CPA a accepté de désigner un arbitre. Finalement, les parties se sont accordées pour que la question de la régularité de la constitution du tribunal arbitral soit tranchée par ce dernier. Le tribunal arbitral a rendu une sentence partielle sur la question préliminaire relative à la régularité de sa constitution, aux termes de laquelle il a rejeté l’objection de l’État de Libye. C’est cette sentence qui est soumise à la cour d’appel.
En substance, le débat porte sur la faculté de saisir le secrétaire général de la CPA pour faire désigner un arbitre, sur le fondement du règlement d’arbitrage CNUDCI, alors que le Traité de l’OCI ne prévoit pas cette faculté. Pour justifier ce choix, la société DS Construction se prévaut d’une clause de la nation la plus favorisée contenue dans le Traité de l’OCI et permettant de bénéficier d’un traité bilatéral conclu entre la Libye et l’Autriche.
L’arrêt soulève d’intéressantes questions relatives au droit des investissements. Nous en laisserons le commentaire aux spécialistes. Nous signalerons simplement que la cour n’écarte pas totalement qu’une disposition procédurale puisse entrer dans le champ d’une clause de la nation la plus favorisée. Elle énonce qu’« il ne peut être écarté d’emblée la possibilité pour une clause NPF d’inclure l’importation de procédure de règlement des différends alors que le “traitement” d’un investisseur peut potentiellement inclure non seulement le bénéfice d’un droit substantiel mais aussi le bénéfice d’un traitement procédural garantissant un dispositif de règlement des différends adapté à l’objet et au but du Traité ». En cela, elle semble prendre ses distances avec un autre arrêt, à l’occasion duquel elle avait exclu plus fermement que l’investisseur puisse se prévaloir de la clause de la nation la plus favorisée pour bénéficier de la clause d’arbitrage contenue dans un autre traité (Paris, 25 juin 2019, n° 17/06430, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques). Elle refuse toutefois au requérant le bénéfice de cette clause, au motif qu’« il ne peut donc être considéré que les parties au Traité, ayant expressément prévu un dispositif ad hoc de règlement des litiges, aient entendu permettre le recours à des règlements de procédure externes, à tout le moins en l’absence d’accord de chacune des parties au litige ». Ainsi, parce que les parties au traité ont prévu des dispositions sur le règlement des litiges, le bénéfice de la clause NPF est écarté. En conséquence, il y a une violation du Traité de l’OPI par le recours au secrétaire général de la CPA.
Cela dit, une question demeure : que peut faire une partie lorsque l’autorité de nomination refuse de désigner un arbitre à la place du défendeur ? La cour énonce que « la constitution du tribunal arbitral en dehors des conditions prévues par le Traité OCI et contre la volonté de l’une des parties ne peut être justifiée par l’absence de démonstration par l’autre partie de la faculté pour l’une d’elles de saisir un juge d’appui alors qu’il appartenait à la société DS Construction d’engager les procédures adéquates tendant le cas échéant à saisir un juge d’appui afin de faire trancher la difficulté de constitution du tribunal, ce qu’elle n’a nullement fait, de sorte qu’elle ne peut s’en remettre à de simples considérations hypothétiques quant aux chances de succès d’une telle action pour s’en dispenser ». Ce faisant, elle répond à une objection de DS Construction, qui entendait faire peser sur la Libye la charge de la preuve de la faculté de saisir un juge d’appui. La cour s’y refuse. La difficulté, dans la présente affaire, réside dans l’absence de siège de l’arbitrage prévu par le Traité de l’OCI. En l’espèce, Paris a été désigné comme siège par une ordonnance de procédure du tribunal arbitral. Autrement dit, le requérant n’avait pas, avant cette date, de juge d’appui à saisir. Après l’annulation, le requérant n’aura toujours pas de juge d’appui à saisir, l’ordonnance de procédure étant anéantie avec la sentence. Cela dit, le demandeur avait toujours la possibilité de se prévaloir du fameux article 1505, 4°, du code de procédure civile, pour saisir le juge d’appui français. C’est sans doute ce qu’avait en tête la cour en écartant le moyen.
Pour autant, on sait que le juge français, à travers la jurisprudence NIOC (Civ. 1re, 1er févr. 2005, n° 01-13.742, NIOC, D. 2005. 2727 , note S. Hotte ; ibid. 3050, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2006. 140, note T. Clay ; RTD com. 2005. 266, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2005. 693, note H. Muir Watt ; Gaz. Pal. 27-28 mai 2005, p. 3, obs. S. Lazareff ; ibid. 2005, n° 147, p. 37, note F.-X. Train), reprise par l’article 1505, 4°, du code de procédure civile, se présente comme un « bon samaritain » de l’arbitrage (P. Fouchard, E. Gaillard et B. Goldman, Traité de l’arbitrage commercial international, Litec, 1996, n° 838). Ce faisant, le droit positif français accepte que les parties s’émancipent des règles normalement applicables à leur litige pour aller chercher le soutien d’un tiers, le juge d’appui français, et obtenir la constitution du tribunal arbitral. Faut-il que le juge d’appui français soit le seul bon samaritain de l’arbitrage au monde ? Des parties qui saisiraient le juge d’appui français seraient-elles absoutes de la violation des règles applicables à la clause, là où toute autre saisine conduirait à une implacable annulation de la sentence ? Naturellement, on pourra toujours arguer qu’il convient, dans une telle hypothèse, de préférer un juge étatique. On peut néanmoins se demander si, dans l’esprit de la jurisprudence NIOC, la cour n’aurait pas pu valider la désignation par une autre autorité de nomination aussi vénérable que la CPA. On peut penser que, dans un esprit de faveur à l’arbitrage qui a longtemps animé les juridictions françaises, la solution était à la portée de la cour.
b. L’indépendance et l’impartialité
Les arrêts Grenwich (Paris, 5-16, 16 févr. 2021, n° 18/16695) et Rotana (Paris, 3-5, 2 mars 2021, n° 18/16891) rappellent que l’indépendance et l’impartialité du tribunal arbitral peuvent être examinées indépendamment de la révélation. En toute logique, il convient d’adapter le raisonnement à cette argumentation. Les indices d’un défaut d’indépendance ou d’impartialité peuvent notamment figurer dans la sentence, mais la cour ne peut contrôler la motivation du tribunal arbitral.
À cet égard, l’arrêt Grenwich juge logiquement que, lorsque les parties se prévalent d’un manquement illustré par la rédaction de la sentence, elles ne peuvent y avoir renoncé. Il convient donc de distinguer selon les indices présentés au juge : antérieurs à la reddition de la sentence, ils doivent faire l’objet d’une contestation devant le tribunal arbitral (par exemple s’il s’agit de propos tenus lors de l’audience) ; postérieurs à la reddition, ils peuvent être présentés pour la première fois devant le juge de l’annulation.
Surtout, dans les deux arrêts, la cour propose deux nouvelles grilles d’appréciation, l’une pour l’indépendance, l’autre pour l’impartialité. Pour la première, la cour énonce que « l’appréciation d’un défaut d’indépendance d’un arbitre procède d’une approche objective consistant à caractériser des facteurs précis et vérifiables externes à l’arbitre susceptibles d’affecter sa liberté de jugement, tels que des liens personnels, professionnels et/ou économiques avec l’une des parties ». Pour la seconde, elle retient que « l’impartialité de l’arbitre suppose l’absence de préjugés ou de partis pris susceptibles d’affecter le jugement de l’arbitre, lesquels peuvent résulter de multiples facteurs tels que la nationalité de l’arbitre, son environnement social, culturel ou juridique. Toutefois, pour être pris en compte, ces éléments doivent créer, dans l’esprit des parties, un doute raisonnable sur son impartialité de telle sorte que l’appréciation de ce défaut doit procéder d’une démarche objective ».
Plus que des définitions des notions d’indépendance et d’impartialité, la cour pose par ces arrêts des éléments de régime (v. égal., sur l’impartialité, Paris, 17 déc. 2019, n° 17/23073, Laser, Dalloz actualité, 6 avr. 2020, obs. W. Brillat-Capello ; Dalloz actualité, 27 févr. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay ). On peut se réjouir de cette démarche. Les éléments visés feront sans aucun doute l’objet de discussions et seront soumis à l’épreuve des faits. Il est délicat, à ce stade, d’en faire une analyse critique.
Dans les deux affaires, le requérant se prévalait d’éléments de motivation pour établir le défaut d’indépendance et d’impartialité de l’arbitre. En théorie, il est tout à fait possible d’obtenir gain de cause de cette façon, d’autant que la jurisprudence judiciaire admet que le défaut d’impartialité peut être caractérisé par une reproduction intégrale des conclusions d’une partie au titre de la motivation (Civ. 3e, 18 nov. 2009, n° 08-18.029, Procédures 2010, n° 1, p. 18, obs. B. Rolland ; Annales des loyers 2010. 936, obs. F. Bérenger) ou encore dans une motivation vexatoire à l’égard des parties (Civ. 2e, 14 sept. 2006, n° 04-20.524, D. 2006. 2346 ; ibid. 2007. 896, chron. V. Vigneau ; AJDI 2006. 932 , obs. F. Bérenger ; Procédures 2006, n° 11, p. 14, obs. R. Perrot ; JCP 2006. 2177, note R. Kessous). Les deux recours sont néanmoins rejetés. La cour précise, dans l’arrêt Grenwich, que, « si un tel doute peut le cas échéant résulter de la sentence elle-même, encore faut-il, dès lors que le contenu de la motivation de la sentence arbitrale échappe au contrôle du juge de l’annulation, que ce doute soit fondé sur des éléments précis quant à la structure de la sentence ou ses termes mêmes, qui laisseraient supposer que l’attitude de l’arbitre a été partiale ou à tout le moins seraient de nature à donner le sentiment qu’elle l’a été ». Il est en effet logique qu’une sentence qui tranche en faveur d’une partie au détriment d’une autre contienne des éléments d’appréciation sur les faits qui sont nécessaires à la motivation, sans pour autant refléter une quelconque partialité. Dans ce cadre, il n’y a rien de choquant à ce que l’arbitre s’appuie sur certaines pièces au détriment d’autres et retienne l’argumentation de l’une des parties plutôt que de l’autre. La cour se refuse logiquement d’entrer dans le débat, afin de ne pas réviser la sentence au fond.
c. La révélation
Alors que l’on s’est interrogé il y a seulement deux mois sur une éventuelle révolution dont l’arrêt Vidatel serait à l’origine (J. Jourdan-Marques, Chronique d’arbitrage : la révélation encore révolutionnée ?, Dalloz actualité, 22 févr. 2021), l’arrêt LERCO semble rebattre à nouveau les cartes (Paris, 5-16, 23 févr. 2021, n° 18/03068, D. 2018. 2448, obs. T. Clay ). Il faut donc jouer au jeu des sept différences pour retrouver son chemin.
Rappelons d’abord les faits. Deux arbitrages ont lieu séparément. On trouve deux demandeurs différents (un par procédure), mais un défendeur identique. Les demandeurs sont représentés par le même cabinet d’avocats, tout comme le défendeur. Dans les deux procédures, le défendeur désigne le même arbitre. Le demandeur s’y oppose dans la seconde procédure, ce qui conduit la Chambre de commerce internationale (CCI) à ne pas confirmer l’arbitre pour celle-ci. Seule la sentence rendue dans la première procédure nous intéresse. Dans le cadre de celle-ci, l’arbitre a révélé avoir été désigné en qualité de coarbitre par le cabinet d’avocats du défendeur six fois en dix-huit ans. Les trois dernières désignations correspondaient à des dossiers dont le montant en litige excédait le milliard (d’euros ou de dollars). Néanmoins, le cœur du litige concerne une désignation postérieure. En effet, pendant le déroulement de l’instance (qui aura duré trois ans), l’arbitre a été une nouvelle fois désigné par le même cabinet d’avocats. Cette fois, il ne l’a pas révélé. C’est ce défaut de révélation, que la partie adverse a découvert postérieurement, qui fonde le recours en annulation.
L’arrêt LERCO semble piocher aussi bien dans l’arrêt Vidatel que dans l’arrêt Dommo (Paris, 25 févr. 2020, Dommo, préc.). La principale différence entre ces deux derniers arrêts tenait dans la consécration, par l’arrêt Vidatel, d’une catégorie de circonstances « réputées objectives », « mettant l’arbitre ou le cabinet d’avocats auquel il appartient en lien direct, soit avec l’une des parties, soit avec une société filiale de cette partie ». Pour de telles circonstances, la cour semblait écarter l’exigence d’apporter la preuve d’un « doute raisonnable ». Autrement dit, à l’issue de l’arrêt Vidatel, on semblait se diriger vers deux catégories de liens : les liens directs, devant être révélés et donnant lieu, à défaut, à l’annulation de la sentence ; les liens indirects, ne devant pas être révélés sauf lorsqu’ils étaient de nature à caractériser un doute raisonnable sur l’indépendance.
Cette distinction a totalement disparu de l’arrêt LERCO. La cour reprend une formule déjà utilisée dans Dommo – mais écartée dans Vidatel – selon laquelle « il convient à cet égard de rappeler que la non-révélation par l’arbitre d’informations ne suffit pas à caractériser un défaut d’indépendance ou d’impartialité. Encore faut-il que ces éléments soient de nature à provoquer dans l’esprit des parties un doute raisonnable quant à l’impartialité et à l’indépendance de l’arbitre, c’est-à-dire un doute qui peut naître chez une personne placée dans la même situation et ayant accès aux mêmes éléments d’information raisonnablement accessibles ». Il n’est plus question de circonstances objectives pour lesquelles la partie est dispensée d’apporter la preuve du doute raisonnable. L’annulation de la sentence est, comme cela était le cas dans Dommo et depuis l’arrêt Tecso (Civ. 1re, 10 oct. 2012, n° 11-20.299, Sté Neoelectra Group c. Sté Tecso, Dalloz actualité, 19 oct. 2012, obs. X. Delpech ; D. 2012. 2458, obs. X. Delpech ; ibid. 2991, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2013. 678, note C. Chalas ; RTD com. 2013. 481, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2013. 129, note C. Jarrosson ; JCP 2012. Act. 1127, obs. M. Henry ; ibid. 2012. Doctr. 1268, note B. Le Bars ; ibid. 2012. Doctr. 1354, § 1er, obs. C. Seraglini ; Procédures 2012. Comm. 354, note L. Weiller), de nouveau conditionnée à la preuve systématique d’un doute raisonnable.
Cette analyse est corroborée par le fait que la cour, dans l’arrêt LERCO, reprend à nouveau la distinction entre les liens directs et indirects de l’arrêt Vidatel, mais y voit un élément de preuve du doute raisonnable : « Ainsi, un potentiel conflit d’intérêts dans la personne de l’arbitre, qui peut être soit direct parce qu’il concerne un lien avec une partie ou son conseil, soit indirect parce qu’il vise un lien d’un arbitre avec un tiers intéressé à l’arbitrage, ou encore un lien entre le cabinet d’un arbitre avec une partie ou un tiers intéressé, peut caractériser un doute ». Il n’est plus question de dispenser les parties de la preuve du doute raisonnable en cas de lien direct, mais d’établir un doute raisonnable par la preuve d’un lien direct. On revient, en réalité, à la logique de l’arrêt Dommo.
Toutefois, le lecteur averti pourrait être tenté de dire qu’il n’y a aucune différence entre les deux. N’est-ce pas identique de dire que, en présence d’un lien direct, les parties sont dispensées de la preuve du doute raisonnable ou que la preuve du doute raisonnable peut être rapportée par la preuve d’un lien direct ? La réponse serait positive si un lien direct entraîne immédiatement la caractérisation d’un doute raisonnable ; elle serait négative si un lien direct est insuffisant à caractériser un tel doute raisonnable.
Les faits de l’espèce apportent la réponse à cette question. On le rappelle, le lien non révélé concerne une nouvelle désignation d’arbitre par le même cabinet d’avocats. Ce lien est direct, aussi bien au sens de l’arrêt LERCO que de l’arrêt Vidatel, puisqu’il s’agit d’un lien entre l’arbitre et « une partie ou son conseil ». Suffit-il à caractériser un doute raisonnable ? La réponse est négative – elle l’est d’autant plus que le moyen est rejeté. Il y a donc bien une différence entre l’arrêt Vidatel, qui envisageait une annulation automatique pour des liens directs et l’arrêt LERCO, qui exige à nouveau la preuve d’un doute raisonnable.
Peut-on expliquer une telle différence ? Il n’est pas totalement exclu, mais nous n’y mettrions pas notre main à couper, que la différence de régime entre Vidatel et LERCO soit liée à la date à laquelle l’arbitre a été désigné. En effet, dans l’arrêt LERCO, l’arbitre a été désigné en 2014, alors qu’ils l’ont été en 2016 dans l’affaire Vidatel. La différence se situe dans la publication, dans ce laps de temps, de la fameuse « Guidance Note on conflict disclosures by arbitrators », qui date du 23 février 2016. Alors que cette note est au cœur du raisonnement dans l’arrêt Vidatel, elle est absente dans l’arrêt LERCO. Cela pourrait s’expliquer par la nomination antérieure des arbitres dans cette seconde affaire. Plutôt que de fonder son raisonnement sur la note, l’arrêt LERCO retient – avec une normativité incertaine – les IBA Guidelines. Pour autant, si cette différence temporelle explique une différence de fondement, on peine à comprendre pourquoi elle justifierait une telle différence de régime. Sauf à considérer, ce qui n’est pas totalement exclu, que la publication de la note et sa communication systématique aux arbitres ont accru l’obligation de révélation de ces derniers. Ce sur quoi nous serions particulièrement favorables.
Reste que l’on est dans l’incertitude. Difficile de savoir si la différence entre les deux arrêts s’explique par une nouvelle évolution dans la position de la cour ou par une différence de fondement justifiée par une chronologie distincte. En tout état de cause, comme nous l’avions déjà souhaité pour l’arrêt Vidatel, il est important que la solution se stabilise.
Qu’en est-il, enfin, de l’application factuelle de ces critères ? On l’a dit, l’existence d’un lien direct non révélé entre l’arbitre et le cabinet d’une des parties n’est pas suffisante pour emporter l’annulation de la sentence. Il convient d’apporter la preuve d’un doute raisonnable. Pour la cour, cette preuve n’est pas rapportée. Elle motive sa décision par de multiples arguments. Pour l’essentiel, elle compare le nombre de nominations de l’arbitre (22 au total) et le nombre de nominations par le cabinet (6 au total, mais l’arrêt évoque également le chiffre de 9…), auquel elle ajoute le nombre d’arbitrages dans le cabinet en question (chiffre variant de 57 en 2014 à 105 en 2017). Elle en déduit qu’il ressort de ces éléments que les « neuf désignations [de l’arbitre] par le cabinet […] sur une période de vingt et un ans ne sont ni exclusives, ni systématiques, ni même fréquentes au regard du nombre d’affaires d’arbitrage suivies par le cabinet ». Enfin, la cour ajoute – et c’est peut-être l’argument le plus convaincant – que la nouvelle désignation a eu lieu le 21 décembre 2017 et la sentence a été rendue le 4 janvier 2018 et avait déjà été adressée à la CCI depuis le 28 novembre 2017. On reste néanmoins perplexe, pour ne pas dire plus, face à cette argumentation.
D’une part, et il faut le dire fermement, un arbitre ne peut pas se dispenser pendant l’arbitrage de révéler une nouvelle désignation par le cabinet d’une des parties au litige. Comme cela est dit et répété, en arbitrage, ce ne sont pas les parties qui choisissent les arbitres, mais les conseils. Une nouvelle désignation compte. Une nouvelle désignation doit faire l’objet d’une révélation aux parties pendant le premier arbitrage, qui doivent pouvoir s’exprimer dessus. Une nouvelle désignation non révélée devrait constituer, en elle-même, un doute raisonnable.
D’autre part, le raisonnement tel qu’il est mené soulève de sérieuses interrogations d’un point de vue probatoire. En effet, il est tenu comme si les éléments produits étaient exhaustifs. En réalité, dès lors que l’arbitrage est confidentiel, ils ne constituent potentiellement que la face émergée de l’iceberg. Ce qui a pu être prouvé, c’est que l’arbitre a bénéficié d’une désignation supplémentaire pendant le déroulement de l’arbitrage. Est-ce la seule ? Impossible à dire. Ce qui est certain, c’est qu’elle crée un doute, et plus précisément un doute raisonnable. Juger l’inverse revient à mettre le requérant face à une preuve impossible : comment établir qu’il y a des nominations supplémentaires, alors que ces informations sont secrètes ? Face à une telle situation, certaines parties pourraient être tentées de recourir à des mesures d’instruction beaucoup plus invasives et contraignantes contre les arbitres et les parties ou les conseils, voire l’institution. Puisque la preuve est insuffisante, et que les richesses de l’Internet ne permettent pas d’en savoir plus, pourquoi ne pas tenter un coup de force en usant de procédures judiciaires pour obtenir la preuve manquante ? Il ne nous semble pas que l’arbitrage gagnerait à suivre cette voie.
En définitive, il convient d’avoir une approche « raisonnable » du doute raisonnable. Tant que l’on accepte que le débat se limite aux seules informations – parcellaires – appréhendées par le requérant, il convient d’admettre que la difficulté d’accès à la preuve justifie une appréciation extensive du doute raisonnable. À cet égard, une désignation pendant l’arbitrage est constitutive d’un tel doute. À l’inverse, si l’on veut dépasser le pur raisonnement hypothétique et se rapprocher du débat exhaustif, il faut s’attendre à ce que les parties aient recours à de nouveaux moyens d’investigations. Le témoignage des arbitres, déjà réclamé par une partie de la doctrine, pourrait constituer une piste intéressante (v. J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 2017, n° 160, préf. T. Clay, nos 268 s. ; v. égal., sur cette question, A. Pinna et A. Barrier, L’arbitre et le recours en annulation contre la sentence qu’il a rendue. Approche critique du droit français à la lumière du droit comparé, Cah. arb. 2012. 295).
3. Le respect par le tribunal arbitral de sa mission
Contrairement à l’article 1492, 6°, du code de procédure, l’article 1520 ne prévoit pas de cas d’ouverture relatif à l’absence de date sur la sentence. Malgré une obligation de préciser cette date par la loi tunisienne, loi du siège de l’arbitrage, il ne s’agit pas d’un motif pour s’opposer à l’exequatur de la sentence au titre du respect par le tribunal arbitral de sa mission (Paris, 5-16, 13 avr. 2021, n° 18/17862, Ferrovial).
En revanche, le même arrêt accepte de contrôler l’existence d’une motivation sur le fondement de l’article 1520, 3°, du code de procédure civile. On sait que cette question est assez complexe à cerner depuis quelque temps (v. nos interrogations ss Paris, 1er déc. 2020, n° 17/22735, Tecnimont, Dalloz actualité, 22 févr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques). Elle refuse ici l’exequatur pour une prétention – prise isolément –, celle-ci n’ayant fait l’objet d’aucune motivation.
Toujours dans le même arrêt, le requérant reprochait au tribunal arbitral d’avoir statué à deux reprises ultra petita. Si la cour reconnaît que le tribunal a évoqué les points querellés dans sa motivation, elle constate à l’inverse que le tribunal arbitral n’a retenu aucune condamnation sur ces points dans son dispositif. L’on voit ici l’intérêt pour un tribunal arbitral de concentrer sa décision dans un dispositif, ce qui permet aisément de s’assurer – pour lui, mais aussi pour les parties et la cour – du respect de sa mission.
Dans une autre affaire, en matière interne, la cour avait à statuer sur une question de délai (Paris, 5-16, 13 avr. 2021, n° 18/27764, Brezillon). Elle commence par signaler que le grief tiré de l’expiration du délai relève de la mission de l’arbitre. Ce n’est pas la première fois que la cour juge ainsi en matière interne (Paris, 18 juin 2013, n° 12/00480, D. 2013. 2936, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2013. 1028, note T. Bernard), mais elle ne l’a pas encore fait, à notre connaissance, en matière internationale (pour l’utilisation du 1°, v. Paris, 28 févr. 2017, n° 15/18655, Rev. arb. 2017. Somm. 338 ; 27 nov. 2018, n° 17/01628, Dalloz actualité, 24 déc. 2018, obs. J. Jourdan-Marques). Surtout, et l’on peut accueillir positivement cette souplesse, la cour accepte d’examiner le moyen alors même qu’il était invoqué sur le fondement du 1°. La sentence est annulée, l’arbitre ayant laissé expirer le délai : alors qu’il devait rendre sa sentence le 30 septembre, il l’a rendue le 15 octobre, avec des protestations déjà formulées par l’une des parties sur l’expiration du délai. La sentence ne pouvait en réchapper.
4. La contradiction
L’arrêt Grenwich soulève une intéressante question de classification des griefs au sein des cas d’ouverture du recours (Paris, 5-16, 16 févr. 2021, n° 18/16695, Grenwich). Durant la procédure, une partie avait contesté, dans un courrier adressé au tribunal arbitral, l’exigence d’un témoignage écrit imposé à un des témoins. La cour relève que le courrier « ne s’appuie pas sur le respect du principe de la contradiction pour fonder cette contestation, mais plus précisément sur les due process and procedural fairness requirements ce qui peut être traduit non pas comme le principe de la contradiction comme le fait la société Grenwich dans la traduction libre qu’elle produit, mais comme le respect du principe du procès équitable, qui pourrait le cas échéant relever d’un moyen fondé sur la violation de l’article 1520-5° du code de procédure civile, tiré de la méconnaissance de l’ordre public international, dont la cour n’est cependant pas saisie ». Ainsi, parce que, pendant la procédure arbitrale, la partie a invoqué le due process, mais pas le « contradictoire », elle aurait ainsi renoncé à se prévaloir du cas d’ouverture prévu à l’article 1520, 4°, du code de procédure civile.
La solution est triplement excessive. Premièrement, il est particulièrement hasardeux de rechercher la traduction qui aurait dû être utilisée pour « contradictoire » dans une procédure en langue anglaise. Refuser de voir dans les due process and procedural fairness requirements un équivalent confine au juridisme. En outre, il convient de rappeler que le contradictoire est bien une composante du procès équitable. Comme le signale particulièrement bien la doctrine, « ces garanties s’expriment en effet sous la forme générale du droit à un procès équitable, dans lequel le principe des droits de la défense occupe une place fondamentale, lui dont le noyau central est constitué par le principe de la contradiction » (C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile. Droit commun et spécial du procès civil, MARD et arbitrage, 35e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, n° 788). Deuxièmement, la jurisprudence a depuis longtemps une vision souple de l’article 1520, 4°, du code de procédure civile et n’hésite pas à viser ce fondement pour des questions d’accès au juge (Paris, 17 nov. 2011, n° 09/24158, Licensing Projects SL c. Pirelli & C. SPA, D. 2011. 3023, obs. T. Clay ; RTD com. 2012. 530, obs. E. Loquin ; JDI 2012. 41, note X. Boucobza et Y.-M. Serinet ; Cah. arb. 2012. 159, note D. Cohen ; LPA 2012, n° 142, p. 11, obs. M. de Fontmichel ; Rev. arb. 2012. 392, comm. F.-X. Train, p. 267) ou d’égalité des armes (Paris, 21 févr. 2017, n° 15/01650, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; RTD com. 2019. 42, obs. E. Loquin ; ibid. 2020. 283, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2017. 915, note S. Bollée et M. Audit ; JCP 2017. Doctr. 1326, obs. C. Seraglini ; Cah. arb. 2017. 668, note B. Poulain ; ASA 2017. 551, note L.-C. Delanoy ; 28 juin 2016, n° 15/03504, Rev. arb. 2016. 1157, note J. Barbet ; Gaz. Pal. 2016, n° 40, p. 37, obs. D. Bensaude). Elle a même déjà examiné le principe du procès équitable au visa de l’article 1520, 4°, du code de procédure civile (Paris, 2 avr. 2019, n° 16/24358, Schooner, préc.). Dès lors, on comprend mal cette rigueur nouvelle. Troisièmement, quand bien même il faudrait désormais examiner le procès équitable sur le fondement de l’article 1520, 5°, du code de procédure civile, rien dans le code n’interdit au juge de substituer le bon fondement (ce qu’elle fait d’ailleurs dans un autre arrêt de la présente livraison, v. Paris, 5-16, 13 avr. 2021, n° 18/27764, Brezillon). Au final, on comprend d’autant moins ce pointillisme procédural que la cour, finalement, ne s’y arrête pas et constate, de façon beaucoup plus convaincante, que la partie n’a pas émis d’autres réserves et qu’elle a, au contraire, reconnu que le contradictoire avait été parfaitement respecté.
L’arrêt AD Trade apporte une précision intéressante sur la question du contradictoire (Paris, 5-16, 13 avr. 2021, n° 18/09809). Dans l’exercice de son pouvoir modérateur d’une clause pénale excessive, le tribunal peut retenir le taux qu’il souhaite, sans être tenu par les propositions de modération proposées par les parties. Il faut, en revanche, et logiquement, que les parties lui aient demandé de faire usage de ce pouvoir. Par ailleurs, l’exercice de ce pouvoir modérateur ne revient pas à usurper des pouvoirs d’amiable compositeur. Il convient, pour éviter toute ambiguïté, de ne pas faire mention de l’équité, mais simplement de préciser que l’arbitre use de son pouvoir de modération.
5. L’ordre public
a. La fraude procédurale
Problématique récurrente ces dernières années, la fraude procédurale est à nouveau au cœur des débats dans l’arrêt Rotana (Paris, 3-5, 2 mars 2021, n° 18/16891). L’approche est d’ailleurs très intéressante. Il était reproché à une partie d’avoir dissimulé une pièce à l’occasion d’une procédure de production de documents devant le tribunal arbitral. La question est simple : une telle dissimulation est-elle constitutive d’une fraude procédurale ? La réponse se trouve dans la définition de la fraude procédurale, rappelée par la cour, qui envisage l’hypothèse où « des pièces intéressant la solution du litige [ont] été frauduleusement dissimulées aux arbitres ». Néanmoins, et c’est logique, il ne suffit pas d’établir l’absence de production du document ; encore faut-il apporter la preuve d’une fraude. La cour s’appuie sur deux éléments pour rejeter le recours : d’une part, il n’est pas établi que la partie, qui n’était pas l’auteur du document, en avait été destinataire à la date de la production ; d’autre part, et de façon beaucoup plus substantielle, la cour juge que la pièce n’aurait pas été décisive. Il semble donc que deux critères se dégagent : l’annulation de la sentence est encourue en l’absence de production d’un document à l’occasion d’une telle procédure s’il est établi que la partie l’avait en sa possession et que la pièce aurait été décisive pour la résolution du litige.
b. L’omission de statuer
On enseigne classiquement que l’omission de statuer n’est pas un motif d’annulation, dès lors qu’il est possible de saisir à nouveau le tribunal arbitral de la prétention non jugée. Afin de contourner cet obstacle, une partie a eu la bonne idée de se prévaloir d’une atteinte à l’accès au juge et de demander l’annulation de la sentence sur le fondement de l’ordre public international (Paris, 3-5, 2 mars 2021, n° 18/16891, Rotana). Il est remarquable que si l’arrêt rejette le moyen, elle le fasse sur le fond et non sur la recevabilité. Autrement dit, l’omission de statuer peut être examinée par le juge de l’annulation sur le fondement de l’accès au juge à travers l’article 1520, 5°, du code de procédure civile. Encore faut-il que la preuve d’une privation de l’accès au juge soit apportée, ce qui n’est pas le cas si le juge constate que les prétentions ont été rejetées par l’arbitre.
c. Les procédures collectives
On sait que la procédure collective perturbe l’arbitrage. Le non-respect de certaines règles est susceptible de porter atteinte à l’ordre public international (v. sur cette question P. Ancel, Arbitrage et procédures collectives, Rev. arb. 1983. 275 ; Arbitrage et procédures collectives après la loi du 25 janvier 1985, Rev. arb. 1987. 127 ; P. Fouchard, Arbitrage et faillite, Rev. arb. 1998. 471). Qu’en est-il lorsque la procédure collective est ouverte à l’étranger ? Pour la cour d’appel (Paris, 3-5, 2 mars 2021, n° 18/16891, Rotana), l’effet d’une procédure collective prononcée à l’étranger est réduit si la décision n’est pas revêtue de l’exequatur. Elle énonce que « le contrôle exercé par le juge de l’annulation pour la défense de l’ordre public international s’attache seulement à examiner si l’exécution des dispositions prises par le tribunal arbitral heurte de manière manifeste, effective et concrète les principes et valeurs compris dans l’ordre public international. Or la procédure de liquidation […] ouverte aux Îles Caïmans n’ayant, en dehors de tout exequatur, que des effets limités à la désignation des organes de la procédure, les sentences arbitrales, même à admettre que l’arbitre aurait omis de statuer sur la demande des liquidateurs de restitution de biens appartenant à la débitrice, ne portent pas une atteinte manifeste, effective et concrète, au principe de l’égalité des créanciers ». Autrement dit, la prise en compte d’une procédure collective née à l’étranger dépend de la reconnaissance de la décision en France.
d. Les lois de police étrangères
Dans une importante affaire AD Trade (Paris, 5-16, 13 avr. 2021, n° 18/09809), la République de Guinée invoquait, pour tenter d’obtenir l’annulation de la sentence arbitrale, son droit interne qu’elle espérait voir revêtir la qualification de loi de police étrangère faisant partie de l’ordre public international français. On le sait, la jurisprudence admet une telle hypothèse depuis l’arrêt MK Group (Paris, 16 janv. 2018, n° 15/21703, D. 2018. 1635 , note M. Audit ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; RTD com. 2020. 283, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2018. 401, note S. Lemaire ; JDI 2018. Comm. 12, note S. Bollée ; ibid. Comm. 13, note E. Gaillard). Ce n’est toutefois pas à n’importe quelle condition.
D’abord, la cour rappelle son office en matière d’ordre public international : « le juge de l’annulation est le juge de la sentence pour admettre ou refuser son insertion dans l’ordre juridique français et non juge de l’affaire pour laquelle les parties ont conclu une convention d’arbitrage. Son contrôle n’a donc pas pour objet de vérifier que des stipulations contractuelles ont été correctement exécutées ou des dispositions légales correctement appliquées, mais seulement de s’assurer, dans le cadre du contrôle du respect de l’article 1520, 5°, du code de procédure civile, qu’il ne résulte pas de la reconnaissance ou de l’exécution de la sentence une violation manifeste, effective et concrète de l’ordre public international ».
Ensuite, elle examine la violation invoquée. Il s’agit de dispositions du code des marchés publics. Elle signale, et cela mérite d’être noté, que « la République de Guinée ne peut invoquer devant le juge de l’annulation la violation de sa propre législation pour se délier de ses engagements contractuels étant observé que le défaut d’approbation des contrats n’est pas imputable à la société AD Trade ». Nul doute qu’une telle exclusion ne fera pas l’unanimité. Elle nous semble néanmoins salutaire. De la même manière qu’un État ne peut se prévaloir de son droit interne pour échapper à l’arbitrage, il ne peut se prévaloir de son droit interne pour échapper à un contrat qu’il a conclu. Cela dit, il faut bien admettre que la solution pourra paraître parfois incohérente. Ainsi, en matière de corruption, il est admis que le non-respect des dispositions relatives à l’attribution des marchés publics est un indice particulièrement révélateur (en dernier lieu Paris, 17 nov. 2020, n° 18/02568, Sorelec, préc.). De plus, on sait pertinemment que lorsque les juridictions administratives auront à connaître de situations équivalentes concernant une personne publique française, elles ne se priveront pas de sanctionner tout écart aux procédures de marchés publics.
Quoi qu’il en soit, la cour ne rejette pas le moyen sur ce seul argument. Elle vérifie également que la loi de police étrangère intègre l’ordre public international. Elle rappelle que la « seule méconnaissance d’une loi de police étrangère ne peut conduire en elle-même à l’annulation d’une sentence arbitrale. Elle ne peut y conduire que si cette loi de police protège une valeur ou un principe dont l’ordre public français lui-même ne saurait souffrir la méconnaissance, même dans un contexte international. Ce n’est que dans cette mesure que des lois de police étrangères peuvent être regardées comme relevant de l’ordre public international français ». Si la formule est différente, elle semble rejoindre les principes posés par MK Group. Pour écarter une telle qualification, la cour retient que la formalité invoquée – une approbation ministérielle – ne trouve pas son équivalent en droit français et n’est aucunement imposée par la loi type CNUDCI sur la passation des marchés publics, laquelle est censée refléter le consensus international en la matière. Il en résulte que la loi de police étrangère n’est pas comprise dans l’ordre public international français ni dans un éventuel ordre public transnational.
e. Les mesures d’embargo
Toujours dans l’affaire AD Trade (Paris, 5-16, 13 avr. 2021, n° 18/09809), le requérant invoquait les mesures européennes d’embargo dont il faisait l’objet. La cour constate la recevabilité du moyen, quand bien même il n’a pas été invoqué devant le tribunal arbitral. La solution est conforme à la jurisprudence sur la renonciation, qui est écartée en présence d’un grief relatif à l’ordre public international (v. supra). On notera néanmoins l’exercice d’équilibriste auquel se livre le requérant, en se prévalant des mesures d’embargo dont il est la cible. On peut se demander s’il est opportun de permettre à un État de retourner à son profit des mesures de sanctions internationales dont il est l’objet pour se délier de ses engagements contractuels.
La cour reconnaît immédiatement que des mesures européennes d’embargo appartiennent à l’ordre public international. Elle avait déjà jugé ainsi dans une autre affaire récente (Paris, 3 juin 2020, n° 19/07261, TCM, Dalloz actualité, 29 juill. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 1970, obs. S. Bollée ; ibid. 2484, obs. T. Clay ; RDC 2020, n° 4, p. 60, note M. Laazouzi). Toutefois, et c’est fondamental, la cour ajoute que la conformité à l’ordre public international « s’apprécie au moment où il statue sur celle-ci et non à la date à laquelle elle a été rendue, ni a fortiori à la date des faits à l’origine de l’affaire ». Autrement dit, il convient que les mesures d’embargo soient encore en vigueur à la date à laquelle le juge statue. Il s’agit ici du principe d’actualité de l’ordre public international (Civ. 22 mars 1944, Chemins de fer portugais c. Ash, Rev. crit. DIP 1946, note J.-P. Niboyet ; S. 1945. I. 77 ; D. 1944. 145, note J.-P. Niboyet). La cour ajoute dans une formule remarquable qu’« il y a dès lors lieu de prendre en compte l’évolution de la situation internationale et des valeurs communément admises par la communauté internationale pour apprécier si l’insertion d’une sentence dans l’ordre juridique interne est conforme à l’ordre public international, et ce sans préjudice des actions en responsabilité le cas échéant civile ou pénale qui pourraient être diligentées à l’encontre des personnes qui enfreignent les mesures d’embargo au moment où elles étaient toujours en vigueur ». Or la cour constate que les mesures d’embargo à l’encontre de la République de Guinée ont été levées en 2014. Elle en conclut qu’« à ce jour, ces mesures d’embargo ne font plus partie de l’ordre public international français ».
Cette mise en application du principe d’actualité de l’ordre public international devrait être suffisante à rejeter le grief. Pourtant, et cela devient malheureusement trop courant, la cour cherche à consolider sa décision en établissant également que le matériel prévu par le contrat ne tombe pas sous le coup des mesures, en examinant le champ d’application matériel de la loi d’embargo. Si la cour rejette le moyen sur ce point, cette surabondance de motivation nuit à la qualité de la décision. D’une part, il suffit qu’une partie de la motivation soit moins convaincante que d’autres pour que l’ensemble de la décision soit fragilisé. D’autre part, d’un point de vue procédural, une telle logique ne pourra plus être suivie dès lors que, désormais, les questions de recevabilité doivent être traitées par le conseiller de la mise en état sur le fondement de l’article 789, 6°, du code de procédure civile. Or la question de l’actualité de l’ordre public international relève de la recevabilité du moyen, alors que le champ d’application relève du bien-fondé (on précisera que, quand bien même l’article 789 permet au conseiller de la mise en état de renvoyer la question à la formation de jugement, il n’autorise pas à joindre l’incident au fond. En effet, il énonce que « le juge de la mise en état renvoie l’affaire devant la formation de jugement, le cas échéant sans clore l’instruction, pour qu’elle statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir ». On doit sans doute comprendre qu’il n’est pas permis de traiter la fin de non-recevoir dans la décision au fond, mais obligatoirement dans une décision distincte).
IV. La responsabilité des acteurs de l’arbitrage
La présente livraison donne l’occasion de revenir sur plusieurs décisions relatives à la responsabilité. Comme les parties sont toujours très créatives, on a la chance de pouvoir évoquer la responsabilité des arbitres, des conseils, des centres d’arbitrages et des administrateurs d’une société.
A. La responsabilité de l’arbitre
C’est la question de la responsabilité de l’arbitre qui a donné lieu à la décision la plus intéressante. L’action en responsabilité est engagée à la suite de l’annulation de la sentence dans l’affaire Volkswagen (Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-15.756, Dalloz actualité, 12 déc. 2019, obs. C. Debourg ; ibid. 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ; RTD com. 2020. 297, obs. E. Loquin ; JCP 2019. 2329, § 3, obs. C. Seraglini ; pour l’arrêt d’appel, v. Paris, 27 mars 2018, n° 16/09386, D. 2018. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2019. 522 [1re esp.], note L.-C. Delanoy ; Gaz. Pal. 2018, n° 27, p. 19, obs. D. Bensaude). L’une des parties a saisi le tribunal judiciaire de Paris d’une action contre l’arbitre ayant failli à son obligation de révélation. La décision rendue par le tribunal judiciaire (TJ Paris, 31 mars 2021, n° 19/00795, Dalloz actualité, à paraître, obs. P. Capelle) sera très commentée. On signalera d’ailleurs qu’elle fait l’objet d’un communiqué de presse de la part du tribunal. Le 19 avril 2021, c’est une décision du juge d’appui qui a également fait l’objet d’un tel communiqué (TJ Paris, ord., 16 avr. 2021, n° 21/50115, commentaire lors de la prochaine chronique). Par ces deux communiqués successifs, le tribunal judiciaire de Paris semble vouloir faire de l’arbitrage un outil de communication. S’agit-il d’une volonté de s’inscrire comme un « acteur de l’arbitrage », alors que la cour d’appel accapare toute la lumière depuis quelques années ? On peut le penser, d’autant que les communiqués du tribunal judiciaire de Paris sont rares et en principe réservés à des affaires très médiatiques. Il faudra garder un œil sur cette tendance.
Sur la présente affaire, le tribunal judiciaire se déclare incompétent (on s’interroge, sans bien comprendre, sur la raison pour laquelle il ne s’agit pas d’une ordonnance du juge de la mise en état). Deux questions sont successivement traitées : d’une part, celle de l’application du règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 (Bruxelles I bis) et, d’autre part, celle du critère de compétence.
Sur la première question, il s’agit de savoir si l’exclusion de l’arbitrage prévue par l’article 1er, 2, d), du règlement s’applique à une action en responsabilité contre l’arbitre. Après avoir examiné les arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne Marc Rich (CJUE 25 juill. 1991, aff. C-190/89, Rev. crit. DIP 1993. 310, note P. Mayer ; Rev. arb. 1991. 677, note D. Hascher ; JDI 1992. 488, note A. Huet) et West Tankers (CJCE 10 févr. 2009, aff. C-185/07, D. 2009. 981 , note C. Kessedjian ; ibid. 2384, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2959, obs. T. Clay ; ibid. 2010. 1585, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; Rev. crit. DIP 2009. 373, note H. Muir Watt ; RTD civ. 2009. 357, obs. P. Théry ; RTD com. 2009. 482, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ; ibid. 644, obs. P. Delebecque ; ibid. 2010. 529, obs. E. Loquin ; JDI 2009. 1285, note B. Audit ; Rev. arb. 2009. 413, note S. Bollée ; JCP 2009, n° 227, note P. Callé ; JCP E 2009, n° 1973, note C. Legros ; Gaz. Pal. 2009. 20, note A. Mourre et A. Vagenheim ; ibid. 2010. 21, obs. M. Nicolella ; ibid. p. 8, obs. L. Salvini ; LPA 2009. 32, note S. Clavel ; Europe 2009, comm. n° 176, par L. Idot), le tribunal judiciaire énonce que « le présent litige a pour objet, une action en responsabilité contractuelle de l’arbitre fondée sur des manquements de M. G… à ses obligations contractuelles découlant du contrat d’arbitre conclu avec la société S… et la société A…. Il s’ensuit que, ne portant pas sur la constitution du tribunal arbitral, la convention d’arbitrage, ou la sentence arbitrale, il n’entre pas dans le champ de l’exclusion posée par l’article 1, § 2, sous d), du règlement (UE) n° 1215/2012 et que, dès lors, le choix de la juridiction compétente pour connaître de la présente action doit être déterminé selon les règles énoncées par ce texte ».
La question est débattue depuis longtemps en doctrine. Il est souvent considéré que le droit européen ne devrait pas être applicable à cette question, au regard de l’exclusion prévue (T. Clay, L’arbitre, préf. P. Fouchard, Dalloz, coll. « Nouvelle bibliothèque de thèses , 2001, n° 1010 s.), mais les avis restent partagés (pour un résumé des débats, v. L. Jandard, La relation entre l’arbitre et les parties. Critique du contrat d’arbitre, thèse ss la dir. de F.-X. Train, 2018, nos 265 s.). En réalité, si notre préférence va pour une exclusion de tout ce qui touche à l’arbitrage du champ d’application du règlement, on peine à imaginer la Cour de justice juger ainsi après l’arrêt West Tankers. Il est aussi vrai que la question est sans doute moins sensible – même si elle le reste – et elle ne devrait pas donner lieu à une levée de boucliers.
La deuxième question devrait en revanche susciter beaucoup plus de discussion, car la réponse apportée est loin d’être évidente et paraît même modérément convaincante. Il s’agit de déterminer le facteur de rattachement pour identifier la juridiction compétente. Le règlement Bruxelles I bis est donc applicable. Premièrement, le domicile du défendeur – l’arbitre – est un facteur pertinent, en application de l’article 4 du règlement. Néanmoins, l’arbitre n’est pas domicilié en France, ce qui invite, dans un deuxième temps, à s’intéresser aux compétences spéciales prévues par le règlement. À cet égard, les litigants s’accordent pour qualifier le contrat d’arbitre de contrat de prestation de services, ce qui permet l’application pour appliquer l’article 7, § 1, b), du règlement. Reste à déterminer quel est « le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ».
La doctrine enseigne de façon tout à fait classique que ce lieu est le siège de l’arbitrage (T. Clay, Le siège de l’arbitrage international entre ordem et progresso, Cah. arb. 2011, p. 21, n° 43). Telle n’est pourtant pas la solution retenue par le tribunal. Celui-ci considère que ce lieu est « fictif » et que la commune intention des parties n’a pas pu être « de faire du lieu de l’arbitrage celui du lieu d’exécution effective de l’arbitrage ». Il nous semble excessif de dire que le rattachement par le siège est fictif. Il n’est pas physique, mais il n’est pas pour autant fictif. Ce rattachement est juridique. Il est impossible de nier les conséquences juridiques d’un tel choix, notamment quant à l’exercice des voies de recours. Comme le disait déjà Philippe Fouchard, le siège « permet de localiser la relation juridique nouée entre l’arbitre et les parties, entre les parties et le centre d’arbitrage, et entre l’arbitre et le centre d’arbitrage » (P. Fouchard, Suggestions pour accroître l’efficacité internationale des sentences arbitrales, Rev. arb. 1998. 653., n° 38).
Plutôt que de retenir le siège comme facteur de rattachement, le tribunal recherche le « lieu dans lequel le défendeur a effectivement réalisé, de manière prépondérante, sa prestation intellectuelle d’arbitre ». Fort de plusieurs éléments, notamment le lieu de résidence, le lieu de déroulement des réunions entre les arbitres (on notera d’ailleurs qu’une attestation est produite par l’un des arbitres) et le lieu des audiences, le tribunal retient que le lieu d’exécution des prestations est situé en Allemagne. C’est la raison pour laquelle il se déclare incompétent (on notera la condamnation, au passage, à un article 700 à hauteur de 100 000 €, ce qui paraît un poil excessif pour une exception de compétence qui, à tout le moins, ne coulait pas de source).
La solution retenue par le tribunal paraît difficilement reproductible. À considérer que le siège ne soit pas pertinent pour déterminer le tribunal compétent pour connaître de l’action en responsabilité, le recours à ce faisceau d’indices pourrait mettre fréquemment les juridictions dans l’impossibilité d’aboutir à une solution. En effet, en l’espèce, tous les indices convergeaient vers l’Allemagne, notamment du fait du domicile de tous les arbitres. Pour autant, dans un tribunal arbitral différent, avec des arbitres résidents dans plusieurs pays, la solution deviendrait moins évidente. Elle le deviendra d’autant moins si le processus de dématérialisation des procédures poursuit son chemin. Il pourrait devenir impossible de localiser le lieu de la prestation intellectuelle, sauf à le confondre avec le lieu de domiciliation de l’arbitre et à accepter que la prestation soit réalisée dans autant de lieux qu’il n’y a d’arbitres. Pour cette raison, le choix du siège paraissait plus adapté pour la mise en œuvre de l’article 7 du Règlement Bruxelles I bis.
B. La responsabilité des conseils
Dans l’affaire Chripimarc (Paris, 4-13, 31 mars 2021, n° 18/08337), une partie recherchait la responsabilité de son ancien conseil. La faute reprochée au conseil était de ne pas avoir informé le client de la présence d’une clause compromissoire dans un contrat de bail. En conséquence, pour voir constater l’acquisition de la clause résolutoire, la partie avait saisi le juge des référés. Ce dernier s’est déclaré incompétent pour connaître de la prétention. Il a donc fallu saisir un tribunal arbitral pour obtenir gain de cause. En définitive, plus de peur que de mal, pour une solution favorable obtenue avec un simple retard. Toutefois, le client ne l’entend pas de cette oreille. Pour la cour d’appel, qui a déjà statué sur ce point dans un précédent arrêt, la faute est établie : « en n’attirant pas l’attention […] sur la difficulté que soulevait la présence dans le contrat de bail d’une clause compromissoire générale, préalablement à la saisine du juge des référés, et donc en ne l’informant pas du risque pris en faisant le choix de la juridiction étatique, il ne l’avait pas mise en mesure de prendre une décision éclairée sur la position à adopter au regard de cette clause ». Sur ce point, la solution n’est pas étonnante : l’omission par un conseil de signaler la présence d’une clause compromissoire dans un contrat et la saisine d’un juge incompétent sans l’avis du client paraît effectivement constitutive d’une faute.
Reste la question du préjudice. Le requérant faisait valoir une perte de chance de percevoir des loyers à cause du défaut d’information du conseil. La cour rejette néanmoins ce préjudice, au motif que la chance supposée perdue n’est qu’hypothétique (la motivation n’est pas tout à fait claire). En revanche, elle accepte de réparer le préjudice lié aux frais de l’instance en référé et une partie des frais de conseils pour cette procédure.
C. La responsabilité du centre d’arbitrage
L’affaire Garoubé n’en finit pas (Paris, 5-16, 23 mars 2021, n° 18/14817). Elle donne lieu, en appel, à une action en responsabilité contre la CCI. Les griefs formulés à l’encontre de l’institution sont variés. Pour rejeter l’action, la cour retient d’abord la présence de la clause limitative de responsabilité dans le règlement d’arbitrage. Loin de constater l’existence d’une faute lourde ou dolosive, nécessaire pour faire échec à la clause, la cour n’identifie aucune faute de la part de l’institution.
D. La responsabilité des administrateurs
Voilà une idée innovante ! Celle de l’action ut singuli des actionnaires contre les administrateurs ayant décidé d’engager une procédure d’arbitrage (Versailles, 11 févr. 2021, n° 18/08096, Nehlig). Toutefois, l’affaire était ambitieuse puisque l’arbitrage avait été gagné. Néanmoins, les requérants faisaient valoir que le montant des frais (conseils et arbitrage) était supérieur à la créance recouvrée. En réalité, l’opération réalisée par la cour montre l’inverse. Cela dit, la question posée est loin d’être inintéressante : quid d’une action perdue ou d’une action dont le résultat n’est pas à la hauteur des espérances et devient négatif à cause des frais engagés ? Le préjudice sera alors réel. Restera à savoir si une faute de gestion peut être reprochée aux administrateurs.
V. Arbitrage et Union européenne
Avis de tempête sur l’arbitrage. Alors que la cour de justice rendra prochainement sa décision dans l’affaire Komstroy c. Moldavie, à la suite du renvoi préjudiciel de la cour d’appel de Paris (Paris, 24 sept. 2019, n° 18/14721, préc.), on peut d’ores et déjà lire les conclusions de l’avocat général dans cette affaire (concl. du 3 mars 2021, aff. C-741/19). Nous n’en dirons que quelques mots, mais ces conclusions ne feront que renforcer la fébrilité du praticien dans l’attente du couperet européen.
L’avocat général rend son avis, pour l’essentiel, sur deux choses : d’une part, la faculté pour la Cour de justice de l’Union européenne de se prononcer sur la question préjudicielle qui lui est posée et, d’autre part, sur l’interprétation du Traité sur la charte de l’énergie (TCE). La seconde question est plus technique et ne retiendra pas notre attention (mais retiendra celle des commentateurs en droit des investissements). Nous dirons donc seulement quelques mots sur la première. En prévenant le lecteur : il est préférable de ne pas être cardiaque pour lire ce qui va suivre et il convient de se tenir à distance des objets fragiles.
Rappelons un point important, avant tout commentaire : l’Union européenne est partie au TCE. Apparemment, ce point a complètement échappé à l’avocat général.
Tout d’abord, l’avocat général s’interroge sur la faculté pour la Cour d’interpréter le TCE dans le cadre d’un litige extérieur à l’Union européenne. L’avis de l’avocat est assez laconique sur ce point et se limite à retenir que l’Union a intérêt à ce que les dispositions reçoivent une interprétation uniforme. Il n’y a rien d’étonnant à cette position. On notera néanmoins qu’elle a vocation à interdire à tout tribunal arbitral d’exprimer une opinion dissidente par rapport à la Cour. Mais on pouvait s’y attendre.
Ensuite, et c’est là l’essentiel, l’avocat général invite la Cour à aller beaucoup plus loin. En effet, il ne se contente pas de constater la compétence de la Cour et de l’inviter ensuite à interpréter le TCE conformément à la question posée par la cour d’appel de Paris. Il en profite pour proposer à la cour de se prononcer sur « l’applicabilité des dispositions du TCE dans l’ordre juridique de l’Union », et plus particulièrement de son article 26 prévoyant le recours à l’arbitrage (§ 46 s.). C’est à cette occasion que l’on peut constater l’effet délétère de la jurisprudence Achmea (CJUE 6 mars 2018, aff. C-284/16, Dalloz actualité, 4 avr. 2018, obs. F. Mélin ; AJDA 2018. 1026, chron. P. Bonneville, E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser ; D. 2018. 2005 , note Veronika Korom ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2018. 616, note E. Gaillard ; RTD eur. 2018. 597, étude J. Cazala ; ibid. 649, obs. Alan Hervé ; ibid. 2019. 464, obs. L. Coutron ; Rev. arb. 2018. 424, note S. Lemaire ; Procédures 2018. Comm. 143, obs. C. Nourissat ; JDI 2018. 903, note Y. Nouvel ; JDI 2019. 271, note B. Rémy). L’ambition de l’avocat général est simple : « Il est donc nécessaire de vérifier si les dispositions matérielles du TCE peuvent, dans le sillage de l’arrêt Achmea, être jugées incompatibles avec le droit de l’Union et, ainsi, inapplicables au sein de son ordre juridique » (§ 49).
Le raisonnement suivi est alors relativement simple et prévisible. En synthèse, l’avis retient qu’il n’est pas admis que « les États membres puissent soustraire au système juridictionnel de l’Union, par l’intermédiaire d’un engagement international, de façon systématique, un ensemble de litiges portant sur l’interprétation ou l’application du droit de l’Union » (§ 62), ajoutant, sans doute fièrement, que « c’est précisément parce qu’il est admis et reconnu, dans l’ordre juridique de l’Union, que les États membres respectent un ensemble de valeurs et de droits, au titre desquels l’État de droit et le droit à un recours effectif énoncé, qu’il est également garanti que les investisseurs des États membres sont, de façon certaine, suffisamment protégés dans l’ordre juridique de l’Union, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de recourir à un système extérieur aux systèmes juridictionnels des États membres » (§ 65).
En réalité, on pourrait se contenter d’opiner du chef et d’y voir là une simple redite d’Achmea. Et d’ailleurs, quand bien même nos réserves à l’encontre de ce dernier sont immenses, on peut admettre qu’il s’agit d’une confrontation entre, d’une part, le droit de l’Union et, d’autre part, des accords entre États auxquels l’Union n’est pas partie.
C’est cependant sur ce point qu’apparaît la différence entre Achmea et Komstroy. L’Union européenne est partie au TCE ! L’avocat général est donc en train de porter un jugement de valeur sur un traité multilatéral conclu entre l’Union, des États membres et des États non membres en se prévalant du droit de l’Union. Il invite la Cour à mettre l’Union dans une situation de violation de ses engagements internationaux au motif de préservation de son propre droit. Du point de vue de la hiérarchie des normes, cela revient tout simplement à prôner la supériorité du droit de l’Union sur les engagements internationaux de l’Union.
La limite d’un tel raisonnement nous semble plus politique que juridique. En suivant ce raisonnement, l’avocat général consacre une forme de « constitutionnalisation » du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Or il est naturel que l’Union soit jalouse de sa constitution, comme les États membres le sont de la leur. Mais cela conduit à oublier que le droit de l’Union a lui-même une nature conventionnelle. Comment justifier la supériorité du droit européen sur la constitution des États membres si le droit européen se refuse, de son côté, à reconnaître la supériorité de ses propres engagements internationaux ?
En somme, il y a un vrai danger pour la Cour de justice à suivre l’avocat général dans ce raisonnement. Si c’est le cas, l’arrêt Komstroy ira bien plus loin que l’arrêt Achmea. À suivre !
Il y a quelques années, dans un article resté célèbre, Philippe Fouchard se demandait où allait l’arbitrage international. Un an après les premières décisions de la chambre commerciale internationale de la cour d’appel de Paris, on peut poser la même question, sans prétendre y répondre, pour le contrôle des sentences arbitrales internationales.
L’exécutif européen a présenté la semaine dernière sa proposition de réforme du reporting extra-financier. Il souhaite imposer des normes européennes – qui restent à construire – aux grandes entreprises et aux PME cotées sur un marché réglementé. Ces informations seraient contrôlées par des tiers avec une assurance limitée.
La prohibition légale d’exercer le commerce applicable à l’activité d’un cabinet de chirurgiens-dentistes chasse le caractère commercial du lien qui l’unit à son fournisseur et rend en conséquence inapplicable le dispositif relatif à la rupture brutale d’une relation commerciale établie.
Dans l’hypothèse où le salarié forme un recours hiérarchique contre la décision de l’inspecteur du travail ayant, après avoir retiré une précédente décision accordant l’autorisation de licenciement sollicitée, délivré de nouveau cette autorisation, le ministre du Travail doit, dès lors que le salarié n’a intérêt à contester, dans le cadre de son recours hiérarchique, la décision de l’inspecteur du travail qu’en tant qu’elle autorise son licenciement, statuer sur la légalité de la décision d’autorisation de l’inspecteur du travail et soit la confirmer, soit, en cas d’illégalité de celle-ci, l’annuler et se prononcer à son tour sur la demande d’autorisation de licenciement, compte tenu des circonstances de droit et de fait à la date à laquelle il se prononce.
À la suite de la suppression du Bulletin d’information de la Cour de cassation (BICC) en juin 2020, la première présidente de la Cour de cassation, dans un communiqué de presse du 21 avril 2021, informe les premiers présidents de cours d’appel de l’évolution de la classification et de la diffusion des arrêts.
Deux siglages sont conservés
B pour les arrêts publiés au bulletin de la Cour de cassation en cours de numérisation. Les arrêts B seront immédiatement publiés sur le site de la Cour de cassation dès leur mise à disposition ;
Les dispositions du décret JADE, n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 qui ont soumis les litiges indemnitaires en matière de travaux publics à l’exigence d’une décision préalable ne s’applique pas quand est en cause une personne morale de droit privé qui n’est pas chargée d’une mission de service public administratif.
Dans sa décision n° 429956 du 21 janvier 2021, le Conseil d’État avait donné trois mois au garde des Sceaux pour prendre l’arrêté précisant le calendrier de mise à disposition du public des décisions des juridictions administratives et judiciaires. In extremis, l’arrêté a été publié au Journal officiel du 29 avril.
Dans une préconisation du 21 avril 2021, le groupe de recherche sur la copropriété (GRECCO) s’intéresse à la mise en conformité du règlement de copropriété avec les dispositions relatives aux parties communes spéciales.
La Cour de cassation se livre à d’utiles rappels en matière de cautionnement solidaire dans un arrêt de la chambre commerciale rendu le 8 avril 2021, non publié au Bulletin. Ce sont deux thématiques très connues qui sont au centre de gravité de cet arrêt de cassation : d’une part, la disproportion de l’engagement de la caution et d’autre part les dommages-intérêts liés à un manquement au devoir de mise en garde. La situation factuelle ayant mené à cet arrêt reste assez banale. Une banque consent à une société une ouverture de crédit en compte courant. Pour garantir cette opération, la banque demande à ce que le dirigeant de la société se porte caution solidaire, dans un acte notarié du 9 octobre 2009, de l’engagement de la société. Mais quelques années plus tard, cette société est mise en redressement judiciaire. Elle bénéficie d’un plan de redressement. La résolution du plan conduit ensuite à une liquidation judiciaire si bien que la banque fait délivrer un commandement aux fins de saisie-vente à la caution le 28 janvier 2015. Le 10 février 2015, la caution personne physique assigne la banque devant le juge de l’exécution (JEX) en annulation du commandement aux fins de saisie-vente. Elle argue notamment la disproportion de son engagement et le manquement au devoir de mise en garde de la banque. De son côté, la banque excipe la prescription de l’action de son cocontractant. La cour d’appel de Montpellier déclare irrecevable pour tardiveté la caution à opposer la disproportion manifeste de son engagement. Puisque le cautionnement avait été conclu le 9 octobre 2009, l’action de 2015 était donc prescrite pour les juges du fond. Sur la responsabilité de la banque pour manquement au devoir de mise en garde, la cour d’appel de Montpellier déclare également la caution irrecevable en se fiant encore une fois à la date de l’engagement. L’action était donc prescrite.
La caution se pourvoit en cassation en regrettant notamment ce point de départ de la prescription concernant les dommages-intérêts liés au manquement au devoir de mise en garde. Elle obtient gain de cause par une double-cassation pour violation de la loi dont une sur un moyen relevé d’office par le jeu de l’article 1015 du code de procédure civile. La Cour de cassation rappelle, d’une part, que la contestation opposée par la caution sur le fondement de la disproportion manifeste échappe à la prescription. D’autre part, elle rappelle sa jurisprudence constante sur le point de départ de la prescription de l’action en demande de dommages-intérêts pour violation du devoir de mise en garde. Concernant cette action, le point de départ est le jour où la caution apprend qu’elle doit effectivement payer la dette d’autrui.
Analysons ces deux axes de cassation aussi intéressants l’un que l’autre.
Engagement disproportionné et absence de prescription
La Cour de cassation commence par relever d’office un moyen concernant la contestation par la caution de son engagement car celui-ci était disproportionné. Rappelons que la caution avait agi en ce sens pour s’opposer à la saisie-vente. La Haute juridiction refuse la lecture faite par les juges du fond qui consistait à raisonner de la manière suivante : puisque la caution avait, dès la conclusion du cautionnement, tous les renseignements nécessaires pour apprécier la portée de son engagement, la contestation de ce dernier par le biais de la disproportion manifeste à ses biens et revenus devait suivre la prescription quinquennale de l’article L. 110-4 du code de commerce.
La contestation du cautionnement pour engagement disproportionné ne peut donc pas suivre ce délai quinquennal. C’est une bonne nouvelle pour la caution qui peut utiliser ce moyen de défense contre la mesure d’exécution forcée, utilisée certes ici à titre principal puisque c’est cette dernière qui agissait en annulation du commandement. On connaissait déjà la solution pour la défense au fond soulevée par la caution (Civ. 1ère 31 janv. 2018, n°16-24.092). L’originalité de l’arrêt tient donc à ce point très précis sur l’action par voie principale dans un contentieux du JEX. Même dans ce contexte procédural, l’action n’est pas soumise au délai de prescription.
La solution est très intéressante car elle permet d’unifier cette absence de prescription, laquelle se comprend aisément pour une défense au fond. In fine, l’action de la caution avait ici le même but puisqu’elle s’opposait à la mesure d’exécution forcée – la saisie-vente – de la banque après la résolution du plan de redressement. L’insensibilité à la prescription permet d’éviter également que des cautionnements disproportionnés échappent à la sanction prévue par le code de la consommation, i.e. l’impossibilité de se prévaloir de l’acte ; expression qui a pu faire couler de l’encre par sa généralité analysée la plupart du temps comme une déchéance (Rép. civ., v° Cautionnement, par G. Piette, n° 121). L’empire de l’article L. 341-4 du code de la consommation se trouve ainsi renforcé à de nouveaux domaines à travers cette insensibilité à la prescription.
Cette solution favorable à la caution trouve un écho dans le point de départ de l’action pour obtenir des dommages-intérêts à la suite d’un manquement au devoir de mise en garde.
Point de départ de la prescription et devoir de mise en garde
La seconde question de l’arrêt, qui était celle soulevée par la demanderesse au pourvoi, intéressait le manquement au devoir de mise en garde. Création prétorienne (P. Simler et P. Delebecque, Droit civil – Les sûretés, la publicité foncière, Dalloz, coll. « Précis », 2016, p. 184, n° 188), ce devoir permet de faire peser une très lourde charge sur les établissements bancaires notamment. La Haute juridiction se livre, en la matière, à une distinction fine entre obligation d’information et devoir de mise en garde, proprement dit. La question de la prescription de l’action en dommages-intérêts liée au devoir de mise en garde se pose de manière assez récurrente devant la Cour de cassation eu égard à une certaine résistance des juges du fond à sa jurisprudence constante.
Comme nous l’avons mentionné, la cour d’appel de Montpellier avait estimé l’action prescrite en prenant comme point de départ l’acte notarié de 2009. La Cour de cassation rappelle un attendu connu dans lequel elle estime que le point de départ de la prescription est le jour où la caution a pris connaissance qu’elle devait effectivement payer la dette d’autrui. Il s’agit d’une jurisprudence constante (Com. 12 juill. 2017, n° 15-26.155, Rev. sociétés 2018. 175, note N. Martial-Braz ). Toutefois, comme le note Madame Martial-Braz, une telle décision tend nécessairement à rendre la question des points de départ des délais de prescription peu claire notamment par la multiplication des actions ouvertes à la caution (N. Martial-Braz, Confusion en matière de prescription : de la diversité du point de départ de la prescription, Rev. sociétés 2018. 175 ).
En somme, cet arrêt ne précise pas vraiment de solutions nouvelles. Mais il vient confirmer la très grande latitude offerte à la caution pour remettre en cause son engagement – notamment par l’engagement disproportionné qui échappe à la prescription – mais également pour obtenir des dommages-intérêts à la suite d’un manquement au devoir de mise en garde. Prudence donc sur la question de la prescription !
La disproportion manifeste échappe à toute prescription, même quand elle est exercée à titre principal. Le point de départ de l’action en dommages-intérêts pour manquement au devoir de mise en garde se situe au jour où la caution a connaissance qu’elle doit effectivement payer la dette d’autrui.
Le législateur s’apprête à mettre fin à la bataille menée par des ONG pour faire reconnaître la compétence du tribunal judiciaire en matière de contentieux relatifs au devoir de vigilance.
L’intégration des frais de transport des marchandises importées dans le prix effectivement payé par l’importateur n’est justifiée que s’ils n’ont pas déjà été inclus dans ce prix, quand bien même le prix payé est inférieur aux frais de transport supportés par le producteur mais sous réserve qu’il reflète la valeur économique réelle des marchandises.
Sur pourvoi, la Cour de cassation, par arrêt du 7 septembre 2017, casse partiellement un arrêt rendu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, et renvoie devant la même cour d’appel.
La juridiction de renvoi est saisie par déclaration de saisine du 15 janvier 2018, mais sans que l’auteur de la déclaration de saisine ne fasse mention des chefs expressément critiqués.
La « partie adverse » (au sens procédural de l’art. 1037-1) s’empare de cette irrégularité pour conclure à… la « caducité » de la déclaration de saisine. Les juges se laissent convaincre par l’argumentation, mais requalifient la sanction en « nullité », et s’estimant non valablement saisie, déclare la déclaration de saisine… « irrecevable ».
Un pourvoi permet de remettre un peu d’ordre dans ce déballage de sanctions procédurales, qui dénote une incompréhension entre ces multiples sanctions pourtant différentes.
Les chefs critiqués dans la déclaration de saisine : une obligation procédurale réaffirmée
Par cet arrêt, il est réaffirmé que l’auteur de la déclaration de saisine a l’obligation de mentionner dans son acte de saisine les chefs critiqués (Civ. 2e, 14 janv. 2021, n° 19-14.293 P, Dalloz actualité, 29 janv. 2021, obs. C. Lhermitte ; D. 2021. 543, obs. N. Fricero ; JCP 2021. 176, note Herman).
Il est précisé ici de quels chefs il s’agit. Ce sont « les chefs critiqués de la décision entreprise », et nous comprenons qu’il s’agit des chefs du jugement dont appel, non ceux de la décision cassée.
L’autre précision apportée par la Cour de cassation est que cette mention obligatoire s’effectue « au regard des chefs de dispositif de l’arrêt attaqué atteints par la cassation », autrement dit que la déclaration de saisine ne doit pas contenir tous les chefs qui auraient dû être mentionnées sur l’acte d’appel, mais uniquement ceux concernés par la cassation.
Au regard des textes, cette exigence s’entend.
Toutefois, il est permis de s’interroger sur l’utilité de ces mentions dans l’acte de saisine alors que, en tout état de cause, la cour sera saisie non au regard des chefs qui seront mentionnés mais en fonction de ce que la Cour de cassation aura tranché (Civ. 2e, 14 janv. 2021, n° 19-14.293 P, préc.).
Pour la déclaration d’appel, cette exigence peut se comprendre, et elle emporte des conséquences procédurales.
Ainsi l’intimé, à réception de l’acte d’appel, saura précisément sur quoi portera l’appel, lui permettant d’apprécier s’il y a lieu pour lui de se faire représenter, ou s’il peut attendre un éventuel un appel incident pour constituer avocat.
Par ailleurs, la mention des chefs critiqués dans l’acte d’appel a des conséquences importantes quant à la dévolution opérée (Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-22.528 P, Dalloz actualité, 17 févr. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 288 ; ibid. 576, obs. N. Fricero ; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero ; D. avocats 2020. 252, étude M. Bencimon ; RTD civ. 2020. 448, obs. P. Théry ; ibid. 458, obs. N. Cayrol ; 2 juill. 2020, n° 19-16.954 P, Dalloz actualité, 18 sept. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2021. 543, obs. N. Fricero ; JCP 2020. 1170, note Herman ; Gaz. Pal. 3 nov. 2020, p. 61 note Hoffschir ; ibid. 6 oct. 2020, p. 24, note Fertier ).
Mais pour une déclaration de saisine, cela n’a pas véritablement de sens puisque cette mention est sans la moindre conséquence procédurale, notamment quant à l’étendue de la saisine de la juridiction de renvoi, comme l’a jugé la haute juridiction.
Bien sûr, c’est ce que prévoit l’article 901, 4°, auquel renvoie l’article 1033. Mais à d’autres occasions, la Cour de cassation a su prendre de grandes libertés avec les textes, et nous pouvons nous étonner, et regretter, qu’elle ne l’ait pas fait ici. Ainsi, récemment, elle a réécrit l’article 403 et inventé le désistement ne valant pas acquiescement (Civ. 2e, 22 oct. 2020, n° 19-20.766 P, Dalloz actualité, 6 nov. 2020, obs. C. Lhermitte ; 17 sept. 2020, n° 19-15.254 ; 21 févr. 2019, n° 18-13.467). Le 17 septembre 2020, la Cour de cassation, par une « interprétation nouvelle » des articles 542 et 954, a érigé une nouvelle obligation à la charge de la partie qui doit désormais, à peine de sanction, préciser dans le dispositif de ses conclusions s’il est demandé l’annulation ou l’infirmation du jugement (Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 18-23.626 P, Dalloz actualité, 1er oct. 2020, obs. C. Auché et N. De Andrade ; D. 2020. 2046 , note M. Barba ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero ; AJ fam. 2020. 536, obs. V. Avena-Robardet ; D. avocats 2020. 448 et les obs. ; Rev. prat. rec. 2020. 15, chron. I. Faivre, Anne-Isabelle Gregori, Rudy Laher et A. Provansal ; Gaz. Pal. 27 oct. 2020, p. 9, note P. Gerbay ; ibid....
La déclaration de saisine après cassation, même lorsque la cassation est partielle, doit contenir le ou les chefs du jugement dont appel, à peine de nullité, pour vice de forme, à charge pour la partie de justifier d’un grief.
Le recours du CSE à une expertise en vue de préparer la négociation sur l’égalité professionnelle n’est pas réservée aux situations dans lesquelles il y participe. Cette expertise ne peut être étendue au-delà du thème de l’égalité professionnelle et doit intervenir en temps utile.
Le préjudice subi par une personne publique au titre du surcoût lié à une entente peut être évalué en comparant les taux de marge de la société pendant la durée de l’entente et après la fin de celle-ci, afin d’en déduire le surcoût supporté par la personne publique sur les marchés litigieux.
La durée des procédures est un mal profond de notre justice. Pour réduire les délais des procédures civiles, Éric Dupond-Moretti a annoncé hier 1 000 recrutements en contrat court. Pour aller plus loin, un groupe de travail, présidé par Peimane Ghalem-Marzban, vient de remettre 43 préconisations.
1 000 sucres rapides pour booster la justice
En 2021, un divorce contentieux met en moyenne vingt-deux mois à être jugé, une procédure en droit du travail plus de quinze mois. Le mouvement social des avocats et la crise sanitaire ont encore aggravé ce problème de lenteur. Le ministère de la Justice veut réduire ces délais à six mois.
Pour y parvenir, Éric Dupond-Moretti a annoncé le recrutement de 1 000 contrats courts pour la justice civile : 500 contrats d’un an en appui des greffes et 500 contrats de trois ans (dont 330 juristes assistants et 170 renforts de greffe). Ces contrats, des « sucres ultrarapides » selon l’expression du ministre, budgétisés à 15 millions d’euros, viendront en plus du schéma d’emploi déjà prévu pour 2021.
Si le budget 2021 promet une hausse importante des crédits pour la justice judiciaire (+ 6 %), les créations d’emploi prévues sont en retrait par rapport à l’année dernière (+ 318 emplois en 2021 contre + 384 en 2020, avec moins de magistrats et greffiers recrutés qu’en 2020). Les durées de formation des magistrats (trente et un mois) et des greffiers (dix-huit mois), dont les écoles sont saturées, font que les recrutements pérennes ne sont pas des réponses rapides. Le ministère préfère donc recourir à des contrats courts. Avec la crainte, pour les syndicats, que les sucres rapides aient un goût d’aspartame et aboutissent à une précarisation de la justice.
Réformer la procédure civile
Mais les recrutements ne suffiront pas à réduire le problème. Le ministre a donc missionné un groupe de travail dirigé par Peimane Ghaleh Marzban, président du tribunal judiciaire de Bobigny, qui lui a remis hier 43 préconisations.
Pour réduire les stocks, le groupe ne recommande pas les procédures de juge unique ou sans audience, expérimentées pendant le confinement. Il privilégie plutôt le recours au juge rapporteur, qui permet la collégialité « tout en allégeant la charge collective ».
Autre point, les modes de règlement amiable. Si la médiation obligatoire connaît ses limites, le groupe souhaite favoriser la procédure participative. Dans certaines juridictions, les dossiers dans lesquels une mise en état conventionnelle est mise en œuvre seraient audiencés prioritairement. Le groupe souhaite également favoriser l’expertise amiable, qui pourrait être considérée à l’égal d’un rapport d’expertise judiciaire. L’audiencement des homologations d’accord serait accéléré et les conventions de procédure participative aux fins de mise en état pourraient être rétribuées au titre de l’aide juridictionnelle.
Sur la médiation, le rapport encourage la formation commune de magistrats et d’avocats sur le sujet et souhaite qu’un référent médiation soit nommé dans chaque juridiction.
Le rapport s’appuie aussi sur une expérimentation menée à Paris par la chambre de la propriété intellectuelle de « césure du procès civil ». Après avoir tranché les points de droit qu’il juge pertinents, le juge propose aux parties de se mettre d’accord sur le reste. Le groupe de travail souhaite aussi encourager la présentation en amont des pièces et des conclusions.
Pour le pénal : CRPC, dématérialisation, participation des avocats
En matière pénale, le groupe souhaite favoriser la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CPRC) (Dalloz actualité, 26 mars 2021, reportage A. Bloch). La CRPC serait possible même si le dossier a fait l’objet d’un renvoi par le tribunal, tant qu’il n’a pas été examiné au fond. Un renvoi en CRPC après une information judiciaire serait possible, même en l’absence d’accord de la partie civile, à condition qu’elle soit informée. Le groupe souhaite créer une CPRC au niveau de l’appel, dès lors que l’appel du condamné ne porte que sur la peine (et pas sur sa culpabilité).
Une piste souvent avancée pour résorber les stocks serait de faire participer les avocats à l’activité juridictionnelle. Mais compte tenu du statut de la magistrature, le groupe de travail propose plutôt la piste de l’intégration d’avocats comme « magistrats à titre temporaire ». Ces derniers sont en effet nommés après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature. Ils pourraient toutefois accéder à plus de missions qu’aujourd’hui.
À noter : contrairement au code de procédure civile (qui est du domaine réglementaire), modifier le code de procédure pénale nécessite souvent de changer la loi. Alors qu’une loi sur les CRPC vient d’être votée, le projet de loi pour la confiance de l’institution judiciaire pourrait être amendé en ce sens.
Les dispositions de l’article L. 323-3 du code de l’expropriation, qui instituent une différence de traitement entre les locataires d’un bien exproprié selon que le transfert de propriété du bien qu’ils louent a été opéré par une ordonnance d’expropriation ou par une cession amiable, sont contraires à la Constitution.
Les dispositions de l’article L. 323-3 du code de l’expropriation, qui instituent une différence de traitement entre les locataires d’un bien exproprié selon que le transfert de propriété du bien qu’ils louent a été opéré par une ordonnance d’expropriation ou par une cession amiable, sont contraires à la Constitution.
En cas de mise en régie d’un contrat dont l’exécution est défaillante, le droit de suivi du titulaire s’exerce sur l’ensemble des prestations du marché de substitution, sans distinguer les prestations qui auraient pu faire l’objet de contrats conclus sans mise en régie.
La compétence du juge de l’expropriation de Paris est limitée à la fixation des indemnités réparant les préjudices causés par la réalisation du réseau de transport public du Grand Paris et ne s’étend pas au prononcé de l’expropriation et au transfert de propriété.
La compétence du juge de l’expropriation de Paris est limitée à la fixation des indemnités réparant les préjudices causés par la réalisation du réseau de transport public du Grand Paris et ne s’étend pas au prononcé de l’expropriation et au transfert de propriété.
Un magistrat du parquet qui prend des initiatives contraires aux orientations de politique pénale définies par sa hiérarchie et qui fait un usage inapproprié des réseaux sociaux commet un manquement à son devoir de loyauté.
Il y a quelques mois, la première chambre civile de la Cour de cassation opérait un revirement de jurisprudence dans le domaine de la preuve de la remise du bordereau de rétractation en matière de crédit à la consommation en considérant, conformément à la jurisprudence européenne (CJUE 18 déc. 2014, aff. C-449/13, CA Consumer Finance c/ Bakkaus (Mme), D. 2015. 715 , note G. Poissonnier ; ibid. 588, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD com. 2015. 138, obs. D. Legeais ), « qu’il incombe au prêteur de rapporter la preuve de ce qu’il a satisfait à ses obligations précontractuelles et que, contrairement à ce qu’a précédemment jugé la Cour de cassation (Civ. 1re, 16 janv. 2013, n° 12-14.122, Bull. civ. I, n° 7 ; D. 2013. 1329, obs. V. Avena-Robardet , note G. Poissonnier ; ibid. 945, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; ibid. 2420, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RTD civ. 2013. 378, obs. H. Barbier ), la signature par l’emprunteur de l’offre préalable comportant une clause selon laquelle il reconnaît que le prêteur lui a remis le bordereau de rétractation constitue seulement un indice qu’il incombe à celui-ci de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires » (Civ. 1re, 21 oct. 2020, n° 19-18.971, Dalloz actualité, 16 nov. 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2021. 63 , note G. Lardeux ; Rev. prat. rec. 2021. 25, chron. V. Valette-Ercole ; RTD com. 2020. 932, obs. D. Legeais ). Cette même chambre étend la solution ainsi consacrée à la remise de la fiche explicative (C. consom., art. L. 312-12) et de la notice d’assurance (C. consom., art. L. 312-29) dans un arrêt du 8 avril 2021 (V. déjà en ce sens, s’agissant de la fiche d’information, Civ. 1re, 5 juin 2019, n° 17-27.066, D. 2019. 1746 , note G. Poissonnier ; ibid. 2020. 170, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; ibid. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ). En l’espèce, suivant offre acceptée le 15 mai 2013, une banque a consenti à une dame un prêt dit de « regroupement de crédits » d’un montant de 33 000 €, mentionnant son époux en qualité de coemprunteur. Le 29 octobre 2014, cette dame a été placée sous le régime de curatelle et son époux désigné comme curateur. Après avoir prononcé la déchéance du terme en raison d’échéances demeurées impayées, la banque a assigné en paiement du solde du prêt les coempruteurs, qui ont notamment sollicité la déchéance du droit aux intérêts de la banque. Les demandes formées contre l’époux en qualité de coemprunteur ont été rejetées.
La cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 12 juin 2018, rejette la demande de déchéance du droit aux intérêts de la banque et condamne l’emprunteur au paiement, en énonçant que celui-ci produit une fiche explicative et l’offre préalable de crédit, comportant chacune une mention pré-imprimée suivie de la signature par laquelle il reconnaît avoir reçu la fiche précontractuelle d’information normalisée européenne et la notice d’assurance et que ces mentions laissent présumer la remise de ces...
Dans un arrêt du 15 avril 2021, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation se prononce sur la recevabilité de l’appel contre un jugement d’orientation ordonnant la vente forcée d’un immeuble, dans la circonstance où une seconde déclaration d’appel a été formée pour appeler à la cause des créanciers inscrits omis dans la première déclaration d’appel.
Il incombe au prêteur de rapporter la preuve de ce qu’il a satisfait à ses obligations précontractuelles et la signature par l’emprunteur d’une fiche explicative et de l’offre préalable de crédit comportant chacune une clause selon laquelle il reconnaît que le prêteur lui a remis la fiche précontractuelle d’information normalisée européenne et la notice d’assurance constitue seulement un indice qu’il incombe à celui-ci de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires.
La tenue d’une audience d’orientation et le prononcé du jugement qui en résulte constituent une étape charnière dans la procédure de saisie immobilière (C. pr. exéc., art. 322-15 s.). À cette occasion, le juge de l’exécution vérifie – d’office – que certaines conditions de fond sont bien réunies, statue sur les éventuelles contestations et demandes incidentes concernant les différents actes et formalités accomplis jusque-là et détermine les modalités de poursuite de la procédure, en autorisant la vente amiable à la demande du débiteur ou en ordonnant la vente forcée.
Conformément à la règle générale consacrée au premier alinéa de l’article R. 311-7 du code des procédures civiles d’exécution, ce jugement d’orientation est en principe susceptible d’appel et ledit appel est formé dans un délai de quinze jours à compter de sa notification. En revanche, dans un souci de célérité accrue de la procédure, l’appel de ce jugement se singularise en ce qu’il doit être formé, instruit et jugé selon la procédure à jour fixe (à peine d’irrecevabilité devant être relevée d’office, Civ. 2e, 22 févr. 2012, n° 10-24.410, Bull. civ. II, n° 37 ; Dalloz actualité, 6 mars 2012, obs. V. Avena-Robardet ; Procédures 2012. Comm. 146, obs. R. Perrot ; Gaz. Pal. 13-15 mai 2012, p. 21, obs. C. Brenner), sans que l’appelant ait à se prévaloir...
Dans un arrêt du 15 avril 2021, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation se prononce sur la recevabilité de l’appel contre un jugement d’orientation ordonnant la vente forcée d’un immeuble, dans la circonstance où une seconde déclaration d’appel a été formée pour appeler à la cause des créanciers inscrits omis dans la première déclaration d’appel.
Il incombe au prêteur de rapporter la preuve de ce qu’il a satisfait à ses obligations précontractuelles et la signature par l’emprunteur d’une fiche explicative et de l’offre préalable de crédit comportant chacune une clause selon laquelle il reconnaît que le prêteur lui a remis la fiche précontractuelle d’information normalisée européenne et la notice d’assurance constitue seulement un indice qu’il incombe à celui-ci de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires.
L’acceptation par le salarié de la modification de son contrat de travail proposée par l’employeur à titre de sanction n’emporte pas renonciation du droit à contester la régularité et le bien-fondé de la sanction. Malgré l’acceptation, le juge reste tenu de s’assurer de la réalité des faits invoqués par l’employeur, de leur caractère fautif et de la proportionnalité de la sanction prononcée à la faute reprochée au salarié.
Les députés ont adopté en première lecture, le 4 mai, le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, en le faisant passer de six à sept titres et de 69 à 218 articles.
Le juge des référés du Conseil d’État a rejeté la demande de l’association d’ultra-droite tendant à la suspension de sa dissolution par décret du président de la République. Il a refusé de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité sur l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure.
Une promenade aérienne effectuée par un particulier à titre gratuit, avec un point de départ et d’arrivée identique, constitue un transport aérien soumis aux seules dispositions de la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929 et la responsabilité de ce particulier ne peut être engagée que si la victime prouve qu’il a commis une faute.
Le juge de l’impôt valide l’utilisation par l’administration fiscale de pièces, obtenues à l’occasion de l’exécution d’une commission rogatoire internationale, dans des conditions qui n’ont pas ultérieurement été déclarées irrégulières par un juge et qui lui avaient été communiquées régulièrement par le procureur de la République.
Conformément au 5° du I de l’article L. 2151-1 du code du travail, il est tenu compte pour déterminer la représentativité des organisations professionnelles d’employeurs de l’influence, prioritairement caractérisée par l’activité et l’expérience. La circonstance que les actions d’une organisation professionnelle d’employeurs ne concernent pas exclusivement le secteur de la convention collective concernée n’est pas, par elle-même, de nature à l’empêcher de satisfaire ce critère, qui doit donner lieu à une appréciation globale avec l’ancienneté de l’organisation et son audience.
Sans préjudice de dispositions particulières, lorsque les dispositions du titre relatif aux déchets s’appliquent sur le site d’une installation classée pour la protection de l’environnement, l’autorité titulaire du pouvoir de police des déchets est l’autorité chargée du contrôle de cette installation classée.
Une assignation, même délivrée avant l’expiration du délai d’un an prévu à l’article 1792-6, ne peut suppléer la notification préalable à l’entrepreneur des désordres révélés postérieurement à la réception.
La Commission des lois de l’Assemblée nationale a adopté le 5 mai le projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire, qui reprend des éléments de la précédente loi de sortie de l’état d’urgence sanitaire de juillet 2020 tout en ouvrant la voie au futur « passe sanitaire ». Il intègre en outre des dispositions destinées à rendre possible la campagne des élections régionales et départementales et entend renforcer la répression des infractions aux règles de police sanitaire.
La Commission des lois de l’Assemblée nationale a adopté le 5 mai le projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire, qui reprend des éléments de la précédente loi de sortie de l’état d’urgence sanitaire de juillet 2020 tout en ouvrant la voie au futur « passe sanitaire ». Il intègre en outre des dispositions destinées à rendre possible la campagne des élections régionales et départementales et entend renforcer la répression des infractions aux règles de police sanitaire.
En l’espèce, des saisies-attributions sont pratiquées à l’encontre d’une banque. Ces saisies sont contestées et le débat se porte sur la régularité de la signification du jugement constituant le titre exécutoire. Formellement, ce jugement avait été signifié à la personne : une employée s’était déclarée habilitée à recevoir l’acte pour le compte de la banque en application de l’article 654, alinéa 2, du code de procédure civile. Cela étant, la banque soutenait que l’employée en cause ne travaillait pas pour elle et que la signification n’avait pas été pratiquée dans l’un de ses établissements mais à l’adresse d’une autre banque, personne morale distincte.
La cour d’appel n’a pas annulé cette signification : elle a considéré que celle-ci était régulière en application de l’article 654 du code de procédure civile, après avoir relevé que les mentions de l’acte, qui font foi jusqu’à inscription de faux, faisaient apparaître comme destinataire la bonne banque et que la signification avait été acceptée par une personne qui s’était déclarée habilitée à la recevoir.
La banque s’est alors pourvue en cassation en arguant que la signification destinée à une personne morale n’avait pas été faite à l’adresse de l’un de ses établissements, comme l’exige pourtant l’article 690 du code de procédure civile.
La situation faisait en effet apparaître un conflit entre deux règles :
d’une part, l’article 654 du code de procédure civile, qui prévoit en son alinéa 2 que « la signification à une personne morale est faite à personne lorsque l’acte est délivré à son représentant légal, à un fondé de pouvoir de ce dernier ou à toute autre personne habilitée à cet effet » ;d’autre part, l’article 690 du même code, qui dispose que « la notification destinée à une personne morale de droit privé ou à un établissement public à caractère industriel ou commercial est faite au lieu de son établissement. À défaut d’un tel lieu, elle l’est en la personne de l’un de ses membres habilité à la recevoir ».
La Cour de cassation devait donc déterminer si la régularité de la signification au regard des dispositions de l’article 654 du code était suffisante pour purger l’irrégularité tenant au lieu de la signification exigé par l’article 690.
La Cour de cassation répond négativement et casse la décision de la cour d’appel : « en statuant ainsi, sans constater que la banque ne disposait pas d’un établissement où l’acte devait, dans ce cas, lui être notifié en application de l’article 690, alinéa 1er, susvisé, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »
L’arrêt, publié, met en lumière deux précisions importantes quant à l’étendue de l’office de l’huissier significateur en matière de signification à personne morale : l’huissier n’a toujours pas à vérifier l’identité de la personne habilitée qu’il rencontre, mais il doit nécessairement vérifier le lieu où se trouve cette personne, à savoir s’assurer que ce lieu est bien un établissement de la personne morale.
L’huissier n’a pas à vérifier l’identité de la personne habilitée
En l’espèce, pour rejeter la demande d’annulation de la signification, la cour d’appel retenait que l’huissier n’avait pas à vérifier l’exactitude des déclarations de l’employée à qui il avait remis la copie de l’acte et qui s’était déclarée habilitée. Ce raisonnement n’est pas remis en cause par la Cour de cassation, qui ne se situe pas sur ce terrain.
En effet, si l’huissier de justice significateur doit recueillir des renseignements et les consigner dans l’acte, à savoir notamment, « les nom et qualité de la personne à laquelle la copie a été laissée » (C. pr. civ., art. 663), son obligation se limite au recueil des déclarations de la personne. La Cour de cassation décide que « l’huissier de justice qui procède à la signification d’un acte à personne n’a pas à vérifier l’identité de la personne qui déclare être le destinataire de cet acte » (Civ. 2e, 4 juill. 2007, n° 06-16.961, Bull. civ. II, n° 199 ; D. 2007. 2309 ). Il s’agit là d’une jurisprudence constante, et ce pour une raison très simple : « l’huissier de justice n’est pas doté de prérogatives lui permettant de procéder à un contrôle de l’identité » (J.-Cl. Procédure civile, v° Notification des actes de procédure, par N. Fricero, fasc. 600-65, 2019, n° 39).
Cette délimitation stricte de l’obligation de l’huissier a deux conséquences.
D’abord, puisque l’huissier ne vérifie pas l’identité de la personne habilitée, la preuve de l’absence d’habilitation de la personne peut être rapportée sans inscription de faux. En effet, si les mentions portées sur l’acte font foi jusqu’à inscription de faux (Cass., ch. mixte, 6 oct. 2006, n° 04-17.070, Bull. ch. mixte, n° 8 ; D. 2006. 2547, obs. V. Avena-Robardet ), c’est uniquement lorsqu’elles résultent de constatations personnelles de l’officier public. Lorsque les informations déclarées par la personne rencontrée sont inexactes, la sincérité de l’officier public n’est pas en cause : l’huissier a simplement « reçu de bonne foi des déclarations mensongères ou inexactes », de sorte que la preuve de la non-habilitation est possible par tous moyens (Civ. 2e, 12 oct. 1972, n° 71-11.981, Bull. civ. II, n° 244). Il faut cependant convenir que la portée de cette preuve contraire est limitée : elle ne permet pas, en principe, de faire juger que la signification est irrégulière de ce chef (Civ. 2e, 12 oct. 1972, n° 71-11.981, préc.). En effet, là où l’huissier n’a pas d’obligation, il n’y a en principe pas de nullité.
Ensuite, il en résulte que la signification à personne adressée à une personne morale est un processus assez léger. Comme l’écrivent des auteurs, la signification à personne morale présente, par rapport à celle destinée à une personne physique, des « garanties plus limitées » : « le résultat est que l’huissier peut s’adresser à la première personne de la société qu’il rencontre, à l’accueil par exemple, et lui remettre l’acte dès lors que cette personne a déclaré être habilitée à recevoir les actes » (T. Le Bars, K. Salhi et J. Héron, Droit judiciaire privé, LGDJ, coll. « Domat droit privé », 2019, n° 181). C’est pourquoi, afin de favoriser la prise de connaissance effective de l’acte, les textes viennent compenser indirectement cette insécurité en prévoyant des formalités supplémentaires. C’est notamment la raison d’être de la réglementation précise du lieu des notifications (C. pr. civ., art. 690).
En l’espèce, c’est au titre de cette réglementation que la cassation intervient. En effet, si l’huissier n’avait pas l’obligation de vérifier l’identité de la personne habilitée, il devait, au préalable, vérifier que cette personne se trouvait au bon endroit, à savoir au lieu d’un établissement de la personne morale.
L’huissier doit vérifier le lieu où se trouve la personne habilitée
L’article 690, alinéa 1er, du code de procédure civile doit être interprété comme porteur d’une obligation, préalable à toute autre, pour l’huissier : lorsque la personne morale dispose d’un établissement, l’huissier doit se rendre au lieu de cet établissement. De là, deux situations peuvent se poser. Si l’huissier trouve à cet établissement le « représentant légal, [un] fondé de pouvoir de ce dernier ou [une] autre personne habilitée » (C. pr. civ., art. 654), il procède à une signification à personne. S’il ne trouve personne se déclarant habilité, il procède à une signification à domicile (C. pr. civ., art. 655 et 656). L’établissement visé n’est pas forcément le siège social : il peut s’agir d’un autre lieu d’exercice de l’activité s’il entretient un lien avec le litige (Civ. 1re, 12 oct. 2016, n° 15-14.896, D. 2017. 635 , note A. Andorno ; D. avocats 2016. 299, obs. L. Dargent ; 2 sept. 2020, n° 19-15.377). Toutefois, il est de principe que l’huissier n’a pas à tenter une signification en un autre lieu que le siège social (Civ. 2e, 21 févr. 1990, n° 88-17.230, Bull. civ. II, n° 40 ; 6 mai 2004, n° 02-18.443). À ce titre, l’huissier doit penser à consulter les registres légaux avant de signifier afin de s’informer d’un éventuel transfert de siège social (Civ. 3e, 10 sept. 2020, n° 19-14.193, AJDI 2020. 762 ; Procédures 2020. Comm. 220, obs. Y. Strickler ; Loyers et copr. 2020. Comm. 113, obs. E. Chavance). Lorsque l’huissier constate qu’au lieu indiqué comme siège social au registre du commerce et des sociétés il n’y a aucun établissement, il doit dresser un procès-verbal de recherches infructueuses (C. pr. civ., art. 659, al. 4).
Ce n’est que si l’huissier ne trouve ni siège social ni établissement pour la personne morale qu’il peut procéder à une signification à la personne des membres habilités en tout autre lieu (C. pr. civ., art. 690, al. 2). Autant dire que, comme la plupart des personnes morales sont censées avoir un siège social, cette possibilité n’est ouverte que de manière très exceptionnelle (v. déjà en ce sens, R. Morel, Traité élémentaire de procédure civile, 2e éd., 1949, n° 397, note 4).
Cette obligation systématique de se rendre à l’établissement n’existe pas en matière de signification à personne physique : les règles sont même « inversées » dans ce cas (G. Cornu et J. Foyer, Procédure civile, PUF, coll. « Thémis », 1996, n° 127). Ce qui importe, alors, c’est de délivrer l’acte à la personne physique, où qu’elle se trouve (C. pr. civ., art. 689). Pourquoi en va-t-il différemment pour les personnes morales ? Peut-être parce qu’étant censées être composées d’une pluralité de personnes physiques, le législateur estime plus favorable aux droits de la défense de centraliser les notifications au lieu d’exercice collectif de l’activité plutôt que de permettre de signifier à un membre habilité mais potentiellement isolé.
Cette obligation de l’huissier semble parfois interprétée souplement. Par exemple, la Cour de cassation a admis la validité d’une signification faite, en un autre lieu que l’établissement, à la personne du représentant légal de la société (Civ. 2e, 30 avr. 2009, n° 07-15.582, Procédures 2009. Comm. 185, obs. R. Perrot). La doctrine soutient parfois que cette solution doit probablement s’appliquer à tous les membres habilités (T. Le Bars et a., op. cit., n° 181). Cette interprétation souple prévaut sans doute lorsque la société destinataire a son siège social à l’étranger (Com. 20 nov. 2012, n° 11-17.653, D. 2012. 2811, obs. V. Avena-Robardet ; Rev. sociétés 2013. 154, note J.-F. Barbièri ; J.-Cl. Procédure civile, par N. Fricero, préc., n° 43).
Toutefois, dans un arrêt récent, la Cour de cassation a rappelé la vitalité de la primauté de la signification à l’établissement en cassant, pour manque de base légale, l’arrêt d’une cour d’appel qui avait validé une signification hors établissement pratiquée entre les mains d’un associé minoritaire de la société, qui s’était déclaré habilité, sans avoir constaté que la société était dépourvue d’établissement (Civ. 2e, 4 févr. 2021, n° 19-25.271, AJDI 2021. 305 ; Rev. prat. rec. 2021. 10, chron. Rudy Laher ). Cette dernière solution a été critiquée par un auteur faisant notamment observer que, factuellement, le grief causé par l’irrégularité ne s’imposait pas avec évidence (F. Kieffer, Signification à personne morale : excès de rigorisme injustifié de la Cour de cassation, Dalloz actualité, 7 avr. 2021). Il y a dans cette observation un élément essentiel d’explication : les assouplissements parfois observés semblent moins la marque d’une interprétation extensive de l’article 690 que celle de l’absence de grief dans certaines situations (C. pr. civ., art. 114). De fait, lorsque l’acte est signifié hors établissement mais à la personne du dirigeant, il n’y a aucune entrave aux droits de la défense et donc aucun grief justifiant de prononcer la nullité (v. aussi sur un raisonnement fondé sur le grief, Soc. 22 janv. 2020, n° 18-19.815 ; sur la possibilité (non exclusive) de cette analyse, v. R. Perrot, obs. préc.).
Il n’en demeure pas moins que si le grief est une condition de l’annulation, il ne s’agit pas d’une condition de l’irrégularité. Ainsi, ce qui est reproché aux juges du fond, dans l’arrêt commenté, c’est de méconnaître les étapes du raisonnement. Les juges ne peuvent admettre la régularité d’une signification hors établissement sans constater le défaut d’établissement, constatation qui était absente, d’où le manque de base légale qui justifie la cassation. La question du grief est postérieure : elle suppose que l’irrégularité soit caractérisée et non pas niée. La décision de la Cour de cassation est donc logique. Elle participe de l’objectif louable de ne pas encourager une application aléatoire des règles relatives à la signification et à la nullité pour vice de forme.
La signification destinée à une personne morale doit s’effectuer au lieu de son établissement. Ce n’est que lorsque la personne morale ne dispose pas d’un établissement que la signification peut être délivrée en un autre lieu, entre les mains de l’un des membres habilités de la personne morale.
On sait que la compétence du juge de l’exécution est clairement délimitée par l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire, auquel renvoie d’ailleurs l’article L. 121-1 du code des procédures civiles d’exécution (V. à ce sujet, R. Perrot et P. Théry, Procédures civiles d’exécution, 3e éd., Dalloz, 2013, nos 309 s.). Mais il n’en demeure pas moins qu’elle donne lieu à un certain nombre de difficultés, comme en témoigne un arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 15 avril 2021. En l’espèce, la caisse régionale de Crédit agricole mutuel (la CRCAM) de l’Aube et de la Haute-Marne a intenté une action paulienne contre Mme K. et obtenu l’inopposabilité de l’apport d’un immeuble lui appartenant à une société civile immobilière.
Dans le cadre de cette procédure, la débitrice a formé une demande de dommages-intérêts pour manquement de la CRCAM à son devoir de bonne foi et d’information, mais cette demande été rejetée, comme étant prématurée. Par la suite, sur le fondement de deux actes notariés de cautionnement conclus en 1990 et 1991, la CRCAM a fait délivrer le 27 janvier 2010 à Mme K. un commandement valant saisie immobilière sur le bien réintégré dans le patrimoine de celle-ci par l’effet de l’action paulienne. Puis, par jugement du 6 juillet 2010, un juge de l’exécution a déclaré les demandes de la CRCAM irrecevables au fond en raison de la prescription, jugement infirmé par arrêt d’une cour d’appel du 10 mai 2011, disant que l’action de la CRCAM n’était pas prescrite et déboutant Mme K. de sa demande de dommages-intérêts comme ayant été déjà définitivement tranchée par une décision antérieure. S’ensuivirent une série d’arrêts ayant finalement conduit la cour d’appel de Dijon a déclarer irrecevables les demandes indemnitaires présentées à l’encontre de la CRCAM.
Naturellement, cela conduisit Mme K. à se pourvoir en cassation. Mais la Cour...
En application de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire, si le juge de l’exécution est compétent pour connaître de la contestation d’une mesure d’exécution forcée, il n’entre pas dans ses attributions de se prononcer sur une demande de condamnation à des dommages-intérêts contre le créancier saisissant, qui n’est pas fondée sur l’exécution ou l’inexécution dommageable de la mesure.
« Le droit à la vie privée et familiale a été grandement entravé au cours de la crise sanitaire, et de façon bien plus importante pour les personnes résidant en EHPAD que pour le reste de la population. »
« Le droit à la vie privée et familiale a été grandement entravé au cours de la crise sanitaire, et de façon bien plus importante pour les personnes résidant en EHPAD que pour le reste de la population. »
Le Conseil d’État précise les obligations du préfet en cas d’annulation d’une dérogation à l’interdiction de détruire des espèces protégées.
En matière de renouvellement du bail commercial, il existe un principe jurisprudentiel constant selon lequel « à défaut de convention contraire, le renouvellement du bail commercial s’opère aux clauses et conditions du bail venu à expiration, sauf le pouvoir reconnu au juge en matière de fixation de prix » (Civ. 3e, 12 oct. 1982, JCP 1984. II. 20125, note B. Boccara ; 14 oct.1987, n° 85-18.132 ; 3 févr. 1988, n° 86-16.158 ; 6 mars 1991, n° 89-20.452, D. 1992. 364 , obs. L. Rozès ; AJDI 1991. 834 et les obs. ; RDI 1991. 395, obs. G. Brière de l’Isle et J. Derruppé ; RTD civ. 1992. 137, obs. P.-Y. Gautier ; 17 mai 2006, n° 04-18.330, D. 2006. 1818, obs. Y. Rouquet ; ibid. 2007. 1827, obs. L. Rozès ; AJDI 2006. 819 , note M.-P. Dumont-Lefrand ; 19 déc. 2012, n° 11-21.340, Dalloz actualité, 16 janv. 2013, obs. Y. Rouquet ; D. 2013. 79 ; ibid. 1164, chron. A. Pic, V. Georget et V. Guillaudier ; ibid. 1794, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; AJDI 2013. 346 , obs. Y. Rouquet ; Loyers et copr. 2013. 50, obs. E. Chavance).
Le renouvellement du bail commercial s’opère donc, en principe, aux clauses et conditions du bail venu à expiration ; à l’exception du loyer qui peut être modifié par le juge des loyers et de la durée du bail renouvelé régie par les dispositions de l’article L. 145-12 du code de commerce. Ce principe de reconduction des clauses et conditions du bail venu à expiration est, depuis le 1er octobre 2016, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, prévu à l’article 1214, alinéa 2, du code civil.
Le montant du loyer renouvelé est à l’origine de la plupart des conflits entre bailleurs et locataires, comme en témoigne l’arrêt rapporté. Néanmoins, le renouvellement du bail peut être acquis sans que les parties aient pu trouver un accord sur le prix. Le renouvellement du bail n’est pas subordonné à la fixation préalable du loyer, même s’il est un élément essentiel du bail (Civ. 3e, 8 juill. 1980, n° 79-11.079, Bull. civ. III, n° 132 ; C. com., art. L. 145-11).
La question du loyer est théoriquement autonome du principe du renouvellement (Civ. 3e, 28 nov. 2006, n° 05-20.436, AJDI 2007. 650 , obs. C. Denizot ). En effet, le principe du renouvellement du bail commercial et la fixation du loyer du bail renouvelé sont dissociés (Civ. 3e, 20 mai 1992, n° 90-20.291, Rev. loyers 1992. 325, note S. Duplan-Miellet ; 15 mai 1996, Loyers et copr. 1996, n° 96 ; C. Denizot, Droit et pratique des baux commerciaux, v° Forme du renouvellement, Dalloz action, 2021/2022, n° 362.11) de façon telle que l’acceptation peut ne porter que sur le principe du renouvellement et non sur le montant du nouveau loyer, qui pourra être fixé ultérieurement à l’amiable ou à défaut d’accord, par la voie judiciaire. Cependant, aucune disposition n’interdit aux parties de fixer dès le renouvellement le prix du bail.
Quoi qu’il en soit, à défaut de convention contraire et en l’absence de saisine du juge des loyers, le renouvellement du bail commercial s’opère aux clauses et conditions du bail venu à expiration, de sorte que le loyer stipulé dans le précédent bail s’applique (Civ. 3e, 12 oct. 1982, JCP 1984. II. 20125, note B. Boccara ; 27 févr. 1991, n° 89-18.729, D. 1992. 364 , obs. L. Rozès ; RTD civ. 1992. 88, obs. J. Mestre ; 6 mars 1991, n° 89-20.452, D. 1992. 364 , obs. L. Rozès ; AJDI 1991. 834 et les obs. ; RDI 1991. 395, obs. G. Brière de l’Isle et J. Derruppé ; RTD civ. 1992. 137, obs. P.-Y. Gautier ).
Si la haute juridiction s’était prononcée par le passé sur le principe d’identité de contenu du bail renouvelé, l’arrêt rapporté a conduit la Cour de cassation à préciser le contenu du bail renouvelé en présence d’une demande de renouvellement comportant la mention « aux clauses et conditions du bail venu à expiration ». En effet, une telle formule amène à s’interroger sur le loyer applicable au bail renouvelé dans les termes suivants : le prix du bail renouvelé est-il maintenu au prix du bail expiré au même titre que les stipulations contractuelles contenues dans ledit bail ?
En l’espèce, dans le cadre de l’existence d’un bail liant deux sociétés, la locataire a, par acte du 23 novembre 2016, sollicité le renouvellement du bail « aux mêmes clauses et conditions antérieures ». La bailleresse a exprimé son accord pour un tel renouvellement. À la suite de l’acceptation de la demande de renouvellement par la bailleresse, la locataire a sollicité la fixation du prix du bail renouvelé à un montant bien inférieur à celui du loyer initial. La proposition de loyer a été refusée. La locataire a décidé de saisir le juge des loyers commerciaux.
La cour d’appel Aix-en-Provence (12 sept. 2019, n° 18/15353) a rejeté la demande en fixation du loyer du bail renouvelé au motif que la locataire avait formulé une demande de renouvellement du bail « aux clauses et conditions du précédent bail », sans réserve sur le prix, et que la bailleresse avait exprimé son accord pour un renouvellement aux mêmes clauses et conditions antérieures, de sorte que bailleresse et locataire se sont accordées sur le maintien du prix du loyer.
Mais la locataire s’est pourvue en cassation en soutenant que la mention « aux clauses et conditions du bail venu à expiration » insérée dans la demande de renouvellement traduisait seulement un accord sur le principe du renouvellement du bail et non un accord sur le prix du loyer renouvelé. En effet, il est acquis que le loyer du bail renouvelé doit faire l’objet d’un accord exprès et explicite des parties. Partant, cette formule de style « aux clauses et conditions » du précédent bail était, selon le pourvoi, insuffisante à caractériser un engagement précis, complet et ferme sur le montant du loyer du bail à renouveler.
Au-delà de la formule de style, la locataire soutenait que les circonstances de fait ne pouvaient pas non plus contribuer à caractériser un accord ferme des parties sur le maintien du loyer. Par conséquent, l’engagement précis et ferme de maintenir le prix du loyer ne pouvait résulter du simple fait que la formule d’usage était reprise, sans aucune référence explicite au prix, dans les différents actes échangés entre les parties, ni du fait que le précédent bail était annexé à la demande de renouvellement. Le maintien du prix aurait dû découler d’une volonté expresse. En somme, pour la locataire, les juges du fond ont dénaturé la volonté des parties.
Pourtant, aucun de ces arguments n’emporte la conviction de la Cour de cassation. Exerçant son contrôle, elle estime au regard des éléments relevés par les juges d’appel que ces derniers n’ont pas dénaturé la volonté des parties. Si la cour régulatrice ne vise aucun texte, elle semble faire application du principe de la force obligatoire des contrats (C. civ., art. 1134, al. 1er, dans sa version antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016, devenu C. civ., art. 1103).
En effet, l’acceptation du renouvellement « aux mêmes clauses et conditions antérieures » sans aucune réserve sur le prix du bail a permis aux hauts magistrats d’y voir la caractérisation d’un accord exprès des parties sur les conditions et clauses du bail précédent. Dès lors, et dans la mesure où le loyer est une « condition » du bail précédent, ledit bail commercial devait être maintenu intégralement, incluant par conséquent le maintien du prix du loyer. Du reste, à cet égard, et même si la locataire s’est opposée à cet argument, les juges d’appel ont à juste titre considéré que le maintien du prix du loyer était explicitement proposé lorsque la locataire a annexé le bail initial, sans aucune réserve sur le prix, à la demande de renouvellement qui précisait un renouvellement aux mêmes clauses et conditions que le précédent bail. En acceptant sans aucune réserve ce renouvellement aux conditions antérieures, un « nouveau » bail a été conclu entre la bailleresse et la locataire au prix de l’ancien.
La proposition de renouvellement du bail « aux mêmes clauses et conditions antérieures » acceptée expressément par la bailleresse portait donc sur le principe du renouvellement et sur les conditions financières : les parties se sont, dans le même temps, accordées explicitement sur le principe du renouvellement et sur le prix du bail (l’accord sur le prix n’était pas, en l’espèce, distinct du principe du renouvellement). Les contrats légalement formés tenant lieu de loi à ceux qui les ont faits, le rejet du pourvoi était inévitable.
La locataire aurait été mieux inspirée d’attendre l’expiration de la période triennale pour demander la révision légale du loyer au lieu de s’engager dans une telle procédure, qui a duré cinq années de surcroît, pour finalement voir sa demande en fixation du loyer du bail renouvelé rejetée.
La solution aurait été probablement différente si la locataire avait proposé à l’occasion de la demande de renouvellement un autre montant.
Le renouvellement d’un bail commercial n’est pas un acte anodin. Il importe donc pour les parties d’y porter une attention particulière notamment sur le montant du loyer du bail renouvelé au moment de la délivrance de la demande de renouvellement ou du congé avec offre de renouvellement au risque de se heurter aux effets d’une formule de style.
Lorsque les parties ont exprimé leur volonté de voir renouveler le contrat aux mêmes clauses et conditions du précédent bail, sans mention d’aucune réserve, la formule « aux mêmes clauses et conditions » emporte accord exprès et précis sur le prix du loyer du bail, de sorte que la demande ultérieure en fixation du loyer du bail renouvelé doit être rejetée.
Lorsque les parties ont exprimé leur volonté de voir renouveler le contrat aux mêmes clauses et conditions du précédent bail, sans mention d’aucune réserve, la formule « aux mêmes clauses et conditions » emporte accord exprès et précis sur le prix du loyer du bail, de sorte que la demande ultérieure en fixation du loyer du bail renouvelé doit être rejetée.
Lorsque les parties ont exprimé leur volonté de voir renouveler le contrat aux mêmes clauses et conditions du précédent bail, sans mention d’aucune réserve, la formule « aux mêmes clauses et conditions » emporte accord exprès et précis sur le prix du loyer du bail, de sorte que la demande ultérieure en fixation du loyer du bail renouvelé doit être rejetée.
Validité d’un dispositif de préretraite justifié par un but légitime étranger à toute discrimination
Le dispositif de préretraite instauré par le plan de sauvegarde de l’emploi d’une entreprise est justifié par un but légitime étranger à toute discrimination en raison du sexe dès lors que les prestations de préretraite, ayant pour fonction de remplacer le revenu procuré par l’activité professionnelle dans l’attente de l’âge auquel le salarié est en droit de prétendre à une retraite à taux plein, cessent d’être versées à cette date objective, la pension de retraite étant servie au terme du versement des prestations de préretraite.
Lorsque le comité d’entreprise d’une entreprise en redressement ou liquidation judiciaire a décidé de recourir à l’assistance d’un expert, il appartient à l’administration de s’assurer que l’expert a pu exercer sa mission dans des conditions permettant au comité d’entreprise de disposer de tous les éléments utiles pour formuler ses deux avis en toute connaissance de cause.
Un arrêt du 15 avril 2021 est intéressant en ce qu’il se prononce sur la notion récente de « démarches en vue de parvenir à une résolution amiable du litige ». À l’image des nombreuses décisions relatives aux clauses de conciliation ou médiation préalable obligatoire, l’arrêt illustre le paradoxe de l’évolution de notre procédure : les plaideurs sont de plus en plus obligés de recourir aux MARD (modes amiables de résolution des différends ; sur lesquels, v. not., N. Fricero et al., Le guide des modes amiables de résolution des différends 2017, 3e éd) préalablement à la saisine d’un juge ; or l’« amiable » devient lui-même objet de contentieux, car ses contours ne sont pas nets et qu’il faut donc les définir. Même si la réforme Belloubet a changé l’organisation juridictionnelle et la procédure depuis les faits de l’arrêt, la Cour de cassation nous donne ici des indications qui pourront être utiles à l’avenir, sans pour autant éviter d’inévitables discussions : autant dire que le problème de l’encombrement des tribunaux n’est pas résolu mais déplacé, le contentieux ne portant plus sur le fond mais sur la procédure (c’est le cas depuis la réforme Magendie) ou désormais sur des démarches extrajudiciaires…
Un demandeur saisit le tribunal d’instance de Grenoble, par une déclaration au greffe du 12 mars 2019, en vue d’obtenir la condamnation à son profit de la défenderesse.
Le tribunal d’instance prononce d’office l’irrecevabilité de l’acte l’ayant saisi, faute pour le demandeur de justifier avoir rempli l’obligation légale prescrite par l’article 4 (dans sa version alors applicable) de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 : à savoir que « la saisine du tribunal d’instance par déclaration au greffe doit être précédée d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice ».
Le justiciable se pourvoit en cassation. La troisième branche du moyen, à laquelle la deuxième chambre civile répond seule, reproche au tribunal d’instance un manque de base légale au regard de l’article 4-2° de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016. Il rappelle qu’il existe des exceptions à l’obligation posée à l’article 4, ainsi, « lorsque l’une des parties au moins justifie de diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige » et affirme qu’en l’espèce, de telles diligences avaient bel été bien été entreprises, qui sont relatées par la déclaration au greffe : « pour justifier de la saisine directe du tribunal sans tentative préalable de conciliation, celui-ci a expressément indiqué avoir envoyé un courrier à l’autre partie en vue d’un accord pour mettre un terme au litige ».
La Cour elle-même vise l’article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 et en rappelle la teneur : principe et exceptions. Elle casse le jugement du tribunal d’instance pour manque de base légale pour les motifs rapportés en chapô.
Rappelons qu’en matière de MARD préalables, le plaideur est soumis à des obligations formelles et d’autres substantielles : celles-ci trouvent leur source dans la convention et la jurisprudence – qui élabore une construction au fil des arrêts (v. les clauses de conciliation préalable obligatoire) –, ou la loi, au sens large du terme – comme celle en question dans l’arrêt.
Obligations formelles
Le pouvoir réglementaire a d’abord imaginé un système purement incitatif – et peu efficace.
Le décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 a ainsi créé les articles 56, alinéa 3, et 58, alinéas 3, du code de procédure civile (C. Bléry et J.-P. Teboul, Une nouvelle ère pour la procédure civile (suite et sans doute pas fin). À propos du décret n° 2015-282 du 11 mars 2015, Gaz. Pal. 17-18 avr. 2015, p. 7, spéc. nos 6 s.), qui ont imposé, à compter du 1er avril 2015, une obligation assez formelle, à savoir : « Sauf justification d’un motif légitime tenant à l’urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu’elle intéresse l’ordre public, l’assignation [56], la requête ou la déclaration qui saisit la juridiction de première instance [58] précise également les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige ». Le non-respect de cet article 56, alinéa 3, pouvait déclencher une réaction du juge, mais il n’était pas, à proprement parler, sanctionné ; il en était de même de l’article 58, alinéa 3 : selon l’article 127 (issu du même décret de 2015), « s’il n’est pas justifié, lors de l’introduction de l’instance et conformément aux dispositions des articles 56 et 58, des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige, le juge peut proposer aux parties une mesure de conciliation ou de médiation ». La Cour de cassation a eu l’occasion de statuer sur le motif légitime tenant à l’ordre public, à propos de cet article 58, alinéa 3 (Soc. 19 déc. 2018, n° 18-60.067, Dalloz actualité, 28 janv. 2019, obs. G. Deharo ; RDT 2019. 123, obs. F. Guiomard ).
Le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 a apporté quelques changements (M.-P. Mourre-Schreiber, Réforme de la procédure civile : simplification des modes de saisine, Dalloz actualité, 18 déc. 2019 ; C. Bléry, Réforme de la procédure civile : prise de date d’audience devant le tribunal judiciaire, Dalloz actualité, 24 déc. 2019 ; Nouveaux modes d’introduction de la procédure et communication par voie électronique, D. avocats 2020. 25 ; D. d’Ambra, in S. Guinchard [dir.], Droit et pratique de la procédure civile. Droit interne et européen, Dalloz Action, 10e éd., 2021/2022, nos 436.31 s.). C’est désormais l’article 54, commun à l’assignation et la requête, unilatérale ou conjointe, qui reprend l’obligation formelle (v. 5°). Celle-ci change cependant de nature : depuis le 1er janvier 2020, lorsque la demande initiale doit être précédée d’une tentative de conciliation, de médiation ou de procédure participative, l’acte introductif d’instance doit préciser les diligences entreprises en vue d’une résolution amiable du litige ou la justification de la dispense d’une telle tentative. Cette mention existait antérieurement, sans être prescrite à peine de nullité ; c’est désormais le cas, mais elle ne concerne plus que les domaines dans lesquels la demande initiale doit être précédée d’une tentative de mode alternatif de règlement des différends (art. 750-1 ; v. 2). Précisons encore que le décret n° 2020-1457 du 27 novembre 2020 a retouché l’article 127 afin de l’harmoniser avec l’article 750-1 issu du décret Belloubet : il dispose désormais que, « hors les cas prévus à l’article 750-1, le juge peut proposer aux parties qui ne justifieraient pas de diligences entreprises pour parvenir à une résolution amiable du litige une mesure de conciliation ou de médiation » (adde JCP 2020. 1404, spéc. p. 2255, obs. S. Amrani-Mekki).
Obligations substantielles
Le législateur a ensuite prévu un système plus coercitif.
La loi « J21 » n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du 21e siècle, elle, a instauré une véritable sanction dans son article 4, à savoir une fin de non-recevoir que le juge pouvait prononcer d’office. L’hypothèse visée était assez limitée, celle d’une procédure introduite par déclaration au greffe du tribunal d’instance, non précédée d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, sauf trois exceptions (rappelées par la Cour de cassation dans notre arrêt) : « 1° Si l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord ; 2° Si les parties justifient d’autres diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige ; 3° Si l’absence de recours à la conciliation est justifiée par un motif légitime ». Rappelons que :
• la déclaration au greffe était une formule procédurale utilisable pour introduire l’instance devant le tribunal d’instance, à côté, notamment de l’assignation (à toutes fins), lorsque le montant de la demande n’excédait pas 4 000 € : v. C. pr. civ., art. 843, issu du décr. n° 2010-1165, 1er oct. 2010 et abrogé par le décr. n° 20219-1333, 11 déc. 2019) ;
• la réforme Belloubet (loi, ordonnance et décret) a fait disparaître le tribunal d’instance et le tribunal de grande instance, fusionnés en tribunal judiciaire et les actes introductifs d’instance autres que l’assignation et la requête, au 1er janvier 2020 ;
• la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 (art. 3, II) a conditionné la recevabilité de certaines demandes à une tentative de procédure préalable de médiation, de conciliation ou de procédure participative (sur ces MARD, v. C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile, Dalloz, 35e éd., coll. « PRécis », 2020, n° 2366 s. ; L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, 11e éd., LexisNexis, 2020, nos 889 et 890 ; D. d’Ambra, in Droit et pratique de la procédure civile, op. cit., n° 436.111 s.) et modifié en conséquence l’article 4 de la loi J21. Il a reconduit la sanction de 2016, mais a élargi les cas de recours à l’amiable qui peuvent être entrepris au choix des parties et a modifié quelque peu les exceptions (v. Précis Dalloz, nos 1600 et 1601).
L’article 4 de la loi J21, modifié et par la loi Belloubet et par l’ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019, dispose ainsi que : « Lorsque la demande tend au paiement d’une somme n’excédant pas un certain montant ou est relative à un conflit de voisinage, la saisine du tribunal judiciaire doit, à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, être précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation, telle que définie à l’article 21 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, ou d’une tentative de procédure participative, sauf : 1° Si l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord ; 2° Lorsque l’exercice d’un recours préalable est imposé auprès de l’auteur de la décision ; 3° Si l’absence de recours à l’un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime, notamment l’indisponibilité de conciliateurs de justice dans un délai raisonnable ; 4° Si le juge ou l’autorité administrative doit, en application d’une disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation. L’article 4 ajoute encore qu’« un décret en Conseil d’État définit les modalités d’application du présent article, notamment les matières entrant dans le champ des conflits de voisinage ainsi que le montant en deçà duquel les litiges sont soumis à l’obligation mentionnée au premier alinéa. Toutefois, cette obligation ne s’applique pas aux litiges relatifs à l’application des dispositions mentionnées à l’article L. 314-26 du code de la consommation ».
Le Conseil constitutionnel (décis. n° 2019-778 DC du 21 mars 2019) a imposé d’expliciter les notions de motif légitime et de délai raisonnable. Le décret Belloubet a créé l’article 750-1 du code de procédure civile qui complète et précise ainsi l’article 4 de la loi J21 (G. Maugain, Cas de recours préalable obligatoire aux modes de résolution amiable des différends, Dalloz actualité, 20 janv. 2020). Malgré la place de l’article dans les dispositions communes du tribunal judiciaire, l’article 750-1 ne concerne actuellement que des cas relevant de la procédure orale ordinaire (et non de la procédure écrite).
Si l’article 750-1, alinéa 1er, reproduit le principe de l’obligation et sa sanction tels qu’énoncés à l’article 4 de la loi, il définit plus précisément le domaine de la tentative préalable obligatoire de règlement amiable, afin d’être conforme aux prescriptions du Conseil constitutionnel : il chiffre donc le montant de l’obligation à 5 000 € et renvoie aux articles R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du code de l’organisation judiciaire pour les conflits de voisinage (curieusement entendus comme recouvrant les conflits relatifs aux fonds dont les parties sont propriétaires ou occupants titrés et qui relevaient de la compétence du tribunal d’instance). L’article 750-1, alinéa 2, reprend les cas de dispense de l’article 4 de la loi J21, mais développe le 3°.
Notons d’abord, au passage, que si le 1° va de soi, les 2° et 4° laissent « perplexes » (selon le mot des professeurs Cadiet et Jeuland, op. cit.), en matière de contentieux civil. Les auteurs citent, à propos d’un recours préalable au juge (4°), l’article 281-6 du code de procédure civile, en matière de distribution de deniers en dehors d’une procédure de distribution)…
Quant au 3°, il est loin d’être simple : « Si l’absence de recours à l’un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime tenant soit à l’urgence manifeste soit aux circonstances de l’espèce rendant impossible une telle tentative ou nécessitant qu’une décision soit rendue non contradictoirement soit à l’indisponibilité de conciliateurs de justice entraînant l’organisation de la première réunion de conciliation dans un délai manifestement excessif au regard de la nature et des enjeux du litige ».
Il a pu être soutenu (v. G. Maugain, art. préc.) que, si la procédure sur requête entrait dans ce 3°, ce n’était pas le cas du référé du fait de l’urgence « manifeste » exigée. Un arrêt de cour d’appel a pourtant jugé que les demandeurs sollicitant devant la juridiction des référés des expertises et formant des demandes provisionnelles au visa des articles 834 et 835 du code de procédure civile, et subsidiairement au visa de l’article 145 du code de procédure civile pour les expertises, ces demandes, qui « relèvent donc de la compétence du juge des référés, […] n’entrent pas dans les cas énoncés à l’article 750-1 prévoyant la nécessité de tentative de conciliation ou de médiation ou de procédure participative préalables à la demande en justice (Riom, ch. com., 17 mars 2021, n° 20/01181). Ce qui n’est pas évident…
Par ailleurs, on constate que le cas de dispense en cause dans l’arrêt du 15 avril 2021 (2°) n’est plus mentionné en l’état dans l’article 4 de la loi J21 modifié par la loi Belloubet et qu’il ne l’est pas davantage dans l’article 750-1 du code de procédure civile issu du décret Belloubet. Pour autant, on peut penser que l’ancien 2° se « coule » dans le nouveau 3° de l’article 4 de la loi et de l’article 750-1. Il faut cependant pour se faire admettre que l’existence de « pourparlers » antérieurs et vains constitue un motif légitime. En effet, « le motif légitime peut tenir aux “circonstances de l’espèce rendant impossible une telle tentative [de résolution amiable]”. La généralité de cette formule laissera la part belle à l’appréciation souveraine des juges du fond » (G. Maugain, art. préc.). À cet égard, notons un jugement du tribunal judiciaire d’Amiens du 24 juillet 2020 (TJ Amiens, 24 juill. 2020, n° 11-20-000327) : à la suite d’une mise en demeure d’avocat, l’adversaire s’est opposée de façon catégorique aux demandes. Le tribunal judiciaire en déduit que « compte tenu de cette opposition ferme et sans appel, il est manifeste que la résolution amiable du litige était impossible. Dès lors, [le demandeur] justifie d’un motif légitime pour s’exonérer de la tentative de résolution amiable mentionnée à l’article 750-1 du code de procédure civile ».
Si l’on admet cette interprétation (qui nous semble être de bon sens : « MARD sur MARD ne vaut !), l’analyse de la Cour de cassation n’est pas déjà seulement de l’histoire du droit.
Que nous dit-elle ?
Si un plaideur a expressément indiqué avoir envoyé un courrier à l’autre partie en vue d’un accord pour mettre un terme au litige, les juges devront, même sous l’empire du droit en vigueur depuis le 1er janvier 2020, apprécier si cet élément permet de justifier de démarches en vue de parvenir à une résolution amiable du litige… Même pour le droit de 2016, l’arrêt ne dit pas que le courrier mentionné par le demandeur « est une démarche » ou « n’est pas une démarche » en vue de parvenir à un accord. En revanche, les juges ne peuvent l’écarter d’un revers de main et doivent l’analyser concrètement, l’examiner pour vérifier si le demandeur justifie de démarches en vue de parvenir à une résolution amiable du litige… tâche qui prend évidemment du temps, que l’« on » espérait économiser en instituant des obstacles à la saisine du juge.
Notons encore
Il faut donc une nouvelle fois (C. Bléry, Loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice : aspects numériques, D. 2019. 1069 , Modalités d’accréditation des organismes certificateurs des services de MARD en ligne : un système complexe, Dalloz actualité, 13 janv. 2021) constater que le développement des modes amiables des différends, bien qu’à la mode, est un cache-misère de la pauvreté des moyens de la justice traditionnelle et qu’« en outre, il est loin d’être la panacée. D’une part, parce qu’on ne fait pas s’entendre des personnes qui ne le souhaitent pas, d’autre part, parce qu’il est source lui-même de contentieux ! »…
En se bornant à relever l’absence de justification d’une tentative préalable de conciliation, sans examiner si le demandeur, qui avait mentionné, dans sa déclaration au greffe, au titre des démarches entreprises afin de parvenir à une résolution amiable du litige, avoir envoyé un courrier à l’autre partie en vue d’un accord, justifiait de démarches en vue de parvenir à une résolution amiable du litige, le tribunal d’instance n’a pas donné de base légale à sa décision.
Dans un avis du 28 avril 2021 rendu dans le cadre du « printemps de l’évaluation » mené par la commission des finances de l’Assemblée nationale, la Défenseure des droits s’est penchée sur la question des moyens consacrés par les préfectures à l’instruction des demandes de titres de séjour : module de prise de rendez-vous en ligne et plateforme dématérialisée pour accomplir les démarches administratives.
Les zones franches urbaines et les zones de revitalisation rurale n’ont pas fait la preuve de leur efficacité. Pour autant, leur suppression paraît difficile, constate un rapport.
Trois ordonnances rendues par le juge des référés du Conseil d’État le 6 mai 2021 offrent deux illustrations du principe de précaution et de son contrôle face à deux libertés en cause.
Après l’abrogation de plusieurs textes du code de la santé publique en juin 2020, le législateur a pu élaborer en décembre dernier une nouvelle mouture des dispositions autour de l’isolement et de la contention en matière de soins psychiatriques sans consentement (L. n° 2020-1576, 14 déc. 2020, de financement de la sécurité sociale pour 2021, Dalloz actualité, 12 janv. 2021, obs. C. Hélaine). Le décret d’application n’était pas encore sorti et de nombreux juges des libertés et de la détention (JLD) s’en inquiétaient notamment pour connaître les modalités pratiques des contrôles et des communications que les nouveaux textes imposent en matière d’hospitalisation sous contrainte. Le contexte reste trouble : nous avons commenté dans ces colonnes il y a quelques semaines la transmission par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité sur ces nouvelles dispositions (Civ. 1re, QPC, 1er avr. 2021, n° 21-40.001, Dalloz actualité, 15 avr. 2021, obs. C. Hélaine). Mais la transmission au Conseil constitutionnel ne devait pas empêcher pour autant la publication du décret sur ces dispositions importantes pour les établissements de santé. Si l’incertitude règne pour l’heure sur le devenir des nouveaux textes, il faut donc se réjouir de connaître les modalités pratiques de la réforme partielle entreprise. Ne restera plus qu’à attendre la publication prochaine des instructions de la Direction générale des offres de soins (DGOS) pour que les praticiens de santé puissent s’adapter à ces nouvelles exigences légales dans le cadre des soins qu’ils prodiguent en matière d’hospitalisation sans consentement. Les textes nécessitent, en effet, une parfaite communication entre les équipes médicales et de direction des établissements de santé et le greffe du JLD pour garantir l’équilibre d’une procédure que l’on sait complexe.
Deux séries d’observations seront faites à propos de ce décret publié le 2 mai 2021 notamment sur les modalités d’information du JLD et sur le déroulement de la procédure.
Modalités d’information du JLD
On se rappelle que la clé de voûte du mécanisme issu de l’article 84 de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 repose sur des conditions de seuils permettant de déclencher l’information du JLD dans le cadre de soins comprenant de l’isolement et de la contention. Auparavant, une incertitude régnait sur la durée de ces soins qui devaient être, certes, d’une durée limitée, mais sans plus de précision. C’est à partir de cette formule jugée ambiguë que le Conseil constitutionnel avait abrogé les dispositions relatives à l’isolement et à la contention.
Rappelons, à ce titre, brièvement que les seuils issus de la réforme de 2020 diffèrent selon la mesure envisagée aux alinéas 1 et 2 de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique :
en ce qui concerne l’isolement, la mesure peut être répétée jusqu’à atteindre quarante-huit heures au maximum quand l’état de santé du patient le nécessite ;en ce qui concerne la contention, la mesure ne peut intervenir que pour une durée plus courte, six heures renouvelable jusqu’à atteindre vingt-quatre heures.
Le décret n° 2021-537 vient donc ajouter au sein du chapitre Ier du titre Ier du livre II de la troisième partie du code de la santé publique une section 4 comprenant une sous-section 1 sur les obligations d’information pesant sur les établissements de santé accueillant des patients hospitalisés sous contrainte.
L’article R. 3211-31-I prévoit ainsi que l’information à destination du JLD se fait « par tout moyen permettant de dater sa réception ». La difficulté repose sur la masse de travail que cette information supplémentaire peut représenter pour les médecins et les établissements hospitaliers. Mais, en tout état de cause, il s’agit de la seule option viable pour pouvoir informer le JLD dans les meilleurs délais : qui de mieux placé que le médecin ayant choisi l’isolement et la contention pourrait faire ceci ? La souplesse du décret repose sur l’expression « par tout moyen » qui devrait éviter de trop surcharger les établissements concernés par les soins psychiatriques sans consentement. La seule limite consiste à simplement à pouvoir dater avec certitude l’information du JLD par le médecin.
Le décret d’application rappelle que l’information du JLD se fait à chaque renouvellement à titre exceptionnel de l’isolement ou de la contention dans « un délai inférieur à quarante-huit heures à compter de la fin de la mesure précédente ». La computation des renouvellements exceptionnels invite ainsi à éviter que le JLD soit informé que de la mesure initiale dépassant les seuils évoqués : un retour de l’information est exigé à chaque fois que ces renouvellements atteignent à nouveau les délais légaux. Ceci permet de garantir le contrôle éventuel du juge sur ces mesures particulières que ce soit dès leur renouvellement originel ou lors d’un renouvellement secondaire. Plus encore, l’information doit également être délivrée lorsqu’en quinze jours, l’un des paliers est atteint par des mesures d’isolement ou de contention de courte durée mais qui ont été prises en série. Le but reste ici de ne pas faire échapper l’information du JLD au sujet de mesures sérielles même si elles ne sont que de courtes durées.
Le contrôle juridictionnel n’étant qu’éventuel (L. Mauger-Vielpau, Soins psychiatriques sans consentement : une nouvelle loi déjà controversée sur la contention et l’isolement, Dr. fam., n° 3, mars 2021, comm. 45), il reste à voir comment le JLD est saisi de la mainlevée d’une mesure.
Procédure applicable devant le JLD
Le décret n° 2021-537 vient également ajouter au sein du chapitre Ier du titre Ier du livre II de la troisième partie du code de la santé publique dans la section 4 une sous-section 2 sur la procédure judiciaire devant le JLD.
L’article R. 3211-32 du code de la santé publique prévoit diverses généralités bien connues mais toujours utiles à rappeler. À l’instar de la mesure d’hospitalisation sans consentement qui leur sert de support, les procédures judiciaires liées aux mesures d’isolement et de contention dépendent du code de procédure civile. D’apparence ultra spéciale, la procédure liée aux mesures d’hospitalisation sans consentement reste dépendante du droit commun de l’instance, sauf exceptions décrites dans le code de la santé publique. La compétence est celle du JLD du ressort dans lequel est situé l’établissement d’accueil du majeur hospitalisé sous contrainte.
En ce qui concerne l’accès au juge, le décret prévoit pour l’intéressé une possibilité de saisir le JLD par requête. Bien évidemment, les circonstances imposent de préciser comment la requête sera déposée puisque, par définition, le majeur est à l’isolement ou empêché de se déplacer par la contention. La requête est recueillie par le secrétariat d’accueil de l’établissement qui l’horodate avec éventuellement la signature du patient. Si tout écrit est impossible (notamment en raison de la contention ordonnée par le psychiatre), le décret permet au directeur de l’établissement de recueillir une déclaration verbale qui devra être consignée sous la forme d’un procès-verbal remplaçant la requête. L’entourage du majeur peut également demander à ce que le JLD soit saisi d’un contrôle de la mesure, comme nous l’avions déjà étudié dans le commentaire de la loi de 2020. Tout l’intérêt des informations au JLD décrites précédemment trouve un écho dans la possibilité qu’a le juge de se saisir d’office, par le biais de l’article R. 3211-37 du code de la santé publique, par application du troisième alinéa du II de l’article L. 3222-5-1 ou du dernier alinéa du I de l’article L. 3211-12.
L’article R. 3211-34 du code de la santé publique prévoit que la requête ou le procès-verbal de demande d’audition sont transmis au greffe du tribunal compétent dans un délai très court, dix heures avec la même possibilité de communication que dans le cadre des informations décrites précédemment, c’est-à-dire « par tout moyen permettant de dater sa réception ». On connaît l’importance de ces délais qui sont contrôlés de manière stricte par la Cour de cassation (Civ. 1re, 8 juill. 2020, n° 19-18.839, Dalloz actualité, 4 sept. 2020, obs. C. Hélaine ; D. 2020. 1465 ).
Le juge dispose alors d’un large panel d’éléments probatoires susceptibles de mieux comprendre la situation dans l’article R. 3211-38 du code de la santé publique : il peut, par exemple, désigner un autre médecin psychiatre pour solliciter son opinion sur la pertinence de la mesure d’isolement ou de contention. Les JLD le savent bien également : ils peuvent se déplacer sur place pour constater l’intérêt de la mesure afin de forger leur opinion. Le décret rappelle cette possibilité plus fréquente hier qu’aujourd’hui.
En ce qui concerne la décision et les voies de recours, on retrouve la rapidité qui est impulsée à toute l’hospitalisation sous contrainte. Le JLD doit rendre sa décision dans les vingt-quatre heures à compter de l’enregistrement de la requête au greffe. Si le JLD n’a pas pu statuer, l’article R. 3211-39 du code de la santé publique prévoit la fin de la mesure d’isolement ou de contention automatiquement ; ce qui incite d’autant plus à une certaine rapidité notamment quand les mesures sont justifiées par le danger que peut représenter le patient pour lui-même ou pour l’équipe médicale.
Quid de la tenue d’une audience ? L’article L. 3211-12-1, I, issu de la loi du 14 décembre 2020 dispense, par exception au principe, de la tenue d’une audience : il s’agit alors d’une procédure purement et simplement écrite. Le JLD peut toutefois décider de recourir à une procédure avec audience. On notera plusieurs dispositions du décret concernant l’audition effective du majeur hospitalisé avec la possibilité de recourir aux moyens de télécommunications (par exemple, une visioconférence) même si l’on sait que beaucoup d’établissements hospitaliers ne disposent pas de l’équipement nécessaire.
Non sans un certain parallélisme, le délai de vingt-quatre heures est également utilisé pour faire courir la possibilité d’interjeter appel. Le majeur tout comme le ministère public disposent de vingt-quatre heures à compter de la notification de l’ordonnance. Mission dédiée au premier président de la cour d’appel compétente, l’examen de la voie de recours se fera également dans le délai très rapide de vingt-quatre heures à compter de sa saisine.
En somme, le décret d’application joue avec des durées d’une rapidité extrême puisque l’isolement et la contention sont désormais limités à des bornes temporelles très strictes. La réponse judiciaire doit alors être rapide et efficace. Si elle n’agit pas à temps, le décret prévoit la fin pure et simple de la mesure. L’équilibre fragile garanti par la loi de 2020 implique d’être particulièrement vigilant à la décision QPC qui sera rendue prochainement par le Conseil constitutionnel pour savoir le devenir de ces règles. Degré supplémentaire de privation de liberté, l’isolement ou la contention nécessitent une attention de tous les instants non seulement pour les médecins mais aussi pour le juge. Reste à savoir comment ces textes seront reçus par les principaux intéressés.
Le décret n° 2021-537 du 30 avril 2021 vient préciser les modalités d’application des dispositions issues de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 liées à l’isolement et à la contention dans le cadre d’une hospitalisation sous contrainte.
Le juge administratif doit, à tous les stades de la procédure concernant un dommage corporel, mettre en cause la caisse d’assurance maladie. Mais si celle-ci a omis de produire devant le tribunal administratif, elle ne pourra réclamer en appel que le remboursement des sommes exposées après le jugement de première instance.
Aux termes de l’ancien article 1964 du code civil, le contrat aléatoire est une convention réciproque dont les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l’une ou plusieurs d’entre elles, dépendent d’un événement incertain. Tel est le cas du contrat d’assurance.
En matière de transport aérien de passagers, l’essentiel du contentieux porte – et de très loin – sur des demandes d’indemnisation en cas d’annulation ou de retard important de vol. Peu fréquentes – et c’est heureux – sont les décisions rendues en matière d’accident aérien, qu’il concerne l’aviation de loisir (pour une illustration récente, v. Civ. 1re, 8 avr. 2021, n°[ESPACE19-21.842, Dalloz actualité, 6 mai 2021, obs. X. Delpech ; D. 2021. 741 ) ou de ligne. Dans cette dernière hypothèse, l’accident est susceptible d’entraîner plusieurs dizaines, voire centaines de morts. On parle alors volontiers de catastrophe aérienne. C’est ce dont il est d’ailleurs question dans l’arrêt commenté. Les enjeux sont alors souvent considérables. Les responsabilités ne sont jamais faciles à déterminer ; souvent, tant la compagnie aérienne que le constructeur de l’aéronef ont quelque chose à se reprocher. Il est alors de bonne politique, pour les ayants droit des victimes, d’exercer une action en indemnisation à la fois contre le constructeur de l’aéronef et contre la compagnie aérienne.
Dans l’affaire ici jugée, le 28 décembre 2014, un avion, parti d’Indonésie à destination de Singapour, s’est abîmé en mer. Tous les passagers et membres de l’équipage ont malheureusement péri. Le 4 juillet 2016, divers ayants droit des victimes ont alors engagé une action en responsabilité civile à la fois contre la compagnie aérienne (une société indonésienne), le propriétaire de l’avion (une société allemande), le constructeur (une société française) et son fournisseur (une autre société française ; qui semble être un sous-traitant du constructeur auquel il est reproché d’avoir livré une pièce défectueuse), devant le tribunal de grande instance d’Angers, lieu du siège social de cette dernière société. On peut comprendre que les demandeurs, de nationalité française, ont préféré saisir une juridiction française pour obtenir la mise en cause de tous ces acteurs, d’abord par commodité, mais aussi parce que celles-ci sont probablement plus généreuses que les juridictions indonésiennes. Par ailleurs, le fournisseur a formé un recours en garantie contre la compagnie aérienne, également devant le tribunal de grande instance d’Angers. De leur côté, la compagnie aérienne, le fournisseur et le constructeur ont saisi le juge de la mise en état d’une exception d’incompétence au profit des juridictions indonésiennes.
Malheureusement pour eux, ils n’obtiennent – sur le seul terrain de la procédure – que partiellement gain de cause : la cour d’appel d’Angers déclare, en effet, le tribunal de grande instance d’Angers incompétent pour connaître de leurs demandes à l’encontre de la compagnie aérienne et énonce que l’affaire les opposant à celle-ci devra faire l’objet d’une disjonction d’instance, ainsi que le prévoit l’article 367, alinéa 2, du code de procédure civile. Dans leur pourvoi, les ayants droit ont contesté cette disjonction, estimant qu’en cas de pluralité de défendeurs, le demandeur a le choix de saisir la juridiction du lieu où demeure l’un d’entre eux. Cette prorogation de compétence a vocation à s’appliquer dans l’ordre international dès lors que les demandes dirigées contre les différents défendeurs sont connexes. Ils ajoutent qu’un accident d’aéronef est un fait unique rendant indivisibles ou, à tout le moins connexes, les demandes présentées à l’encontre des constructeurs et transporteur et justifiant à ce titre, l’application de la prorogation de compétence. En refusant de reconnaître la compétence de la juridiction française pour statuer sur la responsabilité de la compagnie indonésienne, la cour d’appel aurait violé l’article 42, alinéa 2, du code de procédure civile, qui prévoit qu’en cas de pluralité de défendeurs, le demandeur saisit, à son choix, la juridiction du lieu où demeure l’un d’eux (ici le fournisseur). Il est vrai qu’il a déjà été jugé qu’une telle action en indemnisation peut valablement être intentée à la fois contre le constructeur et le transporteur devant le tribunal du siège du premier car la Cour de cassation a estimé que ces demandes ont entre elles un lien de connexité (Civ. 1re, 26 juin 2019, n° 18-12.541, Dalloz actualité, 26 sept. 2019, obs. X. Delpech).
Devant quelle juridiction et sur quel fondement la compagnie aérienne doit-elle être attraite ? Tout d’abord, les ayants droit des victimes se sont prévalues des règles de compétence issues du règlement (UE) n° 1215/2015 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Bruxelles 1 bis, et du principe de bonne administration de la justice résultant de ce règlement. En effet, selon eux, ce principe risquerait d’être bafoué s’il y a une incompatibilité entre la décision rendue par une juridiction française retenant la responsabilité du transporteur aérien sur l’appel en garantie exercé contre lui par le fournisseur, constructeur de la pièce défectueuse, et celle – qui serait rendue par une juridiction indonésienne, qui serait alors compétente – écartant toute responsabilité de ce même transporteur sur l’action directement intentée par les ayant-droits des victimes. L’argument est séduisant, mais la Cour de cassation le rejette logiquement, à la suite de la cour d’appel d’Angers, estimant que, dans la mesure où le transporteur aérien étant une société domiciliée dans un État tiers à l’Union européenne, la cour d’appel en a justement déduit que cette société ne pouvait être attraite en France sur la base de l’un des chefs de compétence dérivée du règlement Bruxelles 1 bis. Cette solution se recommande de l’article 6, § 1er, de ce règlement qui énonce que, « [si] le défendeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État membre ».
Les règles de compétence pour connaître d’une action en responsabilité contre le transporteur aérien sont en principe déterminées par les conventions internationales en matière de transport aérien. D’ailleurs, l’article 71 du règlement précité énonce que « [le] présent règlement n’affecte pas les conventions auxquelles les États membres [dont la France] sont parties et qui, dans des matières particulières, règlent la compétence judiciaire, la reconnaissance ou l’exécution des décisions ». On serait donc tenté de prime abord de solliciter la Convention de Montréal du 28 mai 1999 pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international. Pourtant, elle doit être en l’occurrence écartée, car, pour qu’elle s’applique, il faut en principe que le point de départ et le point (prévu) de destination soient deux parties à la Convention (art. 1er, al. 2). Or, à la date de l’accident, l’Indonésie, État du point de départ du vol, n’en était pas encore partie. C’est donc la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929, dont l’objet est le même que celle de Montréal, qui est applicable. Son article 28 pose les règles de compétence territoriale dans le cadre d’une action en responsabilité contre le transporteur aérien en cas de transport international. Selon le premier alinéa de cet article, « [l]’action en responsabilité est portée, au choix du demandeur, dans le territoire d’une des hautes parties contractantes, soit devant le tribunal du domicile du transporteur, du siège principal de son exploitation ou du lieu où il possède un établissement par le soin duquel le contrat a été conclu, soit devant le tribunal du lieu de destination ».
Ce texte ne permet en aucun cas d’attraire le transporteur aérien devant une juridiction française. Que l’on retienne l’un ou l’autre des deux chefs de compétence prévus par celui-ci, le transporteur aérien ne pouvait être poursuivi que devant une juridiction indonésienne. La Cour de cassation ajoute que l’article 28, alinéa 1er, de la Convention de Varsovie « édicte une règle de compétence directe ayant un caractère impératif et exclusif, de sorte qu’elle fait obstacle à ce qu’il y soit dérogé par application des règles internes de compétence, et notamment celle de l’article 42, alinéa 2, du code de procédure civile ». La solution n’est pas nouvelle (v. déjà Civ. 1re, 11 juill. 2006, n° 04-18.644 P, D. 2006. 2055, obs. X. Delpech ; RTD com. 2006. 703, obs. P. Delebecque ; JCP 2006. Actu. 373 ; 12 nov. 2009, n° 08-15.269, Rev. crit. DIP 2010. 372, note H. Muir Watt ; RTD com. 2010. 456, obs. P. Delebecque ; JCP E 2010, n° 1789, note F. Letacq). Cette règle de compétence directe signifie que le juge français saisi, amené, au préalable, à s’interroger sur sa propre compétence, est tenu d’appliquer cet article 28 pour apprécier cette compétence, à l’exception de toute autre règle de conflit de juridictions, en particulier la règle française de compétence territoriale.
Qu’en est-il enfin des règles de compétence territoriale s’agissant de l’appel en garantie du fournisseur contre le transporteur ? La cour d’appel a jugé que le tribunal de grande instance d’Angers était compétent à l’égard des demandes en garantie formées par le fournisseur à l’encontre du transporteur. Ce que confirme la Cour de cassation dans sa réponse, qui mérite d’être intégralement reproduite : « L’arrêt retient exactement, d’une part, que la Convention de Varsovie ne s’applique qu’aux parties liées par le contrat de transport et que, par conséquent, l’appel en garantie du constructeur d’aéronefs ou de son sous-traitant, qui n’exerce pas une action subrogatoire mais une action personnelle, contre le transporteur, ne relève pas du champ d’application de cette Convention et, partant, échappe aux règles de compétence juridictionnelle posées en son article 28, d’autre part, que, conformément à l’article 333 du code de procédure civile, applicable dans l’ordre international en l’absence d’une clause attributive de compétence, le transporteur ne peut décliner la compétence de la juridiction française saisie dans ses rapports avec l’appelant en garantie ».
La solution ne saurait surprendre. La Cour de cassation a, en effet, déjà jugé que l’appel en garantie du constructeur d’aéronefs contre le transporteur aérien ne relève pas du champ d’application de la Convention de Varsovie et, partant, échappe aux règles de compétence juridictionnelle posées en son article 28 (Civ. 1re, 4 mars 2015, n° 13-17.392 P, Dalloz actualité, 6 mars 2015, obs. X. Delpech ; D. 2015. 622, obs. X. Delpech ; ibid. 1294, obs. H. Kenfack ; JCP 2015, n° 601, note O. Cachard). C’est dire que la détermination de cette compétence relève des règles françaises, en l’occurrence de la règle de prorogation légale de compétence posée par l’article 333 du code de procédure civile sur l’intervention forcée, dont la Cour de cassation a déjà eu l’occasion d’affirmer que, sauf en présence d’une clause attributive de compétence ou d’une clause compromissoire, il est applicable dans l’ordre international (Civ. 1re, 12 mai 2004, n° 01-13.903, Bull. civ. I, n° 129 ; D. 2004. 1562, et les obs. ; RTD civ. 2004. 553, obs. R. Perrot ). Ainsi, la Convention de Varsovie (et aujourd’hui celle de Montréal) n’est applicable que dans les relations entre le passager et le transporteur aérien. L’arrêt commenté ne surprend donc pas mais réitère opportunément, en les motivant davantage, des solutions complexes qui méritent d’être mieux connues.
L’article 28, alinéa 1er, de la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929 relatif à la compétence territoriale en matière d’action en responsabilité contre le transporteur aérien international édicte une règle de compétence directe ayant un caractère impératif et exclusif.
L’article 28, alinéa 1er, de la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929 relatif à la compétence territoriale en matière d’action en responsabilité contre le transporteur aérien international édicte une règle de compétence directe ayant un caractère impératif et exclusif.
Le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution le 7° de l’article L. 212-9 du code du sport.
Entre les termes « garantit » et « préserve », les sénateurs ont opté pour une révision constitutionnelle aux effets maîtrisés.
La convention d’assistance bénévole ne cesse de fasciner les spécialistes du droit des contrats hier comme aujourd’hui (R. Bout, La convention dite d’assistance, in Mélanges en l’honneur de Pierre Kayser, Aix-en-Provence, PUAM, 1971, p. 157 s. ; A. Sériaux, L’œuvre prétorienne in vivo l’exemple de la convention d’assistance, in Mélanges en l’honneur de Michel Cabrillac, 1999, Litec, p. 299 s. ; T. Génicon, Variations sur la réalité du consentement : la convention d’assistance bénévole, RDC 2014. 16). Véritable contrat pour les uns, gestion d’affaire pour les autres, l’assistance demeure énigmatique en droit positif tant l’hésitation reste permise. L’une des principales interrogations récurrentes demeure la rencontre de cette figure avec la question de la responsabilité de l’assisté lorsque l’un des assistants subit un dommage. En somme, laquelle des responsabilités contractuelle ou délictuelle doit s’appliquer en pareille situation ? En d’autres termes encore, ceci se résume à savoir si l’assistance bénévole doit s’analyser véritablement en un contrat. L’arrêt rendu par la première chambre civile le 5 mai 2021 explore cette discussion dans un arrêt original par la rareté de la figure de l’assistance bénévole en jurisprudence.
Plusieurs personnes aident bénévolement une autre personne à trier des affaires au domicile de ce dernier. Lors du rangement, un des participants à l’opération jette un carton de 30 kilogrammes du haut de la fenêtre du deuxième étage. Le problème est le suivant : un autre assistant se trouvait juste en dessous. Il est grièvement blessé par le choc du carton très lourd et projeté à une certaine vitesse. L’assureur de la personne assistée accorde une provision à la victime avant de se retourner contre celui qui a projeté le carton. La cour d’appel de Nancy qualifie la situation entre la victime et la personne ayant bénéficié de l’aide de convention d’assistance bénévole. Elle acte ainsi un partage de responsabilité dans la réalisation du dommage : 70 % pour le donneur de l’ordre (le bénéficiaire du contrat d’assistance bénévole) et 30 % pour celui qui a jeté le carton effectivement du haut de la fenêtre. Selon les juges du fond, le premier avait manqué à un certain devoir de sécurité puisqu’il n’avait pas donné de consignes précises pour jeter les cartons du haut de la fenêtre tandis que le second a bien commis une faute délictuelle en ne faisant pas attention si des personnes se trouvaient en dessous de cette fenêtre. C’est dans ce contexte que l’assureur de la personne assistée se pourvoit en cassation.
La Cour de cassation rejette le pourvoi qui présentait une argumentation intéressante, à savoir que la faute délictuelle devait empêcher de mettre en cause la responsabilité contractuelle de l’assisté. En refusant une telle lecture, la Haute juridiction confirme la vigueur de la qualification de la convention d’assistance bénévole tout en validant une répartition de la responsabilité délicate à gérer pour l’assureur se retournant après avoir indemnisé la victime.
La vigueur de la qualification de convention d’assistance
Aucune disqualification de la figure de la convention d’assistance n’apparaît dans cet arrêt. Le raisonnement des juges du fond dans la qualification est purement et simplement insusceptible d’ouverture à cassation pour violation de la loi. Certes, le rattachement à la figure contractuelle peut paraître artificiel mais il n’est pas ici discuté (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, 2e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, p. 103, n° 88). Dans un article resté célèbre, Roger Bout avait proposé une approche quasi-contractuelle de la question à travers la gestion d’affaires (R. Bout, La convention dite d’assistance, préc.). Mais cette proposition n’a pas emporté la conviction de la Haute juridiction qui n’a jamais véritablement changé de position à ce sujet.
Sur ce point, il faut noter que la vigueur de la qualification, aussi discutable soit-elle, aboutit nécessairement à pouvoir prendre en compte une responsabilité contractuelle de l’assisté. Il aurait fallu que ce dernier prouve avoir donné des consignes strictes de sécurité pour y échapper. Or, les juges fond ont simplement relevé que celui qui a lancé le carton avait crié « Attention » au moment de projeter l’objet à travers la fenêtre. Mais du côté de l’organisateur du rangement ayant profité de l’assistance bénévole, aucune preuve d’une quelconque consigne de sécurité ou, du moins, d’ordres susceptibles d’éviter ce genre d’accidents n’avait été produite. C’est une bien délicate preuve à rapporter puisque les consignes dans ce genre d’évènements sont bien souvent verbales d’autant plus dans le cadre d’une assistance bénévole. Dans un courrier postérieur à l’accident, la personne assistée avait reconnu avoir donné l’ordre de jeter les cartons du haut de la fenêtre ; ce qui a facilité encore plus la reconnaissance de sa responsabilité contractuelle sans qu’il rapporte corrélativement des consignes de sécurité données au moment du rangement.
La difficulté d’une telle qualification repose sur une conséquence directe dans l’affaire étudiée, un partage de responsabilité reposant sur des fondements juridiques différents.
L’originalité du partage de responsabilité
La lecture de l’arrêt de la Cour d’appel de Nancy frappé de pourvoi est très instructive. On peut y lire notamment que « la convention d’assistance bénévole emporte nécessairement l’obligation pour l’assisté de garantir l’assistant de la responsabilité par lui encourue, sans faute de sa part, à l’égard de la victime d’un accident éventuel, que cette victime soit ou non un assistant. […] Il résulte de ces éléments que si M. B. a commis une faute en jetant un carton de trente kilogrammes sans s’assurer préalablement qu’il pouvait le faire sans danger pour les personnes, parmi lesquelles M. V., qui se trouvaient au rez-de-chaussée, M. P. a lui-même, en tant qu’assisté et organisateur des travaux entrepris dans son intérêt, commis une faute en donnant à M. B. un ordre dont les conséquences pouvaient être dangereuses pour les personnes, et sans l’accompagner d’une quelconque consigne de sécurité. » (nous soulignons).
Tout ceci devait donc aboutir à un partage de responsabilité dont le fondement juridique devait différer nécessairement. Celui qui a lancé le carton engage sa responsabilité délictuelle envers la victime puisqu’il n’existe aucun contrat entre ces deux personnes ayant aidé bénévolement l’assisté. Mais dans les rapports entre ce dernier et la victime, la convention d’assistance impose – non-cumul ou plutôt plus exactement non-option oblige – le recours à la responsabilité contractuelle. En plus d’une qualification délicate à justifier sous l’angle du contrat d’assistance bénévole, la faute repose sur un forçage du contrat puisqu’il s’agit de la violation d’un devoir de sécurité. Le raisonnement du demandeur au pourvoi reposait sur la faute délictuelle de celui qui a projeté le carton qui devait, selon lui, éluder la responsabilité contractuelle de l’assisté qu’il assurait.
La Cour de cassation refuse une telle lecture. C’est un triomphe d’une prise en compte individualisée des rapports d’obligation entre les différents acteurs de cet accident fort malheureux. Puisque sans la convention d’assistance le dommage ne serait pas né, la cour d’appel avait considéré que la faute de l’assisté avait été à l’origine de 70 % de la réalisation du dommage en ce qu’un défaut de sécurité transparaissait tandis que la faute délictuelle de celui projetant le carton n’y avait concouru qu’à hauteur de 30 %. Il reste possible de critiquer une telle lecture de la situation qui fait une part-belle au forçage du contrat et qui fait reposer une grande partie du partage de responsabilité sur la personne ayant été assistée. Mais il faut bien avouer que cette solution reste parfaitement logique à la suite de la qualification contractuelle de l’assistance bénévole ou du moins inévitable en tout état de cause. Il ne resterait plus qu’à, peut-être, envisager une qualification en dehors de la sphère contractuelle. Mais, dans le contexte d’une qualification prétorienne, seule la Cour de cassation peut gérer sa propre création ; à moins de la codifier prochainement.
Après avoir confirmé la possibilité de qualifier une situation en convention d’assistance bénévole, la Cour de cassation valide le raisonnement ayant conduit à un partage de responsabilité sur des fondements juridiques différents entre responsabilité contractuelle de l’assisté et responsabilité délictuelle d’un des assistants envers la victime.
Ce dossier pose une question très intéressante située au carrefour du droit des pratiques restrictives de concurrence et de la procédure civile. La particularité du droit des pratiques restrictives de concurrence a justifié que le contentieux soit confié à un nombre limité de juridictions de première instance et, en appel, à la cour d’appel de Paris aux termes de l’article D. 442-3 du code de commerce renvoyant à son annexe 4.2.2. Si cette exclusivité de compétence, d’ordre public, ne pose guère de difficulté lorsque le litige porte principalement sur une pratique restrictive de concurrence, la question de savoir quelle est l’incidence d’une demande subsidiairement fondée sur l’une de ces pratiques se pose avec une particulière acuité.
En l’espèce, la société MHCS, une société qui fabrique et commercialise des champagnes, a choisi de diffuser ses produits par l’intermédiaire de Mme de B. dès 1990. En 2014, la société décide de résilier le contrat pour faute grave. Mme de B. saisit alors le tribunal de commerce de Marseille en formulant diverses demandes.
Au principal, et dans l’hypothèse où, comme elle le soutient, le contrat est qualifié d’agence commerciale, elle réclame le paiement de commissions, d’une indemnité de clientèle et d’une indemnité de préavis en application du droit commun des contrats et des articles L. 134-1 et suivants du code de commerce.
Au subsidiaire, dans l’hypothèse où la juridiction ne retiendrait pas la qualification souhaitée, elle sollicite des dommages-intérêts pour rupture brutale d’une relation commerciale établie sur le fondement de l’ancien article L. 442-6, I, 5e (devenu l’art. L. 442-1 c. com.). Souvenons-nous effectivement que cette disposition n’a pas vocation à s’appliquer à l’agence commerciale (v. par ex., Com. 18 oct. 2017, n° 15-19.531). La juridiction accueille la demande principale en sorte que n’est pas statué sur la demande subsidiaire.
La société MHCS interjette alors appel devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Saisissant cette juridiction de l’entier litige en soutenant que la qualification d’agence commerciale doit être rejetée, elle formule parallèlement une exception d’incompétence au profit de la cour d’appel de Paris en application de l’article D. 442-3 du code de commerce dans la mesure où le débat subsidiaire porte sur la rupture brutale de la relation commerciale établie. Retenant la qualification d’agence commerciale, la cour d’appel déclare l’appel recevable et confirme le jugement de première instance condamnant la société au paiement des indemnités de clientèle et de préavis. Elle décide que la « recevabilité de l’appel n’aurait pu être examinée qu’une fois tranchée la nature du contrat liant la société MHCS à Mme de B. ».
Le pourvoi formé par la société pose la question de savoir si un moyen subsidiaire, non examiné en première instance mais à nouveau débattu dans le cadre d’un appel général, dont l’examen relève en principe de la compétence exclusive de la Cour d’appel de Paris en application de l’article D. 442-3 du code de commerce, peut être porté, et éventuellement examiné, devant une autre cour d’appel.
La chambre commerciale répond négativement : « la cour d’appel de Paris dispose exclusivement du pouvoir juridictionnel de statuer sur les décisions rendues par les juridictions spécialement désignées pour statuer sur l’article L. 442-6 du code de commerce, ce texte fût-il invoqué devant elle à titre subsidiaire ». En d’autres termes, quoique subordonnée au sort réservé à la demande principale, la demande présentée à titre subsidiaire, dès lors qu’elle est dévolue à la connaissance de la cour d’appel, doit pouvoir être examinée par la juridiction qui a reçu exclusivement compétence pour ce faire.
Les arguments au soutien de cette solution sont nombreux. D’abord, elle s’associe harmonieusement avec la jurisprudence récente. Dans un arrêt retentissant du 29 mars 2017, la chambre commerciale a opéré un revirement à la suite d’un important contentieux qui alourdissait inutilement les délais de traitement des dossiers. La question était quelque peu différente : quid de la juridiction d’appel compétente en cas de recours contre un jugement rendu par une juridiction incompétente en matière de pratiques restrictives de concurrence, c’est-à-dire non spécialement désignée pour en connaître. La Cour de cassation a décidé qu’il fallait opérer un distinguo : les appels formés contre les jugements rendus par les juridictions spécialement compétentes sont portés devant la cour d’appel de Paris alors que ceux formés contre les jugements rendus par une juridiction incompétente doivent être portés devant les autres cours d’appel géographiquement compétentes, à charge pour ces dernières de relever d’office l’excès de pouvoir commis par la juridiction inférieure incompétente (Com. 29 mars 2017, n° 15-17.659, 15-24.241 et 15-27.811, D. 2017. 756 ; ibid. 1075, chron. S. Tréard, F. Jollec, T. Gauthier, S. Barbot et A.-C. Le Bras ; ibid. 2018. 865, obs. D. Ferrier ; RTD civ. 2017. 722, obs. P. Théry ). La demande litigieuse formée devant les premiers juges est alors irrecevable sans que ne se trouve affectée la recevabilité de l’appel (Com. 23 janv. 2019, n° 17-23.271).
La décision commentée est fidèle à ce distinguo dans la mesure où la demande, fût-elle subsidiaire, avait été introduit devant une juridiction spécialement désignée pour en connaître, à savoir le tribunal de commerce de Marseille, et qu’elle devait en conséquence être portée à la seule connaissance de la cour d’appel de Paris. Aucune erreur procédurale liée à l’incompétence n’existait avant la saisine de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, même si le respect de l’article D. 442-3 du code de commerce, dans le cadre de la première instance, résulte sans doute d’un heureux hasard.
Cette solution garantit au demeurant la substance de l’effet dévolutif de l’appel dès lors que doit nécessairement être pris en considération l’ensemble des demandes formulées en première instance pour apprécier, en cas d’appel général, la compétence de la juridiction saisie. C’est ainsi que la Cour de cassation admet, a contrario, c’est-à-dire dans l’hypothèse où une demande fondée sur une pratique restrictive de concurrence est formulée pour la première fois devant une cour d’appel non compétente pour en connaître, que celle-ci puisse opérer une ventilation des demandes en ne statuant que sur celles relevant de sa compétence et déclarer le surplus irrecevable (Com. 7 oct. 2014, n° 13-21.086, D. 2014. 2329 , note F. Buy ; ibid. 2015. 943, obs. D. Ferrier ; AJCA 2015. 86, obs. M. Ponsard ; RTD civ. 2015. 381, obs. H. Barbier ; RTD com. 2015. 144, obs. B. Bouloc ).
En l’espèce, la demande n’est ni nouvelle, ni additionnelle. Subsidiaire, elle dépend du sort réservé à la demande principale. La cour d’appel d’Aix-en-Provence ne peut statuer sur sa compétence sans se prononcer sur la qualification de la relation unissant les parties retenue par les premiers juges. Même si, en première instance, la demande subsidiaire est devenue sans objet puisque la relation a été qualifiée d’agence commerciale justifiant l’accueil de la demande principale, l’appel a justement pour objet de porter l’entier litige à l’attention de la juridiction d’appel. Il est effectivement possible de considérer que les premiers juges ont au moins implicitement écarté l’application de l’article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce par suite de la qualification du contrat en agence commerciale. Ainsi, la cour d’appel qui n’a pas été spécialement désignée en matière de pratiques restrictives, n’est pas autorisée à procéder à l’examen de la demande principale et, en cas de rejet de cette demande, à relever une fin de non-recevoir affectant le moyen subsidiaire, la sanction doit être immédiatement prononcée. Les moyens, principal et secondaire, sont dépendants en sorte qu’une demande de disjonction n’aurait même pas pu être envisagée (sur ce point, v. Com. 24 sept. 2013, n° 12-21.089, D. 2013. 2269, obs. E. Chevrier ; ibid. 2812, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra ; ibid. 2014. 893, obs. D. Ferrier ).
Cet arrêt place néanmoins dans les mains des parties un pouvoir important sur le sort procédural d’un litige dans la mesure où le choix des demandes subsidiaires est susceptible d’avoir une incidence sur la compétence juridictionnelle, y compris lorsque celles-ci ne sont pas étudiées en première instance car devenues sans objet. Le déroulement de nombreux procès est ainsi susceptible d’être déstabilisé.
Une demande subsidiairement fondée sur une pratique restrictive de concurrence, portée devant une juridiction de première instance spécialement compétente, doit nécessairement être discutée, en cas d’appel général, devant la cour d’appel de Paris, y compris lorsque la demande principale avait été accueillie par les premiers juges.
Une demande subsidiairement fondée sur une pratique restrictive de concurrence, portée devant une juridiction de première instance spécialement compétente, doit nécessairement être discutée, en cas d’appel général, devant la cour d’appel de Paris, y compris lorsque la demande principale avait été accueillie par les premiers juges.
Le préfet de la Marne, en prescrivant l’obligation de porter le masque dans les agglomérations châlonnaises, en l’absence de circonstances locales spécifiques, a pris une décision disproportionnée.
Le préfet de la Marne, en prescrivant l’obligation de porter le masque dans les agglomérations châlonnaises, en l’absence de circonstances locales spécifiques, a pris une décision disproportionnée.
La bonne foi au sens de l’article 555 du code civil s’entend par référence à l’article 550 du même code et concerne celui qui possède comme propriétaire en vertu d’un titre translatif de propriété dont il ignore les vices.
La bonne foi au sens de l’article 555 du code civil s’entend par référence à l’article 550 du même code et concerne celui qui possède comme propriétaire en vertu d’un titre translatif de propriété dont il ignore les vices.
Un privilège ne peut être mis en œuvre s’il porte sur un bien commun exclu du droit de gage général du créancier. Pour n’avoir pas sollicité le consentement du conjoint de l’emprunteur et ainsi rendu le privilège du prêteur inefficace, un notaire a engagé sa responsabilité professionnelle.
Le juge des référés refuse la mise sous séquestre d’une peinture de Pissarro volée sous l’Occupation
Le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a rejeté la demande de mise sous séquestre d’une peinture de Camille Pissarro spoliée en France par les nazis à un collectionneur juif. Ses héritiers, en litige avec la Fondation de l’Université de l’Oklahoma, souhaitent en faire don au Musée d’Orsay.
Il résulte du principe fraus omnia corrumpit que la fraude commise par la caution dans la rédaction des mentions manuscrites légales, prescrites, à peine de nullité du cautionnement, par les dispositions du code de la consommation interdit à cette dernière de se prévaloir de ces dispositions.
Le présent jugement du tribunal judiciaire de Paris n’est autre que le prolongement de l’affaire Volkswagen (Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-15.756, Dalloz actualité, 12 déc. 2019, obs. C. Debourg ; ibid. 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ; RTD com. 2020. 297, obs. E. Loquin ) qui avait enrichi l’« interminable » débat relatif, en matière d’arbitrage, au devoir de révélation de l’arbitre et la fameuse « obligation de curiosité » (E. Loquin, obs. ss Civ. 1re, 15 juin 2017, n° 16-17.108, Dalloz actualité, 4 juill. 2017, obs. X. Delpech ; RTD com. 2017. 842 ) qui incombe, quant à elle, aux parties.
Concernant les faits, rappelons brièvement qu’en l’espèce, deux sociétés, l’une de droit émirati (Audi Volkswagen Middle East Fze [AVME]), l’autre de droit qatari (Saad Buzwair Automotive Co [SBA]), étaient entrées en relation commerciale pour que la première fournisse à la seconde des véhicules, selon les termes de deux accords conclus en 2007 qui contenaient des clauses compromissoires prévoyant l’organisation d’un arbitrage CCI, avec application du droit allemand au fond du litige. Plus tard, une lettre-avenant avait précisé que ces deux accords étaient conclus pour une durée indéterminée. En 2011, toutefois, AVME décide de ne pas renouveler ces deux conventions au-delà du 30 juin 2012.
En réaction, SBA introduit en février 2013 une procédure arbitrale contre AVME. Une sentence définitive est rendue le 16 mars 2016 et rejette les demandes d’indemnisation de la société SBA pour rupture abusive des relations commerciales et condamne celle-ci à supporter les frais d’arbitrage, ainsi que l’intégralité des frais et honoraires exposés par la société AVME. C’est cette sentence, rendue à Paris, qui a été annulée par le juge français (Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-15.756, préc.) sur le fondement de l’article 1520, 2°, du code de procédure civile, au motif que l’un des arbitres avait omis de mentionner, lors de sa nomination en qualité de coarbitre puis au cours de la procédure arbitrale, les liens unissant le cabinet d’avocats dont il était associé et le groupe dont fait partie la société AVME. Entre-temps, SBA avait adressé par acte extrajudiciaire, le 30 octobre 2018, une assignation à l’arbitre concerné par le défaut de révélation afin d’obtenir qu’il soit déclaré contractuellement responsable et condamné au paiement des différentes sommes engagées dans le cadre de l’arbitrage annulé. Le présent jugement en est la continuité avec l’orientation du débat, par l’arbitre concerné, sur le terrain de la compétence du juge français qu’il conteste. À l’évidence, l’apport principal de la décision est le surprenant raisonnement du tribunal judiciaire sur l’application du règlement (UE) 1215/2012 du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale dit Bruxelles I bis (ci-après RBI bis), à l’action en responsabilité contre l’arbitre.
En effet, dans une décision inégalement étayée, le tribunal judiciaire de Paris rejette les arguments de la société SBA qui soutenait la compétence du juge français et retient son incompétence pour connaître du présent litige. Elle renvoie en conséquence SBA à se pourvoir devant la juridiction allemande compétente, en vertu du RBI bis, dont elle fait ici application, après avoir déterminé qu’il s’appliquait bien à l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre. Cela invite donc à réfléchir à deux principales questions :
celle de l’applicabilité du RBI bis à une action en responsabilité dirigée contre un arbitre ;celle ensuite de la mise en œuvre de ce règlement et le choix du critère permettant l’identification de la juridiction européenne compétente pour connaître d’une telle action.
C’est dès lors l’examen détaillé des arguments soulevés et surtout retenus pour justifier une telle décision qui appellera aujourd’hui notre attention en traitant à la fois de l’applicabilité du RBI bis, mais également de son application à une action en responsabilité d’un arbitre dont le manquement à son devoir de révélation a entraîné l’annulation de la sentence à laquelle il a participé.
L’applicabilité du RBI bis à l’action en responsabilité dirigée contre un arbitre
Sur le terrain de l’applicabilité du RBI bis, le tribunal affirme que « le présent litige a pour objet, une action en responsabilité contractuelle de l’arbitre fondée sur des manquements de [l’arbitre] à ses obligations contractuelles découlant du contrat d’arbitre conclu avec [les parties]. Il s’ensuit que, ne portant pas sur la constitution du tribunal arbitral, la convention d’arbitrage, ou la sentence arbitrale, il n’entre pas dans le champ de l’exclusion posée par l’article 1, paragraphe 2, sous d), du règlement (UE) n° 1215/2012 et que, dès lors, le choix de la juridiction compétente pour connaître de la présente action doit être déterminé selon les règles énoncées par ce texte ».
Si le résultat ne surprend pas, plusieurs remarques s’imposent néanmoins au regard de la faible motivation du tribunal face à une question qui méritait à n’en point douter des développements plus ambitieux, tant elle chagrine la résolution satisfaisante de la difficile question de l’étendue de l’exclusion de l’arbitrage du RBI bis, mais également celle de la nature de l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre en raison d’un manquement à son devoir de révélation.
Le champ de l’exclusion posée par l’article 1, paragraphe 2, sous d), du RBI bis
Il paraît utile pour bien traiter cette question de revenir sur l’évolution de la relation entre l’arbitrage et le droit européen. Plus spécifiquement, le point qui nous intéresse ici est celui du domaine de l’exclusion de l’arbitrage du champ matériel du règlement Bruxelles I bis (v. not. sur le sujet H. Gaudemet-Tallon et M.-E. Ancel, Compétence et exécution des jugements en Europe, 6e éd., LGDJ, 2018, spéc. nos 48 s. ; S. Bollée, L’arbitrage et le nouveau règlement Bruxelles I, Rev. arb. 2013. 979 ; A. Nuyts, Exclusion de l’arbitrage, JT 2015. 90 ; G. Matray, L’arbitrage et le droit judiciaire européen : aspects pratiques, JDE 2014. 370). Historiquement, cette exclusion n’est pas récente puisque, dès l’adoption de la convention originaire de 1968 (v. not. Rapport Jenard sur la Convention du 27 sept. 1968, JOCE C 59, 5 mars 1979, p. 1), l’arbitrage était du nombre des matières expressément exclues. Cette exclusion fut ensuite maintenue à l’article 1, 2, d, dans les versions refondues du règlement, celle de 2001 (règlement [CE] n° 44/2001 du Conseil du 22 déc. 2000 ; ci-après RBI) et celle de 2012 (préc.). Toutefois, le domaine de cette exclusion a connu d’importantes variations dont nous rappellerons seulement les plus importantes, en nous appuyant notamment sur les deux affaires citées par le tribunal. Il y a tout d’abord la décision Marc Rich qui avait semblé conférer une portée large à l’exclusion de l’arbitrage (CJCE 25 juill. 1991, aff. C-190/89, Marc Rich, Rev. crit. DIP 1993. 316, note P. Mayer ; Rev. arb. 1991. 697, note D. Hascher) en précisant notamment que, « pour déterminer si un litige relève du champ d’application de la convention, seul l’objet de ce litige doit être pris en compte ». En conséquence, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) déduit que « l’exclusion s’étend à un litige pendant devant une juridiction étatique qui a pour objet la désignation d’un arbitre, même si ce litige soulève au préalable la question de l’existence ou de la validité d’une convention d’arbitrage ».
Dans la présente décision, les deux parties conviennent que l’objet du litige est bien l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre. Elles s’affrontent en revanche sur le point de savoir si cette action est véritablement en lien avec l’arbitrage. Pour l’arbitre, l’objet du litige est sans lien direct avec l’arbitrage, tandis que la société SBA défend l’idée que l’action en responsabilité contre l’arbitre est directement liée « à la contestation de la sentence » et a pour « origine la constitution irrégulière du tribunal arbitral ». L’arbitre relève néanmoins un point très intéressant en faisant valoir que l’appréciation du lien de la procédure avec l’arbitrage doit se faire au regard du critère suivant : la procédure concourt-elle ou affecte-t-elle l’arbitrage ? Sur la première partie de la question, il apparaît évident que l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre ne concoure pas à la réalisation de l’arbitrage, en ce sens qu’elle ne lui est point indispensable pour qu’il se réalise. En revanche, l’on peut encore se demander si cette décision n’est pas de nature à affecter l’arbitrage. En réalité, l’action en responsabilité dirigée semble plus affectée par l’arbitrage qu’elle ne l’affecte, si l’on considère qu’elle est avant tout une conséquence indirecte de l’annulation de celui-ci ; indirecte, car l’annulation de la sentence pour un manquement de l’arbitre à son devoir de révélation ne présume pas du traitement au fond de la question de la responsabilité de l’arbitre. L’inverse tendrait à confondre, notamment en matière délictuelle, le manquement de l’arbitre avec la faute qualifiée telle qu’elle est exigée pour engager la responsabilité de l’arbitre (v. not., sur ce point, P. Stoffel-Munck, La responsabilité de l’arbitre, Rev. arb. 2017. 1123 ; v. aussi le rapport du Club des Juristes sur la responsabilité de l’arbitre, juin 2017 ; v., pour un compte rendu, JCP 2017. Act. 951 ; TGI Paris, 22 mai 2017, Blow Pack, n° 14/14717, Rev. arb. 2017. 977, note J.-Y. Garaud et G. de Rancourt). Plus loin, l’arbitre fragilise un peu plus le lien entre l’action en responsabilité contre l’arbitre et l’arbitrage en relevant que cette action est nécessairement intentée a posteriori et non a priori comme cela est le cas pour une difficulté afférente à la constitution du tribunal. Ce critère temporel est assez efficace en ce qu’il marque la dépendance unilatérale de l’action en responsabilité vis-à-vis de l’arbitrage. Dans le cas d’espèce, justement, ce sont bien les conséquences financières découlant de l’annulation de l’arbitrage qui conditionnent l’action en responsabilité, sans que celle-ci rayonne en retour sur l’arbitrage. D’ailleurs, cela aurait pu concerner également les frais supplémentaires engagés en raison d’une récusation tardive, imputable à l’arbitre, sans que cela n’entraîne pour autant l’annulation de la sentence. Dans tous les cas de figure, l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre demeure sans effets sur l’existence et le déroulement de l’arbitrage ou même le contenu de la sentence arbitrale. Malheureusement, le tribunal passe à côté de cette discussion en précisant simplement que l’action en responsabilité à l’encontre de l’arbitre ne porte pas sur la « constitution du tribunal, la convention d’arbitrage, ou la sentence arbitrale », sans expliquer en quoi ladite action y échappe. En définitive, la question n’est pas tant celle de savoir si cette action est liée à l’arbitrage, mais comment elle y est liée. De ce point de vue, le critère des effets que la procédure visée projette sur l’arbitrage offre une grille de lecture intéressante pour trancher la question de son inclusion ou exclusion du champ du RBI bis. Le tribunal n’y a pas été aussi sensible.
Passant outre les points précédemment exposés, le tribunal préfère évoquer, dans le prolongement de l’affaire Marc Rich, une autre décision, également citée dans le jugement, qui a restreint l’étendue de l’éviction de l’arbitrage du domaine du règlement. Il s’agit évidemment de la célèbre affaire West Tankers (CJCE 10 févr. 2009, West Tankers, aff. C-185/07, D. 2009. 981 , note C. Kessedjian ; ibid. 2384, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2959, obs. T. Clay ; ibid. 2010. 1585, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; Rev. crit. DIP 2009. 373, note H. Muir Watt ; RTD civ. 2009. 357, obs. P. Théry ; RTD com. 2009. 482, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ; ibid. 644, obs. P. Delebecque ; ibid. 2010. 529, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2009. 407, note S. Bollée) dans laquelle la Cour de justice a retenu qu’une anti-suit injunction rendue par le tribunal d’un État membre, au soutien d’une procédure arbitrale, n’était pas compatible avec le Règlement de Bruxelles (RBI). L’arbitrage rentrait donc à nouveau dans le giron du droit européen. Ici, toutefois, le raisonnement du tribunal est affaibli par l’absence de référence à la très importante décision Gazprom (CJUE 13 mai 2015, Gazprom, aff. C-536/13, concl. M. Wathelet, Dalloz actualité, 28 juin 2015, obs. F. Mélin ; AJDA 2015. 1585, chron. E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser ; D. 2015. 1106 ; ibid. 2031, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2588, obs. T. Clay ; ibid. 2016. 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; RTD civ. 2015. 837, obs. L. Usunier ; Procédures 2015. Comm. 226, note C. Nourissat) qui a renoué, quelques années plus tard, avec une conception large de l’exclusion de l’arbitrage. Dans cette décision, la Cour de justice qui s’exprime après l’entrée en application du RBI bis, mais sous l’empire du RBI, décide que le règlement Bruxelles I « ne s’oppose pas à ce qu’une juridiction d’un État membre reconnaisse et exécute, ni à ce qu’elle refuse de reconnaître et d’exécuter, une sentence arbitrale interdisant à une partie de présenter certaines demandes devant une juridiction de cet État membre, dans la mesure où ce règlement ne régit pas la reconnaissance et l’exécution, dans un État membre, d’une sentence arbitrale prononcée par un tribunal arbitral dans un autre État membre ». Ainsi, les États membres restent libres, conformément à leur droit national, interne ou international, de régler le sort d’une anti-suit injunction prononcée par un tribunal arbitral. Si l’arrêt Gazprom sauve la décision West Tankers (arrêt Gazprom, préc., pt 39), en notant que l’origine étatique de l’injonction justifie qu’elle tombe sous l’empire du RBI, une partie de la doctrine a néanmoins relevé, prenant acte du refus de la Cour de justice dans l’arrêt Gazprom de se prononcer à la lumière des précisions introduites dans le considérant 12 du RBI bis, comme l’y invitait pourtant l’avocat général (concl. M. Wathelet, préc., pt 91), que la refonte du règlement met fin à la jurisprudence West Tankers (S. Bollée, L’arbitrage et le nouveau règlement Bruxelles I, Rev. arb. 2013. 979, spéc. p. 983).
En effet, dans le RBI bis, le considérant 12, rappelé par le tribunal dans son jugement, vient éclairer le sens de l’exclusion de l’arbitrage, telle qu’elle figure à l’article 1er, § 2, d. Si le tribunal rappelle la lettre du considérant 12, il ne semble pas tirer de son contenu toutes les conséquences attendues, ou tout du moins la nuance imposant une démonstration particulièrement convaincante pour en modérer la portée. En définitive, le tribunal fournit une liste, négative, des litiges susceptibles d’intégrer le champ matériel du RBI bis, dès lors qu’ils ne portent « pas sur la constitution du tribunal arbitral, la convention d’arbitrage, ou la sentence arbitrale ». Il prend soin donc d’exclure le contrat d’arbitre de cette catégorie pour justifier l’application du règlement à l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre. Il semble ici que le tribunal va à l’encontre de la lettre du règlement et de son considérant 12 qui évoque un spectre bien plus large en concevant une liste non exhaustive : « une action ou demande accessoire portant, en particulier, sur la constitution d’un tribunal arbitral, les compétences des arbitres, le déroulement d’une procédure arbitrale ou tout autre aspect de cette procédure ni à une action ou une décision concernant l’annulation, la révision, la reconnaissance ou l’exécution d’une sentence arbitrale, ou l’appel formé contre celle-ci ».
Pour les mêmes raisons, le raisonnement du tribunal apparaît friable, dès lors qu’il n’expose pas le ou les critères retenus pour justifier l’inclusion de l’action en responsabilité. Tout au plus, le tribunal s’en tient simplement à l’idée générale selon laquelle l’exclusion de l’arbitrage du champ matériel du RBI bis est nécessairement restrictive puisqu’une décision, certes célèbre, et néanmoins prise en application de la précédente version du règlement, le laisse à penser. Au surplus, le tribunal valide implicitement la thèse de l’arbitre sur le caractère limitatif de la liste fixée par le considérant numéro 12, en proposant une liste plus restrictive encore, à nouveau sans justification.
C’est d’autant plus regrettable que les arguments substantiels ne manquaient pas. Le tribunal aurait ainsi pu relever que si le considérant 12 ne prévoit pas une liste exhaustive, il constitue également la preuve que, par la présence d’une liste illustrative, toutes les actions périphériques à un arbitrage n’ont pas vocation à intégrer le domaine de l’exclusion. Par suite, il eut été certainement plus simple et convaincant de déterminer la raison d’être de la liste non exhaustive du considérant 12 en identifiant de potentiels critères de rattachement au domaine de l’exclusion.
Il faut néanmoins relever, à la décharge du tribunal, que le présent problème n’a jamais été directement traité, ni par les cours nationales ni par la Cour de justice, mais surtout que la question de l’étendue de l’exclusion de l’arbitrage est loin d’avoir été clarifiée par le considérant 12 et continue donc de soulever de multiples interrogations (v. not. RTD eur. 2013. 435, spéc. n° 51, obs. H. Gaudemet-Talon et C. Kessedjian ; S. Bollée, L’arbitrage et le nouveau règlement Bruxelles I, Rev. arb. 2013. 979 ; Rev. crit. DIP 2013. 1, A. Nuyts ; D. 2013. 1014, obs. L. d’Avout ), amenant même certains commentateurs à regretter que l’on n’ait pas précisé une règle matérielle de compétence « propre à centraliser le contentieux au siège de l’arbitrage » (M. Laazouzi, Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale. Champ d’application, J.-Cl. dr. internat., fasc. 584-120, n° 58 ; S. Bollée, « Les questions liées à l’appréciation et aux effets des conventions d’arbitrage », in P. Mayer [dir.], Arbitrage et droit de l’Union européenne, LexisNexis, 2012, p. 15, spéc. nos 9 s.). Le recours à une règle matérielle unique semble d’autant plus justifié que l’identification d’un ou plusieurs critères clairs fait ici défaut au jugement du tribunal, mais aussi à l’analyse proposée. Car il transparaît de la jurisprudence des cours une incompatibilité patente avec des critères simples tels que celui de la temporalité du litige vis-à-vis de l’arbitrage ou de l’influence du litige sur la réalisation de l’arbitrage, c’est-à-dire des effets qu’il est susceptible de produire sur la procédure arbitrale. Il suffit pour s’en convaincre de songer à nouveau à l’inclusion des demandes formées devant le juge d’un État membre aux fins d’obtention d’une mesure provisoire ou conservatoire (CJCE 17 nov. 1998, aff. C-391/95, Van Uden, D. 2000. 378 , note G. Cuniberti ; Rev. crit. DIP 1999. 340, note J. Normand ; ibid. 669, étude A. Marmisse et M. Wilderspin ; ibid. 2021. 157, note G. Cuniberti ; RTD civ. 1999. 177, obs. J. Normand ; RTD com. 2000. 340, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 1999. 143, note H. Gaudemet-Tallon), sauf à considérer que ces procédures devraient impérativement intégrer le domaine d’exclusion de l’arbitrage. Il n’en demeure pas moins que cette distribution présente le très grand défaut d’entretenir une confusion et l’avertissement formulé par l’avocat général Darmon sous la décision Marc Rich (M. Darmon, concl., 19 févr. 1991, Rec. CJCE 1991. I. 3865, pt 77) n’en raisonne que plus fort : « en appliquant la convention de Bruxelles aux litiges en matière d’arbitrage, le risque est grand de conduire à des solutions sans doute harmonisées, mais totalement inadéquates aux besoins propres de l’arbitrage international ».
Au fond, sur la question de l’applicabilité du RBI bis à l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre, plus que le résultat, c’est la faiblesse de l’argumentation du tribunal qui laisse perplexe. En amenant les décisions du passé au présent, celui-ci ne favorise pas la compréhension de la démonstration. Il paraissait pourtant naturel que l’écart procédural entre l’arbitrage et l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre suffît pour partie à justifier que l’action soit traitée séparément, selon les règles de droit commun, auxquelles appartiennent sans doute, en matière internationale, celles du droit européen. En revanche, la question de la nature de l’action en responsabilité dirigée contre un arbitre impose un travail approfondi des cours et, là-dessus, le jugement du tribunal judiciaire de Paris ne rassure pas le lecteur.
La nature de l’action en responsabilité dirigée contre un arbitre pour manquement à son devoir de révélation
Dans le présent jugement, la question de la nature de l’action engagée à l’encontre de l’arbitre ne semble pas poser de problème particulier et le tribunal énonce d’ailleurs que le litige « a pour objet une action en responsabilité contractuelle de l’arbitre fondée sur des manquements [de l’arbitre] à ses obligations contractuelles découlant du contrat d’arbitre conclu avec [les parties] ». Au surplus, la question n’est pas non plus débattue entre les parties qui se prononcent elles aussi sur le terrain contractuel.
Ce choix paraît d’autant plus justifié que la jurisprudence précise également depuis l’affaire Raoul Duval (TGI Paris, 12 mai 1993 et Paris, 12 oct. 1995, Raoul Duval, Rev. arb. 1999. 324, note P. Fouchard) que « la faute consistant en un défaut de révélation pouvait engager la responsabilité de l’arbitre, fondée sur sa “faute contractuelle”, selon les règles de droit de la responsabilité civile contractuelle » (v. le rapport du Club des Juristes sur la responsabilité de l’arbitre, juin 2017, préc. spéc. p. 32). Classiquement rattaché aux obligations d’indépendance et d’impartialité, le manquement au devoir de révélation est donc sanctionné selon le droit commun de la responsabilité (T. Clay, L’arbitre, Dalloz, 2001, n° 932 ; v. aussi, P. Fouchard, note ss Paris, 12 oct. 1995, Rev. arb. 1999. 327).
Pourtant, il est permis de penser que la question aurait mérité, du fait qu’elle conditionne à la fois l’applicabilité et l’application du RBI bis, de plus amples développements de la part du tribunal, en écartant tout doute eu égard à l’obligation que l’article 12 du code de procédure civile lui fait de « donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ».
En effet, passée l’apparente simplicité, la question de la nature contractuelle ou délictuelle de l’action en responsabilité dirigée contre les arbitres n’a pas livré tous ses secrets et continue d’animer la jurisprudence comme en témoignent de récentes affaires (v. not. Paris, 2 avr. 2019, n° 16/00136, Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ; RTD com. 2020. 302, obs. E. Loquin ; v. aussi, sur l’engagement de la responsabilité de l’arbitre pour violation du contradictoire, Paris, 21 mai 2019, n° 17/12238, Dalloz actualité, 17 juill. 2019, obs. L. Jandard ; ibid. 7 juill. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Rev. arb. 2020. 802, obs. L. Jandard ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ), mais aussi la richesse des écrits doctrinaux sur le sujet (v. not. P. Stoffel-Munck, La responsabilité de l’arbitre, art. préc. ; v. aussi J.-Y. Garaud et G. de Rancourt, note ss TGI Paris, 22 mai 2017, préc. ; M. Mekki, Le double jeu de l’arbitre et la mise en jeu de sa responsabilité, Gaz. Pal. 17 avr. 2014, n° 107).
Il faut admettre que l’identification d’un critère clair de distinction entre les deux types de responsabilités est loin d’être simple. Si tous les commentateurs s’accordent pour dire que le manquement de l’arbitre à son obligation de révélation, qui se rapporte à son devoir d’indépendance et d’impartialité, lui-même rattaché à l’exigence de loyauté évoquée par l’article 1464 du code de procédure civile, est susceptible d’engager sa responsabilité civile, la question de la nature de cette action interroge beaucoup plus la logique. Plus précisément, la difficulté refait surface lorsqu’est posée la question des critères permettant de distinguer selon que la responsabilité de l’arbitre est de nature délictuelle ou contractuelle. Pour certains auteurs, la réponse se trouve dans la célèbre affaire Azran du 15 janvier 2014. Dans cette décision, la première chambre civile de la Cour de cassation précise que « la critique […] tendant à remettre directement en cause le contenu des sentences rendues, et partant l’exercice de la fonction juridictionnelle des arbitres, c’est à bon droit que la cour d’appel […] a écarté leur responsabilité en l’absence de preuve de faits propres à caractériser une faute personnelle équipollente au dol ou constitutive d’une fraude, d’une faute lourde ou d’un déni de justice » (Civ. 1re, 15 janv. 2014, Azran, n° 11-17.196, Bull. civ. I, n° 1, préc., note 1 ; Dalloz actualité, 23 janv. 2014, obs. X. Delpech ; D. 2014. 219, obs. X. Delpech ; ibid. 2541, obs. T. Clay ; AJCA 2014. 35, obs. M. de Fontmichel ; RTD com. 2014. 315, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2016. 493, note J.-S. Borghetti ; Cah. arb. 2014, n° 2, p. 299, note L. Aynès ; Gaz. Pal. 17 avr. 2014, n° 107, note M. Mekki ; ibid., 27-28 juin 2014, p. 18, obs. D. Bensaude). Ainsi, la distinction entre la responsabilité de l’arbitre de nature contractuelle et celle de nature délictuelle repose sur le point de savoir si la demande a trait à l’exercice de la fonction juridictionnelle ou non, c’est-à-dire si celle-ci est susceptible de remettre directement en cause le contenu des sentences rendues (P. Stoffel-Munck, art. préc.). Si l’objet du grief remet directement en cause un motif ou une conclusion de la sentence, alors l’action est nécessairement de nature délictuelle et suppose l’établissement d’une faute spécifique – « une faute personnelle équipollente au dol ou constitutive d’une fraude, d’une faute lourde ou d’un déni de justice » – pour évincer la quasi-immunité dont jouissent les arbitres dans l’exercice de leur fonction juridictionnelle. En revanche, lorsque l’objet du grief n’est pas de nature à influer sur le contenu des décisions des arbitres, alors il faut revenir au droit commun de la responsabilité sur le terrain contractuel, c’est-à-dire à l’examen des manquements aux obligations découlant du contrat d’arbitre qui lie l’arbitre aux parties (v. not. Paris, 12 oct. 1995, Rev. arb. 1999. 324, note P. Fouchard ; TGI Paris, 12 mai 1993, Rev. arb. 1996. 411 [2e esp.], et obs. P. Fouchard, p. 360).
La démonstration semble convaincante et rappelle implicitement que la fonction juridictionnelle elle-même « découle en principe du contrat d’arbitre, même [si elle] […] n’y est pas réductible » (J.-S. Borghetti, note préc., spéc. n° 9). C’est pourtant là que le bât blesse. En effet, d’autres auteurs notent qu’il est naturel d’orienter sur le terrain de la responsabilité délictuelle la sanction des manquements les plus graves dans l’exercice de la fonction juridictionnelle, tels que la violation des obligations d’indépendance, d’impartialité et de loyauté (v. not. C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, 2e éd., LGDJ, 2019., spéc. n° 799 ; M. Henry, L’obligation de loyauté des arbitres envers les conseils, Cah. arb. 2014, n° 3, p. 525, spéc. n° 4). Or, comme exposé précédemment, il n’est pas discuté que le devoir de révélation se rattache précisément aux exigences d’indépendance et d’impartialité de l’arbitre, si bien qu’il se trouve plus intimement lié à la fonction juridictionnelle qu’au contrat d’arbitre lui-même. C’est si vrai qu’il serait tout à inconcevable de lier cette exigence fondamentale du procès arbitral à la validité du contrat d’arbitre, dès lors que les exigences d’indépendance et d’impartialité sont « de l’essence de [la] fonction juridictionnelle exclusive par nature de tout lien de dépendance à l’égard notamment des parties, et de tout préjugé » (Paris, 28 nov. 2002, Rev. arb. 2003, p. 445, note C. Belloc ; v. aussi Civ. 1re, 16 mars 1999, Bull. civ. I, n° 88).
À l’évidence, notre propos vise ici à anticiper les potentielles divergences entre les cours nationales et européenne sur la qualification de l’obligation de révélation (v. not. sur le choix d’une interprétation autonome de la « matière contractuelle », CJCE 22 mars 1983, Martin Peters, aff. C-34/82, Rec. CJCE p. 987, pt 9 ; v. aussi CJCE 8 mars 1988, Arcado, aff. C-9/87, Rec. CJCE p. 1539) en essayant de déterminer l’origine de celle-ci puisqu’elle constitue le cœur de la responsabilité envisagée. Dès lors, si l’on considère que la distinction entre la nature contractuelle et délictuelle tient à ce que l’action en responsabilité contre l’arbitre ayant manqué à son devoir de révélation n’affecte pas le contenu de l’arbitrage, alors il paraît tout à fait logique de l’exclure du domaine de la fonction juridictionnelle. En ce sens, l’obligation faite à l’arbitre de révéler tous les faits de nature à créer un doute raisonnable quant à son impartialité ou son indépendance trouve potentiellement sa source dans le contrat d’arbitre lui-même. Il ne serait d’ailleurs pas surprenant que le droit européen adhère à cette qualification, constatant simplement l’existence d’un « engagement librement assumé » (CJCE 17 juin 1992, Jacob Handte, aff. C-26/91, Rec. CJCE p. 3967 ; D. 1993. 214 , obs. J. Kullmann ; Rev. crit. DIP 1992. 726, note H. Gaudemet-Tallon ; RTD civ. 1993. 131, obs. P. Jourdain ; RTD eur. 1992. 709, note P. de Vareilles-Sommières ) entre l’arbitre et les parties. À l’inverse, si l’on prend pour point d’appui de la démonstration celui de savoir si la nullité du contrat d’arbitre entraîne l’effacement de l’obligation de révélation qui incombe aux arbitres, alors la réponse paraît beaucoup moins évidente et semble faire glisser l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre en raison du manquement à son devoir de révélation sur le terrain délictuel. Et pour cause, en l’espèce, l’obligation est susceptible de trouver son origine non pas dans le contrat d’arbitre, mais dans la loi applicable à la procédure et plus spécifiquement dans l’article 1464 du code de procédure civile français qui fait notamment peser sur les arbitres, en matière interne comme en matière internationale, un devoir de loyauté à l’égard des parties.
L’importance de la distinction est de taille pour l’action en responsabilité à l’encontre de l’arbitre tant elle influence à la fois le traitement au fond de l’affaire et également l’identification de la juridiction compétente pour en connaître. En effet, les critères de rattachement ne sont pas équivalents selon que l’on considère une action de nature contractuelle ou délictuelle, en droit national comme en droit européen. Au-delà, l’engagement de la responsabilité de l’arbitre est plus difficile à rapporter sur le terrain délictuel que contractuel, puisqu’une faute qualifiée est exigée pour le premier cas de figure. Plus loin, la question de la validité des clauses d’exonération se pose et renforce la nécessité d’une discussion sur le sujet.
La question et celles qui en découlent resteront néanmoins suspendues puisqu’en l’espèce le tribunal s’est laissé convaincre par les parties que l’action était nécessairement de nature contractuelle et la solution était sans doute opportune (en matière délictuelle, les critères semblent particulièrement mal indiqués pour identifier, dans le cadre d’une action en responsabilité contre un arbitre, le lieu « où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire » - règl., art. 7, § 2) en prévision de l’application qu’il lui restait désormais à faire du RBI bis.
L’application du RBI bis à l’action en responsabilité dirigée contre un arbitre
Après avoir déterminé que le RBI bis trouvait bien à s’appliquer à l’action en responsabilité contre un arbitre, le tribunal en fait application en s’appuyant là encore sur les arguments soulevés par l’arbitre en opérant une démonstration en deux temps. En premier, il rejette le critère du siège de l’arbitrage, considérant qu’il n’a dans l’acte de mission qu’un « caractère fictif ». En second, le tribunal s’applique à déterminer quel lieu correspond en l’espèce à celui où « les services ont été ou auraient dû être fournis » et tranche en faveur de l’Allemagne.
Là encore, plusieurs critiques peuvent être formulées, et ce d’autant plus que le résultat ainsi que les motivations qui y mènent interpellent. En conséquence et pour bien analyser le jugement du tribunal sur ce point, il est utile de distinguer les deux étapes de son raisonnement qui rejette tout d’abord le siège de l’arbitrage comme critère pertinent de rattachement à la juridiction européenne compétente puis indique que le lieu effectif de la prestation intellectuelle de l’arbitre, déterminé à partir d’un faisceau d’indices, constitue, en application de l’article 7, paragraphe 1, sous b), deuxième tiret du RBI bis, le critère le plus adéquat pour désigner les juridictions compétentes.
Le rejet du siège de l’arbitrage comme critère de rattachement à la juridiction européenne compétente en vertu du RBI bis
C’est sans doute l’apport le plus intéressant de la décision du tribunal judiciaire de Paris. En refusant d’appliquer le critère du siège, la juridiction parisienne exprime une évidente réserve à l’égard de l’arbitrage, refusant de reconnaître audit siège une valeur autre que celle d’une simple fiction juridique insusceptible de produire des effets sur les questions de compétences se rapportant à l’action en responsabilité contre un arbitre.
Avant toutefois d’en venir à la mise à l’écart du siège, il faut commencer par relever que le tribunal semble rester relativement indifférent à la discussion se rapportant à la qualification du siège de l’arbitrage en clause attributive de juridiction au sens de l’article 25 du RBI bis. Plus simplement, le tribunal aimante l’application du RBI bis sur l’unique terrain de l’article 7, paragraphe 1, sous b), à la recherche du « lieu de la fourniture principale des services » localisé soit conventionnellement par les parties, soit en considération du second tiret, sous le b) de l’article 7, paragraphe 1, qui évoque « le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ». Or, pour le tribunal, la localisation conventionnelle ne peut correspondre au siège de l’arbitrage dès lors qu’il n’a qu’un « caractère fictif » et qu’il existe en outre d’autres lieux désignés dans le contrat d’arbitre et susceptibles de convenir. Il déduit une équivocité autour de la désignation du siège comme for compétent pour connaître de l’action en responsabilité à l’encontre de l’arbitre.
Il y a derrière cette solution un paradoxe intéressant à relever. En effet, le raisonnement pourrait convaincre qu’il y a là l’expression d’une certaine hostilité à l’égard de l’arbitrage, considérant d’ailleurs à raison que la première partie du raisonnement du tribunal donne quelques indices de son rattachement à une approche dite « localisatrice », justifiant que l’arbitrage soit soumis par exemple à l’application des normes européennes, mais ce serait oublier bien vite que même les tenants des thèses les plus « délocalisatrices » de l’arbitrage estiment que l’action en responsabilité échappe à la sphère arbitrale (T. Clay, « À quoi sert le siège du tribunal arbitral international ? », in S. Bostanji [dir.],Le juge et l’arbitrage, F. Horchani et S. Manciaux, Pedone, 2014, p. 45 : « [si le siège] sert pour la détermination de la loi applicable [lorsque les parties n’ont rien prévu dans le contrat d’arbitre], il ne sert pas pour celle de la juridiction compétente qui sera, par application des règles classiques du droit des conflits de juridictions, celle du lieu du domicile du défendeur, ou d’un co-défendeur en cas de tribunal arbitral plural »). Ainsi, toutes les thèses semblent se rencontrer sur la question, convenant de la faiblesse des effets produits par le siège de l’arbitrage (la jurisprudence française va même jusqu’à valider des clauses attributives de la juridiction compétente en cas de recours en annulation, quel que soit le lieu du siège du tribunal arbitral, réduisant ainsi à peau de chagrin le rôle du lieu de l’arbitrage dans la détermination des recours contre la sentence ; v. not. Paris, 17 juin 2004, D. 2006. Pan. 3026, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2006, p. 161, note T. Azzi).
Pourtant, la réconciliation n’est pas totale pour au moins deux raisons. La première renvoie à l’idée que c’est précisément à l’égard des contrats périphériques à l’arbitrage que le siège conserve le plus d’effets puisque « l’un des derniers intérêts juridiques de l’implantation du siège du tribunal arbitral est qu’il permet de localiser la relation juridique nouée entre l’arbitre et les parties, entre les parties et le centre d’arbitrage, et entre l’arbitre et le centre d’arbitrage. On sait en effet qu’il existe, en plus de la convention d’arbitrage, trois contrats qui unissent les différents protagonistes de l’instance arbitrale : le contrat d’arbitre entre les parties et l’arbitre, le contrat d’organisation de l’arbitrage entre les parties et le centre, et le contrat de collaboration arbitrale entre le centre et l’arbitre » (v. T. Clay, À quoi sert le siège du tribunal arbitral international ? », art. préc. ; L’arbitre, préf. de P. Fouchard. Dalloz, coll. « Nouvelle bibliothèque de thèse », 2001, spéc. nos 587 s.). Ainsi, le siège de l’arbitrage n’est pas une coquille vide et conserve a minima une vitalité pour les contrats « péri-arbitraux » aux fins de régler, notamment, les quelques conflits de lois qui demeurent.
La seconde tient à ce que les conceptions autonomistes de l’arbitrage ne rejoignent pas l’orientation prise par le tribunal qui accorde une valeur juridique équivalente au lieu du siège de l’arbitrage et à celui des audiences. Sur ce point, et malgré le vacillement de plus en plus prononcé de la notion de siège dans l’arbitrage (v. not. sur la désuétude du critère du siège, J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 2017, nos 657 s., préf. T. Clay), il demeure évident que le siège se distingue du lieu de tenue des audiences et le supplante juridiquement (A. Panchaud, Le siège de l’arbitrage international de droit privé, Rev. arb. 1966. 2, spéc. p. 8 ; v. aussi, sur la distinction, T. Clay, « À quoi sert le siège du tribunal arbitral international ? », art. préc. ; G. Kaufmann-kohler, Le lieu de l’arbitrage à l’aune de la mondialisation. Réflexions à propos de deux formes récentes d’arbitrage, Rev. arb. 1998. 517, spéc. p. 532 s.). En conséquence, le lieu du siège a nécessairement, du point de vue strictement juridique, un poids supérieur au lieu des audiences et constitue un critère de rattachement valable. D’ailleurs, il est très intéressant de relever que la Commission européenne elle-même avait réfléchi à faire du siège le critère privilégié de désignation du for compétent pour tous les litiges liés à une procédure arbitrale (v. not. art. 29 (4) de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale du 14 déc. 2010, COM(2010) 748 final 2010/0383).
Toutefois, malgré la valeur juridique évidente du critère du siège, le tribunal a choisi d’écarter toute localisation conventionnelle pour se mettre à la recherche d’autres lieux, plus effectifs et rendant selon lui meilleur compte de la réalité des prestations accomplies par l’arbitre en vertu du contrat d’arbitre. Malheureusement, si l’entreprise visant à identifier le lieu qui correspond géographiquement le mieux à l’endroit où l’arbitre a concrètement effectué ses missions est louable, elle présente des dangers évidents qu’il est nécessaire d’évoquer maintenant.
Le choix du lieu effectif de la prestation intellectuelle de l’arbitre
En relevant que la localisation conventionnelle faisait défaut en l’espèce, laissant à entendre au contraire qu’une équivalence du lieu des audiences et du siège de l’arbitrage aurait permis de désigner de manière non équivoque un for compétent, le tribunal s’est mis quête d’un autre critère de rattachement. Pour ce faire, il considère le second tiret de l’article 7, paragraphe 1, sous b), qui indique que le « lieu d’exécution de l’obligation servant de base à la demande » s’entend, dans un contrat de service, du « lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ». Pour le tribunal, ce lieu correspond, en considération de « la genèse, les objectifs et le système du règlement », au « lieu dans lequel le défendeur a effectivement réalisé, de manière prépondérante, sa prestation intellectuelle d’arbitre ». La démonstration paraît très convaincante, et ce d’autant plus que le cas d’espèce offre sur un plateau une série de faits plaçant en Allemagne le centre de gravité de l’ensemble des prestations accomplies par l’arbitre. Le tribunal considère notamment le lieu de tenue des réunions, des audiences ou encore le lieu des délibérations… tous désignent l’Allemagne ! En opportunité, il semblait donc parfaitement logique d’entraîner la désignation du for compétent vers le pays ayant eu, sur le plan géographique au moins, la très grande faveur des membres du tribunal arbitral, et plus encore de l’arbitre visé par l’action en responsabilité, puisque celui-ci y a même établi sa résidence pendant les deux ans de la procédure.
Pourtant, la solution présente d’importantes limites en cas de généralisation de la règle de désignation du for compétent, pour connaître d’une action en responsabilité dirigée contre un arbitre ayant manqué à son devoir de révélation, à des hypothèses où les trois lieux précités, d’audience, de réunion et de délibération, sont totalement distincts. À l’inverse, le même constat incline à faire du siège de l’arbitrage le critère privilégié de désignation des juridictions étatiques compétentes, dès lors qu’il est le seul permettant d’unifier le critère de rattachement, sans égard pour la nature de l’action, et d’offrir à l’arbitre un moyen de mieux anticiper, postérieurement à l’annulation de l’arbitrage en raison d’un manquement à l’une des obligations qui lui incombaient, la juridiction susceptible de le condamner à une réparation.
En pratique, cependant, la plus sage des recommandations pour les arbitres serait certainement de devancer plus en amont encore ces difficultés en veillant désormais à négocier dans leur contrat d’arbitre une clause attributive de juridiction en cas d’engagement de leur responsabilité, et ce quel qu’en soit le motif : un manquement au devoir de révélation, au principe du contradictoire, etc. Il pourrait ainsi mieux anticiper dès le départ l’éventualité d’une action dirigée contre eux en bout de procédure arbitrale.
Pour le reste, on ne peut s’empêcher de se demander, au vu des nombreuses difficultés soulevées par la présente affaire, si le tribunal n’aurait pas mieux fait de poser ici une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne…