Par un arrêt du 2 juin 2021, la première chambre civile de la Cour de cassation rallie la position de sa deuxième chambre civile et confirme ainsi que l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) et son complément ne revêtent pas de caractère indemnitaire.
Par un arrêt du 2 juin 2021, la première chambre civile de la Cour de cassation rallie la position de sa deuxième chambre civile et confirme ainsi que l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) et son complément ne revêtent pas de caractère indemnitaire.
La sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers n’impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l’obligation d’autrui, elle n’est pas un cautionnement. Limitée au bien affecté en garantie, elle est soumise à la prescription trentenaire pour les actions réelles immobilières.
La sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers n’impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l’obligation d’autrui, elle n’est pas un cautionnement. Limitée au bien affecté en garantie, elle est soumise à la prescription trentenaire pour les actions réelles immobilières.
Dans leur récent rapport sur l’exécution du budget « Immigration, asile et intégration », les députés Jean-Noël Barrot et Stella Dupont reviennent sur les difficultés d’accès aux préfectures pour les étrangers. Un problème aggravé par la dématérialisation et la crise sanitaire, qui entraîne trafic et contentieux absurdes.
Renforcement de la protection des lanceurs d’alerte, élargissement du statut protecteur aux personnes morales, création d’une autorité compétente unique… Voici un panorama des propositions visant à faire évoluer le droit français relatif à la protection des lanceurs d’alerte dévoilées sous forme de synthèse par le ministère de la Justice.
Une caisse de crédit municipal s’est vu infliger par la Commission des sanctions par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution un blâme et une sanction pécuniaire de 120 000 €, notamment pour cause de gouvernance défaillante à la suite d’une politique de diversification hasardeuse.
Est contraire à la Constitution la disposition de l’ordonnance du 25 novembre 2020 qui peut permettre à un très grand nombre d’agents d’avoir accès aux données médicales d’un fonctionnaire sans l’accord de celui-ci.
En rendant public le rapport annuel de l’institution, le vice-président du Conseil d’État n’a pas caché ses doutes à l’égard de la réforme de la haute fonction publique. Mais il assure que l’institution fera avec.
« Le conseiller de la mise en état ne peut connaître ni des fins de non-recevoir qui ont été tranchées par le juge de la mise en état, ou par le tribunal, ni de celles qui, bien que n’ayant pas été tranchées en première instance, auraient pour conséquence, si elles étaient accueillies, de remettre en cause ce qui a été jugé au fond par le premier juge. »
Une entreprise de travail intérimaire établie dans un État membre doit, pour être considérée comme y « exerçant normalement ses activités », au sens des règlements de coordination des systèmes de sécurité sociale, effectuer une partie significative de ses activités de mise à disposition de travailleurs intérimaires au profit d’entreprises utilisatrices établies et exerçant leurs activités sur le territoire dudit État membre.
Le seul fait que la nomination d’un agent public soit mise en ligne sur un site internet en fait un traitement de données personnelles soumis au RGPD.
L’article L. 441-3 du code de la construction et de l’habitation est dépourvu de caractère interprétation justifiant une application rétroactive. Les organismes d’HLM ne sont pas tenus de proposer un nouveau bail et peuvent notifier un SLS lorsque la convention avec l’État a été signée antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi ELAN.
La Cour de cassation rappelle que la clause de non-sollicitation, comme toute clause contractuelle, doit être proportionnée aux intérêts de son créancier. Elle demande aux juges du fond de procéder à une évaluation de la proportion entre les atteintes aux libertés de travail et d’établissement qu’elle induit et les intérêts qu’elle protège.
Le Conseil d’État précise les modalités de retrait du statut de réfugié à un étranger ayant commis des infractions pénales.
C’est en toute logique que l’on mettra en avant, dans cette chronique, l’arrêt BEG c/ Italie (CEDH 20 mai 2021, n° 5312/11). Naturellement, sa portée ne doit pas être surestimée, mais on pressent immédiatement à la lecture de la décision que la CEDH n’est pas du tout sur la même position que le juge français en matière de notoriété des faits, ce dont on peut se féliciter. On s’en réjouit d’autant plus que la présente livraison nous offre un exemple supplémentaire du caractère totalement délétère de cette exception (Paris, 25 mai 2021, n° 18/20625, BYD Auto). Il n’en demeure pas moins qu’il est inquiétant le recours contre les sentences, déjà trop long devant les juridictions françaises, puisse se poursuivre devant la CEDH. C’est la dimension négative de cette décision.
Pour le reste, il faut d’ores et déjà signaler un arrêt important de la Cour de cassation sur la tierce opposition contre la décision se prononçant sur le recours contre la sentence (Civ. 1re, 26 mai 2021, n° 19-23.996, Central Bank of Libya, D. 2021. 1034 ). Enfin, on invitera le lecteur à la réflexion sur la place des règles de conflit dans le recours (Paris, 25 mai 2021, n° 18/27648, Cengiz ; Paris, 11 mai 2021, n° 18/07442, Cevikler), la cour d’appel de Paris semblant, depuis quelque temps, en avoir réintroduit une pour ce qui concerne les règles applicables à la procédure.
I - Recours et Cour européenne des droits de l’homme
Le droit de l’arbitrage – et plus précisément les recours contre la sentence – est-il en cours de fondamentalisation ? La question est sans doute excessive. Il n’en demeure pas moins que le recours subit des mutations qui peuvent conduire à une profonde évolution – voire dénaturation de celui-ci. Le mouvement est déjà en marche, avec la très remarquée question préjudicielle posée par la cour d’appel de Paris à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) quant à l’interprétation du Traité sur la charte de l’énergie (Paris, 24 sept. 2019, n° 18/14721, Komstroy, Dalloz actualité, 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ; Gaz. Pal. 2019, n° 40, p. 22, obs. D. Bensaude ; Rev. arb. 2020. 816, note C. Fouchard ; JDI 2020. 983, note M. Audit). Ce faisant, le recours devant les juridictions françaises peut donner lieu à de régulières saisines de la Cour de justice, notamment lorsqu’il s’agit de discuter de compétence ou d’ordre public international. Ce mouvement pourrait s’accroître avec la décision BEG c/ Italie (CEDH 20 mai 2021, n° 5312/11, préc.). À cette occasion, la CEDH connaît d’une requête formée contre l’Italie à la suite d’un recours en annulation formé devant les juridictions italiennes.
Dans un cas comme dans l’autre, ce n’est pas la première fois que la Cour de justice et la CEDH sont impliquées dans des recours contre la sentence. Rien n’interdit de n’y voir qu’un phénomène cyclique, à la portée réduite. On ne peut néanmoins pas ignorer qu’en ouvrant de telles portes – aussi étroites soient-elles – les parties, dans des litiges dont les enjeux financiers sont considérables, n’hésiteront pas à les enfoncer. La perspective de bénéficier d’un troisième degré de juridiction (cour d’appel – Cour de cassation – CJUE ou CEDH), voire d’un quatrième (une question préjudicielle n’excluant aucunement une requête à la CEDH), bénéficiant d’une surface d’examen plus ou moins large (la CJUE et la CEDH ne pouvant pas – en principe… – connaître de tous les cas d’ouverture) pourrait donner des idées aux parties. On peut évidemment considérer – c’est indiscutable – qu’il s’agit là du jeu normal de la soumission de l’ordre juridique français à ces cours et que la possibilité de les saisir n’est absolument pas nouvelle et constitue même un pilier de notre état de droit. Pour autant, on ne peut pas ignorer que le choix du siège de l’arbitrage – et par conséquent du juge de l’annulation – résulte le plus souvent d’un choix d’opportunité des parties, guidé en particulier par la qualité du droit de l’arbitrage proposé par l’État. La perspective de voir le recours échapper largement au juge français est de nature à conduire les opérateurs du commerce international à revoir leurs choix. Il suffit, pour le comprendre, de constater que dans un arbitrage opposant un État non européen à un investisseur non européen, c’est la Cour de justice ou la CEDH qui pourraient avoir le dernier mot, là où les parties ont désigné le juge français. Il y a donc une difficulté qui mérite, à tout le moins, d’être soulevée.
Reste que, tous ces recours, n’auront pas les mêmes effets. Ainsi, si la Cour de justice peut imposer son interprétation à l’issue d’une question préjudicielle, il en va différemment de la CEDH. Dans l’affaire BEG c/ Italie, la CEDH refuse d’enjoindre à l’Italie de permettre la réouverture de la procédure. Pire, elle constate l’absence de mécanisme équivalent, sans en tirer aucune conséquence. Le justiciable est à la merci d’une législation interne permettant un réexamen. En droit français, le réexamen en matière civile est possible depuis la loi du 18 novembre 2016, mais uniquement, selon l’article L. 452-1 du code de l’organisation judiciaire, « en matière d’état des personnes ». Un succès devant la CEDH n’ouvre pas le droit à un nouvel examen de la sentence. D’un point de vue pécuniaire, le succès est aussi maigre, dès lors que les prétentions financières du requérant sont largement écartées : sa demande d’indemnisation est rejetée, et les frais de procédure devant le juge italien et devant la CEDH sont compensés à hauteur de 35 000 €, là où 355 000 € sont demandés. Seul un préjudice moral – 15 000 € – est décerné à titre de médaille en chocolat. En définitive, il est évident que la victoire devant la CEDH est avant tout symbolique et ne devrait pas, procédure par procédure, entraîner un bouleversement des recours. Ce n’est donc pas tant sur des affaires individuelles qu’à l’échelle des principes que les décisions de la Cour auront un impact déterminant.
C’est en effet sur le contenu des décisions que la CEDH est susceptible d’imposer aux États de faire évoluer leur jurisprudence. Nous ne reviendrons d’ailleurs pas sur le manquement de l’arbitre à son obligation d’indépendance et d’impartialité dans cette affaire, tant il est évident et ne suscite aucun étonnement pour le juriste français. En effet, l’arbitre n’a pas révélé son lien avec l’une des parties au litige. Plus précisément, il a omis de déclarer être conseil et « Vice-Chairman and member of the Board of Directors » de la société ENEL, qui détient 100 % de la société ENELPOWER, partie au litige. Afin de se prononcer sur ces faits, la CEDH met en œuvre un test objectif d’impartialité. Elle énonce que « As to the objective test, it must be determined whether, quite apart from the judge’s conduct, there are ascertainable facts which may raise doubts as to his impartiality. This implies that, in deciding whether in a given case there is a legitimate reason to fear that a particular judge lacks impartiality, the standpoint of the person concerned is important but not decisive. What is decisive is whether this fear can be held to be objectively justified » (§ 130). Pour la CEDH – et il en aurait sans doute été de même pour le juge français – les faits tels que présentés conduisent à douter de l’impartialité de l’arbitre. Rien de bien original de ce point de vue.
En revanche, ce qu’il faudra examiner très attentivement – et l’on dira même qu’il convient d’ores et déjà de s’en emparer – concerne la renonciation. En effet, le refus d’annulation de la sentence par les juridictions italiennes repose avant tout sur un mécanisme de « waiver », équivalent à notre renonciation issue de l’article 1466 du code de procédure civile. Or chacun sait la place que prend aujourd’hui cette règle en droit français. Il y a deux passages qu’il convient de mettre en lumière.
D’abord, la CEDH énonce que « The Court does not agree with the Government’s argument that the fact that the applicant had not challenged the lack of an explicit negative disclosure demonstrates a waiver of its right to have its dispute settled by an independent and impartial tribunal » (§ 138). Une telle motivation pourrait, à terme, avoir un impact colossal. Implicitement, la CEDH admet que le défaut d’indépendance et d’impartialité peut être soulevé devant le juge de l’annulation quand bien même il n’a pas été discuté pendant la procédure, notamment par la voie d’une demande en récusation. Au-delà, il peut imposer d’examiner des griefs relevant de l’article 6, § 1, de la Conv. EDH, notamment la contradiction, quand bien même les parties n’en ont pas fait état dans la procédure. Naturellement, il faudra voir l’impact qu’ont eu les faits d’espèce sur cette formulation – notamment parce que l’arbitre n’a jamais fait de déclaration explicite d’indépendance – mais elle donnera indiscutablement des idées aux praticiens.
Ensuite, la CEDH souligne que « The reasons advanced by the domestic courts […] and the Government are based on a presumption of knowledge which does not rest on any concrete evidence to the effect that the applicant was in fact aware of the professional activities of [the arbitrator]. The Court therefore disagrees with the Government and does not find that facts have been demonstrated from which it could infer the unequivocal waiver of the requirement of impartiality in respect of the arbitrator » (§ 140). Ce passage est beaucoup moins ambigu que le précédent. Il n’y a qu’un pas – que nous franchissons allégrement – pour y voir une potentielle remise en cause de l’exception de notoriété. Qu’est-ce donc que l’exception de notoriété, si ce n’est une présomption de connaissance (et même, en réalité, une présomption d’investigations, ce qui est encore plus fort) d’un fait non révélé ? Qu’est-ce donc que le défaut d’exercice d’une demande en récusation par une partie, si ce n’est un comportement totalement équivoque dès lors qu’il est impossible de déterminer s’il a connaissance du lien litigieux ? Très clairement, la CEDH sape les fondements de l’exception de notoriété telle qu’elle existe en droit français. Pour notre part, nous ne pouvons que saluer une telle solution que nous appelons de nos vœux à longueur de chroniques. Il faut maintenant espérer que les praticiens s’en saisiront et que les juridictions françaises seront sensibles à cette décision de la CEDH.
D’ailleurs, la jurisprudence française offre un exemple presque caricatural des excès de l’exception de notoriété (Paris, 25 mai 2021, n° 18/20625, BYD Auto, préc.), dont on espère que la décision BEG c/ Italie conduira à une remise en cause. En l’espèce, il est reproché à l’arbitre de ne pas avoir révélé être membre du « Beirat » (comité consultatif) de la société mère d’une des partenaires stratégiques d’une partie. Pour le défendeur, l’information est notoire. Comme chaque fois, la notoriété est utilisée pour déterminer le point de départ du délai pour demander la récusation de l’arbitre. L’enjeu tient dans la recevabilité du grief devant le juge de l’annulation. La cour rappelle, au titre de la notoriété, que « seules les informations publiques aisément accessibles que les parties ne pouvaient manquer de consulter avant le début de l’arbitrage, sont de nature à caractériser la notoriété d’une situation susceptible de tempérer le contenu de l’obligation de révélation incombant à l’arbitre ».
Pour juger l’information notoire, la cour se fonde sur le procès-verbal établi par un huissier produit par le défendeur. Celui-ci constate que, après avoir tapé sur Google le nom de l’arbitre et le terme « automobil », il accède en première page à un site internet où il peut consulter un rapport contenant l’information recherchée. Comme l’a prédit Thomas Clay, la googlelisation tient désormais lieu de viatique au régime de l’indépendance de l’arbitre (T. Clay, obs. Civ. 1re, 3 oct. 2019, D. 2019. 2435 ). Pourtant, les lacunes d’une telle solution sont flagrantes.
Premièrement, il faut se rappeler, selon les termes de la cour, que « la notoriété d’une situation devant être appréciée à la date de sa survenance ». Or, sauf à ce que le défendeur ait pris ses dispositions en début d’arbitrage, il est absolument certain que le constat d’huissier a été réalisé une fois le recours en annulation engagé. Autrement dit, la notoriété éventuellement mise en lumière par le constat d’huissier est une notoriété plusieurs années après la révélation par l’arbitre. Comment accepter qu’un tel constat, établi a posteriori, puisse bénéficier d’une quelconque valeur ?
Deuxièmement, la recherche réalisée nécessite d’ajouter, en plus du nom de l’arbitre, le terme « automobil » (sans « e »). Certes, on pourra dire que dans un litige relevant du secteur automobile, il n’y a rien de complexe à cela. En attendant, comment déterminer a priori les mots clés à utiliser pour tomber sur le résultat pertinent ? Où est la limite ? Combien de recherches différentes sont nécessaires ? Ne serait-ce qu’à ce jour, on peut déjà dire qu’il faut accoler le nom de l’arbitre (i) au nom des parties, (ii) au nom des cabinets des conseils, (iii) au nom des conseils, (iv) au nom des filiales/sociétés mères des parties, (v) au nom des tiers intéressés au litige, (vi) à des termes génériques pouvant être associés à l’arbitrage. En réalité, on demande aux parties de rechercher une aiguille dans une botte de foin, sans qu’elles sachent qu’une aiguille s’y trouve.
Troisièmement, nous avons voulu reproduire la recherche mentionnée par l’arrêt. Et c’est presque là que le plus extraordinaire se produit. Le nom de l’arbitre est composé de deux prénoms et d’un nom de famille (par ex. : Jean-Pierre Dupond). Si l’on positionne les guillemets pour les deux prénoms et qu’on ne les utilise pas pour le nom de famille, on trouve effectivement le résultat mentionné par l’huissier (autrement dit, la recherche est : « Jean-Pierre » Dupond + automobil). En revanche, si on réalise la même recherche, mais en faisant figurer les guillemets autour des deux prénoms et du nom (autrement dit, la recherche est : « Jean-Pierre Dupond » + automobil), la recherche ne donne aucun résultat (il en va d’ailleurs de même d’une recherche sans les prénoms de l’arbitre…) ! Voilà à quoi tient la notoriété d’un fait : au positionnement des guillemets, séparant ou nom les prénoms du nom de famille… Dire qu’une telle conception n’est pas sérieuse est un euphémisme.
Quatrièmement, le document auquel on finit par aboutir est rédigé intégralement en allemand ! Autrement dit, il n’y a pas un seul mot compréhensible pour un non-germanophone. Or, comme le fait remarquer le requérant, la langue de l’arbitrage est l’anglais et le droit applicable le néerlandais. Comment, dans ces conditions, considérer que l’information est notoire ?
C’est, encore une fois, un très profond malaise que l’on ressent à la lecture de cette motivation sur la notoriété. Il est décidément incompréhensible que, dix ans après avoir prôné une vision ambitieuse de l’obligation de la révélation, la jurisprudence française ait tant reculé. L’arbitrage est la chose des parties, pas la chose de l’arbitre. Il ne faut pas l’oublier.
Naturellement, les effets d’une telle notoriété sont immédiats : puisque les faits sont notoires au moment de la révélation, le délai pour demander la récusation de l’arbitre est expiré depuis bien longtemps. Faute de demande en récusation, le moyen est irrecevable. Peu importe la gravité des faits… Vite, la CEDH !
II - La clause compromissoire
A - La qualification de clause compromissoire
Il faut bien convenir que le régime de la clause compromissoire est relativement complexe pour le néophyte, d’autant qu’il n’est aucunement intuitif. Toutefois, ce sont souvent les rédacteurs qui ajoutent de la complexité à la complexité. C’est le cas de la clause prévue par la norme NFP 03-001, qui est un cahier type des clauses administratives générales applicable aux travaux de bâtiment faisant l’objet de marchés privés. Autant dire que son utilisation est loin d’être anecdotique. Les rédacteurs de cette norme ont eu la brillante idée d’y inclure une clause originale, qui prévoit que « Pour le règlement des contestations qui peuvent s’élever à l’occasion de l’exécution ou du règlement du marché, les parties contractantes doivent se consulter pour examiner l’opportunité de soumettre leur différend à un arbitrage, ou pour refuser l’arbitrage ». La jurisprudence a déjà eu à connaître à deux reprises d’une clause équivalente (Lyon, 4 juin 2019, n° 19/00698, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; Bordeaux, 23 janv. 2020, n° 16/02240, Hôtel Merle, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques). Dans les deux, elle a écarté les qualifications de clause compromissoire et de clause de conciliation préalable, excluant ainsi toute sanction en cas de non-respect de la clause. Néanmoins, ce n’est pas la solution retenue par la cour d’appel de Dijon (11 mai 2021, n° 19/01580, SCAAB). Cette dernière retient pour cette clause une qualification de clause de conciliation préalable et sanctionne son non-respect par une fin de non-recevoir. À suivre la cour, la consultation prévue par la clause en vue d’un éventuel accord pour recourir à l’arbitrage est une forme de conciliation préalable. Il faut bien admettre que cela revient à en donner une interprétation particulièrement extensive. Surtout, cela conduit à donner une sanction – la fin de non-recevoir – plus élevée que les véritables clauses compromissoires – soumises à une exception de procédure. Il n’est pas certain qu’une telle solution résiste à un pourvoi devant la Cour de cassation.
B - La transmission de la clause compromissoire
La transmission de la clause compromissoire dans les chaînes de contrats constitue l’un des phénomènes les plus discutés du droit de l’arbitrage. Pour l’essentiel, le droit positif, au moins en matière internationale, est posé par l’arrêt ABS qui énonce que « dans une chaîne de contrats translatifs de propriété, la clause compromissoire est transmise de façon automatique en tant qu’accessoire du droit d’action, lui-même accessoire du droit substantiel transmis, sans incidence du caractère homogène ou hétérogène de cette chaîne » (Civ. 1re, 27 mars 2007, n° 04-20.842, D. 2007. 2077, obs. X. Delpech , note S. Bollée ; ibid. 2008. 180, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2007. 798, note F. Jault-Seseke ; RTD civ. 2008. 541, obs. P. Théry ; RTD com. 2007. 677, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2007. 785, note J. El-Ahdab ; JDI 2007. 968, note C. Legros ; LPA 2007, n° 192, note F. Parsy ; JCP 2007. II. 10118, note C. Golhe ; ibid. I. 168, § 11, obs. C. Seraglini ; ibid. I. 200, § 11, obs. Y.-M. Serinet ; LPA 2007, n° 160, note A. Malan ; Gaz. Pal. 21-22 nov. 2007. 6, note F.-X. Train ; CCC 2007. 166, note L. Leveneur).
Il est vrai que la solution n’est pas aussi tranchée en matière interne (C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, 2e éd., Lextenso éditions/Montchrestien, coll. « Domat, Droit privé », 2019, n° 210). Dans une affaire soumise à la cour d’appel de Limoges (18 mai 2021, n° 20/00747), la clause compromissoire se trouve dans le contrat entre le premier vendeur et son acquéreur. Néanmoins, le litige oppose le premier acquéreur, devenu vendeur, à son propre acquéreur. Dans ce second contrat, nulle trace d’une clause compromissoire. Pour la cour d’appel, quand bien même elle cite explicitement la jurisprudence ABS, la clause est manifestement inapplicable à un litige opposant seulement les parties au second contrat. Elle va plus loin en expliquant que cette clause n’est applicable qu’au litige entre les parties au premier contrat et également à un litige entre le sous-acquéreur et le vendeur initial. D’apparence convaincant, ce raisonnement constitue en réalité une double erreur d’analyse. D’une part, si tant est qu’elle soit exacte, cette interprétation relève de l’arbitre et non du juge étatique, la clause ne pouvant être considérée comme manifestement inapplicable. D’autre part, la solution est erronée. Comme nous le rappelions dans la précédente chronique, la clause n’est pas transmise ; elle prolifère. Lors de la transmission de l’obligation, la clause compromissoire se divise en deux et lie aussi bien le cédant au cédé que le cessionnaire au cédé (dans le même sens, F.-X. Train, Arbitrage et action directe : à propos de l’arrêt ABS du 27 mars 2007, Cah. arb. 2007, n° 3, p. 6). En conséquence, la cour aurait dû renvoyer le litige aux arbitres.
III - Le juge d’appui
Le juge d’appui est sans doute l’une des innovations les plus importantes du droit français de l’arbitrage. Depuis le décret du 13 janvier 2011, il est expressément visé par le code de procédure civile et ses prérogatives sont encadrées, notamment par les articles 1451 et suivants. Le juge d’appui est également compétent en matière internationale, par renvoi de l’article 1506, 2°, du code de procédure civile et par des dispositions spécifiques de l’article 1505. Pour l’essentiel, le juge d’appui, bon samaritain de l’arbitrage (P. Fouchard, E. Gaillard et B. Goldman, Traité de l’arbitrage commercial international, Litec, 1996, n° 838) est compétent pour aider à la constitution du tribunal arbitral. Il n’en demeure pas moins que ses prérogatives peuvent dépasser cette seule mission, notamment lorsqu’il connaît des demandes de récusation d’un arbitre ou de la prorogation les délais de l’arbitrage. Partant de ce constat, il n’est pas rare que les parties tentent d’étendre les missions du juge d’appui en le saisissant de difficultés allant au-delà de ce qui est prévu par le code. C’était par exemple le cas dans l’affaire Garoubé, où une partie a saisi le juge d’appui pour contester le retrait par la CCI de certaines de ses demandes à la suite du défaut de paiement de la provision d’arbitrage (pour l’arrêt de Cassation, Civ. 1re, 13 déc. 2017, n° 16-22.131, Garoubé, Dalloz actualité, 16 janv. 2018, obs. X. Delpech ; D. 2018. 18 ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; RTD com. 2019. 39, obs. E. Loquin ; Cah. arb. 2017. 701, note H. Barbier ; Procédures 2018, n° 2, p. 18, obs. L. Weiller ; Gaz. Pal. 2018, n° 11, p. 21, obs. D. Bensaude ; Rev. arb. 2018. 370, note V. Chantebout ; JDI 2019. 627, note K. Mehtiyeva). La jurisprudence ne se laisse pas entraîner dans une telle voie. La Cour de cassation avait, à cette occasion, affirmé que le code de procédure civile « n’a pas investi le juge d’appui d’une compétence générale pour trancher tous les litiges survenant au cours de la procédure d’arbitrage, mais a seulement désigné un juge étatique territorialement compétent afin de pourvoir, à titre supplétif, à la constitution d’un tribunal arbitral en cas de risque de déni de justice ».
Cette ligne est à nouveau suivie par le juge d’appui du tribunal judiciaire de Paris (TJ Paris, 16 avr. 2021, n° 21/50115, Brompton). Une partie conteste l’exclusion par la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale, conformément à son règlement, de neuf des onze défendeurs à l’arbitrage. Pour écarter la demande, le juge rappelle qu’il n’a qu’une compétence subsidiaire par rapport à l’institution. En présence d’une institution choisie par les parties, il convient d’établir une carence de la part de l’institution. Tel n’est pas le cas lorsque, en application de son règlement, l’institution procède à un examen prima facie de la convention d’arbitrage. Ce faisant, le juge confirme que les prérogatives du juge d’appui doivent être limitées à celles prévues par le code et refuse toute interprétation extensive des textes.
Est-ce à dire que la décision est inattaquable ? La réponse est négative. D’une part, l’arrêt Garoubé a rappelé la faculté pour les parties de saisir les juridictions de droit commun d’une action en responsabilité contre la CCI. D’autre part, il nous semble qu’en dépit de la décision de la CCI, les arbitres ne sont pas privés de la faculté de trancher cette question. Du point de vue du juge de l’annulation, il n’y a pas grande différence à ce que la décision d’exclusion des défendeurs ait été prise par la CCI ou par les arbitres. En effet, la cour a déjà annulé des sentences arbitrales pour des faits imputables à l’institution (Paris, 17 nov. 2011, n° 09/24158, Licensing Projects c/ Pirelli, D. 2011. 3023, obs. T. Clay ; RTD com. 2012. 530, obs. E. Loquin ; JDI 2012. 41, note X. Boucobza et Y.-M. Serinet ; Cah. arb. 2012. 159, note D. Cohen ; LPA 2012, n° 142, p. 11, obs. M. de Fontmichel ; Rev. arb. 2012. 392, comm. F.-X. Train ; l’arrêt est cassé sur un autre fondement, v. Civ. 1re, 28 mars 2013, n° 11-27.770, Pirelli c/ Licensing Projects, D. 2013. 929 ; ibid. 2936, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2013. 746 [1re esp.], note F.-X. Train ; Cah. arb. 2013. 479 [1re espèce], note A. Pinna ; Procédures 2013, n° 189, obs. L. Weiller ; Gaz. Pal. 2013, n° 181-183, p. 16, obs. D. Bensaude ; Cah. arb. 2013. 585, note P. Chevalier et C. Kaplan ; LPA 2014, n° 19, p. 9, obs. M. de Fontmichel). Dès lors, il ne doit pas y avoir de différence, au niveau du recours en annulation, sur une décision d’incompétence prise par l’institution au titre de son règlement ou par l’arbitre. On ne peut, en conséquence, qu’encourager les parties à soumettre à nouveau la demande aux arbitres.
La solution est identique à propos d’une prétention formée contre un des arbitres. Il lui est reproché une faute dans son obligation de révélation, fondant une demande de dommages et intérêts. Le juge énonce que « l’obligation de révélation pesant sur le candidat-arbitre, puis sur l’arbitre, au moment de sa désignation et pendant les opérations arbitrales, se rattache non pas au contrat d’organisation de l’arbitrage, liant les parties à l’institution d’arbitrage et régissant la constitution du tribunal arbitral, mais au contrat d’arbitre liant les parties à l’arbitre. Tout manquement allégué à cette obligation, commis tant au cours de l’exécution du contrat d’arbitre qu’à l’occasion de sa conclusion, ne peut donc donner lieu qu’à une action en responsabilité relevant de la compétence des juridictions de droit commun ». Même si le lien avec le contrat d’organisation de l’arbitrage et le contrat d’arbitre est assez flou, il est certain que l’action engagée est une action en responsabilité relevant des juridictions de droit commun.
IV - Les recours contre la sentence
A - Aspects procéduraux des voies de recours
Les aspects procéduraux du recours contre la sentence sont en train de devenir, dans les dernières années et même les derniers mois, d’une très grande complexité. Il ne s’agit plus seulement d’être spécialiste d’arbitrage pour mener à bien un tel recours. Il faut encore être très pointu en procédure civile. Il en résulte un contentieux excessivement technique, pour lequel une lecture presque quotidienne de la jurisprudence devient nécessaire.
1 - L’indication de la décision attaquée
L’article 901 du code de procédure civile énonce que « La déclaration d’appel est faite par acte contenant, outre les mentions prescrites par l’article 58, et à peine de nullité : […] l’indication de la décision attaquée ». Transposée à l’arbitrage, cette exigence implique seulement d’indiquer – pour le recours en annulation – la sentence arbitrale faisant l’objet d’un recours (pour le recours contre l’ordonnance d’exequatur, c’est l’ordonnance d’exequatur qui doit être mentionnée). En principe, il n’y a rien de complexe à cela.
Pourtant, la situation est parfois plus confuse. C’est le cas notamment lorsque le tribunal arbitral a été saisi d’une requête en interprétation et qu’il a rendu un « addendum » à la sentence finale (Paris, 11 mai 2021, n° 18/06076, Asperbras). La question est alors de savoir si la déclaration d’appel doit faire mention de cette décision, conformément à l’article 901 du code de procédure civile. Pour la cour, la réponse est positive. À défaut d’une telle mention, elle déclare le recours en annulation contre l’addendum irrecevable. La solution nous semble triplement discutable. Premièrement, un addendum n’est pas, au sens strict, une sentence arbitrale. La reddition de la sentence arbitrale a entraîné le dessaisissement des arbitres. La faculté offerte aux arbitres de rectifier une erreur matérielle ou d’interpréter la sentence est entendue restrictivement, et ne peut en aucun cas conduire à modifier le sens de la décision. En conséquence, l’addendum fait corps avec la sentence et le recours exercé contre cette dernière doit s’étendre au premier. Deuxièmement, la sanction prévue à l’article 901 du code de procédure civile est une nullité et non une irrecevabilité. Aussi, on peut douter que la solution retenue par la cour, qui est particulièrement rigoureuse, soit fondée. Troisièmement, cette décision n’est pas opportune, en ce que l’annulation de la sentence doit entraîner, par voie de conséquence, celle de l’addendum. Refuser d’y étendre le recours pose ainsi des soucis d’articulation.
Dans la présente affaire, la question ne se limite d’ailleurs pas à un addendum, mais concerne encore une autre décision, dont la qualification est discutée.
2 - La qualification de sentence
La qualification de sentence d’une décision rendue par un tribunal arbitral est une question classique, résolue (mais mal résolue) depuis longtemps par la jurisprudence Sardisud (Paris, 25 mars 1994, Sté Sardisud c/ Sté Technip, Rev. arb. 1994. 391, note C. Jarrosson). La cour d’appel de Paris y a défini la sentence comme « les actes des arbitres qui tranchent de manière définitive, en tout ou en partie, le litige qui leur a été soumis, que ce soit sur le fond, sur la compétence ou sur un moyen de procédure qui les conduit à mettre fin à l’instance ». Dans l’arrêt Asperbras (Paris, 11 mai 2021, n° 18/06076, préc.), la cour est confrontée à une décision (apparemment qualifiée de sentence intérimaire par les arbitres) qui ordonne « un paiement par provision, assorti d’une astreinte ». Autrement dit, il s’agit d’une décision provisoire.
La jurisprudence relative à la qualification des mesures provisoires en arbitrage est incertaine depuis bien trop longtemps. Deux arrêts paraissent, à cet égard, difficilement conciliables. Le premier, souvent retenu comme constituant l’état du droit positif, est un arrêt Otor (Paris, 7 oct. 2004, Otor c/ Carlyle, D. 2005. 3050, spéc. 3061, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2005, p. 737, note E. Jeuland ; JDI 2005, p. 341, note A. Mourre et P. Pedone ; JCP 2005. II. 10071, note J.-M. Jacquet ; JCP 2005. I. 134, nos 5 et 7, obs. J. Ortscheidt). Dans celui-ci, la cour d’appel de Paris a offert une alternative aux arbitres. Elle a considéré que le recours à une sentence pour exprimer des mesures conservatoires est un « choix de procédure », ouvrant ainsi la possibilité d’adopter une sentence ou une ordonnance de procédure. Toutefois, postérieurement, la Cour de cassation a exclu la qualification de sentence pour une mesure provisoire et conservatoire, sans jamais faire référence à la liberté de choix offerte aux arbitres (Civ. 1re, 12 oct. 2011, n° 09-72.439, Groupe Antoine Tabet c/ République du Congo, D. 2011. 2483 ; ibid. 3023, obs. T. Clay ; Procédures 2011. Comm. 369, note L. Weiller ; JCP 2011. 2545, obs. J. Ortscheidt ; Centre français d’arbitrage de réassurance et d’assurance 2011, n° 16, p. 19, obs. J. Barbet ; Rev. arb. 2012. 86, note F.-X. Train ; LPA 2012, n° 142, p. 15, obs. C. Muschner ; Cah. arb. 2012, p. 397, note J. Jourdan-Marques). Fallait-il y voir un revirement par rapport à la jurisprudence Otor ? Nul ne semble être en mesure de le dire. Dès lors, la solution de l’arrêt Asperbras est très intéressante, car elle ne s’inscrit dans aucune des deux solutions. En effet, d’une part, elle retient la qualification de sentence, et est en ce sens en contradiction avec l’arrêt Groupe Antoine Tabet. D’autre part, elle ne fait pas référence au choix des arbitres (même si le tribunal a opté pour la qualification de sentence), mais précise que la décision « tranche, même à titre provisoire, une partie du litige ». En réalisant son propre examen de la qualification, l’arrêt n’adopte pas non plus la solution de l’arrêt Otor.
À titre personnel, nous nous réjouissons d’une telle qualification, pour laquelle nous avons déjà plaidé (J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 2017, n° 160, préf. T. Clay, nos 72 s.). On peut néanmoins regretter que cette solution ne se fasse pas par l’intermédiaire de la consécration d’une nouvelle définition de la sentence arbitrale, qui aurait été nécessaire pour justifier cette qualification. En outre, il est quelque peu regrettable que celle-ci se fasse au détriment du recourant, à qui il est reproché de ne pas avoir mentionné cette sentence au titre des décisions attaquées dans sa déclaration d’appel. Il en résulte que son recours est irrecevable.
3 - Les pouvoirs du CME
La question des pouvoirs du conseiller de la mise en état devient une pantalonnade. Il y a plus d’un an, nous avions alerté sur les implications imprévisibles, en matière d’arbitrage, de la création par le décret du 11 décembre 2019 d’un nouvel article 789, 6°, du code de procédure civile (J. Jourdan-Marques, Déflagration dans le recours en annulation, Dalloz actualité, 4 mai 2020). En confiant au juge de la mise en état le pouvoir de trancher les fins de non-recevoir, le décret avait, par voie de conséquence, accru ceux du conseiller de la mise en état. Or, en matière d’arbitrage, les fins de non-recevoir sont légion. Pour tout recours formé après le 1er janvier 2020, il en résultait, croyait-on pouvoir en déduire, une obligation de saisir le CME pour toute fin de non-recevoir dirigée contre un recours ou contre un des moyens. C’est d’ailleurs, en pratique, la voie qui a été immédiatement suivie par les praticiens diligents.
C’était sans compter l’intervention de la Cour de cassation qui, dans un avis (Civ. 2e, avis, 3 juin 2021, n° 21-70.006, n° 15008, Dalloz actualité, 17 juin 2021, obs. R. Laffly), vient complexifier le régime par le truchement de mesures transitoires. Alors que la question ne lui est pas posée, la Cour énonce que « le conseiller de la mise en état ne peut donc statuer sur les autres fins de non-recevoir qui lui sont soumises ou qu’il relève d’office qu’à compter de cette date [le 1er janvier 2021] ». Autrement dit, quand bien même l’article 789, 6° du code de procédure civile est entré en vigueur le 1er janvier 2020, il n’est applicable au conseiller de la mise en état qu’à compter du 1er janvier 2021. Ainsi, le juge de la mise en état est compétent pour connaître des fins de non-recevoir à compter du 1er janvier 2020, et le conseiller de la mise en état n’est lui compétent qu’à compter du 1er janvier 2021 (sauf, évidemment, pour les irrecevabilités prévues par l’article 914 du code de procédure civile… mais vous aviez suivi !).
Pourquoi une telle distinction ? Tout simplement, selon la Cour de cassation, car le déféré n’est pas ouvert contre ces fins de non-recevoir, dès lors que l’ancienne version de l’article 916 du code de procédure civile ne vise pas les décisions du CME statuant sur une fin de non-recevoir. Il a fallu attendre, pour cela, un décret du 27 novembre 2020, entré en vigueur le 1er janvier 2021, qui a ouvert cette possibilité à l’article 916, alinéa 3, du code de procédure civile. On a ici la révélation, une fois de plus, du complet amateurisme des services de la chancellerie, qui continuent de pondre des décrets à la va-vite sans aucune idée des répercussions pratiques.
Reste que l’avis de la Cour aurait pu être différent. D’une part, il est hautement discutable que l’attribution du pouvoir juridictionnel de trancher les fins de non-recevoir au conseiller de la mise en état soit conditionnée à l’existence d’une voie de recours. Contrairement à ce qu’indique l’avis, rien dans la motivation de la Cour ne permet de l’expliquer. Il suffit de se rappeler que certaines décisions sont rendues en premier et dernier ressort pour constater que l’existence d’un double degré de juridiction est loin d’être un principe cardinal de la procédure civile. D’autre part, on peut se demander s’il n’est pas moins insatisfaisant de proposer une interprétation audacieuse de l’ancienne version de l’article 916 du code de procédure civile, pour ouvrir le déféré avant la révision du texte.
En refusant de suivre une telle voie, les conséquences de l’avis de la Cour ne sont pas négligeables. Pour tous les recours intentés contre des sentences entre le 1er janvier 2020 et le 1er janvier 2021 (et cela vaut aussi en procédure civile classique), il faut appliquer un régime transitoire, qui conduit, malgré l’entrée en vigueur de l’article 789, 6°, du code de procédure civile, à maintenir le statu quo ante pour le conseiller de la mise en état. Autrement dit, pendant cette période, les fins de non-recevoir visées à l’article 914 du code de procédure civile sont de la compétence du CME alors que les autres, notamment les irrecevabilités des griefs, restent de la compétence de la cour.
En revanche, il est beaucoup plus complexe de se prononcer sur le sort des incidents déjà réalisés pendant cette période transitoire. Il faut distinguer plusieurs hypothèses. Cela dit, pour simplifier les choses, on peut dire que ceux qui ont eu tort ont eu raison, et ceux qui ont eu raison ont eu tort.
Premièrement, et c’est la plus simple, on peut saluer la vista de ceux qui n’ont pas saisi le conseiller de la mise en état d’une irrecevabilité dépassant le champ de l’article 914 du code de procédure civile. Dans ce cas, la cour est compétente pour trancher l’incident.
Quid, si le conseiller de la mise en état a été saisi ? Ce sont nos deuxième, troisième et quatrième hypothèses.
Deuxièmement, si le conseiller de la mise en état ne s’est pas encore prononcé, il lui appartient de renvoyer l’incident à la cour, au besoin d’office.
Troisièmement, si, conformément à l’article 789, alinéa 2, du code de procédure civile, le conseiller de la mise en état a renvoyé la question à la formation de jugement (ce qui est advenu dans certaines affaires), on peut espérer que la Cour de cassation fasse preuve de mansuétude et ne sanctionne pas ce détour procédural.
Quatrièmement, il n’est pas exclu (mais nous avouons ne pas en avoir connaissance) que le conseiller ait dû se prononcer, faute notamment de pouvoir renvoyer à la cour. Dans une telle hypothèse, il a commis un excès de pouvoir. La voie de recours est le déféré-nullité, puisque le déféré est fermé. Encore faut-il que son délai d’exercice soit ouvert ! Il faudra alors savoir si la Cour de cassation est susceptible de se prononcer à l’occasion du pourvoi contre l’arrêt d’appel, alors que la décision a été rendue par un conseiller de la mise en état dépourvu de pouvoir…
Enfin, c’est la cinquième hypothèse, il y aura des cas où le déféré aura été exercé. Toutefois, dans ce cas, le déféré n’est pas recevable. Il faudra donc former un pourvoi contre l’arrêt se prononçant sur ce déféré, la cour n’ayant pas le pouvoir de connaître du déféré !
Bref, voilà un avis qui doit conduire de très nouveaux praticiens ayant actuellement un recours pendant devant la cour à revoir leur procédure et à en tirer les conséquences immédiates, en espérant que des effets irrémédiables ne se soient pas encore réalisés.
En ayant dit cela, nous n’avons même pas parlé du cœur de l’avis. En effet, celui-ci portait, en synthèse, sur la faculté du conseiller de la mise en état à connaître des fins de non-recevoir tranchées (ou pas) en première instance. À cet égard, la Cour énonce que « la détermination par l’article 907 du code de procédure civile des pouvoirs du conseiller de la mise en état par renvoi à ceux du juge de la mise en état ne saurait avoir pour conséquence de méconnaître les effets de l’appel et les règles de compétence définies par la loi. Seule la cour d’appel dispose, à l’exclusion du conseiller de la mise en état, du pouvoir d’infirmer ou d’annuler la décision frappée d’appel, revêtue, dès son prononcé, de l’autorité de la chose jugée. Il en résulte que le conseiller de la mise en état ne peut connaître ni des fins de non-recevoir qui ont été tranchées par le juge de la mise en état, ou par le tribunal, ni de celles qui, bien que n’ayant pas été tranchées en première instance, auraient pour conséquence, si elles étaient accueillies, de remettre en cause ce qui a été jugé au fond par le premier juge ».
L’idée est de ne pas permettre au conseiller de la mise en état de statuer comme juge d’appel. À première vue, cette partie de l’avis n’a que des répercussions très modérées en matière en d’arbitrage, le recours contre la sentence n’étant justement pas un appel. On peut toutefois en envisager deux, à la portée limitée : d’une part, l’avis jouera pleinement en matière d’appel contre la sentence arbitrale interne ; d’autre part, il jouera partiellement en présence d’un appel contre l’ordonnance d’exequatur (par exemple, si l’acte ayant bénéficié de l’exequatur n’est pas une sentence, cette qualification doit être tranchée par la cour et non par le conseiller de la mise en état. En effet, dire que l’acte n’est pas une sentence entraîne nécessairement l’annulation de l’ordonnance d’exequatur. Ce pouvoir incombe exclusivement à la cour. À l’inverse, une question relative à la qualification de sentence dans un recours en annulation entraîne l’irrecevabilité du recours, qui relève dès lors du conseiller de la mise en état).
En définitive, cet avis révèle, une fois de plus, que la modification en apparence anodine d’un texte peut entraîner un effet de dominos. En modifiant les pouvoirs du JME, le décret du 11 décembre 2019 a modifié les pouvoirs du CME. En modifiant les pouvoirs du CME, le décret a considérablement perturbé le fonctionnement du recours en annulation. Tout est lié. À défaut de pilote dans l’avion-chancellerie, c’est aux praticiens d’en subir les conséquences.
4 - La tierce opposition contre l’ordonnance d’exequatur d’une sentence
L’admission de la tierce opposition en matière d’arbitrage international est une question régulièrement débattue dans les dernières années. Contrairement à la matière interne, où la tierce opposition est recevable contre la sentence conformément à l’article 1501 du code de procédure civile, la tierce opposition contre les sentences arbitrales internationales est exclue. L’article 1506 du Code de procédure civile ne renvoie pas à l’article 1501 du même code, excluant toute tierce opposition. Cette solution, déjà retenue par le droit antérieur, est confirmée par la jurisprudence (Civ. 1re, 8 oct. 2009, n° 07-21.990, Association de défense de la bibliothèque polonaise [2 arrêts], Bull. civ. I, n° 201 ; D. 2009. 2959, obs. T. Clay ; JCP 2010. I. 644, § 6, obs. J. Beguin ; Rép. dr. com., act. nov. 2009, p. 6, obs. X. Delpech). Cette exclusion fait l’objet d’âpres discussions en doctrine (T. Clay, « Liberté, égalité, efficacité » : la devise du nouveau droit français de l’arbitrage. Commentaire article par article [Deuxième partie], JDI 2012. 815, spéc. p. 841 ; J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, op. cit., nos 230 s. et nos 245 s. ; v. égal., mais de façon moins tranchée, C. Seraglini, Les effets de la sentence, Rev. arb. 2013. 705, n°24 ; E. Loquin, Perspective pour une réforme des voies de recours, Rev. arb. 1992. 321, n° 28 ; S. Bollée, Les effets des sentences arbitrales à l’égard des tiers, Rev. arb. 2015. 695, nos 25 s. ; S. Bollée, Les recours et les tiers en matière d’arbitrage, Rev. arb. 2018. 139 ; S. Lemaire, L’opposabilité de la sentence arbitrale aux tiers. Approche critique du droit français, in Mélanges en l’honneur du Professeur Pierre Mayer, LGDJ, Lextenso éditions, 2015, p. 465, nos 37 s.).
La question est légèrement différente lorsqu’il s’agit de s’interroger sur la recevabilité de la tierce opposition, non pas contre la sentence, mais contre un jugement se prononçant sur la sentence arbitrale. C’est notamment le cas de la tierce opposition formée contre l’ordonnance d’exequatur. Cette problématique est au cœur de la jurisprudence Central Bank of Libya, qui vient de donner lieu à une cassation qui ne passera pas inaperçue (Civ. 1re, 26 mai 2021, n° 19-23.996, Central Bank of Libya).
Une sentence arbitrale a condamné l’État libyen à indemniser des investisseurs, qui ont obtenu l’exequatur de la sentence en France et fait pratiquer des saisies contre la Banque centrale de Libye. Cette dernière a formé une contestation contre cette mesure d’exécution en faisant notamment valoir qu’elle n’a pas été condamnée par la sentence et qu’elle n’est pas une émanation de l’État libyen. Elle a par ailleurs saisi la cour d’appel de Paris d’une tierce opposition contre l’arrêt confirmant l’ordonnance d’exequatur de la sentence arbitrale. L’action a été sèchement déclarée irrecevable par la cour d’appel de Paris : « En premier lieu, il convient de relever que si en matière d’arbitrage interne, la voie de la tierce opposition est ouverte en application de l’article 1501 du code de procédure civile, l’article 1506 du code de procédure civile ne renvoyant pas à ce texte, pour les sentences rendues en France en matière internationale et pour les sentences rendues à l’étranger, celles-ci ne peuvent pas être frappées d’une tierce opposition. En second lieu, comme le soutient la société B-C, le seul recours ouvert contre l’ordonnance d’exequatur d’une sentence rendue à l’étranger est l’appel prévu par l’article 1525 du code de procédure civile, dans les cas d’ouverture énumérés par l’article 1520 du code de procédure civile qui visent la sentence elle-même et non l’ordonnance d’exequatur qui n’est donc en tant que telle, susceptible d’aucun recours. Dès lors, la tierce opposition à l’arrêt d’appel statuant sur la décision qui accorde l’exequatur à une sentence rendue à l’étranger, permettrait si elle était admise, à un tiers à la convention d’arbitrage et à l’instance arbitrale, d’opposer aux parties à cette convention et cette instance, des moyens visant la sentence elle-même alors qu’aucun recours n’est ouvert aux tiers contre la sentence rendue à l’étranger » (Paris, 28 mai 2019, n° 16/21946, Dalloz actualité, 23 juill. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ).
L’arrêt est cassé, au visa des articles 1525, alinéa 1er, et 585 du code de procédure civile. La Cour énonce notamment que « la tierce opposition contre l’arrêt de la cour d’appel ayant accordé l’exequatur constituait une voie de recours de droit commun à l’encontre, non de la sentence arbitrale, mais de la seule décision d’exequatur de la sentence rendue à l’étranger ». Il y a beaucoup à dire sur la décision, que l’on approuve dans son principe, tant nous appelions de nos vœux depuis longtemps l’ouverture d’une telle voie de recours aux tiers (thèse préc.).
D’une part, on notera que, alors qu’elle y est invitée par le pourvoi, la Cour ne juge pas nécessaire de fonder sa cassation sur l’article 6, § 1, de la Conv. EDH. Cette omission n’est pas indifférente. C’est ce fondement qui a été utilisé pour permettre, en matière interne, à une caution solidaire de former une tierce opposition en écartant la règle de représentation mutuelle des coobligés (Com. 5 mai 2015, n° 14-16.644, D. 2015. 1046 ; ibid. 1810, obs. P. Crocq ; ibid. 2588, obs. T. Clay ; Rev. sociétés 2016. 317, note B. Le Bars ; RTD civ. 2015. 882, obs. H. Barbier ; ibid. 933, obs. P. Théry ; RTD com. 2016. 59, obs. E. Loquin ; JCP 2015, n° 21, p. 981, note J.-B. Perrier ; Lexbase Hebdo 2015, n° 427, note D. Nemtchenko ; JCP E 2015. 2362, note J. Jourdan-Marques ; Procédures 2015. Comm. 264, note L. Weiller ; Gaz. Pal. 2015, n° 263-265, p. 27, note L. Mayer ; JCP 2015. Doctr. 1304, obs. R. Libchaber ; ibid. Doctr. 877, n° 6, obs. J. Ortscheidt ; ibid. Doctr. 1222, obs. P. Simler ; D. 2015. 2588, spéc. p. 2591, obs. T. Clay). Cette fois, la Cour considère qu’elle peut se dispenser de ce fondement, le seul code de procédure civile étant suffisant pour justifier sa solution. Ce choix est explicité par la motivation de la Cour, qui considère qu’il s’agit d’une « voie de recours de droit commun ». Inutile donc, de faire un détour par la CEDH pour fonder une solution qui est assise sur le seul code de procédure civile.
D’autre part, la solution repose principalement sur l’article 585 du code de procédure civile. Celui-ci énonce que « tout jugement est susceptible de tierce opposition si la loi n’en dispose autrement ». Or, force est de constater que l’article 1525 du code de procédure civile retient une formule permissive : « la décision qui statue sur une demande de reconnaissance ou d’exequatur d’une sentence arbitrale rendue à l’étranger est susceptible d’appel ». Il est délicat d’en déduire que la loi « en dispose autrement », conformément à la lettre de l’article 585 du code de procédure civile.
Voilà une solution dont on peut saluer la rectitude juridique. Pour autant, elle soulève plus de questions qu’elle n’en résout. En effet, il ne suffit pas de statuer sur la recevabilité de la tierce opposition contre l’ordonnance d’exequatur pour résoudre toutes les difficultés. Bien au contraire.
Premièrement, on peut s’interroger sur les décisions pouvant, à la suite de cet arrêt, faire l’objet d’une tierce opposition. Évidemment, il faut y inclure l’arrêt d’appel statuant contre l’ordonnance accordant l’exequatur à une sentence rendue à l’étranger, puisque c’est le cas de figure prévu par l’arrêt. En toute logique, on doit encore y inclure l’arrêt d’appel statuant contre l’ordonnance refusant l’exequatur, puisqu’il suit également le régime de l’article 1525, alinéa 1er, du code de procédure civile. On doit également, sans aucun doute, ajouter la tierce opposition contre l’ordonnance d’exequatur elle-même, qu’elle accorde ou refuse l’exequatur. En effet, il est loin d’être acquis qu’un appel soit interjeté. On ne comprendrait pas que le sort des tiers dépende du choix par les parties d’exercer un recours. La tierce opposition doit pouvoir être exercée indépendamment de cette voie de recours qui reste entre les mains des parties. Ces solutions valent pour les sentences étrangères.
En revanche, contre les sentences rendues en France, la situation est autrement plus complexe. Lorsque le juge refuse l’exequatur, l’article 1523 du code de procédure civile retient une formule proche de celle de l’article 1525 : « La décision qui refuse la reconnaissance ou l’exequatur d’une sentence arbitrale internationale rendue en France est susceptible d’appel ». Il n’y a pas de difficultés majeures à étendre la solution retenue par l’arrêt du 26 mai 2021. Cependant, lorsque le juge accorde l’exequatur, l’article 1524, alinéa 1er, du code de procédure civile, est plus tranché : « l’ordonnance qui accorde l’exequatur n’est susceptible d’aucun recours sauf dans le cas prévu au deuxième alinéa de l’article 1522 ». Dès lors, il sera plus délicat de se fonder sur l’article 585 du code de procédure civile pour accueillir le recours. On peine néanmoins à croire que la tierce opposition soit fermée dans cette seule hypothèse : pourquoi exclure la tierce opposition lorsque le juge accorde l’exequatur à une sentence rendue en France et l’admettre lorsque la sentence est rendue à l’étranger ? La solution n’est pas justifiable. Elle l’est d’autant moins que le recours en annulation peut être exercé indépendamment de toute procédure d’exequatur préalable. En toute logique, il faut donc admettre la tierce opposition contre l’ordonnance accordant l’exequatur, mais encore contre l’arrêt d’appel statuant sur le recours en annulation, qu’il soit rendu après une demande d’exequatur préalable ou non. Il faudra, en conséquence, soit forcer la lettre du code de procédure civile, soit appeler l’article 6, § 1, à la rescousse.
Deuxièmement, il faudra s’interroger sur l’intérêt à agir du tiers formant la tierce opposition. Une appréciation stricte de l’intérêt restreint sensiblement les décisions susceptibles de faire l’objet d’un tel recours. En l’espèce, la tierce opposition – même si cela devra être jugé par la cour d’appel de renvoi – sera recevable, car des mesures d’exécution forcée ont été mises en œuvre contre le tiers. Son intérêt à agir ne fait aucun doute. On ne peut ignorer que cette situation a pesé dans l’esprit de la Cour de cassation. Reste à savoir si elle sera la condition indispensable de l’intérêt à agir. On peut imaginer quatre niveaux – au moins – d’exigence quant à l’existence d’un intérêt un agir : (1) le tiers fait l’objet de mesures d’exécution, comme dans la présente affaire ; (2) la sentence a obtenu l’exequatur et peut ultérieurement faire l’objet de mesures d’exécution contre le tiers ; (3) la sentence a obtenu l’exequatur et ne devrait pas faire l’objet de mesures d’exécution contre le tiers ; (4) la sentence n’a pas obtenu l’exequatur. La question est donc de savoir si la seule intégration (ou non) de la sentence dans l’ordre juridique français est susceptible de fonder un intérêt à agir, ou si des mesures d’exécutions (actuelles ou potentielles) sont nécessaires. De la réponse à cette question dépendra, par exemple, la faculté pour un tiers de former une tierce opposition contre un arrêt d’appel annulant une sentence arbitrale. En principe, l’intérêt du tiers devrait être apprécié in concreto et ne pas être automatiquement exclu en fonction du sens de la décision. En revanche, il y aura un véritable enjeu à déterminer les conditions d’une reconnaissance d’un tel intérêt.
Troisièmement, il conviendra encore de déterminer les tiers susceptibles d’exercer une telle voie de recours. En principe, les arbitres en sont toujours exclus (Civ. 2e, 11 janv. 2018, n° 16-24.740, Dalloz actualité, 23 janv. 2018, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2018. 120 ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; JCP 2018. 595, note D. Mouralis ; JCP E 2019, n° 4, p. 29, obs. J. Ortscheidt). Néanmoins, la question se posera de l’appréciation de la restriction prévue à l’article 583 du code, selon laquelle la tierce opposition est ouverte « à la condition qu’elle n’ait été ni partie ni représentée au jugement qu’elle attaque ». En principe, cette exclusion ne devrait pas être interprétée de façon trop extensive, dans la lignée de l’arrêt du 5 mai 2015 (Com. 5 mai 2015, n° 14-16.644, préc.). Elle pourrait rebondir lorsqu’il s’agira de distinguer un démembrement de l’État d’un organisme public étranger. En effet, faudra-t-il ouvrir la tierce opposition à tous les démembrements de l’État contre lesquels une exécution forcée est envisagée, au risque de nourrir un contentieux artificiel ?
Quatrièmement, et c’est sans doute la question la plus fondamentale : quelle sera la nature du contrôle exercé par le juge saisi de la tierce opposition ? L’article 582, alinéa 2, du code de procédure civile énonce que la tierce opposition « remet en question relativement à son auteur les points jugés qu’elle critique, pour qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit ». Pour la tierce opposition formée contre l’arrêt d’appel, on peut imaginer que le tiers pourra se prévaloir des griefs prévus par l’article 1520 du code de procédure civile. Mais qu’en est-il si, à défaut de recours en annulation ou contre l’ordonnance d’exequatur, la tierce opposition est formée devant le tribunal judiciaire ? En principe, les prérogatives du juge de l’exequatur sont limitées par l’article 1514 du code de procédure civile, qui énonce que : « Les sentences arbitrales sont reconnues ou exécutées en France si leur existence est établie par celui qui s’en prévaut et si cette reconnaissance ou cette exécution n’est pas manifestement contraire à l’ordre public international ». Dès lors, faudra-t-il limiter le tribunal judiciaire saisi du recours à ces seuls griefs ou faudra-t-il permettre un examen étendu à tous les cas d’ouverture du recours ?
En tout état de cause, si l’examen réalisé, que ce soit par la cour d’appel voire par le tribunal judiciaire à défaut de recours contre l’ordonnance, est équivalent à celui réalisé par le juge du recours contre la sentence, il convient d’admettre que le recours exercé par le tiers ressemblera fortement, non pas à une tierce opposition contre le jugement, mais bien une tierce opposition contre la sentence. C’était justement l’aspect le plus convaincant de l’argumentation de la cour d’appel : « Dès lors, la tierce opposition à l’arrêt d’appel statuant sur la décision qui accorde l’exequatur à une sentence rendue à l’étranger, permettrait si elle était admise, à un tiers à la convention d’arbitrage et à l’instance arbitrale, d’opposer aux parties à cette convention et cette instance, des moyens visant la sentence elle-même alors qu’aucun recours n’est ouvert aux tiers contre la sentence rendue à l’étranger ». À cet égard, la motivation de la Cour de cassation, lorsqu’elle affirme que le recours porte sur l’arrêt d’appel et non la sentence, ressemble plutôt à une pirouette. In fine, sauf à vider ce recours de toute sa substance, c’est bien la sentence, et non l’arrêt d’appel qui sera examiné. Ce faisant, il faut bien admettre qu’il n’y a qu’un pas entre la tierce opposition contre l’arrêt et la tierce opposition contre la sentence. Il est même allégrement franchi en ce qui concerne les effets du recours : si le juge, le cas échéant, accueille favorablement la tierce opposition, c’est non seulement l’arrêt d’appel qui sera inopposable au tiers, mais aussi la sentence elle-même.
D’ailleurs, cette distinction peut donner lieu à des interrogations supplémentaires. Par exemple, on pourra se demander si la décision statuant sur la tierce opposition formée contre l’arrêt rejetant le recours en annulation et accueillie favorablement par le juge est susceptible de circuler internationalement. On en a des maux de tête rien que d’y penser.
En somme, la rigueur juridique de l’arrêt n’est qu’apparente. À vouloir, peut-être par une technique de petits pas, limiter la portée de sa solution à la seule tierce opposition contre les décisions étatiques connaissant des sentences, la Cour de cassation laisse apparaître une quantité vertigineuse de questions. Il aurait sans doute été plus simple (quoique) – et pas nécessairement moins rigoureux juridiquement – d’ouvrir la possibilité pour les tiers de former directement une tierce opposition contre la sentence arbitrale. Il n’en reste pas moins que l’on peut se réjouir d’une solution qui était attendue de longue date.
B - Aspects substantiels du recours
1 - La place des règles de conflit dans le recours
La question du recours aux règles de conflit dans le recours en annulation est une question ancienne et toujours très discutée. En principe, la jurisprudence en fait largement abstraction, lui préférant les règles matérielles. Pourtant, depuis quelque temps, la jurisprudence semble avoir implicitement réintroduit une règle de conflit en matière de procédure. Dans la présente chronique, on assiste à une inflation de l’attendu selon lequel « les parties ayant choisi Paris (France) en tant que siège de l’arbitrage, la loi française est applicable à la procédure » (Paris, 25 mai 2021, n° 18/27648, Cengiz, préc. ; Paris, 11 mai 2021, n° 18/07442, Cevikler). Il se trouvait déjà mot pour mot dans des arrêts Grenwich (Paris, 16 févr. 2021, n° 18/16695, Dalloz actualité, 30 avr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques) et TCM (Paris, 3 juin 2020, n° 19/07261, Dalloz actualité, 29 juill. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay ) et, dans l’esprit, dans l’arrêt DS Construction (Paris, 23 mars 2021, n° 18/05756, Dalloz actualité, 30 avr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques).
La formule peut sembler inoffensive. Elle justifie, tantôt de l’application de la règle de la renonciation prévue par l’article 1466 du code de procédure civile, tantôt de l’application de l’obligation de motivation de la sentence, prévue par l’article 1482 du code. Elle n’entraîne aucun résultat dommageable dans l’ensemble de ces affaires, puisque le siège est systématiquement fixé en France. Reste que le juge français ne connaît pas uniquement des sentences rendues en France. Il peut aussi connaître de sentences rendues à l’étranger, dans le cadre d’un contrôle contre l’ordonnance d’exequatur. Dans ces cas, comment faire ? Telle que posée, la règle de conflit est unilatérale : elle désigne la loi française lorsque le siège est fixé en France. Il n’en demeure pas moins qu’elle peut facilement être bilatéralisée : il suffit de dire que la loi applicable à la procédure est la loi du siège de l’arbitrage. Ainsi, dans le cadre d’un recours contre une sentence rendue à l’étranger, le juge français peut être conduit à appliquer à la procédure une loi étrangère. Par exemple, si le siège est fixé à Londres, le juge français applique la loi anglaise à la procédure, notamment pour déterminer les dispositions relatives à la renonciation ou à la motivation.
Une telle solution n’est pas du tout heureuse. Naturellement, on peut commencer par dire, de façon parfaitement dogmatique – et assumée – que la réintroduction d’une règle de conflit en matière d’arbitrage est, par principe, une mauvaise nouvelle. Il faut néanmoins aller au-delà.
D’une part, cette réintroduction est contraire à l’article 1509 du code de procédure civile, qui énonce que « La convention d’arbitrage peut, directement ou par référence à un règlement d’arbitrage ou à des règles de procédure, régler la procédure à suivre dans l’instance arbitrale. Dans le silence de la convention d’arbitrage, le tribunal arbitral règle la procédure autant qu’il est besoin, soit directement, soit par référence à un règlement d’arbitrage ou à des règles de procédure ». La contradiction est flagrante. On ne peut, d’un côté, donner aux parties, et subsidiairement aux arbitres, la possibilité de déterminer les règles de procédure et, de l’autre, mettre en place un facteur de rattachement rigide. On le peut d’autant moins que le choix du siège n’est pas nécessairement réalisé par les parties ou l’arbitre, ce qui vient à tous les priver de la faculté offerte par l’article 1509 au profit d’un tiers (notamment l’institution).
On peut être tenté d’expliciter cette différence de régime par une différence d’objet. Finalement, les règles de procédure au sens de l’article 1509 du code de procédure civile ne seraient pas les mêmes que les règles de procédure au sens de cette jurisprudence. Il faudrait ainsi profiter de la polysémie de la notion de procédure pour y découvrir une différence de régime. Cependant, la distinction est immédiatement douteuse, dès lors que l’on voit mal comment faire le tri entre les règles qui relèvent de la procédure librement choisie par les parties ou l’arbitre et celles qui relèvent de la règle de conflit posée par la cour. On le comprend d’autant moins qu’il s’agit, dans les deux cas, de règles applicables à l’instance devant l’arbitre.
D’autre part, cela implique, de la part du juge, de renoncer à imposer ces règles à des sentences rendues à l’étranger. Il conviendrait alors de découvrir dans le droit étranger une règle équivalente et de l’interpréter à l’aune de la jurisprudence étrangère. Le cumul de ces deux conditions conduit à des solutions tout à fait différentes de celles retenues en droit français. Il y aurait donc une véritable distinction de régime qui se créerait entre les sentences françaises et les sentences étrangères, alors qu’elles sont actuellement assimilées pour l’essentiel. On imagine d’ores et déjà les difficultés auxquelles cela donnera lieu, particulièrement en matière de renonciation. Il suffit de prendre l’exemple – toujours le même – de l’obligation de révélation pour se rendre compte qu’il faut potentiellement livrer une analyse distincte selon que la sentence est rendue en France ou à l’étranger. On prierait presque pour que cela n’arrive pas.
Ceci étant, il est vrai que l’on peine à comprendre, pour les sentences rendues à l’étranger, à quel titre des règles françaises de procédure s’appliquent. La réponse se trouve en partie dans l’article 1510 du code de procédure civile : « Quelle que soit la procédure choisie, le tribunal arbitral garantit l’égalité des parties et respecte le principe de la contradiction ». En dépit de la liberté conférée aux parties et aux arbitres de déterminer les règles de procédure, certains principes doivent être respectés. On comprend donc que le droit français peut s’appliquer au titre de règles de procédure, indépendamment des règles choisies par les parties ou les arbitres. Pour autant, l’application de cette disposition dépend-elle d’une règle de conflit ? La réponse doit être négative : l’égalité des parties et le principe de la contradiction sont des principes que toute sentence – française ou étrangère – doit respecter. Elle s’applique ainsi au titre d’une règle matérielle (on peut éventuellement discuter de la qualification de loi de police, mais la première qualification semble préférable).
On le voit, l’application de règles françaises à la procédure est réalisée au titre d’une règle matérielle. Il en va de même pour les règles sur la motivation et sur la renonciation. Lors du recours contre la sentence arbitrale, la mise en œuvre de ces règles se justifie par leur qualité de règle matérielle du droit français de l’arbitrage. Cela n’interdit pas, d’ailleurs, de reconnaître leur caractère supplétif de volonté. S’agissant de la motivation, la jurisprudence considère de longue date que la sentence non motivée n’est pas, de ce seul fait, contraire à l’ordre public international (Civ. 1re, 22 nov. 1966, Gerstlé, JCP 1968. II. 15318, obs. H. Motulsky ; JDI 1967. 631, note B. Goldman ; Rev. crit. DIP 1967. 372, note P. Francescakis). Le renvoi opéré par l’article 1506, 4°, à l’article 1482 du code de procédure civile est considéré comme ayant un caractère supplétif. Aussi, les parties peuvent convenir de dispenser les arbitres de motiver leur sentence. De même, pour la renonciation, celle-ci est possible de faire l’objet d’aménagements, notamment sous l’influence des règlements d’arbitrage qui posent des délais spécifiques.
Ainsi, plutôt que de raisonner en termes de règle de conflit et de conduire à l’exclusion du droit français pour les sentences étrangères, il semble préférable de retenir une qualification de règle matérielle supplétive de volonté, afin de permettre aux parties d’y déroger.
2 - La compétence
Depuis quelques années, les recours en annulation devant les juridictions françaises contre des sentences d’arbitrage d’investissements se multiplient, conséquence immédiate de la désignation grandissante de Paris comme siège dans la résolution de ces litiges. Il n’a donc pas fallu longtemps pour voir les décisions – et les annulations – se multiplier, au point de générer une certaine inquiétude (J. Jourdan-Marques, Chronique d’arbitrage : où va le contrôle étatique de l’arbitrage international ?, Dalloz actualité, 30 avr. 2021). Poussée par les jurisprudences Abela (Civ. 1re, 6 oct. 2010, n° 09-10.530, Abela, Dalloz actualité, 21 oct. 2010, obs. X. Delpech ; D. 2010. 2442, obs. X. Delpech ; ibid. 2011. 265, obs. N. Fricero ; Rev. arb. 2010. 813, note F.-X. Train ; JCP 2010. 1028, note P. Chevalier ; ibid. I. 1286, obs. J. Ortscheidt ; Gaz. Pal. 8 févr. 2011, p. 14, obs. D. Bensaude ; Paris, 12 juill. 1984, Égypte c/ SPP, Rev. arb. 1986. 75 ; JDI 1985. 129, note B. Goldman ; Civ. 1re, 6 janv. 1987, n° 84-17.274, SPP c/ Égypte, Rev. arb. 1987. 469, note P. Leboulanger ; JDI 1987. 638, note B. Goldman) et Schooner (Civ. 1re, 2 déc. 2020, n° 19-15.396, Schooner, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2456 ; Procédures 2021, n° 2, p. 24, obs. L. Weiller), le recours en annulation glisse progressivement vers un appel. Discutable dans son principe, cette évolution jurisprudentielle l’est encore plus dès lors que l’on constate que la juridiction parisienne ne partage pas la vision extensive des arbitres quant à la compétence.
C’est pourtant un coup d’arrêt – particulièrement bienvenu – à cette fuite en avant que constitue l’arrêt Cengiz (Paris, 25 mai 2021, n° 18/27648, Cengiz, préc.). Naturellement, sauf à vouloir entrer en conflit frontal avec la Cour de cassation – sur quoi nous serions le premier à la soutenir – la cour ne peut faire autrement que d’accueillir un moyen non discuté devant le tribunal arbitral. En revanche, pour le reste, la cour pose de nouvelles bornes à son contrôle, afin notamment d’éviter que les parties puissent faire passer des questions de compétence l’intégralité des dispositions d’un TBI.
La première borne posée concerne la corruption. Pour la cour, il ne s’agit pas d’une question de compétence. La question est ancienne et a fait l’objet d’une sentence connue, y répondant positivement (Sentence CCI n° 1110, 1963, Lagergren). Reste que, depuis cette époque, la solution est le plus souvent écartée, en ce que la corruption n’interdit pas au tribunal arbitral de trancher le différend. C’est précisément la solution retenue par la cour d’appel de Paris dans l’arrêt Cengiz. Elle énonce que l’« offre permanente d’arbitre [d’un TBI] est autonome et indépendante de la validité de l’opération qui a donné naissance à l’investissement ou qui la soutient, de sorte que l’acceptation de l’arbitrage qui résulte de la notification de la requête d’arbitrage suffit à justifier la compétence du tribunal arbitral pour statuer sur la licéité de cet investissement et la demande en réparation ». Des faits de corruption ne font aucunement obstacle à la compétence du tribunal arbitral. Naturellement, cette exclusion de la corruption du champ d’application de l’article 1520, 1°, du code de procédure civile n’interdit pas, ce qu’elle fait depuis longtemps, à la cour de revenir sur le grief sur le fondement de l’article 1520, 5°. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit bien d’une restriction du cas d’ouverture sur la compétence.
Dans sa motivation sur la corruption, la cour en profite pour poser une seconde borne. Elle souligne que « le juge de l’annulation ne peut, se substituer à l’arbitre pour trancher un litige portant sur la licéité de l’investissement ou du contrat qui concrétise cet investissement, qui ne relève que du seul fond du litige et non de l’appréciation de la compétence du tribunal arbitral ». Sont ainsi exclues les questions de licéité. Qu’est-ce donc, au sens de la cour d’appel, une question de licéité ? Difficile de le savoir d’emblée. En effet, la cour d’appel pose, toujours dans le même arrêt, une troisième borne. Celle-ci concerne les questions de légalité. La cour énonce à ce sujet « qu’une clause de légalité de l’investissement ne peut mettre en cause l’existence de l’investissement que si cette condition de légalité est d’une gravité telle qu’elle emporterait l’incompétence du tribunal arbitral pour connaître du litige lié à celui-ci ». D’une part, la licéité et la légalité semblent devoir être distinguées (ce qui n’est pas évident en droit des investissements). En l’espèce, la corruption relève de la licéité alors que les dispositions internes de la loi libyenne concernent la légalité. D’autre part, elles ne sont pas soumises à un régime parfaitement identique, puisque, en matière de légalité, il n’est pas totalement exclu qu’un contrôle soit réalisé. On voit mal, en première lecture, ce qui justifie une telle distinction, d’autant que les questions de licéité semblent plus graves que celles de légalité. Peut-être que, dans l’esprit de la cour, cela s’explique par le fait que les illicéités « graves » tombent dans le champ de l’ordre public international, ce qui rend inutile un contrôle par la voie de la compétence. Néanmoins, la cour aurait sans doute pu s’en tenir à une exclusion totale, au risque de générer un contentieux parasite.
L’exclusion des questions de licéité ou de légalité de l’investissement dans le cas d’ouverture relatif à la compétence n’avait rien d’évidente, notamment car la question est débattue devant les arbitres (E. Teynier, L’office de l’arbitre d’investissement : le cas particulier de l’investissement illicite, Rev. arb. 2019. 117 ; v. égal. M. Laazouzi et S. Lemaire, Normes de protection de l’environnement : obstacles à la compétence du tribunal arbitral ou au bien-fondé des demandes ?, Rev. arb. 2019. 609 ; E. Gaillard, La corruption saisie par les arbitres du commerce international, Rev. arb. 2019. 805). Elle emporte des conséquences qu’il convient de rappeler. Ce n’est pas équivalent d’y voir une question de compétence de l’arbitre ou de fond. Si l’on y voit une question de compétence, cela conduit, d’une part, au stade arbitral, à exclure l’intervention de l’arbitre sur le différend ; d’autre part, au stade du recours, cela permet au juge étatique de réaliser un contrôle de ce critère, sans être limité dans l’étendue de son contrôle, et même en pouvant connaître de nouveaux moyens, pièces ou preuves (Civ. 1re, 2 déc. 2020, n° 19-15.396, Schooner, préc.). Ainsi, le critère de la licéité de l’investissement ne sera jamais contrôlé, sauf à tomber également sous le coup de l’ordre public international, comme celui de la légalité, sauf à être particulièrement grave. Cette solution est bienvenue. Elle évite la tentation pour les juridictions françaises de devenir le juge d’appel des litiges d’investissements. Ce faisant, la cour fixe de façon anticipée sa jurisprudence et dissuade les futurs plaideurs de s’en prévaloir pour discuter de la compétence du tribunal.
Enfin, la cour d’appel pose une quatrième borne. Elle rejette le moyen du requérant qui tente de soumettre à la discussion sur la compétence la question du respect d’une clause de conciliation préalable. Elle énonce que « le grief tiré du non respect d’une clause préalable de conciliation et notamment de la période de réflexion (« cooling off period ») qu’elle prévoit ne constitue pas une exception d’incompétence, mais une question relative à la recevabilité des demandes, qui n’entre pas dans les cas d’ouverture du recours en annulation énumérés par l’article 1520 du code de procédure civile ». La solution n’est pas vraiment étonnante, dès lors que même l’arrêt d’appel dans l’affaire Rusoro a statué en ce sens (Paris, 29 janv. 2019, n° 16/20822, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ; JDI 2020. 199, note H. Ascencio ; Gaz. Pal. 2019, n° 24, p. 21, obs. D. Bensaude ; Cah. arb. 2019. 87, note T. Portwood et R. Dethomas ; Rev. arb. 2019. 250, note M. Audit ; ibid. 584, note M. Laazouzi). Ceci étant, un arrêt Keppel a semé le doute sur la question de la qualification de ces clauses (Paris, 1er déc. 2020, n° 19/08691, Qatar c/ Keppel, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques). L’arrêt Cengiz signe ainsi, après l’arrêt Rusoro de la Cour de cassation (Civ. 1re, 31 mars 2021, n° 19-11.551, Rusoro, Dalloz actualité, 30 avr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques) un retour à l’orthodoxie attendu.
3 - La constitution du tribunal arbitral
La cour d’appel de Paris a encore eu à trancher un moyen relatif au défaut d’indépendance et d’impartialité du tribunal arbitral (Paris, 18 mai 2021, n° 18/10511, Zakhem). Si l’arrêt est de facture assez classique, on doit signaler que le recourant a saisi le conseiller de la mise en état aux fins d’obtenir des mesures d’instruction à l’encontre de l’arbitre. Le conseiller de la mise en état a finalement renvoyé la demande de mesure d’instruction à la cour et elle est rejetée. Pour autant, cette demande est très révélatrice d’un changement de perspective par les parties : puisque certains arbitres, malgré dix années de jurisprudence, refusent toujours de révéler loyalement leurs liens, les parties sont désormais tentées d’avoir recours à des mesures d’investigations plus offensives. Aujourd’hui, il s’agit de demander une mesure d’instruction à un juge ; demain, il s’agira potentiellement de produire des pièces rapportées par un détective privé (v. par ex., dans l’arrêt BYD Auto, où une enquête menée par une entreprise d’intelligence économique est produite, Paris, 25 mai 2021, n° 18/20625) ou un hacker. Il y a là une voie particulièrement dangereuse pour l’arbitrage, qu’il convient d’éviter à tout prix. Le glissement récent de la jurisprudence vers une appréciation stricte du doute raisonnable n’est pas de nature à inciter les arbitres à la transparence. De plus, il n’est pas totalement fantaisiste de considérer que les institutions ont un rôle à jouer. Certes, des institutions comme la CCI, avec sa fameuse « Note aux Parties », incitent lourdement les arbitres à la révélation. On ne peut néanmoins ignorer que ces institutions ont aussi accès à certaines informations à propos des arbitres, notamment quant à leur arbitrage en cours. Elles ne peuvent donc ignorer que certaines révélations des arbitres sont lacunaires. À force de rester silencieuses, elles peuvent s’attendre à ce que les mesures d’instruction finissent par les viser elles, en plus des arbitres. Ce sera alors trop tard pour réagir.
Pour ce qui est du cœur du problème, le requérant invoque un article du GAR pour établir certains faits qui n’ont pas été révélés par l’arbitre. La cour considère que l’arbitre a déjà, dans sa déclaration d’indépendance, apporté des informations sur ces liens, et que l’article du GAR n’aggrave pas significativement les doutes sur l’indépendance de l’arbitre (v. déjà, Paris, 12 avr. 2016, n° 14/14884, Tecnimont, D. 2016. 2589, obs. T. Clay ; RTD civ. 2016. 856, obs. H. Barbier ; Rev. arb. 2017. 234, note E. Loquin ; ibid. 949, note M. Henry ; Cah. arb. 2016. 447, note T. Clay). Il est difficile de se faire un avis factuel sur cette réponse, la révélation reproduite dans l’arrêt étant anonymisée (pour la version dont nous disposons) et le contenu de l’article du GAR n’étant pas mentionné. D’un point de vue juridique, les conséquences sont immédiates : puisque les faits ont été mentionnés dans la déclaration d’indépendance, le point de départ du délai de révélation court à compter de cette date. Il appartient aux parties de réagir, potentiellement après avoir demandé des éclaircissements à l’arbitre. À défaut de l’avoir fait, le délai de récusation est expiré et le moyen est irrecevable. L’article du GAR n’apportant, sur ce point, rien de nouveau, il n’est pas de nature à faire revivre le délai de recours.
4 - La mission de l’arbitre
a - L’ultra petita
On dira simplement un mot d’un arrêt rendu par la formation interne de la 5-16 (Paris, 18 mai 2021, n° 18/28526, Phycomat). Le recours est formé contre une sentence rendue sous l’égide de la Chambre arbitrale internationale de Paris dans un litige sur contrat relatif à la recherche sur du colza. La sentence est annulée pour violation, pour certaines demandes, de sa mission par le tribunal arbitral et, pour d’autres, du principe de la contradiction. En réalité, dans un cas comme dans l’autre, le tribunal arbitral s’est largement dispensé de respecter les demandes des parties. Il a tantôt ajouté à leurs demandes, pour indemniser de nouveaux préjudices, tantôt remplacé des préjudices (incertains) par d’autres (pertes de chance). Dans un cas comme dans l’autre, la sentence ne peut survivre à un passage devant la cour. Ce genre de décision doit tout de même attirer l’attention sur l’importance de ne pas désigner comme arbitres des personnes n’ayant pas une qualification juridique suffisante ou une connaissance avancée de l’arbitrage.
C’est encore une question relative au respect par le tribunal arbitral de sa mission qui est soumise à la cour dans l’affaire Asperbras (Paris, 11 mai 2021, n° 18/06076, préc.). Il est reproché au tribunal arbitral d’avoir statué ultra petita en subordonnant le paiement d’une créance à son exigibilité, alors qu’aucune partie n’a demandé au tribunal de préciser les conditions d’exigibilité de cette créance. Pour rejeter le recours, la cour retient que, si cette prétention n’est pas spécifiquement reprise dans les conclusions, elle figure dans l’acte de mission. Elle constate donc que, dès lors que les parties n’y ont pas renoncé, cette question entre dans la mission du tribunal arbitral. La solution est sécurisante pour les arbitres, en ce qu’elle évite l’annulation de la sentence. Elle peut néanmoins avoir des effets pervers, si elle impose, a contrario, aux arbitres de ne pas se limiter au seul examen des derniers jeux de conclusions et requiert, pour respecter leur mission, de prendre en compte, depuis l’acte de mission, l’ensemble des échanges entre les parties.
b - Les règles de procédure choisies par les parties
Lorsque les parties choisissent des règles procédurales applicables au litige, le respect par le tribunal arbitral de sa mission implique de les respecter. Si une violation de ces règles est susceptible d’entraîner l’annulation de la sentence, c’est toutefois à la condition qu’un grief soit établi et que les parties n’y ont pas renoncé. C’est ce que rappelle la cour (Paris, 11 mai 2021, n° 18/07442, Cevikler, préc.) : « Cependant, cet écart, en ce qu’il porte sur une règle procédurale, ne saurait emporter l’annulation de la sentence que si l’irrégularité procédurale avait été soulevée préalablement devant le tribunal arbitral et s’il est établi qu’il a pu causer à une partie un grief ou qu’il a eu une incidence sur l’issue du litige ». Tel n’est pas le cas, par exemple, si une déclaration de témoin n’a joué aucun rôle dans la décision du tribunal et que les parties ont été entendues contradictoirement.
5 - Le procès équitable
S’il y a bien une faille dans la ventilation des cinq cas d’ouverture du recours en annulation, il s’agit de la prise en compte des différents droits de la défense. En effet, quand bien même l’article 1520, 4°, du code de procédure civile évoque le principe de la contradiction, la jurisprudence l’entend restrictivement, au point parfois de refuser d’y inclure d’autres droits de la défense (Paris, 16 févr. 2021, n° 18/16695, Grenwich, Dalloz actualité, 30 avr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques). Pour les parties, il est nécessaire d’invoquer systématiquement les articles 1520, 4° et 5°, pour ratisser large et faire état de tout ce qui peut concerner le procès équitable. L’exigence est presque formelle, puisqu’il suffit de faire mention des deux cas d’ouverture et de développer, ensemble, les différents droits de la défense. L’arrêt Cevikler (Paris, 11 mai 2021, n° 18/07442, préc.) rappelle les griefs qui peuvent être examinés par la cour. Il vise ainsi le principe de la contradiction, qui « permet d’assurer la loyauté des débats et le caractère équitable du procès. Il interdit qu’une décision soit rendue sans que chaque partie ait été en mesure de faire valoir ses prétentions de fait et de droit, de connaître les prétentions de son adversaire et de les discuter ». Il évoque aussi le délai raisonnable, en ce qu’il « incombe aux arbitres de rechercher, au cas par cas, un juste équilibre entre le droit de la partie demanderesse de voir examiner ses prétentions dans un délai raisonnable et le droit de la partie défenderesse d’organiser utilement sa défense ». Enfin, il retient, à propos de l’égalité des armes, qu’elle « représente un élément du procès équitable protégé par l’ordre public international, implique l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause, dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire ». Par l’accumulation de ces garanties, on constate à quel point l’article 6, § 1, de la Conv. EDH, en dépit de son inapplicabilité à l’arbitrage, irrigue le contrôle qui est réalisé par le juge. C’est à se demander si, à l’occasion d’une future réforme, il ne faudrait tout simplement pas consacrer un cas d’ouverture idoine au procès équitable. Dans cet arrêt, comme d’ailleurs dans un arrêt Zakhem (Paris, 18 mai 2021, n° 18/10511, préc.), la cour s’interroge sur la compatibilité des calendriers de procédure appliqués devant le tribunal arbitral aux exigences du procès équitable. Dans les deux cas, l’annulation n’est pas encourue.
6 - L’ordre public international
a - Les griefs exclus
La liste des griefs exclus de l’ordre public international peut être régulièrement mise à jour, les parties ne manquant pas de créativité. La tentation est d’autant plus grande depuis que la jurisprudence a ouvert la voie à l’inclusion des lois de police étrangères au sein de l’ordre public international (Paris, 16 janv. 2018, n° 15/21703, MK Group, D. 2018. 1635 , note M. Audit ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; RTD com. 2020. 283, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2018. 401, note S. Lemaire ; JDI 2018. Comm. 12, note S. Bollée ; ibid. Comm. 13, note E. Gaillard). Depuis, les parties s’engouffrent régulièrement dans cette brèche. C’est le cas dans l’affaire Webcor (Paris, 25 mai 2021, n° 18/18708, Webcor) dans laquelle le requérant tente de faire inclure « l’atteinte à la souveraineté fiscale de la République gabonaise » au sein de l’ordre public international français. C’est toutefois oublier qu’il ne suffit pas que le texte soit une loi de police dans son État d’origine pour le devenir automatiquement en France. La cour le rappelle justement : « la seule méconnaissance d’une loi de police étrangère ne peut conduire en elle-même à l’annulation d’une sentence arbitrale. Elle ne peut y conduire que si cette loi de police étrangère protège une valeur ou un principe dont l’ordre public français lui-même ne saurait souffrir la méconnaissance même dans un contexte international. Ce n’est que dans cette mesure que des lois de police étrangères peuvent être regardées comme relevant de l’ordre public international ». Dès lors, quand bien même les questions fiscales relèvent de la souveraineté d’un État, la violation de ces règles ne porte pas atteinte à l’ordre public international français. La solution est logique.
b - La corruption
La question de la corruption a complètement bouleversé le recours contre les sentences arbitrales internationales. Nous avions laissé les lecteurs de cette chronique il y a quelque temps avec une appréciation très sévère d’un arrêt Sorelec (Paris, 17 nov. 2020, n° 18/02568, Sorelec, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay ). Si la jurisprudence a, à raison selon l’unanimité des observateurs, abandonné une jurisprudence trop permissive en matière de contrôle de l’ordre public international, elle semblait aboutir à l’excès inverse, en annulant des sentences malgré des preuves limitées. Deux arrêts récents sont de nature à rassurer. Dans l’un, la cour d’appel de Paris annule une sentence arbitrale (Paris, 25 mai 2021, n° 18/18708, Webcor, préc.), dans l’autre, elle rejette le recours dans l’autre (Paris, 25 mai 2021, n° 18/27648, Cengiz, préc.). Plus que le sens de la décision, ce qui importe est la motivation. Or, dans les deux cas, elle emporte la conviction.
Aujourd’hui, l’examen de la sentence arbitrale en matière de corruption repose essentiellement sur deux piliers. D’une part, le grief de la corruption peut être invoqué devant le juge étatique, quand bien même il ne l’a pas été devant le tribunal arbitral ; d’autre part, la preuve de la corruption est apportée par un faisceau d’indices graves précis et concordant. Finalement, le débat sur la nature du contrôle, « flagrant, effectif et concret » ou encore « manifeste, effectif et concret » paraît lointain et presque indifférent. Quand bien même la cour y fait référence, encore dans les deux arrêts cités, on peine à lui donner une quelconque substance dans le cadre de son examen.
Premièrement, l’absence de débat sur la corruption devant le tribunal arbitral est parfaitement indifférente pour le juge étatique. La question est tranchée et il est admis que le silence devant le tribunal arbitral n’interdit pas aux parties de soulever le moyen devant le juge (Paris, 17 nov. 2020, n° 18/02568, Sorelec, préc.). C’est précisément ce qu’il advient dans les deux arrêts. Par une formule identique, ils rappellent que « la défense de la conception française de l’ordre public international implique que le juge étatique chargé du contrôle puisse annuler la sentence dont l’exécution heurte cette conception alors même que le moyen tiré de l’ordre public n’avait pas été invoqué devant les arbitres et que ceux-ci ne l’avaient pas mis dans le débat ». Mieux, dans l’arrêt Webcor, la cour précise, au moment de sceller le sort de la sentence, que « le tribunal arbitral n’avait pas connaissance au jour de la sentence [de ces éléments] ». C’est, pour la cour, une façon habile d’absoudre le tribunal arbitral d’une quelconque responsabilité. En effet, quand bien même le tribunal arbitral doit être vigilant sur ces questions et ne doit pas s’interdire de relever le moyen d’office, il ne pourra jamais suppléer les parties dans la preuve des faits de corruption. Il n’est pas anodin de signaler que le constat de la corruption est hors de portée pour les arbitres.
Reste que, si cette faculté pour les parties d’invoquer la corruption pour la première fois devant le juge de l’annulation est logique, elle soulève tout de même des difficultés. Un déséquilibre procédural est créé entre les deux parties, puisque l’une des parties dispose de deux balles dans son chargeur pour arriver à ses fins. En effet, la partie peut mener, devant le tribunal arbitral, un combat sur le fond des obligations et espérer emporter la conviction de celui-ci. En cas d’échec, elle pourra se tourner vers le juge de l’annulation et invoquer, seulement à ce stade, les faits de corruption. Ainsi, le potentiel débiteur dispose de deux fors – et donc deux chances de succès – pour faire valoir sa cause. Il lui suffit d’une décision favorable sur les deux pour l’emporter. Mieux, elle peut se préserver de l’infamie en essayant de gagner, dans un premier temps, sans se prévaloir de la corruption. À l’inverse, le créancier présumé doit l’emporter dans les deux instances successives. En échouant dans l’une d’entre elles, il perd définitivement le litige. D’un point de vue procédural, l’iniquité est frappante. Certes, elle l’est moins quand on se remémore que les parties sont complices de la corruption. Il n’en demeure pas moins qu’il n’est jamais sain de laisser libre cours à de telles stratégies.
Deuxièmement, les deux arrêts conduisent à l’appréhension du faisceau d’indices présenté par les parties pour établir les faits de corruption. On peut distinguer les deux affaires.
Le cadre de l’affaire Webcor est celui d’un contrat de construction d’un marché à Libreville, au Gabon. Trois contrats ont été signés. Les deux premiers – un contrat-cadre et un bail emphytéotique – l’ont été avec la commune. Le troisième, une convention portant avantages fiscaux et douaniers, l’a été avec l’État. Il est reproché au partenaire contractuel d’avoir financé le voyage de noces du maire de la commune. La réalité du cadeau n’est pas véritablement discutée. En revanche, il est contesté que celui-ci puisse caractériser un indice de corruption. D’une part, il est prétendu qu’il s’agit d’un cadeau « d’usage », postérieur à la conclusion des deux contrats avec la ville. D’autre part, il est soutenu que celui-ci ne peut aucunement avoir permis au bénéficiaire du projet d’obtenir la conclusion d’une convention avec l’État, laquelle est négociée directement avec le gouvernement. La motivation de l’arrêt suit plusieurs points clés. Elle établit d’abord que les trois contrats forment un « ensemble contractuel ». Elle identifie ensuite le rôle du maire, aussi bien dans la conclusion des deux contrats avec la commune que dans celle avec l’État, pour laquelle sa signature est nécessaire. Enfin, elle souligne que des poursuites pour corruption sont en cours contre l’ancien maire de la commune. La motivation est convaincante, en tout cas au regard des faits tels que restitués par la cour. On peut se réjouir que la cour ne se soit pas limitée au seul constat d’un cadeau, mais ait recherché à établir le rôle du maire dans la conclusion des trois contrats. Ainsi présentée, l’annulation semble inévitable.
Dans l’affaire Cengiz, le litige oppose un groupe de construction à l’État libyen et une entité publique de droit libyen dépendant du ministère du logement, en charge des grands projets de construction d’infrastructures et de logements sociaux (HIB). Plusieurs contrats ont été signés entre le groupe de construction et le HIB. Au mois de janvier 2011, l’éclatement de la Révolution libyenne a amené la situation dans le sud du pays à se dégrader, entraînant une détérioration des conditions de sécurité des sites exploités, qui ont fait l’objet d’attaques, et l’interruption des travaux. Finalement, l’opérateur a entamé un arbitrage fondé sur un traité bilatéral d’investissement contre l’État libyen. Après avoir perdu devant le tribunal arbitral, la Libye a formé un recours en annulation devant les juridictions françaises en soulevant un grief relatif à la corruption. Ce qui caractérise l’argumentation de l’État requérant, c’est de ne jamais mettre le doigt sur des faits précis, ce qui est évidemment de nature à affaiblir le raisonnement. Il est néanmoins remarquable de faire le parallèle avec l’arrêt Sorelec, puisque l’on retrouve, dans les deux affaires, des indices équivalents à propos d’un même État. Cette fois, la cour ne s’y laisse pas prendre. Concernant la situation du pays au moment de la révolution, la cour retient que « de tels éléments généraux ne sauraient en soi être des indices suffisants pour caractériser des actes de corruption ». À propos du non-respect de la réglementation libyenne sur les contrats administratifs, il est là encore affirmé que cet élément « ne peut suffire à caractériser les faits de corruption ». De même, les arguments relatifs au prix du contrat sont écartés. Enfin, la prétendue rapidité avec laquelle le contrat a été conclu n’est pas établie. Quand bien même ils sont moins bien étayés en faits, les mêmes indices que dans l’affaire Sorelec ne mènent pas à la même conclusion. De plus, la cour apporte deux précisions intéressantes. En premier lieu, elle déplore que la Libye ne se soit pas prévalue de ces arguments devant le tribunal arbitral. Si l’argument n’est pas décisif, il est intéressant de le voir mentionner au sein de la motivation de la cour. En second lieu, la cour retient qu’aucune poursuite pénale n’a été engagée pour des faits de corruption. Ainsi, pour l’un comme pour l’autre, des arguments qui devraient être indifférents semblent devenir des indices « défavorables ». En définitive, l’arrêt Cengiz donne le sentiment que le rejet du recours est lié à un double phénomène : des indices plus faibles de corruption en fait, mais aussi une appréciation plus sévère de ces indices en droit. Si ce second constat se vérifie, on peut se réjouir de cet accroissement des exigences quant à la caractérisation d’une atteinte à l’ordre public international.
c - La fraude à la loi
En droit de l’arbitrage, la fraude est un grief connu. Le principe fraus omnia corrumpit est considéré comme incluant l’ordre public international depuis plusieurs années (Paris, 20 juin 1996, Sté Paris c/ Sté Razel, Rev. arb. 1996. 657, obs. D. Bureau ; 25 juin 2013, n° 12/01461, Rev. arb. 2014. 120, note A. de Fontmichel ; Gaz. Pal. 2013, n° 270-271, p. 18, obs. D. Bensaude ; LPA 2014, n° 20, p. 20, obs. A. Canonica ; 9 avr. 2009, Cah. arb. 2010. 889 [2e espèce], note E. Loquin ; LPA 2011, n° 38, p. 9 [1re espèce], obs. M. de Boisseson ; D. 2010. 2933, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2009. 436 ; JCP E 2009, n° 50, 2167, § 8, obs. J. Ortscheidt ; 1er juill. 2010, n° 09/10069, Affaire des Frégates de Taïwan, Cah. arb. 2011. 741 [1re esp.], note L.-C. Delanoy ; Rev. arb. 2010. 856, note B. Audit). La doctrine distingue plusieurs types de fraudes : la fraude par l’arbitrage ; la fraude objet de l’arbitrage ; la fraude dans l’arbitrage (J. Pellerin, Le cas de la fraude, in L’ordre public et l’arbitrage, s. la dir. d’E. Loquin et S. Manciaux, LexisNexis, 2014, p. 177, n° 1). La première sert à dissimuler une pratique répréhensible. La deuxième renvoie à l’hypothèse d’un simulacre de procédure dans la manière où l’arbitrage est décidé, organisé et conduit. Enfin, la fraude dans l’arbitrage, ou fraude procédurale, suppose que de faux documents aient été produits, que des témoignages mensongers aient été recueillis ou que des pièces intéressant la solution du litige aient été frauduleusement dissimulées aux arbitres, de sorte que la décision de ceux-ci a été surprise.
En revanche, une quatrième hypothèse de fraude était, à notre connaissance, inconnue en droit de l’arbitrage : celle de la fraude à la loi. Elle est pourtant retenue en droit international privé depuis très longtemps, notamment par le fameux arrêt Princesse de Bauffremont (Civ. 18 mars 1878, S. 1878. 1. 193, note Labbé ; D. 1878. 1. 201, concl. Charrins ; Clunet 1878. 505). Elle l’est également en matière de reconnaissance des jugements étrangers, l’arrêt Cornelissen faisant figurer l’absence de fraude à la loi parmi les conditions d’exequatur du jugement (Civ. 1re, 20 févr. 2007, n° 05-14.082, Cornelissen, D. 2007. 1115, obs. I. Gallmeister , note L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 891, chron. P. Chauvin ; ibid. 1751, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2007. 324 ; Rev. crit. DIP 2007. 420, note B. Ancel et H. Muir Watt ; JDI 2007. 1195, note F.-X. Train). Il n’est donc pas étonnant de voir la cour d’appel consacrer ce principe dans l’arrêt Asperbras (Paris, 11 mai 2021, n° 18/06076, préc.) : « À cet égard, une sentence qui donnerait effet à une opération constitutive d’une fraude à la loi caractérisée violerait l’ordre public international français et encourrait la nullité ».
Sur le fond de l’examen, deux points peuvent être relevés. D’une part, la cour refuse, comme l’y invite le requérant, de faire référence à un quelconque faisceau d’indices « graves, précis et concordants ». Ainsi, le contrôle de la fraude à la loi est distinct de celui utilisé en matière de corruption. Il n’est pas question d’accepter une preuve par faisceau d’indices en cette matière. D’autre part, dans l’examen réalisé, la cour utilise à plusieurs reprises le raisonnement des arbitres. Ce faisant, elle donne le sentiment de faire confiance aux arbitres dans leur appréciation du grief. Même si elle ne se limite pas à reprendre l’argumentation telle que figurant dans la sentence, il n’en demeure pas moins que l’on peut apprécier le fait que la cour considère que le travail des arbitres mérite d’être pris en considération dans l’examen d’une violation de l’ordre public, sans chercher systématiquement à le supplanter par sa propre interprétation.
d - La fraude procédurale
La fraude procédurale est un moyen dont il est régulièrement fait état au stade du recours en annulation dans les dernières années, même si son succès est très modéré (v. not., Paris, 12 avr. 2016, n° 11/20730, Rev. arb. 2016. 641 ; Gaz. Pal. 2016, n° 26, p. 24, obs. D. Bensaude ; v. égal., Paris, 20 janv. 2015, n° 13/20318, Rev. arb. 2015. Somm. 273 ; 20 déc. 2018, n° 16/25484, Dalloz actualité, 29 janv. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ; Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 35, obs. D. Bensaude ; 22 janv. 2019, n° 17/15605, Dalloz actualité, 6 mars 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 34, obs. D. Bensaude ; 12 avr. 2016, n° 11/20730, Rev. arb. 2016. 641 ; Gaz. Pal. 2016, n° 26, p. 24, obs. D. Bensaude ; 28 mai 2019, n° 17/03659, Dalloz actualité, 7 juin 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; 26 nov. 2019, n° 17/17127, Sté nationale des chemins de fer tunisiens [SNCFT], Dalloz actualité, 6 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; 30 juin 2020, n° 19/09729, Axon, Dalloz actualité, 29 juill. 2020, obs. J. Jourdan-Marques).
L’un des aspects centraux de l’examen de la fraude procédurale tient dans l’articulation originale des prérogatives entre l’arbitre et le juge étatique. En effet, il semble que pour la cour d’appel, ce ne soit pas tant la fraude procédurale en elle-même qui soit sanctionnée, mais le fait que la décision du tribunal arbitral ait été surprise par fraude. Or cela change tout. En effet, si le moyen de la fraude procédurale a été examiné par les arbitres, leur décision n’a pas pu être surprise par fraude. Dès lors, le juge du recours se refuse à tout examen du moyen. En revanche, si le moyen n’a pas été présenté aux arbitres, alors leur décision a pu être surprise par fraude. Par conséquent, les juges s’autorisent à examiner le moyen. Cependant, puisque c’est l’impact de la fraude sur la décision qui est recherché, on comprend que la cour ne se limite pas à la preuve d’une fraude procédurale. C’est l’apport de l’arrêt Cevikler (Paris, 11 mai 2021, n° 18/07442, préc.). La cour explique, dans une formule nouvelle à notre connaissance, que « La fraude procédurale ne justifie l’annulation de la sentence que si elle a un effet sur celle-ci c’est-à-dire que si elle a été décisive ». En constatant que les éléments qui lui sont soumis ont été débattus contradictoirement devant le tribunal arbitral et n’ont pas été utilisés par ce dernier au soutien de sa motivation, la cour rejette le moyen.
V - Le contentieux de l’exécution des sentences
Il faut bien admettre que le contentieux de l’exécution des sentences est un domaine encore très insuffisamment exploré (v. toutefois, les actes du colloque sur L’exécution des sentences arbitrales internationales, s. la dir. de M. de Fontmichel et J. Jourdan-Marques, LGDJ, Lextenso éditions, 2017). Il faut bien dire que, de façon générale, les voies d’exécution attirent peu l’attention de la doctrine. Les questions posées peuvent néanmoins être stimulantes, bien que particulièrement complexes. Dans l’affaire Soletanche, dont nous avions fait état dans une précédente chronique (Paris, 15 déc. 2020, n° 18/14864, Dalloz actualité, 22 févr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques), un contentieux parallèle a émergé sur l’exécution de la sentence (Paris, 28 mai 2021, n° 21/04233). Pour faire simple, dans le recours contre l’ordonnance d’exequatur, le conseiller de la mise en état a ordonné la constitution d’une garantie bancaire par le débiteur de la sentence, dans l’attente du résultat du recours. Le recours a justement été rejeté, mais un pourvoi a été immédiatement formé. Dans la foulée, le créancier a mis en demeure le débiteur de payer sa dette. En réponse, le débiteur a obtenu sur requête du président du tribunal de commerce une interdiction faite au créancier de poursuivre l’exécution de la sentence ainsi qu’une interdiction à la banque d’exécuter la garantie. En complément, le président du tribunal de commerce a ordonné à la banque de verser la somme entre les mains du bâtonnier. Ensuite, une action en référé a été formée devant le tribunal de commerce, sur le fondement de l’article 873, alinéa 1er, du code de procédure civile, reprenant globalement les mêmes prétentions.
La cour d’appel a à connaître de l’appel contre le référé. Elle constate, dans un premier temps, qu’elle ne dispose pas du pouvoir de suspendre ou d’aménager l’exécution d’un autre arrêt d’appel dans l’attente de l’issue d’un pourvoi en cassation, pas plus que d’aménager l’exécution de la sentence. Elle en conclut que « le créancier muni d’un titre exécutoire, en présence d’un recours non suspensif, est en droit, sauf abus, de poursuivre le recouvrement des sommes dues en vertu de cette décision, sans être privé du bénéfice immédiat de la condamnation prononcée à son profit, l’exécution définitive ne pouvant être écartée ou aménagée en application des règles relatives à l’exécution provisoire ». De même, la cour rejette les allégations concernant une éventuelle atteinte à l’article 6, § 1, de la Conv. EDH. La solution est logique : il y a déjà un juge désigné pour trancher les contestations relatives à l’exécution : il s’agit, soit du premier président, soit du conseiller de la mise en état et, au stade du pourvoi, le premier président de la Cour de cassation.
Un point est tout de même intéressant. Le requérant soutient que l’annulation éventuelle de l’ordonnance d’exequatur ne lui confère pas un titre pour obtenir la répétition des sommes payées si elle doit d’ores et déjà exécuter la sentence. La cour y répond en deux temps. Premièrement, elle souligne que la « sentence arbitrale [est] susceptible d’exécution dans le monde entier, de sorte qu’un éventuel refus d’intégration dans l’ordre juridique français ne remettrait nullement en cause son intégration dans d’autres ordres juridiques et l’exécution de la décision à l’étranger ». Il faut bien avouer que l’argument peine à convaincre. Quand bien même le refus d’exequatur n’empêche pas l’exécution de la sentence dans d’autres ordres juridiques, ce refus d’exequatur interdit à l’ordre juridique français de prêter son concours à cette exécution. On ne peut se satisfaire que l’exécution ait été permise par des mesures réalisées en France. Deuxièmement, la cour ajoute qu’« en cas de décision irrévocable de rejet de l’exequatur en France et de refus de restitution par ACT, Soletanche pourrait solliciter un titre devant le juge du fond, lequel pourrait alors être exécuté à l’étranger, en Jordanie notamment, à défaut de trouver dans l’arrêt de renvoi le titre servant de fondement à la restitution ». En réalité, il n’y a aucune certitude à ce que le juge français soit compétent internationalement pour se prononcer sur le fond du litige. L’affirmation est donc très théorique.
En définitive, c’était une voie tout à fait audacieuse que de tenter de se prévaloir d’un dommage imminent pour obtenir l’arrêt de l’exécution d’une sentence arbitrale bénéficiant de l’exequatur. Elle est vouée à l’échec, dès lors qu’il ne s’agit pas du juge idoine pour connaître de ce genre de demande. Il n’en demeure pas moins que certaines difficultés sont réelles et que la question de l’exécution des sentences arbitrales ne doit pas rester à ce point le trou noir de la réflexion en matière d’arbitrage. Les enjeux sont trop importants pour que l’on ne s’y intéresse pas plus.
VI - L’action en responsabilité contre les conseils
La jurisprudence offre un exemple supplémentaire d’action en responsabilité exercée contre l’ancien conseil (Nîmes, 6 mai 2021, n° 19/03172, Selarl VR). Pour faire simple, en dépit d’une clause compromissoire et d’une saisine déjà réalisée du tribunal arbitral, le conseil n’a pas informé et conseillé son client sur les chances de succès quasi-nulles d’une saisine des juridictions étatiques. Une faute est logiquement retenue contre lui, laquelle ouvre la voie à des indemnisations, non seulement pour les honoraires versés, mais également pour des préjudices annexes. Encore une fois, l’attention des praticiens est attirée sur l’importance de n’engager une procédure devant les juridictions étatiques qu’à condition d’avoir informé le client des risques de se voir renvoyer à l’arbitrage.
VII - Arbitrage et droit de l’Union européenne
On signalera, uniquement pour ceux qui aiment jouer à se faire peur, qu’une autre question préjudicielle concernant l’arbitrage est pendante devant la Cour de justice. Les conclusions de l’avocat général (CJUE, concl. av. gén., 22 avr. 2021, aff. C-109/20, PL Holding) viennent d’être publiées. Elle a été soumise par les juridictions suédoises dans le cadre d’un recours en annulation contre une sentence d’investissements rendue sur le fondement d’un traité intra-UE. L’originalité de l’argumentation tient dans le fait que les juridictions suédoises (de première instance) ont considéré que la compétence du tribunal arbitral ne résulte pas tant du TBI que d’un accord spécifique, lié à l’absence d’objection à la compétence du tribunal arbitral pendant la procédure. Comme systématiquement, c’est l’effroi provoqué par une éventuelle violation du droit de l’Union européenne par le tribunal arbitral qui paralyse toute discussion. Par conséquent, la seule solution proposée par l’avocat général est de permettre aux juridictions étatiques de « procéder à un contrôle complet de la compatibilité de la sentence arbitrale avec le droit de l’Union, si nécessaire après introduction d’une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE ». Autrement dit, l’avocat général propose d’ignorer la Convention de New York. La Convention de quoi ?
Rares sont les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme en matière d’arbitrage. Ainsi, lorsqu’elles sont susceptibles de bouleverser le recours en annulation, notamment en remettant en question l’exception de notoriété en matière d’obligation de révélation, c’est avec un immense intérêt que l’on y prête attention.
Il résulte l’article 930-1 du code de procédure civile que, si, dans la procédure avec représentation obligatoire devant la cour d’appel, les actes de procédure sont remis à la juridiction par voie électronique, l’irrecevabilité sanctionnant cette obligation est écartée lorsqu’un acte ne peut être transmis par voie électronique pour une cause étrangère à celui qui l’accomplit, l’acte étant en ce cas remis au greffe sur support papier. Viole le texte la cour d’appel qui refuse d’admettre l’existence d’une cause étrangère alors qu’elle a constaté l’intervention d’un informaticien pendant trois jours au cabinet de l’avocat.
« Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. » À la lecture de l’arrêt rapporté, il y a tout lieu de se demander si la Cour de cassation n’a pas souhaité trouver une illustration juridique à la triste plaisanterie d’Henri Queuille.
En l’espèce, deux propriétaires avaient confié en 2003 des travaux de réfection d’une terrasse à la société M3 construction. Des désordres étaient toutefois apparus en 2011, lesquels se manifestaient par un écoulement d’eau de ruissellement à partir de la terrasse sur les enduits inférieurs.
Les maîtres d’ouvrage ont alors contacté l’entreprise qui, au gré d’un protocole d’accord signé en 2011, a accepté de procéder aux travaux de reprise nécessaires à la réparation du désordre. Si l’entreprise s’est exécutée, les travaux qu’elle a réalisés n’ont toutefois pas suffi à résorber le problème. Les désordres sont réapparus à compter de 2014, obligeant les demandeurs à assigner l’entreprise en référé expertise.
Sur la foi du rapport déposé en 2015, les requérants ont logiquement assigné la société M3 construction par acte extrajudiciaire du 6 juin 2016 avant que cette dernière n’appelle à la cause la société AXA, son assureur.
Le tribunal d’instance, puis la cour d’appel de Toulouse ont condamné l’entreprise à réparation, considérant également que l’assureur lui devait sa garantie. Ce faisant, les juges du fond rejetaient la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action soulevée devant eux : certes, l’action en responsabilité contractuelle intentée contre l’entreprise et son assureur avait été introduite plus de dix années après la réception des travaux, mais le délai d’action avait été interrompu par la reconnaissance de responsabilité de l’entreprise intervenue en 2011, reconnaissance faisant naître un nouveau délai de même durée.
La Cour de cassation était donc interrogée sur une question inédite : la reconnaissance de responsabilité du débiteur est-elle de nature à interrompre le délai décennal de l’article 1792-4-3 du code civil ?
Les magistrats du quai de l’Horloge répondent par la négative, cela à la faveur d’une jurisprudence innovante dont les conséquences, plus ou moins certaines, pourraient néanmoins s’avérer importantes.
L’innovation
La Cour de cassation profite de cet arrêt pour prendre position sur un débat doctrinal bien connu : celui de la nature du délai décennal posé à l’article 1792-4-3 du code civil.
Il est aujourd’hui acquis que les garanties légales offertes au maître d’ouvrage constituent des délais de forclusion, qu’il s’agisse de la responsabilité décennale, de la garantie biennale ou de la garantie de parfait achèvement. Une telle qualification est également retenue s’agissant de la garantie des vices et défauts de conformité apparents dont est débiteur le vendeur en l’état futur d’achèvement. Toutefois, la Cour n’avait jamais encore été invitée à déterminer la nature du délai dans lequel sont enfermées les actions en responsabilité du maître d’ouvrage à l’encontre des constructeurs ou de leurs sous-traitants lorsque cette action ne relève pas des garanties légales, notamment en cas de mise en jeu de la responsabilité contractuelle du constructeur au titre de désordres dits « intermédiaires » (considérant que l’art. 1792-4-3 C. civ. n’est applicable qu’aux actions du maître d’ouvrage si bien que les recours entre constructeurs restent soumis au droit commun de l’art. 2224, v. Civ. 3e, 16 janv. 2020, n° 18-25.915, Dalloz actualité, 10 févr. 2020, obs. C. Auché et N. De Andrade ; D. 2020. 466 , note N. Rias ; RDI 2020. 120, étude C. Charbonneau ).
Dès après l’adoption de la loi de 2008, deux thèses s’étaient opposées : certains devaient considérer que l’action en responsabilité contractuelle avant réception étant enfermée dans le délai de prescription de droit commun de l’article 2224 du code civil, il n’était pas de raison valable que le délai applicable à l’action en responsabilité contractuelle post-réception soit qualifié de délai de forclusion. À l’inverse, d’autres ne manquaient pas de relever que l’article 1792-4-3 du même code a été inséré à l’occasion de la réforme de 2008 pour aligner le régime de cette action sur celui de la garantie décennale… or, une telle garantie étant enfermée dans un délai de forclusion, il y avait lieu de considérer une telle qualification comme évidente.
Entre ces deux thèses, la Cour de cassation opère donc un choix assumé, « en alignant, quant à la durée et au point de départ du délai, le régime de responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs sur celui de la garantie décennale, dont le délai est un délai d’épreuve (Civ. 3e, 12 nov. 2020, n° 19-22.376 P, Dalloz actualité, 23 déc. 2020, obs. C. Dreveau ; D. 2020. 2290 ; RDI 2021. 164, obs. M. Faure-Abbad ), le législateur a entendu harmoniser ces deux régimes de responsabilité. Il en résulte que le délai de dix ans pour agir contre les constructeurs sur le fondement de l’article 1792-4-3 du code civil est un délai de forclusion ».
Au-delà de ce choix dont il faudra, plus tard, apprécier l’opportunité, on relèvera la tristesse de constater qu’après des siècles de rationalisation et de simplification, il existe encore des distinctions juridiques auxquelles nul n’est en mesure d’apporter la moindre justification. La motivation de la Cour de cassation, fondée sur une analogie de circonstance, témoigne de l’absence de consistance de cette distinction maintes fois décriée entre les délais de prescription, d’une part, et les délais de forclusion, d’autre part. Le débat est ancien. Tout a sans doute déjà été dit. La prescription et la forclusion ne sont pas deux notions distinctes justifiant l’application de régimes juridiques différenciés, mais bien plutôt deux alibis permettant au législateur ou au juge de choisir de manière discrétionnaire un régime de computation des délais plus ou moins rigoureux.
Le rapport Catala avait préconisé, par principe, la suppression de cette distinction. On sait ce qu’il est advenu de cette proposition : le législateur a fait tout l’inverse, gravant dans le marbre de l’article 2220 du code civil une distinction pourtant contre-intuitive.
La Cour de cassation avait donc ici les coudées franches pour qualifier le délai de l’action en responsabilité contractuelle du maître d’ouvrage contre le constructeur. C’est chose faite : il s’agit d’un délai de forclusion. Il reste à apprécier les conséquences de cette qualification.
Les implications
La qualification retenue par la Cour de cassation emporte une conséquence immédiate dont, ici, les maîtres d’ouvrage subiront de plein fouet les conséquences : l’absence de suspension et d’interruption du délai. Mais au-delà, cette qualification pourrait également emporter d’autres effets, plus latents, plus profonds et, ce faisant, plus dévastateurs.
Les conséquences immédiates
La conséquence immédiate de la qualification retenue pas la Cour de cassation est bien connue : le délai de l’article 1792-4-3 du code civil échappe à toutes les causes de report du point de départ, de suspension ou d’interruption du délai de prescription posées aux articles 2233 à 2246 du même code.
En effet, les règles régissant la suspension et l’interruption sont prescrites par les dispositions du titre XX du code civil, dispositions qui, « sauf dispositions contraires prévues par la loi », ne régissent pas les délais de forclusion (C. civ., art. 2220).
Dans l’affaire en cause, les demandeurs font directement les frais de cette nouvelle qualification : si le protocole d’accord signé en 2011 constitue une reconnaissance de responsabilité de la part du débiteur, il reste que cette reconnaissance est insusceptible d’interrompre le délai de forclusion décennal applicable à l’action en responsabilité contractuelle du maître d’ouvrage contre l’entreprise. En agissant pour la première fois en justice en 2014, alors que la réception des travaux datait de 2003, les maîtres d’ouvrage ont fait preuve d’une inertie dont ils doivent payer les conséquences.
Une autre illustration des conséquences de cette qualification peut être avancée : en cas de référé expertise, l’assignation aura un effet interruptif du délai de forclusion. Toutefois, un nouveau délai recommencera à courir à compter de l’ordonnance désignant l’expert sans que ce délai soit suspendu durant les opérations d’expertise. Les avocats n’oublieront donc pas d’assigner au fond et de demander le sursis à statuer, les diligences accomplies dans le cadre de l’expertise ordonnée en référé n’étant pas de nature à interrompre le délai de péremption de l’instance au fond (Civ. 2e, 11 avr. 2019, n° 18-14.223, Dalloz actualité, 7 mai 2019, obs. A. Bolze ; D. 2019. 823 ; ibid. 2020. 576, obs. N. Fricero ; RTD civ. 2020. 460, obs. N. Cayrol ). Certes, la durée du délai devrait généralement éviter toute mauvaise surprise, mais il arrive aussi, parfois, que l’expertise s’éternise…
Les interrogations légitimes
Si l’arrêt commenté témoigne d’une rigueur juridique incritiquable, il reste que la solution posée n’est pas sans inconvénient.
On remarquera, par exemple, que la méconnaissance de tout effet interruptif à une reconnaissance de responsabilité est de nature à inciter naturellement au contentieux. En effet, le maître d’ouvrage dont le délai d’action arrive à échéance se gardera d’accepter une reprise volontaire de l’entreprise et préservera ses droits en assignant cette dernière en référé expertise, quitte à « protocoler » durant ou après l’achèvement de la mission de l’expert.
Cette situation est aussi paradoxale qu’elle est symptomatique d’un droit désincarné, attaché à la rigueur textuelle plutôt qu’au sentiment de justice.
La justice, justement, ne serait-elle pas d’accorder le bénéfice d’agir à celui qui, attachant une certaine valeur à l’engagement pris par son débiteur, ne croit pas nécessaire d’agir contre lui en justice pour préserver ses droits ?
D’ailleurs, indépendamment de savoir si l’entreprise a reconnu sa responsabilité et, ce faisant, interrompu le délai d’action courant contre elle, l’engagement de réparer qu’elle a formalisé par la rédaction du protocole ne devrait-il pas donner lieu à exécution forcée dans les conditions du droit commun ?
On sait que la Cour de cassation a succombé à l’argument, mais dans un arrêt de 2003 (Civ. 3e, 29 oct. 2003, n° 00-21.597, D. 2003. 2802 ; RDI 2004. 57, obs. P. Dessuet ) antérieur à la réforme de la prescription.
Mais les juridictions du fond sont encore séduites par l’argument, quand bien même pourrait-il venir contrarier la volonté du législateur de 2008 de mettre fin à toute interversion des prescriptions (pour une illustration postérieure à la réforme, v. Paris, pôle 4, ch. 6, 2 juin 2017, n° 15/18711).
Sans doute est-ce là une marque de la justice quotidienne qui, au-delà de la rigueur des textes, cherche toujours à rappeler qu’en droit, les promesses doivent engager aussi ceux qui les formulent.
Le délai de dix ans pour agir contre les constructeurs sur le fondement de l’article 1792-4-3 du code civil est un délai de forclusion, qui n’est pas, sauf dispositions contraires, régi par les dispositions concernant la prescription et la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait n’interrompt pas le délai de forclusion.
Le délai de dix ans pour agir contre les constructeurs sur le fondement de l’article 1792-4-3 du code civil est un délai de forclusion, qui n’est pas, sauf dispositions contraires, régi par les dispositions concernant la prescription et la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait n’interrompt pas le délai de forclusion.
Après avoir accompagné les entreprises pour les aider à faire face à leurs difficultés de trésorerie, le gouvernement a conçu un dispositif ambitieux de « sortie de crise » afin que les entreprises les plus fragiles échappent à la « faillite ».
La Cour de cassation refuse à un promoteur immobilier le bénéfice du régime de faveur des marchands de biens spécifique à la Nouvelle-Calédonie. Celui-ci avait fait édifier des constructions sur des terrains qu’il avait acquis, mais n’avait pas respecté ses engagements de revente dans le délai de quatre ans imparti par la loi.
La Cour de cassation refuse à un promoteur immobilier le bénéfice du régime de faveur des marchands de biens spécifique à la Nouvelle-Calédonie. Celui-ci avait fait édifier des constructions sur des terrains qu’il avait acquis, mais n’avait pas respecté ses engagements de revente dans le délai de quatre ans imparti par la loi.
Le juge judiciaire est compétent pour connaître d’une demande d’annulation d’un acte de poursuite relatif à une créance non fiscale d’une collectivité territoriale (indu de revenu de solidarité active) lorsque la demande d’annulation est fondée sur la contestation du bien-fondé de la créance.
Le juge judiciaire est compétent pour connaître d’une demande d’annulation d’un acte de poursuite relatif à une créance non fiscale d’une collectivité territoriale (indu de revenu de solidarité active) lorsque la demande d’annulation est fondée sur la contestation du bien-fondé de la créance.
La proportion de femmes et d’hommes composant chaque collège électoral doit figurer dans le protocole préélectoral en fonction des effectifs connus lors de la négociation du protocole. À défaut, elle est fixée par l’employeur en fonction de la composition du corps électoral existant au moment de l’établissement de la liste électorale, sous le contrôle des organisations syndicales.
Après une période « foisonnante » en matière de communication par voie électronique (CPVE), la jurisprudence est plus calme, mais pas inexistante – ainsi qu’en atteste l’arrêt rendu le 10 juin 2021 par la deuxième chambre civile. Sans être révolutionnaire – il n’est d’ailleurs destiné qu’à une « modeste » diffusion –, il contribue à la construction jurisprudentielle relative à la cause étrangère : la panne (informatique) n’est pas seulement un « coup » ni le « coup de grâce » d’une procédure particulièrement longue est tortueuse… mais bien un obstacle à la CPVE (sur la CPVE, v. C. Bléry, Droit et pratique de la procédure civile, Droits interne et de l’Union européenne 2021/2022, 10e éd., S. Guinchard [dir.], Dalloz Action, 2020, nos 273 s. ; Rép. pr. civ., v° Communication électronique, par E. de Leiris, nov. 2018 [actu. déc. 2019] ; J.-L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, 4e éd., LexisNexis, 2018, nos 485 s. ; M. Dochy, La dématérialisation des actes du procès civil, Dalloz, coll. « Nouvelle Bibliothèque de thèses », 2021).
C’est un bail à usage commercial qui est l’origine du litige et du procès, émaillé de pas moins de deux pourvois, deux cassations et deux renvois… C’est la saisine de la seconde cour d’appel de renvoi qui fait difficulté. Le bailleur a en effet remis sa déclaration de saisine sur support papier, le 22 mars 2018, en raison d’une cause étrangère.
La cour d’appel déclare cet acte irrecevable, faute que soit établie l’impossibilité, pour l’avocat du bailleur, d’avoir accès au réseau « professionnel » [privé] virtuel des avocats : en effet, « il n’est fait état d’aucune panne affectant sa clé RPVA, laquelle pouvait être utilisée sur tout autre poste informatique disposant d’un accès internet, notamment à l’ordre des avocats ou dans un cabinet d’un de ses confrères qu’il ne prétend pas même avoir sollicités ». Dans le même temps, la cour d’appel constate de la justification par l’avocat du bailleur, de l’intervention d’une société d’informatique « Xtronique Micro Sud » « durant trois jours, du 19 au 23 mars 2018, aux fins de rechercher la panne touchant son matériel informatique, laquelle rendait impossible la navigation sur internet et avait pour origine la défectuosité du câble RJ 11 de la Livebox ».
Le bailleur se pourvoit, invoquant la violation de l’article 930-1 du code de procédure civile par la cour d’appel, ensemble l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme : bien qu’une cause étrangère faisant obstacle au dépôt de la déclaration d’appel par voie électronique indépendante de la volonté ou du fait du conseil de l’exposante ait été constatée, la cour d’appel n’a pas admis le retour au papier…
La Cour de cassation casse au visa du seul article 930-1 du code de procédure civile, en rappelant sa teneur (v. chapô). La cour d’appel a violé le texte en refusant d’admettre l’existence d’une cause étrangère alors qu’elle a constaté l’intervention d’un informaticien pendant trois jours au cabinet de l’avocat.
Dans notre arrêt, l’avocat du bailleur devait remettre sa déclaration de saisine par voie électronique. En effet, la Cour de cassation a estimé que certaines transmissions, non visées par l’arrêté technique du 30 mars 2011 – alors en vigueur –, pris pour l’application de l’article 930-1, dans la procédure d’appel lorsque la représentation est obligatoire, devaient être accomplies par voie électronique : il en est ainsi, justement, de la saisine de la cour par voie électronique en cas de renvoi après cassation (Civ. 2e, 1er déc. 2016, n° 15-25.972 P, Dalloz actualité, 14 déc. 2016, obs. C. Bléry ; D. 2016. 2523 ; ibid. 2017. 422, obs. N. Fricero ; D. avocats 2017. 28, obs. C. Lhermitte ; 17 mai 2018, n° 17-15.319 NP).
Notons qu’il en serait de même aujourd’hui avec l’arrêté du 20 mai 2020 (Dalloz actualité, 2 juin 2020), qui a abrogé l’arrêté de 2011 (ainsi que celui du 5 mai 2010 pour les procédures sans représentation obligatoire), a fortiori – le nouvel arrêté étant mieux rédigé et général.
Or l’avocat n’a pas fait usage du réseau privé virtuel des avocats (RPVA), mais a remis au greffe sa déclaration sur support papier… remède à un dysfonctionnement qu’il invoquait : la cause étrangère.
Rappelons (v. Dalloz Action préc., n° 273.122 et les réf.) que la notion de cause étrangère en matière de communication par voie électronique a été créée par le décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009. Ce décret l’a, d’une part, inséré à l’article 748-7 du code de procédure civile, qui a complété le régime général de la communication par voie électronique issu du décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005, d’autre part à l’article 930-1, pour les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d’appel. Les deux envisagent un dysfonctionnement de la communication par voie électronique et un remède. Celui de l’article 748-7 est la prorogation du délai au premier jour ouvrable suivant. Celui de l’article 930-1 est le retour au papier : l’acte est remis sur un tel support ou, par permission du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, adressé par LRAR.
Remarquons au passage que l’article 850 du code de procédure civile, issu du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, prévoit le même remède en procédure écrite ordinaire et à jour fixe devant les tribunaux judiciaires depuis le 1er janvier 2020 : la CPVE est obligatoire, sauf pour les requêtes de l’article 840 ; le texte fait d’ailleurs suite à l’article 796-1, II, issu du décret n° 2017-892 du 6 mai 2017, applicable du 1er septembre 2019 au 31 décembre 2019 devant les tribunaux de grande instance, lorsque la communication par voie électronique y est devenue obligatoire.
Rappelons aussi que, pour heureuse que soit la prévision de la cause étrangère, elle ne résout pas toutes les difficultés, car le code est muet sur le contenu de la notion (v. S. Grayot-Dirx, La cause étrangère et l’usage des nouvelles technologies dans le procès civil, Procédures 2013. Étude 2 ; J.-L. Gallet et E. de Leiris, op. cit., nos 503 s. ; P. Gerbay et N. Gerbay, Guide du procès en appel, LexisNexis, 2020, nos 789 s.). La Cour de cassation a nécessairement eu à se prononcer sur la cause étrangère – ce qu’elle est ou ce qu’elle n’est pas –, le plus souvent au visa de l’article 930-1, comme dans l’arrêt du 10 juin 2021 : ainsi, notamment :
• la deuxième chambre civile a jugé que le retard dans l’installation du raccordement du cabinet de l’avocat au RPVA, par la faute de e-barreau, est constitutif d’une telle cause (Civ. 2e, 15 mai 2014, n° 13-16.132 NP). De même, la territorialité dématérialisée technique du RPVA est une cause étrangère (Civ. 2e, 6 sept. 2018, n° 17-18.698 NP, Gaz. Pal. 27 nov. 2018, p. 73, obs. C. Bléry ; 6 sept. 2018, n° 17-18.728 NP, Gaz. Pal. 27 nov. 2018, p. 75, obs. V. Orif) : actuellement, le RPVA permet seulement aux avocats du ressort d’une cour d’appel de remettre des actes par voie électronique à son greffe, de telle sorte qu’un avocat extérieur ne peut utiliser le RPVA pour ce faire alors même qu’il n’y a pas de territorialité de la postulation en matière prud’homale (Cass., avis, 5 mai 2017, n° 17-70.005 P, Dallloz actualité, 9 mai 2017, art. A. Portmann ; ibid. 10 mai 2017, obs. C. Bléry). Le « poids des fichiers » est également une cause étrangère (Civ. 2e, 16 nov. 2017, n° 16-24.864 P, Dalloz actualité, 22 nov. 2017, obs. C. Bléry ; D. 2018. 52 , note C. Bléry ; ibid. 692, obs. N. Fricero ; ibid. 757, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle ; AJ fam. 2017. 618, obs. M. Jean ; D. avocats 2018. 32, chron. C. Lhermitte ; Dalloz IP/IT 2018. 196, obs. L. de Gaulle et V. Ruffa ) : comme « aucune disposition n’impose aux parties de limiter la taille de leurs envois à la juridiction ou de transmettre un acte de procédure en plusieurs envois scindés », l’avocat peut remettre des actes trop lourds sur support papier…
• la même chambre a en revanche refusé – à juste titre – de voir dans la distraction de l’avocat une telle cause étrangère (Civ. 2e, 13 nov. 2014, n° 13-25.035 NP, Gaz. Pal. 8-10 mars 2015, p. 19, note C. Bléry : l’avocat avait bien préparé la déclaration d’appel mais ne l’a jamais envoyée, ce que révélait une page extraite du RPVA…). Il en est de même du défaut de raccordement, visiblement non sollicité (Civ. 2e, 5 janv. 2017, n° 15-28.847 NP, Procédures 2017. Comm. 56, obs. H. Croze). Ne constituent pas non plus une cause étrangère des courriels du greffe concernant des procédures différentes, disant de recourir à la voie papier et alors que les plaideurs ne démontraient pas avoir tenté de saisir la cour d’appel par voie électronique (Civ. 2e, 17 mai 2018, n° 17-15.319 NP, Gaz. Pal. 31 juill. 2020, p. 69, obs. C. Bléry) : ce qui est très sévère pour les avocats qui doivent suivre l’actualité « technique » des « tuyaux » au sein du ressort de leur cour d’appel. Ou encore, la simple omission d’une diligence n’est pas une cause étrangère (Civ. 2e, 27 sept. 2018, n° 17-20.930 P, Dalloz actualité, 3 oct. 2018, obs. C. Bléry : D. 2018. 1919 ; ibid. 2019. 555, obs. N. Fricero ; le défaut de restitution de la requête aux fins d’autorisation d’assigner à jour fixe par l’huissier instrumentaire n’est pas une telle cause permettant valablement à l’avocat de remettre l’assignation au greffe sur support papier sans les documents visés à l’article 920 du code de procédure civile, dans le cas d’un jour fixe imposé)…
L’arrêt du 10 juin 2021 vient donc fournir un nouvel exemple de cause étrangère. Il s’inscrit dans le courant plutôt bienveillant de la jurisprudence en matière de CPVE – ce dont on ne se plaindra évidemment pas ! Déjà en 2017, la deuxième chambre civile avait pris soin de distinguer la cause étrangère de la force majeure – cassant l’arrêt de la cour d’appel qui avait assimilé les deux notions – alors que, « si le pouvoir réglementaire avait voulu parler de force majeure, il n’aurait pas mentionné la cause étrangère, plus restrictive » (C. Bléry, notes préc. ; en ce sens, v. aussi, S. Grayot-Dirx, art. préc. n° 14 ; Rép. pr. civ., v° Communication électronique, par E. de Leiris, n° 68). Pourtant, « la question pouvait se poser de savoir si l’impossibilité de remettre les conclusions par voie électronique était bien extérieure à l’avocat. La cour d’appel estimait que non puisqu’il aurait dû les scinder en plusieurs fichiers. La deuxième chambre civile a au contraire considéré que cette obligation ajoutait aux dispositions applicables à la CPVE » (C. Bléry, notes préc.).
Dans notre affaire, la question pouvait tout autant se poser : la panne informatique – récurrente – de l’avocat lui était-elle bien extérieure ? Il lui était impossible de « naviguer sur internet » et c’était le câble de sa Livebox qui s’était avéré défectueux. La cour d’appel précisait (v. moyen annexé) : « le 23 mars 2018, lorsque la panne a été levée aux premières heures de la matinée, il n’existait aucun obstacle à l’utilisation de son propre poste informatique pour assurer la communication électronique de la déclaration de saisine.
D’autre part, la crainte qu’il mentionne, et qui s’analyse comme une préoccupation, ne caractérise pas une impossibilité d’assurer la transmission par voie électronique de la déclaration de saisine.
En effet, il n’est pas établi qu’il a été dans l’impossibilité d’avoir accès au réseau professionnel virtuel des avocats, alors qu’il ne fait état d’aucune panne affectant sa clé RPVA laquelle pouvait être utilisée sur tout autre poste informatique disposant d’un accès internet, notamment à l’ordre des avocats ou dans un cabinet d’un de ses confrères qu’il ne prétend pas même avoir sollicités.
Dans ces conditions, il ne peut être retenu que la déclaration de saisine remise au greffe sur support papier le 22 mars 2018 par le conseil de la SCI Kalam l’a été pour une cause qui [leur] était étrangère ne permettant pas la transmission par voie électronique. »
Certes, « la panne » n’était pas totalement extérieure à l’avocat : celle-ci était au contraire due à un problème de matériel utilisé par l’avocat (le câble) et non à un dysfonctionnement des tuyaux du fournisseur internet (un tiers) – il est vrai que le câble ne lui était peut-être que prêté ou loué avec la box (selon son abonnement). La Cour de cassation retient cependant que l’avocat avait fait intervenir un informaticien pour rechercher les causes de l’impossibilité de se connecter à l’internet – informaticien qui a eu besoin de trois jours pour trouver la cause de la panne… Alors, certes, l’avocat aurait pu solliciter un confrère pendant la durée de la panne, celle-ci a peut-être été détectée tôt le dernier jour du délai (détectée mais pas forcément réparée par le remplacement du câble défectueux…). En toute rigueur, la cour d’appel n’avait pas tort, mais l’appréciation de la Cour de cassation nous semble plus appropriée : l’avocat n’est pas informaticien et, dès lors qu’il justifie de difficultés techniques réelles et prouvées, il ne doit pas être soumis à des exigences excessives.
Cependant, il faut une nouvelle fois (Dalloz actualité, 31 août 2020 ; ibid. 27 nov. 2020, obs. C. Bléry) conclure de manière mitigée et appelant à la prudence : il est permis de se réjouir de la souplesse de la Cour de cassation ou de sa tolérance envers certains « péchés véniels » dans certains arrêts ; « l’ennui est que toute la construction de la Cour de cassation relative à la CPVE est loin d’être aussi tolérante et que les avocats ont toujours au-dessus de leur tête une sorte d’épée de Damoclès […] : la Cour de cassation sera-t-elle tolérante ou pas ? » (Dallloz actualité, 27 nov. 2020, préc.). En matière de cause étrangère, la Cour de cassation semble plus tolérante que les cours d’appel – les arrêts du 16 novembre 2017 et celui du 10 juin 2021 en attestent. Ce dernier, en particulier, rassure : la crainte était que, « dès lors que la communication électronique semble maîtrisée et stabilisée, les exigences quant à la démonstration de la cause étrangère [puissent] s’avérer plus strictes » (P. Gerbay et N. Gerbay, op. cit., nos 800) ; la crainte semble sans fondement. Il appartient toutefois à l’avocat de bien justifier le retour au papier s’il estime être confronté à une cause étrangère : la panne informatique ou de l’internet sera alors jugée extérieure à lui… En outre, et de manière générale, « l’avocat doit se prémunir contre les risques normaux susceptibles d’affecter la communication électronique » (J.-L. Gallet et E. de Leiris, op. cit., n° 504) : on aurait pu dire que l’avocat doit se conduire en « bon père de famille » en matière de CPVE (ente autres).
Le conseil municipal n’est pas tenu de décider de la création d’adjoints de quartier lors de sa première réunion. Et, si tel est le cas, il peut procéder à deux scrutins séparés pour l’élection des adjoints de quartier et celle des autres adjoints.
Le préfet des Hauts-de-Seine avait déféré, sans succès, au tribunal administratif de Cergy-Pontoise l’élection des adjoints au maire de Saint-Cloud. Saisi en appel, le Conseil d’État rejette à son tour le recours.
L’avis de taxe d’habitation ne peut être assimilé à l’avis d’imposition qui, lui seul, concerne les revenus, lesquels constituent la base de calcul du supplément de loyer de solidarité.
Le Conseil d’État précise la procédure préalable à une sanction à l’encontre d’un organisme HLM, puis les modalités de mise en œuvre de celle-ci.
La construction d’une antenne-relais doit être regardée comme une extension de l’urbanisation dans les communes littorales soumise au principe de continuité.
La construction d’une antenne-relais doit être regardée comme une extension de l’urbanisation dans les communes littorales soumise au principe de continuité.
La directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, prévoit que le « producteur est responsable du dommage causé par le défaut de son produit » (art. 1) et précise qu’un « produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre compte tenu de toutes les circonstances et notamment a) de la présentation du produit ; b) de l’usage du produit qui peut être raisonnablement attendu » (art. 6).
Cette directive, entrée en vigueur le 30 juillet 1985, a été transposée en droit interne par la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 (C. civ., art. 1386-1 à 1386-18, devenus 1245 à 1245-17).
Le dispositif mis en place transcende la distinction entre responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle et s’impose, de la même façon, aux juges judiciaire et administratif. Il s’agit d’une responsabilité objective qui ne repose pas sur la faute mais sur le défaut du produit. Elle incombe au fabricant du produit ou à l’importateur et, subsidiairement, au fournisseur s’il n’indique pas l’identité du producteur ou si ce dernier est introuvable (C. civ., art. 1245-5 et 1245-6).
La victime peut agir directement contre le producteur, sans qu’elle ait besoin de passer par une hypothétique chaîne de contrats ni besoin de démontrer une faute de celui-ci. En revanche, elle est tenue de prouver l’existence d’un dommage causé par un produit, le défaut dudit produit et le lien de causalité entre ce défaut et le dommage (C. civ., art. 1245-8). Par facilité pour la victime, les présomptions sont admises, à la condition qu’elles soient graves, précises et concordantes.
Néanmoins, le législateur a prévu un certain nombre de causes d’exonération au bénéfice du producteur. À ce titre, l’article 1386-13, devenu 1245-12 du code civil précise que « la responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ou d’une personne dont la victime est responsable ».
L’article 1245-12 du code civil n’a pas été repris par le projet de réforme de la responsabilité civile du 13 mars 2017. Il n’est fait aucune référence à la faute exonératoire de la victime. Toutefois, il est précisé que l’article 1254 – qui, en droit commun, limite cet effet exonératoire en cas de dommage corporel à la faute lourde – n’est pas applicable en la matière.
C’est précisément sur l’effet exonératoire de la faute de la victime sur la responsabilité du producteur qu’était invitée à se prononcer la Cour de cassation dans un arrêt du 2 juin 2021.
Le 26 février 2012, un incendie a détruit la maison d’habitation d’un couple de propriétaires. Par acte du 31 décembre 2014, après avoir obtenu en référé la désignation d’un expert judiciaire pour déterminer les causes du sinistre, les victimes de l’incendie et leur assureur ont assigné en responsabilité et en indemnisation la société ERDF, devenue la société Enedis. Cette dernière a été déclarée responsable de cet incendie sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux.
Pour autant, la réparation accordée aux victimes n’a pas été intégrale dans la mesure où les juges du fond ont retenu une faute de leur part qui aurait contribué au dommage. Les propriétaires avaient installé un « réenclencheur » dans les locaux sinistrés, ce qui aurait aggravé le sinistre sans pour autant qu’il soit à l’origine de l’incendie.
Les victimes se sont pourvues en cassation, reprochant à la cour d’appel d’avoir retenu une faute de leur part qui limitait la responsabilité du producteur à 60 % des dommages alors « qu’une circonstance ayant pu aggraver un dommage à la faveur d’un incendie n’en constitue pas pour autant la cause, seul l’événement ayant déclenché l’incendie étant à l’origine première et déterminante des entiers dommages ». Les juges du fond auraient violé l’article 1245-12 du Code civil.
Le pourvoi interroge alors la faute exonératoire de la victime en matière de responsabilité du fait des produits défectueux. Il invite concrètement à se prononcer sur l’appréciation du lien de causalité entre cette faute et la survenance du dommage.
Au visa de l’article 1386-13, devenu 1245-12 du Code civil, la deuxième chambre civile casse l’arrêt d’appel.
Elle rappelle que, selon ce texte, la responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime. En matière de responsabilité du fait des produits défectueux, l’incidence de la faute de la victime sur l’étendue du droit à réparation est la même qu’en droit commun de la responsabilité. Si la faute a contribué à la réalisation du dommage, la victime doit supporter une partie de ce dommage.
Pour réduire la responsabilité de la société Enedis à hauteur de 60 % du dommage, après avoir retenu que l’élément déclencheur de l’incendie était une surtension survenue sur le réseau électrique imputable à celle-ci, l’arrêt d’appel relève, en se fondant sur le rapport d’expertise, que le couple propriétaire a commis une faute en faisant installer sur son réseau privatif un réenclencheur ne répondant pas aux normes et considéré comme dangereux, dont la présence a été un facteur « aggravant » du sinistre.
En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que la faute imputée aux propriétaires de l’habitation n’avait pas causé le dommage et l’avait seulement aggravé, la cour d’appel a violé le texte susvisé.
Autrement dit, selon la Cour de cassation, la faute de la victime n’a d’incidence sur le droit à réparation que si elle a contribué effectivement à causer le dommage, qu’elle a participé à sa survenance. Dans le cas où elle a aggravé le dommage une fois celui-ci survenu par le biais d’une autre cause, en l’occurrence un produit défectueux, elle est indifférente.
En l’espèce, une surtension survenue sur le réseau électrique a rendu l’électricité impropre à son utilisation normale. L’électricité livrée par la société Enedis était donc défectueuse.
Le dommage dont les demandeurs sollicitent la réparation a été intégralement causé par l’incendie de l’immeuble qu’ils occupaient. C’est donc la défectuosité de l’« électricité » livrée par la société Enedis qui est à l’origine de l’incendie puisque, sans elle, il n’y aurait pas eu d’incendie.
La faute imputée aux victimes, consistant en l’installation d’un dispositif non conforme sur le réseau privé, n’a pas été à l’origine de l’incendie. Sans elle, l’incendie se serait produit de la même façon. Elle a simplement aggravé ses conséquences a posteriori, ce qui ne serait pas arrivé sans le problème d’électricité initial. Il y a bien une faute de la victime mais dépourvue de lien de causalité avec la survenance du dommage.
Contrairement à l’avis des juges d’appel, un rôle aggravant n’est pas un rôle causal pour la Cour de cassation.
La question est intéressante notamment parce qu’elle invite à se replonger dans les affres de la causalité (P. Esmein, Le nez de Cléopâtre ou les affres de la causalité, D. 1964. Chron. 805). L’appréciation du lien causal entre la faute de la victime et la réalisation du dommage est une question complexe, comme toute question en matière de causalité.
On le sait, deux théories causalistes, lesquelles n’ont pas manqué d’animer la doctrine, sont appliquées par le juge judiciaire et le juge administratif sans qu’aucune n’ait été érigée en principe : l’équivalence des conditions et la causalité adéquate.
L’équivalence des conditions invite à retenir toute cause à l’origine de l’intégralité du dommage. Tous les événements sans lesquels le dommage ne se serait pas produit sont considérés comme en étant la cause. Le juge ne hiérarchise pas les événements.
Au contraire, la théorie de la causalité adéquate implique l’identification de la cause qui a provoqué le dommage parce qu’elle le portait normalement en elle. Il s’agit là de ne retenir que la ou les causes efficientes du dommage. Le juge doit donc opérer un tri plus important que lorsqu’il est fait application de la théorie de l’équivalence des conditions.
Quelle que soit la théorie appliquée, qu’il est d’ailleurs difficile d’identifier expressément dans les décisions judiciaires, le rapport de causalité doit être certain et direct. Les juges du fond disposent d’un grand pouvoir d’appréciation, notamment en matière de preuves. Cependant, en tant que notion juridique, le lien de causalité est soumis au contrôle de la Cour de cassation (Civ. 2e, 16 déc. 1970, n° 69-13.893, Bull. civ. II, n° 348 ; 9 juill. 1997, n° 95-20.799).
La faute de la victime, pour être une cause d’exonération, doit être une véritable faute et non un simple fait et doit être rattachée au dommage par un lien de causalité. Autrement dit, même si la victime n’engage pas sa responsabilité envers elle-même, il incombe tout de même au défendeur de prouver les conditions classiques de la responsabilité pour faute pour obtenir une exonération partielle ou totale (sur la faute de la victime et ses conséquences sur le droit à réparation v. J. Moreau, L’influence de la situation et du comportement de la victime sur la responsabilité administrative, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 1957 ; C. Lapoyade-Deschamps, La responsabilité de la victime, thèse, Bordeaux, 1977 ; A. Dumery, La faute de la victime en droit de la responsabilité civile, préf. R. Bout, L’Harmattan, coll. « Droit, Société et Risque », 2011 ; J. Fossereau, L’incidence de la faute de la victime, RTD civ. 1963. 7 ; F. Chabas, Fait ou faute de la victime ?, D. 1973. Chron. 207 ; M. Eloi, C. de Jacobet de Nombel, M. Rayssac et J. Sourd, « La faute de la victime dans la responsabilité extra-contractuelle », in Mélanges C. Lapoyade-Deschamps, PU Bordeaux, 2003, p. 47).
En pratique, la faute de la victime est souvent constituée par la méconnaissance des mises en garde formulées par le producteur (Civ. 1re, 11 juin 2008, n° 08-17.313, RCA sept. 2009. Comm. 254) à condition qu’elle ait bien eu accès aux documents contenant les avertissements (Civ. 1re, 21 juin 2005, D. 2005. IR 1663). Toutefois, il arrive fréquemment que le caractère exonératoire ne soit pas retenu par le juge, soit que la faute de la victime ne soit pas caractérisée (Civ. 1re, 7 nov. 2006, n° 05-11.604, Bull. civ. I, n° 467 ; D. 2006. 2950 ; RDI 2007. 94, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2007. 139, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2007. 438, obs. B. Bouloc ; 4 févr. 2015, n° 13-19.781, Bull. civ. I, n° 31 ; D. 2015. 375 ; 24 sept. 2009, n° 08-16.569), soit que le lien de causalité entre la faute et le dommage ne soit pas démontré (Civ. 1re, 21 oct. 2020, n° 19-18.689, Dalloz actualité, 25 nov. 2020, obs. A. Hacene-Kebir ; D. 2020. 2064 ; ibid. 2021. 46, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; ibid. 1004, obs. G. Leray et V. Monteillet ; RTD civ. 2021. 155, obs. P. Jourdain ).
En l’espèce, il apparaît que, pour les juges d’appel, un simple rôle aggravant peut s’analyser en un véritable rôle causal puisque tout en constatant l’aggravation du dommage par la faute de la victime, ils ont retenu malgré tout, son caractère exonératoire au profit du producteur.
Pourtant, à bien y regarder, la position de la Cour de cassation semble nettement plus conforme aux règles en la matière. Elle s’inscrit dans le sens des dispositions de l’article 1245-12 du code civil qui imposent, pour que le caractère exonératoire de la faute de la victime puisse être retenu, une conception plutôt stricte du lien de causalité entre cette faute et le dommage.
Cette exigence se retrouve dans les finalités de la directive du 25 juillet 1985 dont l’objectif est de renforcer la protection des victimes de ces produits au sein de l’Union européenne en mettant à la charge du producteur une responsabilité de plein droit détachée de l’idée de faute.
Cette conception stricte du lien de causalité se trouve également dans la rédaction même de l’article 1245-12 qui dispose explicitement que « la responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ». L’adverbe « conjointement » renvoie à la simultanéité. En ce sens, la défectuosité du produit et la faute de la victime doivent avoir l’une comme l’autre provoqué le dommage. Ce qui signifie, en l’occurrence, que défectuosité et faute devraient être à l’origine de l’incendie.
Or les constatations de la cour d’appel établissent le contraire en ce que la défectuosité de l’électricité est la seule cause de l’incendie, dont la faute de la victime a seulement aggravé les conséquences. Même sans cette faute, le dommage se serait réalisé.
Il n’est donc pas établi que la faute de la victime a été la cause efficiente du dommage au même titre que la défectuosité du produit. Par conséquent, elle ne peut avoir d’effet exonératoire sur la responsabilité du producteur.
Une partie de la doctrine regrette d’ailleurs l’introduction dans le dispositif du caractère exonératoire de la faute de la victime dont l’effet est le même qu’en droit commun malgré la spécificité du régime (v. J. Julien, « Causes exonératoires », in Droits de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action, 2021- 2022, n° 2144.111 ; P. Le Tourneau, Droits de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action, 2021-2022, n° 0112.14). Il y aurait là un paradoxe. Le maintien de l’effet exonératoire de la faute dans certains régimes de responsabilités objectives montre la difficulté à se détacher totalement de la faute et de la conception morale qui l’accompagne en droit de la réparation, en dépit du fort mouvement d’objectivation en la matière.
Si la responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime, c’est à la condition que cette faute n’ait pas seulement aggravé le dommage mais qu’elle y ait également contribué.
« Il n’y a aucun mal à changer d’avis, pourvu que ce soit dans le bon sens », disait Winston Churchill. La première chambre civile de la Cour de cassation fait montre de la même bienveillance dans cet arrêt rendu le 9 juin 2021 en matière de règlement des intérêts patrimoniaux des jeunes divorcés.
Deux époux qui s’étaient mariés en 2003 sans contrat de mariage envisageaient de divorcer et avaient formalisé leur entente sur la liquidation et le partage de leurs intérêts patrimoniaux dans un acte notarié le 7 mai 2016. Alors que l’instance en divorce touchait au but, l’épouse prit conscience, à la faveur d’un changement de conseil, que la convention ne préservait pas suffisamment ses intérêts. La convention en effet n’était pas exempte de critiques : la date de la jouissance divise retenue dans l’acte était trop éloignée du partage et la privait d’une partie de l’indemnité d’occupation ; le compte d’indivision intégrait les dépenses de la vie courante exposées par son mari ; l’actif de communauté était incomplet, etc.
Ainsi revenue à bonne raison juridique, l’épouse tenta de conclure à la non-homologation de l’acte notarié mais ses dernières conclusions furent jugées irrecevables car signifiées postérieurement à l’ordonnance de clôture. Un jugement du 21 juillet 2017 prononça le divorce et homologua l’acte authentique.
L’épouse interjeta appel et, dans un arrêt du 11 octobre 2018, la cour d’appel de Versailles dit n’y avoir pas lieu à homologation de l’acte notarié du 7 mai 2016 et ordonna la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des parties. L’ex-époux intimé, contrarié par ce revirement de situation, forma un pourvoi en cassation. Dans son moyen unique, il contesta, en vain, la recevabilité et le bien-fondé de l’appel.
La recevabilité de l’appel
Dans la première branche du moyen, le demandeur contestait la recevabilité de l’appel. L’argument semblait imparable : les premiers juges ayant fait droit aux demandes de l’épouse, celle-ci n’avait aucun intérêt à interjeter appel. La cour d’appel aurait ainsi violé les articles 31, 122 et 546 du code de procédure civile (§ 4).
Il est vrai que formellement l’appelante avait obtenu gain de cause, mais sur des demandes adressées avant qu’elle ne change d’avis. La première chambre prit vite la mesure de ce paradoxe et tenta de trouver le moyen de justifier la recevabilité de l’appel. Elle chercha d’abord à privilégier une appréciation globale de l’intérêt à agir et sollicita en ces termes l’avis de la deuxième chambre civile : « Dans le cas d’un appel formé avant le 1er septembre 2017, date d’entrée en vigueur du [décret n° 2017-891 du 6 mai 2017], et limité à certains chefs du jugement critiqué, l’un d’entre eux étant conforme aux prétentions de première instance de l’appelant, les autres ne lui ayant pas donné entière satisfaction, l’intérêt à agir de la partie qui a formé appel doit-il être apprécié globalement, à l’instar de ce qui a été jugé en présence d’un appel général ou séparément chaque chef de jugement critiqué ? » (Civ. 2e, 4 févr. 2021, n° 19-10.550, D. 2021. 1133 ).
La deuxième chambre civile répondit qu’« il résulte de la combinaison des articles 32, 122 et 546, alinéa 1, du code de procédure civile que l’intérêt à interjeter appel a pour mesure la succombance, qui réside dans le fait de ne pas avoir obtenu satisfaction sur un ou plusieurs chefs de demande présentés en première instance ». Dès lors, « la recevabilité de l’appel limité doit être appréciée en fonction de l’intérêt à interjeter appel pour chacun des chefs de jugement attaqués ». Ainsi, « en cas d’appel limité en application de l’article 562 du code de procédure civile dans sa rédaction antérieure au décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, sauf indivisibilité de l’objet du litige, l’appel ne défère à la cour d’appel que la connaissance des chefs du jugement attaqué, à l’égard desquels l’appel a été déclaré recevable, et de ceux qui en dépendent » (Civ. 2e, 4 févr. 2021, préc.).
La première chambre civile ne pouvait donc compter sur une appréciation globale de l’intérêt à agir. Elle semblait contrainte de suivre l’avis de la deuxième chambre civile et de constater que, l’appelante qui ne succombait pas étant dépourvue d’intérêt à agir, son appel était irrecevable. Tel est de prime abord la direction prise dans cet arrêt du 9 juin 2021 qui reprend in extenso les motifs de l’avis du 4 février 2021 (§ 5, 6 et 7).
Le salut vint de l’article 954 du code de procédure civile. Selon ce texte, la cour d’appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif. Or, en l’espèce, l’intimé n’avait pas saisi la cour d’appel d’une fin de non-recevoir dans le dispositif de ses conclusions. La cour d’appel n’ayant jamais statué sur la recevabilité de l’appel (§ 9), le moyen ne peut être accueilli (§ 10). En d’autres termes, malgré l’absence d’intérêt à agir, la recevabilité de l’appel ne pouvait (plus) être contestée devant la Cour de cassation.
Le bien-fondé de l’appel
La cinquième branche du moyen contestait le bien-fondé de l’appel. Le demandeur au pourvoi reprochait à l’arrêt d’appel d’avoir refusé d’homologuer la convention « sans rechercher ni expliquer en quoi l’équilibre entre les intérêts des parties n’y était pas préservé » (§ 11).
Il est vrai que la motivation de la cour d’appel de Versailles paraissait assez légère puisqu’elle s’était bornée à reprendre les moyens des parties pour affirmer que les éléments qu’ils contiennent « sont de nature à affecter l’équilibre de la convention et les intérêts des parties » (§ 11). Le demandeur n’hésita pas à enfoncer le clou, rappelant que la convention de liquidation et partage avait été négociée avec l’assistance d’un avocat et signée devant notaire. Il en résulterait une violation de l’article 268 du code civil selon lequel « les époux peuvent, pendant l’instance, soumettre à l’homologation du juge des conventions réglant tout ou partie des conséquences du divorce. Le juge, après avoir vérifié que les intérêts de chacun des époux et des enfants sont préservés, homologue les conventions en prononçant le divorce ».
Le pourvoi est pourtant rejeté. La Cour de cassation rappelle dans un attendu de principe l’interprétation qu’elle réalise désormais de l’article 268 du code civil : « le juge ne peut prononcer l’homologation d’une convention portant règlement de tout ou partie des conséquences du divorce qu’en présence de conclusions concordantes des époux en ce sens » (§ 12). L’appelante faisant ici valoir que l’acte ne préservait pas suffisamment ses intérêts, « ledit acte ne reflète plus la commune intention des intéressés » (§ 13).
Une telle interprétation est à la fois contraignante et souple. Elle est contraignante pour le juge de l’homologation auquel il est fait interdiction de prononcer l’homologation en l’absence de concordance des conclusions. Elle est souple pour les parties puisqu’il leur suffit de changer d’avis et de solliciter le rejet de la demande d’homologation pour faire obstacle à la convention qu’ils ont pourtant négociée et signée.
Mieux : les raisons de ce revirement importent peu et la partie qui change d’avis n’a pas à se justifier. La Cour de cassation l’affirme très clairement : les seuls motifs tenant à la présence de conclusions discordantes suffisent à justifier le refus d’homologation, abstraction faite des autres motifs, qui paraissent surabondants (§ 14). En d’autres termes, le juge doit procéder successivement à deux vérifications : d’abord s’assurer que les conclusions des parties sont concordantes, ensuite et seulement si tel est bien le cas, contrôler que la convention préserve suffisamment les intérêts des parties. Bref, il suffit aux parties de changer d’avis.
Cette lecture de l’article 268 du code civil avait déjà été énoncée en principe par un arrêt rendu le 12 février 2020, selon lequel la demande d’homologation d’une convention réglant tout ou partie des conséquences du divorce présenté par un époux seul est recevable mais il appartient au juge de tirer les conséquences de l’absence d’accord de l’autre époux sur cette demande (Civ. 1re, 12 févr. 2020, n° 19-10.088, Dalloz actualité, 3 mars 2020, obs. A. Bolze ; D. 2020. 389 ; ibid. 2190, chron. S. Robin-Raschel, X. Serrier, V. Champ, S. Vitse, C. Azar, E. Buat-Ménard, R. Le Cotty et A. Feydeau-Thieffry ; ibid. 2021. 499, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2020. 307, obs. J. Casey ; RTD civ. 2020. 353, obs. A.-M. Leroyer ; Gaz. Pal. 28 juill. 2020, n° 383h7, p. 70, obs. M. Bruggeman ; Dr. fam. 2020, n° 68, note A. Boulanger ; LEFP avr. 2020, p. 5, obs. J.-J. Lemouland ; ibid. mars 2020, p. 5, note L. Mauger-Vielpeau). La Cour énonçait alors déjà en attendu de principe que « le juge ne peut prononcer l’homologation d’une convention portant règlement de tout ou partie des conséquences du divorce qu’en présence de conclusions concordantes des époux en ce sens ».
La nécessité de conclusions concordantes est donc le corollaire de la recevabilité d’une demande d’homologation présentée par un seul époux. Dans l’arrêt du 12 février 2020, cette condition apparaissait donc dans une dimension processuelle : peu importe qu’un seul époux sollicite l’homologation si l’autre conclut dans le même sens. Le dépôt d’une conclusion concordante apparaissait alors comme nécessaire pour s’assurer d’une manifestation procédurale suffisante, afin d’être certain que celui qui n’a pas pris l’initiative de l’homologation ne s’est pas totalement désintéressé de la question. Le présent arrêt confirme que la concordance est aussi et surtout une condition substantielle : le consentement des parties doit perdurer après la signature de l’acte, jusqu’au jour où le juge statue (comme en matière de changement de régime matrimonial, v. Civ. 1re, 14 avr. 2010, n° 09-11.218, Bull. civ. I, n° 97 ; D. 2010. 1087 ; ibid. 2011. 1107, obs. M. Douchy-Oudot ). L’homologation est donc « un véritable élément de formation de la convention » (Y. Puyo, Étude comparative des conventions de divorce, Dr. fam. 2015. Étude 19, spéc. n° 6).
Il en résulte un véritable droit de changer d’avis et une préservation renforcée des intérêts des ex-époux. On ne peut s’empêcher d’y voir aussi une méfiance à l’égard du règlement conventionnel des effets du divorce, au risque d’obliger les parties et le juge à tout reprendre à zéro. Où l’on voit aussi que, pour assurer l’équilibre du contenu conventionnel, le consentement des parties, les conseils des avocats et l’intervention du notaire ne suffisent pas : le juge a le dernier mot et il est parfois impossible de faire entrer une situation contentieuse dans le moule de la matière gracieuse. L’article 268 du code civil est bien un « garde-fou contre le “tout conventionnel” en matière de divorce », d’autant plus nécessaire que « le droit de la famille est, par nature, un droit de personnes inégales, fragiles, où la violence latente est réelle, ce qui impose de conserver un point d’équilibre entre liberté et contrôle judiciaire » (J. Casey, obs. préc.). À l’heure où le législateur accélère la déjudiciarisation, la Cour de cassation utilise le frein moteur.
Le juge ne peut prononcer l’homologation d’une convention portant règlement de tout ou partie des conséquences du divorce qu’en présence de conclusions concordantes des époux en ce sens. Tel n’est pas le cas si l’une d’elle estime que l’acte ne préserve pas suffisamment ses intérêts.
En cas de requalification d’un CDD en CDI, les indemnités versées au salarié en raison de la rupture du contrat doivent être calculées sur la base de la situation contractuelle réelle du salarié (à temps partiel), l’opération de requalification ne touchant que le terme du contrat et laissant inchangées les autres clauses du contrat de travail.
La Commission d’examen des pratiques commerciales a été saisie de la légalité de deux séries de pratiques au regard du droit de la concurrence, mises en œuvre respectivement par un fournisseur et par un franchiseur.
Le juge administratif, saisi d’un litige portant sur la légalité de la décision autorisant le licenciement d’un salarié protégé pour un motif économique, doit contrôler le bien-fondé de ce motif en examinant la situation de l’ensemble des entreprises du groupe intervenant dans le même secteur d’activité. Ce périmètre d’appréciation du groupe doit s’étendre aux entreprises qui, bien que dépourvues de lien juridique entre elles, sont détenues par une même personne physique.
L’arrêt commenté aujourd’hui exigera une certaine attention dans les mois à venir, renvoi préjudiciel oblige. Le point central de la discussion touche aux clauses abusives dont on sait que le cœur de la réglementation européenne a été la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993, notamment ses articles 3 et 4 (J. Calais-Auloy, H. Temple et M. Depincé, Droit de la consommation, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, n° 167, p. 184). En droit français, l’article L. 132-1 devenu L. 212-1 du code de la consommation dispose que, « dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ». L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 16 juin 2021 a pour objectif d’unifier la jurisprudence française sur les clauses de déchéance du terme dont on sait qu’elles peuvent être des clauses abusives lorsqu’elles sont mal rédigées dans des prêts immobiliers. L’objectif de ce renvoi préjudiciel sur le fondement de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) est donc de clarifier la réglementation applicable. Un bref rappel des faits est important pour comprendre tout l’enjeu de ce renvoi devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
Un établissement bancaire consent par acte notarié du 17 mai 2006 un emprunt de 209 109 € remboursable sur vingt ans à une personne physique afin que ce dernier puisse acquérir un immeuble. Le contrat prévoyait des « conditions générales » dans lesquelles un article 16-1 précisait que « les sommes dues seraient de plein droit et immédiatement exigibles, sans formalité ni mise en demeure, dans le cas d’un retard de plus de trente jours dans le paiement d’un terme en principal, intérêts ou accessoires » (nous soulignons). L’échéance exigible au 10 décembre 2012 (904,50 €) n’est pas réglée, pas plus que la suivante de janvier 2013. L’établissement bancaire prononce alors la déchéance du terme le 29 janvier 2013 sans mise en demeure préalable conformément à l’article 16-1 précité du contrat. La banque fait ensuite procéder à une saisie-vente chez l’emprunteur une année plus tard. L’emprunteur saisit alors le juge de l’exécution en octobre 2015 en annulation de la procédure soutenant que le procès-verbal de saisie-vente comportait des irrégularités.
Après un premier arrêt de la Cour de cassation portant sur le point de départ du délai biennal de prescription de l’article L. 137-2, devenu L. 218-2 du code de la consommation (Civ. 1re, 26 sept. 2018, n° 17-21.533, AJDI 2019. 379 , obs. J. Moreau ), l’affaire revient devant la cour d’appel de Versailles. À ce stade, s’ouvre à nouveau le débat du caractère abusif ou non de ladite clause prévoyant l’absence d’une mise en demeure préalable. La cour d’appel refuse de considérer la clause comme abusive si bien que l’emprunteur décide de se pourvoir en cassation en confrontant la jurisprudence française à une décision de la CJUE sur la déchéance du terme, le fameux arrêt Banco Primus (CJUE 26 janv. 2017, aff. C-421/14, D. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2017. 525 , obs. M. Moreau, J. Moreau et O. Poindron ). La dispense de mise en demeure décidée conventionnellement serait, pour le plaideur, une clause abusive dans le contrat litigieux eu égard aux critères dégagés par cet arrêt.
La Cour de cassation décide de surseoir à statuer afin de poser plusieurs questions à la Cour de justice de l’Union européenne. Pour faciliter la lecture, nous reproduisons ci-dessous les cinq questions posées à la CJUE :
1. Les articles 3, paragraphe 1, et 4 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent, dans les contrats conclus avec les consommateurs, à une dispense conventionnelle de mise en demeure, même si elle est prévue de manière expresse et non équivoque au contrat ?
2. L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 26 janvier 2017, Banco Primus (C-421/14), doit-il être interprété en ce sens qu’un retard de plus de trente jours dans le paiement d’un seul terme en principal, intérêts ou accessoires peut caractériser une inexécution suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt et de l’équilibre global des relations contractuelles ?
3. Les articles 3, paragraphe 1, et 4 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une clause prévoyant que la déchéance du terme peut être prononcée en cas de retard de paiement de plus de trente jours lorsque le droit national, qui impose l’envoi d’une mise en demeure préalable au prononcé de la déchéance du terme, admet qu’il y soit dérogé par les parties en exigeant alors le respect d’un préavis raisonnable ?
4. Les quatre critères dégagés par la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C-421/14), pour l’appréciation par une juridiction nationale de l’éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée sont-ils cumulatifs ou alternatifs ?
5. Si ces critères sont cumulatifs, le caractère abusif de la clause peut-il néanmoins être exclu au regard de l’importance relative de tel ou tel critère ?
Les données du problème : la déchéance du terme et la mise en demeure
La Cour de cassation commence par distinguer le cadre européen du cadre interne concernant la législation des clauses abusives (nos 5 à 7 de l’arrêt). Il faut louer l’effort de pédagogie déployé ici par la haute juridiction qui entend continuer son œuvre de motivation « enrichie » des arrêts, notamment lorsqu’ils risquent de précéder un important revirement de jurisprudence en fonction de la réponse de la CJUE au renvoi préjudiciel.
Le point névralgique repose sur l’article 16-1 du contrat litigieux dispensant de mise en demeure l’établissement bancaire pour prononcer la déchéance du terme dès le premier impayé en trente jours. On sait qu’eu égard aux articles 1134, 1147 et 1184 anciens – alors applicables à la cause car antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 –, la mise en demeure est un processus étape pour la mise en jeu, par exemple, de la résolution du contrat. Ce mécanisme a pour principale fonction de permettre l’exécution du contrat par le débiteur défaillant (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, p. 866, n° 805). C’est un sursaut d’exécution provoqué par le spectre d’une sanction. Or, ici, la déchéance du terme pouvait être prononcée avant même toute possibilité de régularisation impulsée par une mise en demeure. C’est ici que l’emprunteur s’arc-boute en postulant que l’article 16-1 de la convention est une clause abusive. Le raisonnement peut tout à fait séduire car ladite clause peut créer un déséquilibre significatif entre le consommateur et son cocontractant professionnel.
La jurisprudence de la Cour de cassation permet toutefois de contractualiser la mise en demeure et la haute juridiction entend bien le rappeler dans l’arrêt commenté au n° 9 (Civ. 1re, 3 févr. 2004, n° 01-02.020, Bull. civ. I, n° 27 ; 3 juin 2015, n° 14-15.655, Bull. civ. I, n° 131 ; D. 2015. 1677 , note G. Poissonnier ; RTD civ. 2015. 875, obs. H. Barbier ; 22 juin 2017, n° 16-18.418, Bull. civ. I, n° 151 ; D. 2017. 1356 ; AJDI 2017. 859 , obs. L. Lang, J. Moreau et O. Poindron ; AJ contrat 2017. 386, obs. J. Lasserre Capdeville ). La solution admise par le droit français reste centrée sur une certaine liberté contractuelle puisque les parties peuvent renoncer à la mise en demeure préalable à la condition que le consommateur comprenne l’enjeu de la clause laquelle doit être claire, expresse et non équivoque, d’une part, et permettant, d’autre part, d’informer le consommateur des conséquences que peut avoir l’inexécution de ses obligations. Mais il faut bien avouer que l’exception que constitue cette possibilité tend à devenir le principe dans ce type de contrats où la mise en demeure peut être un frein pour l’exigibilité du solde restant dû d’un débiteur défaillant peut-être définitivement.
La Cour de justice a pu s’intéresser aux clauses de déchéance du terme à travers l’arrêt du 26 janvier 2017 Banco Primus SA, précité. Dans cet arrêt, la CJUE a pu avancer, au numéro 67, quatre critères pour vérifier le caractère éventuellement abusif des clauses de déchéance du terme. En voici un bref résumé :
1. La mise en jeu de la déchéance du terme dépend de l’inexécution d’une obligation présentant un caractère essentiel dans le rapport contractuel.
2. L’inexécution en elle-même doit présenter un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt.
3. La faculté déroge au droit commun des contrats en la matière en l’absence de dispositions contractuelles spécifiques.
4. Le droit national prévoit des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l’application d’une telle clause de remédier à l’exigibilité du prêt.
Or la question de la renonciation à la mise en demeure préalable à la déchéance du terme vient questionner cette jurisprudence. L’intérêt du renvoi préjudiciel apparaît alors très nettement.
Les solutions au problème : l’intérêt du sursis à statuer
Le sursis à statuer repose donc sur une certaine volonté d’harmonisation les jurisprudences (n° 18 de l’arrêt commenté) entre la Cour de cassation et la Cour de justice de l’Union européenne. Deux grandes difficultés apparaissent alors pour cette unification.
D’une part, la première difficulté tient à la contractualisation même de la mise en demeure, laquelle est un des éléments permettant au débiteur de s’exécuter non spontanément mais sous la menace des mécanismes de l’inexécution dont la déchéance du terme n’est qu’une variété. C’est ainsi la première des questions posées à la Cour de justice, peut-être d’ailleurs la plus originale et la plus importante des cinq. L’arrêt Banco Primus ne s’était pas positionné précisément sur ce point. La réponse semble très nuancée. Nous ne nous risquerons pas à proposer une ébauche de solution. Toutefois, on voit mal comment les parties ne pourraient pas renoncer à un mécanisme protecteur si le consommateur comprend le risque de procéder ainsi ; d’autant plus s’il retire de ce sacrifice un avantage particulier. Plus que la réponse, il faudra sonder sa teneur pour réadapter une pratique qui n’hésite pas à se passer des mises en demeure par le recours de ces clauses de renoncement dont l’article 16-1 du contrat litigieux n’est qu’un exemple parmi d’autres.
D’autre part, la seconde difficulté consiste à mieux comprendre la jurisprudence Banco Primus et ces critères précités. Les quatre critères dégagés dans cet arrêt sont-ils cumulatifs ou alternatifs ? Il s’agit d’une vraie question de méthodologie pour que le juge national puisse vérifier dans les clauses de déchéance du terme si une difficulté supplémentaire vient interférer et rendre la clause abusive. Un critère pourrait être plus important qu’un autre si ceux-ci sont simplement alternatifs. C’est ici que l’on peut raisonner factuellement sur la gravité de l’inexécution, à savoir seulement deux échéances avant la déchéance du terme par l’établissement bancaire sans mise en demeure préalable. Le critère de gravité pourrait donc être étayé.
Aux réponses qu’apportera la Cour de justice viendront se poser de nouvelles interrogations eu égard à l’introduction en droit commun des contrats du déséquilibre significatif à travers l’article 1171 nouveau du code civil (G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 2e éd., Dalloz, 2018, p. 385, nos 440 s.). Il faudra alors composer probablement avec une double partition, celle du droit commun et celle du droit spécial, c’est-à-dire le droit de la consommation. Voici donc bien des choses à suivre en perspective : d’une part, la réponse donnée à ce renvoi préjudiciel et, d’autre part, ses effets possibles sur la jurisprudence en droit commun des contrats.
La première chambre civile de la Cour de cassation vient de transmettre un renvoi préjudiciel pour préciser notamment le régime des clauses abusives en présence d’une contractualisation de l’exigence de mise en demeure préalable à la déchéance du terme d’un prêt immobilier.
La première chambre civile de la Cour de cassation vient de transmettre un renvoi préjudiciel pour préciser notamment le régime des clauses abusives en présence d’une contractualisation de l’exigence de mise en demeure préalable à la déchéance du terme d’un prêt immobilier.
La première chambre civile de la Cour de cassation vient de transmettre un renvoi préjudiciel pour préciser notamment le régime des clauses abusives en présence d’une contractualisation de l’exigence de mise en demeure préalable à la déchéance du terme d’un prêt immobilier.
La prescription quadriennale doit être invoquée avant que la juridiction saisie du litige en première instance se soit prononcée sur le fond.
Saisie par six organisations syndicales, une ordonnance des référés du Conseil d’État suspend les règles de calcul du montant de l’allocation chômage qui devaient entrer en vigueur le 1er juillet. « Les incertitudes sur la situation économique ne permettent pas de mettre en place, à cette date, ces nouvelles règles qui sont censées favoriser la stabilité de l’emploi en rendant moins favorable l’indemnisation du chômage des salariés ayant alterné contrats courts et inactivité. »
La prescription quadriennale doit être invoquée avant que la juridiction saisie du litige en première instance se soit prononcée sur le fond.
S’il est légitime de rechercher les avantages d’un testament « conseillé », sans les inconvénients supposés du testament « notarié », il faut bien garder à l’esprit qu’en ayant recours à la forme « olographe » avec l’intention de singer la forme « authentique », on court le risque d’en faire une sorte d’ersatz, qui n’est d’ailleurs pas sans danger pour celui qui le conseille (v. B. Beignier et A. Tani, Le notaire et le testament olographe. Modèle fourni et conservation assurée. Possible responsabilité ? Prudence…, Dr. fam. 2018. Étude 12). Bien qu’on loue fréquemment le testament olographe pour sa simplicité et sa gratuité, il ne peut jamais égaler complètement les avantages d’un testament authentique, si injustement délaissé pour son coût (mais n’est-ce pas le prix de la qualité ?) et sa lourdeur (laquelle n’est pas insurmontable). En la cause, l’utilisation d’un testament authentique aurait permis d’éviter bien des déconvenues.
Quelques mois après son installation en France, un Allemand qui ne comprenait pas le français rédigea dans cette langue un testament olographe pour instituer sa sœur légataire universelle ; le tout en prenant soin de respecter les prescriptions de l’article 970 du code civil (écrit, date et signature). Pour pallier sa mauvaise maîtrise de la langue de Molière, il fut jugé utile (sur les conseils de qui ? L’arrêt ne le précise pas, mais on peut imaginer que le testateur, parfaitement étranger aux subtilités du droit français, n’a pas agi de la sorte tout seul…) de mettre à sa disposition un autre écrit, daté du même jour, rédigé cette fois en allemand, et intitulé « traduction du testament ». À son décès, ses trois enfants héritiers réservataires contestaient la validité de l’acte, obligeant sa sœur à les assigner en délivrance du legs universel et en ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage.
Le testament rédigé dans une langue que ne maîtrise pas le testateur est-il valable, quand bien même il respecterait les prévisions de l’article 970 du code civil ?
La cour d’appel saisie de l’affaire (Chambéry, 25 juin 2019) avait cru pouvoir déclarer valable le testament litigieux en ce qu’il était écrit, daté et signé de la main du testateur. Au contraire, les héritiers réservataires estimaient à l’appui de leur pourvoi qu’il ne pouvait point en être ainsi puisque le testateur ne maîtrisait pas la langue dans laquelle le testament avait été rédigé. La censure de cette décision paraissait difficilement évitable : l’arrêt d’appel avait probablement accordé trop d’importance au second document faisant office de traduction du testament. Premièrement, les juges chambériens l’utilisèrent pour dépasser le fait que le testateur ne parlait pas le français en retenant que, bien que ce second document ne fût pas de sa main, il lui avait été présenté « pour comprendre le sens du testament ». Deuxièmement, ils s’en servirent pour minimiser les approximations de la traduction liées aux absences d’équivalents linguistiques en affirmant que « les expressions quotité disponible et patrimoine disponible employées ont le même sens, de sorte que les deux écrits ne s’opposent pas, le premier étant simplement plus complet et juridique, sans contredire le second ». L’arrêt d’appel allait même jusqu’à considérer que la seule différence relative à la désignation de la sœur comme exécuteur testamentaire au lieu de légataire universel « n’a pas d’incidence sur l’étendue des droits dévolus à cette dernière » pour mieux en déduire que « le consentement [du testateur] n’a point été vicié ». La Cour de cassation semble s’être bien moins intéressée à ce document auquel il ne fallait à l’évidence pas prêter trop de valeur juridique.
Dans sa réponse, la Cour de cassation s’emploie à rappeler au visa de l’article 970 du code civil que « le testament olographe ne sera point valable s’il n’est écrit en entier, daté et signé de la main du testateur : il n’est assujetti à aucune autre forme », pour en conclure que, sitôt que le testateur « avait rédigé le testament dans une langue qu’il ne comprenait pas, […] l’acte ne pouvait être considéré comme l’expression de sa volonté ».
Cette solution invite à formuler au moins deux remarques :
• d’abord, on peut constater que l’arrêt ne fait pas particulièrement état de la résolution d’un quelconque conflit de lois que la présence d’un élément d’extranéité aurait pourtant pu justifier : ainsi, la portée de cette décision est davantage à rechercher dans le droit civil que sous l’angle du droit international privé ;
• ensuite, on pourrait se dire qu’il s’agissait moins ici d’une question de forme que d’un problème de fond. Or il ne faut pas oublier qu’en matière de testament (comme ailleurs), les deux sont étroitement liés puisque la forme est souvent au service du fond, en ce qu’elle participe de la protection de la volonté libérale. Tel était d’ailleurs l’argumentation que faisait justement valoir le pourvoi : « la forme a pour objet de s’assurer que le testament est l’expression authentique de la volonté personnelle de son auteur ».
Si l’élaboration d’un testament olographe est des plus aisées et si la jurisprudence fait désormais montre de souplesse dans l’appréciation de ses conditions (D. Guével, « Remarques sur l’évolution des conditions de forme des testaments olographes (Dix ans de jurisprudences de la Cour de cassation) », in Ruptures, mouvements et continuité du droit. Autour de Michelle Gobert, Economica, 2004, p. 449), il ne faut pas perdre de vue que ces règles de forme ont pour vocation d’assurer l’intégrité du consentement de celui qui dispose pour le temps où il ne sera plus (M. Nicod, Le formalisme en droit des libéralités, La Baule : Imprimerie La Mouette, coll. « Doctorat et Notariat », 2000). On retrouve là ce qui fonde la préférence aujourd’hui donnée à un formalisme « raisonné » et « protecteur », dont le non-respect ne peut pas entraîner une sanction absolue et automatique ; attestant de ce que, très tôt, Josserand avait décrit comme une « désolennisation du testament » (DH 1932. Chron. 73). C’est cette primauté d’un formalisme « de bon sens » sur un formalisme « au pied de la lettre » qui rejaillit dans l’appréciation moderne de chacune des conditions de forme du testament olographe :
1. La signature : celle-ci est comme on le sait très libre (paraphe, nom et prénom, initiales, surnom, etc.), pourvu qu’elle soit nécessairement apposée « à la suite de l’acte » (Civ. 1re, 17 juin 2009, n° 08-12.896, D. 2009. 2058, chron. P. Chauvin, N. Auroy et C. Creton ; ibid. 2508, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel ; 22 mars 2005, n° 03-19.907, AJ fam. 2005. 366 ) et « postérieurement à sa rédaction » (Civ. 1re, 24 févr. 1998, n° 96-12.336, Dr. fam. 1998. Comm. 144, note B. Beignier), afin d’attester de l’identité de l’auteur et de marquer son approbation personnelle et définitive du contenu ainsi que sa volonté de s’en approprier les termes (ce faisant, peu importe s’il ne s’agisse pas de la signature habituelle, v. Civ. 1re, 22 juin 2004, n° 01-14.031, D. 2004. 2953 , note M. Nicod ; AJ fam. 2004. 405, obs. F. Bicheron ; RTD civ. 2005. 397, obs. J. Mestre et B. Fages ; JCP 2005. I. 187, obs. R. Le Guidec ; RJPF 2004. 51, obs. J. Casey).
2. La date : elle a pour fonction de vérifier que le testateur était sain d’esprit au moment de la rédaction de l’acte et de permettre de l’articuler avec un éventuel testament contradictoire, de sorte que la jurisprudence admet depuis longtemps que l’on puisse reconstituer une date incomplète ou absente, voire restituer la date véritable lorsque celle-ci était erronée (sur tout ceci, v. les nombreuses références sous C. civ., art. 970).
3. L’écriture : elle se révèle elle aussi assez largement entendue (quant au support, aux moyens d’écriture, aux formules employées, etc.) ; elle doit simplement être manuscrite, et non dactylographiée (ce qui exclut au demeurant le texto, v. TGI Metz, 17 août 2018, n° 17/01794, AJ fam. 2018. 484, obs. I. Corpart ), pour témoigner de la parfaite compréhension du testateur quant à ce qu’il rédige. C’est au fond l’idée qui guide tous les textes exigeant en droit positif l’apposition de mentions manuscrites, notamment en matière de cautionnement : écrire quelque chose de sa main, pour mieux en prendre conscience, s’en approprier les termes et en mesurer la portée.
C’est donc sans ajouter une règle de forme supplémentaire à l’article 970 du code civil – lequel, comme le rappelle opportunément la Cour de cassation, n’est assujetti « à aucune autre forme » – qu’il fallait retenir ici que le testament rédigé dans une langue que son auteur ne comprenait pas ne pouvait en aucune manière constituer l’expression de sa volonté (v. déjà, Paris, 3 mai 2002, n° 2000/20421). Écrire dans une langue qui échappe au scripteur n’est point écrire au sens du formalisme testamentaire ; comme d’ailleurs écrire un texte dont le sens le dépasse par sa trop grande technicité par exemple n’est pas davantage écrire.
C’est au demeurant ce qui explique l’état d’une jurisprudence, aussi constante qu’ancienne, sur la question de la rédaction d’un testament à partir d’un modèle proposé par un tiers ou, comme c’est de plus en plus souvent le cas, chiné sur internet (avec plus ou moins de profit selon les sites consultés). Si l’on admet qu’un testament soit rédigé sur la base d’un modèle (Lyon, 25 mars 1975, D. 1978. 263, obs. B. Dufour ; 4 mars 1970), c’est à la condition stricte que le testateur ait parfaitement conscience de ce qu’il écrit. A contrario est assurément nul le testament élaboré à partir d’un modèle recopié servilement, car il n’est pas l’œuvre intellectuelle de son scripteur et ne peut faire état d’un quelconque animus testandi (nullité du testament d’un illettré surlignant au stylo un texte préécrit par un autre au crayon de papier, v. Civ. 1re, 9 janv. 2008, n° 07-10.599, AJ fam. 2008. 81, obs. L. Pécaut-Rivolier ).
À la différence du testament authentique (acte public) qui doit nécessairement être rédigé dans la langue officielle de la République (Constit., art. 2), rien n’interdit en droit français qu’un testament olographe (acte privé) soit rédigé dans une autre langue, pourvu que le testateur la comprenne. Le testament étant le message que le mort adresse aux vivants (C. Bahurel, Les volontés des morts : vouloir pour le temps où l’on ne sera plus, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 2014, t. 557, préf. M. Grimaldi), comment celui-ci pourrait-il s’exprimer d’outre-tombe, dans une langue qu’il ne parlait pas lorsque la vie l’habitait encore ? La langue du « testament olographe » ne peut être que celle que son auteur comprend… C’est toute la différence avec le testament authentique qui est rédigé par le notaire, et donc dans la langue dans laquelle il officie (nécessairement le français), sous la dictée du testateur, lequel peut très bien ne pas parler la même langue que lui. Dans cette situation, l’article 972 du code civil prévoit que la dictée et la lecture seront accomplies par un interprète qui veillera à l’exactitude de la traduction ou par le notaire si lui-même et, selon les cas, l’autre notaire ou les témoins parlent cette autre langue. Tel est d’ailleurs le modus operandi qui aurait mérité d’être privilégié dans cette affaire : le recours à un notaire pour rédiger un testament par acte authentique aurait très facilement permis d’anticiper toutes contestations au moment du décès. Si le français est la langue officielle de la République (expliquant, sans interdire la promotion des langues régionales, qu’elle ne puisse pas être marginalisée, v. Cons. const. 21 mai 2021, n° 2021-818 DC, Dalloz actualité, 26 mai 2021, obs. S. Sydoryk ; JCP A 2021, n° 24, 2195, obs. S. Hul), il n’y a évidemment pas d’incompatibilité de principe entre le droit français et les langues régionales ou étrangères…
En l’absence de désordre, le non-respect des normes qui ne sont rendues obligatoires ni par la loi ni par le contrat ne peut donner lieu à une mise en conformité à la charge du constructeur.
Le testament olographe n’est point valable s’il n’est écrit en entier, daté et signé de la main du testateur : il n’est assujetti à aucune autre forme. Pourtant, le testament qui est rédigé dans une langue que son auteur ne comprend pas ne peut être considéré comme l’expression de sa volonté.
Pour pouvoir bénéficier de l’indemnité spéciale de rupture, le salarié doit, peu important qu’il puisse ou non prétendre à l’indemnité de clientèle, renoncer à son bénéfice dans les trente jours suivant l’expiration du contrat de travail.
Le directeur général de Pôle emploi est à la tête d’un groupe de travail qui devra définir les contours de la future grande école de la fonction publique de l’État et de la délégation interministérielle à l’encadrement supérieur.
Le contentieux des professions médicales et paramédicales ne peut occulter les difficultés qui peuvent se poser lors de la formation des futurs professionnels de santé. Comme partout, il arrive que certains candidats ayant passé avec succès les étapes pour intégrer une formation sélective fassent l’objet d’une procédure disciplinaire pouvant aboutir à leur éventuelle exclusion. Mais ici comme ailleurs, ces procédures obéissent à des règles qui conduisent parfois à l’irrégularité de la sanction prononcée et, ce faisant, à l’annulation de l’exclusion. C’est précisément dans cette optique que se situe l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 16 juin 2021 lequel s’intéresse à la formation des infirmiers. Rappelons rapidement les faits pour mieux comprendre la solution.
Une personne est admise à l’Institut de formation en soins infirmiers de Montreuil-sous-Bois administré par la Fondation Œuvre de la Croix Saint-Simon. L’étudiante suit la formation à partir de 2009 jusqu’en troisième année. La directrice de l’institut la convoque en mai 2012 et lui indique qu’un conseil de discipline se réunira le 25 mai 2012. L’étudiante régulièrement convoquée par lettre recommandée est exclue à la suite de ce conseil...
L’annulation de l’exclusion d’un étudiant en soins infirmiers implique que ce dernier soit réintégré dans la formation malgré un texte prévoyant la conservation des notes en cas d’interruption des études pendant trois ans seulement.
Par deux décisions rendues le 22 juin, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) précise les règles applicables en matière d’éloignement de citoyens de l’Union.
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Le Conseil d’État poursuit son travail de construction de la jurisprudence en matière de droit souple, en incluant parmi les actes susceptibles de recours pour excès de pouvoir une note du garde des Sceaux relative à la communication des décisions de justice aux tiers.
Le délai laissé aux syndicats des copropriétaires pour mettre en conformité leur règlement de copropriété exclut l’application de l’article 1er de la loi du 10 juillet 1965.
Précisions quant au point de départ du délai pour agir en cas de contestation de l’avis d’inaptitude
En cas de contestation portant sur des éléments de nature médicale justifiant les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail, le point de départ du délai de quinze jours pour la saisine du conseil de prud’hommes court à compter de la notification de l’avis d’inaptitude émis par le médecin du travail.
La saga des prêts libellés en francs suisses trouvera-t-elle enfin un épilogue heureux pour les consommateurs ? Il est permis de le penser à la suite de l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) le 10 juin 2021 (CJUE 10 juin 2021, aff. C-609/19 ; v. égal. CJUE 10 juin 2021, aff. C-776/19 à C-782/19, JCP 2021. 689, obs. D. Berlin).
En l’espèce, par acte notarié du 10 mars 2009, un couple d’emprunteurs avait acquis un bien immobilier et souscrit à cet effet auprès de BNP Paribas Personal Finance un contrat de prêt hypothécaire libellé en devise étrangère et dénommé « Helvet Immo ». Ce contrat prévoyait la souscription d’un prêt à un taux de 4,95 %, remboursable, en principe, en 276 échéances fixes, libellé en francs suisses et remboursable en euros, étant précisé qu’au jour de la conclusion dudit contrat, le montant de ce prêt s’élevait à 143 421,53 €, soit à 216 566,51 francs suisses. Ce même contrat prévoyait le remboursement des mensualités à échéances fixes en euros et la conversion de celles-ci en francs suisses afin de contribuer au paiement des intérêts et à l’amortissement du capital, les frais associés au crédit, tels que l’assurance, étant facturés en euros. Il était également prévu que la durée du crédit serait allongée de cinq années, les échéances prévues en euros étant imputées en priorité sur les intérêts lorsque l’évolution des parités augmente le coût du crédit pour l’emprunteur et que si le maintien du montant des règlements en euros ne permettait pas de régler la totalité du solde du compte sur la durée résiduelle initiale majorée de cinq années, le montant des mensualités serait augmenté. À la suite de mensualités impayées, la déchéance du terme a été prononcée et le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Libourne (France) a ordonné, le 16 janvier 2015, la vente forcée du bien immobilier concerné. S’ensuivit un litige ayant conduit le tribunal d’instance de Lagny-sur-Marne à poser aux juges européens une série de questions préjudicielles portant sur le point de savoir si les clauses litigieuses concernaient l’objet principal du contrat et si elles étaient suffisamment claires.
La Cour de Luxembourg considère, en premier lieu, que « l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens que les clauses du contrat de prêt qui stipulent que les remboursements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, l’allongement de la durée de ce contrat et l’augmentation du montant des mensualités relèvent de cette disposition dans le cas où ces clauses fixent un élément essentiel caractérisant ledit contrat ». Sur ce premier point, la Cour de justice respecte à la lettre les termes de l’article 4, § 2, de la directive de 1993, qui prévoit que « l’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible » (v. égal. C. consom., art. L. 212-1, al. 3). On sait en effet que seules les clauses litigieuses ne portant pas sur l’objet principal du contrat ou sur l’adéquation entre le prix et la rémunération peuvent en principe faire l’objet d’un contrôle (v. à ce sujet J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2021, n° 100). Or l’une des difficultés du contentieux des prêts en devises réside précisément dans le fait que les clauses litigieuses portent bien souvent sur l’objet principal du contrat (v. CJUE 20 sept. 2017, aff. C-186/16, D. 2017. 2401 , note J. Lasserre Capdeville ; ibid. 2176, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2018. 208 , obs. J. Moreau ; AJ contrat 2017. 484, obs. B. Brignon ; comp. CJUE 30 avr. 2014, aff. C-26/13, D. 2014. 1038 ; RTD eur. 2014. 715, obs. C. Aubert de Vincelles ; ibid. 724, obs. C. Aubert de Vincelles ; v. égal. Civ. 1re, 13 mars 2019, n° 17-23.169, Dalloz actualité, 1er avr. 2019, obs. J.-D. Pellier ; D. 2019. 1033 , note A. Etienney-de Sainte Marie ; ibid. 1784, chron. S. Vitse, S. Canas, C. Dazzan-Barel, V. Le Gall, I. Kloda, C. Azar, S. Gargoullaud, R. Le Cotty et A. Feydeau-Thieffry ; ibid. 2009, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2020. 353, obs. M. Mekki ; ibid. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2019. 334, obs. H. Barbier ; RTD com. 2019. 463, obs. D. Legeais ; ibid. 465, obs. D. Legeais ; RTD eur. 2020. 768, obs. A. Jeauneau ; Civ. 1re, 20 févr. 2019, nos 17-31.065 et 17-31.067, Dalloz actualité, 5 mars 2019, obs. J.-D. Pellier ; D. 2019. 428 ; AJDI 2019. 708 , obs. O. Poindron et J. Moreau ; Rev. prat. rec. 2020. 23, chron. R. Bouniol ; RTD com. 2019. 463, obs. D. Legeais ; RTD eur. 2020. 768, obs. A. Jeauneau ; 12 déc. 2018, n° 17-18.491, RTD eur. 2019. 410, obs. A. Jeauneau ; 3 mai 2018, n° 17-13.593, Dalloz actualité, 17 mai 2018, obs. J.-D. Pellier ; D. 2018. 1355 , note D. Mazeaud ; ibid. 2106, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2019. 279, obs. M. Mekki ; ibid. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2018. 871 , obs. J. Moreau ; AJ contrat 2018. 284, obs. B. Brignon ; RTD com. 2018. 432, obs. D. Legeais ; RTD eur. 2019. 410, obs. A. Jeauneau ; comp. Civ. 1re, 29 mars 2017, nos 16-13.050 et 15-27.231, Dalloz actualité, 28 avr. 2017, obs. X. Delpech ; D. 2017. 1893 , note C. Kleiner ; ibid. 1859, chron. S. Canas, C. Barel, V. Le Gall, I. Kloda, S. Vitse, J. Mouty-Tardieu, R. Le Cotty, C. Roth et S. Gargoullaud ; ibid. 2176, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2017. 596 , obs. J. Moreau ; AJ contrat 2017. 278 , obs. B. Brignon ; RTD civ. 2017. 383, obs. H. Barbier ; RTD com. 2017. 409, obs. D. Legeais ), même si la thèse inverse a été brillamment défendue (G. Cattalano, Prêts en francs suisses : peu d’espoir pour les emprunteurs, Defrénois, 15 nov. 2018, p. 27, considérant que « l’objet principal du contrat est la mise à disposition des fonds et non la manière dont sont calculées et payées les mensualités de remboursement »).
Toutefois, même dans le cas où la clause porte sur l’objet principal du contrat, il y a toujours une place pour un contrôle de l’abus dans l’hypothèse où ladite clause ne serait pas rédigée de manière claire et compréhensible, hypothèse que le texte précité réserve. À cet égard, la Cour de justice de l’Union européenne estime, en second lieu, que « l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l’exigence de transparence des clauses de ce contrat qui stipulent que les paiements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, l’allongement de la durée dudit contrat et l’augmentation du montant des mensualités, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat » (v. déjà CJUE 20 sept. 2018, aff. C-51/17, Dalloz actualité, 26 sept. 2018, obs. J.-D. Pellier ; D. 2018. 1861 ; ibid. 2019. 279, obs. M. Mekki ; ibid. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; ibid. 2009, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; AJ contrat 2018. 431, obs. E. Bazin ). Elle considère également que « l’article 3, paragraphe l, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses d’un contrat de prêt qui stipulent que les paiements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, lequel peut augmenter de manière significative à la suite des variations de la parité entre la monnaie de compte et la monnaie de paiement, l’allongement de la durée de ce contrat et l’augmentation du montant des mensualités, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence à l’égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d’une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses ».
Voilà qui apporte un singulier démenti à la jurisprudence de la Cour de cassation (v. les arrêts préc.), qui devrait sans doute désormais évoluer en faveur des consommateurs. Il est vrai que ces derniers avaient obtenu gain de cause sur le terrain pénal l’année dernière, la banque ayant été reconnue coupable à leur égard de pratiques commerciales trompeuses (T. corr. Paris, 13e ch. corr., 26 févr. 2020, n° 12290076010 ; v. à ce sujet G. Cattalano, Nouvel épisode dans l’affaire Helvet Immo : la banque jugée coupable de pratique commerciale trompeuse, RDC n° 2020/3, p. 90). Dès lors, il serait difficilement acceptable qu’ils ne puissent finalement triompher sur le plan civil.
À l’occasion d’un litige concernant un bail à construction, un jugement du 19 septembre 2007 prononce la résiliation du bail avec une expulsion sous astreinte. Le jugement, signifié le 1er octobre 2007, n’était pas revêtu de l’exécution provisoire.
Un appel (suspensif) est formé, le 24 septembre 2007, par le preneur.
Au cours de l’instance d’appel, les parties se rapprochent pour trouver un accord et demandent en conséquence un retrait du rôle, qui est ordonné par ordonnance de mise en état du 5 décembre 2008.
Finalement, aucun accord ne sera trouvé et la commune, bailleresse, assigne le preneur le 16 décembre 2016 devant le juge de l’exécution en liquidation de l’astreinte qui aurait couru depuis le 5 décembre 2008.
Parallèlement, la commune se prévaut devant la cour d’appel, toujours saisie de l’appel du jugement du 19 septembre 2007, de la péremption de l’instance pour défaut de diligence.
Le 20 juillet 2017, le juge de l’exécution rejette la demande de liquidation. La commune fait appel de ce jugement devant la cour d’appel.
Le 3 avril 2018, le conseiller de la mise en état constate la péremption de l’instance, celle-ci étant acquise depuis le 5 décembre 2010, aucune diligence n’étant intervenue depuis le retrait du rôle.
Sur appel du jugement du juge de l’exécution, la cour d’appel liquide l’astreinte, retenant que le jugement, non revêtu de l’exécution provisoire, du 19 septembre 2007, qui a ordonné l’astreinte, est « définitif » depuis le 5 décembre 2010, c’est-à-dire dans le délai de deux ans du retrait du rôle.
L’arrêt du 22 février 2019 est cassé, la Cour de cassation estimant quant à elle que la date à laquelle le jugement a eu force de chose jugée ne pouvait être celle à laquelle la péremption était acquise.
Un jugement devenu définitif ?
Pour la cour d’appel, « dès lors que le conseiller de la mise en état a constaté la péremption de l’instance dans sa dernière ordonnance rendue le 3 avril 2018 motif pris qu’aucune partie n’avait accompli des actes de procédure depuis le 5 décembre 2008, date de l’ordonnance de retrait du rôle, il est constant que le jugement du 19 septembre 2007 signifié le 1er octobre 2007 est définitif depuis le 5 décembre 2010 » (Saint-Denis de la Réunion, ch. civ. TGI, 22 févr. 2019, n° 17/01316).
Tout d’abord, le terme « définitif » est inapproprié. Le jugement définitif est, par opposition au jugement provisoire, celui qui tranche le principal (Procédures d’appel, Dalloz, coll. « Delmas express », n° 107). Bien souvent, il est dit à tort qu’un jugement est définitif lorsqu’il est irrévocable, c’est-à-dire qu’il n’est plus susceptible d’un quelconque recours, suspensif ou non (v. aussi Civ. 2e, 8 juill. 2004, n° 02-15.893 P, Bull. civ. II, n° 352 ; RTD civ. 2004. 775, obs. R. Perrot ). Ici, nous pouvons nous interroger si la cour d’appel le prend au sens de jugement irrévocable ou de jugement ayant force de chose jugée. Quoi qu’il en soit, le terme « définitif » ne signifie ni l’un ni l’autre.
Les juges d’appel considèrent qu’à la date du 5 décembre 2010, le jugement avait force de chose jugée, voire force irrévocable, le point de départ du délai de péremption étant le 5 décembre 2008.
À cet égard, afin qu’il n’y ait pas de méprise, ce n’est pas l’ordonnance de retrait du rôle de l’affaire qui constituait le point de départ du délai de péremption. En effet, l’acte interruptif de péremption doit être une diligence de la partie (Civ. 2e, 6 oct. 2005, n° 03-17.680 P, Bull. civ. II, n° 239 ; 26 juin 1991, n° 90-14.084 P, Bull. civ. II, n° 196 ; 21 janv. 1987, n° 85-12.689 P, Bull. civ. II, n° 20 ; 28 nov. 1984, n° 83-14.230 P, Bull. civ. II, n° 182 ; 5 avr. 1993, n° 91-19.976 P, Bull. civ. II, n° 147), de nature à faire progresser l’affaire (Civ. 2e, 17 mars 1982, n° 79-12.686 P, Bull. civ. II, n° 46 ; 28 juin 2006, n° 04-18.226 P, Bull. civ. II, n° 176 ; D. 2006. 1990 ).
Ce n’est pas l’ordonnance de retrait du rôle mais la demande de retrait du rôle qui constitue la dernière diligence des parties (Civ. 2e, 24 sept. 2015, n° 14-20.299, Bull. civ. II, n° 836 ; 28 juin 2006, n° 04-18.226, Bull. civ. II, n° 176 ; D. 2006. 1990 ). Cette demande de retrait du rôle, à l’instar de la demande en sursis à statuer (Civ. 2e, 17 oct. 2019, n° 18-19.235), est de nature à faire avancer l’affaire, même si l’on peut s’étonner que manifeste une volonté de poursuivre l’instance celui qui en demande la suspension.
Si l’ordonnance de mise en état constatant cette péremption est du 3 avril 2018, cette péremption était acquise à l’issue du délai de deux ans de la demande de retrait du rôle, soit après le 5 décembre 2010. C’est donc, pour la cour d’appel, à cette date que le jugement ayant prononcé l’expulsion sous astreinte était « définitif », ou plus exactement qu’avait pris fin l’effet suspensif de l’appel. C’est la force de chose jugée du jugement.
Force de chose jugée et autorité de chose jugée
On comprend tout l’intérêt, en l’espèce, de déterminer le moment où le jugement passe en force de chose jugée.
En effet, cette force de chose jugée produit des effets, et notamment elle fait échapper le jugement à tout effet suspensif. L’astreinte pouvait commencer à courir.
Notons au passage que cette force de chose jugée permet en outre au jugement d’acquérir la force exécutoire qui suppose, à défaut d’acquiescement, une notification (C. pr. civ., art. 504). C’est cette force exécutoire qui fera courir les intérêts majorés de l’article L. 313-3 du code monétaire et financier, la force de chose jugée n’ayant pas cet effet. Ainsi, les intérêts majorés sur les condamnations de l’arrêt d’appel – lequel arrêt a force de chose jugée dès son prononcé, le pourvoi en cassation n’étant pas suspensif (C. pr. civ., art. 579) sauf exception (C. pr. civ., art. 1086, 1087) – courront deux mois après la signification du titre exécutoire.
En application de l’article 390, la péremption en appel confère la force de chose jugée au jugement dont appel, même en l’absence de notification.
La péremption étant acquise le 5 décembre 2010, la cour d’appel retient en conséquence que c’est à cette date que le jugement du 19 septembre 2007 avait acquis force de chose jugée, et que l’astreinte avait commencé à courir. Dans son assignation de 2016, la commune pouvait donc faire courir l’astreinte à compter du 5 décembre 2010, et demander la liquidation en prenant cette date comme point de départ.
A priori, le raisonnement semblait conforme à l’article 390, la péremption étant constatée, et non prononcée, par le conseiller de la mise en état.
Toutefois, le raisonnement ne convient pas à la Cour de cassation.
En effet, même s’il est exact que la péremption était acquise à l’issue du délai de deux ans de la dernière diligence interruptive, la date à laquelle est constatée la péremption n’est pas sans conséquence.
Pour la Cour de cassation, cette force de chose jugée conférée au jugement ne pouvait être acquise qu’autant que la décision qui constatait la péremption, donnant force de chose jugée, avait elle-même acquis autorité de chose jugée. Et cette autorité de chose jugée, le jugement l’acquiert dès son prononcé, comme le précise l’article 480 du code de procédure civile, mais pas avant.
C’est donc au moment du prononcé de l’ordonnance de mise en état ayant constaté la péremption, soit le 3 avril 2018, que l’article 390 produit ses effets et donne force de chose jugée au jugement. Il était donc demandé au juge de l’exécution de liquider une astreinte qui n’avait pas commencé à courir.
En conséquence, si une partie peut se prévaloir d’une péremption et souhaite conférer au jugement force de chose jugée, il est conseillé de ne pas attendre avant de demander au juge de constater cette péremption. Plus la partie tardera, plus tard le jugement dont appel sera revêtu de cette force de chose jugée, nécessaire préalable à toute exécution, même si le principe de l’exécution provisoire de droit ôtera une partie de l’intérêt de cette force de chose jugée conférée par la péremption.
Il ressort de cet arrêt de cassation qu’il importe peu que cette péremption soit constatée.
Nous pouvons faire le rapprochement avec la caducité, qui est acquise si la partie n’accomplit pas, dans un délai déterminé, la diligence attendue pour consolider l’acte de procédure. Tant qu’un jugement n’a pas constaté cette caducité, pourtant acquise, la partie est irrecevable pour défaut d’intérêt à réitérer un second acte d’appel (Civ. 2e, 27 sept. 2018, n° 17-18.397 NP, D. 2019. 555, obs. N. Fricero ; ibid. 555, obs. N. Fricero ; 27 sept. 2018, n° 17-25.857 NP, D. 2019. 555, obs. N. Fricero ; ibid. 555, obs. N. Fricero ; 11 mai 2017, n° 16-18.464 P, Bull. civ. II, n° 94 ; Dalloz actualité, 7 juin 2017, obs. R. Laffly ; D. 2017. 1053 ). Et, lorsque le jugement qui constate la caducité a autorité de la chose jugée, alors l’article 911-1 trouve à s’appliquer pour sanctionner par l’irrecevabilité la partie ayant essuyé une caducité de son appel.
Même s’il s’agit de constater un état existant, ce n’est que le jugement constatant cet état qui aura autorité de chose jugée et qui produira les effets attachés à ce constat.
Avec un raisonnement similaire, il a aussi été considéré que les effets du commandement de payer visant la clause résolutoire, dont l’acquisition doit être constatée, sont suspendus par l’effet du jugement ouvrant la liquidation judiciaire du locataire dès lors qu’aucune décision passée en force de chose jugée n’a constaté l’acquisition de cette clause avant la liquidation (Civ. 3e, 9 janv. 2008, n° 06-21.499, Bull. civ. III, n° 1 ; Dalloz actualité, 21 janv. 2008, obs. A. Lienhard ; D. 2008. 291, et les obs. ; AJDI 2008. 288 , obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; RTD com. 2009. 81, obs. F. Kendérian ).
Cet arrêt de cassation aura été l’occasion de s’attarder un instant sur quelques notions procédurales proches mais distinctes, parfois confondues, que sont le jugement définitif, provisoire ou irrévocable, l’autorité de chose jugée, la force de chose jugée et la force exécutoire. Est définitif le jugement qui n’est pas provisoire et tranche le principal. A force exécutoire le jugement qui est déjà revêtu de la force de chose jugée, lequel doit lui-même avoir autorité de chose jugée. Et le stade ultime du jugement sera la force irrévocable de la chose jugée. Ces rappels sont toujours opportuns.
Dans le cadre de contrats de prêts immobiliers libellés en francs suisses, la Cour de justice de l’Union européenne considère que les clauses prévoyant l’allongement de la durée d’un contrat de prêt et l’augmentation du montant des mensualités sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence à l’égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d’une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses.
Si la péremption confère au jugement force de chose jugée, en l’absence de diligences interruptives de péremption dans le délai de deux ans, cette force de chose jugée n’est acquise que lorsque la décision constatant la péremption de l’instance d’appel est elle-même revêtue de l’autorité de la chose jugée.
Dans le cadre de contrats de prêts immobiliers libellés en francs suisses, la Cour de justice de l’Union européenne considère que les clauses prévoyant l’allongement de la durée d’un contrat de prêt et l’augmentation du montant des mensualités sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence à l’égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d’une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses.
Dans le cadre de contrats de prêts immobiliers libellés en francs suisses, la Cour de justice de l’Union européenne considère que les clauses prévoyant l’allongement de la durée d’un contrat de prêt et l’augmentation du montant des mensualités sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence à l’égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d’une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses.
L’indice du coût de la construction (ICC) du premier trimestre 2021, publié par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Informations rapides de l’INSEE n° 157, 23 juin 2021) s’élève à 1 822, soit une hausse de 2,94 % sur un an, de 9,04 % sur trois ans et de 12,68 % sur neuf ans.
Avertissement : même si l’ICC est publié au Journal officiel, la date officielle de sa parution est celle de sa publication dans les Informations rapides de l’INSEE.
L’indice du coût de la construction (ICC) du premier trimestre 2021, publié par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Informations rapides de l’INSEE n° 157, 23 juin 2021) s’élève à 1 822, soit une hausse de 2,94 % sur un an, de 9,04 % sur trois ans et de 12,68 % sur neuf ans.
Avertissement : même si l’ICC est publié au Journal officiel, la date officielle de sa parution est celle de sa publication dans les Informations rapides de l’INSEE.
Au 1er trimestre 2021, l’ILC enregistre une hausse de 0,43 %, tandis que l’ILAT baisse de 0,57 %.
Au 1er trimestre 2021, l’ILC enregistre une hausse de 0,43 %, tandis que l’ILAT baisse de 0,57 %.
Le 6° de l’article L. 231 du code électoral rend inéligibles au mandat de conseiller municipal les entrepreneurs de services municipaux. Le fait que la personne exerce ses fonctions bénévolement dans une association sans but lucratif ne change rien, estime le Conseil d’État.
Par un arrêt du 10 juin 2021, la Cour de cassation rappelle l’étendue d’une cassation partielle. Lorsqu’un chef de dispositif est cassé, il n’en subsiste rien, de sorte que les juges de la cour d’appel de renvoi doivent à nouveau juger en fait et en droit la disposition annulée.
L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 10 juin 2021 permet de rappeler l’importance du dispositif. Cela est vrai, comme nous allons le voir, tant pour la rédaction du dispositif des arrêts d’appel – les juges du fond devant se garder de faire l’économie d’un dispositif précis et détaillé – que pour la compréhension de l’étendue des arrêts de cassation.
Les faits à l’origine de l’affaire sont les suivants. En 1986, une femme a été victime d’un accident de la circulation. L’assureur du véhicule impliqué a indemnisé ses préjudices en vertu d’une transaction conclue en 1992. Malheureusement, la victime a subi, en 2006, des complications cardiaques entraînant une dégradation de sa santé. Attribuant l’aggravation de son état physique à son accident, elle a alors décidé d’assigner l’assureur en indemnisation de ce préjudice.
La cour d’appel de Grenoble, par un arrêt du 13 septembre 2016, a indemnisé la perte des gains professionnels futurs de la victime sur la base d’une rente viagère tout en lui accordant également une somme au titre de l’indemnisation du préjudice d’incidence professionnelle.
Sur pourvoi formé par la société d’assurance, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a, le 13 septembre 2018 (n° 17-26.011, Dalloz actualité, 27 sept. 2018, obs. J.-D. Pellier ; D. 2018. 1807 ; ibid. 2153, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon ; RTD civ. 2019. 114, obs. P. Jourdain ), cassé et annulé partiellement l’arrêt rendu par les juges du fond sur le fondement du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. En effet, le cumul de l’indemnisation de la perte de gains professionnels futurs et de l’incidence professionnelle peut entraîner une double indemnisation notamment lorsque la victime ne...
La demande indemnitaire présentée à une personne publique après la saisine du juge lie le contentieux pour tous les chefs de préjudice dans la limite du montant total figurant dans les conclusions de la demande contentieuse.
Lorsqu’un débiteur s’est abstenu d’établir la liste prévue à l’article L. 622-6 du code de commerce ou que, l’ayant établie, il a omis d’y mentionner un créancier, le créancier omis, qui sollicite un relevé de forclusion, n’est pas tenu d’établir l’existence d’un lien de causalité entre cette omission et la tardiveté de sa déclaration de créance.
Deux avocats ayant un différend concernant une rétrocession d’honoraires saisirent le bâtonnier du barreau auprès duquel ils étaient inscrits (Décr. n° 91-1197 du 27 nov. 1991 organisant la profession d’avocat, art. 179-1). Un appel fut ensuite formé par l’un d’eux contre la décision du bâtonnier (Décr. n° 91-1197, art. 152 et 179-6) puis un pourvoi en cassation.
Deux critiques, peu banales, furent alors soulevées au regard de la composition de la chambre de la cour d’appel ayant statué.
1° En premier lieu, le demandeur au pourvoi fit valoir que la décision avait été rendue par une chambre de la cour d’appel mais que la formation comportait deux magistrats appartenant à une autre chambre, dont la présidente, alors que les parties n’avaient pas été informées de l’empêchement du président de la première chambre et qu’il n’avait pas été justifié de la régularité de son remplacement.
La branche du moyen est sèchement écartée, au motif que « l’affaire pouvait être délibérée par (cette présidente) sans qu’il soit nécessaire de justifier des raisons pour lesquelles elle faisait partie de la composition en remplacement d’un autre magistrat ».
L’arrêt du 10 juin 2021 s’explique aisément, au regard des dispositions du code de l’organisation judiciaire. L’article L. 121-3 dispose que le premier président de la cour d’appel répartit les juges dans les différents pôles, chambres et services de la juridiction. Selon l’article R. 121-1, cette répartition s’effectue par ordonnance, qui peut être modifiée en cours d’année, pour prendre en compte un changement dans la composition de la juridiction ou pour prévoir un service allégé pendant la période au cours de laquelle les magistrats, les fonctionnaires et les auxiliaires de justice bénéficient de leurs congés annuels. Enfin, l’article R. 312-3 ajoute que les présidents de chambre sont, en cas d’absence ou d’empêchement, remplacés pour le service de l’audience par un magistrat du siège désigné conformément à l’article L. 121-3 ou, à défaut, par le magistrat du siège présent dont le rang est le plus élevé. En cas d’absence ou d’empêchement d’un conseiller, celui-ci est remplacé par un autre conseiller de la cour.
Il ne résulte pas en effet de ces dispositions qu’il soit nécessaire d’informer les parties des empêchements des magistrats ni des conditions des remplacements des magistrats absents, et ce d’autant plus que l’ordonnance dite de roulement, prise en application de l’article L. 121-3, prévoit habituellement, de manière générale, qu’un magistrat absent ou empêché peut être remplacé par tout magistrat du siège de la cour considérée.
2° En second lieu, le demandeur au pourvoi souleva une autre critique, liée au fait que l’audience avait été tenue, selon l’expression habituelle, à juge rapporteur. On sait en effet que l’article 945-1 du code de procédure civile dispose que « le magistrat chargé d’instruire l’affaire peut, si les parties ne s’y opposent pas, tenir seul l’audience pour entendre les plaidoiries » et qu’« il en rend compte à la cour dans son délibéré ».
Cet article 945-1 est d’application habituelle. Cependant, sa mise en œuvre était ici à l’origine d’une difficulté car si les parties avaient eu connaissance avant l’audience du nom du juge rapporteur, elles n’avaient connu les noms des deux autres magistrats que postérieurement à l’ouverture des débats. Or, cette connaissance différée des noms des magistrats composant la formation était, selon le moyen, problématique car elle n’aurait pas permis d’exercer, le cas échéant, le droit de récusation en temps utile.
Ce moyen est toutefois rejeté en application de l’article 430 du code de procédure civile qui retient que la juridiction est composée, à peine de nullité, conformément aux règles relatives à l’organisation judiciaire (al. 1) et que les contestations afférentes à sa régularité doivent être présentées, à peine d’irrecevabilité, dès l’ouverture des débats ou dès la révélation de l’irrégularité si celle-ci survient postérieurement, faute de quoi aucune nullité ne pourra être ultérieurement prononcée de ce chef, même d’office (al. 2). Il résulte en effet de ces dispositions que si une partie représentée à l’audience a eu connaissance de la composition de la formation de la cour d’appel dès l’ouverture des débats, elle doit la contester devant les juges du fond (par ex. Com. 27 sept. 2017, n° 15-27.369 ; v., sur l’ensemble de la question, N. Fricero, in S. Guinchard [dir.], Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz Action 2021/2022, n° 511.53). En revanche, les contestations demeurent possibles devant la Cour de cassation si la révélation de l’irrégularité a été tardive (par ex. Civ. 2e, 4 janv. 1984, n° 82-12.435, Gaz. Pal. 1984. 1. Pan. 156, obs. S. Guinchard, à propos d’une décision d’appel rendue par une formation composée de deux magistrats, en violation de la règle de l’imparité). C’est que ce qui conduit l’arrêt du 10 juin 2021 à énoncer que « la partie dont l’affaire est examinée par un juge rapporteur et qui n’a pas été mise en mesure de connaître la composition de la juridiction appelée à statuer, au plus tard au moment de l’ouverture des débats, peut (…) invoquer devant la Cour de cassation le défaut d’impartialité des magistrats autres que le rapporteur ». Encore faut-il évidemment que la contestation soit fondée, ce qui n’était pas le cas en l’espèce puisque le demandeur au pourvoi faisait état d’une atteinte à l’impartialité sans l’établir.
Par un arrêt du 10 juin 2021, la deuxième chambre civile fournit des précisions intéressantes suite au remplacement, dans des conditions contestées par l’une des parties, de deux des trois magistrats de la chambre appelée à statuer.
Élaboré dans le cadre d’un large processus de concertation avec l’ensemble des acteurs concernés (associations de collectivités, représentants de la profession agricole, pêcheurs de loisirs et professionnels, associations environnementales…) réunis au sein du Comité national de l’eau, le décret n° 2021-795 du 23 juin vise à améliorer la gestion quantitative de l’eau ainsi que les crises liées à la sécheresse afin de protéger la ressource.
Un avis d’inaptitude totale émis par un comité médical départemental dans le cadre d’une procédure préalable au licenciement d’un agent public est sans incidence sur son droit à l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE), l’appréciation de l’aptitude physique de l’ancien agent relevant du préfet.
Une ressortissante bulgare domiciliée à Sofia fournit, en qualité de prestataire, des services liés à l’activité, en Espagne, du consulat général de Bulgarie à Valence, les prestations concernant la réception de documents dans des dossiers ouverts au consulat par des ressortissants bulgares ainsi que la gestion de ces dossiers.
Elle saisit une juridiction bulgare en vue d’obtenir la requalification de la relation contractuelle en contrat de travail, en application du droit bulgare.
La compétence de cette juridiction est toutefois contestée. La Cour de justice est alors saisie d’une question préjudicielle relative à la mise en œuvre du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. Cette question comporte deux aspects.
En premier lieu, elle conduit à déterminer si le règlement est bien applicable, alors qu’il s’applique en matière civile et commerciale et non aux actes commis dans l’exercice de la puissance publique (art. 1)....
La Cour de justice se penche sur l’applicabilité du règlement Bruxelles I bis dans un litige opposant un consulat d’un État membre à l’un de ses prestataires demandant la requalification en contrat de travail des contrats de services successivement conclus.
Les mesures d’instruction préventives, ordonnées sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, continuent de générer un contentieux abondant, comme en témoigne l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 10 juin 2021.
Parce qu’elle se plaignait de faits de concurrence déloyale et de dénigrement sur internet, une société a saisi le président du tribunal de commerce de Lyon afin que celui-ci ordonne des mesures d’instruction qui devaient se dérouler au siège social de diverses sociétés. Mais le requérant n’a pas choisi la simplicité et, plutôt que de rédiger une unique requête visant l’ensemble des sociétés dans les locaux desquelles les mesures d’instruction devaient être exécutées, a déposé pas moins de sept requêtes. Le président du tribunal de commerce a fait droit à ces requêtes en rendant non pas sept mais deux ordonnances aux termes desquelles il a pris le soin de préciser que l’huissier de justice désigné serait constitué séquestre des documents appréhendés et qu’il ne pourrait être mis fin au séquestre qu’après le prononcé d’une décision contradictoire. Les mesures d’instruction ayant été exécutées, a été exercé un référé rétractation qui a été rejeté par le président du tribunal de commerce, puis par la cour d’appel, d’où un pourvoi en cassation qui a soulevé plusieurs difficultés.
La compétence territoriale pour ordonner une mesure d’instruction sur requête
La première difficulté concernait la compétence territoriale du président du tribunal de commerce pour statuer sur l’intégralité des requêtes alors que certaines des sociétés n’étaient pas domiciliées dans le ressort du tribunal auquel il appartenait.
Opportunément, le pourvoi soulignait qu’avaient été introduites plusieurs instances distinctes et autant de procédures, de sorte que la compétence territoriale du juge devait être appréciée au regard de chacune des sociétés visées. Cette analyse pouvait se trouver renforcée par l’article 42 du code de procédure civile : si, en cas de pluralité de défendeurs, le demandeur saisit à son choix la juridiction où demeure l’un d’eux, rien ne paraît lui interdire de morceler le contentieux en introduisant l’instance devant plusieurs juridictions, quitte à ce que les instances ainsi ouvertes soient ultérieurement réunies.
Cette argumentation est cependant écartée par la Cour de cassation qui porte le regard sur le contenu des actes de procédure. Parce qu’il s’agissait de « requêtes identiques », le juge était compétent pour en connaître dès lors que trois conditions étaient réunies : l’une des sociétés visées dans les différentes requêtes devait être domiciliée dans le ressort du tribunal, les mesures sollicitées devaient être destinées à conserver ou à établir la preuve de faits similaires dont aurait pu dépendre la solution d’un même litige et la juridiction à laquelle appartenait le juge devait être susceptible de connaître l’instance au fond.
Que la Cour de cassation ait exigé que les mesures d’instruction soient destinées à établir la preuve de faits similaires dont aurait pu dépendre la solution d’un même litige paraît parfaitement fondé. Il s’agit de vérifier l’existence d’un lien entre les mesures d’instruction ou leur « connexité » pour reprendre le terme employé dans un précédent arrêt (Civ. 2e, 5 mai 2011, n° 10-20.435, Bull. civ. II, n° 104 ; Dalloz actualité, 8 juin 2011, obs. C. Tahri ; ).
En revanche, qu’il soit nécessaire que l’une des sociétés soit domiciliée dans le ressort du tribunal auquel appartient le juge des requêtes saisi et que ce tribunal soit susceptible de connaître du fond du litige soulève davantage de difficultés. Certes, dans un arrêt, la Cour de cassation avait déjà pu juger que « le président d’un tribunal de commerce saisi, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, de requêtes tendant à ce que soient ordonnées des mesures devant être exécutées dans le ressort de plusieurs tribunaux, n’est compétent pour ordonner les mesures sollicitées qu’à la double condition que l’une d’entre elles doive être exécutée dans le ressort de ce tribunal et que celui-ci soit compétent pour connaître de l’éventuelle instance au fond » (Com. 14 févr. 2012, n° 10-25.665 NP ; v. impl. Civ. 2e, 5 mai 2011, n° 10-20.435, préc. ; 30 avr. 2009, n° 08-15.421, Bull. civ. II, n° 105 ; D. 2009. 2321 , note S. Pierre-Maurice ; ibid. 2714, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et T. Vasseur ). Mais des arrêts plus récents avaient laissé entendre que ces conditions n’étaient pas cumulatives, mais bien alternatives, de sorte que « le juge territorialement compétent pour statuer sur une requête fondée sur le troisième de ces textes est le président du tribunal susceptible de connaître de l’instance au fond ou celui du tribunal dans le ressort duquel les mesures d’instruction in futurum sollicitées doivent, même partiellement, être exécutées » (Civ. 2e, 22 oct. 2020, n° 19-14.849 P, D. 2020. 2122 ; ibid. 2021. 207, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; Rev. prat. rec. 2021. 7, chron. O. Cousin, F. Kieffer et Rudy Laher ; 2 juill. 2020, n° 19-21.012 P, Dalloz actualité, 15 sept. 2020, obs. M. Kebir ; D. 2021. 207, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; Com. 13 sept. 2017, n° 16-12.196, Bull. civ. IV, n° 113 ; Dalloz actualité, 20 sept. 2017, obs. L. Dargent ; D. 2017. 1767 ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero ; ibid. 2019. 157, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; AJ contrat 2017. 540, obs. E. Duminy ; Rev. sociétés 2018. 19, note J. Heinich ; Civ. 2e, 15 oct. 2015, nos 14-17.564 et 14-25.654, Bull. civ. II, n° 233 ; Dalloz actualité, 30 oct. 2015, obs. M. Kebir ; D. 2015. 2133 ; ibid. 2016. 449, obs. N. Fricero ; ibid. 736, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati ; ibid. 2535, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ). Cette dernière solution était d’ailleurs pleinement justifiée : lorsque les mesures ne doivent pas être exécutées au lieu où demeure le défendeur potentiel (par exemple chez un tiers), il est possible que le juge appartenant au tribunal appelé à connaître du fond ne soit pas le même que celui attaché au tribunal dans le ressort duquel les mesures doivent être exécutées.
L’arrêt commenté semble donc opérer une volte-face ! Pour éviter d’y voir la source d’une nouvelle querelle quant à la compétence territoriale du juge en matière de requêtes, il est tentant de s’attacher à la circonstance particulière qu’avaient été déposées plusieurs « requêtes identiques » visant plusieurs sociétés qui n’étaient pas domiciliées dans le ressort du même tribunal. À dire vrai, cela n’aurait pourtant rien dû changer à l’affaire. Car le seul constat que le tribunal fût susceptible de connaître du fond du litige aurait dû permettre au juge de statuer sur l’ensemble des requêtes. L’arrêt commenté est donc la source de nouvelles incertitudes.
L’étendue des mesures pouvant être ordonnées sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile
La seconde question portait sur l’étendue des mesures qui peuvent être ordonnées sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile.
Chacun sait que l’article 145 du code de procédure civile est un peu elliptique : il se borne à souligner que le juge ne peut ordonner que les mesures d’instruction « légalement admissibles » sans davantage en circonscrire l’étendue.
La Cour de cassation dans le présent arrêt rappelle que l’étendue des mesures d’instruction est enfermée entre deux bornes. En premier lieu, parce que les mesures d’instruction ne doivent pas tourner à la « perquisition » (R. Perrot, obs. ss Civ. 2e, 16 mai 2012, RTD civ. 2012. 769 ), les seules mesures légalement admissibles sont celles qui sont « circonscrites dans le temps et dans leur objet ». Cela n’a rien d’une nouveauté (Civ. 2e, 21 mars 2019, n° 18-14.705 NP, D. 2019. 2374, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra (CDEDEA n° 4216) ; 11 mai 2017, n° 16-16.966 NP ; 6 janv. 2011, n° 09-72.841 NP). Cela étant dit, il ne faut pas croire qu’il suffit que les mesures d’instruction soient circonscrites pour être légalement admissibles ; encore faut-il qu’elles le soient « suffisamment ». En second lieu, les mesures d’instruction ordonnées doivent être « proportionnées à l’objectif poursuivi » (v. déjà Civ. 2e, 25 mars 2021, n° 20-14.309 P, Dalloz actualité, 14 avr. 2021, obs. T. Goujon-Bethan ; ).
Ces deux bornes étant fixées, la Cour de cassation en déduit la conduite que doit tenir le juge : il lui appartient de « vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l’exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence » (v. déjà Civ. 2e, 25 mars 2021, préc.). En somme, le temps et l’objet de la mesure doivent être appréciés au regard de la nécessité de ne pas porter une atteinte excessive aux droits d’autrui.
Dans la présente affaire, la cour d’appel avait bien relevé que les mesures d’instruction ne ciblaient ni des documents personnels ni des documents couverts par un secret d’ordre professionnel ou médical et que les fichiers qui devaient être appréhendés étaient identifiés au moyen de mots-clés. Ce faisant, les mesures d’instruction étaient effectivement circonscrites. Cependant, et c’est ce qui est relevé par la Cour de cassation, les mots-clés étaient constitués de « termes génériques » ainsi que des prénoms, noms et appellations des personnes contre lesquelles les mesures d’instruction avaient été sollicitées. Il était donc à craindre que l’exécution des mesures conduise à appréhender bien d’autres fichiers que ceux nécessaires à la preuve des faits de concurrence déloyale et de dénigrement et, plus particulièrement, des documents couverts par le secret des affaires. C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation censure l’arrêt pour défaut de base légale : la cour d’appel aurait dû rechercher si les mesures d’instruction étaient « suffisamment » circonscrites et si « l’atteinte portée au secret des affaires était limitée aux nécessités de la recherche des preuves en lien avec le litige et n’était pas disproportionnée au regard du but poursuivi ».
La cour d’appel de renvoi devra rechercher si des mesures d’instruction dont l’objet aurait été davantage restreint et le temps plus limité n’auraient pas été suffisantes pour assurer l’exercice du droit à la preuve. Deux éléments plaident en faveur d’une réponse affirmative. D’une part, les mesures ne paraissaient pas cibler les seuls documents établis concomitamment aux faits de dénigrement ou de concurrence déloyale. D’autre part, les mots-clés utilisés étaient « génériques » (Google, accord, entente, salarié, avis, Linkedin) : peut-être que l’ajout du nom de la société victime des faits de dénigrement et de concurrence déloyale aurait permis de circonscrire davantage la mesure sans lui faire perdre toute son efficacité. En revanche, il faut noter que l’huissier devait demeurer séquestre des documents saisis jusqu’à ce qu’intervienne une décision de justice contradictoire. Cela n’est pas très différent du mécanisme de placement sous séquestre provisoire institué par le décret n° 2018-1126 du 11 décembre 2018 (qui n’était pas encore entré en vigueur dans la présente affaire). De la sorte, il est permis de se demander si la mission de l’huissier de justice n’était pas d’opérer un premier tri avant qu’il soit discuté des éléments devant effectivement être remis à la société requérante, ce qui tempérait l’atteinte au secret des affaires et, plus largement, aux droits des sociétés visées par les requêtes (rappr. Com. 17 janv. 2018, n° 15-29.114 NP).
La conciliation du droit à la preuve et du secret des affaires
Dans quelle mesure le droit à la preuve, qui est exercé au travers des mesures d’instruction ordonnées sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, peut-il porter atteinte au secret des affaires ?
Cette dernière question n’appelle pas de réponse tranchée. Certes, il est acquis que le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle au prononcé d’une mesure d’instruction préventive (Com. 18 oct. 2017, nos 16-15.891 et 16-15.903 NP ; Civ. 2e, 23 juin 2016, n° 15-19.671, Bull. civ. II, n° 170 ; Dalloz actualité, 8 juill. 2016, obs. M. Kebir ; RTD civ. 2017. 482, obs. N. Cayrol ; ibid. 487, obs. N. Cayrol ; Com. 19 mars 2013, n° 12-13.880 NP ; Civ. 2e, 7 janv. 1999, n° 95-21.934, Bull. civ. II, n° 4 ; D. 1999. 34 ), à l’instar du respect de la vie personnelle (Soc. 7 déc. 2016, n° 14-28.391 ; 19 déc. 2012, n° 10-20.526 et 10-20.528, Bull. civ. V, n° 341 ; Dalloz actualité, 18 janv. 2013, obs. M. Peyronnet ; D. 2013. 92 ; ibid. 1026, obs. P. Lokiec et J. Porta ; ibid. 2802, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Darret-Courgeon ; 23 mai 2017, n° 05-17.818, Bull. civ. V, n° 84 ; D. 2007. 1590 , obs. A. Fabre ; Dr. soc. 2007. 951, chron. J.-E. Ray ; RTD civ. 2007. 637, obs. R. Perrot ) ; il en découle que le juge ne saurait rejeter la demande de mesure d’instruction en se bornant à constater qu’elle se heurte au secret des affaires.
Pour autant, le droit à la preuve n’accorde pas un blanc-seing à celui qui prétend l’exercer. La Cour européenne des droits de l’homme a esquissé les principes applicables en la matière lorsqu’il a été argué devant elle qu’un juge s’était fondé sur des éléments portant atteinte à la vie privée. Et elle a raisonné en s’appuyant sur la lettre de l’article 8, § 2, de la Convention européenne des droits de l’homme dont chacun sait qu’elle autorise des ingérences dans le droit dû au respect de la vie privée : elle a ainsi jugé que l’exercice du droit à la preuve, en ce qu’il tend à la protection des droits et libertés d’autrui, poursuit un but légitime permettant de porter atteinte au respect dû à la vie privée ; mais encore faut-il que l’atteinte qui en résulte soit proportionnée au but poursuivi et, partant, nécessaire (CEDH 10 oct. 2006, L.L. c. France, req. n° 7508/02, § 46, D. 2006. 2692 ; RTD civ. 2007. 95, obs. J. Hauser ).
C’est une méthode analogue qu’utilise la Cour de cassation pour concilier le droit à la preuve avec un certain nombre de droits au secret (Civ. 2e, 25 mars 2021, n° 20-14.309, préc. ; Com. 15 mai 2019, n° 18-10.491 P, Dalloz actualité, 17 juin 2019, obs. M. Kebir ; D. 2019. 1595 , note H. Michelin-Brachet ; ibid. 2009, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2020. 170, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; Soc. 16 nov. 2016, n° 15-17.163 NP ; Civ. 1re, 25 févr. 2016, n° 15-12.403, Bull. civ. I, n° 48 ; Dalloz actualité, 14 mars 2016, obs. N. Kilgus ; D. 2016. 884 , note J.-C. Saint-Pau ; ibid. 2535, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; AJ pénal 2016. 326, obs. D. Aubert ; RTD civ. 2016. 320, obs. J. Hauser ; ibid. 371, obs. H. Barbier ). Dans l’arrêt commenté, elle en fait application pour concilier le droit à la preuve et le secret des affaires : « si le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile, c’est à la condition que le juge constate que les mesures qu’il ordonne procèdent d’un motif légitime, sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées, et ne portent pas une atteinte disproportionnée aux droits de l’autre partie au regard de l’objectif poursuivi ». Sur ce point encore, l’arrêt rendu par la cour d’appel est censuré pour défaut de base légale. Certes, elle avait bien affirmé qu’il n’y avait aucune atteinte disproportionnée au secret des affaires ; mais elle ne l’avait pas véritablement justifié, sinon en soulignant que les documents couverts par le secret professionnel n’étaient pas visés par la mesure d’instruction ! C’était trop peu et une recherche plus approfondie s’imposait.
Alors que la question de la détermination du juge territorialement compétent pour ordonner des mesures d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile semblait close, voici un arrêt qui remet l’ouvrage sur le métier ! Surtout, il précise l’étendue des mesures qui peuvent être ordonnées par le juge et leur conciliation avec le secret des affaires.
Quand on parle de trésor, le lecteur est immédiatement transporté dans de grandes aventures et de vives urgences où les protagonistes affrontent mille périls et reviennent couverts d’or après maintes recherches. Se succèdent alors les images de pirates et de corsaires, celles qu’Hergé a croqué dans Le Trésor de Rackham le rouge (Casterman, 1945), de trésors qui permettent de nourrir des vengeances comme dans Le Comte de Monte Cristo, de chasseurs de trésor comme Indiana Jones ou Sydney Fox ou plus près de nous, du mythe du trésor caché de l’abbé Saunière à Rennes-le-Château (Aude). Mais il n’y a pas que la littérature, le cinéma et l’histoire qui ont à connaître de trésors. Le code civil connaît aussi des trésors ! Ainsi, l’article 716, alinéa 2, définit le trésor comme « toute chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété, et qui est découverte par le pur effet du hasard ». Et le texte, dans son premier alinéa, de prévoir que « la propriété d’un trésor appartient à celui qui le trouve dans son propre fonds ; si le trésor est trouvé dans le fonds d’autrui, il appartient pour moitié à celui qui l’a découvert, et pour l’autre moitié au propriétaire du fonds ». Certes, nous sommes loin des belles images d’aventure mais c’est de cette découverte – invention – de trésor dont il est question dans l’affaire soumise à la Cour de cassation.
Dans cette affaire, il est donc question de trésor et plus précisément de détermination de son inventeur. Le 21 juillet 2015, au cours de travaux de rénovation immobilière réalisés par une société de rénovation sur un site appartenant au groupement foncier et rural du domaine de Failly (le propriétaire du site), trente-quatre lingots d’or ont été découverts fortuitement. Une semaine plus tard, un accord intitulé « accord transactionnel » est conclu et organise le partage des trente-quatre lingots entre le propriétaire du site obtenant dix-neuf lingots, messieurs T…, N… et Q…, salariés de la société qui effectuaient les travaux, en qualité de coinventeurs, 30,86 % chacun du prix de vente des quinze autres lingots et messieurs S…, Z… et J… respectivement en leur qualité d’employeur, directeur technique et chef d’équipe, chacun un tiers des 7,41 % restants. Cet accord a fait l’objet d’un enregistrement auprès de l’administration fiscale le 5 août 2015. Le 16 septembre 2015, la vente des lingots intervient pour un montant total, hors commission et droits fixes et de partage, de 1 002 376 €. Tenant compte des termes de l’accord transactionnel, le partage est opéré le 3 novembre 2015. C’est alors que monsieur Q…, invoquant qu’il était le seul coinventeur du trésor avec monsieur T…, conteste l’accord. Monsieur Q… assigne en paiement les cosignataires de l’accord. Il soutient à l’appui de sa demande que l’accord transactionnel ne remplissait pas les conditions de l’article 2044 du code civil et qu’en l’absence de concessions réciproques, l’accord devait être écarté au profit des règles de l’article 716 du code civil. Dans le cadre du litige, monsieur T… a sollicité reconventionnellement la nullité de l’accord et le paiement de différentes sommes en soutenant être le seul inventeur du trésor.
Au fond, deux points posaient problème dans cette affaire du trésor. La première visait l’accord transactionnel conclu entre les différents opérateurs de l’affaire. Cet accord aboutissant à une répartition surprenante au vu de l’article 716 du code civil et dont deux des inventeurs visés par elle ont remis la validité en question, ayant le sentiment d’avoir été abusés. La seconde portait sur la question de déterminer qui, parmi les ouvriers, pouvait prétendre au statut d’inventeur du trésor avec le propriétaire du site. La cour d’appel (Orléans, 1er juill. 2019, n° 17/03292) décide alors de déclarer l’accord transactionnel nul et que le trésor, en vertu de l’article 716 du code civil, serait attribué pour moitié au propriétaire du site et pour moitié à celui des ouvriers qui avait découvert le trésor, à savoir monsieur T… (alias La Pelle). Elle souligne que monsieur T… n’avait fait appel à monsieur Q… (alias La Pioche) que pour l’aider à perforer la dalle et à monsieur N… (alias Le Seau) que pour extraire les gravats. Se focalisant sur l’occulis, et sensible à l’argumentaire de l’avocat de monsieur T…, selon lequel le texte ne prévoit pas la possibilité d’une invention collective, la cour d’appel condamne le propriétaire du site et les autres bénéficiaires du pacte de transaction à restituer des sommes à monsieur T… considéré comme seul coinventeur et bénéficiant de la moitié du prix des lingots. Au vu des sommes en jeu, il n’est pas surprenant que le propriétaire du site comme les autres protagonistes aient formé un pourvoi contre la décision.
C’est à la première chambre civile de la Cour de cassation qu’est donc échue la tâche de trancher les débats, tant sur l’annulation de l’accord transactionnel que sur l’exclusivité de la qualification d’inventeur du trésor au profit de monsieur T…. La haute juridiction accueille partiellement le pourvoi – formé par monsieur Q… – et censure la décision de la cour d’appel mais uniquement sur la question de la pluralité d’inventeurs considérant que les juges du fond avaient retenu à bon droit la nullité de l’accord transactionnel.
La Cour de cassation est alors invitée à se prononcer sur la validité de l’accord transactionnel, en premier lieu. Les requérants (messieurs J…, S…, Z…, le propriétaire du site et monsieur N…) considèrent que la cour d’appel ne pouvait pas relever d’office la nullité de l’accord transactionnel et les condamner à verser différentes sommes à monsieur T…. Pour aboutir à cette solution, la cour d’appel avait considéré que la stipulation contenue dans l’accord transactionnel « selon laquelle celui-ci avait été conclu, “après information complète sur les faits, les lois règlements, et jurisprudence et après discussions et concessions réciproques” », constituait une formulation dont la portée était trop générale, voire inexacte, et ne permettait pas de s’assurer de la qualité du consentement de l’inventeur du trésor (notons qu’en l’espèce, le propriétaire du site, lequel était avocat par ailleurs et qui s’était réservé la moitié du trésor plus deux lingots « pour l’organisation », était l’auteur de l’acte litigieux). Elle avait, en outre, relevé que l’acte que les parties avaient elles-mêmes qualifié d’accord transactionnel ne contenait aucune concession réciproque et que la renonciation au bénéfice des dispositions de l’article 716, alinéa 1er, du code civil par l’inventeur ne semblait pas satisfaire aux exigences d’un consentement libre et éclairé. Face à ces deux points, les requérants considéraient que la cour d’appel avait outrepassé sa mission en relevant d’office la nullité du contrat pour vice du consentement en dehors de toute demande en ce sens et de preuve d’un tel vice. Ils invoquent également que l’exigence de concessions réciproques dans une transaction constituait un élément de qualification et non une condition de sa validité. L’argumentaire pourtant abondant n’emporte pourtant pas l’adhésion de la première chambre civile. Dans sa réponse, la Cour de cassation relève que la cour d’appel avait « énoncé à bon droit, par motifs propres et adoptés, qu’il peut être dérogé par convention aux dispositions de l’article 716 du code civil relatives à la propriété du trésor, mais que la validité d’une transaction est conditionnée par l’existence de concessions réciproques » (§ 7). Elle souligne que les juges du fond avaient mis en évidence que l’accord conclu constituait une transaction et que celle-ci ne contenait pas de concessions réciproques. En effet, l’ouvrier par cet accord a renoncé à une grande partie de la valeur marchande du trésor qu’il avait découvert, et ce sans contrepartie puisque le propriétaire du site se trouvait mieux loti que par le jeu de l’article 716 et les autres parties bénéficiaient d’une part quand elles ne pouvaient prétendre à rien en vertu du texte précité. Aussi, la première chambre civile rejette le pourvoi considérant qu’il ne peut être reconnu à cet accord transactionnel de force obligatoire, conformément à l’article 2052 du code civil. L’accord transactionnel annulé, c’est alors l’article 716 du code civil qui trouve à s’appliquer. Encore faut-il savoir entre quels protagonistes !
C’est donc sur la détermination de l’auteur de l’invention que la Cour de cassation se prononce, en second lieu. Monsieur Q… (alias La Pioche) fait alors grief à la cour d’appel de lui nier sa qualité de coinventeur du trésor avec monsieur T… et donc de le condamner au même titre que les autres à lui reverser les sommes qu’il a perçues à la suite de la vente des lingots. Le requérant souligne que lorsque la découverte du trésor procède directement d’une action collective de plusieurs ouvriers, l’article 716 du code civil permet que chacun d’eux puisse être qualifié d’inventeur. Or la cour d’appel avait pour sa part considéré que « l’article 716 figure dans les dispositions générales du livre III de ce code relatif aux différentes manières dont on acquiert la propriété et que, de la même manière que le [groupement foncier] tient ses droits sur ce bien meuble incorporé au fonds dont il est propriétaire par accession, l’inventeur doit être qualifié de tel lorsqu’il a permis à ce bien d’en être dissocié et par conséquent, rendu visible en donnant naissance, ce faisant, à ce droit d’accession ». Elle avait donc retenu pour identifier l’inventeur du trésor la théorie de l’occulis selon laquelle l’inventeur est celui qui découvre le trésor est « celui qui le premier a fait apparaître le trésor, l’a rendu visible, et non pas nécessairement celui qui, le premier, a vu le trésor ou l’a concrètement appréhendé […]. Pour être inventeur, il n’est donc pas nécessaire d’avoir appréhendé concrètement le trésor, ni même de savoir que l’objet mis au jour en était un » (Rép. civ., v° Trésor, par P. Berchon, nos 68 s.). D’ailleurs, dans une ancienne affaire où les faits étaient assez similaires, un tribunal civil avait refusé la qualité de coinventeurs à des ouvriers qui y prétendaient au motif que les travaux étaient faits en commun (T. civ. Villefranche-sur-Saône, 11 févr. 1954, D. 1954. Somm. 60 ; Gaz. Pal. 1954. 1. 401).
La Cour de cassation opère une lecture différente du texte. La première chambre civile rappelle d’abord que selon l’article 714 du code civil, « le trésor est toute chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété, et qui est découverte par le pur effet du hasard et s’il est trouvé dans le fonds d’autrui, il appartient pour moitié à celui qui l’a découvert, et pour l’autre moitié au propriétaire du fonds » (§ 11). Mais elle continue en expliquant qu’il résulte de ce texte que « l’inventeur d’un trésor s’entend de celui ou de ceux qui, par le pur effet du hasard, mettent le trésor à découvert en le rendant visible et que, lorsque la découverte du trésor procède directement d’une action de plusieurs personnes, chacune d’elles doit être qualifiée d’inventeur » (§ 12). La haute juridiction met alors en avant que pour retenir que monsieur T… était l’unique inventeur du trésor, alors qu’il avait fait appel à monsieur Q… pour perforer la dalle derrière laquelle se trouvait le trésor, la cour d’appel avait considéré que l’article 716 du code civil excluait la possibilité d’une pluralité d’inventeurs. Cette lecture restrictive de la lettre de l’article 716 conduit alors la première chambre civile à censurer la décision rendue par la cour d’appel pour violation du texte et à renvoyer l’affaire devant une autre cour d’appel. Ainsi, la Cour de cassation nous offre une lecture de l’article 716 du code civil que les auteurs de l’exégèse, tel Demolombe abondamment cité par l’avocat de monsieur T… devant la cour d’appel, n’avaient pas crue possible. Cependant, une telle interprétation nous semble répondre à une certaine idée de la justice. Les opportunistes mis hors-jeu de l’attribution du trésor avec la nullité de l’accord transactionnel, il restait à statuer pour ne pas léser celui des ouvriers qui, par son concours actif et nécessaire, a permis de découvrir le trésor. Si l’union fait la force, l’union fait également la qualité de coinventeurs !
Les dispositions de l’article L. 322-2 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, qui ne permettent pas au juge de l’expropriation de tenir compte du prix auquel l’expropriant entend revendre le bien dans des conditions déjà connues et lui permettant de réaliser une plus-value substantielle certaine, sont conformes à la Constitution.
Les dispositions de l’article L. 322-2 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, qui ne permettent pas au juge de l’expropriation de tenir compte du prix auquel l’expropriant entend revendre le bien dans des conditions déjà connues et lui permettant de réaliser une plus-value substantielle certaine, sont conformes à la Constitution.
Un accord transactionnel dérogeant à la répartition du trésor posée à l’article 716 du code civil doit être déclaré nul s’il ne repose pas sur des concessions réciproques. La Cour relève que le texte n’exclut pas la possibilité d’une pluralité d’inventeurs dès lors que la découverte procède directement d’une action collective.
Faute d’avancée possible avec l’Assemblée, le Sénat a même adopté une question préalable pour la dernière lecture du projet de loi de bioéthique, ce qui revient à rejeter le texte en abrégeant les débats. La clause de revoyure n’a pas échappé aux dissensions. Depuis 2004, les lois bioéthiques sont révisées tous les sept ans.
Durant les débats, la clause a été ramenée à cinq ans avant de repasser à… sept ans. La mesure phare du texte, la procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes les femmes, a éclipsé le reste du texte. Les sénateurs s’y sont eux-mêmes perdus. Alors qu’en premier lecture, ils avaient adopté la PMA pour toutes mais en limitant son remboursement par la sécurité sociale aux seuls cas d’infertilité. En seconde lecture, après des tensions autour de la PMA post-mortem, ils ont finalement rejeté...
Pour une fois qu’un texte connaît un processus législatif normal sans procédure accélérée, les deux ans laissés au projet de loi relatif à la bioéthique, qui a été définitivement adopté par l’Assemblée nationale le 29 juin 2021, n’auront pas débouché sur de grandes avancées mais auront cristallisé les désaccords entre les deux chambres.
Comment celui qui sollicite du juge que soit ordonnée une mesure sur requête doit-il caractériser la nécessité de déroger au principe de la contradiction ? L’arrêt rendu le 10 juin 2021 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation apporte quelques éléments de réponse à cette question devenue classique.
Deux époux s’étaient engagés, aux termes d’un protocole d’accord transactionnel, à verser une certaine somme à une société. Suspectant ses débiteurs d’organiser frauduleusement leur insolvabilité pour échapper au paiement de la dette, la société créancière a saisi le président du tribunal judiciaire afin qu’il ordonne une mesure d’investigation. Le président du tribunal judiciaire a fait droit à cette demande et a ensuite rejeté la demande de rétractation formée par les débiteurs. La cour d’appel a cependant infirmé l’ordonnance du président du tribunal judiciaire : constatant que la société créancière avait déjà recueilli un certain nombre de documents relatifs notamment aux liens entre une société et les opérations réalisées par les époux débiteurs, elle a estimé qu’elle ne parvenait pas à démontrer qu’il y avait lieu d’ordonner une mesure d’instruction sans appeler les parties adverses.
L’arrêt a été censuré par la Cour de cassation au double visa des articles 145 et 493 du code de procédure civile au motif que « [la société créancière] avait exposé de façon détaillée dans sa requête un contexte laissant craindre une intention frauduleuse de la part [des époux débiteurs] afin d’organiser leur insolvabilité en fraude aux droits de leurs créancier, qui ne pouvait ressortir des seuls éléments déjà recueillis auprès de sources légales, et que le risque de dissimulation des preuves recherchées et la nécessité de ménager un effet de surprise étaient motivés par référence à ce contexte ».
Chacun sait qu’il ne faut pas se laisser abuser par les termes de l’article 145 du code de procédure civile lorsqu’il prévoit que « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures...
On enseigne traditionnellement qu’une mesure d’instruction ne peut être ordonnée sur requête que si le requérant justifie d’un effet de surprise. Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation invite les juges à apprécier le contexte de la demande et fournit quelques éléments qui permettent de déterminer quelles sont les circonstances qui justifient de déroger au principe du contradictoire.
Le Conseil d’Etat fixe l’ordre d’examen des moyens invoqués au soutien d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre une décision d’homologation ou de validation d’un plan de sauvegarde de l’emploi d’une entreprise qui n’est pas en redressement ou en liquidation judiciaire.
Au cœur d’une controverse sur le (dys)fonctionnement du guichet unique, la Cour de justice de l’Union européenne réaffirme la répartition des compétences entre les autorités chef de file et concernées prévue par le RGPD. L’obligation de coopération loyale appliquée à l’exercice de leurs pouvoirs doit cependant éviter qu’une interprétation trop littérale du texte ne permette d’en trahir l’esprit.
La clause d’exclusion de garantie, dès lors qu’elle mentionne « et autre "mal de dos" », n’est pas formelle et limitée et ne peut recevoir application, peu important que l’affection dont est atteint l’assuré soit l’une de celles précisément énumérées à la clause.
Déjà le troisième numéro d’Enquête interne, le podcast proposé par Lefebvre Dalloz qui donne la parole à ceux qui vivent et font la compliance. Au micro aujourd’hui, Lucie Mongin-Archambeaud et Dorothé Hever, avocates, autrices d’un rapport sur le respect des droits de la défense dans le cadre des enquêtes internes.
Pourquoi sont-elles sollicitées par les entreprises ? Y’a-t-il un risque à ne pas se lancer dans l’enquête interne ? Quelle est la juste place de l’avocat ? Comment l’enquête se déroule-t-elle en pratique ? À quoi faut-il faire attention ? Voici leurs retours d’expériences.
Viole le principe de la contradiction (C. pr. civ., art. 16) la cour d’appel qui statue sur le fondement d’une exception, prévue dans la clause d’exclusion de garantie opposée par l’assureur, mais dont les assurés ne s’étaient pas expressément prévalus devant la juridiction du second degré, et sur laquelle l’assureur ne s’était, dès lors, pas expliqué.
« Le principe du contradictoire est l’âme du procès au point qu’il est dit de droit processuel. Il est, par essence, commun à toutes les procédures » (L. Cadiet, J. Normand et S. Amrani-Mekki, Théorie du procès, 2e éd., PUF, 2013, n° 173). Ce principe ne s’impose pas qu’aux relations entre les parties au procès. Comme le rappelle l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 17 juin 2021 (n° 19-22.710), il s’applique également au juge lorsqu’il entend relever d’office un moyen de droit (J. Landel, Le non-respect du principe de contradiction : encore un arrêt sanctionné, Éd. législatives, 18 juin 2021).
En l’espèce, des époux s’absentent de leur domicile du 14 au 16 février 2015. Profitant de leur absence, des cambrioleurs visitent leur maison d’habitation et forcent leur coffre-fort. Le couple avait souscrit un contrat d’assurance contre le vol auprès de la compagnie Groupama (ci-après l’assureur). Cette dernière refuse cependant de prendre en charge le sinistre. Elle considère que les assurés n’avaient pas mis en œuvre les moyens de protection prescrits en cas d’absence de plus de 24 heures : les volets et persiennes n’avaient pas été fermés, facilitant ainsi l’entrée des voleurs, lesquels avaient pu se contenter de briser la porte-fenêtre du premier étage (sur la distinction des clauses de condition de garantie et d’exclusion de garantie, v. A. Cayol, Le principe de détermination conventionnelle des garanties, in R. Bigot et A. Cayol [dir.], Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 118).
Les époux assignent donc l’assureur en réparation de leurs préjudices. Par un arrêt du 3 juillet 2019, la cour d’appel de Rennes le condamne à prendre en charge, dans le cadre de sa garantie vol, le préjudice subi par les époux (Rennes, 3 juill. 2019), aux motifs que les conditions générales de la police d’assurance précisaient que « ne sont pas garantis les vols ou détériorations survenus alors que les mesures de prévention n’ont pas été observées, sauf en cas de force majeure ou si le non-respect de ces mesures n’a pu avoir d’incidence sur la réalisation des dommages ». Or, les juges du fond retiennent que, « au regard de la détermination du ou des auteurs du cambriolage, caractérisée par le mode opératoire, dont le forcement du...
Viole le principe de la contradiction (C. pr. civ., art. 16) la cour d’appel qui statue sur le fondement d’une exception, prévue dans la clause d’exclusion de garantie opposée par l’assureur, mais dont les assurés ne s’étaient pas expressément prévalus devant la juridiction du second degré, et sur laquelle l’assureur ne s’était, dès lors, pas expliqué.
Alors que les députés de l’opposition multiplient les critiques à l’égard de l’application de l’article 45 de la Constitution, le président de l’Assemblée nationale a publié un mémento sur l’irrecevabilité des « cavaliers législatifs ».
L’article L. 111-6-1 du code de la construction et de l’habitation, qui ne vise que la division en vue de mettre à disposition des locaux à usage d’habitation, n’est pas applicable à des lots nouvellement créés permettant d’individualiser juridiquement et comptablement des chambres et débarras distincts existant déjà en dernier étage et correspondant à la structure de l’immeuble depuis son origine.
Se conformant à la réponse de la Cour de justice de l’Union européenne à sa question préjudicielle, le Conseil d’État interdit la chasse à la glu en France, pour incompatibilité avec la direction Oiseaux.